Ces derniers jours, le séisme qui a débuté le 7 octobre a connu de violentes répliques, avec la campagne intensive de frappes menées par Israël contre le programme nucléaire et balistique iranien depuis le 13 juin dernier. La République islamique d’Iran, qui n’a jamais cessé de clamer son intention de « rayer de la carte » l’État d’Israël et qui a affiché son soutien aux massacres du 7 octobre, était, pour l’État hébreu, une menace existentielle : qu’un pays aussi voisin et aussi hostile soit presque parvenu à disposer du matériel nécessaire pour fabriquer dix bombes atomiques et se soit doté des missiles balistiques à même de les transporter et d’atteindre leur cible est évidemment un danger mortel pour toute la population israélienne, mais aussi pour les grands pays sunnites de la région ainsi que pour une partie de nos territoires européens, compte tenu de la portée de ces missiles.

Rappelons que l’Iran disposait, avant les frappes américaines, de 409 kilogrammes d’uranium enrichi à 60 %, un taux que ne peut en aucune manière justifier une simple production pacifique d’électricité, l’uranium utilisé comme combustible dans une centrale électronucléaire nécessitant un enrichissement à hauteur de seulement 5 % à 7 %.

Notre première préoccupation, pendant les douze jours qu’a duré le conflit, a été le sort de nos ressortissants. Immédiatement, nous avons déployé des moyens civils et militaires pour rapatrier ceux d’entre eux qui en formulaient la demande. Cette mobilisation a permis à plus d’un millier de Français de quitter l’Iran et Israël.

Nous avions aussi – faut-il le rappeler ? – de grandes inquiétudes pour nos deux ressortissants détenus en Iran de manière arbitraire depuis plus de trois ans, dans des conditions indignes : Cécile Kohler et Jacques Paris, dont nous n’avions plus de nouvelles depuis les frappes sur la prison d’Evin.

M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et moi-même pouvons vous rassurer ce soir en vous disant qu’ils ont reçu hier une visite consulaire, et qu’ils sont sains et saufs.

Qu’ils sachent, que leurs familles et tous ceux qui les soutiennent sachent que nous mobilisons l’ensemble des moyens disponibles dans le seul but d’obtenir leur libération immédiate.

Un cessez-le-feu a été établi il y a maintenant huit jours. La France appelle la République islamique d’Iran à revenir à la table des négociations, car la seule réponse valable au danger que représente le programme nucléaire iranien sera – et ce ne peut être que cela – un règlement négocié.

Les frappes américaines ont sans doute eu une réelle efficacité. Mais, comme le souligne le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, l’Iran a toujours des capacités résiduelles.

Nous exhortons la République islamique d’Iran à respecter l’accord de Vienne de 2015. Il est essentiel que Téhéran permette aux agents de l’AIEA de reprendre leurs inspections sans délai.

On voit ce qui se joue là : face au retour des empires qui déchirent le paysage mondial, face au retour des volontés dominatrices et de la violence désinhibée, nous avons à définir, par notre politique étrangère, une attitude et une direction qui soient sans ambiguïté.

Alors comment la France applique-t-elle aujourd’hui les principes qui la guident depuis 1945 ?

Ces principes trouvent leur première application sur le front le plus brûlant, celui de l’Ukraine, à qui nous apportons un soutien permanent, qui doit être sans faiblesse, sans manque, sans faille, sur tous les aspects, et aussi profond que possible, afin d’épauler la résistance de ce pays héroïque à Vladimir Poutine.

Dans ce soutien, que nous menons en commun avec plusieurs de nos partenaires, la France a une préoccupation particulière : mettre en garde, infatigablement, contre le risque de lassitude de l’Occident, empêcher que ne s’insinue parmi les peuples, les états-majors et les gouvernements la fatigue de soutenir nos alliés et ceux qui se battent au nom de notre idéal européen et de la liberté.

