Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

M. François Bonhomme.

Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine

Souhaits de bienvenue à une délégation saoudienne

Questions d'actualité au Gouvernement

nécessité pour la france de promouvoir le droit international et de refuser la loi du plus fort

application et financement de la loi de programmation militaire

gestion de la population de loups

rapatriement des français touchés par le conflit entre israël et l'iran

situation de crise et assistance aux français en iran et en israël

situation au proche-orient

conclave sur les retraites

défense du pavillon aérien français

conflit entre israël et l'iran

conclave sur les retraites

non-remplacement des enseignants dans les collèges et lycées

interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux

accueil des gens du voyage

ligne nouvelle paris-normandie

numéro unique d'appel d'urgence

situation de la filière acier française

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Accès aux soins

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation

Article 1er

Après l'article 1er

Article 2

Article 3

Après l'article 3

Article 3 bis

Article 4

Vote sur l'ensemble

Sécurité des professionnels de santé

Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé

Article 1er

Article 2

Article 2 bis A

Article 2 bis

Article 3

Article 3 bis A

Article 3 bis

Article 5

Vote sur l'ensemble

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Article 1er

Après l'article 1er

Articles 2 et 3

Vote sur l'ensemble

Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale

proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports

Article unique

Vote sur l'ensemble

Mise au point au sujet d'un vote

Ordre du jour

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

M. François Bonhomme.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures.)

1

Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine

(M. Gérard Larcher, président du Sénat, et M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine, font leur entrée dans la salle des séances. – Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président de la Rada suprême de l'Ukraine, monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, monsieur l'ambassadeur d'Ukraine en France, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, juin 1940 : mémoire douloureuse pour les Français. La France est envahie et en partie occupée. Sur les routes, c'est l'exode. La supériorité de l'armée allemande est sans appel. Si l'on compare les forces en présence, la guerre est perdue.

Et pourtant, en ce 18 juin 1940, la voix du général de Gaulle retentit depuis Londres. Elle demande aux Français de poursuivre le combat. Elle insuffle l'esprit de résistance. Elle refuse un armistice qui dissimule une capitulation et annonce de nouvelles conquêtes.

S'il faut se garder de lire le présent à l'aune du passé, l'appel du 18 juin 1940 résonne singulièrement dans le contexte de l'agression de l'Ukraine par la Russie.

Hier comme aujourd'hui, les conquêtes territoriales, l'occupation, les exactions, et des crimes qui ne devront pas rester impunis ! Mais, en face, une volonté ukrainienne de résister, de refuser les conditions d'une paix au coût exorbitant qui signerait la disparition d'une Ukraine indépendante et libre.

Du sommet de l'État au simple citoyen – vous nous l'avez rappelé ce midi –, l'Ukraine résiste.

Mes chers collègues, je vous propose que nous nous levions pour rendre hommage, par nos applaudissements, au courage et à la détermination du peuple ukrainien. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement. – M. le président de la Rada suprême remercie.)

Le général de Gaulle, dans son appel du 18 juin 1940, l'a répété : « La France n'est pas seule. » Aujourd'hui, l'Ukraine n'est pas seule, monsieur le président de la Rada. Et à vos côtés, notre responsabilité est grande.

Face à des autorités russes qui font le pari de la force, de la résignation ou de la lassitude, nous vous démontrons que notre détermination à vous aider n'est en rien entamée.

Continuer à vous fournir des armes, en particulier des missiles et des moyens de défense aérienne ; aider votre industrie d'armement, qui accomplit des prouesses d'innovation : le chemin est tracé.

Et ce chemin, ce n'est pas choisir l'escalade militaire ; c'est donner une possibilité d'en finir plus vite avec le fracas des armes.

De toute évidence, hésiter serait prolonger la guerre et éloigner la paix.

Notre devoir est de soutenir l'Ukraine, par convictions et par principe.

L'Ukraine continue de vivre en démocratie en temps de guerre, et le travail législatif de la Rada en est l'illustration éclatante. Ceux d'entre nous qui se sont rendus à Kiev savent dans quelles conditions travaillent nos collègues parlementaires ukrainiens : des sessions maintenues secrètes, des sacs de sable pour protéger le Parlement, des fenêtres partout obstruées. Imaginons de telles conditions ici, et nous en éprouverons tout l'effroi.

Alors que nous célébrons en cette année 2025 le cent cinquantième anniversaire du Sénat de la République française, vous offrez, monsieur le président de la Rada, un bel exemple de la vitalité du parlementarisme et de la force des démocraties, face à des régimes autoritaires qui ne reculent devant rien : ni la terreur ni l'enlèvement d'enfants. Nous l'avons encore évoqué ce midi.

Mais si nous imaginons qu'agir par principe serait faire preuve d'idéalisme et que l'idéalisme n'a pas sa place dans le choix des États, alors, soyons collectivement convaincus au moins d'agir par intérêt !

L'Ukraine est notre rempart. Elle se bat pour notre sécurité et notre liberté. Il n'est pas d'empires qui aient mis un frein à leur appétit de conquêtes. Peut-on rassasier le Léviathan ?

La sécurité de l'Europe, aujourd'hui et non pas seulement demain, est intrinsèquement liée à la victoire de l'Ukraine.

Monsieur le président de la Rada, l'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule, parce qu'elle est accompagnée par la France, le Royaume-Uni, les États de l'Union européenne et – nous en formons l'espoir encore – les États-Unis d'Amérique.

Ce 4 juin, j'étais à Varsovie, avec la présidente du Bundesrat et la présidente du Sénat polonais. Vous étiez avec nous par visioconférence.

Nous sommes convenus d'adresser la déclaration que nous avons alors adoptée aux sénateurs américains, républicains comme démocrates, qui se sont prononcés pour un renforcement des sanctions américaines à l'encontre de la Russie. Car, n'en déplaise aux Cassandre, plus les sanctions sont coordonnées, plus elles sont efficaces. Nous avons, mes chers collègues sénateurs, un rôle de persuasion à accomplir auprès des sénateurs américains pour préserver, autant que faire se peut, l'engagement des États-Unis en Ukraine.

L'Ukraine n'est pas seule.

Elle n'est pas seule, parce qu'elle est accompagnée par les États membres de l'Union européenne et que les portes de l'Union européenne lui sont ouvertes. Voilà aussi une garantie de sécurité pour l'Ukraine de demain !

Le chemin de l'adhésion sera nécessairement progressif et, au nom de cette progressivité, nous invitons instamment le dernier État membre récalcitrant à vaincre ses réticences. Nous lui demandons d'accepter l'ouverture du premier bloc des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

La Russie a fait le choix de tourner le dos à son horizon européen. La laisserons-nous dicter par oukases quels États doivent rejoindre, ou non, l'Union européenne ? « L'Europe de l'Atlantique à l'Oural » s'est rapprochée de nous. Elle s'interrompt désormais aux frontières internationalement reconnues de l'Ukraine !

Mes chers collègues, dans son message du 18 juin 1940, qui fut ensuite placardé sur un certain nombre de murs de villes et de villages de France, le général de Gaulle écrivait : « La France a perdu une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre. » Les Ukrainiens ont gagné des batailles. Ils en ont aussi perdu, mais nous sommes avec eux. La guerre reste à gagner, pour que demain s'établisse une paix durable.

Je voudrais m'adresser par votre intermédiaire au peuple ukrainien, aujourd'hui en deuil, après les terribles attaques qu'il a vécues, pour lui dire que nous partageons ses souffrances.

Monsieur le président de la Rada, nous vous accueillons dans la solidarité avec le peuple ukrainien et dans le souffle d'espérance de l'appel du 18 juin 1940, parce que ce sont les Ukrainiens et l'Ukraine qui l'incarnent le mieux aujourd'hui.

Vive l'Ukraine, vive la République et vive la France ! (Très vifs applaudissements.)

La parole est à M. le président de la Rada de l'Ukraine. (Applaudissements.)

M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine. Monsieur le président du Sénat, cher Gérard, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je suis particulièrement honoré de m'adresser à vous aujourd'hui, dans le berceau de la démocratie française, là où bat le cœur institutionnel de la République.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous féliciter sincèrement à l'occasion des 150 ans du Sénat de la République. L'histoire de votre glorieuse institution est non seulement une partie intégrante de l'histoire de France, mais aussi un fondement puissant sur lequel reposent la démocratie française et les principes républicains inviolables.

On ressent dans ces murs la continuité politique qui a été préservée au fil des générations des Français. Elle incarne la sagesse, la cohérence et la dignité nationale de la France.

Je remercie très sincèrement chacune et chacun d'entre vous de m'avoir offert la possibilité de m'exprimer devant cette Haute Assemblée. J'y vois la marque d'un respect profond et sincère envers le peuple ukrainien.

Chers amis, j'ai le privilège d'être ici pour la deuxième fois. J'avais déjà pris la parole, pour la première fois, devant le Sénat de la République française au début du mois de février 2023. À l'époque, l'Ukraine traversait l'un des hivers les plus difficiles de son histoire moderne. Je vous avais alors demandé, à chacun, d'entendre la voix du peuple ukrainien, qui s'élevait pour défendre sa terre et qui avait besoin d'aide. Et vous l'avez entendue.

Vous l'avez entendue dès le premier jour de cette guerre insensée et cruelle que la Russie a commencée contre l'Ukraine, contre mon peuple. Vous avez entendu cette voix à des milliers de kilomètres. Vous l'avez comprise même sans connaître notre langue, et vous êtes venus à la rescousse.

Je le dis sans exagération, la France joue aujourd'hui un rôle historique dans la vie de l'Ukraine. Votre leadership politique a entraîné dans un mouvement puissant tous les autres partenaires pour soutenir l'Ukraine. Vous préservez soigneusement l'unité européenne et l'unité euroatlantique. Vous démontrez la cohérence des actions de toutes les branches du gouvernement français, par des décisions déterminantes et responsables.

Vous avez été l'un des premiers à comprendre – et à en convaincre les autres partenaires – qu'il ne devait pas y avoir de limite dans les moyens à fournir pour défendre notre patrie, qu'il s'agisse du type d'armes, de leur volume ou de leur portée.

Aujourd'hui, je voudrais donc vous remercier d'avoir protégé notre ciel, en nous donnant les ailes qui permettent de le défendre, et d'avoir formé nos soldats. Je remercie le grand peuple français d'avoir hébergé les citoyens ukrainiens ; je salue sa solidarité et son empathie, tous ces fantastiques actes d'humanisme que nous, les Ukrainiens, n'oublierons jamais.

Au nom de la Rada de l'Ukraine et de l'ensemble du peuple ukrainien, permettez-moi de remercier sincèrement le Sénat et, au-delà, mes chers amis, la France tout entière, dont le soutien inestimable nous permet aujourd'hui de continuer à nous battre.

Voilà quelques heures, avec un grand ami de l'Ukraine, le président du Sénat français, Gérard Larcher, nous avons rendu hommage à la mémoire du célèbre général de Gaulle en déposant des fleurs au pied de son monument. À présent, je m'adresse à vous, en ce jour où la France se souvient de lui comme un grand fils du peuple français et comme l'une des plus grandes figures de son histoire et de celle du monde.

Dans son discours radiophonique, dans son appel à la Nation, à tous les Français, il n'a pas seulement lancé le mouvement de la résistance française ; il a donné l'espoir à l'Europe occupée par les nazis. Cet espoir est par la suite devenu la foi, une foi qui s'est transformée en victoire après de nombreuses années de guerre.

Lorsque j'évoque de Gaulle, je comprends à quel point son appel du 18 juin aux Français et aux Alliés est aujourd'hui d'actualité, quatre-vingt-cinq ans après. Si cet appel sonnait aujourd'hui, il s'agirait aussi d'un appel à la résilience, d'un appel à l'unité, d'un appel à la détermination. Quand je parle de Charles de Gaulle, je pense à l'Ukraine.

Depuis près de trois ans et demi, ma patrie résiste à cette agression brutale et non provoquée. Elle résiste au nouveau fléau du XXIe siècle, qui vient de l'Est pour tuer, conquérir, piller. Nous avons relevé ce défi avec dignité face à cet ennemi beaucoup plus grand et plus puissant.

Nous l'avons fait, parce qu'il n'y a pas de valeur supérieure à la liberté ; il n'y a rien de plus cher que sa propre terre et son propre peuple. Nous voulons faire partie d'une grande famille européenne, et non d'une dictature russo-soviétique impitoyable à laquelle le régime de Poutine a cyniquement arraché les derniers vestiges de la démocratie.

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Ukraine traverse aujourd'hui la phase peut-être la plus dramatique de la guerre, alors que l'aide et le soutien de la communauté internationale sont essentiels à la résolution de celle-ci. Votre histoire et la nôtre nous enseignent que la capitulation n'a jamais été une option.

L'agresseur doit être arrêté, par la force des armes, par le pouvoir de l'unité européenne et euroatlantique et par des sanctions impitoyables qui devraient enfin devenir une réponse appropriée à l'impitoyabilité de la Russie elle-même. Sinon, l'agresseur passera à autre chose et ira plus loin, comme il l'a fait voilà quatre-vingt-cinq ans.

« Cette guerre n'est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale » : ces mots du sage et invincible Charles de Gaulle nous parviennent comme s'ils étaient prononcés aujourd'hui.

Seule une pression consolidée sur l'agresseur nous conduira à une paix juste et durable qu'aujourd'hui les Ukrainiens souhaitent plus que quiconque. Cette pression consolidée empêchera la Russie de poursuivre son agression, d'accumuler des ressources humaines et des armes, de retarder le processus de négociation, de mentir et de manipuler.

Je suis convaincu que le châtiment de la Russie pour tous ses crimes sera inévitable. Pour le dire avec des mots susceptibles d'être compris par tous, il faut que l'agresseur, la Russie, paie pleinement le prix de cette guerre, notamment par le gel de ses avoirs. Ce ne serait que justice !

Chers collègues, je suis venu vous demander votre aide et votre soutien sur des questions d'une importance vitale pour l'Ukraine ; outre la défense contre l'agression, c'est aussi de notre chemin vers l'Union européenne et le système de sécurité collective euroatlantique qu'il est question.

Ce choix, comme celui de défendre notre patrie, est un choix conscient et civilisationnel du peuple ukrainien, un choix en faveur de la paix, du développement et de la sécurité.

Je vous demande aujourd'hui de nous soutenir. Continuez à le faire. Nous avons clairement fait ce choix civilisationnel, comme tous les membres de l'Union européenne et de l'Otan.

Je vous assure que le président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, le parlement et le gouvernement de l'Ukraine ont été et restent des garants fiables de l'orientation inébranlable vers l'intégration européenne et euroatlantique.

Hier, alors que je me rendais ici, j'ai appris le brutal bombardement nocturne sur Kiev : vingt-huit civils innocents tués et cent cinquante blessés en une seule nuit, dans une seule ville.

Je me suis alors demandé quelle était la chose la plus importante que je devais vous dire.

Tout est clair depuis longtemps. Il faut juste prendre une décision, peut-être la plus difficile, mais aussi la plus importante. Chers amis, j'aimerais que nos partenaires défendent l'Ukraine avec autant d'acharnement que la Russie veut la détruire, qu'ils se battent sans demi-mesure, sans demi-action, sans demi-décision, mais pleinement, tous les jours et jusqu'au bout.

Après tout, si la démocratie mondiale l'emporte, ce sont la paix et la prospérité qui attendent et l'Ukraine et l'Europe. Mais si c'est la tyrannie russe – que Dieu nous en préserve ! –, nous aurons la ruine et la mort.

C'est pour cela que je suis ici et que je vous demande plus d'aide.

Je crois fermement à la force de l'esprit français. « Rien n'est impossible », déclarait Napoléon. Tout dépend du degré de détermination. Et la détermination de la France, celle qui nous aide aujourd'hui à survivre, nous aidera – j'en suis sûr – à gagner demain.

Monsieur le président, chers amis, le Sénat est le haut lieu où vivent la démocratie et la force de la Nation. La France est attachée à la liberté, fidèle à la démocratie et aux idéaux européens. Et comme l'a dit le général de Gaulle, dont nous nous souvenons tellement aujourd'hui, la grandeur d'une nation n'est pas dans son territoire, mais dans son idée.

La France a cette grandiose idée, et l'Ukraine a cette grandiose détermination. Cette grande synergie peut rendre l'Europe plus forte, plus solidaire et plus sûre. Ensemble, nous atteindrons certainement cet objectif commun. J'y crois sincèrement.

Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent très longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Je vous remercie, monsieur le président.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, et je vais raccompagner notre hôte en lui disant : « À bientôt ! » (Applaudissements.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures trente, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Souhaits de bienvenue à une délégation saoudienne

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence en tribune d'honneur d'une délégation du Majilis al Choura d'Arabie saoudite, conduite par Son Excellence M. Mohammad Al Humeidi, président du groupe d'amitié Arabie saoudite-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.)

La délégation est accompagnée par notre collègue Olivier Cadic, président du groupe d'amitié France-Pays du Golfe, ainsi que par notre collègue Mireille Conte Jaubert, présidente déléguée pour l'Arabie saoudite. Elle s'est entretenue ce midi avec le groupe sénatorial d'amitié.

En votre nom à tous, je souhaite une cordiale bienvenue à la délégation saoudienne au Sénat de la République et un excellent séjour en France en ces temps troublés dans l'ensemble du Moyen-Orient.

3

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J'appelle chacun de vous à rester attentif au respect des uns et des autres, mais aussi à celui du temps de parole.

J'excuse M. le Premier ministre, qui devra quitter le Sénat dès quinze heures quinze, en raison de la convocation par le Président de la République d'un conseil de défense et de sécurité nationale à l'Élysée.

nécessité pour la france de promouvoir le droit international et de refuser la loi du plus fort

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, à Kiev, à Gaza, à Téhéran, à Tel-Aviv, le fracas des bombes résonne et le sang coule. Les victimes, notamment civiles, se comptent par milliers.

Depuis 2022, sous la pression des empires, des nationalismes et des fous de Dieu, l'horreur de la guerre a ressurgi dans toute l'Eurasie.

Dans ce chaos mondial, la France et l'Europe ne doivent avoir qu'un seul cap : la défense du droit international, la souveraineté des peuples et l'équilibre entre les puissances.

Au nom du droit, nous dénonçons l'agression russe et réaffirmons notre soutien plein et entier à l'Ukraine, représentée par le président de la Rada, Rouslan Stefantchouk, que je salue.

Au nom du droit, nous dénonçons la détention d'otages par le Hamas et les mollahs.

Au nom du droit, nous dénonçons le génocide à Gaza et la colonisation de la Cisjordanie.

Au nom du droit, nous dénonçons le non-respect par le régime sanguinaire iranien du traité de non-prolifération nucléaire.

Au nom du droit, nous dénonçons la guerre préventive, déclenchée hors de tout cadre multilatéral par Israël contre le régime des mollahs, qui menace de dégénérer.

Il n'est plus acceptable d'être mis devant le fait accompli par le bellicisme de Benyamin Netanyahou et par la politique erratique de Trump, qui ne proposent aucune issue politique et torpillent deux rencontres diplomatiques essentielles.

Comme en 2003 avec l'Irak, la France doit affirmer son refus du manichéisme et de la loi du plus fort.

Face à l'impunité de Netanyahou qui engendre le chaos, elle doit sortir du laxisme et de l'inaction. Nous devons prendre des sanctions économiques, cesser nos coopérations, appliquer les mandats de la Cour pénale internationale (CPI) et reconnaître enfin l'État de Palestine.

M. Roger Karoutchi. Cela ne sert à rien !

M. Guillaume Gontard. Nous devons appeler au cessez-le-feu et à des négociations pour une solution à deux États et pour un nouvel accord sur le nucléaire iranien.

Monsieur le Premier ministre, le « en même temps » diplomatique de la France est insupportable. Face à vos atermoiements, nous exigeons de nouveau, sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, la tenue d'un débat au Parlement sur la situation au Moyen-Orient. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Gontard, avant toute chose, je veux vous présenter mes excuses : le Président de la République ayant convoqué un conseil de défense et de sécurité nationale sur les événements que vous évoquez, je serai contraint de quitter le Sénat dans quelques minutes.

La France est attachée au droit, aux principes humanitaires et au bon sens. Aussi les conclusions du Gouvernement sont-elles simples, devant le constat d'un monde dans lequel la force de la loi a été remplacée par la loi de la force.

Cela a commencé en Ukraine. La guerre qui s'y déroule et qui frappe le malheureux sol ukrainien est nourrie par un certain nombre d'États, dont l'Iran. L'Iran arme en effet la Russie avec des drones, qui – nous le savons, hélas ! – sèment le malheur et la mort en Ukraine.

Un autre théâtre d'opérations nous préoccupe. Il s'agit évidemment du Proche-Orient et du Moyen-Orient. À cet égard, la France, par la voix de son gouvernement et par celle du Président de la République, s'est exprimée à plusieurs reprises sur le caractère inacceptable de ce qui se passe à Gaza, où la population tout entière est soumise à la famine, à l'absence de ravitaillement médical, ainsi qu'à des contraintes inacceptables du point de vue humanitaire.

Sans que nous considérions cela comme normal ou acceptable, ce qui se passe en Iran est totalement différent.

Toutes les organisations internationales chargées de la surveillance et de la lutte contre la prolifération nucléaire ont alerté sur le fait que l'Iran était sur le point – à quelques semaines, à quelques jours peut-être – d'atteindre un degré d'enrichissement de matière fissile suffisant pour rendre le risque de détention de l'arme nucléaire immédiat. (MM. Guillaume Gontard et Yannick Jadot se montrent dubitatifs.)

Or l'Iran a dit à de multiples reprises – j'allais dire à d'innombrables reprises – que le but de son armement nucléaire était de détruire Israël.

Mettons-nous un instant à la place du gouvernement israélien : je comprends qu'il se soucie fortement de voir à ses portes un risque aussi considérable, qui menace sa survie.

Que fait la France ? À Gaza (M. Pascal Savoldelli s'exclame.), elle invite Israël à ne pas aller plus loin et à rétablir les libertés de circulation et d'approvisionnement.

En Iran, elle appelle à la retenue, selon l'expression diplomatique consacrée, en ayant parfaitement conscience des risques immenses que ferait peser une déstabilisation de très longue durée sur la paix dans le monde.

La France défend ces principes en mesurant les risques et en joignant ses efforts, comme le fait depuis plusieurs jours le Président de la République, à tous les pays qui, de par le monde, souhaitent le retour au calme et à l'équilibre.

La politique française respecte nos principes et les lois internationales, sans fermer les yeux sur les agissements de ceux qui ne les respectent pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

application et financement de la loi de programmation militaire

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, selon les déclarations récentes du Président de la République, la France souhaiterait affecter entre 3 % et 3,5 % de son PIB à la défense.

Madame la ministre, comment comptez-vous vous y prendre et à quelle échéance entendez-vous atteindre cet objectif, compte tenu de la situation financière du pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser le ministre des armées, retenu par d'autres engagements au Bourget.

Pour 2024, la loi de finances initiale prévoyait, pour la mission « Défense », un budget de 47,2 milliards d'euros de crédits de paiement conformément à la loi de programmation militaire (LPM). Au total, 49,3 milliards d'euros ont finalement été dépensés, si l'on inclut les ressources extrabudgétaires et les ouvertures de crédits en fin de gestion.

Pour 2025, une enveloppe de 50,5 milliards d'euros est prévue. Toutefois, la motion de censure et la mise en œuvre des services votés ont limité la capacité de la direction générale de l'armement (DGA) à contracter dès le mois de janvier. Certaines commandes ont été retardées de deux mois et n'ont pu être passées qu'au début de mars. En effet, le Gouvernement ne pouvait engager de nouvelles dépenses qu'avec l'autorisation du Parlement.

Monsieur le sénateur, ce retard est en passe d'être rattrapé. La moitié des crédits d'équipement qui avaient été gelés en début d'année ont été libérés en avril et consommés par la DGA. L'autre moitié le sera d'ici à la fin du mois de juin. Le dégel sera donc intégral.

En matière de commandes, le rattrapage progresse. Malgré le régime des services votés, nous avons déjà atteint 3,2 milliards d'euros de commandes, contre 4 milliards d'euros à la même date en 2024.

Pour les paiements, nous en sommes à 10 milliards d'euros, contre 9 milliards d'euros l'an dernier. Les équipements militaires prévus sont donc commandés et livrés et c'est ce qui compte.

Il est évident, monsieur le sénateur, que la LPM sera respectée – cela ne fait pas débat –, comme il est évident que les déséquilibres du monde s'accentuent.

Soyez sûr que nous travaillons, avec le ministre et sous l'autorité du Premier ministre, à adapter mieux encore notre outil de défense à ces menaces. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je crains que vous n'ayez pas répondu à ma question.

Je vous ai posé la question suivante : quand et comment atteindrons-nous les 3 % ? Et vous me répondez sur l'exécution du budget…

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Oui !

M. Dominique de Legge. Il me semble que, de ce point de vue, notre assemblée est suffisamment informée.

J'en conclus donc que cette perspective devient, en quelque sorte, un secret-défense. C'est dommage.

Deuxième observation : vous n'avez pas du tout répondu sur le point des crédits reportés, qui sont passés de 3,8 milliards d'euros à plus de 8 milliards d'euros en deux ans.

Il me semble que vous pratiquez plus la cavalerie budgétaire, qui relève de la fuite en avant et de l'évitement, que la cavalerie militaire, qui est l'art de la manœuvre. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Cuypers applaudit.)

Madame la ministre, nous devrions nous en tenir à ce qu'a excellemment exposé le Premier ministre dans une conférence de presse. La vérité permet d'agir, disait-il.

Peut-être est-il temps d'ouvrir les yeux sur la situation, de dire la vérité au Parlement et de prendre les bonnes décisions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, Hélène Conway-Mouret et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

gestion de la population de loups

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Le 5 juin dernier, le Conseil de l'Union européenne a acté le déclassement du loup, qui passe du statut d'espèce strictement protégée à celui d'espèce protégée dans le cadre de la convention de Berne.

Cette décision a été saluée par de nombreuses associations d'élus de montagne et, bien évidemment, par les éleveurs, qui n'en peuvent plus de voir leur travail anéanti, leurs bêtes tuées, leur quotidien miné par l'impuissance.

Cette décision vise à donner aux États membres une plus grande marge de manœuvre pour adapter leur politique de gestion des populations de loups, tout en tenant compte des difficultés croissantes rencontrées par les éleveurs, notamment en zone de montagne.

En France, une adaptation législative est en cours au travers de la loi d'orientation agricole, qui prévoit déjà certaines dérogations encadrées pour les tirs de défense.

Cette évolution du droit européen doit désormais être transposée dans le droit français pour en assurer la pleine effectivité. Elle soulève néanmoins des interrogations sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre.

Ma question est donc simple : quelles sont les intentions du Gouvernement quant à la transposition de cette décision européenne ?

Quel calendrier, quels moyens et quels critères encadreront l'évolution du cadre juridique national relatif à la gestion du loup ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Buis, comme vous le savez, j'ai toujours suivi ce dossier, enjeu majeur pour le maintien de nos activités d'élevage, particulièrement en montagne, mais pas seulement.

Le problème du loup est aujourd'hui national. L'an dernier, plus de 4 000 attaques ont été recensées et 11 000 bêtes tuées ou blessées. C'est tout à fait considérable.

Vous soulignez à juste titre le préjudice économique, mais aussi le préjudice moral que ces attaques induisent ; elles ne sont plus supportables.

Nous avons déjà soutenu les éleveurs victimes de ces attaques à hauteur de 52 millions d'euros. Je veux redire mon total soutien aux éleveurs, notamment de la Drôme, comme ma détermination à poursuivre et à accélérer les travaux engagés depuis trois ans.

Pour cela, il fallait aboutir au déclassement du loup. C'est désormais chose faite, et c'est une avancée que la France soutenait fortement.

Par ailleurs, un projet d'arrêté pris en application de la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture sera signé dans les prochaines heures. Il permettra notamment de procéder à des tirs de défense même s'il n'y a pas d'attaque sur le troupeau. (Marques de satisfaction sur des travées du groupe Les Républicains.)

Vous soulignez à juste titre la nécessité d'adapter, dans les semaines ou les mois à venir, notre doctrine à l'évolution du droit européen et de transposer la directive afin de tenir compte de ce déclassement.

Un point précis concerne le comptage des loups. L'Office français de la biodiversité (OFB) a mis au point une nouvelle méthode, qui consiste en un recueil d'indices génétiques pour apprécier au plus juste la population de loups. C'est en effet ce dénombrement qui détermine ensuite les prélèvements autorisés.

Je ne vous cache pas mon inquiétude à cet égard. Au cours des six premiers mois de cette année 2025, les prélèvements ont été particulièrement nombreux en raison d'une forte prédation. J'espère que nous pourrons terminer l'année tout en respectant la limite autorisée.

En tout cas, l'application de la directive européenne se fera au regard de l'évolution des prédations. C'est un problème majeur pour nos éleveurs, et vous avez tout à fait raison d'y revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.

M. Bernard Buis. Madame la ministre, nous attendons toutes et tous la transposition rapide, claire et efficace de la directive européenne, afin de redonner aux éleveurs les moyens concrets de défendre leurs troupeaux.

À la suite du vote de la loi d'orientation agricole, nous attendons également la publication de l'arrêté relatif au statut du chien de protection. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)

rapatriement des français touchés par le conflit entre israël et l'iran

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte de tensions extrêmes entre Israël et l'Iran, je souhaite, en y associant ma collègue sénatrice Laure Darcos et le député de la Marne Xavier Albertini appeler solennellement votre attention sur la situation particulièrement préoccupante de nos concitoyens bloqués dans ces deux pays.

Plusieurs de nos compatriotes marnais, actuellement sur place, nous ont interpellés. Inquiets et désemparés, ils demeurent sans solution concrète pour regagner notre pays et retrouver leur famille.

Comment ne pas évoquer également le sort de Cécile Kohler et de Jacques Paris, détenus en Iran depuis mai 2022 ?

Les frappes aériennes ont déjà provoqué la mort de nombreux civils en Israël et en Iran. Les risques pour nos compatriotes sont réels et immédiats et leur sécurité ne saurait être garantie par la seule mise en place d'une ligne téléphonique ou d'une cellule d'écoute psychologique.

Faute d'instruction claire du Quai d'Orsay, quelques-uns envisagent désormais des initiatives périlleuses.

J'ai conscience de la complexité de la situation, mais notre diplomatie doit se traduire par des actes concrets. Il appartient à la France d'être proactive, en liaison avec tous les acteurs régionaux, pour mettre en place des couloirs d'évacuation sécurisés et assurer un rapatriement rapide de nos compatriotes.

Plusieurs partenaires européens ont déjà exfiltré leurs ressortissants. Face à ces exemples, l'inaction française serait incompréhensible. Rappelons qu'il n'a fallu que trois jours pour rapatrier les croisiéristes du Madleen…

J'ai confiance dans notre corps diplomatique, et je tiens à rendre hommage au professionnalisme et à l'engagement de ses membres.

Alors, monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre afin de garantir le rapatriement rapide et sûr de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie, monsieur le sénateur, de l'hommage que vous venez de rendre aux agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui, à Tel-Aviv, à Jérusalem ou à Téhéran, exercent leur mission dans des conditions extrêmement difficiles et parfois dangereuses.

Vous le savez, c'est leur mission, leur vocation et leur honneur que d'être, en toutes circonstances, et en particulier les plus difficiles, aux côtés de la communauté française.

Il est vrai que d'autres pays ont fait le choix d'évacuer tous leurs agents. Ce n'est pas le nôtre, car, je l'ai dit, l'honneur de la diplomatie française est de se tenir aux côtés des communautés françaises quelles que soient les circonstances.

Dès vendredi dernier et le début des opérations militaires israéliennes, nous avons pris l'attache de nos ressortissants inscrits au registre des Français établis hors de France – ceux qui habitent en Israël ou en Iran – pour les appeler à respecter les consignes de sécurité.

Nous avons également invité tous les Français de passage dans ces deux pays à s'inscrire sur Fil d'Ariane, qui nous permet de rester en lien avec eux.

Nous avons ouvert une ligne téléphonique accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Je l'ai testée : elle fonctionne.

Nous avons aussi réuni ou informé nos chefs d'îlot – ces représentants des Français à l'étranger chargés de la sécurité de région –, en Israël comme en Iran.

J'ai réuni hier l'ensemble des ambassades concernées et les services de l'État et pris un certain nombre de décisions. Nous allons ainsi renforcer le dispositif d'écoute pour améliorer et faciliter la prise en charge, prendre contact avec les compagnies aériennes pour nous assurer de la disponibilité des places, ou encore clarifier, d'une part, les voies de sortie d'Iran vers l'Arménie et la Turquie et, d'autre part, les voies de sortie d'Israël vers la Jordanie et l'Égypte.

J'ai demandé par ailleurs que nous soient proposées un ensemble de solutions, qui seront présentées dans quelques minutes au conseil de défense que le Président de la République a convoqué, notamment pour faciliter et sécuriser la sortie de nos ressortissants du territoire israélien ou du territoire iranien.

Vous le voyez, il s'agit malheureusement d'une situation que nous avons connue par le passé, mais nos agents sont pleinement mobilisés pour être aux côtés des Françaises et des Français.

Je le rappelle à chacune et à chacun d'entre vous. Il convient, lorsque l'on se déplace à l'étranger,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … de veiller à la situation du pays dans lequel on souhaite se rendre.

Le service « Conseil aux voyageurs » du site diplomatie.gouv.fr recommande ainsi formellement depuis des mois maintenant…

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … à tous nos ressortissants de ne jamais se rendre en Iran. Il prescrit également depuis novembre 2023 à nos compatriotes de ne pas aller en Israël, sauf pour raisons impératives. Je les invite donc à suivre ces conseils. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour la réplique.

M. Cédric Chevalier. Notre République a en effet le devoir d'assurer la protection de chacun de ses citoyens. Alors, faites honneur à la France, assurez leur retour à la maison ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

situation de crise et assistance aux français en iran et en israël

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Depuis vendredi dernier, la situation au Moyen-Orient s'est lourdement détériorée. Le conflit larvé entre Israël et l'Iran s'est transformé en guerre ouverte.

Au milieu de cette guerre, il y a des civils. Et au milieu de ces civils, nous avons des Français.

En Iran, pays où deux otages – Cécile Kohler et Jacques Paris – sont encore retenus par le régime, un millier de nos compatriotes vivent aujourd'hui dans l'angoisse.

Si une partie de ces Français est en mesure de fuir Téhéran et de se mettre à l'abri, en province ou à l'étranger, cette option n'est pas aisée : elle implique de sortir du pays via des frontières terrestres dont on ignore l'état de sécurité et de passer outre les pénuries de carburant.

Une autre partie de ces Français n'a tout simplement pas les moyens matériels pour évacuer. Or Téhéran est une ville où il n'existe pratiquement aucune infrastructure publique permettant de se protéger.

Comment la France peut-elle assurer la protection des Français d'Iran ? Est-il possible d'ouvrir immédiatement l'enceinte de l'école française pour nos compatriotes souhaitant s'y réfugier ?

Du côté israélien, la vie est désormais ponctuée par les alertes. Heureusement, des abris existent. Ils impliquent de se lever, parfois plusieurs fois par nuit, pour y trouver refuge.

Voilà quelques jours, un quartier de Tel-Aviv où résident de nombreux Français a été profondément endommagé. L'immeuble qui a abrité le consulat de France pendant plus de vingt ans a même été entièrement détruit. Les riverains doivent se reloger en urgence.

De même, ils sont des milliers de touristes français, actuellement bloqués en Israël, attendant une ouverture, ne serait-ce que temporaire, de l'espace aérien. Pour eux, est-il d'ores et déjà possible d'anticiper l'organisation de vols de rapatriement ?

Monsieur le ministre, les conflits internationaux se multiplient : Ukraine, Haïti, Soudan, Sahel, Liban, etc. Partout, le réseau diplomatique français et nos agents répondent présent.

Mais les crises ne cessent de s'amplifier. Elles deviennent plus violentes et plus longues.

À l'heure où l'état de nature semble reprendre le dessus sur l'état de paix, n'est-ce pas le moment de repenser la réponse française aux gestions de crise ? Car, au milieu d'États qui se font la guerre, il y a surtout des civils qui en paient le prix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Isabelle Briquet et M. Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, vous aussi, vous avez eu l'honnêteté de reconnaître le courage de nos agents.

À la suite des frappes qui ont eu lieu hier ou avant-hier, certains des logements des agents de notre ambassade à Tel-Aviv ont été touchés. C'est dire à quel point le métier qu'ils exercent n'est pas dépourvu de danger.

Je vous l'ai dit : ils restent mobilisés. C'est d'ailleurs l'une des particularités de la diplomatie française que de ne pas fuir devant le danger et de rester au plus proche des communautés.

En ce qui concerne les ressortissants français, notamment ceux qui sont de passage en Israël et en Iran, je le répète : le centre de crise et de soutien de mon ministère a élaboré un certain nombre de scénarios et de propositions qui seront tranchés dans quelques minutes par le conseil de défense et de sécurité nationale que le Président de la République a convoqué.

En ce qui concerne plus particulièrement nos deux ressortissants otages depuis trois ans du régime iranien, Cécile Kohler et Jacques Paris, nous avons adressé aux autorités iraniennes comme aux autorités israéliennes des messages les alertant sur la présence dans la prison d'Evin de nos deux compatriotes, et sur la nécessité, pour les autorités iraniennes, de les libérer sans délai pour assurer leur sécurité.

Enfin, puisque vous élargissez la focale et que vous nous appelez à réfléchir à la manière dont nous pouvons mieux protéger nos ressortissants dans un monde qui devient plus brutal, je voudrais à mon tour lancer un appel général à nos compatriotes – je ne parle pas de ceux qui se sont fait prendre par surprise par cette escalade militaire entre Israël et l'Iran – à se tenir à l'écart des zones de conflit, pour éviter qu'ils ne se retrouvent eux-mêmes en situation de danger.

Nous aurons dans quelques heures – vous l'aurez compris – un dispositif permettant de répondre à bien des inquiétudes qui ont été exprimées.

En conclusion, je salue le travail des sénatrices et sénateurs des Françaises et des Français établis hors de France, qui, ces dernières heures et ces derniers jours, ont été à l'écoute, en première ligne, des attentes et des inquiétudes de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

situation au proche-orient

M. le président. La parole est à M. Jérôme Darras, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Darras. Depuis le 13 juin, Israël mène une vaste offensive contre l'Iran, ses sites nucléaires, ses usines de missiles et ses centres de commandement, faisant écho à la vive inquiétude exprimée par le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) face à l'accumulation rapide d'uranium hautement enrichi par l'Iran. En riposte, l'Iran bombarde les villes israéliennes, dont Tel-Aviv et Haïfa. Le bilan humain s'alourdit de jour en jour. Je pense à cet instant aux civils morts et blessés et, bien sûr, à nos compatriotes présents dans les deux pays.

Au-delà de l'avenir de la région, ce qui se joue est l'équilibre du monde, qui, depuis le 20 janvier et l'investiture du nouveau président de la première puissance économique et militaire mondiale, semble toujours plus instable. Ce même président qui, par son retrait de l'accord de Vienne, est le premier responsable de l'escalade actuelle. (M. Olivier Paccaud lève les bras au ciel.)

Le régime iranien est sans conteste une source d'instabilité régionale et une menace pour la paix du monde, tant par son action que par celle de ses proxys. Par ailleurs, nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, otages d'État, sont toujours enfermés dans ses geôles.

J'ai, comme nombre d'entre vous, aux côtés de nos huit présidents de groupe, signé la proposition de résolution relative à l'inscription des Pasdaran sur la liste des organisations terroristes.

Pour toutes ces raisons, l'Iran, comme l'ont réaffirmé hier les dirigeants du G7, ne pourra jamais disposer de l'arme nucléaire.

Si Israël a incontestablement le droit de se défendre afin d'assurer sa sécurité, est-il pour autant fondé à mener une guerre préventive, précisément au moment où se déroulent des « développements diplomatiques importants », selon l'expression de la secrétaire générale adjointe de l'ONU ?

Monsieur le ministre, comment la France, partie à l'accord de Vienne, ce vieux pays, d'un vieux continent (M. Roger Karoutchi fait une moue dubitative.), qui, dans ces moments où l'Histoire bascule, comme en 2003, sait dire au monde ce qui est juste, peut-elle contribuer à la résolution de la crise en Iran et à Gaza, à une désescalade au Moyen-Orient, et à une réaffirmation du droit international et du multilatéralisme ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur, La France refuse, et ce depuis longtemps, que l'Iran puisse accéder à l'arme nucléaire, car cela soulèverait des risques insupportables pour Israël, pour la région, pour l'Europe, mais également, et plus largement, pour l'ordre international.

Pour autant, la France considère, et ce depuis longtemps, qu'il n'y a pas de solution militaire au problème nucléaire iranien. C'est la raison pour laquelle nous appelons aujourd'hui à la retenue, à la désescalade, à l'arrêt des frappes. Et nous disons d'ailleurs que toute nouvelle frappe entraînerait des risques substantiels sans permettre pour autant d'éliminer définitivement le programme nucléaire iranien.

Aussi, nous appelons l'Iran à se rendre disponible immédiatement pour la poursuite de négociations. Négociations auxquelles nous nous tenons prêts à participer, puisque nous en avions déjà conduit voilà dix ans, et que cela fait des mois que nous avons, avec les Britanniques et les Allemands, réamorcé ce travail à l'approche de l'expiration de l'accord sur le nucléaire iranien. Nous avons ainsi les idées très claires sur la manière d'obtenir des engagements de la part de l'Iran à cet égard.

Ensuite, la France dénonce l'attitude du régime iranien vis-à-vis tant de son propre peuple que de la région ou de la France et de ses intérêts. Je rappelle tous les griefs que nous pouvons lui adresser : programme nucléaire et balistique ; livraison à la Russie de centaines de missiles et de milliers de drones dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine ; répression du mouvement « Femme, Vie, Liberté » ; détention arbitraire de Jacques Paris et Cécile Kohler, otages d'État depuis trois ans, comme vous l'avez rappelé.

Pour autant, la France défend et promeut le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Elle considère ainsi que l'on ne peut pas provoquer de changement de régime par la force et qu'il appartient aux peuples de décider de leur propre destin. Aussi, nous faisons confiance au peuple iranien pour décider du moment et des circonstances pour se libérer de ce régime, contre lequel il a héroïquement résisté. C'est dans cet esprit-là que nous appelons les parties à la désescalade et au dialogue.

conclave sur les retraites

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, le conclave sur les retraites a vu le nombre de ses participants se réduire à mesure que le Gouvernement multipliait les lignes rouges, empêchant tout « bougé » sur l'âge de départ et tout débat sur de nouvelles pistes de financement.

Il ne débouchera vraisemblablement sur rien.

Les Français, les salariés qui doivent travailler deux ans de plus, sans aucune prise en compte de la pénibilité, ont le droit de savoir : ce conclave a-t-il été autre chose qu'une espèce d'assurance vie du Gouvernement en mode « tant qu'il se réunit, le Gouvernement survit » ? A-t-il vocation à préparer les esprits à la retraite par capitalisation ? Les partisans de cette logique, qui risque de priver de retraite les salariés les plus modestes et d'affaiblir davantage encore les pensions de tous les autres, se démasquent en effet un à un.

M. Jean-François Husson. C'est l'inverse !

Mme Céline Brulin. Ce conclave est-il la toile de fond de nouveaux coups durs, comme la TVA prétendument « sociale », qui pénaliserait le pouvoir d'achat de nos concitoyens, en exonérant toujours plus les entreprises et, surtout, le monde de la finance de leur contribution à la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Madame la sénatrice Brulin, vous parlez d'assurance vie, et vous avez raison, parce que si nous lisons le rapport de la Cour des comptes, ainsi que celui du Conseil d'orientation des retraites (COR), rendu la semaine dernière et signé par l'ensemble de ses membres, alors oui, il importe de trouver une assurance vie pour nos retraites.

Mme Catherine Vautrin, ministre. La vérité que nous devons aux Français, madame la sénatrice, c'est que, nous le savons tous, notre système de retraite n'est pas totalement financé aujourd'hui. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Tel est l'esprit qui animait le Premier ministre lorsqu'il a proposé aux partenaires sociaux de se réunir pour travailler sur les retraites sans tabou ni totem, avec un seul objectif : assurer le financement structurel des retraites. C'est ce que les partenaires sociaux font.

M. Pascal Savoldelli. Assurance vie : capitalisation !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Effectivement, hier soir, ils ont acté que tous les points de convergence n'étaient pas encore mûrs. Ils se sont donc donné rendez-vous lundi prochain. Nous sommes mercredi. Ils ont donc encore quelques jours pour continuer à travailler sur les sujets que vous avez précisément évoqués, c'est-à-dire, notamment, la situation des salariés les plus concernés par l'usure professionnelle et de celle des femmes, qui ont plus de mal à avoir des carrières complètes. Faisons confiance aux partenaires sociaux pour avancer et garantir les retraites. (MM. Bernard Buis et Jean-François Husson applaudissent.)

M. Jean-François Husson. Très bien ! Bravo, madame la ministre !

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, malgré les arguments que vous venez de développer et que vous resservez très régulièrement, vous n'avez convaincu aucun de nos concitoyens, qui sont toujours extrêmement réfractaires à cette réforme des retraites. Il n'y a pas davantage de majorité au Parlement, comme l'a montré le vote intervenu la semaine dernière à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR).

C'est votre acharnement à refuser toute autre piste de financement durable de notre système de retraite par répartition, j'y insiste, qui provoque la crise politique et les blocages institutionnels que nous connaissons aujourd'hui. Vous vous grandiriez et vous apaiseriez notre pays en proposant de rouvrir le débat sur cette réforme, rejetée massivement par nos concitoyens. Nous vous le demandons de nouveau et nous ne lâcherons pas sur ce sujet. Les Français attendent de vous que vous soyez au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ainsi que sur des travées du groupe SER et GEST.)

défense du pavillon aérien français

M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Daniel Fargeot. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Monsieur le ministre, les allées du Salon international de l'aéronautique et de l'espace du Bourget bruissent des rumeurs de belles commandes d'Airbus à venir par les pays du Golfe. Et nous pouvons nous en réjouir : elles confirment l'excellence et le rayonnement international de notre industrie.

Cependant, la réindustrialisation de la France exige une vision globale, à 360 degrés, qui prenne en compte toute la chaîne de valeur. C'est particulièrement vrai pour le secteur aérien, filière stratégique de notre souveraineté, dont on ne mesure d'ailleurs pas tout à fait l'importance. Il faut savoir que ces ventes d'avions pourraient s'accompagner, en contrepartie, de nouvelles autorisations de vols pour les compagnies du Golfe vers la France.

Afin que chacun mesure bien l'enjeu, je précise qu'une nouvelle ligne exploitée par ces compagnies, qui sont largement dopées aux subventions de leurs gouvernements respectifs, créé 200 emplois en France, tandis qu'une ligne Air France en mobilise 800, soit quatre fois plus. Faites le calcul : une ligne saturée, ce sont jusqu'à 600 emplois français qui disparaissent. Pilotes, techniciens, maintenance, formation : c'est tout un écosystème national qui est fragilisé.

Je rappelle que le pavillon français supporte déjà une fiscalité « franco-française » disproportionnée et des contraintes environnementales nécessaires, mais unilatérales, ce qui crée une distorsion massive de concurrence.

Comprenez que chaque ligne aérienne cédée, c'est un affaiblissement du pavillon français et de notre hub de Roissy-Charles de Gaulle, et donc un renforcement direct des hubs du Moyen-Orient. C'est bien là leur stratégie : modifier la polarité des échanges internationaux.

Air France et Airbus sont deux piliers d'un même modèle industriel français, deux contributeurs de poids à notre balance commerciale. Les droits de trafic dans le cadre d'accords bilatéraux ne peuvent devenir une variable d'ajustement diplomatique. D'autres leviers de coopération pourraient être activés avec les pays du Golfe : technologiques, académiques, énergétiques.

Ma question est donc la suivante : le Gouvernement peut-il garantir que les discussions engagées avec les pays du Moyen-Orient ne se feront au détriment ni de l'emploi aérien français ni de notre souveraineté industrielle ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Fargeot, je vous prie de bien vouloir excuser Philippe Tabarot, qui est en ce moment même à la 55e édition du Salon international de l'aéronautique et de l'espace. Ce salon est une fierté française quand il se déroule au Bourget.

La filière aéronautique est effectivement un pilier stratégique de notre économie et l'État est au rendez-vous pour la soutenir. Je veux le dire ici haut et fort. Par ailleurs, notre pavillon aérien, nos compagnies, Air France en tête, sont indissociables de cet écosystème. Défendre le pavillon aérien, c'est donc défendre notre souveraineté industrielle.

La filière aéronautique représente plus de 1 000 entreprises, dont des champions mondiaux – on pense spontanément à Airbus, mais aussi à Safran, à Thales –, mais aussi des PME-PMI, qui réalisent au total près de 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploient près de 100 000 salariés dans toutes les régions de France, mais essentiellement en Occitanie, en Nouvelle-Aquitaine et dans les Pays de la Loire.

Chaque avion construit en France mobilise une chaîne complète de valeur industrielle : conception, usinage, motorisation, assemblage, système embarqué.

Je le répète, l'État est au rendez-vous. Nous avons la chance de compter une grande compagnie aérienne, dont l'État est actionnaire, et nous la défendons.

Pour répondre plus précisément à votre question, je vous informe qu'avec Philippe Tabarot nous serons extrêmement attentifs à ce que toute réouverture de négociations avec les Émirats arabes unis ne fragilise pas nos compagnies aériennes. Nous veillerons à préserver les équilibres de marché, les conditions équitables de concurrence et rappellerons sans cesse la nécessité d'adopter des clauses environnementales équivalentes pour les compagnies aériennes françaises et les compagnies étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

conflit entre israël et l'iran

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre, depuis près d'un demi-siècle, le régime théocratique de Téhéran prêche la destruction d'Israël et a tissé un réseau d'affidés avec lesquels il déstabilise le Moyen-Orient. Ces groupes formés, armés et financés par l'Iran ont menacé ou attaqué régulièrement le territoire israélien. Ils sont aussi une menace pour la communauté internationale.

Les pogroms du 7 octobre 2023 n'auraient jamais été possibles sans le soutien iranien apporté au Hamas.

Les récentes opérations ont visé un programme nucléaire qui, malgré des années et des années de négociations internationales, est sur le point de produire l'arme atomique et fait peser une menace existentielle sur Israël.

Dans ce contexte, les déclarations du Président de la République sont peu claires.

Monsieur le ministre, quelle est donc la position de la France à l'égard de ce conflit et de quels soutiens disposons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Allizard, au contraire, je crois que la position de la France est très claire.

Concernant en premier lieu le régime iranien, nous avons évoqué le programme nucléaire et balistique, qui fait peser un risque existentiel sur Israël, sur la région, mais aussi sur nos propres intérêts européens et nationaux.

Vous avez parlé des actions de déstabilisation régionale de l'Iran, qui a soutenu des groupes terroristes et qui s'est félicité du massacre antisémite du 7 octobre 2023, à la suite duquel cinquante de nos compatriotes ont perdu la vie.

Je voudrais citer également le soutien désinhibé de l'Iran à la Russie dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine, par la fourniture de plusieurs centaines de missiles et de milliers de drones. Il y a enfin la détention arbitraire de nos deux compatriotes, Jacques Paris et Cécile Kohler, otages depuis trois ans et détenus dans des conditions indignes, assimilables en droit international à de la torture.

