PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Lors du scrutin public n° 181 de la séance du 27 janvier 2025 portant sur l'ensemble de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, mon collègue Éric Gold souhaitait s'abstenir.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.
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débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 juin 2025
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2025, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'être devant vous aujourd'hui pour cet habituel exercice de débat préalable au Conseil européen qui aura lieu demain à Bruxelles.
Vous connaissez mon attachement à la diplomatie parlementaire et au rôle que doivent jouer les chambres et leurs commissions dans le débat sur notre politique étrangère et européenne. Cet exercice est, me semble-t-il, particulièrement utile dans le moment de bascule géopolitique que nous vivons, où l'Union européenne doit réaffirmer son indépendance et son autonomie stratégique, se donner les moyens d'écrire son histoire et d'agir sur la scène internationale.
Les enjeux internationaux et géopolitiques seront au cœur des débats du Conseil européen.
Nous commencerons par réaffirmer notre soutien à l'Ukraine, qui a continué de subir les bombardements meurtriers de la Russie la nuit dernière, alors que le monde a les yeux tournés ailleurs, vers le Moyen-Orient. N'oublions pas que les Ukrainiens continuent de lutter courageusement non seulement pour leur sécurité, leur liberté et leur souveraineté, mais aussi pour la sécurité de nous tous, Européens.
Nous débattrons notamment, lors du Conseil européen, des prochaines échéances, à commencer par l'adoption du dix-huitième paquet de sanctions à l'encontre de la Russie : l'Union européenne doit continuer à augmenter la pression sur le régime de Vladimir Poutine, qui refuse toujours toute négociation sincère et sérieuse et le cessez-le-feu préalable, nécessaire avant toute diplomatie.
Je rappelle que, sur la demande des Européens et des Américains, les Ukrainiens ont accepté, il y a déjà des mois, le principe d'un cessez-le-feu inconditionnel de trente jours, afin de laisser la voie à la diplomatie. C'est la Russie qui continue l'escalade sur le terrain ; c'est elle qui maintient des objectifs maximalistes de neutralisation de l'Ukraine et de renversement du gouvernement de ce pays ; c'est encore elle qui poursuit ses bombardements et refuse de s'engager dans la voie diplomatique.
Ce dix-huitième paquet de sanctions portera notamment sur l'énergie, en abaissant ce qu'on appelle le price cap sur le pétrole, c'est-à-dire le prix maximal de vente. Est visée l'importation du pétrole russe raffiné dans des pays tiers. Les énergies fossiles sont la principale ressource utilisée par la Russie pour financer son effort de guerre face à l'Ukraine.
Nous évoquerons aussi le prêt ERA (Extraordinary Revenue Acceleration) de 50 milliards d'euros, porté par le G7 et auquel les Européens participent à hauteur de 20 milliards d'euros. Ce prêt est financé par les profits d'aubaine, c'est-à-dire les intérêts produits par les avoirs russes gelés en Europe.
L'objectif du Président de la République est d'accélérer le décaissement de ce prêt ; environ 7 milliards d'euros ont déjà été décaissés par la Commission européenne pour couvrir les besoins, militaires comme macroéconomiques, de l'Ukraine. Si nous souhaitons accélérer le processus, c'est pour répondre aux besoins militaires des Ukrainiens qui sont, on le sait, en difficulté sur le terrain.
Enfin, nous appellerons nos partenaires à poursuivre leur mobilisation dans le cadre des travaux sur les garanties de sécurité et la coalition des volontaires, dans laquelle la France a joué un rôle moteur, avec ses partenaires européens et britannique. Il s'agit de préparer le jour d'après et de s'assurer qu'une trêve, avec un cessez-le-feu, ne sera pas une parenthèse que la Russie pourra utiliser pour se réarmer et réattaquer l'Ukraine, comme elle l'a fait dans le passé, mais qu'elle permettra d'instaurer une paix solide, durable et juste sur le continent européen et de la dissuader d'une future agression.
Naturellement, nous parlerons largement du Moyen-Orient, où la France a tenu ces dernières années et ces dernières semaines, face au conflit entre l'Iran et Israël, une position extrêmement claire et cohérente.