Nous pouvons d’autant moins relâcher nos efforts que la Russie fait preuve d’une détermination qui paraît inflexible et qu’elle redouble de violence. L’Ukraine a subi, pas plus tard que dimanche dernier, une des attaques aériennes les plus massives qu’elle ait eu à connaître depuis le début de la guerre, avec plus de 500 drones partis de Russie. Nous le savons, une partie de ces drones est fabriquée en Iran.

L’été qui vient s’annonce déterminant en raison de la menace que fait peser une nouvelle offensive russe dans les prochaines semaines. Plusieurs milliers de soldats russes attendent non loin de Soumy, au nord-est de l’Ukraine, le meilleur moment afin de déstabiliser leur adversaire.

Les Ukrainiens se battent chaque jour, dans un rapport d’au moins un contre trois, pour éviter la rupture du front. Nous devons nous promettre que nous ne laisserons jamais l’Ukraine, qui est comme une part de nous-mêmes, succomber à cause de notre découragement.

Il est important de rappeler que les démocraties, contrairement à ce que l’on croit généralement, savent se battre. Sur trente et une guerres – les historiens ont fait le calcul – impliquant des démocraties contre des autocraties, survenues entre le Congrès de Vienne en 1815 et l’année 2020, 84 % ont été remportées par le camp des démocraties. Les démocraties savent « faire preuve de résilience », pour reprendre une expression courante, elles peuvent trouver dans leur développement économique et technologique, ainsi que dans leur capacité d’union, les forces indispensables pour l’emporter.

Notre soutien à l’Ukraine doit donc rester ferme et résolu, tout autant que notre volonté de trouver une issue au conflit. Comme l’a rappelé le Président de la République, la France appelle de ses vœux le lancement de négociations pour un règlement solide et durable du conflit.

Nos principes trouvent une seconde application dans notre soutien en faveur de la stabilité au Proche et au Moyen-Orient. Cela signifie évidemment une solidarité envers Israël, qui continue d’être la cible d’attaques balistiques, menées en particulier par les Houthis depuis le Yémen.

La France réaffirme que, face au pogrom vécu par Israël, la première des solidarités est de n’oublier ni les victimes, à commencer par les ressortissants français, ni les otages, ceux qui sont morts en détention et ceux qui le sont encore aujourd’hui, qu’ils soient israéliens ou d’autres nationalités. Il ne faut jamais oublier qui a actionné le détonateur, qui est le premier responsable de l’horreur et de ses suites.

Ce soutien constant au droit à l’existence et à la sécurité d’Israël n’enlève rien à notre liberté de parole ni à nos désaccords – je les ai évoqués – avec la politique du gouvernement israélien, notamment sur la situation de la Cisjordanie et le sort terrible que connaissent les civils à Gaza. La France soutiendra les efforts en cours pour obtenir un cessez-le-feu immédiat à Gaza et la libération de tous les otages.

Afin de rendre possible un règlement politique du conflit israélo-palestinien, notre pays prône une solution à deux États, en sachant qu’elle repose sur des conditions, qui sont les garanties données aux deux peuples : des garanties de sécurité apportées par l’ensemble des acteurs à Israël, et la possibilité offerte au peuple palestinien de disposer de l’État auquel il aspire légitimement.

Nous ne pouvons pas parler de la stabilité au Proche-Orient sans évoquer la situation au Liban, que le Hezbollah a entraîné dans un conflit dévastateur. Le mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) doit y être renouvelé, consolidé, afin de garantir la sécurité, notamment dans le sud du Liban. Le Liban est aujourd’hui au défi de sa reconstruction politique et économique. La France espère voir ce pays frère retrouver sa pleine souveraineté.

Il en est de même pour la Syrie, dont la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale doivent être respectées. La levée des sanctions économiques européennes à l’égard de ce pays a été possible moyennant le respect de solides garanties en matière de transparence et de bonne utilisation des fonds internationaux, mais aussi de la prise en compte des enjeux prioritaires, comme la lutte contre l’État islamique et les groupes armés incontrôlés.

Les attaques terroristes ont encore récemment fait des victimes sur le sol syrien parmi les chrétiens d’Orient, horriblement visés lors d’une attaque contre une église chrétienne à Damas le 22 juin dernier. Nous ne pouvons rester impuissants et silencieux face à la persécution dont ils font l’objet, laquelle fragilise la transition politique à Damas et heurte profondément les convictions qui sont les nôtres.