La voix de la France exprime la volonté d'atteindre la paix et la sécurité pour tous dans cette région, dont une part de notre avenir dépend. Le moyen d'y parvenir, c'est un double refus : le refus, d'une part, de l'Iran nucléaire, pour les raisons que vous avez très bien explicitées ; le refus, d'autre part, de voir Gaza occupée, la Cisjordanie colonisée, et un groupe terroriste, le Hamas, continuer à retenir dans ses tunnels des innocents comme otages. Tout cela passe par une solution reposant sur deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité.

En résumé, pour tenter de résoudre la crise actuelle, nous misons sur la retenue, la désescalade et la réouverture des négociations, seules susceptibles de permettre l'élimination du programme nucléaire iranien. En ce qui concerne la crise, que nous n'oublions pas, et qui se déroule à Gaza, où cinquante et un Palestiniens affamés sont morts hier encore en allant chercher des vivres à une distribution alimentaire, la conférence que nous avons préparée activement a enclenché une dynamique qui est désormais inarrêtable, parce que c'est la seule solution alternative à l'état de guerre permanent.

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.

M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre, je vous remercie, mais vous n'avez pas du tout répondu à ma question : je vous ai demandé quels étaient les soutiens de la France, et non pas ceux de l'Iran, et c'est pourtant sur ce dernier point qu'a porté votre réponse.

Je note que, dans cette région du monde, que nous connaissons bien, les positions du Président de la République ont tout de même très souvent varié. Le poids et l'influence de la France ont considérablement fléchi. Je suis désolé, mais c'est une réalité factuelle et je me dois de dire que notre ligne du « pour autant » est de moins en moins lisible et comprise. Notre capacité à peser sur le cours des événements est faible.

Alors oui, pour éviter l'embrasement, une cessation des hostilités est évidemment souhaitable. Elle devra néanmoins éviter les erreurs du passé en ne laissant subsister aucune – et je dis bien aucune – perspective d'un Iran nucléaire. Gardons à l'esprit que l'Iran, ou plutôt son régime, poursuit toujours son programme nucléaire, malgré les négociations, met au pas sa population et détient toujours de manière arbitraire deux Français dans des conditions inacceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

conclave sur les retraites

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la ministre du travail, les négociations entre les partenaires sociaux sur les retraites patinent depuis le début. Elles patinent, tout d'abord, parce qu'un certain nombre d'organisations syndicales et patronales ont quitté la table, estimant que les conditions d'une négociation sereine n'étaient pas réunies. Elles patinent, ensuite, parce que les syndicats qui sont restés font des propositions, travaillent, mais se heurtent au mur du Mouvement des entreprises de France (Medef), qui ne veut rien entendre.

D'ailleurs, après avoir entendu le patron du Medef ce matin, on peut douter sérieusement de l'issue de ces négociations. On peut même se demander si cette organisation patronale a jamais eu l'intention de négocier réellement.

Madame la ministre, dans ces conditions, je voudrais savoir si l'engagement du Gouvernement, qui avait été pris par le Premier ministre, sera tenu. Je veux parler de l'engagement de revenir devant le Parlement avec un nouveau projet de loi reprenant, au moins, les propositions faites par les partenaires sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST. – Mme Silvana Silvani applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Monique Lubin, comme vous, je voudrais souligner qu'un certain nombre de partenaires sociaux continuent à travailler. Je rends hommage au travail effectué au cours des six réunions plénières et au sein des groupes informels qui se sont constitués. Depuis maintenant quatre mois, avec la mission d'accompagnement sur les retraites, un chemin important a été parcouru.

J'en arrive plus précisément à la question que vous m'avez posée. J'ai sous les yeux ce qui a été repris hier par le président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, publié sur son compte X et encadré en rouge : « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, nous présenterons néanmoins les avancées issues des travaux des partenaires sociaux. Sous réserve d'un accord politique et d'un équilibre financier global maintenu, nous présenterons sur cette base un nouveau projet de loi. Ainsi, l'impératif de réforme pourra être satisfait dans une démarche de justice. » C'est le contenu du courrier que M. le Premier ministre a adressé aux différents partenaires sociaux, aux partis politiques, au moment de la mise en place du conclave. Telle est la réponse que je pouvais vous apporter.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.

Mme Monique Lubin. Et donc, madame la ministre, je pense que personne n'a vraiment compris si le Gouvernement reviendrait devant le Parlement. Quand on me parle d'accord politique, je pense tout de suite au Parlement. Vous avez bien cité les mots du Premier ministre : « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global […], nous présenterons sur cette base un nouveau projet de loi. »

Vous n'avez pas répondu à ma question. Nous attendons que tout ce qui est proposé par les partenaires sociaux soit rediscuté devant le Parlement.

Enfin, madame la ministre, lorsque vous, vos collègues ou d'autres parlez du rapport du Conseil d'orientation des retraites, je vous prierai de bien vouloir respecter les partenaires sociaux, comme vous vous y engagez régulièrement : le rapport du COR, tel qu'il a fuité – à qui profite le crime ? –, n'a pas été approuvé par les partenaires sociaux. J'aimerais donc que l'on parle du rapport du COR qui a été finalement approuvé par les partenaires sociaux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi que des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

non-remplacement des enseignants dans les collèges et lycées

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Ma question s'adresse à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et concerne le problème, devenu majeur, des professeurs absents.

« Un professeur devant chaque classe à la rentrée » : c'était la promesse martiale du Président de la République à l'été 2023. Un professeur devant chaque classe toute l'année, c'est beaucoup mieux, mais c'est malheureusement de plus en plus rare. En effet, les absences d'enseignants, avant tout pour raison de santé, et le nombre d'heures non remplacées ont augmenté de façon considérable de 2018 à 2024 : +49% de cours non assurés dans le primaire, +93 % dans le secondaire.

Cette semaine, j'ai présenté devant la commission des finances un rapport qui « autopsie » la profondeur du malaise. Le système ne fonctionne plus ! Le potentiel des remplaçants est insuffisant. L'attractivité de ce métier spécifique est en berne. Plus d'un professeur remplaçant sur deux dans le secondaire est aujourd'hui un contractuel. Les formations sont quasi inexistantes et l'organisation est sclérosée. Malheureusement, le mécontentement des parents aboutit à une fuite vers le privé ou à la saisine des tribunaux administratifs, qui vont en plus leur donner raison.

Madame la ministre d'État, vous êtes consciente du problème, et vos prédécesseurs l'étaient aussi. Des mesures ont été prises, par exemple le financement des heures de remplacement de courte durée dans le cadre du pacte enseignant ou le fléchage de nouveaux professeurs vers le vivier de remplaçants, mais d'autres mesures restent à prendre. J'en propose quelques-unes dans mon rapport. Je voudrais connaître celles que vous allez mettre en place à la rentrée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Olivier Paccaud, je veux tout d'abord vous remercier de votre question et des travaux que vous avez conduits sur un sujet essentiel pour la réussite de nos élèves. Mes équipes sont en train d'analyser les données très riches que vous mettez en avant dans votre rapport et je vous propose que nous puissions en discuter prochainement.

Nous le mesurons tous, le remplacement des enseignants est un enjeu majeur et une source de préoccupation pour les parents et pour l'ensemble de la communauté scolaire. Je peux vous l'assurer, mon ministère est pleinement mobilisé sur le sujet. Ces dernières années, de nombreuses actions ont été menées pour améliorer les remplacements de courte durée, notamment au travers du pacte enseignant, que vous avez mentionné. Plus de la moitié des missions sont orientées sur cette priorité.

Cette attention particulière a également conduit le ministère à se réorganiser afin de limiter les absences devant élèves provoquées par l'institution elle-même.

En ce qui concerne plus particulièrement le premier degré, comme vous le préconisez dans votre rapport, je me suis appuyée sur la baisse démographique pour reconstituer les brigades de remplacement et, à ce titre, ce sont 900 postes supplémentaires qui seront déployés à la rentrée 2025.

Vous l'avez dit, à ces tensions se sont ajoutées ces dernières années des difficultés pour recruter dans certains territoires et dans certaines disciplines. C'est pourquoi j'ai lancé une réforme du recrutement et de la formation initiale des enseignants, qui doit améliorer les conditions de formation, mais aussi permettre de susciter davantage de vocations.

Alors, sans attendre, il faut aller plus loin et je présenterai dans les prochains mois des mesures complémentaires dans le cadre d'un plan dédié au remplacement des enseignants. Celui-ci prendra pleinement en compte vos recommandations, monsieur le sénateur. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Bernard Fialaire applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Je précise que l'absence des professeurs est d'abord due à des conditions de travail souvent dégradées.

M. Olivier Paccaud. Pour conclure, un mot du cœur, que tout le monde partage ici : vive l'école ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. J'y associe ma collègue Catherine Morin-Desailly, qui a beaucoup travaillé sur la régulation des grandes plateformes numériques.

Vendredi dernier, le tribunal pour enfants de Nanterre a condamné deux garçons de 14 ans pour le viol, à caractère antisémite, d'une jeune fille de 12 ans. Quel est le rapport avec votre portefeuille ? Le procès a révélé, sans surprise, que les auteurs de cet acte odieux étaient abreuvés de haine sur les réseaux sociaux.

Avec l'émergence des plateformes, les cas de harcèlement, d'agressions et de violences en ligne se multiplient. Depuis vingt ans, les dangers que font peser ces réseaux sur la société sont régulièrement dénoncés. C'est pourquoi le Président de la République propose désormais d'en interdire l'accès aux moins de 15 ans.

Mais une autre question se pose, plus simple encore : ne faut-il pas, plus globalement, interdire l'anonymat, qui, bien souvent, en donnant l'illusion de l'impunité, permet le déchaînement des pulsions les plus violentes sur les réseaux ? On invoque souvent la liberté d'expression pour le justifier, mais cet argument ne tient pas. La liberté d'expression va de pair avec la responsabilité. Or l'anonymat en ligne permet trop souvent d'échapper à toute forme de responsabilité.

Dans les faits, cet anonymat est largement illusoire. Quand il faut identifier un auteur, on y parvient en retrouvant son adresse IP, mais c'est souvent trop tard, le mal étant déjà fait. Supprimer l'anonymat, c'est agir en amont, de manière préventive. Un peu de transparence peut être apaisante et contribuer à une société plus sereine.

Madame la ministre, combien de drames faudra-t-il encore ? Combien de temps allons-nous encore attendre avant d'agir ? L'interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux fait-elle partie des pistes envisagées par votre ministère ? Si oui, comptez-vous interroger la Commission européenne sur la compatibilité d'une telle mesure avec le droit européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Conconne et M. Pierre Jean Rochette applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Patrick Chauvet, je vous remercie de cette question, qui est très importante, parce qu'elle touche nombre de nos concitoyens.

Le déversement de haine en ligne, c'est bien une réalité ; je sais qu'en tant que personnalité publique vous êtes directement confronté à ce phénomène. Il conduit à du cyberharcèlement, à de l'isolement, à de la détresse, et parfois au pire. Je pense notamment aux plus jeunes, qui peuvent commettre l'irréparable après des attaques en ligne.

Oui, il faut regarder la situation en face : le déversement de haine en ligne s'appuie quelquefois sur le pseudonymat, qui peut donner un sentiment d'impunité à ses acteurs. Pourtant, l'anonymat est utile à certains, qui peuvent ainsi s'exprimer alors qu'ils en seraient empêchés sans cela.

Pour autant, il faut être clair, et vous l'avez été, monsieur le sénateur, il n'y a pas d'anonymat en ligne. En effet, aujourd'hui, les plateformes sont responsables de la collecte des informations de connexion, notamment des adresses IP, et sont chargées d'en faire bon usage quand il y a besoin.

Il n'y a pas d'anonymat en ligne, pas plus qu'il n'y a d'impunité, il faut le répéter. Après que Thomas Jolly a été victime de cyberharcèlement, sept personnes ont été condamnées ; des peines de prison de plusieurs mois avec sursis ont même été prononcées.

Reste que, vous l'avez dit, la situation est ce qu'elle est. Je mesure la détresse que de nombreux concitoyens ressentent sur les réseaux sociaux face à ce qui s'y passe.

Nous avons fait beaucoup : je pense à Pharos (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements),…

M. Alexandre Basquin. Pharos manque de moyens !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. … au parquet national numérique, à la loi dite Sren, visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, qui permet le bannissement des réseaux sociaux, ou au DSA (Digital Services Act), qui fait porter la responsabilité sur les plateformes, mais qui n'est pas pleinement satisfaisant, la détresse étant, elle, bien réelle.

Oui, il faut envisager toutes les options, à commencer par interdire les réseaux sociaux avant quinze ans, pour protéger les plus jeunes. C'est un combat que je mènerai avec tous mes collègues du Gouvernement.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Nous sommes attachés à faire de notre combat contre la haine en ligne une réalité. (M. Stéphane Demilly applaudit.)

accueil des gens du voyage

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, nous sommes très nombreux dans cet hémicycle à avoir déjà interrogé vos prédécesseurs sur la question des gens du voyage – malheureusement, sans résultat probant.

Nous sommes tous confrontés dans nos communes à des stationnements illégaux et à des installations massives sur des terrains communaux, des stades de foot, des parkings, des zones d'activité, parfois même en pleine saison touristique ou économique. Ces installations entraînent des dégradations et des tensions croissantes, un sentiment d'injustice, d'abandon, tant chez les habitants que chez les élus locaux, bien que ces derniers aient rempli leurs obligations de création d'aires d'accueil, et mobilisé des moyens techniques et des investissements importants.

Ce type d'événement révèle les limites de notre dispositif juridique opérationnel actuel.

Pire encore, nous avons à plusieurs reprises subi en Moselle le rassemblement évangélique de près de 40 000 gens du voyage. Ce fut le cas encore en 2023 et cette manifestation semble se profile de nouveau cette année. Vous connaissez les troubles très importants que cela engendre, en matière tant de sécurité, de salubrité que de tranquillité publique.

Monsieur le ministre, que projetez-vous de faire pour régler ces situations ? Concrètement, empêcherez-vous le nouveau rassemblement évangélique en Moselle cette année ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Loïc Hervé, Pierre Jean Rochette, Hussein Bourgi et Lucien Stanzione applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, à l'occasion de la question importante que vous venez de poser, je rappelle que 1 328 grands déplacements ont été organisés en 2024 par les gens du voyage dans soixante-dix-huit départements ; 569 d'entre eux avaient un caractère illégal, soit un sur trois.

Devant la difficulté rencontrée d'un point de vue tant juridique qu'administratif, notamment pour agir rapidement afin de faire évacuer ces terrains illégalement occupés, nous avons récemment mis en place un groupe de travail présidé par le préfet Philip Alloncle, auquel un certain nombre de sénateurs et sénatrices participent activement.

Ce groupe de travail s'est réuni une ultime fois la semaine dernière pour acter plus d'une vingtaine de mesures susceptibles d'être votées afin de lutter fermement contre ces situations. Nous nous verrons le 7 juillet prochain pour terminer nos travaux.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. François-Noël Buffet, ministre. Une partie des dispositions seront de nature réglementaire, mais la majeure partie sera de nature législative. Nous aurons l'occasion de proposer un texte d'ici à la fin du mois de juillet prochain.

Je tiens à dire qu'à Toulouges, commune des Pyrénées-Orientales, à la suite de l'occupation du stade de rugby, les services de la préfecture se sont mobilisés fermement pour procéder à une évacuation, laquelle a eu lieu le même jour. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. André Reichardt. C'est rare…

M. François-Noël Buffet, ministre. Il faut souligner la très grande efficacité de cette intervention. Dans les jours qui viennent, une circulaire sera prise et adressée à tous les préfets pour attirer leur attention sur la situation particulière de certaines occupations.

Enfin, l'association Vie et lumière, qui organise tous les deux ans de grands rassemblements de plus de 20 000 ou 30 000 personnes, mais qui ne l'a pas fait en 2024 en raison de l'organisation des jeux Olympiques, s'est réunie à Nevoy il y a quelques semaines. Les services de l'État ont été fortement mobilisés et l'on peut dire que, globalement, les choses se sont bien passées.

Nous ne savons pas encore où se déroulera le prochain grand rassemblement. Les discussions sont en cours, mais la fermeté sur les questions d'organisation reste absolue, tout comme la détermination du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, il s'agit de rétablir un équilibre juste entre liberté de circulation et respect de l'ordre public.

M. Reichardt et moi-même avons déposé des propositions de loi qui ne sont jamais allées au-delà de cette assemblée.

Le sujet cristallise de vives tensions et appelle des réponses rapides, lisibles, concrètes, ainsi que des actes forts. Je compte sur vous pour faire évoluer le cadre dans l'esprit de fermeté, de responsabilité et d'équité que je vous connais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

ligne nouvelle paris-normandie

M. le président. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Sébastien Fagnen. Je souhaite associer à mon propos mes collègues normands Corinne Féret et Didier Marie.

« La SNCF a une dette vis-à-vis de la Normandie. » Ces mots sont de Guillaume Pepy, lorsqu'il était PDG de la SNCF. Ils ont été prononcés au Havre le 4 mai 2010.

Quinze ans après, la situation n'a que peu changé. Elle a même empiré la semaine dernière avec la validation par le Conseil d'État du schéma directeur de la région d'Île-de-France (Sdrif). En effet, ce document ne fait aucunement mention du tracé de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), compromettant ainsi sa réalisation.

Cette situation est la conséquence de l'hostilité de la présidente du conseil régional d'Île-de-France envers cette infrastructure pourtant vitale pour nos deux régions. Son opposition s'apparente à un insupportable mépris envers notre région, ses habitants, ses entreprises et ses élus.

C'est un déni non seulement des nécessités en matière d'aménagement du territoire, mais aussi de l'indispensable transition écologique.

Il est entendu que la séparation intégrale des flux normands et franciliens entre Paris et Mantes contribuera immanquablement à accroître le fret ferroviaire.

La concrétisation de la LNPN est essentielle pour le développement économique de la vallée de la Seine, de Haropa Port et de la Manche via le programme Aval du futur mené par Orano.

Ce sont les raisons pour lesquelles la Normandie a toujours eu la volonté, unanime, de trouver un consensus. Nous entendons et respectons les interrogations exprimées par une partie des Yvelinois. Il faut y apporter des réponses concrètes.

L'urgence est aujourd'hui de soutenir fermement ce projet d'intérêt national, symbole de la planification écologique et des mobilités décarbonées. Le Sdrif ne peut et ne doit pas sonner le glas ferroviaire de la Normandie.

Monsieur le ministre, au-delà de la nécessaire réaffirmation du soutien résolu de l'État lors du comité de pilotage qui se tiendra dans quinze jours, et en écho aux travaux en cours d'Ambition France Transports, les 3 millions de Normands ont besoin d'engagements tangibles sur le calendrier et le financement public de la LNPN.

Quelles garanties pouvez-vous leur adresser aujourd'hui au nom de l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Sébastien Fagnen, je réponds à la place de Philippe Tabarot, qui se trouve au salon du Bourget.

Vous avez évoqué l'intérêt de la ligne nouvelle Paris-Normandie. On l'appelle ligne nouvelle, mais elle dure depuis très longtemps dans l'esprit des Normands, et pas seulement.

Il s'agit d'un projet d'intérêt national, je tiens à le dire ici. Cette ligne viendra en effet répondre aux besoins croissants de mobilité qui existent entre Paris, l'Île-de-France et la Normandie, tout au long de la vallée de la Seine.

Elle améliorera d'une part la régularité – nous le souhaitons –, la capacité et la rapidité des liaisons ferroviaires. Pour cela, de nouvelles modalités de financement ont été évoquées à Bercy la semaine dernière. Une nouvelle méthode de travail a également été retenue, puisqu'une concertation sur ce projet a été engagée autour du Premier ministre. La nomination du préfet Serge Castel en tant que nouveau délégué interministériel est un premier jalon, que, me semble-t-il, vous attendez, de cette nouvelle approche. Il a d'ores et déjà rencontré l'ensemble des élus concernés.

Signe de cette nouvelle méthode, le ministre chargé des transports présidera le 1er juillet prochain, à Giverny, un comité de pilotage élargi à l'ensemble des parties prenantes : les élus de Normandie, qui, bien sûr, l'attendent, mais aussi ceux d'Île-de-France qui, pour le moment, participent au financement des études, ainsi que les représentants des intercommunalités et des instances économiques des deux régions.

Ce comité de pilotage constituera assurément le deuxième jalon de ce nouveau départ que vous souhaitez, tout comme nous, pour la ligne nouvelle Paris-Normandie. L'objectif est en effet de redonner au projet un sens commun, mais aussi partagé, répondant à des tracés de moindre impact, mais surtout aux besoins actualisés des territoires que vous avez cités.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour la réplique.

Mon cher collègue, il vous reste quelques secondes pour arriver à l'heure en gare… (Sourires.)

M. Sébastien Fagnen. Monsieur le ministre, le temps des bonnes intentions est révolu, celui de la concrétisation est venu ! Nous l'espérons et nous continuerons à nous mobiliser à cette fin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

numéro unique d'appel d'urgence

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Dumont. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.

Monsieur le ministre, dans le cadre du congrès Urgences 2025 qui s'est tenu dernièrement à Paris, vous avez indiqué que le numéro unique était une idée séduisante sur le papier, mais qu'elle imposait une rupture organisationnelle majeure.

Vous avez ajouté que le projet devrait être conduit uniquement là où il y avait des volontés, où cela était pertinent et efficient. Vous avez précisé, en conclusion, que force était de constater qu'aujourd'hui les conditions n'étaient pas réunies pour aller beaucoup plus loin sur la question de la généralisation de la mise en place d'un numéro unique d'urgence.

La loi Matras de 2021 (loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels) prévoyait pourtant la mise en place de trois degrés d'expérimentation du numéro unique de secours dans une zone donnée pour en faire un bilan à l'issue de deux années. Cette expérimentation n'est toujours pas lancée.

Pour autant, sans attendre, il existe déjà, comme vous le savez, sur le territoire national plusieurs exemples de rapprochement de services, voire de structuration en centres uniques pour traiter les appels d'urgence, qui fonctionnent très bien, et ce sans remettre en cause le principe de la régulation médicale.

Voici un exemple précis pour illustrer mon propos. Ce lundi, une panne généralisée du réseau SFR a montré les limites des différents numéros d'appel d'urgence français. Ainsi, dans le département du Var dont je suis élue, mais également ailleurs, seul le 112 permettait de joindre les secours, alors que le 18, notamment, ne fonctionnait plus.

Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous préciser devant la représentation nationale votre position sur la question du numéro unique d'appel d'urgence en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice Dumont, je vous remercie de cette question, qui me permet de faire le point sur le numéro unique d'appel d'urgence. Je sais que, en tant qu'ancienne présidente du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) du Var, vous y êtes particulièrement attachée.

La loi Matras a bien prévu une expérimentation qui associait bon nombre de départements, en particulier dans ma région – la Savoie, la Haute-Savoie, l'Ain –, ainsi que des départements témoins – le Rhône et le Puy-de-Dôme. Malgré des réserves de fond, le ministère de la santé a pleinement participé à ces expérimentations. Nous avons donc tenu nos engagements.

Aujourd'hui, nous constatons des difficultés dans certains Sdis, notamment en Haute-Savoie, qui a ralenti l'expérimentation. Si nous sommes favorables à une coopération renforcée, nous ne pouvons pas imposer l'obligation d'un numéro unique qui poserait des difficultés et mettrait en cause la sécurité et la prise en charge des patients.

Tout cela s'inscrit dans la logique du service d'accès aux soins (SAS), qui, vous le savez, madame la sénatrice, s'est développé partout en France pour limiter l'afflux de patients, notamment aux urgences. Je rappelle que 75 millions d'appels sont traités par an. Le risque de désorganisation est réel.

Par ailleurs, un certain nombre de pays – le Royaume-Uni, le Canada et même, plus récemment, la Suisse – ont abandonné le numéro unique.

Il nous faut donc avancer sur d'autres sujets, dont nous connaissons l'opportunité. Je pense aux plateformes communes, notamment colocalisées, qui réunissent pompiers et urgentistes là où il y a des volontés locales et où cela est pertinent et efficient. Je pense également à l'interconnexion des systèmes d'appel, autre système que vous avez évoqué et qui peut être une solution tout à fait efficace sans conduire forcément à la fusion des dispositifs.

Il y a, je le redis, urgence à avancer et à ne pas attendre la fin de l'expérimentation pour lancer cette mission d'évaluation des plateformes existantes afin d'aboutir à une réponse rapide, adaptée, sécurisée à l'ensemble des appels que nous recevons en France pour prendre en charge nos patients.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour la réplique.

Mme Françoise Dumont. Comme vous le savez, monsieur le ministre, lors d'une intervention de secours à personne, chaque seconde est majeure.

Pourtant, en cas d'urgence, les Français sont confrontés à pas moins d'une dizaine de numéros d'urgence. S'ils composent le 15, ils ne sont pas certains d'avoir une réponse rapide, ce qui est tout de même délétère.

Notre seule boussole doit toujours être la sécurité des personnes, rien de moins ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation de la filière acier française

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Stéphane Demilly. Madame la ministre, on parle souvent de l'indépendance énergétique et de l'indépendance alimentaire. Il y a quelques années, nécessité oblige, on a aussi parlé de l'indépendance sanitaire.

Aujourd'hui, une autre nécessité se fait jour. Elle concerne notre indépendance vis-à-vis du métal le plus utilisé au monde, je veux parler de l'acier.

L'acier est partout. Il est dans nos maisons, nos usines, nos infrastructures, nos moyens de transport. Alors que se tient le Salon du Bourget, je précise qu'il représente plus de 10 % des matériaux d'un appareil.

Bref, vous l'avez compris, l'acier est au cœur de notre économie. Pourtant, notre pays n'en produit pas assez pour ses propres besoins, et nous sommes donc là aussi dépendants de pays tiers tels que la Chine, l'Inde ou encore la Turquie.

En 2023, nous avons importé 10 millions de tonnes d'acier, soit environ 70 % de notre consommation nationale ! D'autant que cet acier provient de pays dont, le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne sont pas forcément les plus vertueux en matière environnementale et sociale…

Pendant ce temps, chez nous – plus largement d'ailleurs sur notre continent européen –, les grands aciéristes tels ThyssenKrupp ou encore ArcelorMittal enchaînent les plans de restructuration.

La production d'acier dans l'Union européenne a ainsi diminué de 30 % depuis 2008, entraînant la perte de plus de 100 000 emplois.

Madame la ministre, ma question est aussi simple que cruciale : quelle est la stratégie du Gouvernement pour endiguer ce déclin industriel de l'aciérie française qui, une fois de plus, fragilise une bonne partie de notre économie nationale et européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison, l'acier est partout. Malheureusement, il n'est pas très présent dans nos débats, alors que ce secteur est absolument stratégique.

L'acier est une composante de base de très nombreuses chaînes de valeur – ce sont des centaines de milliers d'emplois aujourd'hui en France. Vous l'avez dit, c'est un élément indispensable de notre souveraineté.

Cette industrie est fragilisée : surcapacités, concurrence internationale déloyale, hausse des prix de l'énergie, contraction de la demande – la demande d'acier étant très liée à la croissance économique –, processus de décarbonation... Nous devons trouver un meilleur équilibre, à la fois en France, en Europe et dans le monde, pour avoir un cap clair, et donc des capacités industrielles préservées.

Au fond, l'enjeu, c'est de retrouver de la compétitivité, c'est-à-dire d'avoir des prix de l'énergie plus adaptés, une stratégie de décarbonation financée, comme le fait aujourd'hui l'État, notamment grâce aux appels à projets en matière de décarbonation – cela représente 1,6 milliard d'euros en 2025 –, mais également, et peut-être surtout, une protection commerciale contre la concurrence déloyale.

Je veux vous rappeler que nous avons gagné une grande bataille : la clause de sauvegarde sur l'importation d'acier est maintenant en œuvre à l'échelon européen. Il s'agit en quelque sorte d'un quota, c'est-à-dire d'un seuil d'importation au-delà duquel une taxe de 25 % s'applique, ce qui permet de protéger la filière de la concurrence déloyale des surcapacités, en particulier chinoises, avec lesquelles l'écart de prix est aujourd'hui de 20 %.

La France souhaite aller plus loin. Nous voulons qu'un nouvel instrument soit opérationnel au 1er janvier prochain. En effet, nous sommes d'accord sur l'outil, mais ne l'avons pas encore totalement mis en œuvre. Notre objectif est d'avoir un quota maximum de 15 % d'acier plat chinois dans la consommation européenne.

Surtout, vous le savez, monsieur le sénateur, nous voulons continuer à construire l'avenir de la sidérurgie en France. Je veux citer ici GravitHy et Marcegaglia, deux entreprises qui investissent aujourd'hui massivement en Europe pour produire l'acier de demain chez nous. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d'actualité au Gouvernement se tiendra le mercredi 25 juin 2025, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 1er

Accès aux soins

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation (proposition n° 189 [2023-2024], texte de la commission n° 713, rapport n° 712).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous imaginez bien que c'est avec une émotion particulière que je m'exprime, en tant que ministre de la santé, sur cette proposition de loi dont je suis à l'origine et que j'ai défendue lorsque j'étais député.

Je suis très heureux que les débats en commission des affaires sociales nous permettent d'examiner aujourd'hui une version conforme à celle qui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, au mois de décembre 2023.

Je remercie le rapporteur Khalifé Khalifé d'avoir repris le flambeau au Sénat.

Je remercie aussi le président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller de son soutien, ainsi que tous les sénateurs investis sur les sujets essentiels de formation et d'accès aux soins.

C'est avec émotion, mais surtout avec détermination, que je m'adresse à vous. Je suis en effet convaincu que les mesures que nous examinons aujourd'hui sont nécessaires et urgentes pour l'avenir de notre système de santé.

La réalité, nous la connaissons bien et il nous faut la regarder en face : nous manquons de médecins. Dire cela, ce n'est pas chercher des coupables, ni même régler des comptes a posteriori. C'est énoncer un fait, c'est décrire une réalité.

Cette réalité, c'est celle d'une véritable crise démographique, que vous vivez chaque jour dans vos départements. Je le vois à chaque fois que je me déplace. C'est la cause centrale de la désertification médicale. C'est le premier enjeu sur lequel nos concitoyens m'interpellent.

C'est aussi le premier sujet sur lequel, vous, parlementaires de tous les territoires, de tous bords politiques, m'alertez au quotidien, à juste titre.

C'est un défi immense auquel nous faisons face, hérité de choix faits il y a plusieurs décennies et remis en cause bien tardivement. Nous payons aujourd'hui le prix des politiques du passé !

Oui, à une époque, il a été voulu de rationner le nombre de médecins pour réduire les dépenses de santé. Nous en payons le prix cher, alors que les besoins de santé de nos compatriotes sont inéluctablement appelés à augmenter, sous les effets multiples et conjugués du vieillissement de la population et de la hausse des maladies chroniques et de la dépendance.

C'est un défi encore plus immense quand on pense que nous formons aujourd'hui autant de médecins qu'en 1970, alors que la population française a augmenté de 15 millions d'habitants et qu'il faut désormais entre deux et trois jeunes praticiens pour compenser un départ à la retraite.

Je l'ai dit lors de mon discours à l'Assemblée nationale en tant que rapporteur de ce texte : aux termes de la Constitution, la Nation doit garantir la protection de la santé.

La situation est trop alarmante. Nous devons non seulement réagir, mais agir avec méthode et pragmatisme.

Face à ces constats pressants et inquiétants, il nous faut apporter une réponse de bon sens, qui s'inscrive dans une vision à long terme. Je crois qu'une seule nécessité s'impose clairement, avec la force de l'évidence, celle de former.

La suppression du numerus clausus en 2019 a permis de réparer une erreur historique. Certes, nous avons supprimé la limitation du nombre d'étudiants en médecine, mais la capacité d'accueil des universités reste limitée.

Les effectifs ont augmenté d'environ 15 % en France. C'est un premier pas. Ce qu'il faut maintenant, pour assurer l'avenir de notre système de santé, c'est réussir un véritable choc de formation, je dirais même un électrochoc de formation.

Tel est le sens de cette proposition de loi.

Dès aujourd'hui et pour demain, nous devons former plus, former mieux, former dans tous les territoires et tout au long de la carrière, pour soigner partout dans les territoires !

Naturellement, depuis que je suis ministre, je m'emploie à tout mettre en œuvre pour renforcer l'accès aux soins de manière immédiate.

C'est l'objectif du pacte de lutte contre les déserts médicaux et de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires déposée par M. Philippe Mouiller.

Il faut tirer parti des très nombreuses compétences qui existent déjà dans le système de santé et mettre en place des mécanismes de solidarité qui engagent tous les professionnels et l'ensemble des acteurs.

Les mesures que nous avons prises pour favoriser la réussite et sécuriser l'exercice des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), ainsi que la mise en œuvre, dès le mois de novembre 2026, de la quatrième année d'internat de médecine générale, permettront également d'augmenter rapidement le nombre de professionnels au chevet des patients, et ce dans l'ensemble du territoire.

Toutefois, cela n'a de sens et ne sera durable que si nous renforçons structurellement nos effectifs sur le terrain !

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la première mesure de cette proposition de loi est donc naturellement de nous libérer définitivement de la contrainte restante du numerus apertus. Nous ne pouvons plus et nous ne devons plus raisonner avec cette logique qui ne permet pas de répondre aux besoins de nos concitoyens.

Je l'ai dit comme parlementaire, je l'ai dit comme élu local et je ne varierai pas comme ministre : c'est de toute forme de numerus qu'il faut nous débarrasser.

La conséquence en est qu'il faut inverser la logique qui nous a guidés jusqu'à présent en matière de capacités de formation. Il nous faut absolument commencer par prendre en compte les besoins de santé localement identifiés dans les territoires et faire en sorte que ce critère devienne prioritaire pour adapter les capacités de formation.

La définition de ces besoins se fera naturellement en concertation avec les élus, mais aussi avec les doyens, les agences régionales de santé (ARS), les préfets et les collectivités, que je veux pleinement associer – c'est ma méthode.

Il faut également poursuivre le mouvement d'universitarisation des territoires en ouvrant davantage de terrains de stage, des terrains diversifiés, y compris hors les murs des centres hospitaliers universitaires (CHU).

Autre mesure forte de cette proposition de loi, l'article 2 vient combattre le phénomène de fuite de futurs soignants vers l'étranger.

D'une part, nous devons enfin endiguer les départs d'étudiants – 1 600 par an selon la Cour des comptes – qui partent se former en Roumanie, en Espagne, en Belgique, au Portugal, en raison de notre incapacité à les former en France !

D'autre part, nous devons faire revenir ces quelque 5 000 médecins français en formation qui ont quitté notre pays, en mettant en place des dispositifs d'évaluation et d'accompagnement, en lien avec les doyens.

Cette proposition de loi met en place toutes les conditions de leur retour et de leur réintégration dans le cursus français.

Enfin, face à la pénurie de médecins, notamment de généralistes, il convient de reconnaître la pleine compétence des professionnels paramédicaux, qui apportent beaucoup à notre système de santé.

C'est pourquoi l'article 3 de la proposition de loi permet aux professionnels paramédicaux – infirmiers spécialisés ou en pratique avancée, kinésithérapeutes, sages-femmes – d'intégrer directement le deuxième cycle des études de médecine, après évaluation. Cet article apparaît comme une avancée naturelle, qui valorise les forces vives de notre système de santé en s'appuyant sur elles. C'est d'ailleurs l'une des mesures fortes du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je dis souvent que la formation est la mère des batailles. En effet, rien ne se fait et rien ne se fera sans les professionnels de santé.

Former plus, former mieux, former partout : c'est le socle incontournable de toute politique de santé !

C'est pourquoi je souhaite, pour favoriser l'accès aux soins de nos concitoyens et préserver l'avenir de notre système de santé, que ce texte puisse être voté à l'unanimité, ce qui nous permettra de faire un grand pas dans la bonne direction.

Je terminerai en vous disant que notre action en faveur de la formation ne s'arrêtera pas là, bien sûr. Je pense à la réforme des voies d'accès aux études de santé que je porte avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, Philippe Baptiste. Cette réforme va naturellement dans le sens d'une simplification et d'une plus grande ouverture.

Je tiens aussi à vous assurer que je continuerai de me battre pour nos universités, pour qu'elles aient les moyens nécessaires au maintien de la qualité et de l'excellence de la formation médicale française, qui font notre fierté et sur lesquelles je ne transigerai jamais.

Je soutiendrai les universités et les doyens pour que ces réformes ambitieuses et fondamentales se concrétisent sur le terrain, comme je l'ai assuré ce matin à Mme la présidente de la Conférence des doyens des facultés de médecine, afin de réparer notre système de formation et notre système de santé.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, « ce sont des centaines d'étudiants en médecine qui nous regardent ». Tels furent mes premiers mots après l'adoption du texte à l'Assemblée nationale. Je suis heureux que, par notre engagement collectif, nous puissions faire de ces promesses une réalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour débuter cette intervention, permettez-moi d'excuser l'absence de notre collègue Khalifé Khalifé, rapporteur de ce texte, qui ne pouvait être présent parmi nous aujourd'hui et pour qui j'ai une pensée particulière. C'est en son nom, et au nom de la commission des affaires sociales, que je m'exprime donc aujourd'hui.

L'examen de cette proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation intervient un mois après l'adoption par notre assemblée de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, que nous avons collectivement porté.

Loin d'être redondants, ces deux textes sont complémentaires puisque la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui comprend des mesures utiles pour accroître, à court terme, les effectifs d'étudiants en santé. Son examen nous donne ainsi une nouvelle occasion d'œuvrer à l'amélioration de l'accès aux soins en agissant, à la racine, sur la formation des professionnels.

Vous aviez, monsieur le ministre, déposé ce texte en octobre 2023, en votre qualité de député de l'Isère. L'Assemblée nationale l'avait rapidement adopté, le 8 décembre de la même année. Nous pouvons regretter qu'une année et demie se soit écoulée avant que nous ne puissions l'examiner au Sénat, mais il nous appartient désormais de permettre son entrée en vigueur dans les meilleurs délais.

Je souligne d'ailleurs que plusieurs des mesures de cette proposition de loi traduisent des engagements du Gouvernement, inscrits dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux présenté le 25 avril dernier par le Premier ministre. Il en est ainsi du desserrement du numerus apertus, grâce à une meilleure prise en compte des besoins de santé du territoire lors de la définition des objectifs de recrutement.

De même, l'objectif de réintégration des étudiants français partis faire leurs études en Europe et la facilitation des reconversions des professionnels paramédicaux désireux de s'engager dans des études de médecine concrétisent les engagements de ce pacte.

Nous pouvons donc raisonnablement espérer que les dispositions du texte seront rapidement mises en œuvre. Vous pourrez sans doute, monsieur le ministre, nous rassurer sur le calendrier.

L'article 1er, je l'ai dit, vise à desserrer et à territorialiser le numerus apertus. Je ne reviendrai que rapidement sur l'historique de ce dernier, qui est désormais bien connu.

Instauré en 1971 pour la médecine et l'odontologie, le numerus clausus a été progressivement étendu à la maïeutique et à la pharmacie. Il a été fortement abaissé dans les années 1970 et 1980, dans le double objectif de maîtriser les dépenses de santé et de protéger l'activité des professionnels installés.

Nous le savons, cette politique n'a pas tenu compte de la hausse, pourtant prévisible, des besoins de santé due à l'augmentation de la population, à son vieillissement et à la prévalence croissante des maladies chroniques.

Fortement décrié pour sa contribution aux tensions démographiques que nous connaissons aujourd'hui, le numerus clausus a été supprimé par la loi en 2019 et remplacé par un numerus apertus fondé sur une large concertation nationale et régionale.

Désormais, les capacités d'accueil sont déterminées annuellement par les universités elles-mêmes, en tenant compte : d'une part, des objectifs pluriannuels d'admission en première année du deuxième cycle, arrêtés par l'université sur avis conforme des ARS, après consultation des conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) ; d'autre part, des objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former, définis par l'État pour une durée de cinq ans, à l'issue de concertations régionales et sur proposition d'une conférence nationale. Il s'agit d'un système quelque peu complexe.

Ce nouveau dispositif a permis une augmentation significative du recrutement dans les filières maïeutique, médecine, odontologie et pharmacie (MMOP), de l'ordre de 11 %.

Toutefois, cette augmentation générale cache d'importantes disparités. Entre filières, d'abord : alors que le nombre d'admis a augmenté de 18 % en médecine et de 14 % en odontologie, il a diminué en maïeutique et en pharmacie, du fait de places laissées vacantes. Entre universités, ensuite : l'augmentation du recrutement diffère grandement d'un territoire à un autre, sans que ces divergences soient conçues pour corriger les inégalités démographiques existantes.

L'article 1er vise à favoriser l'augmentation du recrutement en permettant aux ARS et aux conseils territoriaux de santé (CTS) d'appeler une université à accroître ses capacités d'accueil, lorsque celles-ci ne correspondent pas aux objectifs pluriannuels qu'elle a fixés. Il vise également à mieux tenir compte des besoins de santé de chaque territoire, en soumettant la définition de ces objectifs à un avis conforme des CTS.

La commission des affaires sociales a soutenu ces mesures : elles permettront d'impliquer davantage les élus locaux dans la définition des objectifs de recrutement et de responsabiliser les universités dans la définition de leurs capacités d'accueil.

Cette réforme ne pourra toutefois réussir, monsieur le ministre, que si l'État donne aux universités les moyens d'accueillir dans de bonnes conditions davantage d'étudiants. C'est un point essentiel si l'on veut que la mise en œuvre de cette proposition de loi soit satisfaisante.

L'article 2 prévoit de réintégrer dans le cursus national les étudiants français partis suivre des études de médecine dans un autre pays de l'Union européenne. La très forte sélectivité de l'accès au premier cycle des études de médecine engendre en effet un phénomène d'expatriation d'une partie des étudiants français dans d'autres pays de l'Union européenne.

La complexité du système du parcours accès spécifique santé (Pass) et de la licence accès santé (LAS), critiqué par la Cour des comptes, favorise aussi ces expatriations, dont le nombre s'accroît ces dernières années. Le nombre d'étudiants français suivant des études de médecine ou d'odontologie en Espagne a ainsi augmenté de 30 % entre 2019 et 2022. Au total, la Cour des comptes estime à 1 600 le nombre d'étudiants qui quitteraient la France, chaque année, pour suivre leurs études en Espagne, en Roumanie, en Belgique ou au Portugal.

Or, malgré le principe d'équivalence des diplômes européens, la qualité de la formation médicale est pour le moins inégale dans les différents pays de l'Union européenne. Je rappelle que, après obtention d'un diplôme européen, ces étudiants peuvent pourtant exercer sur notre territoire dans les mêmes conditions que les médecins ayant suivi la totalité du cursus de médecine en France.

Nous avons donc intérêt à favoriser la réintégration précoce de ces étudiants dans le cursus français, pour garantir la qualité de leur formation. La mesure bénéficiera à très court terme à notre système de santé, car elle aura pour effet d'augmenter les effectifs de médecins en cours de formation, quelle que soit leur avancée dans le cursus. Son caractère non pérenne permettra, par ailleurs, de ne pas organiser de contournement permanent du mécanisme de sélection à l'entrée dans les études de médecine, ce qui apparaît bienvenu.

Enfin, l'article 3 vise à favoriser les reconversions des professionnels paramédicaux en consolidant les passerelles vers les études de médecine. Ces dispositifs souffrent en effet de plusieurs insuffisances qui ne leur confèrent aujourd'hui qu'une portée marginale.

D'une part, les places qui leur sont réservées demeurent trop limitées : le quota minimal, actuellement fixé à 5 % par la réglementation, devrait être relevé. D'autre part, la mise en concurrence d'une grande diversité de profils pour entrer dans le dispositif ne favorise pas le recrutement de professionnels paramédicaux. Malgré leur expérience du soin, ceux-ci réussissent relativement moins bien que des ingénieurs issus de cursus scientifiques ou des normaliens. Enfin, la reprise d'études peut exposer certains candidats à une précarité financière, ce qui les conduit à renoncer à leur projet de reconversion ; des dispositifs de soutien pourraient, de ce point de vue, être utilement envisagés par le Gouvernement.

Le texte prévoit donc d'adapter le format des passerelles existantes et de renforcer l'accompagnement des professionnels paramédicaux lorsqu'ils reprennent des études de médecine, afin de favoriser leur réussite et d'encourager les projets de reconversion. Nous ne pouvons qu'y souscrire.

En définitive, cette proposition de loi ne permettra pas de résoudre l'ensemble les difficultés constatées dans les études de santé, mais les mesures qu'elle porte seront utiles pour augmenter le nombre d'étudiants et mieux l'adapter aux besoins constatés. La commission ne souhaite pas retarder leur mise en œuvre et propose, en conséquence, d'adopter cette proposition de loi sans modification, même si nous souhaitions faire quelques remarques ou apporter des précisions.

Le texte renvoie toutefois, monsieur le ministre, la définition de nombreuses mesures au domaine réglementaire. Sa réussite dépendra également des moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour augmenter les capacités d'accueil des universités et veiller au succès des étudiants. Nous souhaitons donc que le Gouvernement s'empare pleinement de ces dispositions. Nous y veillerons dans les prochains mois.

Enfin, je précise que la commission des affaires sociales conduit actuellement des travaux sur l'accès aux études de santé et qu'elle souhaitera porter, dans les prochains mois, plusieurs propositions complémentaires pour favoriser un égal accès aux études médicales et pharmaceutiques. Une réforme du système pass-LAS a été proposée par la Cour des comptes. Nous voyons bien aujourd'hui qu'il est nécessaire de faire évoluer et améliorer ce système.

Nous aurions bien sûr préféré examiner un projet de loi plus global ou une proposition de loi plus construite sur l'ensemble des enjeux de formation, mais notre organisation nous impose d'aller vite. Nous avons besoin de cette proposition de loi votée à l'Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons le texte.(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la succession de textes portant sur l'accès aux soins que nous examinons ces temps-ci pourrait laisser penser que notre pays se mobilise enfin au bon niveau pour permettre à chacun de nos concitoyens d'avoir un médecin.

Je crains malheureusement que nous ne soyons loin d'une stratégie nationale en matière de santé, de la stratégie globale, cohérente, déterminée et financée dont la France a besoin.

Je salue la proposition de loi du député Neuder, qui met fin au numerus apertus, lequel n'a pas véritablement, ou pas assez, modifié la donne par rapport au numerus clausus. Celui-ci, on le sait, a considérablement réduit le nombre de médecins formés et conduit à la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.

Le numerus apertus, mis en œuvre en 2019, était censé corriger cette mesure « visionnaire », portée par ceux qui étaient déjà obsédés à l'époque, dans les années 1970, par la réduction des dépenses de santé.

Cela a été rappelé, le nombre d'étudiants a augmenté d'environ 11 % depuis 2019, mais il reste très inférieur aux besoins. En maïeutique et en pharmacie, on a même formé moins de futurs professionnels, pour des raisons qui ne sont d'ailleurs pas uniquement liées au numerus apertus.

Voilà pourquoi nous proposons, lors de l'examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, que les besoins en santé déterminent l'offre de formation, et rien d'autre.

Mais le ministre Neuder peut-il s'en tenir à cette juste intention, sans annoncer en parallèle les moyens de la concrétiser ?

Dans une tribune publiée en octobre 2023, l'Académie de médecine estimait qu'il manquait encore 5 000 places dans les universités de médecine chaque année pour réduire efficacement la pénurie de médecins.

Que comptez-vous faire, avec votre homologue de l'enseignement supérieur, monsieur le ministre, pour que la France lance ce grand effort de formation ?

Quels financements prévoyez-vous pour que nos universités puissent ouvrir des places en fonction des besoins de leur territoire ? Chacun sait combien ils sont nombreux.

Combien de chefs de cliniques, combien de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), pourront être recrutés ?

Quelles infrastructures universitaires pour accueillir de nouveaux étudiants dans nos territoires, et pas seulement dans les CHU ?

De même, quels terrains de stage pour former les étudiants et leur faire découvrir la diversité des modes d'exercice, l'intérêt de nos villes moyennes, de nos territoires ruraux et de nos quartiers populaires, ainsi que la qualité de vie que l'on y trouve ?

C'est à ces questions que nous attendons des réponses de votre part, monsieur le ministre. Inutile de dire que cela risque de se heurter à la volonté du Gouvernement de réaliser 40 milliards d'euros d'économies dans le budget de l'État et dans celui de la sécurité sociale l'an prochain.

Comment entendez-vous, par exemple, étendre le bénéfice de la prime de 800 euros aux maîtres de stage dans les zones d'intervention prioritaire et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans ce cadre budgétaire ? Il est inenvisageable pour nous que ces mesures s'accompagnent d'une moindre prise en charge des patients, quels qu'ils soient.

Vous prévoyez également de simplifier la reprise d'études de santé en France, mais les démarches demeurent trop exigeantes pour entraîner un véritable retour des étudiants français partis se former chez nos voisins européens.

Vous prévoyez enfin de simplifier les passerelles pour les professionnels paramédicaux qui souhaitent reprendre des études de médecine. Attention cependant à ne pas déplacer la pénurie des professions médicales vers les professions paramédicales, car nous avons aussi besoin d'augmenter le nombre de places dans les formations d'infirmières, de psychothérapeutes, d'orthophonistes, d'orthoptistes, d'aides-soignants ou de psychomotriciens.

Une universitarisation des formations est également nécessaire, en particulier pour les masseurs-kinésithérapeutes. Nous avions déposé un amendement à cet effet, mais il a malheureusement été déclaré irrecevable.

Nous ne pourrons pas non plus faire l'économie de mesures de régulation à l'installation des médecins, car non seulement les inégalités entre territoires sont importantes, mais en plus elles se creusent.

Enfin, il est nécessaire de revoir les conditions d'études de santé. Plus d'un tiers des étudiants en médecine songent à tout arrêter pour des raisons financières. Enfin, trois étudiants sur cinq ayant échoué en première année de médecine se réorientent dans des filières éloignées de la santé.

En conclusion, je crains que ce texte ne desserre un peu le numerus apertus sans véritablement le supprimer, comme nous le souhaitons.

Cependant, nous voterons cette proposition de loi, tout en continuant à agir pour un grand plan de financement des études de santé dans les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont ceux ici qui regrettent avec constance que le Gouvernement préfère l'examen par le Parlement de propositions de loi plutôt que de projets de loi, pourtant plus structurants, plus engageants. Permettez-moi de ne pas exprimer un tel regret.

Le texte qui nous est aujourd'hui soumis n'est certes pas un projet de loi. Il n'est pas assorti d'une étude d'impact du Conseil d'État, il n'est absolument pas complet, mais il engage le Gouvernement presque plus que s'il avait lui-même présenté un projet de loi. Car la proposition de loi du député Neuder engage le ministre de la santé Neuder !

Aussi, nous serons extrêmement attentifs à ce que les promesses et les annonces faites dans le cadre de l'examen de ce texte soient rapidement appliquées et deviennent une réalité pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui pâtissent au quotidien du manque de professionnels de santé et de difficultés d'accès aux soins.

Aujourd'hui, 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, du fait d'une politique de contraction de la formation de médecins, le numerus clausus, mis en place en 1971 et n'ayant été révisé qu'en 2019. Je salue à cet égard Agnès Buzyn, qui a eu le courage de supprimer ce dispositif inique. Cependant, force est de constater que le numerus apertus qui l'a remplacé demeure insuffisant.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé aujourd'hui que vous alliez supprimer le numerus apertus. Nous vous prenons au mot et nous attendons de votre part une mobilisation exceptionnelle pour augmenter les capacités de formation des universités, désormais fondées sur les besoins de santé de la population.