Cette position, c'est de dénoncer les activités déstabilisatrices du régime des ayatollahs en Iran. Ce régime ne peut pas, et ne doit pas, acquérir la bombe nucléaire. Il continue de contourner et de violer les engagements qu'il a pris dans le cadre du traité de non-prolifération, comme l'a d'ailleurs rappelé un récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Le régime développe aussi un programme de missiles balistiques qui pourraient frapper non seulement Israël – et alors même que Téhéran dit vouloir rayer ce pays de la carte –, mais aussi les pays européens, dont la France : c'est donc une menace existentielle pour l'ensemble de la région, pour tous nos alliés, ainsi que pour notre pays.
Le régime soutient également le terrorisme, par le biais du Hamas, responsable des attaques barbares du 7 octobre contre Israël, du Hezbollah, qui a entraîné le Liban dans une guerre profondément dévastatrice, ou encore des Houthis au Yémen, qui perturbent la navigation en mer Rouge.
De plus, il fournit tous les jours des drones et des missiles à la Russie pour lui permettre de continuer son agression contre les civils ukrainiens.
Enfin, le régime emprisonne de façon indigne et inacceptable nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris depuis trois ans.
Voilà la ligne qui a toujours été tenue par la diplomatie de notre pays. Nous ne cesserons de le rappeler, la seule voie durable pour mettre fin au programme nucléaire iranien, c'est la diplomatie, le multilatéralisme, la négociation.
Le cessez-le-feu négocié, qui reste fragile, doit fournir l'opportunité de remettre les parties autour de la table des négociations afin de créer un cadre de sécurité durable qui, seul, pourra durablement mettre fin au programme nucléaire militaire de l'Iran. C'était déjà la voie qu'avait soutenue la France lors de la négociation du JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action), l'accord nucléaire iranien, en 2015.
Les États-Unis, sous l'administration Trump, ont choisi de se retirer de cet accord qui, pourtant, avait prouvé son efficacité les années précédentes, lors du premier mandat de Donald Trump. Il s'agit maintenant de recréer les conditions de la diplomatie et d'un dialogue régional.
Dans ce contexte de tensions géopolitiques, d'insécurité et de retour de la conflictualité dans notre environnement, nous devons investir massivement dans notre défense collective et notre autonomie stratégique. C'était le sens des conclusions du Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier, pendant lequel la Commission européenne, sous l'impulsion de la France, avait annoncé le lancement de programmes communs d'investissement pour renforcer notre industrie de défense.
Nous avons, il y a quelques jours, achevé les négociations sur l'instrument Safe (Security Action For Europe). Ce prêt de 150 milliards d'euros est contracté par la Commission européenne pour financer des projets industriels communs au niveau européen, et avec des partenaires comme l'Ukraine.
Lors des discussions sur ces programmes d'investissement, qu'il s'agisse de Safe, d'Edip (European Defence Industry Programme), que nous sommes en train de négocier, ou d'autres programmes de défense et de sécurité européennes, notre priorité majeure, que nous poursuivons inlassablement, est la préférence européenne. Pas un euro d'argent du contribuable européen ne doit aller subventionner des industries de défense étrangères. Ce principe est aussi à la base de la négociation en trilogue que nous allons bientôt engager. Nous pourrons revenir plus en détail sur ce point tout à l'heure.
Je dis cela dans le contexte du sommet de l'Otan, qui se tient aujourd'hui à La Haye, au cours duquel les alliés s'engageront à augmenter leurs dépenses de défense. En plus de l'effort national – la France aura doublé, durant les deux mandats d'Emmanuel Macron, son budget de défense –, nous continuerons à investir en commun, et nous devrons aller plus loin que les instruments qui ont été négociés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous évoquerons aussi lors du Conseil européen les négociations commerciales en cours avec les États-Unis, en réponse aux droits de douane injustifiés et arbitraires imposés par l'administration américaine contre les économies européennes. Nous défendrons une réponse ferme et unie pour mener à la désescalade, car le protectionnisme, la guerre commerciale et les droits de douane ne sont dans l'intérêt de personne.