À quelles conditions notre politique étrangère pourra-t-elle atteindre ces objectifs et permettre d’ouvrir un chemin de paix et de stabilité en Ukraine, ainsi qu’au Proche et au Moyen-Orient ?

La première condition, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est que nous construisions la puissance européenne. À l’heure du retour des impérialismes, si nous voulons continuer à défendre le droit et la justice, nous devons aussi comprendre que la justice sans la force est impuissante. La France plaide pour la puissance, sa propre puissance et celle de l’Europe.

Pour construire la puissance européenne, il faut non seulement s’intéresser aux moyens, mais surtout forger une volonté européenne d’organiser sa propre défense et de bâtir son autonomie stratégique. C’est aussi faire de l’Europe une puissance économique, financière, commerciale et industrielle, ce qui exige qu’elle défende le principe de règles équitables, également respectées par les autres puissances, et que nous unissions nos efforts. Nous croyons que, ensemble, nous pouvons aller plus haut et plus loin.

Il y a par exemple, monsieur le ministre des armées, des domaines militaires dans lesquels nous devons construire ensemble. Il nous faut soutenir l’industrie européenne de défense et privilégier une préférence européenne en matière d’acquisition d’armement. Nous ne pourrons assurer notre autonomie stratégique si nous ne sommes pas capables de nous équiper nous-mêmes.

Or, l’année dernière, les Européens ont acheté 79 % de leur équipement militaire hors de l’Union européenne, dont 63 % aux États-Unis. Ces chiffres disent à eux seuls la dimension du défi qui est devant nous. Nous devons renverser ces logiques d’approvisionnement. De premières étapes sont sur le point d’être franchies au niveau européen avec l’adoption par le Parlement européen d’un programme pour l’industrie européenne de la défense.

La situation oblige à conclure que, parmi les grands responsables politiques de notre continent, il n’y a que le président de la République française qui ait défendu cette volonté de manière continue, constante, jamais découragée, dans un idéal de construction du projet européen.

Souvenons-nous que, déjà en 2017, dans son discours de la Sorbonne, il affirmait la nécessité de bâtir une Europe forte, dotée d’une autonomie stratégique en matière de défense.

M. Rachid Temal. Huit ans…

M. François Bayrou, Premier ministre. Il appelait alors tous les dirigeants européens et l’ensemble des parlementaires à retrouver l’ambition de bâtir une « Europe souveraine, unie, démocratique ».

Pour résumer, nous croyons que seule l’Europe peut nous assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire garantir notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos intérêts matériels et moraux.

La seconde condition, c’est que la France continue de jouer le rôle singulier qui est le sien, d’affirmer l’importance de la loi et la nécessité du dialogue.

Dans le cas du programme nucléaire iranien, la France a joué depuis le début un rôle de premier plan dans les négociations de l’accord de Vienne de 2015, qu’elle a contribué à renforcer. Le programme nucléaire a reculé dans le passé grâce à la diplomatie française. Il faut le rappeler, c’est Donald Trump qui a choisi de sortir de cet accord en 2018. La France l’a regretté ; elle en a été amèrement déçue. Elle a déployé tous les efforts pour faire revenir les États-Unis et inciter l’Iran à se conformer à ses engagements. Avec ses partenaires allemand et britannique, dans ce cadre européen, elle est restée à l’initiative pour une solution négociée.

Pour garantir à long terme que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire et que le régime mondial de non-prolifération continue d’être à tout le moins relativement respecté, un accord robuste, vérifiable et durable est indispensable. Des engagements clairs et concrets doivent être pris dès maintenant par l’Iran pour démontrer à la communauté internationale que ses dirigeants acceptent de s’engager dans cette voie et que des résultats rapides pourront être atteints. La France se tient prête à apporter sa compétence et sa constance dans un dossier qu’elle suit depuis dix ans.

