Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Cela signifie que nous sommes face à un véritable problème. Je propose donc que nous procédions sereinement à une évaluation de ce dispositif, dont nous partagerons les résultats avec les parlementaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, je souhaite profiter de ce débat pour évoquer les défis que doivent relever nos territoires ruraux depuis l’adoption de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, pour concilier les attendus de la rénovation énergétique et la sauvegarde du bâti ancien.

Face aux multiples défis que nous devons aujourd’hui relever, rénover le bâti ancien, tout le bâti ancien, qu’il soit protégé ou non, constitue, aux yeux de ceux qui en connaissent la valeur, une véritable assurance vie pour notre pays. Curieusement, nos politiques publiques ont du mal à le reconnaître, malgré les alertes incessantes que lance le Sénat.

Face aux atteintes trop souvent définitives portées au patrimoine au nom de la rénovation énergétique, il est urgent de cesser de subventionner des travaux uniformes et inadaptés pour répondre aux exigences de cette loi, laquelle n’a pas fini de nous poser question ; il est tout aussi urgent de traiter avec respect ce qu’il reste de notre bâti ancien, des paysages et du cadre de vie propre à la ruralité française, qui raconteront bien mieux que nous l’histoire de notre si beau pays.

Madame la ministre, sans l’État, sans l’appui des politiques publiques, nous n’y parviendrons pas. À cette fin, il convient a minima d’identifier le plus vite possible le bâti non protégé de notre pays, afin de lui permettre de bénéficier d’un traitement particulier lors de l’instruction des autorisations d’urbanisme.

Il est ainsi nécessaire de créer un diagnostic de performance énergétique (DPE) spécifique, qui prenne en compte les qualités thermiques du bâti traditionnel, de majorer les aides financières, pour aider à financer les surcoûts inhérents à une rénovation respectueuse du bâti vernaculaire, et, enfin, de valoriser les métiers et les gestes du patrimoine qui s’éteignent faute de pouvoir s’exercer.

En 1832, Victor Hugo écrivait : « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire c’est dépasser son droit. »

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Sabine Drexler. Dans cet hémicycle où il a lui-même siégé, il m’en voudrait de ne pas le rappeler ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Votre question me touche, madame la sénatrice Sabine Drexler, car elle porte sur l’identité de notre ruralité, la diversité de notre territoire et les spécificités du bâti dans le département dont vous êtes élue, qui diffère du bâti que l’on trouve dans la Creuse ou en Bretagne.

Alors que nous devons muscler et rénover le bâti de nos centres-villes et de nos centres-bourgs, il faut reconnaître que le DPE, qui est adapté aux logements modernes, ne prend pas en compte les performances thermiques estivales du bâti que vous évoquez. L’application du DPE à ce type de bâti est même nuisible – je le dis comme je le pense –, car elle entraîne la prescription de travaux de rénovation avec des matériaux incompatibles avec l’existant, et cause de ce fait des « maladies » du bâti.

Dans les Vosges, l’AMRF a créé un laboratoire de la ruralité qui travaille notamment sur le bâti ancien.

Il nous faut prendre des moyens pour rénover le bâti ancien de manière adaptée et qualitative – je l’ai observé hier, lors d’un déplacement à Jarnac, comme dans bien d’autres territoires.

Soyez donc assurée de mon soutien, madame la sénatrice : comme les sénateurs, qui sont – je l’imagine – très sensibles aux difficultés que vous soulevez, j’appelle de mes vœux une réponse positive à votre question.

Dans le département dont vous êtes élue, la réhabilitation exceptionnelle de la ferme de Niefergold, à Durmenach, constitue un exemple d’adaptation réussie d’un bâti ancien. Il nous faut encourager de telles initiatives, car les néoruraux étant attachés à la qualité du bâti ancien, elles contribuent à renforcer l’attractivité de nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue la volonté réaffirmée d’accompagner les dynamiques économiques dans les territoires, au plus près de nos entreprises, et plus particulièrement de nos industries, notamment dans le cadre du dispositif Territoires d’industrie.