Les écologistes proposent à cet égard la mise en place d'antennes universitaires des unités de formation et de recherche en médecine dans chaque département. Reprendrez-vous cette proposition ?

Vous souhaitez ensuite réintégrer dans le système de formation national les étudiantes et les étudiants français partis étudier dans un autre pays européen. Nous voterons cette mesure. Encore faut-il que les décrets d'application soient publiés dans des délais raisonnables. Nous comptons sur vous sur ce point.

J'insisterai sur un autre aspect pour lutter contre le départ massif d'étudiants du système de formation national : la prévention.

Ainsi, comment expliquer que près de 2 500 étudiants partent en Espagne chaque année ? Notre commission a regretté cette situation, symptomatique d'un système élitiste qui échoue à intégrer des étudiants pourtant brillants puisqu'ils réussissent ailleurs.

Le groupe écologiste partage ce constat. Les études de santé, à tort ou à raison, sont jugées élitistes et souvent trop difficiles par les jeunes, ce qui in fine décourage la plupart d'entre eux et crée un effet repoussoir. C'est très inquiétant pour l'avenir de notre système de santé.

Monsieur le ministre, je vous enjoins d'adapter le programme du premier cycle de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique pour rendre ces études plus attractives. Rappelons que, en 2023, seulement 36 % des inscrits en Pass ont franchi le cap de la deuxième année dès leur première tentative.

Un effort national doit être entrepris pour donner à tous les étudiants la possibilité de bénéficier d'une remise à niveau en biologie, en physique-chimie et en mathématiques, ces matières nécessaires pour réussir dans ces filières.

Je pense notamment aux jeunes qui souhaiteraient se réorienter vers des études de santé depuis d'autres filières. C'est ce que permet d'une certaine façon la LAS : elle montre que l'on peut étudier dans une filière littéraire ou autre et intégrer un parcours de formation scientifique et médicale. Nous devons en toutes circonstances faciliter les passerelles vers les études de santé et mettre en place pour cela, je le répète, des remises à niveau des connaissances scientifiques.

Enfin, nous soutenons le renforcement des passerelles pour les professionnels de santé déjà en activité. Un aide-soignant doit pouvoir devenir infirmier, un infirmier devenir médecin. Cette proposition de loi tend à le permettre, mais pas assez concrètement pour l'instant. Ces passerelles sont également importantes pour motiver les étudiants à devenir des soignants. J'avais d'ailleurs fait réaliser une note de législation comparée sur ce sujet. Elle dresse un état des lieux international dont nous devrions nous inspirer.

Je vous appelle ainsi, monsieur le ministre, à renforcer la validation des acquis de l'expérience en santé et à permettre le financement de parcours de reconversion par le fonds d'intervention régional et par le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS).

Pour conclure, nous soutenons l'esprit de ce texte, mais nous appelons le Gouvernement à prévoir les moyens nécessaires à sa mise en œuvre réelle, ainsi que le financement de la formation en santé, notamment dans les universités et les groupes hospitalo-universitaires.

Autrement dit, vous avez les cartes en main, monsieur le ministre. Concrètement, nous espérons que ces moyens seront inscrits dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale à la rentrée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels et, il y a un peu plus d'un mois, la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la formation et la territorialisation.

Les textes législatifs se succèdent pour tenter de répondre aux difficultés d'accès à la santé dans notre pays. Nous le savons, la situation est grave. Je ne reviens pas sur le fait que 87 % de notre territoire est classé comme désert médical. Dès lors, il n'est pas surprenant que la santé reste la première préoccupation de nos concitoyens.

Nous ne pensons pas que réformer à la marge, par des propositions de loi successives, permette de rétablir l'effectivité du droit à la santé dans notre pays. Certes, monsieur le ministre, votre proposition de loi porte sur la formation des médecins, mais c'est encore une fois n'aborder qu'un petit bout de notre système de santé.

Les sénateurs du groupe socialiste réaffirment qu'il est nécessaire que le Gouvernement dépose un projet de loi visant à revoir l'organisation générale de notre système de santé afin d'avancer concrètement et de favoriser l'accès aux soins.

Enfin, nous regrettons que le périmètre retenu au titre de l'article 45 de la Constitution ne permette pas d'aborder le sujet des stages que les professionnels de santé effectuent lors de leur formation. Ces stages, vous en avez convenu, monsieur le ministre, restent trop hospitalo-centrés. Il s'agit pourtant d'une étape cruciale dans la formation, qui est déterminante dans le choix du lieu d'installation des jeunes professionnels de santé.

Après ces quelques remarques, j'en viens au contenu de la proposition de loi.

L'article 1er vise à former plus de professionnels de santé en réformant le numerus apertus. Il prévoit ainsi de solliciter l'avis des conseils territoriaux de santé, qui associent à la fois des professionnels de santé, lesquels sont majoritaires, des usagers et des élus territoriaux, pour déterminer les objectifs pluriannuels d'admission en deuxième cycle.

C'est effectivement, selon nous, l'échelle départementale qui est la plus pertinente pour définir les besoins de santé. C'est bien au niveau des territoires que doit se construire la réponse à ces besoins. Nous avions, tout comme nos collègues du groupe communiste, que je salue, insisté sur ce point lors du débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants, organisé sur leur initiative au mois d'octobre dernier.

Néanmoins, la réforme du numerus apertus n'est qu'une mesure de long terme, laquelle ne produira ses effets sur la démographie médicale, nous le savons bien, que dans une dizaine d'années. Elle ne permettra donc pas de faire face aux années difficiles que nous allons encore traverser d'ici à 2030-2032, lesquelles appellent des mesures d'urgence.

Pour former plus de professionnels de santé, vous proposez à l'article 1er de prioriser les besoins de santé du territoire en fonction des capacités de formation pour déterminer les objectifs de passage en deuxième cycle. Notons que cette disposition a été satisfaite dans la loi Valletoux (loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels), que nous avons adoptée en 2023.

Sur le fond, nous sommes favorables à ce que les universités adaptent leurs capacités d'accueil aux besoins de santé du territoire et non l'inverse. J'ai, avec mes collègues du groupe socialiste, déposé un amendement en ce sens. Néanmoins, ne nous faisons pas d'illusions : les universités ne pourront pas former plus d'étudiants, comme on le leur demandera, si leurs capacités d'accueil réelles ne le leur permettent pas, sauf à dégrader la qualité des enseignements.

Pour former davantage de professionnels de santé, il ne suffit pas de passer du numerus clausus au numerus apertus. Il faut surtout donner aux universités les moyens d'accroître leurs capacités de formation : des moyens financiers, certes, mais aussi humains, en particulier des enseignants, et ce dès le premier cycle.

En médecine générale, la pénurie d'enseignants est particulièrement critique. Ainsi, selon le syndicat MG France, en octobre 2024, on comptait un enseignant de médecine générale pour quatre-vingt-deux étudiants, contre environ un sur dix dans la plupart des autres spécialités. À Toulouse, dans le département dont je suis élue, on compte sept enseignants titulaires pour cinq cents internes de médecine générale. Comment peut-on imaginer former correctement les futurs médecins généralistes dans de telles conditions ?

Former plus de professionnels de santé nécessitera aussi d'augmenter le nombre de maîtres de stage universitaires. Les syndicats d'étudiants nous alertent depuis plusieurs mois sur le manque criant de maîtres de stage, même s'il y en a 14 000, pour encadrer les docteurs juniors pendant leur quatrième année d'internat.

Alors que cette quatrième année est largement attendue afin de remédier rapidement aux difficultés d'accès aux soins, le texte que nous examinons ne prévoit rien pour augmenter les effectifs de maîtres de stage et rendre ce statut plus attractif – même si des avancées ont été faites il y a quelques jours s'agissant de la reconnaissance de leurs besoins.

Le fait de permettre aux maisons de santé pluriprofessionnelles de bénéficier du statut de maître de stage nous paraissait intéressant. Cette mesure aurait pu constituer une avancée : elle aurait permis de favoriser l'exercice pluriprofessionnel et de déployer les docteurs juniors là où les besoins sont les plus pressants.

Enfin, il faudrait aller plus loin que le numerus apertus, en préparant aux études de santé dès le lycée. D'après la Cour des comptes, dans un rapport publié en 2025, 62 % des étudiants ayant intégré une filière de médecine, de maïeutique, d'odontologie ou de pharmacie ont eu recours à une préparation privée.

Pour reprendre les mots de la Cour, « l'inscription dans un établissement d'enseignement privé ne peut devenir une condition nécessaire » d'accès à ces filières. L'absence du secteur public est une atteinte au principe d'égalité des chances, ceux qui n'ont pas les moyens de recourir au privé et ceux qui les ont n'ayant pas les mêmes chances.

Pourtant des contre-modèles existent : en Occitanie, dix-sept établissements des académies de Toulouse et de Montpellier proposent déjà une option santé en classe de première et de terminale. Ces initiatives sont soutenues par les rectorats et ces enseignements sont fortement demandés.

En 2023, nous avions voté dans la loi Valletoux une expérimentation de ces options dans trois académies. Il faut s'appuyer sur ce modèle pour faciliter le passage du lycée vers les études de santé, non seulement les études de médecine, mais aussi les études pour devenir infirmière ou aide-soignante, afin de lutter contre l'autocensure et diversifier le recrutement dans les filières médicales. En effet, nous le savons bien, la diversification du recrutement est un levier essentiel pour améliorer l'accès aux soins.

L'article 2 prévoit de faciliter le retour des étudiants français actuellement inscrits en médecine dans un pays de l'Union européenne. J'ai rencontré, en Roumanie et en Espagne, certains de ces étudiants. Ils m'ont dit les difficultés, notamment administratives, auxquelles ils font face pour finir leurs études en France.

L'objectif de faciliter leur réintégration est donc pertinent. Toutefois, m'ont aussi été signalés des obstacles pour se connecter aux plateformes de préparation des épreuves dématérialisées nationales. Ainsi, plutôt que de critiquer la qualité de la formation, peut-être vaut-il mieux considérer que ce sont ces difficultés d'accès qui expliquent les faibles résultats à ces épreuves, soulignés par notre rapporteur. Il existe sans doute ici des solutions à trouver, notamment au niveau réglementaire.

Enfin, l'article 3 prévoit la création de passerelles universitaires. En effet, force est de constater que le dispositif actuel est peu efficace et faiblement attractif : en 2023, les professionnels paramédicaux ne représentaient qu'un quart des effectifs de ces passerelles, qui agrègent des profils variés.

Il y a donc nécessité d'agir pour améliorer ces dispositifs et faciliter la reprise d'études des professionnels paramédicaux, via un accompagnement renforcé. Il faudrait néanmoins que cet accompagnement se prolonge aussi sur le plan financier. En effet, comme le note le rapporteur de la commission des affaires sociales, les professionnels qui souhaitent se reconvertir font face à d'importants obstacles pécuniaires, qui peuvent les amener à renoncer à leur projet.

Nous ne pouvons donc que regretter que le cadre de cette proposition de loi ne permette pas d'aborder cet enjeu central. Comment les professionnels paramédicaux pourront-ils se financer pendant les six à huit années que durera leur reprise d'études ? Rien dans le texte ne le précise. Pourtant, c'est surtout sur ce point que se joueront l'avenir et l'efficacité de ce dispositif de passerelles.

Pour conclure, si le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrette la faible portée de cette proposition de loi, nous considérons que celle-ci comporte quelques mesures de bon sens, en particulier en ce qui concerne l'implication des élus territoriaux dans le pilotage des études de santé. Nous voterons donc pour son adoption, tout en étant vigilants sur les mesures budgétaires, en particulier pour l'université, qu'il faudra adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an et demi : c'est le temps qu'il aura fallu à cette proposition de loi pour que nous puissions l'examiner, après son adoption à l'Assemblée nationale. C'est trop long alors que, malheureusement, le texte est toujours et cruellement d'actualité.

En effet, l'accès aux soins est encore indiscutablement défaillant dans notre pays. Ainsi, 6,7 millions de Français n'ont pas de médecin traitant et une part importante du territoire est classée comme désert médical. C'est le fruit non pas du hasard, mais bien de mauvais choix en matière de politique de santé et d'une tentative de rattrapage trop tardive ne donnant pas encore de résultat.

En effet, instauré en 1971, le numerus clausus, destiné à réguler les dépenses de santé, a longtemps limité le nombre de médecins formés. Ce choix semblait, à l'époque, préférable à celui d'une réduction des niveaux de remboursement. Le numerus clausus n'a ensuite cessé de diminuer, le nombre de médecins formés passant de 9 000 au milieu des années 1970 à 4 000 durant les années 1990.

Or ces décisions ont été prises au mépris de prévisions qui mettaient déjà en évidence le vieillissement de la population, mais aussi celui des médecins en exercice. Ainsi, aujourd'hui, la moitié des médecins généralistes a plus de 60 ans. Cela est d'autant plus significatif qu'un médecin d'hier n'est pas un médecin d'aujourd'hui : il faut 2,3 nouveaux médecins pour compenser un départ, tant les attentes professionnelles ont changé.

Le numerus clausus a ensuite été régulièrement augmenté par les gouvernements successifs, avant d'être supprimé en 2019, remplacé par un numerus apertus. Cependant, cette réforme reste conditionnée aux capacités de formation, fixées par les facultés de médecine elles-mêmes, et ses effets ne se feront pas sentir avant 2030.

Face à cette réalité, la proposition de loi permet d'avancer sur trois pistes.

Tout d'abord, le texte instaure un véritable numerus apertus en fixant le nombre de places prioritairement en fonction des besoins du territoire, et non plus uniquement au regard des moyens disponibles. Le dispositif respecte d'ailleurs la place des élus locaux et leur parfaite connaissance de leur environnement, puisqu'est soumise à leur avis la définition des objectifs en termes de formation.

Bien sûr, dans la mise en œuvre, il faudra que les universités de médecine soient accompagnées, afin d'avoir les moyens d'augmenter leur nombre de places. Par ailleurs, des outils existent, comme les cours en visioconférence, qui peuvent être développés. Laissons aux universités la liberté d'innover en fonction de la réalité de leur situation.

En prévoyant d'augmenter le nombre de médecins formés, l'article 1er apporte donc une première réponse au problème de la pénurie, complément indispensable aux mesures de régulation à l'installation que nous avons adoptées il y a peu. En effet, pour répartir correctement les médecins sur le territoire, encore faut-il qu'ils soient suffisamment nombreux.

Le texte traite également d'un phénomène préoccupant : le départ d'étudiants vers d'autres pays européens pour contourner la sélection à l'entrée des études de médecine.

Aujourd'hui, ces étudiants peuvent réintégrer le cursus français lors du passage au troisième cycle, mais cette passerelle reste marginale, avec un taux de réussite très faible. Elle reflète un écart de niveau de formation que nous ne pouvons ignorer.

La proposition de loi tend donc à définir les conditions permettant de réintégrer le cursus français avant le troisième cycle. Il s'agit de limiter la fuite et d'assurer la qualité de la formation de ces étudiants. Afin d'éviter tout contournement, le dispositif ne sera pas applicable aux étudiants inscrits à l'étranger après l'entrée en vigueur de la loi.

Enfin, le texte améliore le dispositif des passerelles vers les études de médecine, notamment pour les étudiants des filières paramédicales. En effet, aujourd'hui, ces derniers ne représentent que 25 % des admissions par cette voie, alors qu'ils disposent déjà de solides acquis et compétences cliniques et constituent un vivier essentiel.

Cette proposition de loi n'a pas pour objet de tout régler. Cependant, elle porte sur trois problèmes précis et y apporte trois réponses concrètes, cohérentes et réalistes. Notre groupe Les Indépendants la votera donc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Bonneau applaudit également.)

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je salue le travail réalisé, en tant que rapporteur de ce texte, par notre ami et collègue Khalifé Khalifé, auquel je pense tout particulièrement.

Monsieur le ministre, votre proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation a ce point commun, que sont les territoires, avec la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires. Bien évidemment, cette approche territoriale nous parle, ici, au Sénat. Prendre en compte les besoins de santé territoriaux et augmenter le nombre d'étudiants recrutés sont des objectifs indiscutables, qu'il convient d'atteindre collectivement.

Faciliter la réintégration au cursus de formation français des étudiants partis suivre des études de médecine en Europe et développer les passerelles vers les études de médecine pour les professionnels paramédicaux en reconversion sont également des propositions pertinentes.

Même si la mission d'information de la commission des affaires sociales sur la formation n'a pas encore rendu ses conclusions, le rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé, publié au mois de décembre 2024 et qui a déclenché nos travaux, nous a tous interpellés.

Ce document met en exergue les défaillances de la réforme de l'accès aux études de médecine supprimant la première année commune aux études de santé (Paces) et le numerus clausus à partir de la rentrée universitaire 2020. Il y est également déploré le fait que la répartition géographique des places en médecine se révèle inégale entre régions et, plus encore, entre universités, sans qu'une logique de rattrapage de ces différences soit pleinement prise en compte.

Le rapport, toujours, constate que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) n'est pas assez armé pour remplir ses missions. En effet, la Cour note que, à la suite de la loi de 2019, le remplacement du numerus clausus par un nouveau système de concertation régionale et nationale, censé faire remonter les souhaits des territoires et les besoins et capacités de formation, est insatisfaisant.

Quant à la réforme Pass-LAS, reconnaissons que sa mise en œuvre a été entravée par plusieurs obstacles, notamment la crise sanitaire, un calendrier serré et la diversité des modèles adoptés par les universités. En effet, certaines de ces dernières ont fait le choix du « tout LAS », suscitant parfois l'incompréhension des étudiants et de leurs familles.

Bien que les critères de détermination des effectifs à former aient évolué, permettant une augmentation du nombre d'admis, cette hausse reste insuffisante pour répondre pleinement aux besoins en santé. Il est urgent de revenir sur la réforme.

Si la fin du numerus clausus a été une condition nécessaire pour mieux répondre aux besoins de santé, elle n'est évidemment pas suffisante – nous sommes un certain nombre à l'avoir dit. Quant à la mise en œuvre d'un numerus apertus sans augmentation ni des capacités d'accueil des facultés ni du nombre de lieux de stage, nous savions que les effets d'une telle réforme seraient limités. La suppression du numerus apertus est donc bienvenue.

Ainsi, si nous souscrivons aux dispositions contenues dans votre proposition de loi, monsieur le ministre, d'autres mesures doivent être envisagées très rapidement. Je mentionnerai celles au sujet desquelles vous avez déjà été interpellé.

Parmi les pistes d'évolution, nous pourrions vous proposer de revenir rapidement sur la réforme PASS-LAS en ce qui concerne la première année d'études de santé. Peut-être pourrait-on expérimenter parallèlement l'inscription directe en première année de pharmacie pour les étudiants qui souhaiteraient le faire sans passer par la première année en santé.

Permettre l'inscription directe des étudiants en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), sans passer par Parcoursup, est également une possibilité ; ce sujet avait été abordé lors de l'examen de la proposition de loi sur la profession d'infirmier.

Une autre option est de créer le statut de maître de stage universitaire pour les pharmaciens d'officine dans le cadre de la réforme du troisième cycle, attendue depuis longtemps.

Bref, les idées ne manquent pas. Nous en reparlerons dans quelque temps.

L'enjeu de la formation, concernant les médecins et les professionnels de santé, est essentiel. Nous n'améliorons pas l'accès aux soins sans eux.

Enfin, je tiens à vous saluer, monsieur le ministre, vous qui avez été à l'initiative de ce texte lorsque vous étiez sur les bancs du Palais Bourbon. Je loue votre engagement à défendre le système de santé. Vous connaissez les sujets de l'intérieur, et c'est bien cela qui explique vos propositions de mesures concrètes. Ce texte, je l'espère, sera de nature à panser les fractures territoriales d'accès aux études de santé, comme vous l'avez évoqué.

Pour ces raisons, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ce texte en souhaitant qu'il fasse l'objet d'une adoption conforme, en raison de la pertinence des mesures qu'il contient.

Si ces dernières ne peuvent résoudre l'ensemble des problèmes relatifs à la formation de plus de médecins et à l'amélioration de l'accès aux soins sur le territoire, elles apportent néanmoins des solutions concrètes et pragmatiques à la situation d'urgence que nous vivons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval.

M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines après l'adoption par le Sénat de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, nous voici à nouveau réunis, cette fois-ci pour l'examen d'un texte de notre ancien collègue député, devenu ministre, consacré à la formation des professionnels de santé.

Le sujet nous est familier : le rapporteur a cité la mission d'information conduite par la commission des affaires sociales, qui remettra prochainement ses conclusions. Celles-ci s'appuieront notamment sur l'éclairant rapport que la Cour des comptes a consacré, en décembre dernier, à l'accès aux études de santé.

Par ailleurs, les initiatives parlementaires n'ont pas manqué depuis la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, laquelle a rénové en profondeur l'accès aux études de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique.

On peut ainsi citer la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, ou encore la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels. Ces textes ont ouvert la voie à des avancées importantes en matière d'accès aux soins dans les territoires, pour tenir compte d'une démographie médicale insuffisante.

Les chiffres, nous les connaissons : 6 millions de personnes sont sans médecin traitant ; 87 % du territoire est classé comme désert médical ; un tiers des Français y vivent.

Plus grave encore est le phénomène de renoncement aux soins : 1,6 million de personnes seraient concernées dans notre pays, ce qui est une situation dont nous ne pouvons nous satisfaire.

La loi du 24 juillet 2019, traduction de l'ambition du plan Ma santé 2022, a permis de supprimer le numerus clausus, qui déterminait, depuis les années 1970, le nombre d'étudiants admis en deuxième année de premier cycle. Cette mesure, attendue de longue date, a permis d'accroître les capacités d'accueil des filières de médecine, de maïeutique, d'odontologie et de pharmacie.

Ainsi, depuis 2017, le nombre d'étudiants admis chaque année dans ces quatre filières de santé a augmenté de 11 %, notamment de 18 % en médecine. Ces chiffres doivent toutefois être pris pour ce qu'ils sont : une moyenne. Ils masquent, en effet, de grandes inégalités entre les territoires, les universités et les filières.

Le numerus apertus, qui s'est substitué au numerus clausus en 2019, permet aux universités de fixer elles-mêmes leurs capacités d'accueil en deuxième et en troisième année du premier cycle d'études. Ces capacités sont déterminées au regard d'objectifs nationaux pluriannuels établis par l'État et des objectifs d'admission propres à l'établissement, déterminés sur avis conforme des ARS.

Ce dispositif demeure cependant trop restrictif si l'on considère les besoins exprimés dans les territoires. Cette proposition de loi, que vous avez défendue en décembre 2023 à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vise donc à en amplifier la portée.

L'article 1er tend ainsi à adapter le numerus apertus en permettant aux ARS et aux conseils territoriaux de santé, c'est-à-dire, en partie, aux élus, d'appeler une université à accroître ses capacités d'accueil. Il prévoit ainsi la primauté des besoins de santé du territoire sur les capacités d'accueil des universités. Nous en saluons l'esprit, bien que cet article pose la question des possibilités effectives de formation des universités.

La même interrogation est soulevée à la lecture de l'article 2, qui crée une procédure d'intégration en faculté de médecine des étudiants français inscrits dans un autre pays européen. Ils le sont principalement en Roumanie, en Belgique et en Espagne. Cette mesure, heureusement temporaire et dont on mesure mal le nombre de personnes qu'elle concernera, devra être suffisamment cadrée. Elle ne peut représenter qu'une solution de court terme. Prenons garde aux conséquences que pourrait avoir cette disposition au regard du principe d'égalité de traitement avec les étudiants engagés dans un cursus universitaire en France.

Enfin, je souhaite dire quelques mots, monsieur le ministre, de la situation des étudiants en Martinique. Les travaux de la faculté de médecine ne sont toujours pas terminés : depuis trois ans déjà, les étudiants de deuxième et de troisième année de médecine sont contraints de poursuivre leur cursus en Guadeloupe, faute de locaux pour les accueillir. Il n'est pas certain que la faculté puisse ouvrir à la rentrée universitaire prochaine. Les conséquences financières sont, vous pouvez le deviner, lourdes pour ces étudiants.

Améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, c'est donc aussi répondre à des besoins très concrets. Dans mon territoire, la Martinique, cela passe par la livraison des infrastructures les plus élémentaires.

Notre groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants s'associe à la volonté de la commission de permettre l'entrée en vigueur rapide du texte et votera, en conséquence, sans chercher à la modifier, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fracture sanitaire qui frappe notre pays ne cesse de nous faire nous interroger sur notre capacité à garantir l'accès aux soins pour tous, principe pourtant fondateur de notre modèle social.

La proposition de loi que nous examinons s'inscrit dans une longue série d'initiatives parlementaires et gouvernementales. Toutes poursuivent le même objectif : répondre aux difficultés d'accès aux soins de millions de nos concitoyens.

Ce problème est profond. Il s'étend, se généralise et mine la confiance dans notre système de santé. Les chiffres sont connus : 30 % des Français vivent dans un désert médical et 6 millions d'entre eux n'ont pas de médecin traitant. Cette réalité, nous la connaissons tous, nous la vivons au quotidien. En Nouvelle-Aquitaine, le Lot-et-Garonne est le deuxième département le plus touché par les déserts médicaux. Ainsi, entre 2008 et 2024, le nombre de généralistes y a chuté de 293 à 208, dont 68 continuent d'exercer alors qu'ils ont atteint l'âge de la retraite.

C'est pourquoi ce texte va dans le bon sens. Qu'y est-il proposé ?

Tout d'abord, il s'agit de mieux articuler la formation des professionnels de santé avec les besoins exprimés localement. En effet, pendant trop longtemps, ces formations ont été définies selon les seules contraintes universitaires, sans lien réel avec les besoins démographiques et sanitaires des territoires.

Sur ce point, l'ambition est claire : réintroduire du dialogue entre universités et territoires, renforcer le rôle des conseils territoriaux de santé et inciter les facultés à ouvrir davantage de places là où les besoins sont les plus criants.

Ensuite, nous nous réjouissons de la volonté de faciliter le retour en France des étudiants partis se former à la médecine dans un autre pays européen. Le nombre de ces départs est loin d'être anecdotique : ainsi, chaque année, 1 600 jeunes Français quittent notre pays pour étudier en Espagne, en Roumanie, en Belgique ou ailleurs. En cause : une forte sélectivité de l'accès au premier cycle des études de médecine.

Certes, le retour de ces étudiants est déjà possible, mais il est difficile et tardif. Seuls 8 % des étudiants formés à l'étranger réussissent à intégrer le troisième cycle de médecine. Permettre une réintégration précoce, avant l'internat, pour faciliter l'ancrage dans le système de formation français est donc une mesure pragmatique.

Nous saluons également la volonté de développer les passerelles pour les professionnels paramédicaux qui souhaitent reprendre des études de médecine. Ce dispositif existe, mais reste peu utilisé. Là encore, il s'agit d'une démarche pragmatique, que nous soutenons pleinement.

Mes chers collègues, notre soutien à ce texte ne doit toutefois pas nous empêcher d'exprimer deux menues réserves.

La première tient à la volonté d'une adoption conforme, justifiée par la nécessité d'une entrée en vigueur rapide. Je précise qu'elle aurait lieu, tout de même, un an et demi après l'adoption du texte par l'Assemblée nationale !

Nous regrettons ce choix, d'autant plus que notre groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a déposé un amendement qui, ne remettant nullement en cause l'économie générale du texte, permettrait de compléter son dispositif.

Il est inspiré d'une proposition de loi transpartisane adoptée par l'Assemblée nationale, sur l'initiative de Guillaume Garot. Celle-ci tend à obliger les unités de formation et de recherche de médecine à offrir, dans chaque département et en particulier dans les zones sous-dotées, des formations équivalentes à la première année d'études de santé. Créer des antennes universitaires dans les territoires en tension, c'est encourager les jeunes à s'installer dans ces derniers.

Notre second regret est plus général. Il tient à l'accumulation de textes, tous issus de bonnes intentions mais dont les effets restent limités. Depuis plusieurs années, nous légiférons régulièrement pour lutter contre les déserts médicaux. Pourtant, sur le terrain, les tensions persistent, les difficultés s'aggravent, et les inégalités d'accès aux soins se creusent.

Monsieur le ministre, nos concitoyens réclament une réforme d'ampleur, structurelle et ambitieuse. Toujours est-il que nous nous réjouissons de l'examen de ce texte. Notre groupe le votera à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à saluer le travail accompli par Yannick Neuder, qui est à la fois l'auteur du texte, le rapporteur en première lecture à l'Assemblée nationale et, désormais, le ministre chargé de ce sujet, ainsi que celui de notre rapporteur, Khalifé Khalifé, dont l'analyse éclaire utilement nos débats.

La proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation s'inscrit pleinement dans la continuité des combats que nous menons depuis longtemps pour garantir l'égalité d'accès aux soins, assurer la solidarité territoriale et renforcer la cohérence de notre politique de formation en santé.

Nous faisons face à une fracture sanitaire majeure. Partout, les déserts médicaux s'étendent. La pénurie de généralistes, de spécialistes, de dentistes, de kinésithérapeutes, de pharmaciens, d'infirmiers ou encore de sages-femmes mine le droit fondamental à la santé, fragilise nos services publics, décourage l'installation et affaiblit la cohésion nationale.

La réforme de 2019, qui a marqué la fin du numerus clausus, a fait naître de grands espoirs. Cependant, le numerus apertus, qui lui a succédé, ne tient pas ses promesses – il faut bien le reconnaître. Sa gouvernance reste déconnectée des réalités des territoires, dont les besoins ne sont pas homogènes. Le dispositif ne permet pas de rétablir l'équilibre entre le besoin de temps médical d'une population vieillissante et l'offre que propose une jeune génération de soignants, dont le mode de vie n'est pas celui de la précédente.

En zone rurale, plus particulièrement, on en paie chaque jour le prix : patients en errance, fermetures de cabinets, transports médicaux au temps de trajet interminable et plus coûteux, diminution de l'attractivité et de l'activité économique et, surtout, pertes de chances avérées.

C'est dans ce contexte que cette proposition de loi intervient, avec pour objet de réorienter l'offre de formation en santé vers une logique profondément territoriale, moins comptable, moins descendante et plus efficiente.

Deux leviers sont au cœur du texte : augmenter les capacités de formation et adapter leur répartition aux besoins des territoires. Enfin !

Face à une demande vitale qui se fait chaque jour plus pressante, ne cherchons plus les responsabilités, n'affichons pas la contrainte comme seule solution, alors qu'elle ne règle rien. Au contraire, desserrons, enfin, le collet de la formation, ce carcan devenu incompréhensible. Actionnons vraiment le levier d'une formation anticipée et bien calibrée.

L'article 1er autorise les ARS et les conseils territoriaux de santé à demander une hausse des capacités de recrutement quand les objectifs pluriannuels ne sont pas atteints. Il impose que ces derniers garantissent une répartition optimale des professionnels sur le territoire, sous réserve d'un avis conforme des CTS.

C'est une rupture : on sort enfin d'une gestion purement technocratique. Les élus locaux, les professionnels, les acteurs de terrain entrent dans la boucle. Ce sont eux qui pointeront les tensions, les manques et les urgences. Il y a là une forme de démocratie sanitaire territoriale, que nous soutenons avec conviction.

À ce stade, je souligne qu'une meilleure répartition territoriale passe par le recrutement des étudiants en santé, y compris dans les territoires les plus ruraux, où ils retourneront d'autant plus volontiers qu'ils en seront originaires. Voilà ce qu'est la territorialisation de la formation.

Je sais, monsieur le ministre, que vous faites la même analyse et que le brillant exemple du campus connecté de Nevers, qui a permis à de nouvelles cohortes d'étudiants ruraux d'entamer leur cursus, a été remarqué. Ce dispositif doit être répliqué et généralisé. Surtout, je profite de l'occasion pour préciser qu'un tel campus doit voir ses crédits pérennisés – j'y insiste !

Nos tristement célèbres déserts médicaux sont sans nul doute, comme nous pouvons le constater avec le recul, des déserts de formation.

Ainsi, le dispositif de cette proposition de loi est structurant. Il encourage les universités à avoir une dynamique pérenne, à adapter les pédagogies, les stages et les internats et à nouer des partenariats en dehors des grands pôles urbains. Il reste à s'assurer que les moyens humains seront à la hauteur de cette ambition. Je crains que, au contraire, les effectifs des professeurs de médecine et des encadrants de formation n'aillent décroissant. Il faut renforcer l'attractivité de ces postes : c'est une condition essentielle du succès de la démarche.

Cette proposition de loi est bien à la croisée des missions de deux ministères, ceux de la santé et de l'enseignement supérieur, sur un sujet essentiel : celui des étudiants en santé partis se former à l'étranger.

Ainsi, chaque année, environ 1 600 étudiants français franchissent les frontières et se rendent en Espagne, en Roumanie ou en Belgique, faute de places pour eux en France. Mais très peu d'entre eux parviennent à réintégrer le système français. Les barrières sont nombreuses : équivalences floues, diplômes mal reconnus, ou encore parcours non harmonisés.

Certains États saisissent cette opportunité de leur faire des offres intéressantes, car les soignants ne manquent pas qu'en France. Et c'est ainsi que, partis de notre pays, ayant étudié en Roumanie, d'aucuns finissent par s'installer en Allemagne, où on leur tend les bras.

Le texte tend à simplifier leur retour, soit au cours de leur formation, soit après leur diplôme. Ces étudiants sont souvent motivés, parfois déjà en exercice et, pour certains, ont de fortes attaches territoriales. Si nous avons la volonté de les y encourager, ils pourront rapidement renforcer l'offre de soins. Leur orientation vers des territoires sous-dotés pourra faire l'objet d'une forme de négociation, à mener aussi rapidement que possible. Une fois de plus, je dis : enfin !

Au travers de ce texte, nous ouvrons aussi les portes à d'autres profils.

Soignants de toutes filières ou personnes en reconversion : tous doivent pouvoir accéder aux études de santé grâce à la valorisation de leur expérience. Cet assouplissement bienvenu permettra d'intégrer de nouveaux profils sociaux et géographiques.

Mais une telle ambition exige, bien évidemment, des moyens concrets.

Territorialiser, cela veut dire adapter les contenus pédagogiques aux spécificités locales : médecine rurale, télémédecine, ou encore santé communautaire.

Cela veut dire créer des pôles de recherche sur la santé locale, favoriser le travail pluridisciplinaire et renforcer les partenariats entre filières.

Cela veut dire, encore, susciter des vocations, les soutenir et les encourager, partout en France et pas seulement dans les villes universitaires.

Cela suppose, dernièrement, une évaluation rigoureuse, basée sur des indicateurs précis et utiles. Il s'agit de connaître enfin le pourcentage d'étudiants en santé issus de zones rurales ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE), le taux de réintégration d'étudiants français formés à l'étranger, ou encore la proportion d'installations post-stage en zones sous-dotées. Une évaluation quinquennale permettrait d'ajuster les quotas et d'améliorer l'efficacité du dispositif.

Mes chers collègues, ce texte est clair, courageux et nécessaire. Il trace un lien essentiel entre vocation, formation, orientation, répartition et installation. Le groupe Union Centriste le votera avec détermination, mais aussi avec exigence. La territorialisation doit se traduire par des moyens différenciés, une gouvernance partagée et une évaluation continue.

Ce texte donne un cap : celui de soutenir et encourager les parcours professionnels en santé et de favoriser leur aboutissement, au bénéfice de tous les patients du territoire national.

Ce texte tend à remédier à des déficits désormais chroniques, incontestables et insupportables. Il le fait en activant le seul levier réellement efficace : celui de la formation. Ce travail devra être mené avec tous, étudiants et formateurs, dans l'écoute et le soutien réciproque et dans le respect des limites et des besoins de chacun des acteurs de ce chantier devenu vital.

Ce texte pourra, si nous le votons collectivement aujourd'hui, apporter de premières perspectives à court terme. En effet, plus personne – ni nous, ni vous, ni Bercy – ne peut plus décemment demander aux patients, une fois de plus, d'attendre encore dix ans. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Laurent Burgoa et Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Patricia Demas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte maintes fois évoqué dans cet hémicycle de l'évolution incontournable de notre système de santé, la mise en place d'un numerus apertus territorialisé illustre parfaitement notre rôle de dirigeants politiques.

Les Français nous délèguent la responsabilité de dessiner le futur de leur bien-être commun. Les dispositions de la réforme des études de médecine, au même titre que la proposition de loi de Philippe Mouiller et les objectifs du pacte gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux, montrent qu'il est possible de corriger le tir.

Je salue votre volonté, monsieur le ministre, celle du Gouvernement, ainsi que l'implication du Sénat.

En 2024, pour la première fois, le nombre d'étudiants en médecine formés en France a cessé de baisser. Néanmoins, une décennie sera encore nécessaire pour rééquilibrer le système.

Pour maintenir le cap, les universités devront accueillir plus d'étudiants. J'insiste sur la nécessité d'accorder une large autonomie aux unités de formation et de recherche (UFR) et aux centres hospitaliers dans la gestion de leurs ressources existantes.

L'intitulé du présent texte comporte le terme de « territorialisation ». L'intégration des spécificités locales dans la détermination du mode de calcul du nombre de médecins à former selon les territoires – et, au-delà, de l'ensemble des professionnels de santé – constitue un sujet majeur.

Actuellement, ce calcul se base sur le nombre de professionnels de santé inscrits aux ordres, sans véritablement prendre en compte les réalités locales.

Les statistiques et les répartitions se font à l'échelle de la commune, ce qui, pour des villes d'importance, laisse de côté les disparités infracommunales et peut se révéler contre-productif.

Plus que la territorialisation, le calibrage des zones de maillage des territoires pose question. Nous devons agir sur le nombre de professionnels formés, notamment les internes, et le type de formation.

Le bon sens nous oblige à reconnaître qu'il est pertinent d'augmenter le nombre de médecins formés là où le taux de médicalisation est élevé. Pour autant, anticiper l'exercice avec un maximum de réalisme invite à une évolution de la méthode d'estimation des besoins, en intégrant plusieurs indicateurs, comme l'âge moyen des médecins en exercice, les perspectives de départ en retraite, ou leur type d'activité.

Il serait également souhaitable d'évaluer les conséquences du manque d'internes formés sur le fonctionnement des hôpitaux. À cet égard, j'attire votre bienveillante attention, monsieur le ministre, sur le cas particulier de la ville de Nice. Alors qu'elle est la cinquième ville de France, elle se trouve à la vingt-sixième position en ce qui concerne le nombre d'internes formés.

L'évaluation des besoins, on le comprend bien, pose problème. D'une part, on observe un phénomène de concentration des internes dans certains hôpitaux ; d'autre part, trop peu de spécialistes sont formés sur place, ce qui oblige à recourir à du personnel faisant fonction d'interne ou à des consultations transfrontalières plus coûteuses.

Enfin, nous devons veiller à ce que les étudiants ayant suivi une formation médicale hors de l'Union européenne respectent les standards de connaissances et de compétences nécessaires pour exercer en France. Une évaluation rigoureuse est attendue, surtout au moment où de nombreux étudiants se tournent vers l'étranger.

J'ai l'intime conviction que la territorialisation de notre système de santé doit être synonyme de décentralisation et s'appuyer à la fois sur l'expertise des élus locaux et la connaissance des acteurs de santé.

Monsieur le ministre, ce n'est qu'en reconnaissant cette autonomie locale que votre proposition de loi pourra déployer sa pleine et entière efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Sol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, déposée à l'Assemblée nationale en octobre 2023 par le député Yannick Neuder, qui est depuis devenu ministre, va dans le bon sens.

En effet, comme l'a rappelé le rapporteur, et je l'en remercie, ce texte répond en partie aux besoins de santé de nos territoires et vise à augmenter le nombre des étudiants dans les filières MMOP.

Compte tenu de la situation hétérogène et inédite à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés en matière d'accessibilité aux soins, la commission des affaires sociales de notre Haute Assemblée a adopté ce dispositif législatif sans modification.

Nous le savons, nos concitoyens attendent des réponses rapides à leurs préoccupations concernant l'accès aux soins. Aujourd'hui, un trop grand nombre d'entre eux ne bénéficient toujours pas d'une prise en charge convenable – 6,7 millions de Français, soit 11 % de la population, n'ont pas de médecin traitant –, ce qui représente chaque jour des pertes de chances et crée un climat anxiogène et délétère.

Premièrement, cette proposition de loi va améliorer la prise en compte des besoins de nos concitoyens, en permettant notamment aux agences régionales de santé et aux conseils territoriaux de santé de demander aux universités d'accroître leurs capacités d'accueil, si ces dernières s'écartent des objectifs pluriannuels.

Comme les besoins de chaque territoire sont différents, ce texte précise que les objectifs pluriannuels visent à garantir une répartition équitable et optimale des futurs professionnels de santé sur tout le territoire, avec un avis conforme des CTS. Cela devrait favoriser une plus grande implication des élus locaux, qui sont fortement sollicités.

Deuxièmement, le texte prévoit d'augmenter le nombre d'étudiants en filière MMOP en favorisant notamment le retour de ceux qui sont partis étudier dans d'autres pays d'Europe. Selon la Cour des comptes, 1 600 étudiants sont concernés chaque année : c'est assez significatif, vu le contexte de pénurie de professionnels de santé.

Cette situation devrait nous interroger davantage et nous inciter, éventuellement, à être plus offensifs sur le sujet.

Enfin, il est aussi question, au travers du même objectif d'adaptation du numerus apertus, de développer les passerelles vers les études de médecine pour les professionnels paramédicaux en reconversion et de favoriser la diversité des parcours.

C'est une mesure de bon sens, car trop d'obstacles existent à la reprise d'études, ce qui décourage un certain nombre d'étudiants pourtant motivés.

J'avais appelé de mes vœux une meilleure reconnaissance des Padhue. Aussi, je salue les avancées notables qui sont intervenues en ce domaine, grâce à la publication de deux décrets.

En 2024, 4 000 postes ont été ouverts dans notre pays pour les médecins détenteurs d'un diplôme étranger. Les nouvelles modalités d'accès semblent ainsi davantage clarifiées et simplifiées.

Je profite de mon temps de parole pour évoquer certains sujets fondamentaux.

La territorialisation de la formation et de la recherche, soit l'universitarisation territoriale, doit être prise à bras-le-corps, en l'expérimentant dans les départements volontaires, avant sa généralisation.

Dans le département dont je suis élu, les Pyrénées-Orientales, ce processus est sur le point d'arriver à maturité, sous l'impulsion du centre hospitalier de Perpignan et des équipes soignantes. Nous avons également pu compter sur l'appui de la doyenne de la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes et de l'ARS d'Occitanie.

Cette démarche semble être une voie d'avenir puisqu'elle attire les étudiants dans les départements sous-dotés, grâce à l'encadrement de spécialistes détachés par les CHU. Les étudiants peuvent ainsi prendre connaissance des atouts de ces territoires, qui paraissent plus attractifs.

Il est bien question de renforcer l'attractivité des territoires, mais aussi d'assurer une répartition harmonieuse des médecins sur ces derniers et de garantir l'égal accès aux soins.

Certains sujets semblent cependant en suspens, comme la diminution de la charge administrative pesant sur nos équipes médicales et paramédicales, l'éternel serpent de mer que constitue le dossier médical partagé (DMP), lequel devrait être utilisé depuis longtemps, ou encore la proposition de la Cour des comptes de supprimer le Pass-LAS pour revenir à une voie unique de formation.

Nous devrions profiter de l'opportunité que représente la discussion de ce texte pour nous interroger sur les milliers de praticiens partis exercer à l'étranger.

J'espère, monsieur le ministre, mes chers collègues, que tous ces éléments feront l'objet de propositions législatives ou réglementaires. (M. le ministre opine.) En attendant, cette proposition de loi apportera sa pierre à l'édifice ; nous la voterons donc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation

Chapitre Ier

Améliorer l'accueil et la formation des étudiants en santé par la transparence et la territorialisation des besoins

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Après l'article 1er

Article 1er

(Non modifié)

Le deuxième alinéa du I de l'article L. 631-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° (Supprimé)

1° bis La deuxième phrase est complétée par les mots : « afin de garantir la répartition optimale des futurs professionnels de santé sur le territoire au regard des besoins de santé » ;

2° La troisième phrase est ainsi modifiée :

a) Les mots : « capacités de formation et des besoins de santé du territoire » sont remplacés par les mots : « besoins de santé du territoire puis, à titre subsidiaire, des capacités de formation » ;

b) Après le mot : « conforme », sont insérés les mots : « des conseils territoriaux de santé concernés et » ;

3° Après la même troisième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les besoins de santé du territoire mentionnés à la troisième phrase sont déterminés notamment au regard des départs en retraite récents et des estimations des départs en retraite à venir des médecins exerçant sur ledit territoire. » ;

3° bis À la dernière phrase, après le mot : « territoriales », sont insérés les mots : « et sociales » ;

4° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Si l'agence régionale de santé ou les agences régionales de santé concernées et les conseils territoriaux de santé concernés considèrent que les capacités d'accueil des formations en deuxième et troisième années du premier cycle d'une université ne correspondent pas aux objectifs pluriannuels arrêtés par l'université, cette dernière peut être appelée à mettre en œuvre des mesures visant à accroître ses capacités d'accueil. Les modalités d'accroissement de ces capacités et d'information des conseils territoriaux de santé concernés et de l'agence régionale de santé ou des agences régionales de santé concernées relative aux mesures prises ou envisagées, notamment en matière de moyens financiers et humains dégagés notamment par l'État, sont précisées par décret. »

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 2

Après l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l'article L. 123-6 du code de l'éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En lien avec le ministre chargé de la santé, il promeut les études de médecine dans les lycées publics et privés sous contrat dans les zones mentionnées à l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Cet amendement vise à promouvoir les études de médecine dans les lycées publics et privés situés dans les déserts médicaux. De toute évidence, il est nécessaire de favoriser l'appétence des étudiants pour ce genre de formation dans les territoires sous-dotés en médecins. Selon nous, il y a là un enjeu de démocratisation des études de santé.

Une étude réalisée en 2021 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre que les facteurs personnels pèsent fortement dans les choix d'installation des médecins. Leur prise en compte est donc déterminante pour remédier aux difficultés d'accès aux soins dans les déserts médicaux.

De manière constante, l'ensemble des travaux de recherche révèlent que l'origine rurale d'un médecin est le facteur essentiel qui conduira à son installation en zone rurale.

Nous parviendrons à démocratiser les études de médecine en assurant leur promotion dans les territoires ruraux, dès le lycée.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendent, qui nous permettra de lutter contre le phénomène d'autocensure d'un certain nombre de jeunes issus des territoires ruraux, mais aussi des villes moyennes ou des milieux populaires, qui considèrent que les études de médecine leur sont culturellement interdites.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. La proposition de Mme Brulin est intéressante. Nous avons tout intérêt, aujourd'hui, à promouvoir les études de médecine dans l'ensemble des lycées, qu'ils soient situés en zone rurale ou urbaine, car l'attractivité demeure la question principale.

Nous constatons des difficultés à susciter l'intérêt des étudiants pour l'ensemble des filières de santé et pas seulement pour la médecine.

Toutefois, ma chère collègue, la mesure que vous proposez d'inscrire dans le texte relève de l'action du Gouvernement et ne nécessite pas une disposition législative. Néanmoins, votre amendement a le mérite de souligner l'importance du travail à accomplir en ce domaine.

La commission émet un avis défavorable, car elle souhaite que ce texte soit voté conforme. Cependant, nous vous remercions d'avoir évoqué ce sujet. Nous comptons sur le Gouvernement pour assurer la promotion des études de médecine dans une grande majorité des lycées.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je souscris pleinement à l'objectif de votre amendement, madame la sénatrice. Vous le savez, l'orientation est une compétence qui est confiée aux régions. Or nombre d'entre elles, en raison de leur engagement sur ces questions, mettent déjà en œuvre, notamment via leurs agences d'orientation, des dispositifs de sensibilisation aux études de santé dans de nombreux lycées, qui relèvent de leur compétence.

Je partage également votre souci de favoriser l'égalité sociale des chances. Vu les statistiques de la Drees, j'aurais dû faire partie des 3 % d'étudiants qui s'autocensurent ! (Mme Céline Brulin sourit.)

Cependant, pour les mêmes raisons que celles évoquées par le rapporteur, le Gouvernement vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. J'ai du mal à comprendre pourquoi notre amendement n° 7 sera examiné ultérieurement, alors qu'il va exactement dans le même sens que celui de Mme Brulin.

Je l'ai rappelé lors de la discussion générale, l'expérimentation qui a été mise en place grâce à la région Occitanie dans dix-sept lycées – soit huit dans l'ex-région Midi-Pyrénées et neuf à Montpellier – prouve qu'il existe, chaque année, une très forte demande des élèves de première et de terminale pour les filières de santé. Celles-ci permettent d'envisager des études de pharmacie et de médecine, mais aussi de devenir infirmier ou aide-soignant.

Cela tombe bien, car nous savons que le besoin en infirmiers et en aides-soignants est aussi criant que le besoin en médecins, compte tenu de l'augmentation des pathologies chroniques et du vieillissement de la population.

Je comprends la volonté de voter un texte conforme, mais le groupe socialiste insiste sur la nécessité d'orienter les jeunes vers les métiers de la santé avant la procédure de Parcoursup, surtout quand on connaît l'épreuve que celle-ci peut représenter.

De même, veillons à ce que la première année de médecine ne soit pas essentiellement « alimentée » par des étudiants venant des super-prépas de boîtes privées. En termes de réussite, dans le cadre du dispositif Pass-LAS, cette situation conduit à des inégalités criantes. D'où la nécessité d'inciter et d'aider les régions à mettre en place une formation équivalente à la première année d'études de santé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j'entends vos arguments. Toutefois, j'appelle votre attention, comme plusieurs intervenants l'ont fait, sur les besoins de rattrapage dans certaines régions.

Nous déplorons non seulement un nombre insuffisant de professionnels de santé formés, mais aussi l'existence de très grandes inégalités entre les régions. À cet égard, on peut saluer les initiatives qui ont été prises par ces dernières.

Je ne méconnais pas la compétence des régions en matière d'orientation, mais l'État doit aussi jouer son rôle d'aménageur du territoire et de correcteur des inégalités sociales et territoriales.

J'ai bien conscience que ces évolutions ne relèvent pas de votre seule responsabilité, monsieur le ministre. Comme nous parlons de la sensibilisation des élèves dans les lycées, le ministère de l'éducation nationale doit aussi être impliqué.

J'aimerais que vous preniez l'engagement de soutenir un effort national, qui doit être conjoint entre le ministère de la santé et le ministère de l'éducation nationale, afin de corriger des inégalités à la fois sociales et territoriales. Cette évolution est absolument fondamentale, vu la situation actuelle.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Madame Brulin, j'ignore le niveau d'engagement que vous attendez de ma part,…

Mme Céline Brulin. Un engagement total !

M. Yannick Neuder, ministre. …mais je partage vos attentes. Je peux déjà vous assurer que nous travaillons sur ce sujet : en témoigne le plan du Gouvernement relatif à la santé mentale, que la ministre de l'éducation nationale, Élisabeth Borne, et moi-même avons notamment présenté lors des assises de la santé scolaire.

Nous partageons le constat que de nombreux postes de médecins et d'infirmiers scolaires ne sont pas pourvus, alors que ces professionnels s'occupent justement de la santé des élèves des premier et second degré. Le ministère de l'éducation nationale veut conforter la médecine scolaire.