À la mondialisation des problèmes – le séisme géostratégique que je viens d’évoquer, mais aussi ses répliques dans les champs industriel, commercial, et peut-être financier demain, qui déséquilibrent des économies entières – doit répondre une mondialisation des solutions. Cela signifie non pas qu’un pays imposera ses solutions à tous, mais que les solutions seront le fruit des discussions menées en commun.

C’est pourquoi nous défendons sans cesse ce qu’on appelle le multilatéralisme : chercher la paix par le dialogue, insérer nos intérêts dans des espaces partagés où la puissance des uns s’accorde à celle des autres. Les trois principaux membres permanents du Conseil de sécurité – la Russie, la Chine et les États-Unis – semblent hélas ! aujourd’hui renoncer, chacun à sa manière, à cette règle et à ces principes.

Vous le savez, la vocation singulière de la France, c’est de refuser la logique des blocs, d’œuvrer à bâtir ce que le Président de la République a récemment appelé la « coalition des indépendants » – dont le principe repose sur une vision cohérente avec celle du général de Gaulle –,…

M. Rachid Temal. Rien que ça !

M. François Bayrou, Premier ministre. … afin de rassembler tous les pays prêts à garantir un ordre international fondé sur le dialogue, seul moyen d’assurer l’équilibre des puissances.

Notre principe en politique étrangère, et nous cherchons chaque jour à le faire appliquer, c’est l’équilibre. La France est au rendez-vous que l’Histoire lui impose. La situation que nous vivons nous permet de réaffirmer et de retrouver l’inspiration et le rôle qui sont ceux de notre nation depuis quatre-vingts ans. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le 7 octobre 2023, les assassins du Hamas menaient sur Israël des raids barbares, faisant subir à leurs victimes les pires atrocités, commettant les pires pogroms, emmenant aussi des otages dont, pour certains, on ne sait toujours rien. Ce jour-là, l’irréparable était commis. Et une bascule s’opérait, amenant Israël à s’engager dans une lutte implacable contre ceux qui avaient juré son anéantissement.

Qu’il s’agisse du Hamas, du Hezbollah, des Houthis ou encore des milices chiites en Syrie et en Irak, tous font partie d’un seul réseau : celui des affidés de Téhéran. Et tous appartiennent à cette même nébuleuse de l’islamisme radical, cette internationale du terrorisme qui a fait couler le sang, particulièrement dans notre pays.

Pendant des années, grâce au soutien des mollahs, ces djihadistes ont déstabilisé les pays dans lesquels ils étaient installés. Ils ont professé la haine du peuple juif, ils ont fait pleuvoir sur Israël des milliers de roquettes, y ont fomenté des dizaines d’attentats, jusqu’à se rendre coupables des massacres qui furent le détonateur de la crise actuelle.

Alors, très clairement, oui, Israël a le droit de se défendre contre ses ennemis, qu’ils se trouvent à Gaza, au Liban, en Syrie ou au Yémen. Et bien sûr en Iran, où l’imminence d’un régime théocratique, doté du terrifiant feu nucléaire, faisait peser la plus existentielle des menaces.

Évidemment, l’Iran prétend ne jamais avoir eu la volonté de développer l’arme atomique, mais seulement celle de se doter de capacités énergétiques civiles. Pourtant, l’incompatibilité entre ses dénégations et les taux d’enrichissement constatés dans ses installations est manifeste. Et le développement exponentiel de ses capacités balistiques dit tout de ses volontés offensives.

N’oublions pas que, il y a trois ans, au moment des pires répressions contre le mouvement « Femme, Vie, Liberté », sa véritable nature nous était apparue en pleine lumière. N’oublions pas que, aujourd’hui, nous appelons encore et toujours à la libération de nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, retenus dans les geôles iraniennes à la seule fin de servir une abjecte diplomatie des otages.

Alors, là aussi, il nous faut être parfaitement clairs : l’Iran ne doit pas devenir un État nucléaire, ni aujourd’hui ni demain.

L’opération Am Kalavi a retardé cette échéance et porté un coup sérieux aux ambitions du régime. Elle l’a laissé militairement affaibli et stratégiquement isolé. À défaut, semble-t-il, d’avoir été décisive, elle a été utile.