Pour faire entendre ce message, nous assumerons le rapport de force. L'Union européenne a les moyens de se défendre. Cet agenda de sortie de la naïveté commerciale est porté par la France depuis des années. Il doit d'abord s'appliquer aux questions économiques. Si nous voulons peser et affirmer notre puissance sur la scène internationale, cela passera par l'affirmation de la compétitivité et de la souveraineté économiques de notre continent.
L'approfondissement du marché unique passe par la mise en œuvre de l'union des marchés de capitaux. Je rappelle que, chaque année, 300 milliards d'euros d'épargne européenne franchissent l'Atlantique pour aller financer les start-up, les PME et les marchés de capitaux américains. Alignons nos régimes, approfondissons notre marché unique, donnons l'opportunité à nos start-up, à nos innovateurs et à nos entreprises d'aller chercher les capitaux dont ils ont besoin pour se développer, innover et être à la hauteur de la concurrence internationale. Nous avons les talents, les pépites, les entrepreneurs. Soutenons-les, donnons-leur les moyens de faire jeu égal avec les Américains et les Chinois au moment où ceux-ci augmentent la pression et accélèrent. Nous porterons un certain nombre de propositions dans le cadre des conclusions du Conseil européen, comme le vingt-huitième régime de droit des affaires, fondé sur un alignement des droits.
M. le président. Monsieur le ministre délégué, vous aviez un temps de parole de huit minutes en introduction de ce débat. Je vous demanderai de conclure, d'autant que vous pourrez répondre à chaque intervenant.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Pour conclure, nous devons aussi faire face à d'autres enjeux économiques, comme la simplification et le renforcement de l'innovation, mais j'en dirai davantage au cours du débat.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les positions françaises et européennes dans les crises du moment conduisent à des conclusions sur notre capacité d'action collective.
Le 30 mai dernier, le président Macron proposait une conférence pour la reconnaissance de l'État palestinien, qualifiée de « devoir moral » et d'« exigence politique ». Les Européens devaient aussi, selon lui, « durcir la position collective » contre Israël, faute de solution apportée à la situation humanitaire à Gaza. Ce propos était sans doute plus réaliste qu'une proposition de coalition internationale contre le Hamas, et non dénué de courage pour tenter de rassembler.
Mais, quinze jours plus tard, le premier ministre israélien, après quelques irritants médiatiques sur le volet humanitaire de son action, ouvrait un septième front en attaquant l'Iran. Le président Macron reportait alors la conférence qu'il avait proposée et réaffirmait le droit d'Israël à se défendre.
Dans leur dernier communiqué, les ministres des affaires étrangères français, allemand, britannique et la haute représentante Kaja Kallas appelaient à la désescalade et saluaient « les efforts déployés par les États-Unis pour trouver une solution négociée ». Le lendemain soir, les trente-six tonnes d'efforts en question étaient largués sur l'Iran.
Que nous apprend cette séquence ?
D'abord, que les Européens, aussi, semblent largués. Certes, pas tous avec la même force : Israël avait prévenu le chancelier allemand de ses frappes, et les États-Unis avaient informé le premier ministre britannique des leurs. Personne n'avait, semble-t-il, prévenu la France ; je laisse chacun en tirer ses conclusions.
Ensuite, en dépit de tout le mal que l'on peut penser du régime iranien et de ses projets nucléaires, nos positions sont-elles lisibles ? Nous rendent-elles crédibles ?
Les communiqués des Européens sont intarissables sur la menace iranienne et exhortent le pays à retourner à la table des négociations. Effectivement, la seule voie souhaitable était diplomatique, mais notre inconséquence ne fragilise-t-elle pas notre diplomatie ?
Après avoir passé trois ans à condamner l'agression russe, à invoquer la Charte des Nations unies et à défendre l'Ukraine agressée, l'Europe prétend choisir qui peut bénéficier du droit international. Ceux qui doutaient de la fiabilité des Occidentaux en espéraient-ils une preuve aussi solide ? L'Iran ne doit pas obtenir la bombe, c'est entendu, mais ne vient-on pas de lui offrir l'incitation décisive à le faire, et d'autres à sa suite ?