Parallèlement, nous souhaitons renforcer l'attractivité des filières de santé, afin de soulager ces métiers qui sont en tension, notamment dans le cadre scolaire. Ainsi, nous pourrons mettre en œuvre cette phase essentielle du plan relatif à la santé mentale, qui est le repérage, pour orienter les enfants, les adolescents et les étudiants détectés vers les filières de soins.

L'ensemble de ces engagements pourront être concrétisés dans le cadre du prochain budget. En attendant, nous devons nous doter des outils législatifs qui permettront de changer de paradigme et de bien définir nos besoins, en fonction des territoires.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Jouve, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Daubet, Fialaire, Gold, Grosvalet, Guiol, Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 632-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « de manière à garantir un accès de proximité sur l'ensemble du territoire national » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les unités de formation et de recherche en santé proposent dans chaque département des enseignements correspondant au moins à la première année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, en particulier dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins définies au 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Cet amendement vise à offrir dans chaque département, en particulier dans les zones sous-dotées en médecins, des formations équivalentes à la première année des études de médecine.

Toutes les études le démontrent : il existe une forte corrélation entre le lieu de formation initiale et le lieu d'exercice des médecins. Dès lors, créer des antennes universitaires en médecine dans les territoires en tension, c'est offrir aux jeunes la possibilité d'étudier près de chez eux.

C'est aussi lutter contre l'autocensure de ceux qui, faute de moyens ou d'accompagnement, n'osent pas s'engager dans des études longues et exigeantes.

Il s'agit, au fond, d'apporter une réponse structurelle concrète à la désertification médicale. Cette mesure contribuerait à rétablir une forme d'équité, celle qui permet à chaque jeune, où qu'il vive, d'avoir les mêmes perspectives d'avenir et à chaque territoire de retrouver l'espérance d'un égal accès aux soins.

Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 632-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « de manière à garantir un accès de proximité sur l'ensemble du territoire national » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les unités de formation et de recherche en santé proposent dans chaque département des enseignements correspondant au moins à la première année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, en particulier dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins au sens du 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Dans le même esprit que l'amendement précédent, notre amendement vise à intégrer davantage les territoires dans l'organisation des études médicales.

Il conviendrait de permettre à chaque département ou à chaque ville moyenne qui possède déjà une structure universitaire antenne de l'université métropolitaine, d'accueillir des étudiants en première année de Pass-LAS. Je ne reviendrai pas sur l'étude de la Drees qui établit le lien entre l'origine rurale du médecin et son installation future.

Dans mon territoire, nous avons plaidé pour l'ouverture d'une première année de Pass-LAS à Albi ou à Foix, deux communes qui possèdent déjà une antenne universitaire et des installations de qualité. Le doyen de l'UFR santé a donné son accord, mais nous nous heurtons toujours au refus de la présidente de l'université Toulouse-III-Paul Sabatier, laquelle dit attendre la réforme des études Pass-LAS.

Je m'étonne de son refus, sachant que le Premier ministre lui-même, dans son discours sur la territorialisation de la santé, appelait à la mise en place d'une première année de médecine à l'échelon local, au plus près des territoires. Tous les étudiants pourraient ainsi être accueillis, quelle que soit leur situation.

En outre, nous mettrions fin à l'autocensure et aux difficultés rencontrées par certains jeunes pour rejoindre, dès l'âge de 18 ans, la métropole la plus proche, depuis leur territoire rural.

Voilà pourquoi il me semble indispensable de voter cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Ces amendements soulèvent deux sujets, à commencer par la question du vote conforme.

Lorsque nous examinons un texte, nous avons tous la volonté de défendre des idées, ce qui est bien normal. Nous connaissons le contexte dans lequel l'Assemblée nationale et le Sénat délibèrent : en l'occurrence, nous avons l'occasion d'accélérer la discussion, ce que nous souhaitons tous, comme les orateurs l'ont dit à la tribune. Le vote d'un amendement entraînerait une deuxième lecture, sans que nous sachions où cela pourrait nous mener. C'est simplement une question de forme, et nous regrettons cette situation.

Sur le fond, je suis plutôt favorable à la mesure que vous proposez, mes chers collègues, le département dont je suis élu étant également confronté à ces problèmes. Je vous invite à lire le rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé. Celui-ci révèle que la qualité des formations dispensées dans les antennes départementales est très disparate.

Votre idée n'est pas mauvaise, mais sa mise en œuvre est complexe, notamment lorsqu'une université n'y est pas favorable. Reste que ce sujet mérite d'être traité.

Assurer la proximité des structures d'enseignement au plus proche de nos concitoyens est une bonne chose, car cela permet aux jeunes d'accéder plus facilement aux études de médecine.

En revanche, l'impact d'une telle mesure sur l'installation des médecins est discutable. En effet, un étudiant formé près de chez lui les deux premières années, mais qui poursuit ses études ailleurs pendant sept ou huit ans, ne reviendra pas nécessairement s'installer sur son territoire d'origine.

La commission des affaires sociales s'engage à travailler sur cette question, ainsi que sur un autre sujet important, celui de la régionalisation de l'internat. La probabilité qu'un étudiant en médecine s'installe dans sa région lorsqu'il y termine son cursus universitaire est extrêmement forte, même si rien ne le garantit.

Nous verrons comment nous pouvons faire évoluer les choses, en nous appuyant notamment sur le rapport précité de la Cour des comptes.

En attendant, la commission émet un avis défavorable, car nous devons voter ce texte en des termes conformes. Il n'empêche que nous soutenons ces amendements sur le fond, et que, je le redis, nous continuerons à travailler sur ces deux sujets : la première année et la régionalisation de l'internat.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Nous approuvons la mesure qui est proposée, laquelle figurait d'ailleurs dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux présenté par le Premier ministre. Elle permettrait de doter un maximum de départements d'unités de proximité dans les villes de taille moyenne, lorsqu'une antenne universitaire existe déjà.

Or, dans certains endroits, aucune antenne n'existe, si bien que les cours peuvent être entièrement dispensés par visioconférence. Il faut donc veiller à ne pas opposer les sujets.

Du reste, je remercie les sénateurs de comprendre pourquoi il est nécessaire de voter ce texte en des termes conformes, comme M. Jomier l'avait demandé lors de l'examen de sa proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

En tant que ministre, j'aurais souhaité que le Parlement précise sur un nombre de points, mais, dans le même temps, il était nécessaire de renforcer l'attractivité de l'hôpital pour les soignants et la qualité du service dispensé, en agissant sur les ratios de médecins par patient.

Je sais que le sujet que nous évoquons présentement vous tient à cœur, madame Poumirol, ainsi qu'au sénateur Jomier. Sachez que j'ai saisi la Haute Autorité de santé afin de définir les priorités pour les professionnels de santé et les secteurs d'activité.

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne révélerai aucun secret en vous disant que nous devons poursuivre notre travail en faveur de la psychiatrie, des soins palliatifs et de la gériatrie.

S'agissant des professions, nous les avions ciblées ensemble lors de nos débats, mais nous n'avions pas amendé le texte pour ne pas ralentir le processus : il s'agit des aides-soignants et des infirmiers.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir permis au texte de notre collègue Jomier d'avancer ; nous ne pouvons que nous en réjouir !

Je ne suis pas sûre que le constat dressé par la Cour des comptes soit tout à fait exact, monsieur le rapporteur. Les résultats sont assez disparates selon les universités. À Nevers, les résultats sont prometteurs, ce qui n'est peut-être pas le cas du Morbihan – je ne saurais d'ailleurs expliquer pourquoi. Bref, le bilan n'est pas tout à fait négatif.

J'ai suggéré d'installer les formations dans des villes qui disposent déjà d'une infrastructure universitaire. Il serait possible de mettre en place des cours en visioconférence. Pour en avoir discuté avec le doyen de la faculté de médecine de Toulouse, je peux vous assurer que, dès la première année, les amphithéâtres sont vides, car tous les étudiants suivent les cours en visioconférence !

Que l'on soit à Foix, à Albi ou à Toulouse, les conditions d'enseignement y sont quasiment identiques. La seule différence est que, à Toulouse, les étudiants peuvent se rendre dans des centres d'entraînement privés, lesquels les poussent à bachoter pour préparer leurs épreuves, ce qui les conduit à avoir de meilleurs résultats.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset, pour explication de vote.

M. Michel Masset. Je retire mon amendement, compte tenu des arguments qui ont été avancés par le rapporteur et le ministre. Je leur fais confiance et espère être associé prochainement aux travaux qui ont été annoncés.

Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.

Madame Poumirol, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?

Mme Émilienne Poumirol. Non, je le retire, madame la présidente. Je fais moi aussi confiance au rapporteur et au ministre. Encore une fois, ce sujet mérite d'être approfondi, mais je suis certaine que nous aurons l'occasion d'en rediscuter longuement en commission.

Mme la présidente. L'amendement n° 9 est retiré.

L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant la possibilité de créer une année préparatoire publique aux études de médecine s'adressant en priorité aux lycées implantés dans les zones mentionnées au 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Dans la même logique que les amendements précédents, celui-ci vise à instaurer une année préparatoire publique aux études de médecine pour les lycéens dont l'établissement est situé dans un désert médical.

Encore une fois, nous souhaitons soutenir l'entrée dans les études de santé de ceux qui en sont parfois le plus éloignés, pour différentes raisons.

Nous le savons, de multiples officines privées apportent un onéreux soutien à de nombreux étudiants. Instaurer un soutien public me paraît une piste à creuser pour agir en faveur d'une plus grande égalité entre les étudiants.

Si je n'ai guère d'illusions sur le devenir de cet amendement, demander un rapport était le seul moyen à ma disposition pour évoquer cette question.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Je vous remercie d'aborder ce sujet, qui est réel, ma chère collègue. Si nous voulons prendre le problème à bras-le-corps, il nous faut tenir compte de tous les freins, de toutes les difficultés, que rencontrent les étudiants pour déterminer les efforts à faire : communication dans les lycées, accompagnement à la préparation aux études, déploiement éventuel de formations dans les départements, régionalisation, etc. Il nous faut donc travailler à un bloc de mesures.

Je rappelle du reste que, à la suite du rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé, notre commission a confié à Véronique Guillotin, Corinne Imbert et Khalifé Khalifé une mission d'information, que je préside, sur la réforme de l'accès aux études de santé. Nous allons élargir nos travaux pour y inclure le sujet que vous pointez, madame la sénatrice, et adopter ainsi une vision globale.

S'agissant d'une demande de rapport, l'avis est défavorable sur votre amendement, mais je vous remercie de nous avoir permis de débattre de ce sujet.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je partage les éléments de réponse du rapporteur.

Je comprends bien votre intention, madame la sénatrice : cette classe préparatoire aux études de santé constituerait une alternative publique aux « boîtes à colles » auxquelles la plupart des étudiants ont malheureusement recours. On peut aussi réussir sans elles !

Toutefois, il ne faudrait surtout pas que cela se traduise par une année d'études supplémentaire. Les études de médecine sont déjà longues – dix ans, soit deux ans de plus qu'à mon époque –, et je ne suis pas certain qu'une onzième année améliorerait la situation de nos déserts médicaux.

Je demande donc le retrait de cet amendement, auquel, à défaut, je serai défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Je soutiens l'amendement de ma collègue Brulin.

Il s'agit non pas d'une année supplémentaire, monsieur le ministre, mais d'un accompagnement à la première année, comme cela se fait, le soir de vingt heures à vingt-deux heures, dans les boîtes privées.

Cet accompagnement public me paraît essentiel pour l'ensemble des jeunes inscrits en première année de médecine, car l'inégalité pointée par la Cour des comptes est scandaleuse. Quelque 62 % des étudiants suivent en effet une préparation privée, ce qui signifie que leurs parents peuvent en assumer le coût, qui est de 8 000 à 10 000 euros, pour faciliter la réussite de leur enfant.

Face à cette injustice criante, l'instauration d'une préparation et d'un accompagnement publics dès la première année est une exigence républicaine.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. J'irai dans le même sens.

Lors des auditions, nous avons constaté que la plupart des cours de LAS sont dispensés en visioconférence. Or, s'agissant de mineures santé, ces formations s'adressent à des élèves qui, souvent, n'ont pas suffisamment de connaissances scientifiques et qui auraient, de ce fait, besoin d'un enseignement en présentiel. À la Sorbonne, par exemple, les enseignements de Pass sont en présentiel, et ceux de LAS, en visioconférence, ce qui est problématique.

De même, dans les départements ruraux, dans les formations de première année de médecine récemment ouvertes, les enseignements sont dispensés exclusivement en visioconférence, ce qui peut avoir pour effet d'accroître les inégalités.

J'insiste donc sur la nécessité de dispenser certains enseignements en présentiel et de renforcer la formation dans les territoires où les inégalités sont les plus fortes.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conditions et l'impact de la généralisation, dans chaque département, d'antennes universitaires des unités de formation et de recherche en santé (médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique).

Ce rapport analyse notamment les modifications législatives et réglementaires envisageables afin de garantir un accès de proximité sur l'ensemble du territoire national ; les options d'organisation territoriale (obligation incombant à l'université dont le siège est situé dans la ville chef-lieu de région, possibilités de conventions avec une université de la même région ou d'une région limitrophe, articulation avec les établissements publics de santé) ; le calendrier prévisionnel, les capacités d'accueil et les besoins en personnels et locaux ; et enfin les effets attendus en matière d'égalité d'accès aux études de santé pour les jeunes issus de milieux ruraux ou défavorisés et de lutte contre les déserts médicaux, au regard des critères de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement, qui vise à demander un rapport sur l'ouverture d'une antenne par département, n'a fait pas l'objet d'une discussion commune avec les amendements nos 1 rectifié et 9, précédemment examinés.

La Cour des comptes elle-même préconisait fortement une telle mesure. Si nos lectures respectives de son rapport diffèrent quelque peu, monsieur le rapporteur, je note que vous souhaitez travailler sur le sujet. Il faut, en tout cas, aller en ce sens. Il sera nécessaire de déterminer les détails concrets d'un tel dispositif, notamment sur le recours à la visioconférence que j'évoquais, et ne pas s'en tenir à prévoir sa généralisation.

Il reste que, pour les mêmes raisons que mes collègues, je retire cet amendement.

Mme la présidente. L'amendement n° 12 est retiré.

L'amendement n° 13, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l'opportunité et les modalités d'une mise à disposition par les universités d'une remise à niveau scientifique, notamment en biologie, en physique, en chimie et en mathématiques pour les étudiants en PASS (Parcours d'Accès Spécifique Santé) qui ne disposent pas du niveau requis pour la validation du premier cycle de formation.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Par cet amendement, je reviens sur la question, que j'ai abordée lors de mon explication de vote sur l'amendement de Mme Brulin, des prérequis scientifiques, lesquels sont souvent absents ou pas assez bien maîtrisés.

L'inquiétude des jeunes qui souhaiteraient faire des études de médecine mais qui s'autocensurent, s'estimant insuffisamment formés en matière scientifique – pour des raisons réelles ou supposées –, est une réalité. En conséquence, on observe un phénomène de reproduction sociale, puisque seuls les enfants de médecin osent se lancer dans ces études, tandis que ceux qui en ont les moyens partent à l'étranger, où la formation scientifique est renforcée, ou ont recours à des cours privés. Ainsi, les solutions existantes alimentent l'élitisme et concourent à amoindrir le nombre de jeunes qui se tournent vers ces études.

Je propose donc de renforcer les matières scientifiques pour les jeunes qui ont le moins d'acquis scientifiques ou qui se sentent les moins assurés dans ces domaines, en particulier dans le cadre des LAS.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Là encore, je vous remercie de mettre ce sujet sur la table, ma chère collègue. Celui-ci doit être pris en compte dans le cadre de la réflexion que nous avons à mener, au même titre d'ailleurs que le tutorat, qui constitue un outil efficace pour accompagner les jeunes.

En tout état de cause, il nous faudra identifier les meilleures options pour démocratiser les études de médecine, en tenant compte des paramètres sociaux et territoriaux.

Si je vous rejoins donc sur le fond, et que, comme vous, je souhaite que nous avancions sur ce sujet, vous savez que, sur la forme, je ne puis qu'être défavorable à une demande de rapport.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons ouvert des formations de première année dans les départements les plus éloignés des facultés de médecine, et nous sommes parvenus à diversifier les profils des étudiants qui y sont admis. Cet objectif a été atteint, car nous avons agi sur les inégalités sociales : plus aucune difficulté liée au logement ou aux frais de transport ne freine les jeunes qui souhaitent s'inscrire.

Il est par ailleurs exact qu'un jeune qui prépare une LAS n'évolue pas dans un environnement scientifique, et pour cause ! Les étudiants peuvent opter pour une mineure santé alors qu'ils effectuent un cursus de droit ou d'économie. Cela n'a choqué personne lorsque ces cursus ont été conçus ; pourtant, il ne nous viendrait pas à l'idée de proposer à un jeune qui veut faire du droit de préparer un cursus de médecine avec une mineure droit…

En tout état de cause, nous travaillons, avec Philippe Baptiste, à une réforme du Pass-LAS visant à favoriser à la fois la diversité sociale et la diversité des profils d'étudiants, afin d'encourager des profils non scientifiques. Le rapport de la Cour des comptes montre que les dispositions existantes ne sont pas pleinement efficaces. Il nous faut donc trouver des outils plus appropriés.

Comme le rapporteur, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Il est en effet nécessaire de réformer le premier cycle des études de santé afin de pallier les difficultés identifiées dans le système Pass-LAS.

J'avais du reste déposé un amendement dont l'objet était proche de celui de Mme Souyris, mais j'ai eu la surprise de voir que, comme un autre amendement tendant à prendre en compte le caractère prioritaire des besoins de santé dans les territoires, il avait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

Alors que, selon son intitulé même, la présente proposition de loi vise à former plus de médecins, cet amendement a en effet été retoqué au motif que, en tendant à augmenter le nombre d'étudiants, il tendait également à renchérir les dépenses des universités… C'est cocasse !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Chapitre II

Encourager l'émergence de médecins en combattant la fuite des cerveaux

Après l'article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 3

Article 2

(Non modifié)

I. – Le II de l'article L. 631-1 du code de l'éducation est complété par un 11° ainsi rédigé :

« 11° Les conditions et les modalités d'accès à la formation de médecine des étudiants français inscrits avant la promulgation de la loi n° … du … visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation dans la même filière dans un État membre de l'Union européenne, un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre. »

II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux étudiants français inscrits en formation de médecine à l'étranger. Ce rapport comporte des données chiffrées, relatives notamment au mode et au lieu d'exercice ainsi qu'à l'évolution de la carrière de ces personnes à l'issue de leurs études – (Adopté.)

Chapitre III

Développer l'accès aux soins médicaux par la formation des professionnels paramédicaux

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Après l'article 3

Article 3

(Non modifié)

I. – Après l'article L. 632-6 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 632-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 632-6-1. – Sont créées par voie réglementaire des passerelles afin que des professionnels paramédicaux puissent reprendre des études adaptées et accompagnées de médecine.

« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »

II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conséquences de l'arrêté du 22 octobre 2021 modifiant l'arrêté du 4 novembre 2019 relatif à l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique sur l'accès des auxiliaires médicaux aux études de médecine. Il étudie les freins durables aux reconversions des professions paramédicales vers la profession de médecin et formule des recommandations sur les évolutions potentielles à apporter aux passerelles existantes – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 3 bis

Après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l'opportunité de proposer aux élèves inscrits en classe de première et de terminale en voie générale, des enseignements facultatifs visant à préparer à l'admission en premier cycle d'études de santé.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement tendant à demander un rapport sur l'opportunité de proposer des enseignements aux élèves de lycée est examiné à cet endroit du texte.

Il reste que je l'ai déjà évoqué, et qu'il est donc défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Je ne peux vous expliquer pourquoi cet amendement est examiné à cet endroit du texte, ma chère collègue.

Quoi qu'il en soit, plutôt qu'un rapport, je vous propose de demander une évaluation des deux expérimentations, instaurées par la loi Valletoux, qui ont mises en place.

Dans l'exposé des motifs de votre amendement, vous citez notamment l'académie de Montpellier, qui a déployé cette option. Il conviendrait de faire le bilan de cette expérimentation, puisque nous avons la chance que deux académies aient accepté d'y prendre part, afin d'évaluer l'opportunité de généraliser rapidement ce dispositif. Nous avions soutenu cette démarche au Sénat. Je me tourne donc vers M. le ministre pour savoir si le Gouvernement est prêt à réaliser ce travail.

En tout état de cause, l'avis est défavorable, au bénéficie de cette évaluation que j'appelle de mes vœux. Allons plus vite !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je souscris à votre proposition, monsieur le rapporteur et président de la commission.

Je précise que les quatre académies qui se sont initialement portées volontaires pour cette expérimentation – Bordeaux, Metz-Nancy, Toulouse et Montpellier – ont été rejointes par sept autres académies – Amiens, la Guyane, Lille, Mayotte, Nantes, Orléans, Tours et Rennes.

Soyez assuré que mon ministère prendra toutes les dispositions utiles pour que nous puissions évaluer ce dispositif rapidement.

Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en œuvre, les impacts attendus et les modalités de financement d'un dispositif national de transition professionnelle pour les personnels de santé.

Ce rapport dresse un état des lieux des passerelles et validations d'acquis existantes entre professions de santé, identifie les obstacles réglementaires ou organisationnels et propose des évolutions, notamment la création d'un parcours d'alternance de reconversion ouvrant l'accès aux diplômes de médecine, pharmacie, odontologie, maïeutique et masso-kinésithérapie pour les professionnels justifiant d'au moins trois années d'exercice. Il analyse les conditions de renforcement et de simplification de la validation des acquis de l'expérience (VAE) afin de reconnaître les compétences acquises en exercice et de structurer des parcours individualisés compatibles avec le maintien d'une activité rémunérée. Il évalue les leviers de financement de ces dispositifs, via notamment le fonds d'intervention régional (FIR), le compte personnel de formation (CPF) des auxiliaires médicaux, salariés ou libéraux, qui pourrait être abondé par le FIR ou le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS).

Le rapport propose, le cas échéant, les adaptations législatives et réglementaires nécessaires, et présente un calendrier de déploiement, une estimation des effectifs concernés, l'impact potentiel sur les besoins démographiques en santé ainsi qu'un bilan prévisionnel des coûts et économies induits.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Par cet amendement, je souhaite inviter le Gouvernement à créer de véritables passerelles entre les différentes professions de santé. Si le principe est évoqué dans la proposition de loi, il s'agit d'aller plus loin en formulant un certain nombre de propositions concrètes.

En juin dernier, j'ai demandé la réalisation d'une note de législation comparée sur ce sujet. Elle montre que, si aucun dispositif précis n'est mis en place dans les six pays étudiés, il est intéressant de soutenir un certain nombre de dispositifs en faveur des professionnels en exercice, tels que la création d'un parcours d'alternance sécurisé financièrement – une mesure particulièrement intéressante –, le renforcement des systèmes de validation des acquis de l'expérience (VAE), l'ouverture du fonds d'intervention régional (FIR) au financement de ces parcours de reconversion et la mobilisation du FMIS.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Au risque de me répéter, le sujet est intéressant, ma chère collègue ! (Sourires.) S'il est abordé dans le présent texte, il pourrait en effet être approfondi dans le cadre des travaux que j'évoquais.

Sans mésestimer l'importance de la question que vous soulevez, je demande toutefois le retrait de votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable, puisqu'il s'agit d'une demande de rapport.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Vous avez raison, les passerelles pourraient être étendues, madame la sénatrice Souyris. L'article 3 n'aborde que les passerelles du secteur paramédical vers le secteur médical, mais, depuis le covid et la quête de sens qu'il a emportée, nous observons que des personnes dont le profil est extra-médical ou extra-paramédical souhaitent se reconvertir.

À l'heure où des technologies de pointe, comme l'intelligence artificielle, s'invitent dans la médecine, des ingénieurs ayant suivi des cursus avancés, par exemple, trouvent du sens à s'orienter vers la médecine. Lorsque j'étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, j'avais d'ailleurs instauré un double cursus associant la faculté de médecine et l'École centrale de Lyon.

Cette proposition de loi ayant été examinée par l'Assemblée nationale dans le cadre d'une niche, elle ne pouvait initialement compter qu'un nombre limité d'articles. Nous ne pouvions donc pas embrasser tous les sujets.

Je le redis, j'estime toutefois qu'il nous faut favoriser les passerelles pour des profils extra-médicaux et extra-paramédicaux, sans que ces derniers entrent en concurrence avec les sages-femmes, les infirmières anesthésistes ou les masseurs-kinésithérapeutes qui veulent reprendre des études.

Des personnes aux profils différents ayant un bagage scientifique peuvent en effet, de manière complémentaire, se destiner à des spécialités s'appuyant sur l'intelligence artificielle, à la radiologie ou à la recherche.

Pour les raisons que vous connaissez, je demande toutefois le retrait de cet amendement. À défaut, l'avis serait défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Après l'article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 4 (début)

Article 3 bis

(Non modifié)

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l'offre de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique dans les territoires caractérisés par une offre de soins insuffisante au sens de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. Le rapport examine notamment le taux d'accès à ces études dans ces territoires ainsi que la correspondance entre le lieu de formation, en particulier en premier cycle, et le premier lieu d'exercice des professionnels de santé formés. Il formule des propositions permettant de garantir l'équité territoriale de l'offre de formation en santé, notamment par l'implantation de nouveaux lieux de formation – (Adopté.)

Article 3 bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 4 (fin)

Article 4

(Non modifié)

I. – La charge pour l'État est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens tout d'abord à saluer de nouveau le rapporteur Khalifé Khalifé – je sais qu'il nous regarde –, dont je regrette l'absence.

Si le député Neuder peut être satisfait, car il a terminé son travail, pour le ministre Neuder, le chantier commence ! Le soutien que cette proposition de loi a reçu sur toutes les travées de cet hémicycle renvoie en effet le Gouvernement à ses responsabilités, notamment en matière de moyens. Ces derniers sont en effet nécessaires pour que, au-delà des intentions, la situation évolue et que, dans un dialogue avec l'enseignement supérieur, le nombre de places de formation augmente.

Nous nous sommes pour notre part engagés à mener des travaux et nous tiendrons cet engagement. Le député Neuder serait certainement heureux d'entendre le ministre Neuder s'engager à son tour sur les moyens à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir voté cette proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, et partant, la situation des déserts médicaux.

Je remercie la commission des affaires sociales, le rapporteur Khalifé Khalifé, le président de la commission, ainsi que tous les orateurs des groupes.

Le manque de médecins formés est l'explication première de l'existence de déserts médicaux. Or cette proposition de loi constitue un électrochoc en matière de formation. Après la suppression du numerus clausus en 2019, nous venons de franchir une nouvelle étape en supprimant le numerus apertus, lequel n'a pas emporté tous les effets espérés.

En nous fondant sur les besoins des territoires, nous inversons la tendance. Les élus locaux auront un grand rôle à jouer, de même que les universités, sans lesquelles nous ne parviendrons pas à atteindre nos objectifs. J'adresse donc un message particulier à la Conférence des doyens des facultés de médecine, avec laquelle nous déploierons cette réforme dans nos territoires.

Avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, Philippe Baptiste, nous veillerons à doter nos universités des moyens de déployer cette réforme structurante.

Nous travaillons également à une réforme de la loi de 2019 qui a instauré le Pass-LAS, afin de mieux prendre en compte les besoins de formation en santé de nos territoires et de notre pays.

J'imagine le plaisir des étudiants français, qui font actuellement leur cursus en Roumanie, en Belgique ou en Espagne, de voir qu'enfin nous leur ouvrons la porte, et qu'ils pourront terminer leurs études de santé dans notre pays.

Ne soyons pas naïfs : chaque année, quelque 1 600 jeunes partent faire leurs études de médecine à l'étranger et 5 000 à 15 000 étudiants font actuellement leur cursus dans l'un des pays que j'évoquais. Ces étudiants qui ont été capables de quitter leur pays à 18 ans sont fortement sollicités par l'Allemagne, la Suisse ou le Maroc. Si nous ne leur offrons pas la possibilité de terminer leur deuxième cycle et de passer leur internat en France et si nous ne sommes pas particulièrement attractifs, ils choisiront un autre pays.

Il ne s'agit nullement d'une solution de contournement du principe d'égalité des chances à l'égard des autres étudiants. Nous ne pouvons pas accepter que des vies professionnelles et personnelles se jouent sur l'échec, à un dixième de point, à un examen de première année beaucoup trop sélectif. Nous ne pouvons pas décourager notre jeunesse de s'engager dans des études de santé. Tel est le message que je souhaite faire passer à nos étudiants qui poursuivent leur cursus à l'étranger.

Lorsque j'ai reçu certains d'entre eux à l'Assemblée nationale, j'ai pu mesurer que tous n'étaient pas issus de familles aisées, et que des étudiants en grande difficulté effectuaient des gardes en Ehpad le week-end, qu'ils travaillaient, tout en ne pouvant pas bénéficier des bourses de l'enseignement supérieur de notre pays.

Enfin, à l'heure où l'on parle tant de géopolitique et de souveraineté, j'estime que la France, septième puissance mondiale, ne peut pas se satisfaire que, dans certaines filières telles que la médecine bucco-dentaire, plus de 50 % des étudiants français soient formés à l'étranger. Si nous voulons assurer notre souveraineté sanitaire, il nous faut reprendre le contrôle de la formation médicale et paramédicale de nos étudiants, en particulier dans les secteurs en grande difficulté que sont la psychiatrie, les soins palliatifs ou la gériatrie.

Il nous faut également améliorer notre système de formation, initiale comme continue, en favorisant notamment les passerelles, afin de rendre ces études accessibles partout et pour tous et, partant, de diversifier les profils de nos professionnels de santé.

Pour l'heure, je remercie sincèrement le Sénat de ce vote unanime.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante,

est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 1er

Sécurité des professionnels de santé

Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (texte de la commission n° 639, rapport n° 638).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous arrivions au terme du parcours législatif de cette proposition de loi, déposée il y a un an et demi par notre ancien collègue député Philippe Pradal.

Je m'en félicite d'autant plus que ce texte répond à une attente forte, voire à un véritable cri d'alerte, de nos professionnels de santé face à des violences inadmissibles.

Nous avons considéré, tout au long de l'examen de cette proposition de loi, que la reconnaissance que la société doit à ceux qui se dévouent pour aider les autres était l'un des piliers du vivre-ensemble.

C'est pourquoi la violence dans les lieux de soins, largement dénoncée par les professionnels, et qui se banalise de plus en plus, doit être jugulée par tous les moyens. Il est temps d'exprimer symboliquement un soutien sans faille aux personnels soignants et de renforcer les mesures législatives leur permettant d'exercer leur métier dans de meilleures conditions.

Au-delà de la volonté d'œuvrer pour nos soignants, la commission des lois a été particulièrement vigilante à la qualité juridique des mesures que comporte le texte : cette démarche est primordiale si l'on veut éviter une loi bavarde, et, surtout, une loi qui pourrait s'avérer décevante pour nos professionnels de santé.

C'est la raison pour laquelle certaines mesures consensuelles, mais déjà satisfaites, ont été remaniées, voire supprimées. Nous avons cependant veillé à faire preuve de pédagogie auprès des ordres professionnels et à leur faire connaître les outils que leur garantit déjà l'état du droit.

Cette précision étant faite, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire est très proche de celui que le Sénat a adopté en première lecture : il me semble donc, dans l'ensemble, satisfaisant et respectueux du vote des deux chambres, bien que je nourrisse un regret à l'article 2, sur lequel je reviendrai.

J'en viens désormais aux principales modifications apportées par la commission mixte paritaire.

À l'article 1er, qui étend à tous les professionnels travaillant dans les lieux de soins la protection accordée aux professionnels de santé depuis la loi du 18 mars 2003, nous avons précisé deux dispositifs introduits par le Sénat.

D'une part, nous avons souhaité limiter la création d'une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles aux faits dont les soignants sont victimes, comme le proposait notre collègue Hussein Bourgi.

D'autre part, nous avons rétabli les circonstances aggravantes pour les vols dans les établissements de santé. S'il nous est apparu nécessaire de punir les vols, quels qu'ils soient, commis au détriment des professionnels de santé, l'extension des circonstances aggravantes à tout vol de produits de santé, y compris entre particuliers, nous a en revanche semblé disproportionnée.

L'article 2, relatif au délit d'outrage, est maintenu dans sa rédaction résultant de l'adoption de l'amendement du Gouvernement et de celui du groupe du RDSE au Sénat. J'en comprends la portée symbolique pour les professionnels : c'est pourquoi la commission mixte paritaire a suivi la position qu'avaient soutenue une majorité de sénateurs en séance publique.

Je reprends un instant ma casquette de rapporteure de la commission des lois pour émettre deux réserves.

La première est que l'outrage est lié à l'exercice d'une mission de service public. Or tout ne relève pas d'une telle mission et il serait regrettable que cette spécificité se perde.

La seconde est que, à mes yeux, la rédaction de l'article 2 est imparfaite en ce qu'elle ne protégera pas de la même manière toutes les personnes travaillant dans les lieux de soins. Je crains par conséquent que nous n'ayons à revenir sur cette disposition lors de l'examen d'un futur texte.

Dans la même logique, nous avons remanié l'article 2 bis A, afin de ne pas restreindre le dispositif adopté sur l'initiative de notre collègue Corinne Imbert au seul Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) et de l'étendre à tous les ordres, lesquels pourront désormais se constituer partie civile en cas d'outrage à l'encontre de l'un de leurs membres.

J'en viens désormais aux articles 2 bis et 3, qui visent à faciliter les dépôts de plainte après chaque incident.

L'article 3, qui permet à l'employeur, à un ordre professionnel ou à une union régionale des professionnels de santé (URPS) de déposer plainte pour le compte d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel, n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, l'Assemblée nationale ayant accepté les principaux apports du Sénat.

À l'article 2 bis, dont la principale mesure consistait à permettre aux professionnels de santé de déclarer l'adresse de leur ordre lors du dépôt de plainte, une disposition que le Sénat avait supprimée, puisque cette faculté est déjà prévue par l'état du droit, nous avons trouvé une rédaction de compromis qui comble un manque dans la législation en vigueur.

Alors que tous les professionnels qui exercent dans un établissement public de santé peuvent déjà déclarer leur adresse professionnelle et que les personnes employées par un professionnel libéral ou un établissement de santé privé peuvent déclarer l'adresse de leur employeur, nous permettons désormais aux libéraux de déclarer leur adresse professionnelle, ce qui permet de mettre fin à une inégalité.

En revanche, nous avons maintenu la suppression de l'article 3 bis, qui prévoyait notamment la présentation annuelle au conseil de surveillance ou au conseil d'administration des divers établissements de soins d'un « bilan des actes de violence commis au sein de l'établissement ».

Outre que cette présentation est en partie satisfaite, puisque de telles données sont compilées dans le rapport social unique (RSU), nous pensons que la charge administrative qu'entraînerait la rédaction d'un nouveau rapport serait mieux employée si elle était dédiée au signalement systématique des violences sur la plateforme de l'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS).

Enfin, l'article 3 bis A, qui rétablit la plénitude de la protection fonctionnelle des agents publics à la suite d'une déclaration d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel, n'a posé aucune difficulté, puisque les remarques du Conseil ont été prises en compte.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter ce texte de compromis, qui, je l'espère, répondra aux attentes fortes de nos soignants.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me réjouis de vous retrouver ce soir pour l'ultime étape de l'examen d'une proposition de loi importante.

Je commencerai par rendre hommage à l'engagement des parlementaires, sénateurs et députés, de tous les horizons, qui se sont impliqués sur ce sujet, permettant de faire aboutir un texte attendu. Je ne manquerai pas de mentionner plus particulièrement Philippe Pradal, qui a pris l'initiative du dépôt de ce texte lors de la précédente législature à l'Assemblée nationale. Je salue également la qualité des travaux qui ont été menés dans les deux assemblées, en commission comme en séance publique, et ce jusqu'en commission mixte paritaire.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, lors de la discussion de ce texte en première lecture, ici, au Sénat, j'ai rappelé que le plus grand danger pour une société serait de s'habituer à la violence.

L'adoption de cette proposition de loi est l'expression d'un refus net et ferme de s'habituer à cette violence, quelle qu'elle soit. Elle est l'affirmation que la violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est toujours inacceptable.

Avec ce texte, nous proclamons haut et fort qu'il n'y a pas de petite violence ou de violence banale, que tout coup, toute menace, toute blessure, tout crachat, toute insulte envers un professionnel de santé ou envers ceux qui concourent aux soins est une attaque en règle contre notre système de santé.

Avec ce texte, nous adressons un message fort à nos soignants et à tous ceux qui participent aux soins : sachez que l'État est à vos côtés et que nous serons intransigeants.

Nous délivrons également un avertissement clair à tous les agresseurs : nous ne laisserons rien passer. En effet, avec ce texte, nous franchissons une étape supplémentaire vers notre ambition commune : ne laisser aucun répit à ceux qui s'en prennent aux soignants et protéger, comme il se doit, ceux qui prennent soin de notre santé.

Cette ambition s'appuie sur la nécessité d'agir : il faut répondre à une urgence que l'actualité nous rappelle trop souvent avec force, à savoir que, chaque jour, dans notre pays, 65 professionnels de santé sont agressés.

Je le dis avec gravité, car j'y ai moi-même été confronté de plusieurs façons : d'abord, en tant que médecin chef de pôle, lorsque je m'inquiétais pour mes équipes et aux côtés de collègues victimes ; ensuite, en tant qu'élu local, quand j'ai fait face à la détresse de certains professionnels de santé ; en tant que député aussi, quand je me suis impliqué sur ce sujet avec conviction et défendu un certain nombre de dispositions législatives ; enfin, naturellement, en tant que ministre de la santé, lorsque j'ai fait de cette question une priorité incontournable.

Ma nomination en tant que ministre de la santé, au début du mois de janvier, a été marquée par l'un de ces drames. Je me suis ainsi rendu à Annemasse auprès de quatorze soignants agressés, aux côtés d'une communauté bouleversée.

Devant eux, en Haute-Savoie, j'ai pris l'engagement solennel que, d'ici le mois de septembre de cette année, de nouvelles mesures seraient mises en place, un engagement fort qui fonde par ailleurs une partie du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Je souhaite que mon action marque un tournant décisif dans la lutte contre ces violences, avec un seul mot d'ordre : la tolérance zéro.

Cela passe par un renforcement des moyens d'action en amont des violences – 25 millions d'euros sont affectés chaque année à la sécurisation des établissements de santé, une enveloppe qui a été reconduite pour 2025 – et par la poursuite des campagnes de communication et de sensibilisation, dans le prolongement du plan pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par la ministre qui m'a précédé dans mes fonctions, Agnès Firmin Le Bodo.

Je veux souligner combien les professionnels eux-mêmes, en ville comme à l'hôpital, qu'ils soient médecins, étudiants, infirmiers ou personnels paramédicaux, se sont saisis de cet enjeu.

Je veux également souligner l'importance du renforcement des moyens de l'Observatoire national des violences en milieu de santé, dont la nouvelle version, dite 2.0, en fera non pas une simple chambre d'enregistrement, mais une véritable instance de suivi, d'écoute et d'orientation. Ainsi, elle intégrera dans ses missions les violences sexistes et sexuelles, qui ont longtemps fait l'objet d'une certaine omerta dans le monde de la santé, et contre lesquelles la tolérance zéro s'impose avec la même force.

Je n'oublie pas les soignants exerçant en libéral, qui doivent eux aussi bénéficier de dispositifs de protection efficaces.

Enfin, je compte beaucoup sur l'engagement des collectivités locales et des élus locaux, qui ont un rôle important à jouer en ce sens, par l'intermédiaire de leurs polices municipales et avec l'utilisation des caméras de vidéosurveillance.

Permettez-moi aussi de citer le dispositif des boutons d'alerte, qui, reliés aux forces de l'ordre, permettent aux soignants de donner directement et discrètement l'alerte en cas de danger. Je l'avais moi-même mis en place en tant que maire, dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes. Je sais que ce système fonctionne bien et est déployé dans de plus en plus de collectivités : je pense à la Haute-Vienne ou à la Guyane, pour ne citer que ces exemples.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, renforcer la sécurité, prévenir, dissuader, c'est indispensable. Mais il faut aussi durcir notre réponse pénale face à la survenue des violences.

Ma ligne est claire : la tolérance zéro. J'y ajoute l'objectif « zéro impunité ». C'est une priorité que je partage avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, et que ce texte vient traduire concrètement dans notre droit.

Afin de ne laisser aucun répit aux auteurs de violences et de protéger les soignants, notre réponse pénale sera renforcée selon trois axes.

Premier axe, nous avons prévu des peines aggravées en cas de violences ou de vols en milieu de santé. Notre code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas d'agression des professionnels de santé « dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions ». Cette proposition de loi nous permet d'aller plus loin, en réprimant les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé, à l'hôpital comme en ville, ainsi que dans les établissements médico-sociaux.

Deuxième axe, ce texte permet de réprimer plus fermement les violences verbales et les insultes contre les soignants ou envers les personnels des structures médicales. C'est très important, car la tolérance zéro consiste à ne rien laisser passer. Une insulte, qu'elle soit proférée en face ou en ligne, n'est jamais anodine. Il faut briser la spirale de la violence dès le début. C'est la raison pour laquelle je salue la création d'un délit d'outrage étendu à l'ensemble des professionnels qui concourent aux soins, qu'ils soient considérés ou non comme exerçant une mission de service public.

Troisième axe, afin d'accompagner, de soutenir et de protéger les professionnels victimes, nous facilitons le dépôt de plainte, souvent ressenti comme une épreuve difficile par les personnels de santé confrontés aux violences, d'autant que certains d'entre eux craignent également les représailles. Cette situation conduit à de nombreux renoncements, laissant les actes et les auteurs impunis.

Aussi, le texte offre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un autre organisme de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit, pour certaines infractions. Seront concernés par ce nouveau dispositif les établissements de santé – hôpitaux, cliniques, Ehpad –, ainsi que les employeurs des cabinets, les laboratoires, les pharmacies.

La question des libéraux, qui sont leur propre employeur, s'est naturellement posée et a été traitée. Pour ces professionnels, un décret viendra préciser les organismes représentatifs autorisés à porter plainte. Je veillerai à ce que le décret fasse l'objet d'une concertation et soit publié rapidement.

L'idée est que la victime se sente soutenue et que le dépôt de plainte devienne un réflexe en cas d'agression. Pour faciliter et sécuriser encore plus cette mesure, je travaille en ce moment même, avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, à la mise en place d'un dispositif spécifique de visioplainte pour les soignants victimes.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, face aux violences physiques, verbales ou numériques contre nos soignants et tous ceux qui concourent aux soins, je n'ai qu'une seule ligne, celle de la fermeté. Je n'ai qu'un seul mot d'ordre, la tolérance zéro.

Ces violences nous interrogent aussi collectivement en tant que société, car nous sommes confrontés à des actes qui menacent directement celles et ceux qui nous soignent, qui nous sauvent, qui prennent soin de nous et de notre santé.

Nous apportons, avec ce texte, une réponse à la hauteur de l'enjeu, à la hauteur de l'engagement de nos professionnels de santé, à la hauteur de ce que nous leur devons ! (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 2

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° A Au 4° bis des articles 222-8 et 222-10, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « ou une personne exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;

1° Les articles 222-12 et 222-13 sont ainsi modifiés :

a) Au 4° bis, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « ou une personne exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;

b) (Supprimé)

c) Après le 11°, il est inséré un 11° bis ainsi rédigé :

« 11° bis Dans un établissement de santé, un centre de santé, une maison de santé, une maison de naissance, un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, une officine de pharmacie, un laboratoire de biologie médicale, un établissement ou un service social ou médico-social ; »

1° bis Après le 3° de l'article 222-28, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Lorsqu'elle est commise sur un professionnel de santé durant l'exercice de son activité ; »

2° À la fin du 5° de l'article 311-4, les mots : « destiné à prodiguer des soins de premiers secours » sont remplacés par les mots : « médical ou paramédical ou lorsqu'il est commis dans un établissement de santé ou au préjudice d'un professionnel de santé à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions ».

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 2 bis A

Article 2

I. – L'article 433-5 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « public », sont insérés les mots : « , à un professionnel de santé ou à un membre du personnel d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;

2° Au troisième alinéa, après le mot : « intérieur », sont insérés les mots : « d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, du domicile du patient ou ».

II. – (Supprimé)

Article 2
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Article 2 bis

Article 2 bis A

Au dernier alinéa de l'article L. 4122-1, au quatrième alinéa de l'article L. 4123-1, à la seconde phrase de l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 4124-11, au dernier alinéa de l'article L. 4233-1, à la seconde phrase de l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 4312-5, au troisième alinéa du I de l'article L. 4312-7, au dernier alinéa de l'article L. 4321-16, à l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 4321-17-1, au dernier alinéa de l'article L. 4322-9 et au sixième alinéa du I de l'article L. 4322-10-1 du code de la santé publique, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « , d'outrages ».

Article 2 bis A
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Article 3

Article 2 bis

Le 9° de l'article 10-2 et le deuxième alinéa de l'article 89 du code de procédure pénale sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Le professionnel de santé régi par la quatrième partie du code de la santé publique peut, s'il exerce à titre libéral, également déclarer son adresse professionnelle. »

Article 2 bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 3 bis A

Article 3

I. – (Supprimé)

II. – Après l'article 15-3-3 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15-3-4 ainsi rédigé :

« Art. 15-3-4. – Sans préjudice du second alinéa de l'article 433-3-1 du code pénal, lorsqu'il a connaissance de faits susceptibles de constituer l'une des infractions prévues aux articles 222-1, 222-9 à 222-13, 222-15, 222-16, 222-17, 222-18, 322-1, 322-3 et 433-3 du même code et lorsque cette infraction est commise à l'encontre d'un professionnel de santé ou d'une personne exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions, l'employeur, après avoir recueilli le consentement écrit de la victime, peut déposer plainte pour le compte de celle-ci. Le présent alinéa n'est pas applicable lorsque les faits sont commis par un professionnel de santé ou un membre du personnel.

« Le présent article ne dispense pas l'employeur du respect des obligations prévues au second alinéa de l'article 40 du présent code.

« Il ne donne pas à l'employeur la qualité de victime.

« Pour l'application du présent article aux professionnels de santé exerçant à titre libéral, un décret précise les modalités selon lesquelles les ordres professionnels ou les unions régionales de professionnels de santé peuvent porter plainte pour le compte des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes ou pédicures-podologues qui en font expressément la demande. Le même décret détermine l'organisme représentatif autorisé à porter plainte pour le compte des autres professionnels libéraux mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique. »

III. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le I de l'article L. 4312-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil départemental ou interdépartemental autorise son président à ester en justice. Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession d'infirmier, y compris en cas de menaces, d'outrages ou de violences commises en raison de l'appartenance à cette profession. » ;

2° Après le troisième alinéa de l'article L. 4321-18, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession de masseur-kinésithérapeute, y compris en cas de menaces, d'outrages ou de violences commises en raison de l'appartenance à cette profession. »

IV. – (Supprimé)

Article 3
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Article 3 bis

Article 3 bis A

I. – L'article L. 134-4 du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa est supprimé ;

2° Après le mot : « public », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « mis en cause pénalement en raison de tels faits qui ne fait pas l'objet des poursuites mentionnées au premier alinéa ou qui fait l'objet de mesures alternatives à ces poursuites, dans tous les cas où le code de procédure pénale lui reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat. »

II. – La seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense est ainsi rédigée : « Cette protection bénéficie aussi au militaire mis en cause pénalement en raison de tels faits qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales ou qui fait l'objet de mesures alternatives à ces poursuites, dans tous les cas où le code de procédure pénale lui reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat. »

III. – Le troisième alinéa de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :

« La protection prévue au second alinéa de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique et à la seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense bénéficie également aux personnes mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article. »

Article 3 bis A
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 5 (début)

Article 3 bis

(Supprimé)

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Article 3 bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 5 (fin)

Article 5

(Supprimé)

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d'aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Depuis l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat en avril dernier, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires n'a eu de cesse de défendre une ligne claire, qui déterminera notre vote d'aujourd'hui.

La sécurité des professionnels de santé est un enjeu majeur auquel nous sommes toutes et tous profondément attachés. Nous saluons l'attention portée à ce sujet au travers de cette proposition de loi.

Les membres de mon groupe l'ont déjà dit, et je le répète : toute violence contre les soignants est un acte intolérable, inacceptable, auquel nous ne nous résoudrons jamais. Tous les soignants méritent la sécurité, le respect et la reconnaissance de la Nation pour leur dévouement, alors même que leurs conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles.

Malheureusement, cette proposition de loi n'est pas à la hauteur des enjeux, car elle ne comporte aucune mesure de prévention des violences subies par nos professionnels de santé.

J'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer à deux reprises à cette tribune : le rapport de Jean-Christophe Masseron et de Nathalie Nion, présenté en septembre 2023 au ministre de la santé, contenait une quarantaine de mesures pour agir sur les déterminants des violences, favoriser l'acculturation des professionnels de santé, notamment par un renforcement de l'intégration de la prévention des violences dans les formations, accompagner et soutenir les victimes, préparer les futurs professionnels, et obtenir des informations et du soutien auprès de l'ensemble des acteurs institutionnels.

Or, parmi cette quarantaine de mesures, aucune ne figure dans le texte. Pourtant, les auteurs du rapport suggéraient, par exemple, de sécuriser les établissements de santé par l'aménagement des espaces d'accueil et de soins.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé la mise à disposition d'une enveloppe budgétaire à cet effet. Je réitère ma demande que vous puissiez présenter devant la commission l'utilisation qui est faite de ces crédits. C'est du concret !

Autre point : l'aggravation des peines aura-t-elle un quelconque effet sur la survenue de ces actes de violence ? Permettra-t-elle de réduire les violences ? Dissuadera-t-elle leurs auteurs ? Personnellement, je ne le crois pas.

Rappelons qu'à l'hôpital 22 % des signalements proviennent des services de psychiatrie, 13 % des unités de soins de longue durée (USLD) et des Ehpad, et 12 % des services d'urgence. Il s'agit donc de services en forte tension, en raison d'une activité extrêmement soutenue, ainsi que de services qui accueillent un nombre important de patients souffrant de troubles de l'anxiété, de dépression ou ayant des pensées suicidaires, un état de santé qui peut exacerber les comportements violents.

Autrement dit, pour prévenir les violences contre les soignants, une des clefs – pas la seule ! – consiste en l'amélioration de la santé mentale de la population. Je le répète : il s'agit non pas de relativiser les violences – nous les condamnons –, mais de tenter de comprendre les raisons qui poussent les auteurs de ces actes à les commettre, et de les prévenir pour en réduire drastiquement le nombre.

Dans le cadre de cette démarche, probablement faut-il distinguer les violences préméditées envers les soignants. Je pense aux menaces de mort, et en particulier à celles qu'ont proférées des individus, qui sont vraisemblablement des militants d'extrême droite, à l'encontre de professionnels exerçant dans un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) du centre de Paris.

Où est la tolérance zéro dans un tel cas de figure ? Pour résoudre le problème, l'agence régionale de santé et le gestionnaire du Caarud ont décidé de fermer le centre, considérant qu'ils n'étaient pas en mesure de protéger les professionnels… Le soin a cédé devant la violence !