Toutefois, si le cessez-le-feu a éloigné le spectre de l’embrasement régional, qui s’était considérablement rapproché après l’intervention américaine, un dénouement de la crise au Moyen-Orient demeure pour autant loin d’être acquis. Celui-ci dépendra naturellement de nombreux facteurs. Mais il dépendra aussi d’Israël lui-même, et des objectifs qu’il entend désormais poursuivre.

Depuis dix-huit mois, ses succès tactiques ont été éblouissants. Mais son succès stratégique, lui, est une question toujours en suspens. Car, à la fin des fins, quelle autre issue qu’une paix durable pourrait être qualifiée de véritable victoire pour Israël ?

L’impasse qui doit aujourd’hui être évitée, c’est celle d’un état de guerre qui deviendrait permanent. À ce titre, tous les regards sont tournés vers la bande de Gaza, point zéro de la déflagration qui secoue aujourd’hui toute la région.

Bien sûr, nous connaissons les paramètres qui amorceraient une résolution du conflit : libération de tous les otages, démantèlement politique et militaire du Hamas, établissement d’une administration transitoire favorable à la paix et à la coexistence.

Sur tous ces points, la communauté internationale devra faire montre d’une implication beaucoup plus forte, et tout particulièrement les États voisins, dont beaucoup sont restés en retrait. S’ils sont sincères dans leur désir de paix, ils devront désormais assumer des responsabilités d’un autre niveau.

En tout état de cause, tant que le Hamas s’accrochera à son pouvoir dictatorial, non seulement il continuera de faire le malheur de son peuple, mais toute sortie de crise durable demeurera hors de portée.

Dans ces conditions, reconnaître un État de Palestine est certes inéluctable. Mais le faire maintenant n’aurait aucun sens, car aucune des conditions nécessaires n’est réunie pour qu’un tel acte soit utile à la paix.

Bien qu’elles n’aient pas été éradiquées, force est de constater que les capacités de nuisance de l’organisation terroriste sont désormais considérablement réduites.

Dès lors, la situation militaire actuelle peut difficilement expliquer – et encore moins justifier – les tragédies subies par la population gazaouie. Face à ses souffrances, il est nécessaire qu’Israël modifie sa stratégie. Il y va de sa responsabilité, mais aussi de son intérêt. Car il est une vérité absolue : Gaza est une terre palestinienne, et elle sera peuplée demain par ces mêmes Palestiniens.

Penser le jour d’après, le penser dans une optique de paix juste et durable, est exigeant. Cela impose à Israël d’assurer sa sécurité sans s’aliéner définitivement les Palestiniens, de protéger son avenir sans obérer le leur.

En définitive, cela l’invite à ne jamais perdre de vue les valeurs attachées à ce qu’est, à ce que représente profondément Israël : une authentique démocratie, et la seule du Moyen-Orient.

C’est sur une ligne de crête analogue que nos amis israéliens devront également cheminer au Liban ou en Syrie. Ces deux pays, si fondamentaux pour la sécurité d’Israël, sont aujourd’hui à la croisée des chemins.

À Damas, le régime de Bachar al-Assad a fini par tomber. À Beyrouth, l’étreinte du Hezbollah sur le Liban est enfin desserrée. Dans les deux cas, tout reste fragile et mouvant, et surtout sujet à mille prudences, en particulier en Syrie, où le nouveau pouvoir est très loin d’avoir convaincu de ses intentions, notamment vis-à-vis des minorités.

Mais, comme jamais peut-être depuis plus de trente ans, l’ombre de Téhéran s’éloigne et des possibles s’ouvrent. Veillons à ce qu’ils ne se referment pas sans offrir de perspectives.

En Iran, la chute du régime a été évoquée, espérée. Elle serait sans doute une excellente nouvelle, avant tout pour les Iraniens eux-mêmes. Car ce grand peuple mérite infiniment mieux que le pouvoir qu’il subit depuis plus de quarante-cinq ans.