La mise en œuvre des projets se heurte toutefois régulièrement à des actions contradictoires des services de l’État. Les dossiers portés localement se voient en effet freinés, voire bloqués, par un manque de coordination entre, d’une part, des services de l’État facilitateurs au niveau local et, d’autre part, les arbitrages souvent défavorables rendus au niveau régional, notamment par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal).

Il est temps de clarifier les responsabilités et de réaffirmer qu’en tant que représentant de l’État dans les départements, le préfet doit avoir le dernier mot pour garantir la cohérence, la rapidité et l’efficacité de l’action publique, tout en s’appuyant bien évidemment sur l’expertise régionale. Au fait des réalités locales, il travaille en effet avec ses services au plus près des collectivités, et il est le garant de l’équité territoriale.

En Savoie, des projets essentiels se trouvent aujourd’hui menacés par des décisions techniques prises au niveau régional, lesquelles n’ont fait l’objet d’aucune concertation ni information, et alors même qu’en parallèle, les projets avancent localement. Une étude de reclassement en zone humide compromet ainsi l’extension de la zone d’activité de Terre Neuve III, sur l’aérodrome d’Albertville, au sein de laquelle la belle entreprise SAF Hélicoptères souhaite construire un nouveau bâtiment aux normes demandé par ses clients, notamment par Airbus.

Cette situation illustre l’écart persistant entre les ambitions portées localement et une approche administrative parfois déconnectée des réalités de terrain. Je pourrais, hélas ! citer plusieurs situations comparables.

Ma question est donc la suivante, madame la ministre : quand les préfets seront-ils enfin dotés de l’autorité nécessaire pour s’opposer au blocage par les services régionaux de l’État de décisions structurantes pour l’aménagement et l’activité économique de nos territoires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Nous connaissons tous, dans nos territoires, les effets économiques des difficultés que vous soulevez et les fortes contrariétés qui en découlent, madame la sénatrice Martine Berthet.

Les services de l’État, pour lesquels travaillent des personnels de grande valeur, fonctionnent malgré tout en silo, sans vision d’ensemble, ce qui les amène parfois à émettre des injonctions contradictoires.

Le Gouvernement, tout comme le Sénat et – je l’espère – l’Assemblée nationale, souhaite donc renforcer les pouvoirs du préfet de département. En raison de sa proximité avec le terrain – le Sénat l’a souvent soulignée –, il doit être le chef d’orchestre de tous les services et agences de l’État. Autrement dit, une fois l’avis de chacune des administrations pris en compte, il doit être en mesure d’arbitrer et de hiérarchiser les urgences en vue de l’intérêt général.

Le Gouvernement souhaite également donner au préfet un pouvoir d’appréciation de la norme, car pour légitime qu’elle soit, elle ne peut parfois pas être appliquée de la même manière dans une grande et une petite entreprise, ou au nord et au sud de la France. En raison de la judiciarisation croissante de notre société, qui fait parfois figure de nouveau sport national, nous ne pouvons toutefois pas donner cette liberté à un représentant de l’État sans en sécuriser juridiquement l’exercice au préalable.

En tout état de cause, j’estime et j’espère que nous approchons du but, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Martine Berthet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Madame le ministre, chère Françoise Gatel, de tous les maux qui rongent notre société, l’un des plus sournois et des plus redoutables est probablement la fonte de la natalité qui touche notre pays – triste peau de chagrin ! –, dont l’horizon s’embrume et qui, entre consumérisme et égocentrisme, s’endort à bas bruit.

Les raisons en sont certes nombreuses. Parmi celles-ci figure l’abandon de toute politique familiale digne de ce nom. Si l’on fait des enfants par amour, l’accueil d’un nouveau-né est toujours facilité, notamment pour les couples modestes, par des aides, ainsi que par la mise en place de solutions de garde permettant de concilier vie professionnelle et parentalité.