Je vous le dis franchement, monsieur le ministre, je suis très inquiète : dans une telle situation, la mission des services de l'État doit consister à protéger les soignants, à poursuivre les auteurs des menaces, et pas à s'effacer devant les menaces de l'extrême droite. Nous aurons l'occasion d'en reparler prochainement.

Je ne suis en tout cas pas convaincue que la proposition de loi qui nous est soumise permettra d'agir efficacement face à de telles intimidations.

Vous l'aurez compris, les membres du groupe écologiste, s'ils partagent l'objectif des auteurs de ce texte, en regrettent le manque d'ambition et déplorent l'absence de mesures préventives. Pour ces raisons, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se félicite que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ait été conclusive : il votera en faveur du texte issu des travaux de celle-ci.

Le texte répond à une urgence incontestable : la protection de professionnels de santé qui, chaque jour, dans les hôpitaux, dans les cabinets médicaux ou sur la voie publique, lors des visites à domicile chez leurs patients, subissent des violences et des agressions intolérables.

Nous souhaitons tout d'abord remercier Mme la rapporteure et M. le ministre des échanges constructifs que nous avons eus, ainsi que du soutien qu'ils ont apporté à certains de nos amendements.

L'aggravation du quantum des peines pour les violences physiques, morales ou sexuelles commises contre les personnels de santé, la création d'un délit d'outrage spécifique à ces derniers, ou encore la possibilité pour l'employeur de se constituer partie civile et de déposer plainte au nom du soignant victime sont autant de mesures utiles et, donc, de mesures que nous avons soutenues.

Néanmoins, il ne nous est pas possible de passer sous silence l'orientation quasi exclusivement répressive de cette initiative parlementaire.

Ne nous méprenons pas : certes, la réponse pénale est un outil dissuasif majeur pour lutter contre les violences dont nous parlons, mais cette logique punitive ne saurait occulter l'essentiel, à savoir le manque criant de moyens financiers et humains accordés aux établissements hospitaliers.

C'est l'une des causes des tensions et des violences que subissent les soignants. Lorsque les services d'urgences sont saturés, que les effectifs sont insuffisants, que les conditions de travail se dégradent, il est inévitable que les patients et leurs proches, en situation de détresse physique ou psychologique, éprouvent un sentiment d'exaspération, qui peut ouvrir la voie à des faits de violence…

Ce contexte anxiogène ne justifie évidemment en rien les violences, mais il s'agit d'un facteur aggravant qu'il faut prendre en compte si l'on veut agir efficacement en amont, de manière préventive.

Or cette proposition de loi reste muette sur la question des moyens dédiés aux hôpitaux publics, notamment dans les services psychiatriques et les urgences, où les agressions se font de plus en plus fréquentes.

Faute de moyens adaptés, les établissements sont en première ligne, souvent démunis pour protéger leurs personnels et garantir un accueil digne et sécurisé aux patients.

Monsieur le ministre, chaque année, durant la période estivale, les services sous-dotés, les services d'urgence tout particulièrement, connaissent une saturation et, donc, un pic de tensions. Chaque année, ce sont les mêmes témoignages qui sont portés à la connaissance des Françaises et des Français par voie de presse, toujours les mêmes altercations et les mêmes violences.

Aussi, nous réaffirmons avec force que la lutte contre les violences envers les soignants doit s'accompagner d'un investissement significatif dans le système hospitalier. C'est le seul moyen d'apporter une solution durable et de mettre un terme à ces situations de crise.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, notre vote en faveur de ce texte s'inscrit dans une dynamique plus large, qui repose sur la nécessité d'une action rapide pour protéger les professionnels de santé.

Mais cette réponse répressive doit impérativement intervenir dans un cadre plus global, fondé sur la prévention, le renforcement des moyens humains et financiers des établissements médicaux et hospitaliers, afin que cesse l'inacceptable spirale des violences que subissent les soignants.

Pour ce qui est des moyens, monsieur le ministre, nous prenons date pour la fin de l'année : nous vous donnons rendez-vous au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous disposez de tous les outils susceptibles de vous aider à recenser – mais vous les connaissez déjà – les besoins de nos professionnels de santé dans les hôpitaux publics.

Dans tous les hôpitaux de France où vous vous rendez, et notamment à l'hôpital de Montpellier, vous entendez les mêmes choses. De nombreuses personnes placent leur espoir en vous, monsieur le ministre, qui êtes issu de la profession.

Quoi qu'il en soit, vous nous trouverez à vos côtés à chaque fois que vous obtiendrez des avancées permettant de satisfaire ces professionnels de santé qui se dévouent avec beaucoup d'abnégation, au quotidien, pour que l'hôpital public français reste fidèle à la réputation qui est la sienne. (M. Sébastien Fagnen applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Ce texte, d'une importance capitale pour la protection de nos soignants, a fait l'objet d'un accord lors de la CMP. Nous pouvons nous en réjouir, car cela permettra de mieux lutter à l'avenir contre les violences inadmissibles que nos soignants subissent et dont je rappelle qu'elles ont connu une forte hausse ces dernières années.

Chaque jour, en moyenne, soixante-cinq professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques et verbales. Au nom du groupe Les Indépendants, je tiens à leur adresser, ainsi qu'à leurs proches, notre soutien le plus total.

Ces agressions ne sont pas des faits divers : elles constituent une atteinte à notre pacte social, face à laquelle le législateur ne doit pas rester passif.

Le 12 mars dernier, à l'occasion de la journée européenne contre les violences faites aux soignants, un mouvement d'ampleur s'est engagé pour dénoncer les actes inadmissibles dont les professionnels de santé sont parfois victimes.

Il est de notre devoir d'agir pour protéger ceux qui, en première ligne et dans des conditions difficiles, se mobilisent au quotidien pour nous soigner. Alors que notre pays fait face à une pénurie de soignants, c'est à nous, législateurs, de veiller à ce que leurs conditions de travail s'améliorent.

Je souhaite leur rendre hommage et leur dire une chose : sachez que vous pourrez toujours compter sur notre mobilisation pleine et entière à vos côtés.

C'est tout le sens du présent texte. Ce dernier s'inscrit dans le prolongement du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté par Agnès Firmin Le Bodo en septembre 2023.

Je tiens en outre à saluer le travail de l'ensemble des parlementaires qui se sont impliqués pour l'adoption de ce texte : je pense notamment à son auteur, Philippe Pradal, à la rapporteure, Anne-Sophie Patru, ainsi qu'à Agnès Firmin Le Bodo, qui l'a défendu au cours de la réunion de la commission mixte paritaire.

Je salue également le travail des sénateurs de mon groupe, Corinne Bourcier, Daniel Chasseing et Vincent Louault, auteurs d'amendements visant à renforcer l'efficacité de ce texte.

Fruit d'un long travail, la proposition de loi prévoit des mesures indispensables pour mieux protéger nos soignants.

L'aggravation des peines encourues pour des faits de violence commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements est l'une des mesures phares de ce texte. Face à de tels actes, la réponse de l'État doit être de la plus grande fermeté. C'est précisément ce que visent ces dispositions.

Le texte prévoit aussi de faciliter les dépôts de plainte après chaque incident, en permettant notamment à une union régionale des professionnels de santé (URPS) de déposer plainte pour le compte d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel. Là encore, il s'agit d'une mesure essentielle qui permettra de mieux poursuivre les auteurs de violences, tout en protégeant les soignants.

L'extension du délit d'outrage aux professionnels de santé et des circonstances aggravantes lorsque le délit est commis dans un établissement de soins est un autre dispositif bienvenu.

En conséquence, le groupe Les Indépendants soutiendra cette proposition de loi dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Nous serons cependant attentifs à ce que les mesures qu'elle comporte soient pleinement appliquées et à ce que la protection de nos soignants, piliers de notre société, reste une priorité. Il y va de leur sécurité, de leurs conditions de travail au quotidien, de l'attractivité des métiers de la santé, ainsi que de nos valeurs.

Une société qui ne protège pas ceux qui s'engagent en première ligne pour le bien commun, qu'ils soient policiers, professeurs ou soignants, pour ne citer qu'eux, n'est pas fonctionnelle. À nous de nous mobiliser à leurs côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient de dire quelques mots au nom du groupe Les Républicains sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Il nous est souvent reproché de légiférer en réaction à des faits que l'on qualifie parfois de « faits divers ». Malheureusement, ce n'est pas le cas de ce texte. En effet, comme l'a fait valoir Mme le rapporteur dans son rapport, les agressions contre les soignants sont caractérisées et de plus en plus nombreuses.

Dès lors, il apparaît tout à fait normal que la représentation nationale s'en empare ; la seule question qui demeure est : pour quoi faire ?

En premier lieu, plusieurs mesures de ce texte ont pour objet de faciliter le dépôt de plainte et l'action de la justice.

Désormais, les médecins libéraux pourront donner leur adresse professionnelle, et non personnelle, lors d'un dépôt de plainte.

De plus, la plainte pourra être déposée par l'employeur, mais aussi par l'ordre professionnel ou l'URPS.

Enfin, en cas d'outrage, la constitution de partie civile sera ouverte à tous les ordres professionnels. Il s'agit d'une mesure importante, même si, comme l'a souligné Mme le rapporteur, nous aurions préféré la qualification d'injure à celle d'outrage. Au reste, nous verrons dans la pratique quelle option est la plus judicieuse pour nos professionnels de santé.

Une deuxième série de mesures vise à étendre la qualification de certaines infractions et à aggraver les sanctions. Concrètement, ces dispositions nous permettront de mieux agir contre les violences perpétrées à l'encontre des professionnels de santé.

Au-delà de leur portée concrète, ces mesures envoient un signal important. Nous l'adressons d'abord aux professionnels de santé, bien sûr, auxquels nous disons que notre solidarité n'est pas qu'un mot, qu'elle se traduit par des dispositions juridiques leur permettant d'être mieux protégés ; mais un signal, me semble-t-il, est aussi adressé à la justice.

Nous le savons, nos textes de loi n'ont de sens que s'ils sont appliqués. Aussi, le signal que nous envoyons à la justice consiste à dire que la représentation nationale et, à travers elle, le peuple français ne supportent plus les agressions répétées à l'encontre des soignants comme de tous ceux qui sont à notre service ; de manière générale, nous ne supportons plus la violence dans la société.

Il convient donc que les sanctions soient réelles, dissuasives et à la hauteur de la réprobation que les Français manifestent à l'encontre de ceux qui s'en prennent à nos professionnels de santé.

Ce texte, me semble-t-il, répond à toutes ces attentes. C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, protéger ceux qui nous soignent, lorsqu'ils craignent pour leur sécurité dans l'exercice de leur mission, est à la fois l'exigence minimale d'une société digne et notre responsabilité première en tant que législateur.

Le texte que nous nous apprêtons à voter, dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire, répond à cette exigence. Son objet est louable : mieux protéger nos professionnels de santé, ainsi que l'ensemble des personnels qui travaillent au sein des structures de soins.

En effet, nos professionnels de santé sont particulièrement exposés aux violences. En 2022, 37 % d'entre eux disent en avoir été victimes. Le rapport de 2022 de l'Observatoire national des violences en milieu de santé dresse un bilan alarmant : en 2021, 19 328 actes de violence ont été recensés, dont plus de 50 % de violences physiques ou menaces avec une arme et près de 30 % d'insultes et injures.

Il était donc impératif de se doter d'un cadre efficace et dissuasif, en renforçant l'arsenal répressif et les dispositions du code pénal applicables en cas de violences.

Cette proposition de loi, déposée par nos collègues députés du groupe Horizons, est complémentaire du plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé que le Gouvernement a lancé en septembre 2023.

La commission mixte paritaire qui s'est réunie le 20 mai dernier a été conclusive. Le texte qui en est issu conserve une grande part des apports de notre assemblée.

Ainsi, à l'article 1er, l'aggravation des peines encourues pour des faits de vol et de violences quand ils sont commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements est maintenue.

Il en va de même à l'article 2, qui étend le délit d'outrage aux professionnels de santé et pose les conditions des circonstances aggravantes en découlant.

Par ailleurs, nous saluons, à l'article 2 bis A, une avancée majeure issue d'un compromis : désormais, tous les ordres professionnels pourront se constituer partie civile en cas d'outrage.

De même, l'article 3 a fait l'objet de quelques ajustements pour parvenir à un dispositif attendu, grâce auquel l'employeur pourra porter plainte pour violences à la place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel d'un établissement de santé.

Nous saluons donc le travail pragmatique et équilibré qui a été réalisé sur ce texte. Nous avons à cœur de changer le quotidien de nos soignants, afin de garantir leur protection dans l'exercice de leurs fonctions. Nous leur confions nos vies. Aussi leur devons-nous ce soutien, en Hexagone comme en outre-mer.

Le groupe RDPI votera donc en faveur de ce texte. (Mme Corinne Bourcier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, l'assassinat de Carène Mézino, infirmière à Reims, dans le Grand Est, nous alertait avec horreur quant au fait que les lieux de soin n'étaient plus épargnés par la violence.

Il y a trois mois, un homme agressait un psychiatre et plusieurs infirmières au Nouvel Hôpital civil de Strasbourg.

Il y a deux mois, un homme menaçait de mort un médecin généraliste et dégradait son cabinet.

Depuis le début de l'examen de cette proposition de loi, nous avons souligné l'urgence de répondre à une violence qui s'installe insidieusement dans notre quotidien et frappe jusqu'à nos hôpitaux, nos cabinets médicaux, nos officines. Cette violence touche celles et ceux qui soignent, qui accompagnent, qui rassurent.

Ces actes ne sont ni des faits divers ni des accidents isolés ; ils sont devenus une réalité que l'on ne peut plus ignorer.

À ce titre, je veux redire ici combien nous saluons l'initiative du député Philippe Pradal et le travail mené au Sénat par la rapporteure Anne-Sophie Patru.

Ce texte n'est pas une réponse isolée. Il s'inscrit dans un effort plus large. Je pense notamment au plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé engagé par le Gouvernement.

La prise de conscience est désormais largement partagée. La libération de la parole, la médiatisation de certains drames et le travail des ordres professionnels ont permis de nommer ce que beaucoup vivaient sans le dire. Il revenait au législateur de prendre la mesure de cette réalité.

J'en viens aux dispositions de cette proposition de loi.

Mon groupe et moi-même sommes évidemment favorables à l'article 1er, qui étend à l'ensemble des professionnels exerçant dans les lieux de soins la protection prévue depuis 2003 pour les professionnels de santé. Cette extension était attendue. Désormais, la protection s'appliquera à tous les personnels employés par des prestataires extérieurs ou exerçant en libéral, dans des structures médico-sociales, dans des officines ou encore dans des laboratoires. Il s'agit d'une clarification indispensable pour reconnaître la diversité des acteurs exposés aux violences.

En ce qui concerne l'article 2, nous avions défendu la réintroduction du délit d'outrage, plutôt que celui d'injure ; c'est cette position qui a été retenue dans le texte final. Ce choix a une portée symbolique : il rappelle que l'outrage ne saurait être relativisé dès lors qu'il vise celles et ceux qui nous soignent. Cela envoie un signal fort. En effet, les agressions verbales, les menaces et les insultes ne relèvent plus de l'anecdote ; elles sont désormais pleinement qualifiées et réprimées.

Nous saluons également l'extension, à l'article 2 bis A, de la possibilité donnée aux ordres professionnels de se constituer partie civile lorsque l'un de leurs membres subit un outrage.

Soit dit en passant, ce dispositif n'est pas sans rappeler celui créé par la loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression, loi issue d'une initiative de notre ancienne collègue, devenue ministre, Nathalie Delattre.

Dans un contexte de sous-signalement des agressions, les mécanismes de ce type doivent être développés. En effet, la faculté de se constituer partie civile à la place d'un tiers facilite l'engagement des poursuites lorsqu'un professionnel victime hésite à porter plainte seul, ou se sent isolé dans sa démarche.

Cette dernière remarque vaut également pour l'article 3, qui élargit le droit de plainte par l'employeur, les ordres professionnels ou les URPS ; nous avons soutenu cette mesure.

Ces différents mécanismes permettront, je l'espère, de rompre la spirale du silence et de l'impunité. Ils traduisent un engagement clair : ne plus laisser un professionnel seul face à la violence. En les adoptant, nous envoyons aux établissements, aux directions et aux ordres un appel à la responsabilité en affirmant que les victimes ne sauraient porter sur leurs seules épaules le poids de leur propre protection.

De manière générale, on a su faire évoluer ce texte au fil des lectures, en restant fidèles à son esprit initial. On évite ainsi l'écueil d'une surenchère pénale, tout en répondant à une demande claire du terrain.

Cette proposition de loi est le fruit d'un dialogue constant entre l'Assemblée nationale et le Sénat, dont je salue la qualité.

Elle n'épuisera pas, à elle seule, la question de la protection des soignants. Elle ne réglera pas les causes profondes de la violence de notre société. Mais, sans être un remède miraculeux, elle apporte une réponse concrète, attendue et légitime.

Aussi, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'éprouve une réelle satisfaction au moment d'achever l'examen de cette proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

En effet, notre rapporteure Anne-Sophie Patru a veillé à ce qu'il ne subsiste dans ce texte que les mesures essentielles, qu'elle a tenu à sécuriser du point de vue juridique. Je tiens à l'en remercier.

Comme vous le savez, trop de professionnels de santé sont victimes d'insultes, de menaces ou d'agressions physiques. Cette situation est inacceptable. Aussi notre réponse pénale doit-elle être à la hauteur.

Malheureusement, le soutien qu'ont pu recevoir les soignants durant la période du covid-19 semble désormais bien loin. Selon l'Observatoire national des violences en milieu de santé, près de 21 000 actes de violence ont été commis en 2024 à l'encontre de professionnels de santé. Cela représente près de 55 faits par jours.

En outre, le nombre de signalements s'accroît : entre 2023 et 2024, il a augmenté de 6,6 % toutes professions confondues, et de 27 % pour les seuls médecins.

Bien sûr, ces chiffres ne prennent en compte que les faits signalés. Or bon nombre de victimes ne portent pas plainte, par découragement ou fatalisme face à une justice qui sanctionne souvent trop tard.

Quand bien même ils seraient en deçà de la réalité, ces chiffres suffisent à démontrer l'ampleur du phénomène dont sont victimes ces professionnels, qui ne font pourtant qu'exercer leur métier au service des autres.

Les drames que constituent le décès en mai 2023 de Carène, infirmière au CHU de Reims, après avoir reçu des coups de couteau, ou encore les attaques perpétrées en janvier 2025 contre 14 soignants d'un hôpital de Haute-Savoie nous rappellent les conséquences dramatiques de cette violence trop longtemps banalisée.

Comment ne pas faire le lien avec les agressions envers les élus, les forces de l'ordre, les enseignants ou même les pompiers ? Nous devons répondre à ce phénomène.

Les mesures que comporte ce texte constituent une base favorable pour renforcer la sécurité des professionnels de santé ; ainsi de l'élargissement du champ du délit d'outrage, ou encore de la qualification de circonstance aggravante quand la victime d'une agression sexuelle est un professionnel de santé.

Cette proposition de loi permet également aux employeurs des victimes, après avoir recueilli leur accord, de déposer plainte pour elles.

Enfin, nous avons veillé à instaurer le même degré de protection pour tout professionnel de santé, qu'il exerce dans un hôpital public ou en libéral. Pharmaciens, personnels de santé à domicile, laboratoires, maisons de santé : tous ces lieux de soins, toutes ces professions sont concernés.

J'espère que les dispositions que nous nous apprêtons à adopter amélioreront la prise en charge des signalements de violences et renforceront la sécurité des professionnels de santé. Bien sûr, ce texte ne résoudra pas à lui seul le problème. Nous devons apporter une réponse plus globale, qui repose sur une meilleure coordination des acteurs – de la police, de la justice – et sur une application rigoureuse des lois et des dispositifs existants.

En outre, nous devons continuer à prévenir la violence dès l'enfance et travailler sur les conditions d'exercice des professionnels concernés, notamment à l'hôpital.

Cette proposition de loi réaffirme le soutien que les élus et la société apportent aux soignants. Le groupe Union Centriste la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon le baromètre 2025 de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), la santé psychologique des soignants est extrêmement préoccupante.

Les soignants sont exposés à des situations de stress spécifiques ; leur charge de travail entraîne notamment un sentiment de ne pas faire convenablement son travail. Les incivilités, voire les violences physiques qu'ils subissent constituent un facteur très important de tension psychologique, notamment pour les femmes.

Ainsi, 75 % des soignants estiment que leur volume de travail est trop important et 59 % d'entre eux déclarent avoir tellement de travail qu'ils ne peuvent pas tout faire convenablement. À cela s'ajoutent des facteurs de stress organisationnel et de stress spécifique lié aux violences commises à leur encontre : 54 % des soignants sont confrontés à des situations de violences au travail, 41 % font face à l'incivilité de certains patients, voire, pour 30 % d'entre eux, à une agressivité physique.

La proportion de professionnels de santé disant subir des situations de violence au travail est de vingt points supérieure à celle des autres salariés. Il existe donc une prévalence des violences dans le secteur de la santé. Celle-ci touche en premier lieu les aide-soignants : 66 % d'entre eux rencontrent souvent au moins un type de situation violente dans l'exercice de leur pratique.

La commission mixte paritaire a trouvé un accord sur cette proposition de loi, qui traduit les mesures d'ordre législatif du plan interministériel pour la sécurité de nos professionnels de santé.

Nous espérons que ce texte apportera une réponse à l'insécurité des professionnels exerçant dans le secteur de la santé, même si nous demeurons sceptiques quant à l'efficacité de la surenchère répressive.

Les violences commises par des patients envers des accompagnateurs en psychiatrie, aux urgences ou dans les Ehpad sont souvent le fait de personnes juridiquement irresponsables. Aggraver les sanctions, comme le fait ce texte, n'aura aucune conséquence en la matière.

Pour réduire les violences commises sur les professionnels, il faudrait s'attaquer aux racines du problème, c'est-à-dire aux dysfonctionnements du système de santé.

Selon le rapport de Jean-Christophe Masseron et Nathalie Nion sur les violences à l'encontre des professionnels de santé, « les difficultés du système de santé, qui ne sont malheureusement pas nouvelles, potentialisent et acutisent aujourd'hui la problématique des violences en santé ».

Face aux insultes, aux outrages, aux dégradations, aux destructions, aux vols ou aux agressions physiques, nous devons a minima nous assurer que les directions des établissements garantissent aux victimes protection et soutien.

L'article 3 bis A, issu d'un amendement déposé par le Gouvernement en séance publique, tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel en rétablissant dans son intégralité le régime de la protection fonctionnelle des agents publics. Mon groupe avait déposé, en première lecture, un amendement en ce sens, qui avait été déclaré irrecevable. Aussi nous félicitons-nous aujourd'hui que l'article 3 bis A redonne une base légale à la protection fonctionnelle des agents de la fonction publique hospitalière.

En conclusion, le groupe CRCE-K votera pour ce texte.

Mme la présidente. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

Article 5 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
 

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Article 1er

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (proposition n° 504, texte de la commission n° 732, rapport n° 731).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, après des mois de travail, des mois d'auditions et de débats de qualité, nous voici au terme d'un chemin parlementaire qui honore l'Assemblée nationale, le Sénat et, au-delà, la République tout entière.

À l'instant où vous allez vous prononcer sur ce texte important, je veux, au nom du Gouvernement, mesurer la portée de cet acte législatif. En effet, cette proposition de loi, qui vise à inscrire explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol, n'est pas un nouveau texte technique et juridique ; les débats parlementaires ont permis de souligner qu'elle est avant tout un texte de civilisation, d'humanité et, surtout, d'espoir.

La justice française s'est construite dans des moments où la loi s'est élevée pour dire, avec force, ce qui ne saurait plus être toléré. Ce texte s'inscrit dans la droite ligne de ces grandes avancées. Il répond à un tabou, il brise le silence, il nomme ce que des victimes ont vécu dans l'incompréhension et, parfois, la solitude.

À la lumière de drames récents, la société française a ouvert les yeux sur l'ampleur et la banalité de certaines violences. Le procès des viols de Mazan, le courage de Gisèle Pelicot, la mobilisation des associations et la libération de la parole invitent l'ensemble de la représentation nationale à agir, à légiférer.

Ce texte est le fruit d'un travail parlementaire exemplaire, transpartisan, mené avec rigueur par les délégations aux droits des femmes, les commissions des lois et l'ensemble des groupes politiques des deux chambres.

Je veux saluer ici l'engagement de Dominique Vérien, d'Elsa Schalck, et de tous ceux qui ont pris part à ce combat, sans esprit partisan, avec pour unique volonté de faire progresser le droit et la justice.

Jusqu'à présent, notre code pénal définissait le viol par quatre critères : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il ne disait rien du consentement. Cette omission aurait pu sembler anodine, mais elle a eu de lourdes conséquences. Le débat a été âpre pour déterminer s'il convenait d'intégrer cette notion dans la loi, dans la mesure où certaines associations y étaient défavorables.

Grâce au travail de ma collègue Aurore Bergé, dont je salue l'engagement, de la Chancellerie, dont je remercie les équipes, et du Parlement, en lien avec la société civile, vous allez voter pour mettre fin à cette ambiguïté. En effet, ce texte affirme clairement que le consentement est la pierre angulaire de la liberté sexuelle.

Désormais, la loi dira que le viol est un acte sexuel commis sans consentement, que ce consentement doit être libre, spécifique, préalable et révocable, et qu'il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de résistance.

Ce texte opère donc un renversement : plutôt que de scruter un comportement, de disséquer des gestes, des paroles, ou des silences, il s'agit désormais d'interroger.

Ce changement de paradigme est décisif. Il met fin à un système dans lequel le doute profitait trop souvent à l'agresseur, la victime devant prouver qu'elle avait eu la volonté de résister et qu'elle l'avait « suffisamment », si je puis dire, démontré.

Nous espérons tous que cette nouvelle donne recentrera le débat judiciaire, et notamment les procès, sur l'essentiel : la volonté ou non d'obtenir un accord explicite, libre et éclairé. Elle devrait permettre à la justice de mieux protéger, de mieux dissuader et de mieux éduquer.

Je tiens ici à rassurer les professionnels du droit, les magistrats, les enquêteurs de la police et de la gendarmerie : ce texte n'impose pas une preuve impossible à obtenir ; il ne contractualise pas la sexualité ; il ne remet en aucun cas en cause l'indispensable présomption d'innocence.

Simplement, il clarifie le raisonnement judiciaire pour donner des repères à la justice en vue d'apprécier, au cas par cas, la réalité du consentement.

À cet égard, je salue l'amendement adopté par la commission des lois du Sénat tendant à substituer la notion de « contexte » à celle de « circonstances environnantes » pour apprécier le consentement. Le Gouvernement aurait émis un avis de sagesse sur un tel amendement, mais il est entendu qu'il est nécessaire de tenir compte du contexte pour caractériser l'existence ou non du consentement.

Au-delà de son caractère répressif, je crois, comme Aurore Bergé, que cette proposition de loi a surtout une vocation éducative. Elle dit à toute la société, formellement, qu'aucun acte sexuel ne peut être imposé ; que le consentement ne se présume pas, mais s'interroge, se recherche, se recueille, se reçoit, se respecte.

Ce texte doit irriguer le plus largement possible notre culture commune et nos mœurs, au travers de l'éducation et de la formation – en particulier, il faut bien le dire, celles des hommes. Il doit nous conduire à nous questionner sur ce que nous souhaitons transmettre aux générations futures, à nos enfants, aux jeunes garçons comme aux jeunes filles, sur la liberté, le désir, le respect du corps de l'autre et de son propre corps et, de manière générale, sur la beauté de l'amour et l'échange que représente l'acte sexuel.

Ce texte nous permet d'inscrire pleinement notre droit dans le cadre posé par la convention d'Istanbul, de répondre aux recommandations du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Grevio) et de tenir notre place dans la diplomatie féministe voulue par le Président de la République.

Il prolonge l'engagement de la France pour la protection des mineurs, contre l'inceste, contre la prostitution des enfants, contre toutes les formes de violences sexuelles qui touchent les plus faibles. Il donne à la France la capacité de défendre, sur la scène internationale, une définition exigeante du consentement, conforme à nos valeurs. Il s'inscrit dans la continuité des grandes lois contre les violences sexistes et sexuelles, pour lesquelles des femmes et des hommes se sont si longtemps battus.

En tant que garde des sceaux, je sais la nécessaire prudence qu'impose toute modification de notre droit pénal. Je veux dire à la société que ce texte n'est qu'une étape. Il appartient désormais aux magistrats et aux enquêteurs de le faire vivre, sous le contrôle attentif du Parlement, qui ne manquera pas d'évaluer les effets de l'important travail qu'il a réalisé.

Je veux saluer la détermination de tous et remercier les parlementaires, ainsi que le Conseil d'État, qui nous a accompagnés, avec vigilance, dans l'élaboration de ce texte. Je remercie également les éducateurs, les soignants, les enquêteurs, les magistrats, tous les professionnels du droit qui, chaque jour, sur le terrain, accompagnent les victimes, préviennent les violences, font vivre la justice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant ce texte, vous allez écrire une page importante de notre histoire pénale, faire honneur à la République et dire, avec force, que la liberté sexuelle est un droit fondamental, que le respect de l'autre est la condition première de toute civilisation et que la présomption d'innocence doit être absolument garantie.

Je vous invite donc à adopter ce texte, à porter haut cette exigence de clarté pour faire triompher la liberté sur la violence et la justice sur le silence.

Je vous remercie une nouvelle fois, madame la ministre, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre travail équilibré et de l'écoute que vous avez toujours eue pour les arguments juridiques. Ce travail, le vote qui interviendra dans quelques instants, j'en suis sûr, le consacrera. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le consentement est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles. Il est une évidence, qui aurait dû s'imposer depuis toujours.

Pourtant, il reste un concept volontairement déformé, caricaturé. Pourquoi ? Parce qu'il heurte des habitudes, des croyances ; parce qu'il dérange.

Il dérange, car il est intrinsèquement lié à une réalité que l'on préférerait mettre à distance. Cette réalité, occultée par les clichés, là voici : dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur, celui qui abuse, celui qui viole. Je répète : neuf fois sur dix ! L'agresseur n'est pas un inconnu tapi dans l'ombre ; il est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami, un collègue.

Cette proximité brouille les frontières et nourrit des doutes insupportables : « Pourquoi n'a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s'est-elle pas débattue ? Pourquoi n'a-t-elle rien dit plus tôt ? »

Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique.

Parce que la peur, la sidération, la honte, le contrôle coercitif, les violences psychologiques, les abus d'autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles, qui paralysent, qui peuvent paralyser longtemps.

Parce que l'absence de cri, de lutte ou de résistance n'a jamais établi un consentement.

Parce que le silence d'une victime n'est jamais un consentement.

Parce que ne pas dire non ne veut pas dire oui.

Nous vivons un moment charnière. Le procès de Mazan en est le symbole ; Gisèle Pelicot en offre le visage : celui d'une femme debout.

Gisèle Pelicot était droguée par son mari pour être vendue à des inconnus recrutés sur internet, qui la considéraient « comme une poupée de chiffon, un sac poubelle ». Pendant dix ans, son corps a été un terrain vague, son existence un cauchemar méthodiquement et chimiquement orchestré.

Ils ont été cinquante et un ; cinquante et un hommes ; cinquante et un visages terriblement ordinaires. Ce sont des voisins, des collègues, des pères de famille ; ce sont de ces hommes que nous croisons chaque jour, preuve que l'horreur a un visage familier.

Quand l'heure de répondre de leurs actes est venue et qu'il leur a fallu se rendre au tribunal, ils se sont présentés masqués, cachés sous des capuches ou des cagoules. Avaient-ils honte d'eux-mêmes ou simplement honte d'avoir été interpellés ?

Ce procès nous oblige. Il doit y avoir un avant et un après Mazan. Nous n'avons plus le droit de détourner le regard. Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu'elle est, avec ses violences, ses silences et ses complicités.

Nous devons nous hisser à la hauteur du courage de Gisèle Pelicot et de toutes celles qui ont porté plainte, mais aussi de toutes celles qui hésitent, de toutes celles qui renoncent par peur de l'épreuve du traitement judiciaire.

Nous devons donc redoubler d'efforts : si nous avons progressé au cours des dernières années pour mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux, si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d'accompagnement, ainsi que notre arsenal juridique, si nous avons commencé à graver dans la loi l'absence de consentement, le combat n'est pas pour autant terminé.

En inscrivant dans notre code pénal, par la loi du 21 avril 2021, le seuil de 15 ans, en deçà duquel il ne peut jamais y avoir de consentement, nous avons clarifié le travail de la justice.

Avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas comprendre ce qu'on lui suggère ou ce qu'on lui impose.

Avant 15 ans, un enfant ne peut pas consentir. C'est « non », c'est toujours « non ». Il s'agit là d'un interdit absolu, et il ne peut en être autrement.

Aujourd'hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant une vérité simple, incontestable et inaltérable : consentir, ce n'est pas ne pas dire non. Consentir, c'est dire oui : un oui explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté.

Il ne s'agit pas de caricaturer cette exigence, en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle. Il s'agit de protéger, de reconnaître et de rendre justice, car le viol n'est ni une fatalité ni un malentendu. Le viol est un crime : un crime qui brise, qui mutile et qui anéantit.

En la matière, nous avons une responsabilité historique.

Cette avancée législative majeure répond pleinement à un engagement formel du Président de la République. Elle bénéficie, en outre, du soutien constant de tous les membres du Gouvernement, et notamment de M. le garde des sceaux.

Je me réjouis aussi de l'engagement des parlementaires de tous horizons qui défendent cette avancée avec force et conviction, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Je tiens à rendre hommage au travail remarquable des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, dont la mission et le rapport d'information ont joué un rôle décisif.

Je salue aussi l'engagement du Sénat dans ce combat. En témoignent le colloque organisé sur le sujet par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, en novembre 2024, et la mission commune que cette même délégation a menée avec la commission des lois sur la prévention de la récidive du viol, dont les conclusions ont été présentées le mois dernier.

De même, je salue l'engagement sincère des deux rapporteures de la Haute Assemblée, toujours alliées sur ces sujets (Mmes les rapporteures sourient.), Elsa Schalck et Dominique Vérien.

Les travaux parlementaires, conjugués à l'avis éclairé rendu, dans de brefs délais, par le Conseil d'État, ont permis d'aboutir à une écriture qui rassure, encadre et sécurise.

Aujourd'hui, cette proposition de loi vous donne l'occasion d'inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental, principe de justice et de dignité : le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.

Il doit être libre, parce qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit en fausser la nature. Une femme qui craint de perdre son emploi, une jeune fille face à son entraîneur, une femme sous l'emprise d'un conjoint violent peut-elle réellement dire non ?

Il doit être éclairé : comment consentir si l'on est droguée, soumise, ivre, en situation de vulnérabilité ou placée dans un rapport d'autorité ?

Il doit être spécifique, pour que nul ne puisse détourner son sens. Consentir à un acte n'est pas consentir à tous les actes, et le droit des contrats ne saurait justifier un quelconque droit de disposer du corps d'autrui.

Enfin, il doit être préalable et révocable, car personne ne doit être enchaîné par un consentement accordé une fois. Dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours, et le droit de dire non à tout moment doit être respecté.

J'ajoute que le consentement doit toujours être apprécié dans son contexte. Une relation hiérarchique, une dépendance économique, un climat de peur ou de manipulation sont des éléments qui ne peuvent être ignorés.

Ce n'est qu'en mettant en lumière les stratégies de coercition que nous pourrons démasquer ceux qui exploitent la vulnérabilité des autres.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le combat contre toutes les formes de violences exige une réponse juridique globale, structurée et ambitieuse. C'est pourquoi – il s'agit là d'une première – nous avons créé un groupe de travail parlementaire réunissant l'ensemble des forces politiques représentées à l'Assemblée nationale et au Sénat, sans exclusive, sans tabou, sans calcul partisan.

Avec des députés et des sénateurs de tous bords, nous travaillons à l'élaboration d'une loi-cadre contre les violences sexuelles et intrafamiliales, que les victimes soient majeures ou mineures. Je tiens d'ailleurs à remercier celles et ceux d'entre vous qui prennent part, très activement, à ce chantier.

Nous l'avons constaté une nouvelle fois hier, lors de la quatrième réunion de ce groupe de travail : face aux violences sexuelles, l'unité est à la fois souhaitable et possible. Pour éradiquer ce fléau, nous savons faire République.

M. le garde des sceaux l'a dit, au-delà des textes de loi, c'est un changement de culture que nous devons opérer, collectivement.

La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattue par chacune et chacun d'entre nous, tout le temps et à tous les niveaux.

Elle est là chaque fois qu'une victime est réduite au silence, chaque fois qu'un agresseur est excusé, chaque fois qu'un « non » est interprété comme un « peut-être ».

Elle est là quand on apprend à nos filles qu'elles doivent avoir peur et se méfier au lieu d'apprendre à nos garçons qu'ils doivent les respecter ; quand on insinue que les vêtements, l'attitude ou l'heure tardive justifient l'injustifiable et qu'après tout la victime « l'a bien cherché ».

Mettre fin à cette culture, c'est éradiquer ces mécanismes de domination. C'est éduquer. C'est refuser la complaisance et le déni. C'est dire clairement que la honte est du côté, non pas des victimes, mais de ceux qui violent ; de ceux qui minimisent ; de ceux qui détournent le regard et qui laissent faire, complices.

Aujourd'hui, nous pouvons faire un pas décisif vers une véritable culture du consentement.

Le présent texte ne changera évidemment pas tout, et nous devrons continuer de lutter contre toutes les formes de violence. Mais il peut marquer un tournant.

Il nous revient aujourd'hui de réaffirmer haut et fort que le corps des femmes leur appartient ; qu'aucun homme ne peut jamais prétendre avoir un droit sur lui ; que ce qui compte, ce n'est pas ce que l'agresseur croit, mais ce que la victime veut. Et cela, c'est déjà une révolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n'est point d'acte sexuel licite s'il n'est pas consenti. Or céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à une forme de pression, quelle qu'elle soit, ce n'est pas consentir.

Se taire ou se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur – peur des coups, peur des représailles, peur de réveiller les enfants si l'on crie.

Se résigner lorsqu'un refus n'a pas été entendu, alors même qu'il a été exprimé des dizaines de fois, ce n'est pas consentir. C'est simplement dire que l'on n'a plus la force de lutter.

Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est trop souvent être dans un état de sidération tel que l'on n'est pas en mesure de se défendre.

C'est pour rappeler ces principes simples et les inscrire dans notre droit que nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, que je salue, visant à modifier la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles pour y inscrire la notion de consentement.

Ce texte, fondé sur l'important travail mené par nos collègues députées et sur leur rapport d'information rendu public en janvier 2025, apporte plusieurs aménagements au droit en vigueur.

Tout d'abord, il introduit une référence explicite à la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles, entendues en leur sens large, qui inclut le viol.

Ensuite, il précise que le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et toujours révocable.

Enfin, il préserve les acquis de notre droit pénal et de la jurisprudence en conservant les quatre pivots que sont la violence, la menace, la contrainte et la surprise.

Ces orientations font consensus : les amendements déposés en sont la preuve, puisqu'aucun d'entre eux ne tend à remettre en cause l'architecture adoptée en commission.

Qu'il me soit permis, cependant, de revenir sur certaines des évolutions apportées au texte par notre commission des lois.

Ma corapporteure Dominique Vérien et moi-même avons rapidement été confortées dans l'idée que cette proposition de loi avait une portée interprétative. Loin de rendre plus sévère le droit pénal, elle ne fait que graver dans le code pénal les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît la centralité du consentement depuis l'arrêt Dubas de 1857.

Enrichi des modifications adoptées par nos collègues députés pour tenir compte d'un avis particulièrement éclairant et précis du Conseil d'État, le texte transmis au Sénat était déjà extrêmement abouti. Nous nous sommes donc contentées d'y apporter deux modifications.

La première est une coordination, grâce à laquelle le périmètre matériel du viol sera le même pour toutes les victimes, quel que soit leur âge. En effet, nos collègues députés n'avaient pas effectué les modifications requises parmi les dispositions spécifiques aux mineurs. Dès lors, le présent texte risquait de placer ces derniers dans une situation juridiquement moins favorable que les majeurs. Nous ne pouvions pas laisser une telle incohérence s'immiscer dans notre droit : nous avons procédé aux coordinations requises.

La seconde porte sur les conditions dans lesquelles l'absence de consentement sera appréciée par le juge du fond.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale renvoyait, en la matière, aux « circonstances environnantes », terme emprunté à la convention d'Istanbul de 2011. Or cette notion n'est pas connue en droit pénal français. Elle aurait donc pu être source de difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes. Pis encore, elle est susceptible de provoquer des effets de bord négatifs pour les victimes : elle peut conduire à exploiter leur environnement, leur comportement, leurs relations ou leur passé, ce qui est l'exact contraire du but visé par cette proposition de loi.

Nous avons donc préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Nous pourrons ainsi tenir compte de tous les éléments susceptibles d'avoir vicié le consentement de la victime.

Mes chers collègues, avant de céder la parole à Dominique Vérien, j'attire votre attention sur le point d'équilibre que constitue la formule dégagée par nos soins en commission.

Le droit pénal est une matière sensible. Plus encore que tout autre domaine de la loi, il doit être modifié d'une main tremblante, car, si nous commettions une erreur de droit, ce sont les victimes qui en feraient les frais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en complément des propos d'Elsa Schalck, auxquels je m'associe évidemment sans réserve, je reviendrai sur les principes juridiques qui ont fondé la position de la commission sur les amendements que nous examinerons au cours de la soirée.

Elsa Schalck le rappelait à l'instant, on ne doit toucher à la loi pénale que d'une main tremblante, en s'assurant d'être soutenu par des certitudes quant aux multiples effets que l'on va produire dans l'ordre juridique et sur la base d'un travail approfondi, pour garantir la conformité de la loi nouvelle à la Constitution.

Une censure décidée à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aurait, en effet, des conséquences dévastatrices pour les victimes. C'est un risque que nous devons à tout prix éviter.

Je suis certaine que nous nous rejoignons sur ces principes. Il me reste à vous exposer comment nous les avons appliqués.

Tout d'abord, nous avons émis un avis défavorable ou une demande de retrait sur les amendements dont la portée juridique ne peut être définie avec précision en l'état de nos travaux.

Je le dis avec force et de manière solennelle : cette position n'ôte rien à l'importance des sujets auxquels ces amendements nous confrontent, qu'il s'agisse de la soumission chimique, chère Véronique Guillotin, pratique dont le procès des viols de Mazan a rappelé la cruelle brutalité, ou de la prostitution des mineurs de 15 ans, dont l'insuffisante répression, aussi réelle que choquante, est dénuée de lien avec la rédaction actuelle de la loi pénale.

Ce choix s'explique aisément : il n'est pas raisonnable de modifier la loi pénale sans avoir, au préalable, mené l'ensemble des travaux requis.

Nous ne saurions négliger les apports des auditions et du travail législatif tout entier, quelle que soit la qualité des réflexions préparatoires qui ont pu être menées, sous peine de priver notre mission de législateurs de son but essentiel : peser tous les arguments, sans exception et avec sérieux, pour rester les gardiens de l'intérêt général.

Le texte que nous examinons aujourd'hui a été précédé d'un rapport sur lequel Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin ont travaillé pendant plus d'un an. Pour autant, l'examen de cette proposition de loi en commission, puis en séance à l'Assemblée nationale a donné lieu à des modifications substantielles, sans lesquelles la solidité du texte n'aurait pas été acquise.

Cet exemple doit nous inspirer. Je souhaite, en outre, que le Gouvernement s'engage à donner au Parlement le temps de mener un travail spécifique sur les autres sujets dont nous aurons à débattre, notamment la soumission chimique.

De même, nous avons émis un avis défavorable sur les amendements dont les dispositions présentent un risque juridique, dans la mesure où elles paraissent contraires à des principes constitutionnels.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je pense aux amendements visant à ériger en élément constitutif du viol des situations qui sont aujourd'hui constitutives de circonstances aggravantes de la même infraction.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et ce ne serait pas constitutionnel ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ce cumul n'est pas envisageable en droit, car il serait contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Nous avons réservé un sort identique aux amendements visant à préciser, de bonne foi, mais à l'excès, la définition du viol et des autres agressions sexuelles. Bien que l'intention de leurs auteurs soit louable, nous nous devons de rappeler que la loi pénale est d'interprétation stricte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous nous l'apprenez… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Tout ajout est de nature à limiter les marges de manœuvre du juge du fond, à l'empêcher de tenir compte de la diversité des situations auxquelles sont confrontées les victimes et, par voie de conséquence, à dégrader l'effectivité de la répression.

Enfin, nous avons émis un avis défavorable sur…

Mme Laurence Rossignol. Dites « tous les amendements », nous irons plus vite !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … les amendements dont les dispositions, sans être dépourvues de lien indirect avec le texte, nous renvoient à des débats qui en excèdent largement le cadre.

Je pense aux amendements tendant à remettre en cause l'équilibre issu de la loi du 21 avril 2021, adoptée sur l'initiative de notre collègue Annick Billon, s'agissant des critères du viol entre majeurs et mineurs. Je pense aussi aux amendements visant à modifier en profondeur le régime de la prostitution.

Ces sujets ont déjà donné lieu à de riches débats. Dans l'absolu, ces derniers peuvent être rouverts, mais ils supposent une évaluation du droit en vigueur, de sa pertinence et de son efficacité. À défaut, une évolution de la loi ne saurait, selon nous, être envisagée.

Mes chers collègues, cette proposition de loi marque un moment charnière dans la lutte contre les violences sexuelles.

Par son caractère interprétatif, elle nous impose une forme de modestie : elle nous rappelle que le législateur ne peut pas tout et que les plus grands bouleversements ne passent pas forcément par les textes.

Ce qu'il faut pour mieux réprimer les viols et les autres agressions sexuelles, ce sont avant tout des moyens supplémentaires pour les enquêtes, ainsi que des formations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats.

Ce qu'il faut, c'est aussi, voire surtout, inciter les victimes à porter plainte sans tarder. Elles doivent avoir confiance en nos institutions. Nous devons leur donner l'assurance qu'elles seront protégées et entendues.

Toutefois, ce texte est moins modeste qu'il n'y paraît…

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'incidence de la loi sur la réalité ne se mesure pas à la longueur ou à la complexité des textes que nous adoptons. L'enjeu, aujourd'hui, est de pousser les juges et les enquêteurs à se focaliser sur les auteurs plutôt que sur les victimes, tout en faisant œuvre de pédagogie pour le justiciable.

Alors que, chaque année, 230 000 femmes se déclarent victimes de viol ou d'agression sexuelle,…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … quelques milliers de condamnations seulement sont prononcées. Les marges de progrès sont donc immenses.

C'est avec la rigueur juridique que la gravité du sujet nous impose…

Mme la présidente. Merci beaucoup !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … que nous allons consolider ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq,

est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Xavier Iacovelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte. En outre, 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite. Enfin, seuls 1 % des violeurs sont finalement condamnés.

Ce sont ces chiffres-là qui doivent nous obséder. Nous devons rechercher les meilleurs moyens de pousser les femmes à déposer plainte, les parquets à poursuivre et les juridictions de jugement à entrer en voie de condamnation.

Le présent texte le permettra-t-il ? Nous l'espérons, mais – il faut le reconnaître en toute honnêteté – nous ne le savons pas. Peut-être débattons-nous ce soir d'un texte historique, mais peut-être cette proposition de loi se révélera-t-elle inefficace.

Avant tout, nous devons examiner avec la plus grande attention les modifications législatives proposées.

La notion de consentement est entrée dans le débat public il y a quelque temps – avant le procès Pelicot –, après avoir été mise en lumière par des personnalités de premier plan.

Évidemment, nous sommes tous d'accord pour que ce terme entre dans la définition de l'infraction de viol. Toutefois, la question est plus compliquée que cela.

Aujourd'hui, la qualification de viol repose sur le recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. Mais, en parallèle, elle bénéficie d'une jurisprudence extrêmement solide : il ne faudrait pas qu'une modification législative conduise à l'affaiblir.

Tel a été le premier objectif des membres du groupe socialiste : faire en sorte que la législation actuelle ne soit pas affaiblie.

Heureusement, cette question a bénéficié d'un effort remarquable de fabrication de la loi, ce qui est assez peu fréquent, y compris pour les propositions de loi du Sénat…

Inspiré par une importante mission d'information et enrichi par l'avis du Conseil d'État, ce travail a abouti à une construction très intelligente. (Mme la ministre acquiesce.)

Le présent texte affirme que le consentement est un préalable indispensable, en définissant cette notion, puis précise qu'il n'y a jamais de consentement quand il est fait recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Dans de tels cas, il ne sera pas possible de plaider le consentement. Cette rédaction ne résout pas tout le problème juridique, mais elle permet d'avancer.

Ce faisant, le présent texte est de force à rappeler aux autorités policières, et peut-être aussi aux autorités de poursuite, que la notion de consentement existe : ce serait là déjà une grande avancée.

Je me tourne à présent vers les associations féministes, dont des représentantes se trouvent peut-être dans nos tribunes. À mon sens, le fait d'introduire la notion de consentement dans la définition du viol ne revient pas à concentrer le propos et l'attention sur la victime, d'autant que tel est déjà le cas : aujourd'hui, dans tous les procès pour viol, c'est le comportement de la victime qui est scruté.

Je le répète, les membres du groupe socialiste insistaient sur la nécessité de ne pas affaiblir la jurisprudence : ce danger est écarté.

De plus, nous voulions que la législation reprenne la notion de consentement, sans croire, de manière magique, à la vertu performative du droit. Un violeur ne lit pas le code pénal avant de passer à l'acte… Mais cette notion permet de clarifier un certain nombre de points.

La construction d'ensemble est donc intéressante. Nous y sommes favorables, d'autant que – Elsa Schalck l'a souligné tout à l'heure – cette proposition de loi est, à ce stade, un texte de nature interprétative. Ses dispositions seront donc applicables à des faits antérieurs à leur adoption. (Mmes les rapporteures le confirment.) À l'inverse, les mesures durcissant la loi pénale ne peuvent être appliquées de manière rétroactive.

Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas adopter des dispositions d'une autre nature, lesquelles pourraient s'appliquer aux faits ultérieurs. Mme Rossignol y reviendra sans doute tout à l'heure.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous sommes favorables au présent texte et nous abordons ces débats, certes sans illusion particulière, mais avec un optimisme résolu.

L'ensemble des sujets ne sauraient être traités par le biais de cette proposition de loi. Nous n'en espérons pas moins que les poursuites pour viol seront, demain, plus efficaces. C'est pourquoi – nous défendrons un amendement en ce sens – nous demandons une évaluation afin de savoir, dans quelques années, si le but assigné à ce texte a bien été atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des crimes que l'on crie et d'autres que l'on tait. Le viol fait partie de ceux que l'on a longtemps tus, que ce soit par honte, par peur ou par sidération.

Le viol est un crime où le corps de la victime devient à la fois la scène, la preuve et parfois, injustement, l'objet du soupçon.

Notre droit pénal ne nomme toujours pas ce qui est pourtant au cœur de cette violence, à savoir l'absence de consentement.

Le chemin vers la reconnaissance de cette notion a été long, très long, trop long. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la jurisprudence pénale considère que le mariage ne pouvait justifier qu'un conjoint impose à l'autre des rapports sexuels. En outre, c'est seulement en 2010 que la loi a supprimé ce qui restait de la présomption de consentement liée au mariage.