L'ancien ambassadeur de France Gérard Araud, qui n'est pas exactement un Che Guevara, n'a pas tort de questionner les objectifs stratégiques de ces attaques, d'élargir la perspective aux précédentes guerres de changement de régime dans la région, ni de rappeler leurs conséquences. Ce « sale boulot », si je puis m'exprimer ainsi, est-il vraiment nécessaire ? Nous devons nous interroger. Voilà le point sur lequel nous aimerions connaître la position française, eu égard aux atermoiements que j'ai précédemment exposés.
Sur le front ukrainien, la Russie progresse. L'Union européenne vient d'adopter un dix-septième paquet de sanctions et prépare déjà le dix-huitième. Les projets de la Commission européenne pour le réarmement de l'Europe soulèvent encore de nombreuses questions : juridiques, quant au respect des compétences nationales ; politiques, dès lors que le Parlement européen est contourné ; et budgétaires, que je laisserai mes collègues de la commission des finances développer.
Une question de fond, enfin. Deux think tanks respectables, l'Institut Bruegel et le Kiel Institute, viennent de publier des études remarquées indiquant que les 800 milliards d'euros ne suffiront ni en quantité ni en qualité pour rattraper notre retard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le vice-président, sur la question de l'Iran, comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer lors de mon propos introductif, la position de la France est totalement en phase avec la défense du droit international, de la diplomatie et du multilatéralisme. Et c'est la position qui a toujours été la nôtre.
L'Iran ne peut pas, ne doit pas, se doter de l'arme nucléaire. On l'a vu avec le dernier rapport de l'AIEA, ce pays a, une fois de plus, violé les engagements qu'il a pris dans le cadre du traité de non-prolifération.
J'y insiste, la voie qu'a toujours défendue la France, c'est celle de la diplomatie et de la création d'un cadre de sécurité durable pour empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire.
C'est la raison pour laquelle la France avait fait partie dès le début, c'est-à-dire dès les premières révélations en 2004-2005, des trois négociateurs européens auprès du régime américain. Cela avait abouti à l'accord de 2015, le JCPoA, pour lequel la France avait joué un rôle moteur. C'est l'administration Trump qui a fait le choix de s'en retirer.
Nous continuons à porter le message qu'il faut respecter le cessez-le-feu – ou plutôt, comme l'a dit le Président de la République aujourd'hui, les trois cessez-le-feu, à Gaza, en Ukraine et en Iran – et revenir à la diplomatie, afin de créer un cadre de sécurité durable pour tous nos partenaires.
Sur la question des 800 milliards, est-ce que vous faisiez référence aux 800 milliards du rapport Draghi ?
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères. Aux 150 et aux 650 milliards d'euros.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Du plan ReArm donc. Je partage totalement votre analyse. Je l'ai dit, il ne s'agit que d'une première étape.
Utilisons déjà les instruments comme Safe, Edip ou les facilités de financement permises par la Commission européenne – la France y aura recours. Mais nous devrons aller plus loin et penser de façon créative et innovante à la manière de financer notre réarmement collectif.
Vous le savez, la France, avec d'autres, avait soutenu l'idée d'un endettement commun, auquel nous avons recouru lors de la crise du covid. Les débats budgétaires et le cadre financier pluriannuel vont aussi nous permettre de mettre en valeur notre ambition dans la défense et le spatial – il faut en parler quelques jours après le Salon du Bourget. Il faudra aller plus loin pour faire face à un monde de menaces et de conflits.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'été est là et, comme chaque année, il est temps pour nous de préparer le prochain exercice budgétaire.
Monsieur le ministre, vous ne nous facilitez pas la tâche, si j'ose dire, puisque le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est prévu en hausse de 7 milliards d'euros, passant de 23,3 milliards d'euros en 2025 à 30,4 milliards d'euros en 2026. Son montant précis n'est pas encore connu, mais il découle des engagements européens de la France, et notamment de la décision relative aux ressources propres.
Il nous appartient aussi de préparer le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), qui débute en 2028. La Commission européenne doit présenter une première série de propositions mi-juillet. Une note de position allemande a d'ores et déjà été rendue publique, avec des intentions pour le moins explicites, affirmant dès la première ligne qu'« il n'existe aucune base pour augmenter le volume du CFP par rapport au revenu national brut ».