Mais l’expérience récente nous a instruits des dangers que comporte un renversement de régime, même honni de tous, lorsqu’il est imposé par la force des armes étrangères.

Souvenons-nous des affrontements qui peuvent si rapidement éclater dans une région où la mosaïque des peuples est la marque d’une histoire plurimillénaire. Une telle issue, à l’évidence, ne ferait qu’ajouter aux malheurs des Iraniens, et à ceux de leurs voisins.

Si la fin du régime des mollahs doit advenir, elle ne pourra donc venir que du peuple iranien, agissant par lui-même et pour lui-même.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, à l’heure où nous débattons, la tension dans la région a baissé de plusieurs crans. Mais la situation n’en reste pas moins très volatile. Alors, dans ce contexte incertain et toujours dangereux, que peut faire la France ? À la vérité, sans doute bien moins que nous ne le souhaiterions, malheureusement.

Militairement, toute action est évidemment exclue.

Non seulement parce que notre pays n’a aucune vocation à participer à de quelconques opérations offensives dans la région. Mais aussi, il faut bien l’avouer, parce qu’en dépit de notre présence essentielle au Liban au sein de la Finul, en dépit de nos emprises militaires en Jordanie, aux Émirats arabes unis ou à Djibouti, nos moyens militaires ne nous permettent pas de peser réellement.

Si le cas devait se présenter, comme lors des tirs de missiles iraniens en 2024, nous ne pourrions sans doute pas participer à une action défensive pendant plus que quelques jours. Et encore, avec une contribution efficace, certes, mais bien modeste par son volume.

Diplomatiquement, le chemin apparaît à peine moins obstrué.

Depuis de nombreuses années maintenant, notre influence au Moyen-Orient a dramatiquement reflué. Plus récemment, les positionnements fluctuants, l’activisme désordonné et les propositions parfois déroutantes du Président de la République questionnent la lisibilité de notre action diplomatique.

De son implication critiquée dans la crise libanaise à son invitation prématurée du nouveau président syrien à l’Élysée, de sa proposition de coalition militaire internationale contre le Hamas aux doutes qu’il a laissé planer sur une reconnaissance unilatérale et inconditionnelle de la Palestine, c’est peu dire que ses initiatives ne dessinent pas de ligne directrice claire pour notre politique étrangère au Moyen-Orient.

Pourtant, la France à des choses à dire, et des choses à faire.

Je pense évidemment en premier lieu au Liban, avec lequel nous entretenons une si longue relation d’amitié. Alors qu’un processus de refondation s’esquisse, la France se devra d’y rechercher un rôle actif, mais surtout d’y tenir une ligne sans ambiguïté en apportant son soutien aux pôles de stabilité qui émergent, tout en contribuant à diminuer encore le Hezbollah et les forces centrifuges.

Cette « guerre des douze jours » entre Israël et l’Iran l’a cruellement démontré : lorsque les événements s’emballent, notre pays en est aujourd’hui réduit à commenter, à s’inquiéter ou à mettre en garde, sans être écouté ni parvenir à influencer. Sans même être tenu au courant des initiatives de ses alliés, là où Londres était informée par Washington et Berlin par Tel Aviv…

Alors, bien sûr, la France entend rester à l’initiative et capitaliser sur la place qu’elle a tenue pendant près de vingt ans dans les négociations sur le nucléaire iranien. Et, bien sûr, nous ne pouvons qu’encourager les efforts qu’elle déploie, aux côtés de ses partenaires britannique et allemand, pour se frayer malgré tout un chemin jusqu’à la table des négociations.

Cependant, reconnaissons-le, notre capacité à influer sur les acteurs du conflit restera faible, et notre rôle sans doute limité à des missions de bons offices. En tout état de cause, si notre ambition est de parvenir à une alternative crédible aux opérations militaires, nous devrons changer profondément d’approche, et d’abord nous souvenir du peu de confiance qu’il est possible d’accorder au régime iranien.

Rappelons-nous que son programme nucléaire et ses principaux sites d’enrichissement n’ont été découverts qu’à la suite des révélations faites par ses opposants ou par des services de renseignement étrangers. Rappelons-nous que ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale ont été systématiquement rompus, et ce dès 2004.