Ces constats en disent long des résistances s'exerçant en la matière. Aujourd'hui encore, certains peinent à admettre qu'un acte sexuel, même au sein du couple, doit être librement consenti.

Le viol, tel qu'il a été défini par la loi du 23 décembre 1980, repose exclusivement sur des moyens de coercition : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Mais ces catégories ne correspondent pas à la réalité des violences sexuelles.

Le viol est un crime sans aveu. Dans certains cas, l'auteur ne menace pas, ne frappe pas, ne crie pas. Il agit autrement. Il abuse d'une confiance. Il profite d'un moment d'inconscience. Il exploite ou provoque une situation de vulnérabilité. Il n'a pas besoin de violence visible : il s'appuie sur le silence, la peur ou la sidération. Bien connue des professionnels, cette dernière fige la victime, la paralyse et la dissocie, au point parfois d'effacer la mémoire du traumatisme.

Quand une preuve ADN existe, l'auteur ne nie pas le rapport sexuel. Simplement, il peut dire : « Elle était d'accord. » C'est alors que tout se complique.

Pour que l'infraction soit reconnue, la justice doit parvenir à démontrer que l'auteur savait que la victime ne consentait pas. Or, dans un crime sans témoin, sans aveu, sans violence apparente, cette preuve est souvent impossible à établir. C'est ainsi que le doute s'installe et, avec lui, le non-lieu, le classement sans suite, le silence.

Les chiffres sont effrayants. En 2023, 270 000 personnes auraient été victimes d'un viol, d'une tentative de viol ou d'une autre agression sexuelle ; mais, au total, seulement 6 % des victimes, en moyenne, portent plainte.

En outre, dans 94 % des cas de viol signalés, l'affaire est classée sans suite. Ce n'est pas une anomalie ; c'est un dysfonctionnement systémique : parce que, dans notre droit, le silence d'une victime peut encore être interprété comme un consentement alors qu'il devrait être un signal d'alerte ; parce que l'absence de résistance physique est encore trop souvent opposée à la victime, comme si la terreur, pour être crédible, devait se manifester par des coups visibles.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à rétablir une évidence : un acte sexuel n'est licite que s'il est consenti. Et ce consentement ne se présume pas. Il ne se déduit ni d'un regard, ni d'un silence, ni d'une absence de fuite.

Ce texte introduit dans le code pénal une définition claire du consentement. Celui-ci doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il ne peut pas être déduit du seul silence. Il ne peut pas être donné par une personne inconsciente, vulnérable ou sidérée.

Ce n'est pas une révolution juridique ; c'est une révolution de clarté. Elle ne bouleverse ni la présomption d'innocence ni la charge de la preuve.

Ainsi que le Conseil d'État l'a rappelé dans son avis du 6 mars dernier, cette réforme n'instaure aucune présomption de culpabilité. Elle ne modifie pas l'équilibre du droit pénal. Mais elle renforce la lisibilité et la cohérence du système. Elle invite simplement les enquêteurs et les magistrats à interroger d'abord l'existence du consentement, plutôt que de chercher des traces visibles de contraintes.

Ce texte a également une puissante vertu pédagogique. Il donne un repère clair à toute la société. Il dit à chaque victime qu'elle a le droit d'être crue, même si elle n'a pas crié. Il dit à chaque citoyen que l'on ne touche pas à quelqu'un sans avoir obtenu son accord explicite. Il aligne encore notre droit sur celui de quinze pays européens qui ont déjà reconnu l'absence de consentement comme le cœur du viol.

Vous l'aurez compris, le groupe Les Indépendants votera avec conviction ce texte, parce qu'il est attendu et parce qu'il est juste.

Cette proposition de loi facilitera, nous l'espérons, le recours des victimes à la justice, mais il faudra aller plus loin. Il faudra que la justice ait les moyens de juger vite, bien et avec humanité. On le sait, le temps judiciaire devient trop souvent une nouvelle violence.

Cette année encore, notre groupe sera particulièrement attentif au respect de la loi de programmation de la justice. Pilier du pacte républicain, la justice est essentielle au bon fonctionnement de notre société et doit, à ce titre, disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires défendra l'adoption de ce texte. Nous avons la responsabilité de soutenir et d'accompagner les victimes. La République a un devoir de protection. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle société voulons-nous pour demain ? Les moyens que nous nous donnons le montreront.

Je citerai quelques chiffres : plus de 122 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées en 2024. C'est plus de 7 % par rapport à 2023 et plus de 11 % en moyenne annuelle depuis 2016. Ces violences se produisent pour 77 % hors du cadre familial lorsque les victimes sont majeures. Combien de dégâts psychologiques et de larmes pour ces victimes ?

Cette loi, à portée pédagogique et centrée sur le comportement de l'auteur, permettra la libération de la parole et augmentera la répression par l'écriture d'un texte plus clair et plus compréhensible pour tous.

Elle doit également permettre de modifier les pratiques de la police et de la justice. En effet, on constate un taux de dépôt de plainte trop bas, de 2 % à 6 % seulement, et le taux de condamnation reste faible, 10 % à 15 % seulement des dossiers donnant lieu à une condamnation.

Cette proposition de loi, qui vise à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, ajoute la notion du consentement. Qu'est-ce que c'est ? L'audition des avocats de Gisèle Pelicot a été particulièrement édifiante quand ceux-ci ont relaté que l'un des auteurs des faits avait déclaré : « Son mari avait dit oui, je pensais qu'elle était d'accord. »

Le consentement doit se placer au cœur de l'éducation à la sexualité et s'inscrire pleinement dans une notion de respect de l'autre. Le consentement nécessite un travail éducatif et culturel pour déconstruire les idées fausses comme : « Si on ne dit rien, c'est qu'on veut bien. »

Le débat sur le consentement dans la notion de viol est un enjeu juridique, philosophique et social, qui a beaucoup évolué ces dernières années.

Avant 2021, le viol était défini par l'article 222-23 du code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ainsi, le non-consentement est déduit de l'existence d'un de ces adminicules, mais n'est pas central.

Depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol, dès lors que la différence d'âge entre l'adulte et l'enfant est d'au moins cinq ans. Il y a donc désormais présomption d'absence de consentement dans ce cas précis. C'est un premier pas.

D'autres pays vont plus loin que nous et écrivent dans la loi que le viol est un acte sexuel commis sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée.

Le consentement n'est donc pas une simple absence de refus. Il doit être actif et librement exprimé. C'est dire oui et ne pas se contenter de ne pas dire non. Il se vit dans une relation où chacun est en capacité d'exprimer ses émotions et de prendre en compte celles de l'autre. Le silence ne vaut pas consentement.

Consentir, ce n'est pas céder. C'est choisir. C'est aussi avoir confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2022, selon l'enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité, menée par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, la moyenne du nombre de femmes âgées de 18 ans et plus ayant été victimes de viols, tentatives de viol ou d'agressions sexuelles a été estimée à 230 000 personnes. Parmi elles, environ huit sur dix ne portent pas plainte et, lorsqu'elles le font, force est de constater que de nombreuses affaires sont classées sans suite faute de preuves suffisantes.

Je crois que le temps est venu de redéfinir les notions de viol et d'agression sexuelle dans notre code pénal. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, qui y introduit la notion de consentement. Il s'agit de défendre la liberté personnelle et sexuelle, ainsi que le droit au respect de son intégrité physique et psychique.

Pour ce faire, le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable : libre, tout d'abord, pour qu'il ne puisse pas être contraint ; éclairé, ensuite, car la notion de consentement est inévitablement liée à celle du discernement ; spécifique, également, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, de la même manière que l'on peut consentir à certains actes sans nécessairement le faire pour d'autres ; préalable, évidemment, car la question du consentement implique nécessairement d'être posée avant, et non après ; révocable, enfin, parce que le consentement n'est ni définitif ni absolu.

Tels seront les critères permettant de caractériser le consentement, qui ne pourra pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction d'une victime ; il devra être apprécié au regard du contexte des faits reprochés.

Dans l'affaire des viols de Mazan, nombreux sont les accusés à avoir utilisé une stratégie de défense consistant à dire : « On pensait que Mme Pelicot était consentante. »

Mes chers collègues, le temps est venu de modifier notre code pénal. Compte tenu de sa rédaction, de ses potentielles conséquences juridiques et de son caractère transpartisan, je voterai avec mon groupe pour l'adoption de ce texte.

En préparant mon intervention, j'ai compris que de nombreux juristes, avocats et magistrats étaient dubitatifs, voire sceptiques, sinon opposés à cette réforme. Mais, en dépit des critiques et des inquiétudes que suscite cette proposition de loi, je voterai pour, et cela pour plusieurs raisons.

L'inquiétude s'agissant de l'inversion de la charge de la preuve est légitime, car elle est liée au principe de la présomption d'innocence. Clé de voûte précieuse de notre État de droit, la présomption d'innocence n'est pourtant pas remise en cause par ce texte, puisque la charge de la preuve reviendra toujours à l'accusation, et non l'inverse.

La rédaction du texte n'instaure pas non plus de présomption de défaut du consentement impliquant une vérification formelle ou une contractualisation entre les personnes. En réalité, la rédaction retenue invite les magistrats et les parties à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience chez la personne mise en cause d'avoir agi sans le consentement de l'autre ou contre lui.

Le texte n'instaure donc ni présomption ni renversement de charge de la preuve.

Par ailleurs, certains estiment qu'introduire la notion de consentement pourrait centrer l'enquête et les débats sur le comportement de la plaignante ou du plaignant. Mais permettez-moi de vous dire que c'est déjà parfois le cas aujourd'hui ! N'oublions pas non plus que ce sont les magistrats et les enquêteurs qui conduisent les investigations et les débats lors des procès.

Dans de nombreuses affaires, les investigations entraînent des traumatismes secondaires pour les parties civiles. Ce texte invite justement les enquêteurs et les magistrats à s'intéresser un peu plus aux agissements et au comportement de la personne mise en cause.

Par conséquent, ce que la proposition de loi met au centre de l'attention, ce n'est pas l'une ou l'autre des parties : c'est la notion même de consentement, souvent décisive dans ce type de dossiers. Et c'est justement parce que cette notion est décisive que nous devons l'inscrire dans le marbre de la loi.

À celles et ceux qui estiment que ce n'est pas sa place, je répondrai que le consentement est déjà présent dans le code pénal. La notion n'en est pas absente ; l'ajouter sera source de sécurité juridique. Là où la jurisprudence peut fluctuer au gré des décisions et des affaires, notre système juridique prévoit une interprétation stricte de la loi pénale. Autrement dit, en ajoutant la notion de consentement, nous permettons une meilleure appréhension des faits et de leur contexte.

De surcroît, je rappelle que la rédaction proposée pour définir le viol intègre les critères de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.

Dès lors, si ce texte permet de conserver les notions utiles à la manifestation de la vérité, je suis convaincu que la rédaction choisie permettra de prendre en compte, enfin, l'état de sidération. La nouvelle définition élargit en effet le champ des agressions sexuelles à des cas longtemps ignorés et incompris.

Or, selon la docteure Myriam Salmona, spécialiste du psychotraumatisme, 70 % des victimes de viol ont connu un état de sidération. Modifier notre code pénal en ce sens n'a donc rien d'anodin.

Le travail remarquable réalisé par les députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin invite en réalité à s'interroger : les générations futures pourront-elles vivre dans une société où le consentement sera non plus une notion équivoque, mais bel et bien un principe consensuel et connu de tous ?

Mes chers collègues, loin de toute pression extérieure, y compris celle de l'opinion publique, je voterai ce texte, car j'ai été convaincu par des arguments juridiques. Bien évidemment, changer la loi ne résoudra pas tout. Mais la nécessité d'améliorer les formations des professionnels et des magistrats dédiés à la justice ne doit pas nous exonérer, en tant que législateurs, de faire évoluer notre droit.

En 1834, Alfred de Musset a écrit la pièce On ne badine pas avec l'amour. En 2025, ne badinons plus avec le consentement ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, notre société interroge en profondeur les silences du droit face aux violences sexuelles. À mesure que la parole des victimes se libère, les attentes se font plus fortes. Ce courage de parler et cette volonté de réparer nous obligent.

L'exemple de l'inceste en est sans doute l'illustration la plus marquante. Il a fallu attendre la loi du 8 février 2010 pour que le mot « inceste », longtemps absent du code pénal, y figure enfin, puis la loi du 21 avril 2021 pour que l'inceste soit reconnu comme une infraction autonome.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique. Elle ne crée pas de nouvelle infraction, mais elle affirme avec force une évidence trop longtemps restée implicite : l'absence de consentement est le cœur même de la définition du viol.

Comme cela a déjà été rappelé, jusqu'à aujourd'hui, le droit pénal français définit le viol à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il n'a jamais explicitement mentionné l'absence de consentement.

Aujourd'hui, nous considérons qu'il est temps de franchir une étape. Cette proposition de loi introduit une évidence juridique et sociétale : un acte sexuel ne peut être licite qu'à la condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Ce n'est pas une révolution ; c'est juste une clarification nécessaire.

Bien entendu, le Conseil d'État a lui-même souligné que les jurisprudences actuelles permettent déjà de sanctionner la quasi-totalité des situations visées par cette réforme. D'ailleurs, l'exemple des procès des viols de Mazan l'illustre. Mais ce n'est pas parce que le texte n'ajoute pas d'incrimination nouvelle qu'il est inutile. Il dit ce que la société attend, en l'espèce que le consentement ne soit jamais présumé, jamais déduit du silence, jamais ignoré.

Au procès des viols de Mazan, le consentement de Gisèle Pelicot a sans cesse été remis en question par la défense : consentement présumé si la victime ne dit pas explicitement non ; consentement présumé si le mari a donné son accord. D'ailleurs, l'un des accusés, qui était âgé de 58 ans, a lui-même déclaré qu'il aurait aimé qu'on lui explique plus jeune ce qu'était le consentement.

Ce texte constitue donc une étape importante dans la construction d'un droit pénal plus lisible et plus en phase avec notre société. Nos rapporteures ont souligné sa bonne rédaction et ont pu procéder à quelques correctifs encore nécessaires, afin de répondre aux inquiétudes exprimées par des magistrats et des praticiens du droit, soucieux d'éviter des formulations imprécises et potentiellement sources d'insécurité juridique. En effet, comme l'ont expressément exprimé les rapporteures, on ne touche au droit pénal qu'avec la main qui tremble.

Je ne vais pas maintenir le suspense trop longtemps. Bien sûr, le groupe du RDSE votera évidemment de manière unanime et avec force en faveur de cette proposition de loi. Cela dit, nous ne devons pas surévaluer l'effet immédiat de ce texte. À lui seul, il ne réglera ni les classements sans suite, ni les renoncements à déposer plainte, ni les difficultés d'instruction, qui font qu'une part effarante des faits de viol et d'agression sexuelle échappent encore à toute réponse pénale.

D'ailleurs, nous avons entendu des inquiétudes à l'encontre de cette proposition de loi, notamment la crainte d'un déplacement de la charge de la preuve vers les victimes, mais elles ne doivent en aucun cas nous conduire à l'immobilisme.

Ce texte ne prétend pas tout résoudre. À nous de l'accompagner par des moyens concrets : une formation renforcée des magistrats, des policiers, des gendarmes, des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; une meilleure écoute des victimes et un effort soutenu pour améliorer le traitement judiciaire de ces infractions. Je mentionnerai également ce qui est peut-être l'une des priorités : la nécessité de l'éducation au consentement dès le plus jeune âge.

Pendant l'examen du texte, une question nous a traversés. Pourquoi ne pas avoir intégré cette réforme dans un projet de loi plus large sur les violences sexuelles, avec des moyens, des objectifs concrets et une ambition structurelle ? Vous y avez répondu, madame la ministre, en affirmant votre volonté d'y parvenir.

Au-delà de ce texte, le Parlement a récemment adopté plusieurs lois importantes, comme celle du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate et celle du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales. Je pense également à la proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales, déposée par notre présidente, Maryse Carrère, et adoptée ici même au mois de novembre dernier.

Suivant cette perspective, j'ai déposé plusieurs amendements issus du rapport sur la soumission chimique que j'ai remis avec Sandrine Josso au Gouvernement le 12 mai dernier. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles, mais cela illustre à quel point ces sujets sont interconnectés et appellent une réponse globale fondée sur le droit, l'éducation, la formation et des moyens à la hauteur.

Je le répète, plutôt que des mesures éparses, nous avons besoin d'une loi-cadre ambitieuse pour lutter contre les violences sexuelles, toutes les violences sexuelles, dans toutes leurs dimensions : pénale, sociale et éducative.

En somme, nous avons besoin d'une mobilisation collective pour mettre enfin un terme au déni et à l'impunité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « qui a envie d'une petite tasse de thé ? » Ce n'est pas la chaleur qui motive ma question : je fais référence à une vidéo explicative sur le consentement qui compare l'acte sexuel à une tasse de thé, qu'il ne viendrait à l'idée de personne de forcer autrui à boire.

Si vous ne l'avez pas vue, je vous invite à le faire et à la faire circuler, notamment auprès du jeune public. Elle est drôle et pédagogique, et il n'est jamais inutile de recentrer les choses sur ce qui peut sembler évident.

Le sexe, c'est comme le thé. Il faut demander à l'autre s'il ou elle en a envie et tenir compte de la réponse, même si l'on a très soif ! (Sourires.) Ainsi, une personne peut finalement refuser de boire une tasse de thé, même si elle l'avait demandée. Elle peut changer d'avis si le goût ne lui plaît pas, elle peut n'en boire qu'une et ne plus jamais en vouloir et, dans tous les cas, elle ne peut pas vouloir boire du thé si elle est inconsciente.

Qui ne dit mot consent ! Des expressions proches, telles que « Le silence dit oui », ont été retrouvées chez des auteurs grecs du IVe siècle avant Jésus-Christ, dont – on l'a appris récemment – Platon : cela fait vingt-cinq siècles que la sagesse populaire considère que l'absence de protestation équivaut à un consentement ! (Mmes les rapporteures Elsa Schalck et Dominique Vérien s'esclaffent.)

Cela va sans dire, mais ça va mieux en le disant : qui ne dit mot ne consent pas, seul un oui veut dire oui. Et – on l'aura compris – il ne doit pas être obtenu par menace, violence, surprise ou contrainte.

Depuis #MeToo, j'entends beaucoup de réactions, parmi les hommes comme parmi les femmes, effrayées du changement de société que beaucoup, dont moi, appellent de leurs vœux : « Je n'ose plus faire un compliment à une femme », « On ne sait plus ce qu'on a le droit de dire », « Maintenant, on va devoir passer un contrat avant de coucher avec quelqu'un. » Le fait que le consentement puisse être révoqué pendant le rapport sexuel inquiète également beaucoup.

Que ces messieurs se rassurent, il s'agit non pas de sanctionner une performance insuffisante – encore que ! – (Rires.), mais bien de prendre conscience que, quand on dit oui, on ne dit pas oui à tout et à n'importe quoi. Et n'en déplaise à certains, ce n'est pas parce qu'on a dit oui une fois qu'on veut dire oui à nouveau. Je sais, c'est fatigant, mais en fait, il faut que l'autre soit d'accord à chaque fois et, accessoirement, qu'il en ait envie.

Épouser quelqu'un n'en fait pas non plus une personne sexuellement disponible en permanence. Cela semble évident, mais comme les viols entre époux ou ex-époux représentent un quart des plaintes enregistrées pour viol, il faut manifestement le redire.

Avoir provoqué une excitation sexuelle chez quelqu'un, parfois involontairement, n'oblige nullement à le satisfaire. C'est le fameux : « Tu ne peux pas me laisser comme ça ! » Vous reconnaissez ? (Rires.)

Pourquoi prendre la peine de préciser cela, alors que cela semble évident ? Lors des auditions des rapporteures, une chercheuse a évoqué ces opérations de sensibilisation menées dans les collèges et les lycées, ainsi que sa stupéfaction devant les filles qui ne savaient pas qu'elles peuvent « laisser le garçon comme ça » (Sourires.), qu'elles peuvent parfaitement refuser de faire ce qu'elles n'ont pas envie de faire et que la seule chose qu'elles doivent faire est de se poser la question de ce dont elles ont envie, elles.

Cette proposition de loi est importante. Juridiquement – cela a été souligné par nos rapporteures –, elle explicite et consolide des acquis jurisprudentiels. Elle sera donc d'application immédiate et, espérons-le, permettra une uniformisation du traitement judiciaire.

Il y a aujourd'hui une sorte de roulette russe sur l'accompagnement et le suivi judiciaire des victimes de violences sexuelles. Vous parlez souvent, chère Dominique Vérien, des moyens de la justice et de l'impérative formation de toute la chaîne judiciaire, ainsi que des espaces vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). C'est évidemment indispensable.

Cette proposition de loi, comme le dit lui-même le Conseil d'État, permettra également cette avancée vers un traitement judiciaire plus uniforme des plaintes pour viol. Par exemple, dans les cas de sidération, les victimes ont tellement peur qu'elles ne disent plus rien.

Cette proposition de loi a l'immense mérite d'expliquer clairement que le viol est un acte sexuel non consenti. Ce qui compte, ce n'est pas si et comment la victime s'est défendue, ni ce qu'elle portait, ni si elle a cherché à « allumer un mec », ni même tous les mecs.

Ce qui compte, c'est que le partenaire sexuel s'est posé la question du consentement de l'autre personne. Ce qui compte, c'est de s'interroger sur ce que l'autre veut. Ce qui compte, c'est qu'un rapport sexuel est une relation entre personnes placées sur un pied d'égalité, respectueuse des désirs de l'autre.

Chacune et chacun d'entre nous peut mesurer, en entendant les chiffres qui ont été évoqués avant moi, l'étendue de la tâche. Une simple proposition de loi, même votée avec l'enthousiasme qui est le mien et que je partage dans cet hémicycle, ne suffira pas à changer le fait que le lieu le plus dangereux, en France comme dans d'autres pays, est non pas la rue, mais bien le foyer, pour les femmes, pour les enfants et pour toutes les personnes vulnérables à un moment ou à un autre.

On parle beaucoup de femmes victimes, qui représentent le gros des troupes, mais, bien entendu, toutes les catégories sexuelles de la population sont concernées par les violences sexuelles, en passant par les hommes – messieurs ! –, homos ou hétérosexuels, les LGBTQI+ et les enfants.

En effet, le viol n'est pas affaire de désir. C'est une question de pouvoir et de contrôle. On viole pour détruire. Il n'y a pas de zone grise. Il y a une intention criminelle d'aller outre la volonté de l'autre de le faire plier à la sienne, d'une façon ou d'une autre. Le viol est un acte de prédation, jamais un malentendu ou une erreur d'appréciation.

Pour les enfants, dont on n'a plus à prouver le défaut de consentement depuis la loi Billon de 2021, cette proposition de loi sera l'occasion d'un débat qui me semble essentiel. Je remercie à cet égard la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) de son engagement, et je salue votre stratégie de lutte contre le système prostitutionnel, madame la ministre.

Il n'en reste pas moins que, alors que la loi Billon permet de qualifier tout acte sexuel commis sur un mineur de 15 ans, aucune poursuite n'a été engagée sur le fondement de l'article 222-23-1 du code pénal lorsque le rapport sexuel a fait l'objet d'une rémunération.

La plupart du temps, les clients de mineurs de 15 ans font l'objet d'une contravention. Dans les premiers mois de 2025, la plus jeune victime n'avait pas 12 ans. Il faut poursuivre les clients de mineurs de 15 ans pour viols. Nous sommes plusieurs sur ces bancs, dont Annick Billon, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes de la Haute Assemblée, qui a été à l'origine de la réforme majeure de 2021, à attendre votre position sur le sujet, madame la ministre.

En conclusion, mes chers collègues, je tiens, comme d'autres avant moi, à saluer le travail des députés Véronique Riotton, homologue de Dominique Vérien à l'Assemblée nationale, et Marie-Charlotte Garin. Le travail qu'elles ont mené pendant dix mois, avec un avis du Conseil d'État, est synonyme de sécurité juridique, dans une matière qui souffre de la superposition de textes mal articulés et difficilement applicables. Et si le garde des sceaux avait encore été là, j'aurais insisté sur la nécessité d'opérer une refonte s'agissant des infractions sexuelles du code pénal, qui deviennent totalement illisibles.

Je note néanmoins que nos deux rapporteures, Elsa Schalck et Dominique Vérien, n'ont eu, elles, que dix jours pour mener leurs travaux. Le train de sénatrice va décidément beaucoup plus vite que le train de sénateur ! (Sourires.)

Le groupe UC votera cette proposition de loi, telle qu'elle a été amendée par la commission des lois. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour évoquer et combattre un fléau intrinsèquement lié à la société patriarcale : le viol et l'agression sexuelle.

Si le mouvement féministe et les grandes affaires judiciaires, comme le procès de Bobigny ou celui de Mazan, ont fait avancer la question depuis plusieurs décennies, le bilan reste très en deçà de ce que nous pourrions attendre de la nation de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Le pays des droits de l'homme n'est décidément toujours pas celui des droits de la femme.

Il suffit de regarder les chiffres. Chaque année, 230 000 femmes sont victimes de viols en France, mais seulement 6 % des victimes de viols, tentatives de viol ou agressions sexuelles portent plainte. Et seulement 0,6 % de ces plaintes aboutissent à une condamnation. Le nombre de classements sans suite pour les affaires de viol est de 94 %. Au total, moins de 1 % des violeurs sont condamnés.

Pourquoi un tel bilan ? Est-ce parce que la définition pénale du viol n'inclut pas la notion de consentement ? La réponse à cette question est évidemment non.

C'est bien sûr à cause du manque de moyens que des hommes violent et agressent en toute impunité.

Chaque année, il manque 2,6 milliards d'euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il manque une réelle campagne de prévention par l'éducation et la sensibilisation à tous les niveaux de la société. Il manque des moyens d'identifier et de prendre soin des victimes, de mettre en place un réel soutien psychologique et médical en facilitant l'accès aux soins pour les victimes, et la création de structures d'accueil spécialisées ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

La formation des professionnels du service public dans l'éducation, la santé, la justice et la police fait également défaut. Il devient indispensable d'améliorer le parcours judiciaire avec la création de brigades et de juridictions spécialisées.

La liste des mesures à prendre est longue, mais les pouvoirs publics semblent rester quasi immobiles. Protéger nos filles et nos femmes et toutes les victimes ne devrait pas avoir de prix. Et si modifier la loi est peu coûteux, c'est aussi – hélas ! – peu efficace. Avant de modifier la loi, il faudrait déjà l'appliquer et la faire appliquer.

En ce qui concerne cette modification de la loi pénale, je voudrais vous faire part de mes réserves quant à l'introduction, aux deux premiers alinéas de l'article 222-22 du code pénal, de la notion de consentement.

Si la notion de consentement et même de désir est primordiale en matière de pédagogie, nous sommes réunis ici pour modifier le code pénal. Le débat au sein du mouvement féministe sur cette notion est riche, mais le terme est loin de faire consensus. Je partage à ce titre les craintes de nombreuses féministes quant à l'introduction de cette notion dans le code pénal, car je m'interroge.

Il est vrai que, lors de leur procès, nombreux sont les hommes accusés de viol qui affirment ne pas savoir que l'acte sexuel qu'ils ont imposé n'était pas consenti. Par exemple, dans l'affaire Pelicot, qui a été citée à de nombreuses reprises, certains accusés ont même parlé de « viol involontaire ». Une femme endormie serait donc pour eux potentiellement consentante…

Ne risquons-nous pas ainsi de donner raison aux violeurs en légitimant leur ignorance ? Si la victime sait qu'elle n'a pas consenti, comment le violeur, lui, pourrait-il l'ignorer ? Et surtout, ne risquons-nous pas de concentrer le procès sur l'attitude de la victime, et non sur le comportement de l'agresseur ?

Comme le plaidait Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, « le drame de cette attitude, c'est que, qu'on le veuille ou non, nous sommes acculées, nous, plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que, mais non !, nous n'avons pas consenti. »

Pourtant, hélas, notre justice est souvent bien trop tournée vers la stigmatisation et la culpabilisation des victimes. Des photos de Gisèle Pelicot nue, prises à son insu, ont ainsi été utilisées par la défense pour lui reprocher d'avoir des penchants exhibitionnistes.

En introduisant la notion de consentement dans la loi, n'insistons-nous pas davantage sur le comportement de la victime que sur celui de l'agresseur ?

Toutes ces interrogations restent sans réponse, et l'absence d'étude d'impact est, comme pour toutes les propositions de loi, regrettable.

Par conséquent, persuadés que, sans moyens supplémentaires, rien ne changera, et craignant les nombreux effets de bord d'une telle mesure, les membres de notre groupe, très majoritairement, ne pourront pas voter ce texte. (Mme Laurence Rossignol applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'excuser Mélanie Vogel, qui devait prononcer cette intervention.

Le 29 mars 2017, la Cour de cassation a confirmé un non-lieu alors qu'une femme accusait son conjoint de viol, estimant que l'homme avait pu « se méprendre sur le consentement de la victime, doute qui doit lui profiter ». Ce genre de décision n'est pas isolé. Il est une conséquence directe des lacunes de notre droit et signifie que, en l'absence de non clair, il est normal d'avoir pu supposer qu'il s'agissait d'un oui.

Que l'on comprenne bien : juridiquement, une relation sexuelle est donc permise par défaut. Le consentement n'est pas un préalable, seulement un moyen de dérogation. Un homme a donc le droit de se tromper sur son droit à disposer du corps d'une autre. Un homme peut violer sans être condamné, s'il prétend avoir mal compris.

Voilà pourquoi ce texte est non pas accessoire, mais urgent et attendu. En effet, de nombreux cas ne sont pas couverts par la loi.

Quand une personne est en état de sidération, droguée, inconsciente, comment peut-on prétendre qu'elle avait dit oui ? Quand le oui n'est ni libre ni éclairé, comment prendre en compte les circonstances environnantes qui l'ont forcé ? Quand une personne consent à la relation, mais pas à toutes les pratiques, comment distinguer la sexualité du viol ?

Ce texte répond à ces angles morts du droit. Il ne retire rien aux outils existants ; il les complète et les renforce.

Ce texte juridiquement solide est le fruit d'un travail parlementaire de dix-huit mois, mené par Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, que je félicite. Il est aussi le fruit du travail des organisations féministes, de victimes, d'avocates et de magistrates.

Ce texte est solide, comme le soulignent les avis positifs du Conseil d'État et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), et il permet de s'aligner sur les recommandations de la convention d'Istanbul.

De fait, revoir la définition pénale du viol apporte un triple bénéfice.

Le premier est symbolique : c'est dire aux femmes que leur volonté compte ; c'est sortir de la culture du viol, où leurs corps sont présumés disponibles, pour aller vers une culture du consentement, où leurs corps, leurs choix, leurs vies leur appartiennent.

Aujourd'hui, il n'y a que pour le corps des femmes que l'on considère spontanément que, sans indication contraire, il serait acquis. C'est l'objet le plus contrôlé, le plus regardé et stigmatisé et le plus fantasmé, celui que l'on s'approprie le plus fréquemment. Or, ce texte vise à rompre avec cette réification et à clarifier la différence entre sexualité et violence, entre égalité et domination.

Le deuxième bénéfice est d'ordre pénal. Cette redéfinition constitue un outil supplémentaire entre les mains des juges pour sortir de l'impunité.

Alors que, toutes les deux minutes et trente secondes, une personne est victime de viol ou de tentative de viol, seulement une femme sur dix-sept porte plainte, consciente que la justice ne sera pas à la hauteur. Et les chiffres leur donnent raison, car 94 % des affaires sont classées sans suite.

En introduisant l'absence de consentement dans la loi, on recentre le regard sur les actes de l'auteur. A-t-il activement recherché le consentement ? L'a-t-il fait dans des circonstances de domination, d'emprise ou d'incapacité de la victime à s'opposer ? Ce changement de focale donne à des milliers de victimes une chance d'être, enfin, reconnues.

Pour terminer , ce texte apportera un troisième bénéfice, sociétal cette fois, car, oui, le droit a un effet performatif : il façonne les normes sociales, dit ce qui est acceptable et l'ancre dans les habitudes.

Si, aux termes de la loi, ne pas s'assurer du consentement lors d'un rapport est puni, alors les comportements changeront, et cela, concrètement, bâtira la culture du consentement dans une société où seulement 59 % des 18-24 ans identifient un acte sexuel sans consentement comme un viol.

Alors, oui, des doutes ont été soulevés en amont de ce texte, mais la rédaction actuelle, solide, doit les lever.

Si la proposition de loi avait supprimé les quatre critères – violence, contrainte, menace ou surprise –, nous aurions pu nous y opposer, mais ce n'est pas le cas. Si elle inversait la charge de la preuve, si elle introduisait une notion floue, inadaptée au droit pénal, si elle instaurait une présomption de culpabilité, nous aurions pu voter contre, mais ce n'est pas le cas.

Si nous voulons vraiment lutter contre les viols, briser l'impunité et protéger les victimes, si nous voulons inscrire dans la loi le meilleur de la jurisprudence, afin que les femmes aient accès à la même justice partout dans le pays, si nous voulons qu'elles n'aient plus peur de porter plainte et qu'un message clair, enfin, leur soit envoyé, affirmant haut et fort : « Vos corps vous appartiennent, vos choix comptent, vos droits sont respectés », alors il n'y a qu'une réponse possible pour ce texte, quand bien même il n'est qu'une partie du chemin : voter pour. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Buis et Laurent Somon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un argument est souvent employé pour défendre ce texte : il aurait une vertu ou une ambition éducative. Grâce à l'introduction du consentement dans le code pénal, les hommes comprendraient – enfin ! – qu'un acte sexuel ne peut pas être imposé.

Je voudrais tout d'abord, peut-être un peu crûment, briser certaines illusions : les hommes qui violent savent très bien qu'ils violent. Ils savent très bien qu'ils abusent des privilèges que leur confère leur position dominante dans la hiérarchie des sexes, leur pouvoir économique ou leur force physique. N'imaginons pas que les hommes violeraient par inadvertance, négligence, ou même ignorance ou méconnaissance.

Puisqu'il s'agirait d'éducation au travers de ce texte, je vous propose de nous arrêter un instant sur le sens du mot consentement. Quelle est la définition du verbe consentir, par exemple dans le Larousse ? Consentir, c'est accepter quelque chose, accepter que quelque chose se fasse ou acquiescer. En cela, ce verbe se distingue très nettement du verbe vouloir, par exemple.

Le mot consentement s'inscrit donc, à mes yeux, dans les représentations les plus traditionnelles, pour ne pas dire les plus archaïques, de la sexualité : une sexualité dans laquelle les hommes prennent l'initiative, proposent ou pénètrent, quand les femmes se donnent, cèdent ou concèdent.

C'est d'ailleurs pour cette raison que le Sénat s'est particulièrement mobilisé, de façon novatrice, dans la lutte contre l'industrie pornographique et les représentations qu'elle diffuse, en particulier ces sexualités qui sont violentes, parce qu'elles sont hiérarchisées et fondées sur l'irrépressible désir des hommes.

Selon moi, le mot consentement n'est pas seulement dépourvu de vertu éducative : il est « méséducatif ». Comme le dit très bien la philosophe Manon Garcia, en définissant le viol par le non-consentement, on accrédite l'idée « que le consentement est l'affaire des femmes, que les femmes doivent choisir de refuser ou d'accepter les assauts sexuels des hommes ».

Et comme le dit aussi bien Marianne Frison-Roche, professeure de droit à l'université, « En Occident, la liberté est dans le ″non″, le consentement est dans le ″oui″. Par la volonté, je domine ; par le consentement, je me soumets. La force est du côté de la volonté ; la faiblesse du côté du consentement. » Parler de consentement, c'est s'inscrire dans le droit et perpétuer une représentation des sexualités qui n'est fondée ni sur l'égalité ni sur le désir.

Si le législateur voulait vraiment éduquer la société et promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes par la sexualité, il emploierait non pas le mot « consentir », mais le substantif « volonté ». Une relation sexuelle concrétiserait alors la rencontre de deux volontés, de deux désirs, et non le consentement d'une femme à la proposition sexuelle d'un homme.

J'ai compris que cette modification du code pénal se ferait malgré moi et malgré bien d'autres. Afin qu'elle soit réellement utile aux victimes et aux femmes, nous devrions l'encadrer davantage. Le Conseil d'État a beau décréter qu'il y a une autonomie du droit pénal, le risque est grand que le juge raisonne malgré tout selon ce qu'il a appris à l'école de droit, c'est-à-dire en fonction du consentement en droit civil et dans le droit des contrats.

Qu'est-ce qu'un consentement libre et éclairé quand il s'agit d'un acte sexuel obtenu par un employeur en échange de la promesse, par exemple, de ne pas inscrire une femme dans une charrette de licenciement ? Comment le juge évaluera-t-il ce fameux contexte ?

Si les pratiques de la justice étaient émancipées des stéréotypes sexistes, nous pourrions être optimistes. Mais tout le monde sait ici que tel n'est pas le cas.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues, je vous proposerai toute une série d'amendements qui tendent à s'inscrire dans la logique du texte, mais qui visent à le renforcer et à le sécuriser, pour les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons aujourd'hui à un tournant : un tournant de société, de justice, de conscience.

Depuis trop longtemps, le viol est un fléau silencieux, qui détruit des vies, brise des familles et ronge la confiance. Les chiffres sont terribles. Ils ont été rappelés : plus de 230 000 victimes chaque année, mais moins de 8 000 condamnations. Nous ne pouvons plus tolérer ce décrochage, ce gouffre entre la réalité et la justice.

Nous avons une responsabilité, celle de faire évoluer notre droit et de donner un signal clair. La société n'acceptera plus l'ambiguïté, le doute et la suspicion envers les victimes. C'est le sens de ce texte, qui constitue une réelle avancée, non seulement juridique, mais également morale.

Jusqu'à présent, en effet, notre droit reposait sur quatre piliers : la violence, la contrainte, la menace et la surprise. Ces quatre piliers hérités du XIXe siècle ont structuré notre justice. Ils ont permis, certes, de condamner et de protéger, mais ils ont aussi, parfois, laissé des victimes sans réponse, parce que la sidération, l'emprise ou le choc n'étaient pas toujours pris en compte, parce que le silence ou l'absence de réaction étaient trop souvent interprétés comme un consentement.

Ce texte change la donne. Il affirme un principe simple, mais fondamental : sans consentement, il n'y a pas d'acte sexuel possible. Le consentement, désormais, doit être apprécié selon le contexte, et non déduit du silence ou de l'absence de réaction.

C'est une avancée pour toutes les victimes. C'est aussi une protection renforcée pour les plus vulnérables, pour celles et ceux qui n'ont pas pu dire non, n'ont pas pu crier, n'ont pas pu fuir.

Toutefois, mes chers collègues, il faut le dire : le droit pénal n'est pas le terrain de l'émotion. Il est le rempart de la justice. Il est la garantie de l'équilibre. Nous devons rester vigilants. Nous devons protéger la présomption d'innocence. Et nous devons à nos concitoyens la sécurité juridique.

Il s'agit non pas de basculer dans l'arbitraire ou la subjectivité, mais d'apporter de la clarté, de la rigueur et de la justice.

C'est pourquoi nos deux rapporteurs de la commission des lois ont accompli un travail remarquable de précision en sécurisant le texte, en précisant la notion de consentement, en remplaçant les « circonstances environnantes » par le terme « contexte », pour éviter toute dérive interprétative, et en élargissant la définition du viol aux actes bucco-anaux, y compris pour les mineurs, pour une protection égale et sans faille.

La commission a aussi supprimé des articles superflus, tout en gardant l'essentiel : la protection des victimes, la clarté du droit, l'efficacité de la justice.

Ce texte n'est pas une fin ; c'est un début. Il nous faudra aller plus loin et donner plus de moyens à la justice. Il faudra mieux informer les enquêteurs, mieux accompagner les victimes et accélérer les procédures. Il faudra surtout faire évoluer les mentalités pour que la honte change de camp, pour que la victime soit crue, respectée et protégée.

Aujourd'hui, nous posons une pierre ; une pierre solide, une pierre juste et une pierre attendue. Le groupe Les Républicains votera évidemment ce texte, avec vigilance et exigence, en ayant conscience que chaque mot, chaque virgule, engage la vie de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants.

La République, c'est d'abord le respect. La France, c'est la justice. Notre devoir, c'est de protéger les plus faibles, sans jamais céder à la facilité, sans jamais renoncer à l'équilibre du droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Après l'article 1er

Article 1er

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° L'article 222-22 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots : « tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur » ;

b) Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Au sens de la présente section, le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard du contexte. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

« Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature. » ;

2° L'article 222-22-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « par le premier » sont remplacés par les mots : « au troisième » ;

b) Au deuxième alinéa, la seconde occurrence du mot : « premier » est remplacée par le mot : « troisième » ;

(Supprimé)

4° Le premier alinéa de l'article 222-23 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;

c) (Supprimé)

4° bis (nouveau) Au premier alinéa des articles 222-23-1 et 222-23-2, après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;

5° Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

II. – (Non modifié) Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 2-3, le mot : « second » est remplacé par le mot : « dernier » ;

2° Le début du premier alinéa de l'article 804 est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement). »

M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

du contexte

par les mots :

des circonstances environnantes

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à rétablir la formulation issue des travaux de l'Assemblée nationale, en remplaçant la notion de « contexte » par celle de « circonstances environnantes ».

Au-delà d'une simple question lexicale, il s'agit d'introduire une notion plus précise, mieux à même de qualifier des situations de violence, d'emprise ou de domination susceptibles d'avoir altéré le consentement de la victime.

De fait, le terme « contexte » renvoie surtout à la notion de lieu ou de cadre immédiat, donc aux caractéristiques propres au temps de l'action. Il apparaît trop vague et insuffisant pour saisir la complexité des situations dans lesquelles des pressions ont pu être effectuées.

La notion de circonstances environnantes permet au magistrat de dépasser cette analyse partielle ou immédiate en prenant en compte l'ensemble des faisceaux d'indices sur les éléments d'emprise, mécanismes d'exploitation de vulnérabilité, relations de pouvoir ou encore violences ou menaces qui ont pu préexister à l'acte.

Cette notion permet un examen plus large, parce qu'elle offre un cadre plus complet. Elle s'appuie sur des travaux solides et reprend les recommandations du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes sur la définition pénale du viol.

Elle est conforme au droit international fixé par la convention d'Istanbul, en tenant compte des réactions des victimes, parfois incapables de manifester leur refus.

L'avis du Conseil d'État rappelle également que l'on ne peut ignorer les réactions comportementales des victimes, en particulier lorsqu'elles sont paralysées par la peur, l'emprise ou la sidération.

Remplacer les termes « circonstances environnantes » par le mot « contexte » risque donc d'entretenir une lecture réductrice de la réalité des violences sexuelles. En revanche, adopter cet amendement, c'est renforcer la protection des victimes en dotant la justice d'un cadre d'analyse à la hauteur de la complexité des faits.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Le présent amendement vise à revenir au texte initial de l'Assemblée nationale en rétablissant l'expression « circonstances environnantes », à laquelle la commission a substitué celle de « contexte ».

La notion de circonstances environnantes est une reprise mot pour mot de la convention du Conseil de l'Europe. Or, comme vous le savez, mes chers collègues, le respect du droit international, qui anime aussi ce texte, n'impose pas la reprise littérale des termes des conventions auxquelles la France est partie.

Nous avons constaté lors des auditions que l'expression « circonstances environnantes » posait plusieurs difficultés.

Premièrement, elle est redondante, les circonstances étant toujours environnantes.

Deuxièmement – ce point est important –, elle est inconnue en droit pénal français, ce qui risque de créer des difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes.

Troisièmement, et enfin, la Cour de cassation a appelé notre attention sur le caractère potentiellement extensif de cette notion. L'environnement de la victime, son attitude, ses relations ou son passé pourraient être de nouveau explorés, afin de tenter de démontrer son consentement, au risque d'accentuer la pression qu'elle subit.

Pour toutes ces raisons, nous avons préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Mes chers collègues, nous vous proposons donc d'en rester à la définition de la commission.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la sénatrice Poncet Monge, permettez-moi de saluer à mon tour Mélanie Vogel pour son engagement bien connu sur la question des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Au travers de votre amendement, vous proposez de revenir au texte initial. Or, depuis le début de l'examen de ce texte, nous proposons de manière constante, à l'Assemblée comme au Sénat, de suivre l'avis du Conseil d'État.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il ne peut être déduit de l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Afin d'introduire le consentement dans la loi, l'Assemblée nationale a voulu préciser de quoi ce dernier ne pouvait pas être déduit. Ainsi, le consentement ne peut pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

Je le répète, si la pratique judiciaire n'était pas aussi défaillante dans la poursuite et la sanction des violences sexuelles, nous pourrions être beaucoup plus détendus. Toutefois, nous savons que les défaillances sont extrêmement nombreuses. Mon propos vise donc à préciser davantage les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut pas être déduit, en y ajoutant l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

Soyons concrets : imaginons une jeune étudiante qui obtiendrait la gratuité d'un logement en échange de services sexuels que lui aurait demandés le propriétaire.

On me répondra bien entendu que ce cas de figure est déjà prévu par la loi, au travers de la notion de contrainte morale. Si c'était le cas, la situation ne se présenterait pas, et il y aurait des condamnations multiples. Or ce n'est pas le cas.

Je propose donc d'apporter les précisions nécessaires pour que l'introduction du consentement dans la loi soit profitable aux victimes et lève les ambiguïtés. Non, le consentement ne se déduit pas d'un échange de services ou d'une rémunération !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que le consentement ne peut pas être déduit de l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

En l'état du texte, le consentement « ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ». Cette rédaction résulte en partie d'une modification suggérée par l'avis du Conseil d'État, selon lequel cette précision serait utile afin de ne pas limiter l'appréciation du juge.

Nous partageons cette analyse, qui vaut également pour cet amendement. Il semble non seulement superfétatoire, mais risqué du point de vue juridique, d'apporter de trop nombreuses précisions sur les modalités de déduction du consentement.

Le texte, tel qu'il a été rédigé, permet déjà d'appréhender les situations dans lesquelles une personne se livrant à la prostitution reviendrait sur son consentement. Les qualificatifs du consentement en témoignent. Deux l'illustrent particulièrement, en l'espèce : il s'agit des caractères spécifique et révocable du consentement.

Le Conseil d'État a expressément souligné dans son avis que « le consentement à un acte de prostitution en échange d'une somme d'argent » ne peut pas « permettre de présumer l'existence d'un consentement propre à écarter la qualification d'agression ou de viol ».

Il ajoute : « La jurisprudence, que la proposition de loi renforce [...], n'exclut pas [...] qu'une prostitution résultant du proxénétisme puisse [...] être regardée dans des cas très nombreux comme constitutive par elle-même d'une contrainte qui, si elle est connue de l'auteur des faits, ou apparente, sera susceptible d'entraîner la qualification d'agression sexuelle ou de viol ».

Dans la mesure où son adoption limiterait l'appréciation du juge dans un sens potentiellement défavorable aux victimes, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la ministre, je connais évidemment votre engagement dans la lutte contre le système prostitutionnel. Sachez que nous entretenons la dynamique de la loi de 2016 dont vous êtes à l'origine.

En ce qui concerne cet amendement, je partage l'avis des rapporteures : le Conseil d'État a bien précisé dans son avis qu'il n'était en aucun cas exclu de poursuivre une personne pour agression sexuelle ou pour viol, quand bien même il y aurait eu un accord sur le fait d'avoir un rapport sexuel dans les conditions que vous évoquez.

Les deux sujets sont distincts : ce n'est pas parce que l'on a un rapport sexuel dit tarifé que, pour autant, la qualification d'agression sexuelle ou de viol ne peut être retenue.

Ma position étant constante – tenons-nous-en à l'appréciation du Conseil d'État –, je demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, j'y serais défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'ai écouté avec intérêt la rapporteure et la ministre, et je pense que nous ne parlons pas de la même chose.

Vous parlez de prostitution. Nous parlons pour notre part d'un échange de services, d'une étudiante qui, comme l'exposait Laurence Rossignol, demanderait un logement – cela peut être aussi un travail ou autre chose – et, de fil en aiguille, se retrouverait dans l'obligation d'accepter une relation sexuelle pour l'obtenir. Il n'est donc nullement question de prostitution.

Le texte comporte déjà un article qui mentionne la violence, la menace, la contrainte ou la surprise – très bien ! –, mais pas le consentement. Or il existe d'autres cas de figure bien précis – c'est l'objet de prochains amendements –, dans lesquels – faisons un peu de droit civil –, la situation pourrait être considérée comme quasi-contractuelle.

Ce n'est pas parce qu'il y a un avantage à la clé que l'on peut considérer qu'il y a eu accord. Il est très important de préciser ce point, afin de qualifier l'agression sexuelle pénalement sanctionnable. Je le répète, quand bien même la prostitution pourrait être évoquée, nous parlons ici de situations bien plus épisodiques, mais qui se produisent dans la vie réelle.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame de La Gontrie, la précision selon laquelle le consentement est « libre et éclairé » répond, me semble-t-il, à votre interrogation.

« Libre », cela signifie qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit fausser la nature du consentement. Cela couvre exactement les situations que vous évoquez. « Éclairé », cela renvoie à la capacité que nous avons de consentir et qui n'existe pas dans un certain nombre de situations de vulnérabilité.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons suivi l'avis du Conseil d'État. Les mots retenus pour caractériser les situations sont très précis.

Plutôt que de risquer d'ajouter des précisions superfétatoires, qui pourraient se révéler in fine défavorables aux victimes, je vous propose de nous en tenir aux termes retenus par le Conseil d'État. Ils définissent clairement ce que le consentement peut être et ce qu'il ne peut pas être.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Comme je ne suis pas novice dans cette maison et comme ce n'est pas la première fois que je travaille avec la majorité sénatoriale et le Gouvernement sur des textes concernant les violences sexistes ou sexuelles, ou les violences intrafamiliales, j'ai bien compris que vous n'accepterez aucun des amendements que nous proposerons !

Mesdames les rapporteures, je vais vous faire gagner du temps, et à moi aussi : évitez de me demander de retirer mes amendements, parce que je n'en retirerai aucun !

Pour tout vous dire, après plusieurs années, je suis fatiguée de voir arriver dans l'hémicycle des textes totalement bouclés, sur lesquels les rapporteurs refusent systématiquement les amendements de l'opposition avec les mêmes arguments – je les connais d'avance –, comme « c'est superfétatoire », « c'est déjà garanti par le texte » ou « n'en ajoutons pas trop pour ne pas alourdir l'analyse du juge » – pour moi, c'est le summum en la matière.

Mes chers collègues, si la justice fonctionnait bien, si elle sanctionnait parfaitement les violences sexuelles, nous pourrions continuer selon cette même logique. Cependant, aujourd'hui, nous avons besoin de préciser les choses. Avec la formule « libre et éclairé », je puis vous dire d'avance que les avocats – il y en a dans cet hémicycle – savent déjà comment ils retourneront ce que la victime a dit ou n'a pas dit.

Tel qu'il est rédigé, le texte vise presque la sidération de la victime, une formule qui n'a pas été choisie, au bénéfice du consentement « libre et éclairé ». Lorsque vous dites que celui-ci ne se déduit pas de l'absence de réaction de la victime, vous parlez en fait de la sidération.

Pour ma part, je ne vous parle pas de cela : j'ai en tête les mille et une situations dans lesquelles les inégalités entre les femmes et les hommes créent d'emblée une vulnérabilité spécifique des femmes en matière d'exposition aux violences sexuelles. Nous aurons l'occasion d'y revenir avec les nombreux amendements que j'ai déposés.