Or l’accueil de la petite enfance, notamment dans les zones rurales, constitue un angle mort de nos politiques publiques. Les collectivités territoriales prennent certes le problème à bras-le-corps en subventionnant l’installation et l’aménagement de crèches et de maisons d’assistants maternels (MAM). Mais, hélas ! l’État accompagne ces initiatives de subventions bien trop timides.

De ce fait, les campagnes vieillissent, s’engourdissent, alors même qu’un cadre de vie verdoyant et un foncier bon marché sont autant d’appels à l’installation de jeunes familles.

Madame le ministre, quelle est la vision de l’État face à cette dénatalité conjuguée au vieillissement de nos campagnes souvent vides, où les structures d’accueil de la petite enfance sont beaucoup trop rares ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Ne disposant que de deux minutes pour refaire la société française avec vous, monsieur le sénateur Paccaud, vous me pardonnerez de développer une pensée qui, pour être sincère, n’en sera pas moins réductrice ! (Sourires.)

Si les enfants se font à mon avis plutôt par amour que par décret,…

M. Olivier Paccaud. Je l’ai dit !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. … il faut que l’ensemble des territoires proposent des solutions de garde et d’accueil pour les enfants. En effet, les parents travaillent, certaines familles sont monoparentales et, dans tous les cas, il faut offrir au plus tôt aux enfants la possibilité d’évoluer dans un cadre collectif.

Dans le département très rural qu’est la Mayenne, des maisons d’assistants maternels ont vu le jour. Ces structures privées, qui n’ont pas nécessairement besoin du soutien des collectivités locales, proposent une solution collective. Les microcrèches peuvent également être le fait d’initiatives privées ou associatives.

Dans la Somme, le département dont votre collègue M. Somon est élu, pour faire face à la baisse de la démographie, des communes ont par ailleurs inventé un dispositif extraordinaire assurant un accueil mutualisé des enfants, y compris sur le temps périscolaire.

Il nous faut accompagner l’élaboration de telles solutions, car elles sont très attendues. Tel est l’engagement de l’État. Tels sont aussi l’engagement et la mission des départements, des caisses d’allocations familiales (CAF) et des caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA).

Je souhaite en particulier que les CAF s’assurent que les collectivités pourront assumer les charges, parfois très lourdes, qu’emportent les normes qu’elles imposent. Je souhaite également – et je vous invite à mener ce combat à mes côtés, monsieur le sénateur – qu’au sein des caisses d’allocations familiales départementales, une représentante des élus accompagne la mise en œuvre des solutions d’accueil de la petite enfance. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Il serait bon que, dans le cadre de l’affectation de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), des crédits soient alloués de manière prioritaire aux projets de crèches ou de maisons d’assistants maternels. Or ce n’est pas toujours le cas.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Facile ! (Sourires.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Anne Ventalon, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la diversité de vos interventions ce soir montre qu’il existe non pas une seule ruralité, mais bien des ruralités.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 88 % de notre territoire est situé en zone rurale. La ruralité fait face aux nombreux défis que vous avez rappelés, mes chers collègues : l’accès aux services, qu’il s’agisse des écoles, des commerces ou des centres de santé, la mobilité, le vieillissement de la population et le départ des plus jeunes, et enfin la nécessité de rénover le bâti tout en accompagnant la transition énergétique.

Depuis quelques années, sous l’impulsion du plan France Ruralités, plusieurs programmes, notamment Villages d’avenir et Petites Villes de demain, ont été mis en place afin de répondre de manière adaptée aux besoins des territoires ruraux. Je salue du reste la mission flash que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a décidé de consacrer au bilan du programme Petites Villes de demain, cinq après sa mise en œuvre, et qu’elle a confiée à nos collègues Nicole Bonnefoy et Louis-Jean de Nicolaÿ.

Jugeant qu’il est essentiel de renforcer la gouvernance de proximité et d’appuyer pleinement l’action des élus locaux, le Sénat a voté plusieurs propositions de loi allant dans ce sens.