Le schéma qui fut négocié par le passé, et qui n’a pas permis d’éviter la crise actuelle, ne pourra pas être reproduit. Si accord il y a, il devra s’avérer infiniment plus coercitif que celui de Vienne et ne plus laisser place à aucune ambiguïté, aucune naïveté ou aucun laxisme.

Évidemment, toute perspective nucléaire devra être rendue impossible. Mais, plus largement, c’est aussi l’aptitude déstabilisatrice de la République islamique qui devra être jugulée, depuis son soutien au terrorisme jusqu’à ses capacités balistiques, en passant par sa politique d’influence invasive dans les pays de la région.

Soyons-en conscients : obtenir des engagements fermes de Téhéran, mais surtout avoir les capacités de les faire appliquer, relèvera de la gageure.

Le Moyen-Orient est néanmoins aujourd’hui à un carrefour de son histoire. Un nouveau chapitre s’ouvre et, n’en doutons pas, il s’écrira en grande partie autour de la question iranienne.

Les évolutions du conflit israélo-palestinien, la stabilisation du Liban, de la Syrie et de l’Irak, la guerre civile au Yémen : la plupart de ces grands enjeux de la région lui sont liés.

Si des voies de passage diplomatiques, aussi étroites soient-elles, existent, il est de la responsabilité de la France de contribuer à les chercher, avec lucidité et fermeté.

Ce faisant, elle serait fidèle non seulement à sa vocation internationale, mais aussi aux valeurs de notre République. Au moment où certains dans notre pays sont prêts à tous les aveuglements, à toutes les instrumentalisations, à toutes les compromissions avec ceux qui crient « mort à Israël ! » comme hier on criait « mort aux Juifs ! », la France se doit de réaffirmer avec force certains principes.

M. le président. Il faut conclure.

M. Mathieu Darnaud. Ces principes s’illustrent par une volonté farouche de préserver la paix et d’œuvrer à la stabilité internationale. Toutefois, ils impliquent également, ne l’oublions jamais, le refus catégorique et absolu de voir prospérer le totalitarisme islamique du Hamas, du Hezbollah et de leurs parrains iraniens.

Car, en définitive, c’est là, bien davantage que dans d’artificielles équidistances, que s’incarnera réellement la volonté maintes fois exprimée par la France d’être dans le monde une puissance d’équilibre.

Après tout, Charles de Gaulle disait il y a maintenant longtemps une phrase qui n’a sans doute jamais été aussi juste : « Ce qu’il faut surtout pour la paix, c’est la compréhension des peuples. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand le droit international est piétiné, c’est à la diplomatie de trouver la force de le remettre sur pied.

L’exercice est d’autant plus complexe que les attributs du pouvoir ont évolué. La puissance du dialogue a été évincée par la force brutale, qui ne vise pas à construire un ordre politique nouveau, mais qui cherche à détruire les équilibres et, parfois, à restaurer les empires du passé.

Cette force, dans le fracas des bombes, méprise lâchement le droit international, celui que les tyrans de notre siècle ont savamment relégué au silence, que la déraison des États a frontalement saccagé.

Face à la loi de la jungle, il nous faut revenir aux valeurs refuges que nous avons toujours portées ; revenir aux valeurs démocratiques, qui sont le fondement de notre politique ; revenir à la notion de multilatéralisme, qui dirige nos intérêts diplomatiques ; revenir à la règle de l’autodétermination, au cœur de la liberté des peuples ; revenir aux moyens pacifiques, consacrés par l’article 1er du traité de l’Atlantique Nord.

Après celle de 2014, la nouvelle agression de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a été l’expression du mépris de ce socle de valeurs. Il s’agit d’un basculement, confirmant que notre continent n’est pas épargné par l’épidémie de brutalité qui s’est emparée du monde.