De fait, le CFP 2021-2027 a prévu une forte hausse de la contribution française par rapport au CFP précédent : alors que celle-ci s'élevait, en moyenne, à 20 milliards d'euros par le passé, elle se situe désormais à 26 milliards environ. Monsieur le ministre, quelle sera la ligne défendue par la France quant au volume du prochain CFP ?
Si vous prévoyez d'être sur la même ligne que l'Allemagne, comment comptez-vous équilibrer la prochaine équation budgétaire ? Lors de son audition de confirmation en tant que commissaire chargé du budget, M. Piotr Serafin a déclaré qu'il ne serait pas aisé pour l'Union européenne de répondre aux différentes priorités auxquelles elle doit faire face en respectant un plafond budgétaire de 1 % du revenu national brut de l'Union européenne, compte tenu de l'urgence climatique, du besoin de renforcer la défense européenne ou encore de la nécessité de préserver la politique agricole commune (PAC). Il est difficile de lui donner tort.
Monsieur le ministre, quels sont les arbitrages de la France pour résoudre cette quadrature du cercle ? Dans sa note de position, l'Allemagne appelle à un contrôle plus strict de l'octroi des fonds de cohésion, qui serait désormais conditionné à la réalisation de réformes. Partagez-vous cette position ?
M. Serafin a eu l'amabilité de venir en France le mois dernier pour présenter aux parlementaires de notre pays les orientations de la commission européenne pour le prochain CFP, évoquant à cette occasion la question cruciale des nouvelles ressources propres. Comme vous le savez, les États membres se sont engagés à les mettre en œuvre d'ici à 2028 afin de rembourser les sommes empruntées pour financer le plan de relance.
À défaut d'accord, le surcoût pour le budget français est estimé à 2,5 milliards d'euros par an sur une période de trente ans. Les négociations sont au point mort depuis les dernières propositions de la Commission européenne en 2023. M. Serafin a laissé entendre que le produit de certaines ressources identifiées, telles que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, ne serait pas à la hauteur du défi financier – je le crois volontiers.
La présidence polonaise a formulé il y a deux mois plusieurs propositions, comme une taxe sur les services numériques, sur les cryptoactifs ou encore sur les transactions financières. Monsieur le ministre, quelles sont les solutions défendues aujourd'hui par le Gouvernement français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président Raynal, vous soulevez de nombreux sujets qui sont prioritaires pour nous. Nous allons entrer dans la négociation du prochain cadre financier pluriannuel, laquelle doit être l'occasion d'avoir une grande ambition pour faire face aux défis qui sont les nôtres, qu'il s'agisse d'investir dans la compétitivité et l'innovation, de réarmer avec la défense et le spatial – en prenant en compte l'enjeu de préférence européenne que je mentionnais tout à l'heure – ou de continuer à soutenir nos agriculteurs et nos territoires.
À cet égard, le cadre financier pluriannuel ne nous paraît pas aujourd'hui suffisant. Nous devons nous donner comme objectif de doubler la capacité financière : cela signifie non pas de doubler le budget, mais de renforcer les instruments qui permettent de faire levier. Je pense à InvestEU, par exemple, qui a un très bon taux de retour, aux instruments de garantie ou à la Banque européenne d'investissement (BEI), afin de mieux mobiliser les fonds publics à côté des fonds privés pour financer nos priorités.
Les ressources propres, que vous avez mentionnées, sont la condition sine qua non du prochain cadre financier pluriannuel. J'ai eu l'occasion d'en parler avec le commissaire Serafin, que j'ai emmené dans le Doubs et le Jura pour rencontrer nos agriculteurs. Nous soutenons un certain nombre de ses propositions, que ce soit la taxe sur les petits colis, les revenus de la taxe carbone aux frontières – vous l'avez évoquée –, la taxe sur les services numériques étrangers ou encore la création d'un Esta (Electronic System for Travel Authorization) européen.
Je rappelle que chaque touriste européen qui se rend aux États-Unis doit payer un Esta de 21 dollars. La réciprocité n'existe pas aujourd'hui ; nous devons nous interroger sur ce point. Cela fait partie des priorités. La réflexion sur les ressources propres doit avancer, et la France est force de proposition.
Sur la question du « ressaut » du prélèvement sur recettes, nous sommes en réalité dans la trajectoire prévue depuis le début. Nous avons un retard de décaissement des fonds de cohésion, puisque nos régions ont d'abord utilisé le plan de relance avant de se tourner aujourd'hui vers ces fonds. L'augmentation sera de l'ordre de 6 milliards à 7 milliards d'euros selon les estimations de la Commission européenne.
À cet égard, il faudra être extrêmement vigilant pour mobiliser le plus possible ces fonds pour nos régions. Il y a là tout un travail à faire, et nous le menons avec d'autres ministres – je pense à Amélie de Montchalin – afin de maximiser les retours français.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde devenu plus brutal et plus incertain, le Conseil européen qui se tiendra demain et éventuellement vendredi met l'accent sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques, en tentant de mieux lier les dimensions internes et externes des politiques européennes. C'est nécessaire, car nous avons en effet besoin d'une réelle cohérence des politiques de l'Union, dont le principal atout est et demeure l'importance du marché unique.
Nous avons trop souvent dénoncé le découplage entre politique commerciale et politique de concurrence ou de compétitivité pour ne pas nous féliciter de ce changement d'orientation.
La Commission européenne déploie progressivement son agenda de simplification et le premier paquet Omnibus relatif aux directives sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) vient de faire l'objet d'un accord au Conseil. Il faudra évidemment attendre la position du Parlement européen ; nous examinerons plus en détail cette position la semaine prochaine.
D'autres Omnibus ont été présentés, que ce soit sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou sur l'agriculture, et nous espérons qu'un Omnibus RUP (régions ultrapériphériques), que nous avons évoqué avec des parlementaires européens, pourra voir le jour.
Toutefois, nous constatons les tensions croissantes entre la Commission et le Parlement européen depuis que celui-ci a été écarté des discussions sur la proposition de règlement établissant l'instrument Safe. Le Parlement européen semble se diriger vers un recours contre ce programme. Monsieur le ministre, comment appréciez-vous cette perspective ?
Les négociations sur les allégations environnementales des entreprises sont une autre illustration de cette relation désormais compliquée entre la Commission et le Parlement européen, mais aussi de l'équilibre difficile entre ambition environnementale et volonté de simplification. Après un précédent mandat marqué par le Pacte vert, cette question du juste équilibre devient politiquement centrale.
Or plusieurs échéances importantes sont attendues. Je pense à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040. À mes yeux, il devra être réaliste et économiquement soutenable. Il devra s'inscrire dans la perspective de restauration de la compétitivité européenne et prendre en compte l'ensemble des flexibilités possibles, notamment la contribution de l'Union et des États membres à la réduction des niveaux d'émissions dans des pays tiers, comme le prévoit l'article 6 de l'accord de Paris.
Autre sujet non moins sensible : la nécessaire révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dont nous avons pointé les insuffisances, et l'accord avec le Mercosur.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous précisiez la position du Gouvernement sur ces trois sujets.
Enfin, j'aborderai très brièvement les enjeux géopolitiques. Le président du Conseil européen, Antonio Costa, évoque l'ambition de « bâtir une Europe plus compétitive, plus sûre et plus autonome pour nos concitoyens et faire en sorte que l'Union européenne puisse être un acteur mondial efficace, prévisible et fiable ».
L'Union n'aura probablement pas de difficulté à être plus prévisible que les États-Unis depuis le retour de Donald Trump à la présidence. En revanche, sa capacité à être un acteur mondial efficace dépendra de sa cohésion interne, aujourd'hui mise à mal.
Il est vraisemblable que nous n'aurons, une fois de plus, pas d'accord à Vingt-sept sur l'Ukraine, alors que le président Zelensky se trouve aujourd'hui à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, afin de signer l'acte créant le tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine.
Les négociations sur le dix-huitième paquet de sanctions contre la Russie, qui met l'accent sur l'énergie, sont difficiles compte tenu des positions exprimées par la Slovaquie et la Hongrie, mais les choses vont peut-être s'arranger. Quant au dossier du Moyen-Orient, compte tenu des divergences entre États membres, l'Union en tant que telle est inaudible.
Monsieur le ministre, quelles sont les attentes du Gouvernement s'agissant de ces sujets ? Pouvez-vous par ailleurs nous préciser la position du Gouvernement concernant le réexamen de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.