M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. Madame Rossignol, il faut bien savoir comment les magistrats fonctionnent. En présence de la formulation « violence, contrainte, menace ou surprise », les magistrats de la Cour de cassation ont étendu la notion de contrainte, y compris jusqu'à l'emprise, ce qui n'allait pas de soi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est la jurisprudence !

M. Francis Szpiner. Oui, mais la jurisprudence a pu le faire, justement, parce que les magistrats ont eu la possibilité d'interpréter.

Ce qui me gêne dans l'amendement que vous proposez, c'est que, à force de trop vouloir énumérer des situations précises, vous allez en oublier. Et à partir de ce moment-là, les avocats de la défense auront beau jeu de dire que tel ou tel comportement n'est pas prévu par le texte.

Dans le cas qui nous intéresse, vous avez parlé du droit civil et du consentement. Mais il n'y a pas de consentement libre, même en droit civil, lorsqu'une personne propose un objet illicite ou immoral.

Mme Laurence Rossignol. Il y a les vices du consentement !

M. Francis Szpiner. La situation que vous évoquez correspond déjà à un vice du consentement, même dans la conception du droit civil.

À mon sens, les dispositions de cet amendement n'apportent rien. Au contraire, si celui-ci est voté, l'énumération des cas aura pour effet d'affaiblir le pouvoir des magistrats, les prévenus et les avocats rétorquant que ce qui ne figure pas dans la liste est permis. Une formule générale permet assurément une répression plus efficace.

Voilà pourquoi je voterai contre cet amendement. (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il ne peut être déduit de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement-là, je n'imagine pas que les rapporteurs le rejettent…

Il y a quelques semaines, nous étions, presque dans la même formation, en train de discuter de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui traite du contrôle coercitif, déposée par Mme la ministre Aurore Bergé lorsqu'elle était députée.

J'avais alors déposé un amendement visant à préciser que l'obligation de relations sexuelles ne se déduisait pas de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.

Les rapporteures m'avaient répondu que l'article 45 de la Constitution m'interdisait de déposer un amendement tendant à s'inscrire dans le code civil à l'occasion de la discussion d'un texte portant sur le code pénal, même si elles se déclaraient d'accord sur le fond : la communauté de vie, bien sûr, ce n'est pas le devoir conjugal ! Elles avaient même pris date pour une prochaine occasion.

Considérant que cette question relève aussi du droit pénal, je reviens donc à la charge avec un amendement visant à préciser que le consentement ne peut se déduire de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.

En gros, le devoir conjugal n'existe pas et, par conséquent, on ne peut déduire le devoir conjugal du consentement donné au moment du mariage. C'est une façon de dire à tout le monde, puisque ce texte a une vocation éducative, qu'il n'y a pas d'obligation de relations sexuelles entre époux.

Cependant, j'ai cru comprendre que la commission allait émettre un avis défavorable sur cet amendement. Je ne comprends pas. Comment faut-il faire ? Apparemment, vous êtes d'accord pour dire à tout le monde que le devoir conjugal n'existe pas, mais, quelle que soit ma façon de l'écrire, quelle que soit la façon dont mes collègues et moi vous le proposons, cela ne va jamais.

Dites-moi comment il faut faire si vous ne le prenez pas cette fois-ci, ou, mieux encore, émettez un avis favorable dès aujourd'hui.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Madame Rossignol, j'ai bien compris qu'il ne servirait à rien de vous demander de retirer votre amendement, donc mon avis sera directement défavorable, pour les raisons que je vais vous expliquer.

Auparavant, je tiens à répondre à votre reproche selon lequel nous n'accepterions jamais d'amendements de l'opposition. Je vous rappellerai tout de même que, dans un texte précédent, qui portait justement sur le contrôle coercitif, nous avons adopté vos propres amendements sur la circonstance aggravante du viol.

Mme Laurence Rossignol. C'était les amendements de M. Darmanin !

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Vous les souteniez !

J'en viens à cet amendement n° 7, qui vise la communauté de vie et le mariage. Je ne reviens pas sur les différents arguments déjà développés sur la limitation de l'appréciation du juge dans un sens potentiellement défavorable aux victimes.

Par ailleurs, à l'instar du consentement donné à la pratique de la prostitution, qui ne présume en rien le consentement spécifique au rapport sexuel – cet argument vous a été présenté par Dominique Vérien –, le consentement civil obtenu dans le cadre tant du mariage que du pacte civil de solidarité (Pacs) ne présume pas non plus le consentement aux relations charnelles.

Par ailleurs, autre élément important, la définition du viol et des autres agressions sexuelles couvre déjà ces hypothèses et permet déjà aux juges de qualifier de viol des relations sexuelles au sein d'un couple, qu'il s'agisse de concubins, de partenaires de Pacs, de personnes ne vivant pas ensemble ou de personnes mariées. Cela existe malheureusement : c'est le viol conjugal.

Prévoir explicitement le cas du mariage et toutes les hypothèses que j'ai décrites priverait le juge de sa liberté d'appréciation.

Madame Rossignol, lorsque nous avons eu le débat que vous évoquez, il était question de modifier le code civil. Comme nous l'avons rappelé lors de la discussion générale, la présente proposition de loi est un texte interprétatif. Ne brouillons pas notre débat en modifiant des dispositions du code civil.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la rapporteure, je vous ai écoutée avec intérêt, et je n'ai rien compris à votre raisonnement.

Faisons simple : considérez-vous que le devoir conjugal existe, ou non ? Vos refus réitérés, ici, au Sénat, d'inscrire nos propositions dans le code civil ou le code pénal montrent que, pour vous, le devoir conjugal existe. (Mme la présidente de la commission des lois proteste.) Ne confondez pas, et je sais que vous ne le faites pas, le viol conjugal et le devoir conjugal.

Ensuite, vous parlez de loi interprétative. Sachez que l'on ne parle pas de loi interprétative, mais de dispositions interprétatives, ce qui veut dire que, dans un même texte, il peut y avoir des dispositions interprétatives pour l'application de mesures antérieures et d'autres dispositions qui sont considérées comme n'étant pas interprétatives et ne sont pas d'application immédiate. Votre argument n'est donc pas opérant.

Je retiendrai simplement que le Sénat ne veut pas que soit inscrit dans un texte que le devoir conjugal n'existe pas.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cela n'a rien à voir !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Évidemment, nous voterons cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. Madame Rossignol, madame de La Gontrie, je crois que vous devriez relire l'article 215 du code civil. Il parle non pas de devoir conjugal, mais de communauté de vie. Ce sont les magistrats, et non pas la loi, qui sont à l'origine de cette construction prétorienne instaurant le devoir conjugal.

À ce moment-là, il faut modifier l'article 215 du code civil en disant que la communauté de vie n'impose pas des relations sexuelles obligatoires entre époux.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela revient au même !

M. Francis Szpiner. Toutefois, je ne vois pas comment, à l'occasion d'un texte d'objet pénal sur la répression du viol, nous pourrions modifier aujourd'hui l'article 215 du code civil.

De surcroît, madame Rossignol, vous parlez également, à juste titre, des concubins et des partenaires de Pacs, entre autres. Mais alors, il faudrait déposer des amendements spécifiques dans ce sens.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est pas brillant…

M. Francis Szpiner. Pour ma part, je suis favorable à la suppression de cette notion de devoir conjugal, mais il faut le faire dans le cadre d'une réforme de l'article 215 du code civil, en précisant que la Cour de cassation a commis une erreur en procédant à un ajout qui n'était pas prévu par le législateur. En tout état de cause, il ne me semble pas possible de voter votre amendement ce soir.

Mme Laurence Rossignol. Je l'avais proposé dans un autre cadre, mais il n'a pas été accepté !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Assumez votre position, chers collègues de la majorité sénatoriale !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté ici sur la position du Gouvernement.

Nous n'avons pas pu examiner les amendements la dernière fois, car ils ont été jugés irrecevables. Il n'y a pas eu de débat. Personne n'a voté ou rejeté ces propositions. Ce n'est pas le Gouvernement qui décide de la recevabilité, ni d'ailleurs les rapporteurs : c'est tout simplement l'application de la Constitution.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous parlons du Sénat et non de vous, madame la ministre !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Très bien, mais je veux simplement préciser que, si des amendements n'ont pas été examinés dans le passé, c'est pour cause d'irrecevabilité, ce qui n'est pas la même chose qu'un rejet.

Madame Rossignol, l'amendement que vous proposez aujourd'hui vise non pas le code civil, mais le code pénal. Or l'ambiguïté que vous évoquez n'est pas dans le code pénal, qui ne reconnaît pas le moindre devoir conjugal. Au contraire, le viol conjugal existe en droit, donc il n'y a pas d'ambiguïté du droit pénal.

Nous devons sans doute travailler sur le code civil, mais cela excède le cadre de notre débat de ce soir. Il ne doit plus y avoir aucun doute : la France ne reconnaît pas le principe du devoir conjugal. Et je pense pouvoir dire que le Sénat et l'Assemblée nationale sont alignés sur cette question.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Toutefois, ce n'est pas en visant le code pénal que nous y parviendrons. Il faut mener une autre réflexion, sur le droit civil, et je ne doute pas de l'engagement des rapporteures à cet égard.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je comprends votre raisonnement, madame la ministre, mais quand je propose un amendement au code civil, on me dit qu'il n'est pas recevable !

Monsieur Szpiner, j'ai déposé l'amendement suivant à la faveur d'un débat précédent, voilà quelques semaines : « Le premier alinéa de l'article 215 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : "Cette communauté de vie n'implique pas d'obligation de relations sexuelles entre les époux." »

Je n'arrive jamais à passer la porte qui va de la commission à l'hémicycle, donc je la contourne. Comme Mme la ministre est apparemment d'accord sur le fond et qu'elle prépare actuellement un projet de loi plus global, j'espère que ma proposition y sera reprise, s'il est un jour discuté.

Et puisque mes collègues de la majorité sénatoriale s'offusquent qu'on les soupçonne de ne pas être d'accord, qu'ils utilisent le temps parlementaire dont ils disposent pour déposer une proposition de loi reprenant cet amendement au code civil – c'est ainsi que nous légiférons en ce moment –, et nous la soutiendrons. Prenez l'initiative, mes chers collègues, puisque vous semblez gênés !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous n'avons aucun problème à cet égard !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il ne peut être déduit d'un contrat préalable par lequel les parties seraient convenues de relations sexuelles.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je ne suis pas d'accord avec l'argument, que j'entends depuis des années, selon lequel toute précision apportée par nos soins au code pénal limiterait l'office du juge. En effet, ce n'est pas vrai.

Mme Laurence Rossignol. Non ! Je l'ai dit déjà deux fois, mais je vais encore le répéter : si c'était vrai, la justice fonctionnerait parfaitement bien.

Si c'était vrai, il n'y aurait pas des quantités de femmes se plaignant à juste titre que leur viol n'ait pas été poursuivi et sanctionné par la justice.

Si c'était vrai, nous n'aurions pas des jurisprudences, non pas de la Cour de cassation, d'ailleurs, mais de juridictions d'ordre inférieur, reconnaissant du consentement là où nous pensons qu'il n'y en a pas.

Si c'était vrai, il n'y aurait pas de juges soulignant que les femmes n'ont pas manifesté le fait qu'elles n'étaient pas d'accord ou que les circonstances de l'espèce font que l'auteur des faits avait toutes les raisons de penser qu'elles étaient d'accord. Par parenthèse, la question ici n'est pas tant le consentement que l'intentionnalité, ce qui pose quelques problèmes d'articulation.

Cela dit, j'en viens plus précisément à mon amendement. Il existe actuellement, à cause de l'industrie pornographique et de la « glamourisation » du BDSM – bondage, domination, sadomasochisme – des contrats de soumission, c'est-à-dire des contrats par lesquels des femmes s'engagent à se livrer à toutes les activités sexuelles qui sont prévues dans ledit contrat.

Il se trouve que la cour d'appel de Nancy a jugé qu'un tel contrat entre un homme et une femme valait consentement. L'affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l'homme, mais elle traîne depuis des années. Or j'ai aussi en tête le souci d'une plus grande célérité de la justice et je considère que le vote de ces amendements y contribuerait, en aidant les juges.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Puisque vous répétez vos arguments, madame Rossgnol, nous répéterons également les nôtres : plus nous détaillons le code pénal, plus nous risquons de permettre des choses que nous aurions omis d'interdire expressément. Il est toujours compliqué de dresser une liste, d'où le principe interprétatif du code pénal.

Ensuite, dans cette fameuse affaire de Nancy, qui traite d'un contrat de soumission et de poursuites pour viol avec tortures et actes de barbarie, suivant les informations dont nous disposons, d'une part, l'accusé était poursuivi pour harcèlement sexuel et violences, et, d'autre part, le juge ne s'est pas déterminé au regard du seul contrat que vous évoquez. L'affaire est bien plus complexe que ce que vous en dites.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous voilà rassurés…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Non, mais cette affaire n'est pas réductible au seul consentement !

Enfin, je rappelle que nous avons déjà voté des propositions de loi de Laurence Rossignol, ce qui prouve que cela peut se faire. Déposons donc une proposition de loi transpartisane pour préciser dans le code civil que le devoir conjugal, qui est une interprétation du juge, n'existe pas.

Cependant, nous devons respecter certaines règles. Quand nous voulons modifier le code civil, nous n'utilisons pas un texte qui porte sur le code pénal. Mais pourquoi pas une proposition de loi ? Vous savez très bien que nous ne sommes pas contre le principe.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Le terme « révocable » couvre précisément le cas que vous évoquez aujourd'hui, madame Rossignol. Quand bien même il y aurait un contrat, le consentement peut être révoqué à tout moment et la personne peut refuser de consentir à n'importe quel acte.

C'est ce que le Conseil d'État a précisé, exactement dans la situation que vous décrivez : la rédaction d'un contrat préalable ne permet pas de « présumer l'existence d'un consentement propre à écarter la qualification d'agression ou de viol. »

Mme Laurence Rossignol. Alors, écrivons-le !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Ce n'est pas nécessaire. Le terme « révocable » justifie que, à tout moment on puisse révoquer son consentement, quand bien même un contrat préalable aurait été signé.

C'est la raison pour laquelle je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. J'entends ce que vous dites. Révocable signifie que, à tout moment, la personne peut cesser de participer aux relations sexuelles qui étaient prévues au contrat. Mais peut-on qualifier de viols les relations sexuelles qui ont eu lieu auparavant ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Oui !

Mme Laurence Rossignol. Vous vous situez au moment de la révocation, mais ce n'est pas parce que le contrat est révocable et révoqué que les relations sexuelles qui ont eu lieu avant la révocation du contrat sont criminalisées.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je suis tout à fait intéressée par ce débat, parce qu'il est question de la pornographie.

Lorsque nous avons mené ce long travail de six mois sur l'industrie de la pornographie, nous avons été profondément marquées et choquées par les témoignages que nous avons reçus, notamment les témoignages à huis clos sur l'affaire French bukkake.

Je pense qu'il serait intéressant de réfléchir à la proposition de Laurence Rossignol. En effet, nous avons tout fait pour interdire certains contrats qui ont cours dans le milieu de la pornographie et auxquels une personne vulnérable ne sera jamais en mesure de renoncer, parce qu'elle a besoin d'argent, par exemple.

Je m'interroge véritablement sur la position à adopter sur cette proposition, qui, au regard de ce que je sais de l'industrie de la pornographie, me semble extrêmement intéressante.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est obtenu dans le cadre d'une relation médicale ou thérapeutique. » ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Épargnons-nous déjà la première série d'arguments consistant à dire que, si nous allongions la liste dans le code pénal, nous nous priverions d'incriminer d'autres situations.

De toute façon, comme les juges se réfèrent aussi aux travaux parlementaires, rien ne nous empêche de dire à chaque instant que ce que nous ajoutons n'est pas exhaustif ou de conclure nos présentations par la formule suivante : « nonobstant toutes les autres situations qui entrent dans le cadre du consentement. » Le juge pourrait tout à fait se servir du compte rendu de nos débats.

Mon amendement vise une situation particulière : les relations sexuelles obtenues dans le cadre d'une relation thérapeutique ou médicale.

Quand il s'agit d'un médecin, le code de déontologie vient à la rescousse. Si la victime saisit l'ordre des médecins, elle peut obtenir la suspension du praticien pendant que court l'affaire pénale. Cependant, il ne vous a pas échappé que nombre de professionnels qui ne sont pas médecins ou qui appartiennent à des professions tout à fait légales et sérieuses, mais dépourvues d'un ordre, sont, elles, en mesure à la fois de continuer de travailler et de faire valoir le consentement.

J'ai rédigé cet amendement voilà déjà quelque temps, et il se trouve que, la semaine dernière, il y a eu une longue enquête dans Le Monde sur les victimes des psychothérapeutes. Dans ces affaires, les avocats des victimes relèvent que ces soi-disant thérapeutes arguent en général du consentement de la victime.

Aussi, il ne serait pas inintéressant de préciser dans ce texte que, dès lors qu'il y a une relation thérapeutique, il ne peut pas y avoir de consentement à la relation sexuelle, puisque l'on est dans une relation d'emprise présumée.

Pour les médecins, le conseil de l'ordre règle le problème ; pour tous les autres, la situation est très trouble, ce qui est dommageable pour les victimes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. En ce qui concerne cet amendement, j'avancerai un nouvel argument, qui sera d'ordre constitutionnel.

À l'heure actuelle, vous le savez, un acte sexuel obtenu dans le cadre d'une relation médicale ou thérapeutique constitue déjà une circonstance aggravante dans notre code pénal. Ainsi, la peine encourue est portée à vingt ans de réclusion criminelle. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.)

En ce qui concerne un viol commis sur une personne dont l'état de particulière vulnérabilité est connu de l'auteur ou par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, la jurisprudence de la Cour de cassation est très claire : ce qui constitue une circonstance aggravante dans notre droit pénal ne peut, par ailleurs, être retenu pour prouver l'absence de consentement, qui est un élément constitutif de l'infraction. Ce serait tout simplement contraire aux principes constitutionnels de légalité des délits et des peines.

Pour des raisons à la fois factuelles et juridiques, l'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Madame la rapporteure, j'ai tendance à faire confiance à votre argumentation, même si je vais tout de même m'empresser d'aller en vérifier le bien-fondé et en trouver les fondements, peut-être dès demain.

J'ouvre juste une parenthèse : j'adore quand les sénateurs de la majorité sénatoriale nous disent que l'on ne peut pas voter tel ou tel amendement parce qu'il serait inconstitutionnel ! En effet, nous n'avons eu de cesse ces derniers mois d'opposer cet argument, en vain, à des propositions de loi émanant de la majorité sénatoriale, qui nous répondait invariablement : « On verra bien, le Conseil constitutionnel décidera ». Aussi, chers collègues, je vous propose de faire comme d'habitude : laissez le Conseil constitutionnel décider !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Compléter cet alinéa par les mots : 

et les mots : « ou morale » sont remplacés par les mots : « , morale ou économique » ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je pense que nous n'alourdirons pas terriblement le code pénal et que nous n'enserrerons pas la liberté du juge avec de trop grandes listes si nous ajoutons que la contrainte, qualifiée de physique ou morale dans la définition de viol par le code pénal, peut aussi être économique, et que la contrainte économique ne se déduit pas de la contrainte morale.

Non, cet amendement n'est pas déjà satisfait. Je pense que cet ajout serait utile, compte tenu des inégalités entre les femmes et les hommes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Comme dans le cas précédent, une telle évolution serait porteuse d'un risque constitutionnel, puisqu'un élément constitutif de l'infraction – la contrainte, en l'espèce – ne peut être par ailleurs une circonstance aggravante de la même infraction.

Or, aux termes de l'article 222-24 du code pénal, la peine encourue est aggravée lorsqu'un viol est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l'auteur.

Nous avons donc deux cas de figure tous deux couverts par le droit en vigueur. Soit la victime fait l'objet d'un chantage économique de la part de son violeur, et cette situation est déjà constitutive d'une contrainte, ce qui prouve l'absence de consentement. Soit la victime est dans une situation de dépendance économique, ce qui fonde l'aggravation de la peine encourue.

Créer un troisième cas hybride poserait davantage de difficultés que cela n'apporterait de solutions, puisque, ici encore, nous viendrions fragiliser le droit en créant un risque constitutionnel qui n'existe pas aujourd'hui.

De nouveau, je vous appelle à protéger les victimes, qui seraient doublement victimes si l'inconstitutionnalité de ce texte se confirmait.

Mme Laurence Rossignol. Cela ne vous dérange pas quand il s'agit du droit des immigrés…

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Silvani et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « La contrainte prévue par le premier alinéa de l‘article 222-22 peut être caractérisée lorsqu‘un contrôle coercitif est exercé sur la personne de son conjoint, du partenaire auquel on est lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin par des propos ou des comportements, répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d'actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre nature. » ;

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Cet amendement a pour objet d'introduire l'hypothèse du contrôle coercitif dans la caractérisation du viol et de l'agression sexuelle.

Parmi les éléments constitutifs d'une agression sexuelle, la contrainte morale, entendue comme une pression irrésistible qui s'exerce sur la volonté d'une personne, peut également être plus insidieuse. L'ascendant de l'auteur, les stratagèmes qu'il met en place et la façon dont il coupe les liens de la victime avec l'extérieur sont des éléments objectifs et visibles.

Cet ajout permet de matérialiser une situation insidieuse, au sein d'un faisceau d'indices, de nature à vicier le consentement de la victime.

La jurisprudence fait une appréciation du droit très extensive, afin d'englober le plus de notions possible. Toutefois, le contrôle coercitif et l'emprise n'étant pas prévus par la loi, il reste des espaces que cet amendement a pour objet de combler, afin de mieux protéger les victimes et de mieux condamner les auteurs de violences sexuelles.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. S'agissant de cet amendement, plusieurs remarques s'imposent.

Tout d'abord, comme on l'a souligné à l'occasion de la discussion d'autres amendements, les magistrats se verraient une nouvelle fois privés de leur liberté d'appréciation.

Ensuite, il n'est pas facile de caractériser le contrôle coercitif lui-même, ce qui pourrait faire naître des situations défavorables aux victimes.

Enfin, la rédaction même de l'alinéa pose problème en ce qu'elle soulève des difficultés juridiques. Il s'agit des mêmes réserves que celles que nous avons soulignées lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui visait à faire entrer le contrôle coercitif dans notre législation.

Par conséquent, l'adoption de l'amendement n° 13 présente un risque constitutionnel majeur. En effet, la notion de contrôle coercitif est inconnue, ce qui pourrait entraîner de graves conséquences.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Le 3 avril dernier, à l'unanimité, le Sénat a adopté une disposition relative au contrôle coercitif dont j'étais à l'origine. Le Gouvernement s'était rangé aux différentes évolutions qui avaient été revues en commission des lois par les rapporteures. C'étaient d'ailleurs les mêmes que sur le texte que nous examinons aujourd'hui.

Il s'agit bien d'aller au bout de l'examen de ce texte, dont l'adoption permettra une caractérisation générale de la notion de contrôle coercitif et répondra à la nécessité de mieux caractériser les violences à l'encontre des femmes et de considérer toutes les violences, notamment celles que vous décrivez, quelle qu'en soit la situation, et pas uniquement dans le cadre d'une agression sexuelle ou d'un viol.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Silvani et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 8

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L'état de sidération découle de la surprise prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 » ;

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Cet amendement a pour objet d'inclure l'état de sidération dans la définition pénale de l'agression sexuelle et du viol.

Consacré récemment par la Cour de cassation, l'état de sidération est désormais rattaché à la surprise pour caractériser ces infractions sexuelles. Cette jurisprudence a marqué un tournant important dans la définition du viol et de l'agression sexuelle qu'il apparaît important de consacrer dans la loi à l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi.

L'état de sidération peut caractériser une absence de consentement dans les cas de viol ou d'agression sexuelle, considéré comme l'un des éléments matériels constitutifs de ces infractions. Cet état résulte de la surprise, mettant en lumière une incapacité de la victime à consentir en raison de son état de choc psychologique.

Introduire cet élément dans la loi procurera une sécurité juridique supplémentaire à cette consécration jurisprudentielle, facilitant la caractérisation de l'infraction sexuelle.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. La proposition de loi a aussi vocation à prendre en compte les cas de sidération, qui englobent les questions de silence et d'absence de réaction de la victime.

Par conséquent, inscrire dans la loi l'état de sidération n'apparaît pas opportun.

D'une part, comme cela a été souligné à maintes reprises dans le débat, cela réduirait la liberté d'appréciation du juge, alors même que, au regard de la variété des situations qui lui sont soumises, nous mesurons à quel point il est nécessaire de la préserver.

D'autre part, la rédaction de cet amendement pose une difficulté juridique. Prévoir que l'état de sidération découle de la surprise revient-il à dire que la surprise entraîne nécessairement un état de sidération ? Vous imaginez bien les débats que cela pourrait nourrir, car la surprise recouvre bien d'autres cas de figure.

C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Permettez-moi d'insister, mes chers collègues.

Certes, cette notion est probablement complexe, mais la jurisprudence a déjà statué. On parle de sidération. Il ne s'agit pas de savoir si le silence et l'absence de réaction en découlent ; comme vous l'avez compris, nous cherchons par nos amendements à compléter, nuancer et améliorer la notion de consentement, qui vous semble extrêmement précise, alors qu'elle ne l'est tant que cela.

Il est difficile de comprendre pourquoi l'état de sidération ne peut être introduit dans la loi, alors qu'il est déjà reconnu par la jurisprudence. Je devine toutefois le sort qui sera réservé à cet amendement…

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12, présenté par Mme Rossignol, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 14

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...° L'article 222-23-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « , lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans » sont supprimés ;

b) Le second alinéa est supprimé.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. L'objet de cet amendement sera limpide pour tous ceux qui ont participé au débat sur la proposition de loi d'Annick Billon visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Il s'agit de supprimer la clause Roméo et Juliette, qui fait que, aujourd'hui, une relation sexuelle entre une enfant de 14 ans et un homme de presque 19 ans n'est pas considérée comme un viol.

Nous avons eu de longues discussions sur cette clause, qui nous a été fermement imposée – puis-je le dire ainsi, madame Billon ? (Mme Annick Billon acquiesce.) –, pour ne pas empêcher les relations sexuelles entre de jeunes gens. Résultat, quand une enfant de 14 ans a une relation avec un garçon de 18 ans et 10 mois, ce n'est pas un viol. Pourtant, elle est une enfant et, lui, c'est un jeune adulte.

Mme Annick Billon. Ce n'est peut-être pas un viol !

Mme Laurence Rossignol. Je précise : ce n'est pas un viol en l'absence de violence, menace, contrainte ou surprise. Ce dont on parle aujourd'hui, c'est de toutes les situations qui n'entrent pas dans les caractéristiques du viol, telles qu'elles sont définies par le code pénal.

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 15

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Le second alinéa de l'article 222-23-1 est ainsi rédigé :

« Hors le cas prévu à l'article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital ou bucco-anal commis sur la personne d'un mineur ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque les faits sont commis en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage. » ;

Après l'alinéa 15

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Au second alinéa de l'article 225-12-1, les mots : « est mineure ou » sont supprimés ;

...° Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 est supprimé ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. L'objet de cet amendement est clair : il s'agit de lutter contre la prostitution des mineurs. Je suppose que cela fait consensus dans cette assemblée.

Pour lutter contre la prostitution des mineurs, nous proposons que l'achat de services sexuels auprès d'un mineur, garçon ou fille, soit considéré comme un viol. Certes, cela n'empêchera jamais l'auteur d'essayer de faire valoir qu'il n'était pas au courant, qu'il ne savait pas l'âge de la jeune fille ou du jeune homme, qu'il a été trompé, etc.

Pour lutter contre la prostitution des mineurs, il faut protéger ces derniers au moins jusqu'à 18 ans. C'est pourquoi je propose que l'on étende la qualification de viol en cas de relations sexuelles entre une personne majeure et une personne mineure jusqu'à 18 ans quand il s'agit d'un client de la prostitution.

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 15

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Au second alinéa de l'article 225-12-1, les mots : « est mineure ou » sont supprimés ;

...° Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 est supprimé ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Il s'agit d'un amendement de coordination, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Billon, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 15

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

...° L'article 225-12-1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le fait d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur de quinze ans qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, constitue un viol ou une agression sexuelle tels que définis respectivement aux articles 222-23-1 et 222-29-2.

« Hors les cas dans lesquels ces faits constituent un viol ou une agression sexuelle, le fait de solliciter ou d'accepter, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur de quinze ans qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. » ;

...° Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 est supprimé ;

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Il s'agit d'un amendement d'appel.

La prostitution impliquant des mineurs est une réalité ; qui plus est, elle est en constante progression. En 2024, plus de 1 500 victimes de proxénétisme ou de personnes ayant eu recours à la prostitution ont été recensées. Parmi elles, on comptait 659 mineurs. Au total, le nombre de mineurs impliqués dans des phénomènes de prostitution a bondi de 140 %.

Les données récentes sont tout aussi alarmantes. Entre les mois de janvier et d'avril 2025, le parquet des mineurs de Bobigny a enregistré presque autant de signalements que sur l'ensemble de l'année 2024. Ces enfants, souvent de très jeunes filles en situation de grande vulnérabilité, sont confrontés à des réseaux, des proxénètes et des clients, qui profitent d'une interprétation erronée du code pénal.

La loi du 21 avril 2021 que j'ai défendue a pourtant posé un principe fondamental : un enfant de 15 ans ne peut jamais consentir à un acte sexuel. Pourtant, lorsqu'un acte sexuel est tarifé, il est encore trop souvent qualifié de simple délit et non de crime. Le code pénal dispose d'une infraction spécifique de recours à la prostitution d'un mineur, introduite en 2002 par la loi relative à l'autorité parentale, dont la rédaction est claire.

Pourtant, dans la pratique, cette disposition prévaut régulièrement sur les qualifications de viol ou d'agression sexuelle, même lorsqu'il s'agit d'enfants de moins de 15 ans. Cette interprétation restrictive du droit, retenue par certaines juridictions, affaiblit le principe que nous avons posé collectivement et conduit à une réponse pénale inadaptée.

Madame la ministre, il est urgent de clarifier l'interprétation qui est faite du droit. Tout acte sexuel tarifé sur un mineur de moins de 15 ans doit être reconnu pour ce qu'il est : un viol ou une agression sexuelle.

Ma question est simple : comptez-vous l'écrire noir sur blanc dans une circulaire ?

M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme O. Richard, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende le fait de solliciter, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle sans avoir pu les obtenir, de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est un mineur de quinze ans.

La parole est à Mme Olivia Richard.

Mme Olivia Richard. Annick Billon a très bien dressé l'état des lieux de la prostitution des mineurs. Je ne le répète donc pas.

Quand on parle de prostitution des mineurs, on parle d'exploitation sexuelle des mineurs et de traite. Alors que le Parlement européen a adopté hier une proposition relative à de directive sur la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, il paraît important d'en parler dans cette enceinte.

De quoi s'agit-il ?

Tout d'abord, 87 % des victimes sont de nationalité française. Cela ne signifie pas que c'est plus grave : je dis cela pour casser les clichés. L'ensemble du territoire est touché. Il s'agit d'un proxénétisme de proximité avec de petites structures qui font aussi du trafic de drogue – c'est la même criminalité –, et non, comme on pourrait l'imaginer, de réseaux internationaux.

Ensuite, tous les profils sont touchés : cela concerne aussi les CSP+ et pas seulement les enfants bénéficiant de l'aide sociale à l'enfance. Certaines relations sexuelles tarifées ont lieu au domicile des parents. On parle d'ailleurs de prostitution logée : cela ne se passe plus dans la rue. C'est de plus en plus digitalisé. Les faits se déroulent dans les Airbnb et les gamines peuvent être trimballées d'un endroit à l'autre, voire dans toute la France et en Europe.

Ce phénomène est donc totalement invisible et il y règne une très grande violence. Celles qui ont participé aux travaux de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qui ont donné lieu au rapport d'information intitulé Porno : l'enfer du décor savent ce que sont les viols d'abattage. On met des années à en sortir. Personne n'est indemne. Il faut lutter contre ce dispositif. Or la réponse pénale n'est pas à la hauteur.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'adoption de l'amendement n° 12, qui tend à supprimer la clause Roméo et Juliette, reviendrait à considérer que toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans constitue un viol.

Cette clause, ajoutée par l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce qui allait devenir la loi du 21 avril 2021 et entérinée par la suite par le Sénat, vise à ne pas criminaliser systématiquement les histoires sincères entre un mineur et un très jeune majeur.

Cette solution a notamment été préconisée par le Conseil d'État, dans un avis rendu sur la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Selon cette instance, une telle clause permet de ne pas criminaliser des comportements tout à fait consentis. Le Conseil d'État se référait notamment à une relation entre deux mineurs de 14 ans et de 17 ans et demi, qui se poursuivrait jusqu'à la majorité du second : celui-ci se trouverait alors immédiatement passible d'une poursuite pour viol.

N'oublions pas que les mineurs ne peuvent ester en justice : ce sont les parents qui portent plainte. Imaginons les situations qui pourraient découler de la suppression de la clause Roméo et Juliette, notamment si le jeune majeur ne plaît pas aux parents de la jeune fille.

Mme Laurence Rossignol. L'esprit de mai 1968 souffle ici ! (Sourires.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cette clause issue de la loi du 21 avril 2021 nous paraît donc équilibrée. Elle assure la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, tout en préservant les amours adolescentes d'une criminalisation automatique inopportune.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 12.

L'amendement n° 5, quant à lui, vise à qualifier de viol le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans, et cela sans condition d'âge pour l'auteur.

Actuellement, ces faits sont punis de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, aux termes de l'article 225-12-1 du code pénal. La modification qu'il est proposé d'apporter au texte soulève plusieurs difficultés juridiques, qui tiennent tant à son principe qu'à ses conséquences.

Sur le principe, l'adoption de cet amendement reviendrait à criminaliser le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans d'une manière détournée, en assimilant cette infraction au crime de viol. Or, pour les raisons que je viens d'exposer, cette solution emporte un risque d'inconstitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel ne tolère en matière répressive l'existence d'une présomption de culpabilité qu'« à titre exceptionnel ».

Quant aux conséquences de cette évolution, elles induiraient un tassement infondé des peines encourues pour des faits similaires : solliciter et accepter d'un mineur des relations sexuelles en échange d'une rémunération serait puni de cinq ans d'emprisonnement ; les obtenir, de quinze ans.

J'ajoute que cette rédaction criminaliserait le rapport sexuel tarifé entre deux mineurs, dans la mesure où aucune condition d'âge n'est prévue.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 5.

L'amendement n° 6 rectifié tend à opérer une coordination en cas d'adoption de l'amendement précédent. Par conséquent, parce qu'elle est défavorable à l'amendement précédent, la commission émet un avis défavorable.

Dès l'examen du texte en commission, nous avons discuté avec Mmes Annick Billon et Olivia Richard de l'objet des amendements nos 15 rectifié et 16 rectifié.

Selon nous, ce problème, qui a été signalé par la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), résulte davantage d'une mauvaise application de l'article 225-12-2 du code pénal que d'une mauvaise rédaction. Certains parquets engageraient ainsi des poursuites sur le mauvais fondement pénal : plutôt que de poursuivre pour viol, comme le veulent la lettre et l'esprit de la loi du 21 avril 2021, ils poursuivent pour recours à la prostitution avec une circonstance aggravante.

Si nous partageons les inquiétudes d'Annick Billon et d'Olivia Richard à ce sujet, nous jugeons qu'il convient de veiller à la bonne application de la loi, plutôt que de la modifier. Je me fais le relais de cette demande de circulaire, qui permettrait d'apporter les précisions nécessaires sur la prostitution des mineurs.

C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait des amendements nos 15 rectifié et 16 rectifié. Certes, il s'agit d'amendements d'appel, mais ils visent des sujets très importants.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je propose que les questions touchant à la très mal nommée clause Roméo et Juliette soient traitées dans le cadre du groupe de travail sur les violences sexuelles.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Non, cela ne renvoie pas la question aux calendes grecques, madame de La Gontrie ! Les travaux sont en cours et nous nous sommes encore réunis cette semaine.

S'il faut aller plus loin pour garantir que, avant 15 ans, quelles que soient les circonstances, aucune relation sexuelle n'est tolérée, je suis favorable à ce qu'un tel débat soit ouvert, ce qui permettra d'éclaircir certains points. Mais tout cela est très éloigné des questions du consentement et du viol qui nous occupent aujourd'hui.

Peut-être faudrait-il réinterroger la clause Roméo et Juliette dans le cadre plus global de la lutte contre toutes les formes de violences sexuelles et l'inclure plus clairement dans les débats qui sont les nôtres aujourd'hui.

En matière de lutte contre le système constitutionnel, aujourd'hui, la loi n'empêche évidemment pas que puissent être engagées des poursuites à l'encontre de personnes qui imposeraient à des mineurs de moins de 15 ans des rapports tarifés. Heureusement !

D'ailleurs, la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle s'intéresse bien à la question des majeurs, mais aussi à celle des mineurs, puisque l'explosion à laquelle on assiste concerne d'abord les mineurs, en s'appuyant sur leur fragilité et la vulnérabilité propre à cet âge ; elle est également le fruit des plateformes, qui brouillent les repères des adolescentes et des adolescents et qui trouvent dans cette classe d'âge de nouvelles proies, encore plus vulnérables et plus accessibles.

Catherine Vautrin et moi-même sommes en train de finaliser la rédaction du décret sur la question des mineurs. Nous le signerons dans les prochains jours. Il vise à garantir la pleine application de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle, pour toutes les problématiques spécifiques liées aux mineurs, notamment dans le cadre de l'ASE dont il a été fait mention tout à l'heure.

Il s'agit bien entendu de l'une de nos préoccupations majeures. Des rappels ont été adressés au préfet de manière à garantir la pleine application de la loi de 2016 et de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle.

Il s'agit avant tout de garantir la pleine application et l'effectivité de la loi et de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle. Le décret devrait y concourir. La mobilisation de l'État sur ce sujet et les questions qui ont été soulevées y contribuera également. Je souhaite que l'on puisse ouvrir plus largement ce débat, afin d'avancer, mais l'examen de ce texte ne me paraît pas le meilleur vecteur.

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait des amendements nos 12, 5 et 6 rectifié ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je regrette vraiment que l'amendement n° 5 visant à qualifier de viol l'achat de services sexuels sur des mineurs de 15 à 18 ans ne soit pas retenu par le Sénat.

Madame la rapporteure, vous avez rappelé que le Conseil constitutionnel exigeait des circonstances exceptionnelles pour admettre que l'infraction soit constituée par la commission des faits.

Je considère que, aujourd'hui, la prostitution des mineurs, compte tenu de l'ampleur qu'elle prend et du drame qu'elle représente pour les enfants et leur famille, constitue une situation exceptionnelle pour la France. Je suis prête d'ailleurs à défendre devant le Conseil constitutionnel la dimension exceptionnelle de cette catastrophe sanitaire et générationnelle qu'est l'augmentation de la prostitution des mineurs.

Je formulerai une remarque. Il est vrai que la prostitution des mineurs concerne toutes les catégories sociales, mais il est vrai également que ce sont dans les foyers de l'ASE que se recrutent les mineurs. Très vulnérables, ceux-ci viennent alimenter les réseaux de proxénètes, qui sont d'ailleurs parfois des réseaux de proximité. Pensez-vous vraiment que, dans ces foyers, si des mineurs se livrent à la prostitution, les éducateurs peuvent faire la différence entre ceux qui ont moins de 15 ans, qui seraient alors victimes de viol, et les autres ?

Que disent les professionnels ? Vous ne parlez que du juge, de façon presque incantatoire. Pour ma part, je parle de la réalité concrète de la prostitution des mineurs.

Pour qu'un mineur puisse comprendre qu'il est victime de prostitution et de viol, il faut prononcer le mot de viol. Il ne comprend pas la notion de proxénétisme, car le proxénète, c'est un copain, un cousin, peut-être même un amoureux. En revanche, il sait ce qu'est un viol. Je le répète, pour aider le mineur à sortir de la prostitution, il faut prononcer le mot de viol.

Par conséquent, je suis tout à fait désolée que le Sénat rejette aujourd'hui cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. Madame la ministre, nous connaissons votre détermination à mettre en œuvre la stratégie de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle. Bien sûr, il faut sortir les mineurs de la prostitution, mais toute relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans, que celle-ci soit tarifée ou pas, est un viol.

C'est pourquoi nous demandons une circulaire de politique pénale. Ainsi, les poursuites seront fondées sur les dispositions de la loi Billon. Qu'il s'agisse ou non de prostitution, que la relation soit tarifée ou pas, c'est un viol.

Il y va de l'autorité de la chose votée. Nous votons des dispositions qui ne sont pas appliquées, ce qui est intolérable, surtout lorsque cela concerne des enfants de moins de 15 ans.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Aux termes de loi de 2021, toute relation entre un adulte et un mineur est un viol et un crime. On n'interroge pas son consentement, on n'interroge pas la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

La loi n'empêche pas les poursuites, nous dites-vous, madame la ministre. Nous en sommes d'accord, je l'ai d'ailleurs rappelé en présentant l'amendement n° 15 rectifié. Pour autant, nous demandons que les qualifications soient les bonnes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Dans certaines juridictions, ces faits sont qualifiés d'agressions sexuelles et non de viols. Il faut absolument remédier à ce problème.

J'ai annoncé qu'il s'agissait d'un amendement d'appel. Je vais tenir ma parole et le retirer. Toutefois, je veux absolument que l'on ait la garantie que cette circulaire sera adressée, pour que, enfin, ces agressions soient qualifiées pour ce qu'elles sont, à savoir des viols.

Je retire donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 15 rectifié est retiré.

La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. J'ai été l'avocat de l'association La Voix de l'enfant. Nous nous sommes battus pour que soit érigé le principe suivant : en dessous de 15 ans, on ne peut pas consentir. Face à de telles situations, le parquet ne peut pas transiger et doit engager des poursuites criminelles.

Mme Rossignol a posé une véritable question, mais la solution qu'elle propose n'est pas la bonne. En effet, l'âge de la majorité sexuelle a donné lieu à un important débat. Fallait-il la fixer à 13 ans, 14 ans ou 15 ans ? Au-delà de cette borne, on considère que les autres sont majeurs sexuellement. Si la criminalisation des viols était retenue, la lourdeur de la procédure criminelle serait telle que les tribunaux en seraient engorgés.

En revanche, dans la mesure où il s'agit d'un phénomène véritablement inquiétant, je serais favorable à une aggravation de la peine.

Mme Laurence Rossignol. On ne peut pas aggraver les peines de personnes qui ne sont pas poursuivies !

M. Francis Szpiner. Pardonnez-moi, mais on doit poursuivre les clients et considérer que celui qui sollicite les faveurs sexuelles d'une mineure dans le cadre de la prostitution se rend coupable d'un tel délit et doit encourir une telle peine. C'est valable également pour les proxénètes, avec des peines assorties de circonstances aggravantes – pluralité de personnes venant de l'étranger, etc.

Pour ma part, je suis pour une répression des clients, car elle sera plus pédagogique. En revanche, la criminalisation engorgerait le système. (Mme Laurence Rossignol proteste.) La qualification de crime aboutirait à une correctionnalisation, ce qui sera bien pire !

Madame Rossignol, vous posez un vrai problème, car la prostitution des mineurs connaît une augmentation considérable, mais c'est sur l'angle de la clientèle et non sur celui de la qualification de viol qu'il faut agir.

En revanche, je suis tout à fait d'accord : il faut que soit adressée une circulaire et que le parquet soit très clair. On ne transige pas sur la qualification : quand on a moins de 15 ans, on ne peut pas consentir, donc c'est un viol.

Mme Olivia Richard. Je retire l'amendement n° 16 rectifié !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'en reprends le texte, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 16 rectifié bis, présenté par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 16 rectifié.

Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Articles 2 et 3 (début)

Après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mmes M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Guiol, Mme Jouve, M. Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après le 3° bis de l'article 222-24, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'il est commis sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; »

2° Après le 10° de l'article 222-28, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'elle est commise sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; »

3° Après le 7° de l'article 222-30, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'elle est commise sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; ».

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Après avoir travaillé près d'une année et auditionné plus de cent personnes dans le cadre de la mission gouvernementale sur la soumission chimique, Sandrine Josso et moi-même avons remis un rapport de 230 pages formulant 50 recommandations, dont 15 ont été jugées prioritaires et appelées à être mises en œuvre dès cette année.

La toute première de ces recommandations vise à reconnaître la vulnérabilité chimique comme une circonstance aggravante pour les infractions de viols et d'agressions sexuelles.

En effet, il convient de faire la distinction entre la soumission chimique, qui suppose l'administration à une victime d'une substance à son insu, et la vulnérabilité chimique. Dans ce dernier cas, la victime consomme de manière volontaire une substance, souvent de l'alcool ou un stupéfiant, sans en mesurer nécessairement les effets, par exemple une altération temporaire de son discernement dont pourrait profiter l'agresseur. Mon propos porte essentiellement sur la vulnérabilité chimique.

La soumission chimique figure déjà dans la liste des circonstances aggravantes des infractions sexuelles. En revanche, ne sont pas visées les situations où la victime est en état de vulnérabilité chimique, c'est-à-dire lorsqu'elle a elle-même consommé de l'alcool ou des stupéfiants, très souvent du cannabis, et que l'auteur des faits tire parti de cette altération du discernement, qui est souvent temporaire, pour commettre une agression sexuelle.

Aussi, afin de mieux appréhender cette réalité et de répondre à l'augmentation continue des faits, cet amendement vise à inscrire explicitement la vulnérabilité chimique parmi les circonstances aggravantes applicables aux infractions de viols et d'agressions sexuelles.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Dans le prolongement du rapport de Sandrine Josso et Véronique Guillotin, cet amendement vise à intégrer à la loi une circonstance aggravante sexuelle.

Dominique Vérien et moi-même tenons tout d'abord à remercier nos collègues de l'important travail qu'elles ont accompli sur le sujet sensible et complexe de la soumission chimique.

Cela a été rappelé, le législateur est déjà intervenu sur ce sujet, notamment en créant dans la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes l'article 222-30-1 du code pénal, qui réprime « le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes, afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle ».

Le sujet qui nous est soumis est légèrement différent, puisque l'amendement vise non pas la soumission chimique, mais les cas où la victime s'est alcoolisée ou droguée de son propre fait.

En pratique, la disposition prévue par cet amendement pose de réelles difficultés.

D'une part, et c'est heureux, notre droit permet déjà l'aggravation du quantum encouru lorsque la victime est ivre ou sous l'emprise de stupéfiants. En d'autres termes, l'amendement est satisfait par le droit en vigueur.

D'autre part, et il s'agit d'un élément important, l'ivresse et l'emprise de stupéfiants, au sens pénal, ne sont pas des réalités biologiques stables. Elles varient en fonction des personnes et des situations. Les juges retiennent la notion d'ivresse manifeste, attestée par des indices extérieurs montrant que la personne concernée n'est pas en possession de ses moyens. Cet état est en tout point assimilable à la vulnérabilité déjà visée par le code pénal.

Ce point est extrêmement important, car il se cumule avec un principe essentiel : la loi pénale est d'interprétation stricte.

Si nous adoptions cet amendement ainsi rédigé, nous ne protégerions pas les victimes, bien au contraire : nous ouvririons la voie à d'interminables débats sur le point de savoir si la victime était réellement ivre ou droguée. Il faudrait prendre en compte la morphologie de la victime. Nous en arriverions à une situation dont nous ne voulons précisément pas : le débat se focaliserait sur la victime et sur son comportement.

Plus encore, et ce sera mon dernier point, cette situation est porteuse d'un risque constitutionnel. En effet, si la loi permet au juge d'incriminer le même fait sur deux fondements différents, elle porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Alors que nous modifions le code pénal, c'est un élément qu'il faut prendre en compte.

Ce sujet étant important, nous serions tous rassurés d'entendre le Gouvernement s'engager et nous dire qu'il va inscrire à l'ordre du jour de nos travaux, éventuellement dans le projet de loi-cadre, un texte spécifique sur la soumission et la vulnérabilité chimiques.

La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la sénatrice, permettez-moi tout d'abord de saluer le travail remarquable que vous avez réalisé dans le cadre de cette mission avec Sandrine Josso. Nous étions d'ailleurs ensemble il y a peu de temps chez vous, à Nancy, où nous avons rencontré ceux qui travaillent sur le terrain et qui permettent de faire progresser l'appréhension des psychotraumatismes liés aux violences sexuelles, en particulier l'inceste.

L'objectif du Gouvernement est de reprendre une grande partie des propositions et des recommandations de votre rapport. En ce qui concerne cet amendement en particulier, le Gouvernement s'en remettra d'ailleurs à la sagesse du Sénat.

Au-delà, notre volonté est d'adopter une approche systémique de la soumission et de la vulnérabilité chimiques, en abordant à la fois la formation des professionnels et le soutien aux associations et au secteur médico-social, afin de développer les bons réflexes en matière de détection et de repérage et d'améliorer la capacité à appréhender les preuves.

À cet égard, je travaille avec le ministre de la santé, Yannick Neuder, pour renforcer les moyens des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs). Il s'agit de permettre aux victimes d'être reconnues comme telles, parce que les détections auront pu être réalisées. Nous avançons aussi sur le renforcement de notre arsenal juridique.

C'est pourquoi l'intégralité de vos propositions a été communiquée au groupe de travail sur le projet de loi-cadre, afin que nous puissions mener une réflexion globale sur cette question. Croyez bien que vos propositions ne resteront pas lettre morte, bien au contraire. Nous nous sommes largement engagés à en reprendre un certain nombre.

En attendant, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, je dois vous faire part de ma stupéfaction.

Ce rapport a été demandé par le Gouvernement à l'une de nos collègues ici présente, membre de la majorité sénatoriale, et à notre collègue députée Sandrine Josso, dont nul n'ignore ce qu'elle a subi.

Après des mois d'un travail très sérieux et d'auditions, alors qu'il est aujourd'hui possible de transcrire la première des préconisations de ce rapport dans la proposition de loi – tout le monde sait de quoi nous parlons, ou faut-il que je le rappelle ? –, le Sénat s'apprêterait à refuser de voter cet amendement ce soir ? Je ne sais pas si vous mesurez réellement la portée de ce que vous êtes en train de décider, mes chers collègues.

Certes, la rédaction doit peut-être être améliorée. Mais ne sera-t-il pas possible de le faire en commission mixte paritaire ? Ne pas voter cet amendement ce soir est un acte politique grave, me semble-t-il, de la part du Sénat, compte tenu de la situation que nous connaissons ici et qui n'est à ce jour toujours pas réglée.

Mes chers collègues, je vous encourage donc vivement à voter cet amendement.

M. le président. Madame Guillotin, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Véronique Guillotin. Je remercie ma collègue de l'énergie qu'elle a mise à défendre cet amendement.

Je pense que cette proposition ne tombera pas dans l'oubli. Pour ma part, je vais retirer mon amendement, comme je m'étais engagée à le faire.

En revanche, je souhaite que les deux mesures législatives que nous avons recommandées dans notre rapport sur la soumission chimique soient reprises. La question de la soumission chimique doit être examinée à 360 degrés. Sandrine Josso et moi ne lâcherons rien sur ce sujet.

Je vous fais confiance, madame la ministre, en espérant ne pas me tromper.

Mme Annick Billon. Très bien !