Des millions d’enfants, de femmes et d’hommes en proie à un espace international plus dangereux aujourd’hui qu’hier, sont les victimes de cette épidémie. Elle nous enjoint d’avoir une pensée pour les civils morts, blessés, endeuillés, plongés dans l’inquiétude, pour les peuples meurtris, ceux que l’on veut effacer, pour les otages, pour nos compatriotes et les personnels de nos ambassades établis dans ces pays directement frappés par les velléités d’hégémonie déchaînée ; une pensée, aussi, pour les opposants politiques progressistes qui militent au péril de leur vie, qui n’ont pas voix au chapitre dans ces États déstabilisés, mais qui trouveront toujours dans cet hémicycle des alliés pour relayer leur voix.

Oui, quand le droit international est piétiné, c’est à la diplomatie de trouver la force de le remettre sur pied. C’est à cela que nous invite la déflagration qui a frappé le Proche et Moyen-Orient ces derniers jours, accélérant la spirale de déstabilisation dans laquelle a été entraînée la région.

Cette déflagration a été marquée par l’offensive israélienne lancée sans sommation dans la nuit du 12 au 13 juin dernier, en réaction à la poursuite du programme nucléaire de l’Iran, qui a ciblé les fabriques de missiles balistiques et les capacités militaires. Les appels à la retenue formulés par les chancelleries occidentales et par l’ONU n’ont pas empêché la riposte iranienne ni arrêté les frappes israéliennes.

Face à l’embrasement, les Européens ont tenté de relancer la voie diplomatique à Genève. Donald Trump s’est empressé de déclarer que l’initiative du Vieux Continent n’était pas crédible et a insulté les règles qui s’imposent aux États en déclenchant, le 22 juin, une frappe visant trois sites nucléaires iraniens.

En retour, l’Iran a ciblé la plus grande base américaine de la région, située au Qatar, après en avoir avisé Washington.

En réalité, il s’agit d’un deal à la Trump, d’une opération de communication bien huilée, d’une transaction indécente : « J’épargne ton régime, tu gardes la face et, en contrepartie, j’affiche ma puissance en annonçant la fin de la “guerre des douze jours”. »

Personne n’est dupe : c’est une supercherie. Rien n’est réglé : ni l’anéantissement de la force nucléaire iranienne ni la fin de la guerre.

Les récents événements sont une invitation à remobiliser nos valeurs refuges. En la matière, la République islamique d’Iran est l’adversaire absolu de nos valeurs, car ce régime opprime son peuple, humilie les femmes, déstabilise le Proche et Moyen-Orient avec ses proxys.

Les démocrates doivent dénoncer la République islamique d’Iran, qui enferme, dans ses geôles, non seulement ses opposants, mais aussi nos compatriotes.

Comment ne pas avoir une pensée émue pour les otages d’État, Cécile Kohler et Jacques Paris ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.) Nous apprenons que leur intégrité physique n’a pas été atteinte par la frappe israélienne ciblant le centre d’incarcération d’Evin, mais le régime continue de les détenir dans des conditions inhumaines. Monsieur le Premier ministre, nous n’attendons qu’une seule image, à laquelle Cécile Kohler et Jacques Paris ont dû rêver des centaines de fois : celle de leurs retrouvailles avec leurs proches.

Nous savons que le Quai d’Orsay est pleinement mobilisé, mais nous demandons au Gouvernement de réaffirmer, une nouvelle fois, devant l’exécutif iranien, qu’il y a urgence à procéder à leur libération.

En plus de s’en prendre à nos concitoyens, la République islamique d’Iran veut l’arme nucléaire. Le régime des mollahs doit-il pouvoir disposer de la bombe atomique ? Jamais ! C’est une condition de notre survie collective.

Nous partageons d’ailleurs la vive inquiétude exprimée par l’Agence internationale de l’énergie atomique face à l’accumulation rapide d’uranium enrichi par l’Iran. Le directeur de cette agence fait d’ailleurs l’objet de menaces inacceptables.

Nous sommes tout aussi préoccupés face aux armes de destruction massive dont s’est dotée, par exemple, la Corée du Nord. Nous devons ainsi appeler tous les pays qui n’ont pas encore signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires à le faire.