Je me réjouis que nous ayons adopté, en mars dernier, la proposition de loi Trace. Au-delà de la volonté d’œuvrer pour rendre la politique de réduction de l’artificialisation des sols plus supportable, ce texte instaure une meilleure prise en compte des réalités locales et rurales, lesquelles diffèrent bien souvent d’un département à un autre. Ce texte permet ainsi de redonner la main aux communes en matière de développement comme de maîtrise des enjeux démographiques et économiques.

Plus récemment, nous avons voté à une large majorité en faveur de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires. Alors que 87 % du territoire est classé en désert médical, nous connaissons tous des exemples concrets de difficultés d’accès aux soins dans nos départements.

Les obstacles sont nombreux : éloignement géographique, pénurie de professionnels, fermeture de services, délais d’attente déraisonnables pour consulter un spécialiste, etc. Pour y faire face, des mesures fortes ont été retenues, telles que la reconnaissance des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ou encore un encadrement mieux ciblé de l’installation des professionnels dans les zones sous-dotées.

Dans un autre domaine, le déploiement, depuis 2020, de plus de 2 750 maisons France Services sur l’ensemble du territoire constitue un véritable atout. Permettant à chaque Français d’effectuer ses démarches administratives à moins de vingt minutes de chez lui, ces maisons constituent une réponse concrète à la fracture numérique et administrative qui affecte de trop nombreux citoyens. Nous devons nous assurer que les moyens nécessaires à la poursuite de leur action seront alloués à ces maisons.

Il me paraît également indispensable de maintenir nos écoles rurales. Dans de nombreux départements, les fermetures de classes et les suppressions de postes se multiplient, souvent sans réelle concertation avec les élus. En ce domaine comme dans d’autres, il est donc essentiel de renforcer la gouvernance locale, pour que les décisions prises reflètent pleinement les réalités concrètes des territoires ruraux.

Si la ruralité est aujourd’hui trop souvent associée à un manque d’attractivité, le développement de la ruralité positive permet de valoriser le cadre de vie et de créer une dynamique grâce à une variété de services, d’activités et d’initiatives locales. Cette ruralité vivante qui offre une qualité de vie renforcée attire autant de familles que d’entreprises.

Il nous faut toutefois améliorer les offres de mobilité – vous êtes nombreux à l’avoir souligné, mes chers collègues. J’ajouterai que l’amélioration de ces offres doit tenir compte de l’accès à la culture. Nous devons en effet valoriser la diversité culturelle et patrimoniale des territoires ruraux en encourageant le tourisme. C’est ainsi que nous pourrons soutenir le développement local de nos territoires et préserver leur identité, tout en assurant la transmission de ce patrimoine aux plus jeunes et le maintien du lien intergénérationnel.

Notre ruralité est une terre d’audace. Loin d’être figée, elle se réinvente et innove. Lors de vos déplacements dans nos départements, notamment en Ardèche où je suis élue, vous avez pu constater, madame la ministre, la richesse et la diversité de nos territoires, mais aussi la volonté commune des élus, des habitants et des acteurs locaux de les faire vivre.

Lors de ce débat ont été rappelés les défis majeurs auxquels les zones rurales sont confrontées. Les politiques publiques jouent un rôle déterminant pour y répondre, sous réserve toutefois qu’elles soient adaptées aux réalités locales, d’une part, et qu’elles soient menées de manière concertée, d’autre part.

N’oublions pas que le monde rural n’est pas un problème à résoudre, mais bien une chance qu’il nous appartient de saisir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Bravo !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? ».

5

Avenir du groupe La Poste

Débat organisé à la demande de la commission des affaires économiques

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur l’avenir du groupe La Poste.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe La Poste, société anonyme à capitaux 100 % publics depuis 2010, se trouve aujourd’hui à un moment charnière de son histoire.

En premier lieu, parce qu’il verra sa gouvernance prochainement renouvelée. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe depuis 2013, quittera en effet son poste à la fin du mois de juin. Je tiens à saluer son implication dans la réorganisation de l’entreprise et son souci de préserver un climat social serein durant celle-ci. Je souhaite bonne chance à son successeur.

Dans les prochaines semaines, le Président de la République devra par conséquent proposer le nom de celui ou de celle qui le remplacera et, conformément à la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, ce choix sera soumis à l’approbation des commissions des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Il s’agit, en second lieu, d’un moment charnière parce qu’au cours des dernières années, le groupe La Poste a profondément transformé son modèle, ce qui doit nous conduire à réfléchir au bilan de ces évolutions et à notre vision de ce groupe chargé de plusieurs missions de service public essentielles pour notre cohésion sociale.

Deuxième employeur public de France après l’État, avec plus de 225 000 collaborateurs en 2023, dont plus de 60 000 facteurs, La Poste est présente partout ou presque, au plus près de nos concitoyens et au cœur de leur quotidien. Elle incarne indirectement la présence de l’État et des services publics, en particulier dans les territoires ruraux.

Historiquement, les recettes issues de la distribution du courrier, puis de la livraison de colis, constituaient la plus grande partie du chiffre d’affaires du groupe La Poste. La baisse du volume de courrier, accélérée par la crise économique et sanitaire de la covid-19, par la numérisation des échanges et par l’ouverture à la concurrence du marché de la distribution du courrier en 2011, est désormais une tendance de long terme.

Afin de faire face à ce défi majeur, La Poste, devenue en 2021 une entreprise à mission, a accéléré sa stratégie de diversification en développant des activités de téléphonie mobile, de banque-assurance, de livraison internationale de colis ou encore de services de proximité et à domicile, comme la livraison de repas auprès des personnes âgées.

Cette stratégie de diversification a notamment conduit au rapprochement entre La Banque postale et CNP Assurances en 2020. Détenant désormais 66 % des participations, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est devenue à cette occasion l’actionnaire majoritaire et de contrôle du groupe La Poste, l’État conservant les 34 % restants.

Le plan intitulé « La Poste 2030, engagée pour vous » accélère cette diversification autour de plusieurs axes stratégiques et thématiques, même si les nouveaux services de proximité représentent actuellement moins de 2 % du chiffre d’affaires du groupe.

Désormais groupe international, puisque 44 % de son chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger, mais aussi multi-activité, La Poste a enregistré en 2024 des résultats en progression. Son chiffre d’affaires s’est en effet établi à 34,6 milliards d’euros et son résultat net, en progression, s’est élevé à 1,4 milliard d’euros.

C’est donc un groupe en pleine mutation que Philippe Wahl laissera à son successeur. La tâche est bien sûr loin d’être achevée, car le groupe devra continuer d’évoluer pour prendre en compte les changements économiques et sociaux profonds qui affectent son modèle d’activité.

Je souhaiterais à cet égard que vous nous fassiez part, madame la ministre, de la vision du Gouvernement quant à l’avenir du groupe La Poste, et que vous nous indiquiez les grandes lignes de la feuille de route qu’établira l’État à l’attention de son futur dirigeant.

Au-delà du modèle économique global, qui conditionne évidemment la bonne santé financière, nous sommes bien sûr tout particulièrement sensibles ici, au Sénat, aux missions de service public confiées au groupe La Poste, qui sont dans notre pays à la fois plus nombreuses et plus exigeantes que dans d’autres pays européens.

En particulier, la loi du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales a désigné La Poste en tant que prestataire du service universel postal pour une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2011, soit jusqu’au 31 décembre 2025.

Le service universel postal consiste notamment en une levée et une distribution six jours sur sept sur l’ensemble du territoire national pour les envois de correspondance jusqu’à deux kilogrammes, et de colis postaux jusqu’à vingt kilogrammes.

La Poste a également l’obligation de maintenir un maillage très fin comportant au moins 17 000 points de contact sur les territoires.

Compte tenu de ces exigences, de l’articulation du service universel postal avec les autres missions de service public confiées au groupe La Poste, mais également du caractère structurellement déficitaire de ce service public depuis 2018, il est évident que La Poste est la plus à même d’offrir la meilleure qualité de service public aux usagers tout en offrant les coûts les plus faibles pour les collectivités.

La désignation du groupe en tant que prestataire du service universel postal n’a d’ailleurs soulevé aucune objection lors de la consultation publique qui s’est tenue du 7 mars au 7 avril dernier sur le site internet du ministère de l’économie.

J’ai beaucoup plaidé ces derniers mois pour que la reconduction du groupe La Poste en tant que prestataire du service universel postal fasse l’objet d’un projet de loi. Un tel texte nous aurait permis de légiférer sur d’autres sujets concernant La Poste, en particulier le cadre et le contenu des services publics qui lui sont confiés. Son examen aurait également été l’occasion d’ouvrir des pistes d’évolution.

Or il semble que le Gouvernement a demandé au Conseil constitutionnel de déclasser au niveau réglementaire les dispositions de l’article 2 du code des postes et des communications électroniques, lesquelles prévoient la désignation du prestataire du service universel postal. Le groupe La Poste serait ainsi désigné prestataire du service universel postal pour une durée de dix ans, à compter du 1er janvier 2026, par un simple arrêté.

Si j’ai bien conscience de l’urgence et du contexte politique particulièrement difficile, madame la ministre, je déplore évidemment un tel choix conduisant à un dessaisissement du législateur. J’estime même qu’il s’agit d’une erreur politique, car il importe que La Poste ait le soutien et la compréhension du Parlement. Or procéder par voie réglementaire irait à l’encontre de cet objectif.

M. Damien Michallet. Très bien !

M. Patrick Chaize. Quoi qu’il en soit, en cette fin du mois de mai, pourriez-vous nous indiquer quelle option juridique a été retenue par le Gouvernement pour garantir dans les meilleurs délais la continuité du service public postal au-delà du 31 décembre 2025 ? Pouvez-vous, par ailleurs, nous expliquer le choix de fixer à dix ans la durée de cette attribution, précédemment fixée à quinze ans ?

Outre le service universel postal, le législateur a confié au groupe La Poste trois autres missions de service public : le transport et la distribution de la presse, une contribution à l’aménagement du territoire et l’accessibilité bancaire.

Ces missions de service public sont soumises au droit européen de la concurrence, qui autorise la France à verser une compensation financière pour couvrir tout ou partie des coûts qu’elles emportent. Le montant de la compensation au titre du service universel postal est compris entre 500 et 520 millions d’euros par an. La poste française est ainsi celle qui, en Europe, reçoit le montant le plus élevé, tandis que la majorité des opérateurs postaux européens ne reçoivent aucune compensation au titre du service universel postal.

En dépit de cette compensation, le coût supporté directement par le groupe s’est établi à environ 480 millions d’euros en 2023. En raison du montant élevé des coûts fixes afférents aux services postaux, un tel déficit devrait également être constaté dans les années qui viennent.

La mission d’aménagement du territoire, qui est l’une des plus exigeantes, a vu son coût croître de 100 millions d’euros entre 2018 et 2023, alors même que la fréquentation du réseau n’a cessé de diminuer.

Enfin, la mission d’accessibilité bancaire bénéficie d’une compensation élevée – son montant s’est établi à 303 millions d’euros en 2023 –, qui ne couvre toutefois pas toutes les charges supportées par le groupe.

Je n’aborderai pas la mission de distribution de la presse, dont le coût dérive lui aussi.

La rentabilité des missions de service public s’est donc dégradée au cours des dernières années, sans que la hausse de la compensation par l’État enraye la détérioration des soldes. Je voudrais par conséquent savoir, madame la ministre, quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement pour permettre au groupe La Poste de continuer à assurer les missions de service public qui lui ont été confiées par le législateur, tout en maîtrisant l’impact de celles-ci sur les finances publiques.

Je reste, pour ma part, convaincu qu’il faudra prévoir rapidement une nouvelle loi postale afin de réexaminer dans le détail le contenu de ces différentes missions de service public et de les ajuster au mieux aux évolutions de l’économie et de la société française, ainsi qu’aux attentes des élus locaux.

Je crains que ce gouvernement n’ait, une fois encore, raté une occasion de bien faire, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)