M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de cinquante ans après le référendum par lequel Mayotte a fait le choix de la France et quatorze ans après la départementalisation de ce territoire, les textes soumis aujourd’hui au vote du Sénat ont une double ambition : donner une dimension concrète à la promesse républicaine à Mayotte et répondre durablement aux défis de l’archipel.
Ces défis sont bien connus : saturation des infrastructures et des services publics, gestion de l’eau, faiblesse du tissu économique, pauvreté, immigration et insécurité. À bien des égards, le cyclone Chido n’a fait qu’aggraver une crise déjà ancienne.
Une autre forme de crise préexistait à cette catastrophe : une crise de confiance envers l’État, causée par les nombreuses promesses qui restent très largement à tenir.
Le projet de loi, notamment grâce à son rapport annexé, donne une feuille de route à ce territoire. Il s’agit de la feuille de route du Gouvernement, bien sûr, mais aussi et surtout de l’État dans sa continuité.
Ce texte assure plus de 4 milliards d’euros d’investissements qui visent à mettre à niveau les infrastructures de l’île, notamment par la création d’un nouvel aéroport à Grande-Terre, par la modernisation du port de Longoni, par la construction d’un nouvel hôpital et par le renforcement des infrastructures d’eau.
Pour restaurer la confiance du territoire envers l’État, il faudra tenir, donc suivre de près, ces nombreux engagements. La rédaction initiale du Gouvernement a ainsi été complétée, afin de mettre en place un comité de suivi, un bilan d’étape devant être dressé à mi-parcours.
En outre, à la demande du Sénat, le Gouvernement a quelque peu précisé les engagements financiers. Nous lui en sommes reconnaissants. Par voie d’amendement, nous avons toutefois manifesté la volonté qu’il aille plus loin, en présentant une programmation financière annualisée et détaillée d’ici à la fin de l’année 2025.
J’en viens à présent à la question sociale. Le projet de loi accélère, à l’horizon 2031, la trajectoire de la « convergence sociale », c’est-à-dire l’alignement des droits sociaux et des prestations, ainsi que la convergence du Smic. Un tel programme est très ambitieux.
Ce texte vise également à relancer l’activité économique en étendant à Mayotte le dispositif de zone franche globale.
L’affirmation de cette programmation s’accompagne de dispositions législatives censées favoriser l’atteinte des objectifs de développement.
Ainsi, dans un contexte qui reste fondamentalement une situation de crise, le Sénat a souhaité faciliter la coordination des services de l’État : sur l’initiative de sa commission des lois, il a introduit l’article 1er bis, qui consacre l’autorité du préfet de Mayotte, pour la durée du plan de refondation, sur l’ensemble des services de l’État œuvrant dans l’archipel.
En parallèle, ce texte modernise le fonctionnement institutionnel du territoire par la création du Département-Région de Mayotte, dont le statut de collectivité unique est confirmé. Grâce au renforcement de ses prérogatives et de ses moyens, cette collectivité territoriale pourra participer pleinement à l’exercice des politiques publiques nécessaires au développement de l’archipel. Ce choix s’inscrit dans une logique plus large, qui doit s’appliquer à tous les territoires de la République : tout ne saurait toujours venir que de l’État.
Nous ne pouvons que nous réjouir que le Gouvernement ait, en réponse à la demande du Sénat, inscrit directement cette réforme dans le projet de loi, plutôt que de passer par une ordonnance.
Ce texte comporte plusieurs mesures visant à lutter contre l’immigration clandestine et ses conséquences, qu’il s’agisse de l’insécurité, de l’habitat informel ou du travail illégal.
Contrairement à ce que nous avons pu entendre au cours de nos débats, ces dispositions ne traduisent pas une quelconque « obsession migratoire » : leur seul but est de répondre à ce qui, de l’avis unanime des élus locaux, constitue le principal facteur de déstabilisation de Mayotte et la source d’un grand nombre de ses maux.
L’Insee prédit que, sans inflexion des flux migratoires, le nombre d’habitants à Mayotte pourrait plus que doubler d’ici à 2050. Nous ne pouvons refuser d’agir !
Il faut le dire clairement : alors que Mayotte connaît une crise sans précédent, la situation de l’archipel et de ses habitants ne pourra pas s’améliorer sans réduction de l’immigration. Les magistrats de la Cour des comptes n’affirmaient pas autre chose, en 2022, lorsqu’ils constataient que « la maîtrise de l’immigration est un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique ».
C’est pourquoi ce projet de loi comporte plusieurs mesures adaptant notre droit aux spécificités mahoraises. Il tend ainsi à restreindre les conditions de délivrance de certains titres de séjour pour motif familial, ainsi qu’à lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.
Le Sénat a approuvé ces mesures. Il les a même renforcées, notamment en durcissant les conditions de délivrance de certains titres de séjour ou en précisant les conditions de logement pour le regroupement familial.
À l’écoute des élus du territoire et engagé dans un dialogue exigeant avec le Gouvernement – M. le ministre pourra en témoigner –, le Sénat a apporté de nombreuses améliorations aux textes dont il a été saisi. À mon sens, il a pleinement joué son rôle.
J’en suis bien conscient, nos compatriotes mahorais ne seront pas pleinement satisfaits. Je pense notamment au maintien de l’article 19, relatif à la prise de possession anticipée. Toutefois, cette inquiétude me paraît procéder très largement d’un malentendu quant à la portée des dispositions considérées.
Le maintien du « visa territorialisé » est la source d’une autre insatisfaction, exprimée par de nombreux élus. Le Sénat a en effet considéré que, en l’état de la situation migratoire, sa remise en cause serait contraire tant à l’intérêt général qu’à celui des Mahorais.
Toutefois, il ne s’agit pas là d’un refus définitif : en vertu de l’article 2 bis, introduit par le Sénat, un bilan des mesures dérogatoires en matière d’immigration et de nationalité doit être réalisé dans un délai de trois ans. Ce sera l’occasion de réévaluer la pertinence du titre de séjour territorialisé et, si les conditions sont réunies, d’envisager éventuellement sa suppression.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune loi ne pourra à elle seule répondre aux défis auxquels est confrontée Mayotte. Il nous faudra une politique résolue, s’inscrivant dans la durée, qui associera à la fois la population mahoraise et ses représentants. Il faudra également, sans aucun doute, une politique plus exigeante à l’égard des Comores.
Les élus que nous avons rencontrés nous ont alertés quant au sentiment d’abandon qu’éprouvent les Mahorais, et ce avant même le cyclone Chido, du fait de l’incapacité de l’État à améliorer durablement la situation. Il est urgent d’obtenir des résultats concrets. Nous le devons à nos compatriotes mahorais !
Pour ces raisons, les élus du groupe Union Centriste voteront ces deux textes. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un droit d’exception continuera-t-il, oui ou non, de s’appliquer à Mayotte ?
Les élus du groupe communiste ont toujours défendu la convergence parfaite des droits appliqués dans l’Hexagone et à Mayotte. Mais, après l’étude de ce projet de loi et du projet de loi organique, nous devons malheureusement le constater : cet objectif est encore loin d’être atteint. Pourtant, des efforts ont été accomplis pour lutter contre cette inégalité de traitement, des efforts que nous saluons, monsieur le ministre.
Les membres de notre groupe demandaient depuis longtemps l’extension du statut de département-région à Mayotte : cette importante avancée est assurée par le présent texte.
En plaçant Mayotte au même niveau institutionnel que la Martinique ou la Guyane, nous réaffirmons la compétence du territoire en matière de coopération régionale, courroie de transmission indispensable au développement de l’île. Ce changement permet aussi d’adapter le cadre budgétaire aux enjeux financiers de Mayotte, afin que ce territoire puisse mieux affronter ses difficultés.
Par ces dispositions, vous répondez aux demandes des élus locaux et de la population mahoraise.
De même, ce projet de loi fait converger les droits applicables en matière sociale à Mayotte et dans l’Hexagone. Nous ne pouvons que saluer cette avancée, que nous demandions depuis longtemps.
Pour rappel, Mayotte est le département le plus pauvre de France. Au total, 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Son produit intérieur brut (PIB) est le plus faible et son taux de chômage est le plus élevé – il s’élève à 37 % de la population active.
Nous regrettons toutefois que le projet de loi ne détaille pas ces mesures, lesquelles font l’objet d’une simple habilitation du Gouvernement. De même, nous regrettons évidemment le choix de l’horizon 2031, bien trop lointain pour nombre de Mahorais.
Nous déplorons en outre le manque de convergence de certaines mesures. S’il est légitime de donner la priorité aux mesures relatives au travail, il semble absurde de ne pas prévoir, de manière simultanée, une convergence pour le revenu de solidarité active (RSA) et l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dont les montants sont aujourd’hui 50 % plus faibles que dans l’Hexagone, ou encore pour les prestations familiales, dont la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje).
De ce fait, vous laissez sur le carreau beaucoup trop de personnes en difficulté, ce qui freine l’ambition de faire drastiquement baisser la pauvreté, ce fléau bien trop présent dans l’île.
Enfin, nous regrettons que l’aide médicale de l’État (AME) soit exclue de la convergence des droits sociaux, alors que les besoins de santé à Mayotte y sont si importants.
Nos regrets quant à ce texte ne s’arrêtent malheureusement pas là. La volonté de convergence des droits entre Mayotte et l’Hexagone, observée sur certains aspects, est en effet contrebalancée par le souhait de donner un statut d’exception à ce territoire.
Mes chers collègues, les habitants de Mayotte ne sont toujours pas traités à égalité avec les autres personnes vivant sur le territoire français, et pour cause : leurs abris d’infortune peuvent être détruits sans que la puissance publique soit tenue d’assurer le moindre relogement.
Il y a quelques semaines, vous leur avez interdit d’acheter de la tôle sans carte d’identité : ceux qui n’ont pas été mis à la rue par le cyclone Chido le seront désormais par le cyclone Manuel Valls ! (Exclamations.) De plus, leurs enfants peuvent être enfermés dans des centres de rétention, malgré les huit condamnations que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a infligées à la France à ce sujet.
Les frères, sœurs et parents d’enfants condamnés pour une infraction très floue d’atteinte à l’ordre public peuvent être jetés dans une précarité administrative pour des actes qu’ils n’ont pas commis.
Les titulaires de titres de séjour et les enfants étrangers sont confinés dans l’île. Leurs titres de séjour territorialisés et leurs documents de circulation pour étrangers mineurs les condamnent eux-mêmes à l’isolement, comme Mayotte tout entière.
Je le répète, les personnes étrangères en situation irrégulière vivant à Mayotte restent exclues du droit à l’AME, malgré les problèmes de santé publique que cette situation entraîne pour tous les habitants de l’île, quelle que soit leur nationalité.
Enfin, les habitants de Mayotte peuvent se voir exproprier de 300 hectares de terres agricoles par l’État français pour la construction d’un aéroport, imposée sans leur consultation et contre leur volonté.
Monsieur le ministre, j’insiste sur ce dernier point. Lorsque le Président de la République et vous-même vous êtes rendus à Mayotte en début d’année civile, les élus locaux et la population vous ont fait part du projet, à l’étude depuis vingt ans, de prolongement de la piste de l’aéroport de Petite-Terre. Vous avez annoncé vouloir aller contre leurs avis pour construire un nouvel aéroport à Grande-Terre.
Dans cet hémicycle, la semaine dernière, vous avez accusé les élus mahorais d’avoir manqué à leurs responsabilités. Vous auriez, par voie de conséquence, été contraint d’outrepasser leur avis.
Pourtant, c’est l’inverse qui s’est produit : les élus ont pris une délibération, le 17 avril 2025, à l’unanimité, pour vous demander de construire une piste longue à Petite-Terre. Ce choix responsable et démocratique ne vous convenant pas, vous avez déposé un amendement en séance publique pour le contrer. Puis, lorsque votre amendement a été rejeté, vous avez usé du règlement du Sénat pour imposer votre volonté, contre l’avis des élus, donc du peuple mahorais.
Si les passages en force sont à la mode depuis plusieurs gouvernements, s’ils se multiplient depuis quelques jours, nous regrettons que la chambre des territoires ne se soit pas rangée du côté des territoires et des élus locaux ; qu’elle ait préféré obéir à un gouvernement plutôt que d’écouter les élus et la population locale.
Malgré ces regrets, inspirés tant par le fond que par la méthode, nous ne voterons pas contre ces textes. En effet, ils contiennent tout de même quelques avancées importantes, que j’ai évoquées plus tôt.
Nous n’en resterons pas moins vigilants. Nous continuerons de lutter pour que les droits de l’homme soient aussi appliqués à Mayotte et pour obtenir, au plus vite, une réelle convergence des droits avec l’Hexagone. En effet, c’est en sortant les gens de la misère que nous construirons, pour toutes et tous, un avenir meilleur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je suis allée à Mayotte il y a quelques semaines avec plusieurs membres de la commission des affaires économiques, dont je tiens à saluer la présidente. Je remercie également l’administration du Sénat, qui nous a fort bien accompagnés, ainsi que le préfet du département.
Nous avons vu. Nous avons écouté. Nous avons arpenté les villages et les bidonvilles. Nous avons visité les installations et rencontré les acteurs de terrain. Chacun en a tiré sa propre analyse, mais nous avons, toutes et tous, vu un territoire en crise, placé face à un défi de grande ampleur.
Pour ma part, j’estime que trop peu de dispositions de ce projet de loi répondent à l’urgence de la situation.
Où est donc la refondation dont on nous parle ? Crise de l’eau ; crise de l’école ; crise de l’habitat ; crise de la République : où sont les réponses à la hauteur de ces enjeux ?
Tout d’abord, j’insisterai sur l’eau. Aujourd’hui, 29 % des Mahorais ne disposent pas à leur domicile d’un raccordement à l’eau. Dans ces conditions, les bornes-fontaines jouent un rôle essentiel.
À Mayotte, les services d’eau ne fonctionnent que de manière discontinue – les habitants vivent 36 heures avec, puis 36 heures sans ! Il est donc urgent de développer des infrastructures, des retenues d’eau et des usines de dessalement à même d’assurer un service continu. Je rappelle que la continuité du service public est un principe constitutionnel.
On nous parle d’un projet de dessalement, présenté comme la solution miracle, mais il faudra deux à trois ans pour qu’il voie le jour. Aujourd’hui, il n’y a même pas de ligne à haute tension pour le raccorder : ce n’est pas encore seulement un projet. Et que dire de l’impact environnemental d’un tel chantier ? L’usine serait implantée dans le lagon, au cœur d’un joyau de biodiversité. Les rejets de saumure bouleverseraient un écosystème unique composé de coraux, de mangroves et d’herbiers.
Il faut certes une seconde usine de dessalement, mais au bon endroit. Une nouvelle retenue collinaire est également nécessaire. Il faut, en fait, un véritable plan d’urgence pour l’eau, seul à même d’assurer l’application du principe d’égalité.
En matière d’habitat, l’île se trouve également dans l’impasse. Ce que nous avons vu, ce sont des bidonvilles en pente, des chemins de tôle et des quartiers sans voirie construits sur des sols instables.
Or que fait ce texte ? Il renforce les pouvoirs de la police contre les habitats informels. On entreprend de les détruire, comme si le cyclone Chido ne l’avait pas déjà fait, bien plus efficacement que n’importe quelle police au monde… D’ailleurs, tout a été reconstruit à l’identique.
De même, on ne dit rien de l’aménagement, rien du relogement digne, rien du logement social dans ce texte. On détruit, mais on ne construit pas. Nous sommes face à une impasse sociale et urbaine.
Il faut un plan de résorption de l’habitat insalubre : des toitures sécurisées, des ruelles éclairées, des latrines dignes et des sols stabilisés. On ne peut tout résoudre avec des bulldozers !
Quant à l’éducation, elle est au bord du gouffre. En tout, 1 200 classes manquent : ce n’est pas nouveau, ce n’est pas une surprise. On connaît les chiffres et les besoins. Or que prévoit-on avec ce texte ? La fin de la rotation scolaire, en 2031… Comme pour la convergence sociale, l’objectif fixé est bien trop lointain, bien trop vague et dépourvu de plan d’investissement.
Pour renforcer l’attractivité du territoire, on mise sur des exonérations fiscales et des primes pour les fonctionnaires. Mais, en multipliant les exonérations, on risque avant tout de provoquer un effet d’aubaine sans pour autant provoquer de développement structurant.
Soyons clairs : ce n’est pas parce que l’on paiera un fonctionnaire plus cher qu’il viendra, si son enfant n’a pas d’école, si son conjoint ne trouve pas de travail, s’il ne peut pas se loger ou s’il n’est pas prioritaire lors des affectations à venir.
Pendant ce temps, on durcit la répression. En 2023, le nombre d’expulsions a atteint 22 000 : il s’agit là d’un record ! J’ajoute que, trop souvent, ces mesures sont décidées au mépris du droit. On décide ainsi de renvoyer des mineurs par simple association avec un adulte, afin de contourner la loi.
C’est l’article 8 qui a donné lieu aux discussions les plus choquantes. On prévoit de retirer un titre de séjour à des parents de mineurs qui troublent l’ordre public s’ils ont manqué à leurs obligations éducatives. Il s’agit là d’un dispositif sans précédent, comme l’a dit Mélanie Vogel, tout en rappelant un principe fondamental : la responsabilité pénale est individuelle. On ne peut pas être puni pour des faits que l’on n’a pas commis soi-même.
Notre collègue a posé la véritable question : « Que pensez-vous qu’il va se passer ? On va retirer un titre de séjour aux parents, et ensuite quoi ? » Il s’agit là d’une simple mesure de punition, de répression. Ce n’est pas une solution acceptable pour nous, membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Monsieur le ministre, cette mesure ajoute de la peur à la précarité, de l’exclusion à la violence : est-ce là réellement la société que nous voulons ?
Pour nous, c’est une ligne rouge. Il n’y a aucune politique d’accueil à Mayotte ; pas de centre pour demandeurs d’asile ; pas d’allocation pour vivre ; pas de contrat d’intégration : c’est le vide total. Comme l’a dit la Défenseure des droits, « on crée une zone d’expérimentation du recul des droits ». Vous durcissez les règles et vous laissez de côté l’État de droit.
Une véritable refondation supposerait un plan d’aménagement global, comprenant les routes, le logement, l’eau et l’électricité ; un service public de l’eau digne de ce nom ; un rattrapage éducatif d’urgence – à cet égard, l’objectif de 1 200 classes n’est pas une option, mais un devoir ; la fin de la territorialisation des titres de séjour ; un accompagnement pour les personnes en situation régulière, supposant de mettre l’accent sur l’hébergement, l’intégration et la dignité de ces femmes et de ces hommes ; enfin, une politique écologique à la hauteur de l’exceptionnelle biodiversité de l’île, qu’il s’agisse de la reforestation, de la gestion des déchets ou de la préservation du lagon.
Je suis allée à Mayotte. J’ai vu un territoire qui se bat, qui résiste, mais qui n’en peut plus.
Ce texte ne répond pas aux principes de la République. Il n’assure pas davantage le développement digne auquel les Mahorais devraient avoir droit. On ne refonde pas un territoire avec des centres de rétention et des exonérations fiscales. On le refonde avec de la justice, de l’égalité et de la dignité.
Ce ne sont pas ces textes qui changeront les choses : nous voterons donc contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Saïd Omar Oili. Monsieur le ministre, lors de l’examen de ces deux textes, vous nous avez brossé un paysage singulier de Mayotte. Vous avez décrit une végétation qui revient et des activités qui redémarrent.
Or, au même moment, dans un message au Président de la République, des acteurs économiques de Mayotte donnent à voir une autre image de notre archipel : « Après cinq mois, Mayotte s’épuise, lasse des promesses de l’État. Les caisses des collectivités sont vides. Les chantiers sont à l’arrêt. La colère monte. »
Les signataires de ce courrier ne sont ni des excités ni des incontrôlés. Ce sont des responsables d’associations d’élus, des maires et présidents d’intercommunalités, des délégués du Mouvement des entreprises de France (Medef), de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et de la chambre de commerce et d’industrie (CCI).
Votre attitude me fait étrangement penser à une chanson des années 1930 : « Tout va très bien, madame la marquise » ! (Sourires.)
En février dernier, nous avons voté un texte d’urgence pour Mayotte. Je vous ai transmis un tableau de suivi des mesures contenues dans cette loi dès sa publication, en précisant que j’attendais un retour : depuis lors, silence…
Lors du vote du projet de loi d’urgence, vous vous êtes engagé à mener une concertation sur les textes d’application, notamment sur les ordonnances. Force est de constater que vous ne tenez pas vos engagements.
J’ai découvert l’ordonnance relative à l’établissement public chargé de la refondation de Mayotte en parcourant le Journal officiel de vendredi dernier. Je ne vous ferai pas l’affront de penser que le contenu de cette ordonnance explique votre silence, même si ce texte innove de façon assez singulière en matière de gouvernance.
En effet, le président du conseil départemental doit présider le conseil d’administration de l’établissement public, composé à parts égales de représentants de l’État et de représentants des collectivités territoriales. Or – je l’ai découvert avec surprise –, en cas d’égalité de votes, c’est le vice-président représentant l’État qui aura voix prépondérante ; et, en vertu d’un amendement retenu au titre du projet de loi de refondation, ce représentant de l’État sera sous la responsabilité de la mission Facon, rue Oudinot, à Paris.
Monsieur le ministre, à ce propos, deux citations me viennent à l’esprit. La première est une célèbre phrase de Mandela : « Ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous. » La seconde est attribuée à Napoléon Bonaparte : « On peut gouverner de loin, mais on n’administre bien que de près. »
Lors de l’examen du projet de loi de refondation de Mayotte, sur lequel nous nous prononcerons dans quelques instants, j’ai détaillé les priorités de notre groupe : la fin des cartes de séjour territorialisées ; la suppression de l’article 19, relatif aux expropriations ; un calendrier plus resserré des mesures de convergence sociale. Au total, le compte n’y est pas.
La fin des cartes de séjour territorialisées, que demande l’ensemble de la classe politique mahoraise, n’a pas été votée. Nous le regrettons très vivement.
Ce refus jette le discrédit sur la politique gouvernementale à l’égard des Mahorais. Votre prédécesseur s’était engagé par écrit : il avait promis que cette mesure serait mise en œuvre après la réforme du droit du sol, qui vient d’être votée. Dans ces conditions, comment voulez-vous que la parole publique soit crédible ?
Pour lutter contre l’immigration clandestine, vous défendez des mesures dérogatoires au droit commun. Mais, en la matière, on constate beaucoup d’effets d’annonce et peu de résultats. J’en veux pour preuve deux exemples.
Premièrement, les résultats obtenus en 2024 au titre de l’opération Wuambushu et de l’opération place nette ne sont guère satisfaisants : les reconduites à la frontière ont été moins nombreuses que les années précédentes. On en a dénombré 16 000, au lieu de 25 000 habituellement.
Deuxièmement, lors du vote du projet de loi d’urgence, j’avais exprimé le scepticisme que m’inspirait l’interdiction de vente des tôles aux personnes en situation irrégulière. Je tiens à votre disposition les photos du bidonville de Kawéni, aujourd’hui émaillé de tôles flambant neuves. Soit il n’y a plus de clandestins dans ce secteur, soit une telle mesure est tout simplement inopérante.
En outre, l’article 19, qui déroge au droit commun pour les procédures d’expropriation, est maintenu dans sa rédaction initiale. Faites d’abord une vraie réforme foncière, ne mettez pas la population mahoraise en insécurité sur ses terres : comme on a coutume de le dire chez nous, « vous avez mis la charrue avant les zébus » ! (Exclamations amusées.)
Enfin, en matière de convergence sociale, le compte n’y est pas. La perspective de 2031 n’est pas acceptable. Pourtant, des mesures concrètes peuvent être prises rapidement au titre des minima sociaux, d’autant que certaines n’auront qu’un impact financier limité. Je pense par exemple aux pensions de retraite, qui ne sont qu’au nombre de 5 000 : le coût de leur alignement s’élèverait à 1,5 million d’euros. Pour les 4 000 minima sociaux, cette mesure ne coûterait que 800 000 euros.
Nous avons déposé trente amendements sur le rapport annexé, afin de préciser certaines mesures. À cet égard, j’ai déploré le contenu de certaines réponses qui m’ont été apportées.
Ainsi, j’ai déposé un amendement visant à créer un observatoire du volcan Fani Maoré. En réponse, vous m’avez indiqué que le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima) assurait déjà cette mission.
Un observatoire sismovolcanique a deux vocations : mener des études scientifiques et appliquer un dispositif de surveillance.
J’ai pu mesurer toute la qualité du précieux travail mené par les scientifiques de l’institut de physique du globe de Paris (IPGP) pour nos territoires ultramarins.
Le Revosima est bien le référent sur le volet scientifique, mais, aujourd’hui, la surveillance du volcan Fani Maoré est bien assurée par l’observatoire du piton de la Fournaise, à La Réunion. Je me suis rendu sur le site de cet observatoire : son équipe, au demeurant très compétente, m’a expliqué comment elle surveillait le Fani Maoré, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Lors de l’examen de ce projet de loi, une petite musique revenait à mes oreilles – la chanson du chanteur réunionnais Tonton David, qui clamait : « Je suis sûr, sûr qu’on nous prend… » – je vous laisse deviner la suite, mes chers collègues !
Ce rapport annexé renferme une série de mesures qui pourraient constituer une véritable feuille de route pour le développement de Mayotte. Toutefois, il souffre d’une absence de financements consolidés et ne tient pas compte des évaluations de la mission interinspections, qui s’élèvent à 3,5 milliards d’euros.
Le projet de loi de refondation de Mayotte, tel qu’il nous est soumis, ne répond pas aux priorités des Mahorais. Quant à la feuille de route pour la refondation de Mayotte, elle reste trop floue, notamment au titre des moyens financiers dédiés aux investissements.
C’est pourquoi les élus de notre groupe s’abstiendront. Ce texte ne répond décidément pas aux urgences de ce territoire de la République, français depuis 1841. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)