Mme Véronique Guillotin. Je retire donc mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'en reprends le texte, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 1 rectifié, présenté par Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 1.

Je le mets aux voix.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mmes M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Guiol, Mme Jouve, M. Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 3° de l'article 226-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative au fait d'avoir administré à une personne, à son insu, une substance dans les conditions mentionnées à l'article 222-30-1 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que la victime n'est pas en mesure de se protéger en raison de l'altération temporaire de son discernement ou du contrôle de ses actes par un tiers. Le médecin ou le professionnel doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ; ».

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Cet amendement a pour objet la levée du secret médical. Il vise à ajouter à la liste des situations dans lesquelles ce secret peut être levé les cas de soumission et de vulnérabilité chimiques, qui ne sont pas clairement indiqués dans la loi à ce jour.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteur. Pour des raisons analogues à celles que nous avons avancées sur l'amendement n° 1, et sans préjudice d'un travail législatif sur la soumission chimique, lequel est probablement nécessaire, cet amendement soulève plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent tout d'abord à l'articulation de l'amendement avec l'article 226-14 du code pénal, qui prévoit la levée du secret médical en cas de « placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ». Or qu'est-ce la soumission chimique, sinon le placement dans un état de sujétion ? L'amendement nous semble donc satisfait par le droit en vigueur.

En outre, s'il était adopté, cet amendement, comme le précédent, risquerait de créer des difficultés opérationnelles lourdes. Pis, les dispositions qu'il tend à introduire sont susceptibles cette fois encore d'être censurées par le Conseil constitutionnel. À tout le moins, elles doivent être rédigées différemment, afin de bien cibler la spécificité de la soumission chimique.

Cette rédaction laisse entendre que c'est le médecin qui a administré la substance à la victime. Surtout, le renvoi à l'article 222-30-1 du code pénal pose problème. En effet, cet article vise les cas dans lesquels la substance en question est administrée en vue de commettre des violences sexuelles, ce que, par définition, le médecin ne peut pas savoir. Il peut constater que la victime a été droguée, mais il ne peut pas savoir à quelles fins, si c'est pour commettre des violences sexuelles ou pour obtenir de l'argent. En l'état, la réflexion ne nous semble donc pas totalement pas mûre.

C'est pourquoi la commission sollicite le retrait de cet amendement, dont les dispositions doivent être retravaillées.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. Madame Guillotin, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?

Mme Véronique Guillotin. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la commission. Je pense qu'il faut creuser la question de la levée du secret médical en cas de soumission chimique, l'article 226-14 du code pénal n'incluant pas ce cas.

Nous reviendrons sur ce sujet lors de l'examen du projet de loi-cadre. Pour l'heure, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.

L'amendement n° 10, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de trois ans à compter de sa promulgation, le Parlement rend un rapport évaluant les effets de la présente loi. Ce rapport évalue notamment ses effets, d'une part, sur la proportion de plaintes déposées par rapport au nombre total d'agressions sexuelles et, d'autre part, sur la proportion des agressions sexuelles faisant l'objet d'une condamnation.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, cette proposition de loi instituait, de manière assez pertinente, une évaluation. En fait, le dispositif était quelque peu complexe : deux évaluations étaient prévues. Le présent amendement vise à n'en prévoir qu'une seule, au bout de trois ans.

Une telle évaluation, je le répète, est tout à fait pertinente, car, certains d'entre nous l'ont dit, nous ne savons pas très précisément quels seront les effets en termes de poursuites de l'introduction de la notion de consentement dans la loi, indépendamment de l'introduction de paramètres complémentaires.

En commission, on m'a dit ce que l'on dit toujours : « On ne peut pas demander la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement. » Aussi cet amendement tend-il à prévoir la réalisation d'un rapport évaluant les effets de la loi par le Parlement lui-même.

Je sais que l'on va me rétorquer que le Parlement n'a nul besoin d'une loi pour exercer un contrôle, puisque telle est sa mission. Il nous semble toutefois intéressant d'un point de vue pédagogique de prévoir un rendez-vous dans trois ans, afin d'évaluer la pertinence et les effets – nous avons ce soir souvent parlé d'effets de bord, etc. – des dispositions que nous aurons votées et de les affiner au mieux.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cet amendement vise à prévoir l'établissement par le Parlement d'un rapport d'ici à trois ans, afin d'évaluer les effets de la présente proposition de loi. Nous avons eu à maintes reprises un débat sur le sujet des rapports.

Nous sommes évidemment favorables à l'évaluation de ce texte. Toutefois, cette disposition constitue ce que nous appelons un pur « neutron législatif » : le Parlement indique à lui-même ce qu'il devra faire dans trois ans…

Par ailleurs, la portée de l'amendement n'est pas claire : chaque chambre du Parlement devra-t-elle rédiger un tel rapport, ou celui-ci sera-t-il commun aux deux assemblées ? Je pense que le Parlement n'a pas besoin d'un amendement pour exercer ses prérogatives constitutionnelles de contrôle.

En outre, de toute évidence, cette disposition est dénuée de toute valeur normative, la loi, vous le savez, ne pouvant imposer au Parlement de produire des rapports.

Enfin, cela a été dit, telles qu'elles sont rédigées, les dispositions de cet amendement posent problème. Il faudra revoir les termes utilisés. Comment connaître « la proportion de plaintes déposées par rapport au nombre total d'agressions sexuelles », si ces dernières n'ont, par définition, pas donné lieu à un dépôt de plainte ? C'est une vraie difficulté.

Nous considérons que nous pourrons, même si cet amendement n'est pas adopté, réaliser des travaux d'évaluation de la présente proposition de loi en temps utile et présenter des résultats chiffrés complets.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Par principe, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat sur cet amendement, qui vise le Parlement et non le Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Après l'article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Articles 2 et 3 (fin)

Articles 2 et 3

(Supprimés)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer les auteures de ce texte, les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, et à les remercier de leur initiative, ainsi que du travail qu'elles ont accompli.

Il était important dans le cadre de ce débat d'examiner ce qui se fait dans des pays dont le système juridique est comparable au nôtre et qui ont introduit la notion de consentement dans leur code pénal.

Pour ma part, j'ai vécu dans un pays, le Canada, qui a introduit il y a quelques années cette notion dans son code pénal. Or on n'y remet pas constamment en question la parole des victimes ; concrètement, on y a constaté une plus grande condamnation des viols et une meilleure protection des victimes.

Avec le temps, la loi a eu une véritable portée éducative, surtout pour celles et ceux qui sont chargés de recueillir les plaintes. C'est pourquoi il est fondamental de renforcer les moyens des forces de l'ordre et leur formation en matière d'accueil des victimes et d'accompagnement des dépôts de plainte. C'est une réelle problématique dans notre pays.

Je voterai avec conviction cette proposition de loi, qui vise à favoriser pleinement une meilleure éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, afin de mieux éduquer nos enfants et de passer d'une culture du viol à une culture du consentement dans notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous regrettons évidemment que nos propositions complémentaires n'aient rencontré aucun succès au Sénat. Sur ces sujets, le clivage gauche-droite est parfois moins perceptible, mais ce ne fut visiblement pas le cas ce soir.

Pour autant, comme je l'avais indiqué au nom de mon groupe lors de la discussion générale, nous voterons ce texte, par volontarisme. Nous ne savons pas s'il permettra d'améliorer la situation des victimes et de diminuer le nombre faramineux des infractions, mais, dès lors qu'il ne dégrade pas leur situation juridique, nous pensons qu'il est important de mettre toutes les chances de notre côté.

Je le répète, nous voterons ce texte, en attendant la suite de la procédure parlementaire.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, à l'issue de nos échanges, comme lors de la discussion générale, je m'interroge toujours.

Nous n'avons pas réellement parlé de l'accueil des plaintes, de leur traitement et de la sanction des violeurs. Nous sommes très loin du compte, bien en deçà du réel ! Pratiquement tous les intervenants l'ont reconnu : certes, la question du consentement est importante, mais celle des moyens, de l'écoute et de la reconnaissance de la plainte l'est tout autant. Le jour où l'ordre sera donné de traiter une plainte dès lors qu'elle est déposée, nous aurons avancé.

Vous noterez avec moi que le viol est la seule infraction – je ne suis pas juriste, mais j'ai rencontré nombre de praticiens du droit – qui conduit à s'interroger sur le consentement de la victime. Pourquoi donc ?

Je n'ai aucun doute sur la rigueur du travail qui a été réalisé. J'ai rencontré, moi aussi, des féministes, des associations, des femmes victimes de violences, des collectifs et des juristes. Il n'y a pas de consensus sur ce point. Tous les avis sont respectables, tous les raisonnements se tiennent, indépendamment des conflits et des débats qui ont lieu actuellement. Il est d'ailleurs perturbant d'avoir autant d'argumentations qui tiennent la route.

Il est dommage d'avoir tranché de cette façon, sans que tous les points de vue aient été respectés.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Silvana Silvani. Je n'ai pas terminé !

M. le président. Votre temps de parole est dépassé, j'en suis désolé.

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons évidemment ce texte.

Son aboutissement est à la fois une victoire et le fruit d'un long travail et d'une mobilisation collective des mouvements féministes, des militantes, des associations, mais aussi des parlementaires. Je pense à nos collègues députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, ainsi qu'à notre collègue Mélanie Vogel, qui aurait aimé participer au débat sur ce texte.

L'inscription de la notion de consentement dans la loi introduit une précision juridique importante pour caractériser les faits de viol et d'agression sexuelle, mais elle est aussi un acte à la portée culturelle et symbolique particulièrement forte. Elle aura également un effet éducatif, notamment pour les personnes chargées de recueillir les plaintes des victimes, ce qui est important. Enfin, elle permettra de passer de la culture du viol à la culture du consentement.

Inscrire le consentement dans la loi, c'est affirmer que celui-ci est un élément central et indispensable des relations sexuelles. C'est aussi changer de regard.

Il s'agit d'une avancée, même si elle ne réglera pas tout. Nous devrons ensuite passer à la phase d'évaluation de ce texte, comme pour tous les autres.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.

Mme Véronique Guillotin. Ce texte constitue une avancée importante pour ce qui concerne la définition du viol. La notion de consentement est enfin inscrite dans la loi. C'est une bonne chose. Tel était l'objectif initial de ce texte, et cette mesure est consensuelle dans cet hémicycle.

Nous avons néanmoins de légers regrets, car ce texte ne réglera pas tout, même si un important travail a été réalisé sur les violences sexuelles, le viol et le consentement. Nous avons parlé de la formation des professionnels, de l'accueil des victimes et de l'accompagnement pénal. J'ai également soulevé deux points juridiques particuliers au travers de mes deux amendements.

J'appelle désormais de mes vœux la poursuite de ce travail et je fais confiance au Gouvernement, comme à notre assemblée, pour que nous puissions aller plus loin, ensemble, sur ces problématiques.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 326 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l'adoption 323

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue ce vote très clair du Sénat. Je remercie les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, présentes en tribune, qui ont permis cette construction transpartisane.

L'inscription du consentement dans la loi fait consensus, ce qui aurait dû être le cas depuis longtemps. Le texte envoie un signal très clair : il permettra une caractérisation du viol plus précise, une sanction plus adaptée des auteurs et une meilleure éducation dans notre pays.

Notre travail va se poursuivre, évidemment, dans le cadre d'un projet de loi global sur la lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales. Je vous remercie toutes et tous très sincèrement ce soir. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, il est minuit passé. Je vous propose de poursuivre nos débats pour examiner le point suivant prévu à notre ordre du jour.

Il n'y a pas d'observation ?...

Il en est ainsi décidé.

Articles 2 et 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
 

7

 
Dossier législatif : proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports
Article unique (début)

Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, présentée par Mme Nadège Havet, M. Michel Canévet et M. Yves Bleunven (proposition n° 319, texte de la commission n° 722, rapport n° 721).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi.

M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France étant un grand pays maritime, nous devons nous occuper des sujets liés à la mer, parmi lesquels figurent les questions halieutiques.

Je rappelle que les lois de décentralisation ont entraîné le transfert aux départements et aux communes d'un grand nombre de ports qui étaient auparavant gérés par l'État. Une seconde vague de transferts de ports aux régions, aux départements et, le cas échéant, aux communes a eu lieu en 2004, pour compléter les transferts précédents. La loi de 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui comprend un volet maritime, a créé la société portuaire permettant de gérer de façon spécifique un certain nombre de ports.

Je l'ai dit, la France est un grand pays maritime, mais elle n'a pas, hélas ! une activité maritime assez soutenue. D'autres après moi auront l'occasion de le répéter.

Paradoxalement, alors que nous possédons le deuxième espace maritime le plus étendu au monde, nous importons plus des trois quarts des produits de la mer que nous consommons. C'est tout à fait anormal ! Une réduction du format maritime halieutique est intervenue ces dernières décennies, particulièrement marquée en Cornouaille, dans le Finistère et à la pointe de la Bretagne.

La Bretagne est une région qui, traditionnellement, produisait l'essentiel de la pêche fraîche française. Elle continue d'être une place très forte. On compte ainsi des ports importants dans le Morbihan, à Lorient, par exemple, mais aussi dans les Côtes-d'Armor, à Erquy et à Saint-Quay-Portrieux, dans le Finistère, au Guilvinec, à Douarnenez, à Concarneau, à Audierne, à Saint-Guénolé, à Loctudy et à Roscoff, par exemple.

Toutefois, nous avons constaté une réduction du format de la production halieutique dans ces ports. Par exemple, en Cornouaille, une région qui représente l'essentiel de la pêche fraîche en France, le volume de production est passé entre 2004 et 2024 de 54 000 à 24 000 tonnes débarquées. Chacun mesurera l'évolution quantitative que cela représente.

Pourquoi rappeler ces chiffres ? Parce que la gestion portuaire, avec de telles évolutions, nécessite des modifications structurelles extrêmement fortes. Tel est le sens, justement, de ce texte.

De nombreux ports de pêche, en France, sont gérés par les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Ainsi de ceux du Finistère, avec la CCI métropolitaine Bretagne ouest.

Cependant, les conditions économiques ne sont plus réunies aujourd'hui pour que ces établissements publics de l'État, qui ont subi, au cours des dernières années, une réduction significative de leurs moyens financiers, puissent dégager les ressources leur permettant d'assurer une gestion correcte de ces infrastructures portuaires.

Par conséquent, les collectivités responsables de ces infrastructures ont dû imaginer d'autres dispositifs.

Or la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a créé un dispositif tout à fait adapté, la société portuaire, qui est actuellement utilisé pour la gestion de deux ports dans notre pays. Toutefois, je ne sais par quel mystère, la loi de 2006 prévoit que ce mode de gestion peut être utilisé pour les seuls ports décentralisés en 2004, et non pour ceux qui l'avaient été par les lois de décentralisation.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, ce texte vise tout simplement à rectifier ce qui semble être une incohérence. Selon nous, il est en effet logique que la gestion portuaire soit effectuée de façon adaptée, au moyen d'un outil spécialisé. Or la société portuaire nous semble être le dispositif idoine. Tel est le sens de ce texte, que nous souhaitons voir adopté ce soir.

Je remercie le Gouvernement d'avoir engagé la procédure accélérée sur ce texte. En effet, il importe d'aller vite : un certain nombre de concessions arrivant rapidement à échéance, leur futur mode de gestion doit être opérationnel le plus tôt possible. Nous comptons sur le Gouvernement pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cette nuit afin d'examiner la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports.

Cette initiative parlementaire apporte une nouvelle brique au travail au long cours mené dans ce domaine par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, pour laquelle il importe d'identifier tous les leviers au service de la performance de nos ports, compte tenu des atouts maritimes de la France.

L'objectif constant de notre commission est, comme l'indiquait le titre du rapport d'information de notre ancien collègue Michel Vaspart, de « Réarmer » nos ports dans la compétition internationale.

Pour cela, nous privilégions trois axes d'actions : améliorer la gouvernance du système portuaire ; renforcer l'attractivité et la compétitivité de nos ports ; accompagner le verdissement du secteur. Si nos précédents travaux portaient principalement sur l'organisation et le développement de nos grands ports maritimes, ce texte concerne plus particulièrement nos ports décentralisés, tout en gardant le cap fixé par ce triptyque.

En effet, l'on ne peut que souscrire à l'objectif sous-tendant cette proposition de loi : permettre aux autorités portuaires de tous nos ports décentralisés – soit 50 ports de commerce, 100 ports de pêche et halles à marée et 470 ports de plaisance – de bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires, afin d'assurer leur exploitation dans de meilleures conditions.

Le modèle de société portuaire offre plusieurs avantages. Ainsi, il permet de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires. En participant directement au capital de ces sociétés, elles deviennent les actrices principales de la robustesse, de l'agilité et de la résilience de leur écosystème portuaire, un maillon essentiel et structurant de l'aménagement et de l'emploi de nos territoires côtiers.

La participation des collectivités dote ces sociétés portuaires d'une assise financière plus large, ce qui permet de préserver ou d'accroître le volume de leurs investissements et de rentabiliser leurs efforts en faveur de la transition technologique et écologique, tout en améliorant leur compétitivité.

Nos ports ont dû faire face à plusieurs chocs exogènes pénalisants : Brexit, Covid, flambée du prix des carburants, plan de sortie de flotte et, dernièrement, fermeture spatio-temporelle du golfe de Gascogne pour protéger les dauphins communs des captures accidentelles.

La hausse des coûts, la baisse des ressources financières et l'augmentation des besoins en investissements pèsent sur les concessionnaires, qui exercent cette activité à leurs risques et périls. Si une indemnisation est envisageable, la fixation de son montant donne lieu à des négociations fastidieuses, sans que celui-ci compense pour autant toutes les pertes enregistrées par le concessionnaire.

La participation des collectivités permettrait ainsi une mutualisation des risques, une simplification des relations, ainsi que des négociations, et un renouvellement des contrats, sans que l'équilibre financier soit assuré aux dépens du concédant ou de l'effort d'investissement.

Ce modèle présente, en outre, d'évidents atouts par rapport aux autres options déjà à la disposition des collectivités. À la différence de la société publique locale (SPL), il permet aux chambres de commerce et d'industrie de participer à son capital. Ces dernières, concessionnaires historiques, apportent ainsi leur expertise, leur connaissance du tissu économique de proximité et leur capacité de projection à l'international.

Contrairement au modèle de société d'économie mixte (SEM), il permet de bénéficier des dérogations liées aux contrats de quasi-régie. Si les conditions du code de la commande publique sont remplies, le contrat de concession pourra être dispensé des procédures de mise en concurrence.

Le modèle de la société portuaire est déjà éprouvé et approuvé. Deux régions, à savoir la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine, l'utilisent pour la gestion des ports de Brest et de Bayonne. Pourtant, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui a permis de créer ce modèle, limite sévèrement le nombre de possibles bénéficiaires.

En effet, seuls les dix-huit ports – dix-sept en métropole et un en outre-mer – non autonomes et d'intérêt national dont la propriété et la compétence de gestion avaient été transférées par l'État aux collectivités territoriales et à leurs groupements en vertu de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, lors de l'acte II de la décentralisation, peuvent y recourir.

Il convient à présent de faire sauter ce verrou législatif, qui ne se justifie plus.

En effet, hormis les grands ports maritimes et quelques ports d'intérêt particulier relevant encore de l'État, les compétences de création, d'aménagement et d'exploitation des ports maritimes, ainsi que, pour certains d'entre eux, la propriété, ont été transférées aux collectivités territoriales par les lois de décentralisation de 1983 et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Par conséquent, lesdites collectivités doivent pouvoir, si elles le souhaitent, utiliser cet outil polyvalent.

Notre objectif, au travers de cette proposition de loi, n'est pas de supprimer ou de remplacer les autres modèles de gestion déjà cités. Il s'agit plutôt de permettre à l'ensemble des collectivités qui, après une étude des coûts et avantages des différents modèles et en fonction de leurs particularismes locaux, considéreraient le modèle de la société portuaire plus pertinent, d'y recourir.

Que prévoit ce texte dans sa version issue de la commission, adoptée à l'unanimité ?

Dans sa version initiale, l'article unique tendait à modifier l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006. Est ainsi supprimée la référence à l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui en limite le champ. Le texte clarifie et modifie les autres dispositions de l'article 35 de la loi de 2006 pour tenir compte de cette suppression. Enfin, il met à jour les références à des articles abrogés du code du travail.

Sur mon initiative, notre commission a modifié le texte pour assurer la cohérence du dispositif avec les exigences du droit européen de la commande publique, en veillant à ce que les opérations d'attribution et de modification des contrats de concession ne puissent être automatiquement dispensées des procédures de mise en concurrence. Ainsi, elles feront l'objet d'une appréciation au cas par cas du respect des conditions de la quasi-régie.

Mes chers collègues, voilà, brièvement présenté, le texte qui est soumis à votre suffrage ce soir. Je suis certaine que la souplesse de la proposition de loi, qui met à la disposition des collectivités territoriales un outil supplémentaire, répond aux attentes des acteurs de nos territoires.

Les auditions préparatoires que j'ai menées m'ont convaincue que c'est le cas dans un département que j'affectionne particulièrement, le Finistère, et plus largement partout où doivent être renouvelés et sécurisés les contrats de concession au cours des mois à venir.

Je termine mon propos en remerciant le ministre de sa disponibilité, de son écoute et de sa bienveillance à l'égard de cette initiative législative.

Plus largement, je remercie le Gouvernement, qui a inscrit le texte à l'ordre du jour d'une semaine qui lui est réservée et qui a engagé la procédure accélérée. Cela témoigne de sa volonté de mener la navette parlementaire à son terme.

Mme Nadège Havet, rapporteure. Je forme le vœu que ce texte, après son adoption, ne reste pas en cale sèche. Puisse l'Assemblée nationale en reprendre rapidement la barre et l'amener à bon port ! (Sourires et applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec satisfaction et plaisir que je m'exprime aujourd'hui devant votre assemblée pour soutenir cette proposition de loi défendue par Nadège Havet, Michel Canévet et Yves Bleunven.

Ce texte émane directement du terrain et des élus locaux, qui connaissent les ports, leurs enjeux, leurs défis et leurs potentialités. Il répond ainsi au besoin d'accéder à un outil de gouvernance portuaire performant et adapté aux réalités contemporaines, s'inscrivant dans une approche pragmatique du développement territorial.

Le modèle de société portuaire existe déjà et a fait ses preuves. Les régions Bretagne et Nouvelle-Aquitaine l'ont expérimenté avec succès, respectivement avec BrestPort et le port de Bayonne, cher Max Brisson. Ces expériences démontrent la pertinence de ce modèle de gouvernance, qui permet de concilier expertise publique et efficacité économique.

Néanmoins, cette proposition de loi constitue avant tout une mesure de simplification, pour élargir la boîte à outils à disposition de nos collectivités. Elle modernise et élargit le dispositif des sociétés portuaires, créé par la loi du 5 janvier 2006, comme vous l'avez rappelé, cher Michel Canévet.

À ces fins, est supprimée la limitation aux seuls dix-sept ports métropolitains visés par loi de 2004. En effet, cette restriction exclut, de fait, de nombreux ports décentralisés qui présentent pourtant des caractéristiques et des enjeux comparables à ceux des premiers.

Le texte permettra de renforcer la coopération entre les collectivités territoriales et les chambres de commerce et d'industrie, pour une gestion plus efficace des ports. Il s'inscrit parfaitement dans notre volonté de moderniser les outils de gouvernance, tout en préservant des liens avec ces partenaires historiques.

Je rappelle l'importance économique des ports décentralisés dans notre paysage maritime national. Ainsi, ces quelque 600 ports représentent 22 % du tonnage total de marchandises de notre pays, avec une contribution économique non négligeable : 600 millions d'euros de valeur ajoutée, 11 000 emplois directs et 27 000 emplois indirects.

Le modèle de société portuaire proposé à votre examen s'inscrit dans une volonté de développement des ports avec une vision de long terme, selon un modèle qui a déjà fait ses preuves. Il permettra aux collectivités de faire partie des acteurs principaux du développement et de la résilience de leur écosystème portuaire.

Je tiens à vous rassurer : toutes les garanties sociales sont maintenues. Notre attachement au dialogue social et à la protection de l'emploi est total, cher Gérard Lahellec.

Cette proposition s'inscrit parfaitement dans notre politique des transports, qui est pragmatique, à l'écoute des territoires, respectueuse des équilibres sociaux et menée dans un objectif de simplification. Elle prolonge notre stratégie nationale portuaire de 2021, issue d'une large concertation.

Le consensus dégagé en commission, chère Nadège Havet, cher Jean-François Longeot, et l'absence d'amendements déposés, hormis celui du Gouvernement, qui est purement technique, puisqu'il vise seulement à lever des gages, témoignent de la maturité de cette initiative et de la qualité du travail parlementaire. Je tiens à vous en remercier.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter ce texte, qui offrira à nos collectivités un outil de gouvernance portuaire moderne, efficace et adapté aux défis contemporains, comme l'est le Sénat. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez tous ici, la Loire est un département maritime important… (Sourires.) Du moins, c'est un département fluvial, doté de plusieurs ports, dont Briennon, Bully, Saint-Victor-sur-Loire, Roanne et le bien nommé port de la Caille, à Saint-Jean-Saint-Maurice-sur-Loire.

Certes, dans mon département, on parle plus de porcs que de ports, pour évoquer la charcuterie locale, notamment à l'heure de l'apéritif. (Sourires.) Mais nous ne nous désintéressons pas du sujet. Comme l'a dit M. le ministre, il s'agit d'un enjeu de souveraineté nationale et d'économie important pour notre pays.

Je serai très bref, car ce texte nous convient en tout point. Nous approuvons l'élargissement du dispositif de la société portuaire, le renforcement financier de ces sociétés au travers de l'entrée des collectivités au capital, l'autorisation de la double participation des collectivités et des CCI au sein des sociétés portuaires et, enfin, le fait que les collectivités pourront participer à la stratégie de développement de leurs ports.

Les ports sont des infrastructures stratégiques pour nos territoires, notamment au travers des emplois, directs et indirects, qui en dépendent. Ils sont des atouts d'attractivité pour nos territoires et notre pays.

Ce texte est excellent. Il offre de la souplesse aux collectivités locales et vise à accélérer les prises de décisions. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne peut que le soutenir, car il est la manifestation d'une décentralisation efficace. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda.

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous essayons tous de battre des records de brièveté, tant nous sommes d'accord sur le sujet qui nous réunit cette nuit, à savoir l'extension de la possibilité d'octroyer le statut de la société portuaire à tous les ports.

J'ai coutume de dire que le droit n'est qu'un outil à notre service. Les juristes sont d'une inventivité folle, notamment lorsqu'il s'agit de personnalité morale. Car, si nul n'a jamais vu de personne morale se promener dans la rue, de telles entités existent dans nos codes… (Sourires.)

Les sociétés portuaires offrent de grands avantages, notamment la possibilité de faire financer les ports à la fois par les CCI et par les collectivités territoriales et le recours au système de la quasi-régie, qui dispense d'un certain nombre de règles de mise en concurrence.

Cependant, cette option assez intéressante n'est pour l'instant réservée qu'à un petit nombre de ports, dont le statut découle de l'acte II de la décentralisation de 2004. Notre but, aujourd'hui, est donc de permettre à d'autres ports d'en bénéficier, notamment lorsqu'il s'agit pour les collectivités de les soutenir, ce dont ils ont besoin. En effet, la pêche et l'activité portuaires, comme toutes les activités économiques, sont essentielles pour notre pays.

Nous avons la possibilité, en étendant le statut des sociétés portuaires, de permettre à d'autres ports, notamment bretons, de contribuer à cette activité, si importante pour la Bretagne et pour la France, qu'est la pêche. Nous ne devons pas nous en priver.

Les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte avec grand plaisir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'emblée je vous le dis : les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

Nous le ferons non pas parce que ma collègue et amie Nadège Havet en est la coauteure et la rapporteure, mais parce que ce texte est utile pour nos collectivités et leurs ports.

Dans le contexte actuel, il est important que le droit permette à ces structures que sont les ports, souvent indispensables à la vitalité de certains de nos territoires, de se développer sur les plans économique, social et environnemental.

Ainsi, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 a permis la création des sociétés d'exploitation portuaire entre les collectivités territoriales, leurs groupements et les chambres de commerce et d'industrie. Ce modèle est très utile pour gérer de manière plus souple les ports, là où les anciens ports autonomes étaient des établissements publics soumis à des règles administratives strictes.

La société portuaire fonctionne quant à elle selon un modèle de droit privé. Autrement dit, elle dispose de la personnalité juridique et peut embaucher du personnel sous contrat privé, signer des partenariats commerciaux et fixer librement certains tarifs d'utilisation des installations portuaires.

Avec ce modèle, il est possible d'ouvrir le capital à des acteurs privés et les collectivités territoriales peuvent participer à la gouvernance du port. Voilà qui est de nature à renforcer l'ancrage local du port et qui permet de mieux coordonner les projets portuaires avec ceux du territoire. Je pense notamment au transport multimodal ou aux enjeux de transition énergétique.

On pourrait donc penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, il n'en est rien.

Premièrement, le modèle actuel ne concerne que les dix-huit ports français mentionnés dans la loi du 13 août 2004, alors que notre pays dispose de plus de 500 ports décentralisés, dont celui de Valence, dans la Drôme.

Deuxièmement, depuis la loi NOTRe de 2015, d'autres ports ont été transférés aux collectivités. Or ces derniers ne peuvent bénéficier du modèle de société portuaire. Par conséquent, il devient nécessaire de modifier la loi, afin de permettre à toutes les collectivités et à leurs groupements d'avoir recours à ce modèle.

Tel est l'objectif qui sous-tend cette proposition de loi, que nous pourrions qualifier de bretonne. S'il n'a pas pour objet l'indépendance de la Bretagne, ce texte est bel et bien relatif à l'autonomie de nos élus locaux et au développement économique de nos ports.

Dans la mesure où les sociétés d'exploitation portuaire sont créées par un accord entre les collectivités territoriales, leurs groupements et les CCI, je suis convaincu que de nombreux ports pourront demain bénéficier de nouveaux moyens financiers. Particulièrement utiles à de nombreux égards, les CCI ont une capacité indéniable à collecter des fonds au niveau national et international.

Par ailleurs, il s'agit également d'améliorer les performances en matière d'économies budgétaires, dans un contexte où les finances de nos collectivités sont mises à rude épreuve, avec des coûts qui explosent et des rallonges liées aux travaux. Les autoriser à bénéficier de ce modèle, c'est leur permettre d'intégrer un expert de la gestion portuaire qui a une vision globale du sujet.

Mes chers collègues, adopté à l'unanimité en commission, ce texte présente donc des atouts indéniables pour nos élus locaux, les ports français et l'ensemble des personnes qui les font vivre. Il s'agit d'une proposition de loi utile, concise et transpartisane, dont l'article unique sera facilement mis en œuvre.

Voilà autant de raisons pour lesquelles notre groupe votera pour l'adoption de ce texte, en lui souhaitant bon vent ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la puissance économique de la France est intimement liée à celle de son réseau portuaire. Il suffit d'un regard à notre histoire pour s'en convaincre : à chaque grande mutation industrielle ou commerciale, les ports français ont su se réinventer.

De l'essor des grands ports commerciaux de Bordeaux et de Marseille au XVIIIe siècle au développement des complexes industrialo-portuaires dans les années 1960, sans oublier l'adaptation des terminaux portuaires à la conteneurisation du commerce maritime, nos ports ont profondément changé.

La décentralisation des ports, à l'œuvre depuis plus de quarante ans, a fait des collectivités locales et de leurs groupements des acteurs incontournables dans le développement des quelque 600 ports décentralisés de notre pays. Pourtant, leur implication reste inégale : certaines s'engagent résolument dans la modernisation de leur port, quand d'autres peinent à enclencher cette dynamique.

D'où vient une telle différence ? Le choix du mode d'exploitation permet de comprendre cette diversité des trajectoires. En effet, les collectivités locales ont tendance à davantage s'investir dans les orientations stratégiques de leur port lorsqu'elles en sont concessionnaires.

Surtout, les capacités de financement des investissements en infrastructures, de modernisation ou de transition des ports apparaissent radicalement différentes. Ainsi, aujourd'hui, deux situations se distinguent schématiquement : celle des ports qui arrivent à mener à bien des projets de modernisation et celle de ceux qui n'y parviennent pas.

Les collectivités qui sont parvenues à transformer en profondeur leur port sont celles qui ont eu recours au modèle de société portuaire créé par la loi du 5 janvier 2006. En effet, les dix-huit ports concernés ont pu bénéficier de deux avantages majeurs pour leur développement : l'expertise des chambres de commerce et d'industrie, d'une part, et les dérogations aux règles de la commande publique autorisées pour les gestions en quasi-régie, d'autre part.

Dans ce contexte, les avantages offerts par le recours au modèle de la société portuaire doivent pouvoir bénéficier à tous les gestionnaires de ports décentralisés qui en formulent le souhait. Le maintien du statu quo n'est plus justifié : de nombreuses collectivités locales et acteurs portuaires attendent aujourd'hui que la loi vire de bord.

À mon sens, cette ouverture est susceptible d'accroître à moyen et à long terme la compétitivité des ports décentralisés. C'est dans cet esprit que je rejoins les auteurs de la présente proposition de loi, laquelle supprime le verrou législatif qui empêchait d'étendre la possibilité de recourir au modèle de société portuaire à tous les ports décentralisés.

Cette proposition de loi apporte de la souplesse aux collectivités et une évolution attendue depuis longtemps par les acteurs du secteur. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera pour l'adoption du texte de la commission. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme Muriel Jourda applaudit également.)

M. Pascal Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objet de la présente proposition de loi relative à la gestion des ports pourrait sembler, à première vue, un peu aride ou, à tout le moins, exclusivement technique, puisqu'il s'agit, comme cela a été amplement rappelé, de permettre à tous les ports décentralisés de bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires pour assurer leur exploitation.

D'un point de vue strictement juridique, cette mesure est aujourd'hui incontournable.

Je ne remets pas en cause les options de gestion qui existent actuellement. Par exemple, en Normandie, trois types de gestion coexistent : dans le département de la Manche, la société publique locale, dans celui du Calvados, la société d'économie mixte à opération unique, et dans le département de mon cœur, la Seine-Maritime, la société d'économie mixte. Ainsi, le présent texte ne vise qu'à élargir le champ des possibles, en ajoutant une option, celle de la société portuaire, à l'arsenal des modes de gestion autorisés.

Je ne reviendrai pas longuement sur les raisons nous imposant de légiférer maintenant, puisqu'elles ont été parfaitement exposées par Michel Canévet et Nadège Havet, que je remercie d'avoir fait inscrire ce texte à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée, ainsi que notre collègue du groupe Union Centriste Yves Bleunven, co-auteur de cette proposition de loi.

Alors que 600 ports décentralisés sur le territoire national pourraient être concernés par ce choix de mode de gestion, la loi de 2006, comme cela a été rappelé, a limité celui-ci à dix-huit d'entre eux, à savoir les seuls ports d'intérêt régional.

Pourtant, les avantages de ce statut sont incontestables. Comme le résumait très bien notre rapporteur, le modèle de société portuaire permettrait de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires.

C'est bien pour cela que la société portuaire est plébiscitée par les gestionnaires des ports décentralisés. D'après ce que j'ai pu constater, ils soutiennent très massivement cette proposition de loi.

Toutefois, allons au-delà. En réalité, la présente proposition de loi porte bien plus qu'une simple mesure technique. Au travers du mode juridique de gestion des ports, c'est tout simplement de leur avenir qu'il est ici question.

En effet, la société portuaire simplifiera leur gestion par les collectivités. Ainsi, plus besoin de procédures de mise en concurrence pour conclure un contrat de concession.

De plus, le financement des investissements d'infrastructures en sera facilité.

Enfin, la société portuaire permettra une approche partenariale, en impliquant toutes les parties prenantes locales, du secteur privé aux chambres de commerce et d'industrie.

Au-delà de la seule question du mode juridique de gestion des ports, c'est bien de tout cela qu'il s'agit aujourd'hui et dont les ports ont besoin : besoin de simplification, besoin d'investissement et, surtout, besoin d'une vision partagée, de la fixation d'un cap leur permettant de répondre aux défis de notre temps. Et Dieu sait si ces derniers sont nombreux !

Confrontés à des crises à répétition – Brexit, Covid, repli du commerce international –, tous nos ports souffrent. Confrontés à la nécessité de se moderniser à marche forcée pour rester dans la compétition technologique internationale et de se verdir, à la fois en se décarbonant pour honorer nos engagements climatiques et en participant à la préservation des écosystèmes marins, nos ports doivent absolument être accompagnés.

C'est d'autant plus vital que les ports constituent un atout majeur du développement économique et de l'attractivité de nos territoires.

M. Pascal Martin. J'en veux pour preuve le rôle essentiel que jouent les ports de Seine-Maritime dans l'économie locale. Ils contribuent à l'histoire, ainsi qu'au charme de la façade littorale de la côte d'Albâtre.

Je le dis avec un amical clin d'œil : peut-être nos collègues continentaux n'ont-ils pas toujours conscience que l'importance des ports dépasse très largement les seuls territoires littoraux… Qu'il s'agisse de plaisance, de transport ou de fret, les activités portuaires irriguent toute la croissance nationale.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera des deux mains la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDPI et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec. (MM. Michel Canévet et Alain Cadec applaudissent.)

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décentralisation des installations portuaires ou leur transfert aux collectivités place ces dernières en situation de responsabilité pour relever un véritable défi, celui du développement de nos ports, notamment de commerce et de pêche.

Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu'un seul exemple. En application de la loi du 13 août 2004, communément appelée loi Raffarin, la Bretagne est devenue dépositaire des ports de Brest, Lorient et Saint-Malo. La région, devenue autorité concédante de ces ports, reçoit en tout et pour tout à ce titre une dotation générale de décentralisation (DGD) annuelle de 1,5 million d'euros. Cette dernière est calculée sur la moyenne des investissements réalisés par l'État au cours des dix années précédant le transfert. Peu d'investissements avaient été réalisés : cela explique à la fois l'importance des investissements que les collectivités ont dû désormais assumer et la faiblesse des compensations versées…

Comme l'État a tendance – pardonnez-moi de le relever, monsieur le ministre – à ne s'intéresser qu'aux grands ports maritimes (GPM) et que les collectivités sont en situation exsangue, il convient de créer les meilleures conditions pour permettre à nos collectivités de relever le défi de la gestion des ports.

Dans ce contexte brièvement rappelé, cette proposition de loi vient corriger une anomalie. Aux côtés d'Alain Cadec et d'autres parlementaires ici présents, j'avais déjà déposé un amendement en ce sens lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, il y a seulement quelques mois.

En devenant autorités portuaires, nos collectivités n'ont, de fait, que trois possibilités pour gérer leurs ports, qui sont actuellement administrés, en règle générale, par les CCI : soit la délégation de service public (DSP) ; soit la société publique locale ou la société d'économie mixte (SEM), qui prennent diverses formes selon les territoires ; soit la société portuaire, instituée par la loi du 5 janvier 2006.

Malheureusement, les ports qui ont été décentralisés en 2015 aux termes de la loi NOTRe, n'ont pas pu être gérés par le biais d'une société portuaire. C'est la preuve que nous légiférons parfois un peu vite…

Alors que nous nous apprêtons à offrir aux collectivités la possibilité de constituer des sociétés portuaires, il n'est pas juste de dire que ce dispositif inciterait à dépenser plus, bien au contraire ! Ce qui met la collectivité en situation de risque, ce qui l'oblige à mettre la main au portefeuille, ce n'est autre que la loi de décentralisation elle-même !

Une chose est sûre : la Bretagne, avec ses 2 700 kilomètres de côtes, ne peut pas se désintéresser de ses ports, d'autant que la société portuaire peut présenter un certain nombre d'avantages en matière partenariale et fiscale.

Enfin, le texte donne aussi la possibilité aux CCI de devenir actionnaires des sociétés portuaires, ce qui leur permet d'être intéressées au développement des ports.

C'est la raison pour laquelle j'avais contesté, à trois reprises, le motif d'irrecevabilité qui avait été opposé à nos amendements, en application de l'article 40 de la Constitution. Toutefois, mes efforts étaient alors restés vains.

Ce soir, je persiste et signe : la création d'une société portuaire peut constituer un moyen de réduire la charge supportée par la collectivité seule.

Le groupe CRCE-K votera donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons eu il y a une semaine sur la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, déposée par ma collègue Mathilde Ollivier, a montré combien les activités des ports sont déterminantes pour assurer l'équilibre de la biodiversité et des milieux naturels marins, essentiels aux ressources de la pêche.

Environnement et économie : les deux causes sont liées. En effet, la protection des écosystèmes biologiques fait cause commune avec le nécessaire confortement des écosystèmes socioéconomiques de la filière pêche.

Nos ports ont un rôle à jouer. Nos ports de mer entendent le rester et le resteront, dirais-je sur un ton gaullien, bien que nous ne soyons plus tout à fait le 18 juin. (Sourires.)

La loi du 5 janvier 2006 a permis aux collectivités de recourir au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leur port. Ce dispositif a le double avantage d'assurer une gestion en quasi-régie, ce qui évite de passer par une procédure de mise en concurrence pour la conclusion du contrat de concession, et de permettre un apport en capital de la chambre de commerce et d'industrie.

À ce jour, seuls dix-huit ports, ceux qui étaient énumérés dans la loi de 2004, bénéficient de ce modèle. Celui-ci n'est donc pas accessible aux quelque 600 ports décentralisés de France, qui structurent pourtant de nombreux territoires, notamment en Corse, en Occitanie et en Bretagne. Je tenais à le rappeler ; même si je suis continental, je l'ai bien compris !

Ces ports ont d'ailleurs réalisé des investissements significatifs. Or tout l'intérêt des sociétés portuaires est justement de pouvoir investir.

En témoignent les ports de Brest et de Bayonne, qui ont une bonne capacité financière pour réaliser des investissements en matière d'infrastructures, de modernisation et de transition. Cela tombe bien, car les CCI, acteurs historiques, ne sont pas ou plus en mesure de porter seules ces investissements.

Nous comprenons donc que l'accès au modèle de société portuaire est un enjeu majeur pour les sept ports de pêche de la Cornouaille, qui sont à l'origine de cette proposition de loi. Des milliers d'emplois en dépendent.

La Cornouaille, cela a été dit, représente 20 % de la pêche nationale et la moitié de la pêche bretonne. Or ses ports ont traversé récemment de sérieuses crises. Cet affaiblissement explique d'autant plus le besoin de partage des risques pour les CCI, grâce à la participation des collectivités au modèle de société portuaire.

Il y a donc un fort enjeu, pour la Cornouaille, mais aussi, au-delà, pour bien des collectivités, à faire sauter ce verrou et à améliorer le lien avec leurs partenaires historiques, les CCI, tout en profitant des avantages d'un capital qui reste détenu à 100 % par des personnes publiques.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Fagnen. (M. Michel Canévet applaudit.)

M. Sébastien Fagnen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis ravi d'être le second Normand à m'exprimer à cette tribune, après mon collègue Pascal Martin. Il est bon de le rappeler : dans la vie, il y a la Bretagne, certes, mais il y a aussi la Normandie ! (Rires. – M. Pascal Martin applaudit.) Notre région est un acteur maritime de premier plan.

Je veux, à l'occasion des quelques minutes qui me sont imparties, faire allusion à un autre élément essentiel à la compétitivité des ports : pour être viables, monsieur le ministre, encore faut-il que ceux-ci soient reliés à des infrastructures, notamment ferroviaires, dignes de ce nom. Je suis certain que Pascal Martin sera d'accord avec moi. Ceux d'entre vous qui ont assisté cet après-midi aux questions d'actualité au Gouvernement l'auront deviné : je veux parler, bien évidemment, de la ligne nouvelle Paris-Normandie, un axe ferroviaire cher à notre cœur.

Le présent texte, quant à lui, offre aux collectivités locales la possibilité de créer des sociétés portuaires afin d'améliorer la gouvernance des ports et leur compétitivité.

La société portuaire est un véhicule juridique parfaitement adapté pour réactiver ce secteur et répondre aux besoins d'investissements et de développement.

Tous les sénateurs et sénatrices des départements littoraux peuvent en témoigner : les ports rencontrent d'importantes difficultés, en particulier les ports de pêche, qui sont en proie à des situations délicates.

Je pense notamment aux facteurs extérieurs que représentent les évolutions politiques récentes. Le Brexit, par exemple, a eu de nombreuses conséquences négatives sur la pêche, comme l'a très justement rappelé Mme la rapporteure.

Plus particulièrement, dans le département de la Manche, nous sommes inquiets de la situation dont souffre le port de Granville. Une des problématiques les plus sensibles est la raréfaction des bulots au sein de la baie, en raison de la hausse des températures de la mer induite par le changement climatique.

Alors que la baie de Granville a été la première zone française et européenne de capture au casier des bulots, une espèce historiquement labellisée, elle subit depuis une décennie une violente baisse de production. En outre, elle a récemment perdu sa certification « pêche durable ».

Plus généralement, notre objectif est de promouvoir la pêche artisanale française, qui garantit souveraineté et sécurité alimentaires, tout en respectant davantage les écosystèmes marins. Nous pourrons ainsi lutter contre la course au rendement et les risques de surpêche qui en découlent.

Je me réjouis que le présent texte permette d'adapter le schéma traditionnel des ports de pêche, afin de les inscrire dans une économie mondiale, processus dont ils n'ont pour l'heure pas pu pleinement bénéficier.

Il était important d'adapter enfin la loi à la réalité des territoires. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient cette proposition de loi.

Toutefois, quelques questions demeurent, notamment celle de la gouvernance. Certains perçoivent une volonté, légitime, des CCI de préserver leurs interventions sur certains ports en recourant au modèle de la société portuaire.

Les collectivités territoriales, elles, peuvent d'ores et déjà mobiliser un certain nombre d'outils. Ainsi, les sociétés publiques locales, les syndicats mixtes, ou encore les régies dotées de l'autonomie morale et financière offrent une souplesse de fonctionnement tout en permettant de mobiliser des investissements.

Les SPL et syndicats mixtes nécessitent, pour les collectivités, d'organiser une entente territoriale plus large que la simple implantation portuaire. Ainsi, par exemple dans le cadre d'une SPL, on peut travailler avec des ports plus distants, mais reliés au sein d'une communauté de développement, qui irrigue toute l'économie locale, comme l'a bien rappelé Pascal Martin.

Ce travail en réseau est essentiel, nous devons veiller à le préserver. Nous devrons donc, en particulier, garantir la fluidité du dialogue entre l'ancien et le nouvel exploitant, dans le cadre de la mise à jour des dispositions de l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relatives aux conditions de mise à disposition des agents publics affectés à la concession transférée.

Il conviendra tout particulièrement de veiller au respect des garanties sociales des agents transférés. C'est la condition sine qua non pour que cette initiative parlementaire porte pleinement ses fruits.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte avec enthousiasme et pragmatisme, tout en restant attentif aux conséquences qu'il pourrait avoir, à l'avenir, sur l'attractivité et la compétitivité de la pêche française. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi constitue une étape importante dans la modernisation de la gestion portuaire en France. Elle offre de nouveaux leviers pour dynamiser les ports locaux, renforcer leur compétitivité et mieux associer les acteurs du territoire à leur développement.

Rappelons qu'en France la gestion des ports est de longue date partagée entre l'État et les collectivités territoriales. Le modèle de la société portuaire, qui permet la création d'une société dédiée à l'exploitation commerciale du port, est actuellement limité par la législation.

Ce modèle offre une plus grande souplesse de gestion, une capacité d'investissement renforcée et une meilleure association des acteurs publics et privés. Toutefois, les collectivités locales n'y ont qu'un accès restreint.

Aussi, la présente proposition de loi vise à lever ces restrictions en permettant à toutes les collectivités territoriales et à leurs groupements de créer une société portuaire ou d'y participer, afin d'exploiter un ou plusieurs ports relevant de leur compétence.

Ce texte vise également à sécuriser juridiquement le recours à ce modèle, en clarifiant les conditions de sélection des actionnaires, les modalités de transfert des concessions et les obligations de service public.

Par ailleurs, il consacre le rôle des collectivités territoriales comme acteurs majeurs du développement portuaire. Il encourage aussi l'association des entreprises, des chambres de commerce et d'industrie et des autres partenaires locaux à la gouvernance des ports, pour mieux répondre aux besoins des territoires et renforcer l'ancrage local des activités portuaires.

En clarifiant le cadre juridique, le texte vise à éviter les contentieux liés à l'attribution des concessions ou à la composition du capital des sociétés portuaires. Il prévoit des procédures transparentes et des obligations de reporting, notamment sur les investissements réalisés, la qualité du service et le respect des engagements environnementaux.

Ce modèle a fait ses preuves. Par exemple, la SPL que j'ai mise en place en 2018, en tant que président du conseil départemental des Côtes-d'Armor, pour assurer la gestion des ports départementaux, fonctionne très bien.

Lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, Gérard Lahellec et moi-même avions déposé un amendement en ce sens. Toutefois, il fut déclaré irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution – nous ne savons toujours pas pourquoi, mais c'est ainsi…

Quoi qu'il en soit, cette proposition de loi est bien en phase avec ce que nous défendons depuis longtemps. C'est pourquoi le groupe Les Républicains la votera résolument. (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports
Article unique (fin)

Article unique

I. – L'article 35 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Après le mot : « peuvent », sont insérés les mots : « créer et » et, après le mot : « sociétés », il est inséré le mot : « portuaires » ;

b) Les mots : « visés au I de l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales » sont supprimés ;

c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les chambres de commerce et d'industrie dans le ressort géographique desquelles les ports exploités se situent peuvent participer au capital de cette société portuaire. » ;

2° La première phrase du II est ainsi rédigée : « Lorsqu'une société portuaire est créée en application du I, la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales compétent peut convenir, en accord avec le concessionnaire d'un port, de la cession ou de l'apport de la concession à la société portuaire si son capital initial est détenu entièrement par des personnes publiques. » ;

3° Le III est abrogé ;

4° Le IV est ainsi modifié :

a) Au début de la première phrase du premier alinéa, sont ajoutés les mots : « En cas de cession ou d'apport d'une concession conformément au II, » ;

b) À la troisième phrase du deuxième alinéa, après le mot : « alinéa », sont insérés les mots : « du présent IV » ;

c) Le début du dernier alinéa est ainsi rédigé : « L'article L. 1224-1 du code du travail est applicable aux contrats … (le reste sans changement). »

II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales du I sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

III. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État des I et II sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 12 et 13

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Tabarot, ministre. Compte tenu de l'ensemble de ces interventions, notamment la dernière, et du consensus qui a régné en commission, puis dans cet hémicycle, sur ce sujet, le Gouvernement a décidé de lever le gage. (Applaudissements.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nadège Havet, rapporteure. Quand le Gouvernement propose lui-même de lever le gage, on ne peut que dire oui ! L'avis est favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble du texte.

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports
 

8

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon.

M. Laurent Somon. Lors du scrutin public n° 326 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, ma collègue Nadine Bellurot souhaitait voter pour et non s'abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 19 juin 2025 :

À dix heures trente, l'après-midi et, éventuellement, le soir :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l'enseignement supérieur (texte de la commission n° 657, 2024-2025) ;

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers (texte de la commission n° 726, 2024-2025) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi sur la profession d'infirmier (texte de la commission n° 680, 2024-2025) ;

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail (texte de la commission, n° 717, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 19 juin 2025, à une heure.)

 

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER