M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes nombreux à avoir fait écho aux propos du Premier ministre. Je m’attacherai donc à apporter des éclaircissements et des réponses sur certains points que j’ai relevés.
Monsieur le président Mathieu Darnaud, vous avez déclaré : « Comme jamais peut-être depuis plus de trente ans, l’ombre de Téhéran s’éloigne et des possibles s’ouvrent. » C’est une très bonne manière de décrire ce qui est en train de se passer au Proche-Orient après la défaite du Hezbollah au Liban, la chute de Bachar el-Assad en Syrie et la nouvelle donne qui place l’Iran dos au mur.
En effet, l’Iran est désormais contraint de négocier non seulement l’encadrement de son programme nucléaire, mais également ses activités balistiques, c’est-à-dire le développement de missiles, et ses actions de déstabilisation régionale.
Vous vous êtes montré très critique sur la ligne que dessinerait le Président de la République pour le Proche et le Moyen-Orient, la jugeant peu claire. Elle est au contraire très claire et fidèle à la tradition de la France, qui nous a conduits par le passé à faire preuve d’une grande fermeté à l’égard du régime iranien et de son programme nucléaire.
Pour Israël, la France est le seul interlocuteur à avoir été aussi constant et aussi ferme sur la question iranienne, tout en étant capable de dénoncer avec vigueur et fermeté, lorsqu’il s’en rend coupable, les violations du droit international par le gouvernement israélien.
La position française est une position d’équilibre. La France veille à ce que le droit international soit respecté. Elle reconnaît le droit d’Israël à se défendre, car elle est indéfectiblement attachée à sa sécurité. Mais pour garantir la sécurité d’Israël sur le long terme, certaines des actions entreprises par le gouvernement israélien doivent désormais cesser.
Vous avez également été dur à propos du Liban. Il convient tout de même de rappeler que la France est la première à avoir mis sur la table, l’année dernière, une proposition de cessez-le-feu. Certes, elle n’a pas été entendue immédiatement. Toutefois, après l’escalade militaire et l’entrée dans le jeu des États-Unis, les idées françaises ont été reprises. Défendues par la France et les États-Unis, elles ont évité l’effondrement du Liban.
De même, la France a facilité le redressement politique du pays en garantissant la tenue de l’élection de son président de la République. J’étais moi-même présent au Liban quelques jours avant cette élection pour poursuivre les discussions qu’avait engagées le Président de la République avec les principales forces en présence.
Lorsque le parlement libanais s’est réuni pour élire le chef de l’État, l’envoyé spécial du Président de la République, Jean-Yves Le Drian, était dans la tribune. C’est dire à quel point nous avons suivi cette situation de près !
Enfin, vous avez laissé entendre que la France serait marginalisée dans les négociations qui vont s’ouvrir à la suite de la guerre des Douze jours. Selon vous, Londres serait informée par Washington et Berlin serait informée par Tel-Aviv. Sans trahir de secret, je tiens à préciser que la proposition de cessez-le-feu américano-israélienne a transité par la France il y a dix jours.
Le Président de la République est au contact, d’un côté, de Donald Trump et, de l’autre, du président iranien. Grâce à cette position singulière, y compris au sein de l’Union européenne, il peut tenter de créer les conditions pour que ces deux dirigeants puissent se parler.
Monsieur Jean-Marc Vayssouze-Faure, au sujet de la question iranienne, vous avez dit que rien n’était réglé. Je ne sais pas si l’on peut dire cela, mais nous sommes en tout cas au milieu du gué. En effet, le plus dur reste à faire. Nous devons encadrer strictement et durablement les activités nucléaires, balistiques et de déstabilisation régionale de l’Iran.
Le sort que ce régime réserve à nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, ainsi qu’à une douzaine d’autres concitoyens européens, est préoccupant. Vous avez appelé à la libération de nos deux otages. Vous le savez, nous exigeons que cette libération intervienne immédiatement. Nous avons souligné le risque que constituait leur détention dans la prison d’Evin dès le début des frappes israéliennes.
Nous avions d’ailleurs indiqué au gouvernement israélien la présence de nos compatriotes dans cette prison. Nous avons dû attendre un délai inacceptable pour obtenir des preuves de vie, jusqu’à la visite consulaire qui a pu se tenir cette semaine. Nous espérons obtenir une libération définitive au plus vite.
Le retour à la coopération sur lequel vous avez interrogé le Premier ministre passe justement par la reprise des discussions dans l’esprit qui avait animé les négociateurs de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, dont la France faisait partie. À l’époque, les protagonistes étaient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
Ces cinq puissances sont, d’une certaine manière, les gardiennes du traité de non-prolifération. Comme cela a été rappelé, ce traité prévoit que seuls ces cinq pays ont le droit d’être dotés de l’arme nucléaire. En contrepartie, ils ont l’obligation de donner aux autres pays du monde l’accès au nucléaire civil.
D’une manière ou d’une autre, ces cinq nations vont devoir se parler. C’est ce qui explique que le Président de la République ait pris l’initiative d’établir le contact avec Vladimir Poutine, alors que la discussion était rompue depuis le massacre de Boutcha en septembre 2022.
Au-delà du programme nucléaire iranien, qui représente un véritable danger, y compris pour nos propres intérêts de sécurité, l’avenir de l’architecture de sécurité qui a prémuni l’humanité contre une course à l’armement depuis la fin des années 1960 est en jeu.
Quand bien même Vladimir Poutine ne s’est pas montré à la hauteur de son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie doit être consultée, de quelque manière que ce soit, sur ses intentions à l’égard de l’Iran, au moment où nous voulons encadrer les activités que j’ai mentionnées précédemment.
Monsieur Olivier Cadic, vous avez rendu hommage aux vingt-deux victimes de l’attentat terroriste qui a récemment touché les communautés chrétiennes en Syrie. Vous avez rappelé l’attachement de la France et de son gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre, à la sécurité des communautés chrétiennes partout au Proche-Orient.
Les raisons de cet attachement sont non pas religieuses, mais historiques : la France considère que la préservation des droits de ces communautés est une condition du pluralisme dans la région, qui est lui-même la condition de la paix et de la stabilité.
Vous avez rappelé le rôle important que jouent les élus des Français de l’étranger dans les moments de crise, où ils sont l’interface avec nos compatriotes qui doivent être évacués ou rapatriés. Ces élus portent la voix de la France. Ils le font chacun à leur façon, mais de manière complémentaire. C’est évidemment très précieux.
Je veux vous féliciter, monsieur le sénateur, de votre engagement personnel au Liban, notamment auprès des victimes de la catastrophe du port de Beyrouth.
Pour répondre à votre question, la conférence sur la solution à deux États se tiendra, je l’espère, dans les prochaines semaines. Si nous avons dû la reporter pour des raisons logistiques et sécuritaires, la dynamique qui s’est enclenchée est, comme l’a dit le Président de la République, inarrêtable.
Monsieur Claude Malhuret, vous avez dit une chose très juste : la guerre au Proche-Orient dure depuis quatre-vingts ans et elle continuera de durer tant que le conflit entre les peuples israélien et palestinien ne se sera pas résolu. À l’heure où certains courants de pensée considèrent que ce conflit serait l’une des conséquences d’une autre menace, incarnée par le régime iranien, il est important de rappeler qu’il avait commencé avant la révolution islamique.
Si nous devons encadrer le programme nucléaire de l’Iran, ses activités balistiques et ses actions de déstabilisation, il est indispensable de trouver une solution politique durable au conflit israélo-palestinien.
Par ailleurs, vous estimez que les dictateurs veulent prendre leur revanche sur les défaites du XXe siècle et qu’ils ont déclenché contre les démocraties une guerre qui a changé de nature, à laquelle nous devons nous préparer. Je laisserai Sébastien Lecornu y revenir plus longuement, mais la revue nationale stratégique (RNS) qui sera prochainement annoncée définira la manière dont nous devons nous prémunir contre ces nouvelles menaces.
Au-delà de notre arsenal traditionnel, le Quai d’Orsay mobilise les marges de manœuvre dont nous disposons encore pour riposter contre les attaques visant à abîmer l’image de la France et la voix qu’elle entend porter dans le monde.
Notre puissance, notre capacité à peser, au Proche-Orient comme ailleurs, dépend de notre force intérieure : de notre force militaire, pour dissuader les menaces ; de notre force économique, pour ne pas dépendre des autres ; mais aussi de notre force morale et politique.
Si les travaux qui ont été lancés par le Premier ministre, notamment le conclave sur la réforme des retraites, la préparation du budget et la refondation de l’action publique peuvent sembler éloignés des sujets dont nous débattons ce soir, ils y sont pourtant liés. En effet, notre force intérieure nous permettra à l’avenir de porter la voix de la France et de défendre nos intérêts.
M. Xavier Iacovelli a rappelé que les tensions au Proche-Orient, et en particulier dans la mer Rouge, avaient des conséquences non seulement pour la région, mais aussi pour le commerce international, c’est-à-dire pour nous toutes et tous.
Aussi, lorsque la France s’investit dans la résolution des conflits au Proche-Orient, que ce soit au Liban, en Syrie ou ailleurs, elle le fait non seulement parce qu’elle a une responsabilité en tant que nation fondatrice des Nations unies et membre permanent du Conseil de sécurité, mais aussi parce que nos intérêts directs sont en jeu.
Certains orateurs ont évoqué le fait que nous ayons établi le contact avec les nouvelles autorités syriennes. Nous l’avons fait non pas pour la gloire ou le panache, mais pour servir nos intérêts. Sur les questions migratoires comme sur les questions de lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons obtenir gain de cause que par un échange exigeant et sans concession avec les autorités syriennes.
M. Iacovelli s’est demandé si nous souhaitions être spectateurs ou acteurs : comme je viens de le répondre à M. Malhuret, cela dépendra de notre force intérieure. Il nous a invités à emprunter la voie de l’équilibre et du droit. Il a également évoqué le sort des enfants, qui sont les principales victimes des théâtres de conflit au Proche-Orient. Ils grandissent dans un environnement si violent qu’il leur sera difficile de devenir des artisans de la paix à l’âge adulte.
Madame Cécile Cukierman, la façon dont vous avez parlé du programme nucléaire iranien laisse à penser qu’il était dérisoire ou innocent avant les frappes américaines. Ce que nous savons, c’est qu’il y a dix ans, grâce à l’accord que la France a contribué à faire aboutir, nous avons obtenu un recul substantiel du programme nucléaire iranien.
Ce recul s’est maintenu pendant trois ans, jusqu’à ce que les États-Unis sortent de cet accord, comme l’a rappelé le Premier ministre. Ils ont alors recommencé à appliquer les sanctions qui prévalaient avant l’accord, ce qui a conduit le régime iranien à relancer son programme nucléaire. Tout du moins, c’est le prétexte que ce dernier a avancé.
Le résultat est le suivant : avant les frappes, le régime iranien disposait d’un stock d’uranium enrichi trente fois supérieur et de capacités d’enrichissement dix fois supérieures aux limites maximales qui avaient été fixées il y a dix ans. Le programme progressait depuis sept ans, mais une accélération nette avait été constatée depuis trois ans.
Il existait donc bien une intention de la part du régime iranien de développer un programme nucléaire, qui n’a pas de justification civile. Or je rappelle que ce régime proclame dans ses textes constitutionnels sa volonté d’anéantissement d’Israël.
Par ailleurs, faut-il rappeler qu’il soutient des groupes terroristes, qu’il s’est félicité des attentats antisémites barbares du 7 octobre, qu’il a livré des centaines de missiles et des milliers de drones à la Russie, qu’il détient nos deux compatriotes, qu’il a réprimé le mouvement « Femme, Vie, Liberté » ?…
Je m’inscris en faux contre votre argument selon lequel il existerait deux poids, deux mesures.
Mme Cécile Cukierman. Il y a deux poids deux mesures, c’est sûr !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous n’avons pas participé aux frappes israéliennes et américaines, pas plus qu’à leur planification. Nous avons dit qu’elles n’étaient pas conformes au droit international, et que si elles étaient en mesure de le retarder, voire de le détruire, elles ne pouvaient en aucun cas empêcher l’Iran de reconstituer, demain, son programme nucléaire. Ce n’est que par un encadrement négocié que nous éloignerons durablement le danger.
Madame Carrère, comme le Premier ministre, vous avez insisté sur la nécessité de mettre fin au système de distribution militarisé de l’aide humanitaire à Gaza. Vous avez salué l’action des agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui sont en effet très mobilisés en cette période de crise pour tenter d’apporter les meilleures réponses possibles à nos ressortissants, en Israël comme en Iran.
Vous avez également évoqué le contrat d’association entre l’Union européenne et Israël. Lors du Conseil européen de la semaine dernière, les chefs d’État et de gouvernement ont acté la violation par Israël de l’article 2 de cet accord et ont confié aux ministres des affaires étrangères, qui se réuniront le 15 juillet prochain, le soin d’en tirer les conséquences.
Vous avez conclu en disant qu’il s’agissait non pas de choisir un camp, mais de faire respecter le droit des peuples. C’est exactement la position que la France entend défendre.
Monsieur le président Guillaume Gontard, vous avez dit que l’apparence de notre faiblesse réveillait l’appétit des empires : c’est tout à fait vrai. C’est pourquoi nous devons, comme l’a souligné le Premier ministre dans sa déclaration, pour faire prévaloir la justice, rendre fort ce qui est juste. En nous fortifiant de l’intérieur, nous serons plus forts à l’extérieur pour dissuader les menaces.
Vous affirmez que Benyamin Netanyahou est un opposant à la solution à deux États. Je voudrais simplement vous lire les propos qu’il tenait en 2009 : « Nous devons dire la vérité. Au sein de cette patrie vit une large communauté de Palestiniens. Nous ne voulons pas les dominer. Nous ne voulons pas gouverner leur vie. Nous ne voulons pas leur imposer ni notre drapeau ni notre culture. Dans ma vision de la paix sur cette petite terre qui est la nôtre, deux peuples vivent librement côte à côte dans l’amitié et le respect mutuel. […] Aucun ne menacera la sécurité ou l’existence de l’autre. Et je le dis maintenant clairement, si nous recevons cette garantie concernant la démilitarisation et les besoins de sécurité d’Israël et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme l’État du peuple juif, alors nous serons prêts, dans le cadre d’un futur accord de paix, à parvenir à une solution où un État palestinien démilitarisé existera aux côtés de l’État juif. »
M. Guillaume Gontard. C’était en 2009…
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je rappelle ces propos de Benyamin Netanyahou, car l’esprit de la conférence sur une solution à deux États que nous entendons organiser très prochainement est précisément de réunir ces conditions. Ce sera l’occasion pour la France comme pour d’autres pays de reconnaître l’État palestinien, et, pour les pays arabes et l’autorité palestinienne, de prendre des engagements de nature à garantir durablement la sécurité d’Israël.
Vous avez fait référence à l’année 2015, qui a été un grand cru diplomatique pour la France, avec l’accord sur le nucléaire iranien et l’accord de Paris.
M. Rachid Temal. Sous François Hollande !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Souhaitons que l’année 2025 soit, elle aussi, un grand millésime. En organisant à Nice une conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc) historique, nous avons d’ores et déjà fait écho à l’accord de Paris de 2015.
Quant à l’accord sur le nucléaire iranien, que nous espérons parvenir à conclure cette année, nous souhaitons, à l’instar de Mathieu Darnaud, qu’il soit beaucoup plus robuste que celui qui avait été conclu il y a dix ans, car la situation est différente.
Cet accord devra éloigner durablement le risque que l’Iran accède à l’arme nucléaire et continue de développer un programme de missiles susceptible de porter atteinte aux intérêts de sécurité dans la région, mais aussi à nos propres intérêts. Il devra aussi mettre fin aux activités de déstabilisation menées par l’Iran dans la région, pour que l’ombre – je reprends l’image utilisée par un orateur précédent – qui a plongé la région dans un état d’instabilité et de guerre permanente depuis des années s’éloigne durablement.
M. le président. La parole est à M. le ministre des armées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux questions formulées à la tribune par les orateurs, permettez-moi de revenir sur ce qu’a dit Jean-Noël Barrot sur le poids de la France à l’étranger, ou tout du moins notre puissance de conviction.
Celle-ci dépend largement de notre propre confiance en nous. Cela ne signifie pas avoir confiance dans la politique menée par le Président de la République ou le Gouvernement. Comme l’a rappelé la présidente Cukierman, cela relève de notre démocratie. Notre confiance doit se fonder sur ce qu’est la France, de par son histoire. Au reste, vous êtes nombreux à l’avoir rappelé.
Quoi qu’il en soit, permettez-moi d’insister sur la confiance que nous pouvons avoir dans nos forces armées et le rôle qu’elles jouent au Proche-Orient. Il s’agit probablement de la région où nos forces en présence sont les plus exposées. Le président Darnaud a notamment cité la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).
Pour expliquer le rôle de nos forces armées dans ces pays, je donnerai quelques exemples précis.
Tout d’abord, nous menons des opérations sur place, dont certaines ne sont pas terminées. C’est notamment le cas de l’opération Chammal, que nous menons contre l’État islamique à la faveur d’une grande coalition. Des bases sont positionnées spécifiquement pour lutter contre le terrorisme, notamment dans un pays précis.
Ensuite, certains pays accueillent des bases militaires françaises sur le fondement d’accords de défense. Les forces françaises aux Émirats arabes unis sont certainement les plus connues, avec celles de Djibouti. Si ces dernières sont placées sur le continent africain, chacun sait qu’elles desservent, grâce à leur base aérienne et leur base navale, l’ensemble du golfe d’Aden et, de manière plus globale, la zone indopacifique.
Vous avez affirmé, monsieur le président Darnaud, que même si nos forces armées avaient voulu mener une action offensive, elles n’auraient pas pu le faire. Ce n’est pas tout à fait exact.
Pour commencer, ces forces ne disposent pas du mandat d’intervenir, qui doit leur être confié par le Parlement au titre de l’article 35 de la Constitution – certains d’entre vous ont peut-être été amenés à se prononcer sur une telle question. L’opération Chammal, par exemple, a été validée par le Parlement.
Ensuite, les forces armées doivent faire preuve d’une grande endurance dans la région. Il a peu été question de la mer Rouge, mais l’opération Aspides, dont l’objet est de protéger les intérêts maritimes français et européens sur cette route maritime commerciale importante, montre bien l’endurance spectaculaire de notre marine.
Je pense d’ailleurs que c’est la première fois dans notre histoire que la marine nationale tire autant de missiles Aster 15 ou Aster 30. Si l’on nous avait dit voilà dix ans que nous serions amenés à intervenir sur de telles situations opérationnelles, nous aurions trouvé cela pour le moins inattendu…
Il en va de même de la protection du ciel des pays qui nous accueillent et de la légitime défense de nos propres bases. Les propos que j’ai tenus à l’Assemblée nationale lors du même débat que celui qui nous réunit ce soir ont été critiqués par la République islamique d’Iran. J’avais affirmé que lorsque des drones tirés par l’Iran sur Israël mettent en danger la sécurité de nos emprises, nous devons assurer la sécurité de celles-ci, en lien avec le pays hôte.
Vient ensuite le débat, plus global, relatif à notre réarmement, donc à la poursuite des efforts en faveur de notre armée. Du fait des choix retenus par les chefs d’état-major et les ministres qui se sont succédé, y compris depuis l’élection du Président de la République en 2017, les forces armées prépositionnées au Moyen-Orient sont plutôt les mieux équipées. Par définition, elles ne manquent pas de moyens : le contexte régional l’exige.
À la suite de Jean-Noël Barrot, je souhaite revenir à présent, d’un mot, sur la situation au Liban.
Certains, non pas au Sénat, mais dans d’autres lieux ou encore dans les médias, ne manquent pas de salive pour critiquer le mandat confié à la Finul. Certes, ce mandat n’est pas parfait, mais, jusqu’à preuve du contraire, personne n’a trouvé de meilleure idée. C’est donc soit cela, soit le vide.
Pour ma part, je tiens à rendre hommage à nos militaires qui, depuis le 7 octobre, exécutent ce mandat dans des conditions de sécurité particulièrement dégradées.
Je rappelle qu’un de nos soldats est mort pour la France l’année dernière au service de la Finul – nous en avons perdu plus de cent cinquante dans le cadre de ce mandat, depuis son origine, dans les années 1980. Il s’agit de la maréchal des logis Fany Claudin, dont on a peu parlé. Je tenais à saluer sa mémoire ce soir.
On ne peut pas prétendre que l’on ne fait rien alors même que, sur place, des soldats français meurent en mission. (Mme Sophie Briante Guillemont acquiesce.) Nous pouvons tous nous accorder sur ce point.
En contrepoint – le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a dit –, l’administration Biden avait mis au point un mécanisme permettant une forme de déconfliction entre Israël et le Liban.
Cet état-major franco-américain est certes fragile et inédit. Il ne fut pas évident à concevoir. Mais il permet aujourd’hui de parler aux Libanais comme aux Israéliens, voire, si possible, à tout le monde de se parler – ce qui est plus difficile. Il s’agit donc là d’un utile complément de la Finul.
J’ai eu l’occasion d’aborder ces questions à de nombreuses reprises devant votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je souhaite d’ailleurs que les parlementaires s’intéressent davantage encore à ce mécanisme tout à fait prometteur pour les différentes initiatives diplomatiques rappelées par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le président Gontard, dans ce domaine, on ne peut passer sous silence l’aide que nos forces armées se chargent de déployer à Gaza. (M. Rachid Temal acquiesce.) Nous sommes le seul pays à l’avoir fait !
M. Rachid Temal. C’est vrai !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Si cette aide est assurée, ce n’est pas tant grâce au Gouvernement que grâce à nos militaires. On peut estimer que nous n’en faisons pas assez, mais, quelles que soient nos sensibilités politiques, ne nous faisons pas du mal entre Français – j’ai le sentiment que c’est précisément le cas depuis l’ouverture de ce débat.
Ne parlons pas comme si la France n’avait rien fait ! Je viens de le dire, on a déploré, l’année dernière, un mort pour la France dans les rangs de la Finul ; le contrat opérationnel pour assurer la protection du ciel en mer Rouge est l’un des plus difficiles jamais confiés à la marine nationale ; le mécanisme franco-américain à l’œuvre au Liban et en Israël, s’il n’est pas parfait, a le mérite d’exister et de fonctionner ; enfin, l’armée française a procédé, à Gaza, à des largages de denrées et de médicaments, notamment de concert avec les Jordaniens. Ces opérations ont été menées dans un contexte très difficile, qu’il s’agisse des conditions opérationnelles ou des négociations diplomatiques avec Tsahal.
Quant au Dixmude, dont personne ne cite l’exemple, il est pour ainsi dire le seul navire de guerre européen présent sur place, à l’exception peut-être d’un bateau italien affrété ponctuellement. Accosté au port d’El-Arich, ce bâtiment a permis de prendre en charge un certain nombre de civils.
On peut estimer que ces efforts ne sont pas à la mesure de ce qui se passe à Gaza : je peux l’entendre. Mais actons qu’ils ont été faits. Reconnaître le travail accompli, c’est dire merci, non pas aux membres du Gouvernement – nous ne sommes que de passage –, mais à nos forces armées.
Voilà trois ans que j’ai l’honneur d’être ministre des armées, sous l’autorité du Président de la République. J’ai été, en cette qualité, membre de plusieurs gouvernements. Je puis vous assurer que nos forces armées suivent attentivement les débats comme celui de ce soir et qu’elles en consultent les comptes rendus.
Nos soldats relèvent ce que les uns et les autres ont pu dire. Or on constate parfois un décalage considérable entre les différents discours. Quand il s’agit de leur confier de nouvelles missions, on se livre à de grandes envolées pour dire qu’on les aime ; mais, ensuite, leur action peut sembler mal comprise, sachant qu’ils exécutent les ordres. Je le rappelle au Sénat, et plus largement au Parlement, avec beaucoup de respect et d’humilité. À mon sens, il faut le dire afin de leur rendre justice.
Madame la présidente Cukierman, vous avez raison d’insister sur la nécessité du débat démocratique. Il s’agit là de sujets politiques au sens noble du terme : c’est précisément pourquoi le Gouvernement a demandé la tenue de cette discussion.
Nous en avons déjà débattu lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire (LPM), nous sommes évidemment tout à fait favorables au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP. En revanche, nous ne saurions souscrire au traité d’interdiction des armes nucléaires, le Tian.
Nous y reviendrons sans doute : à cet égard, nos opinions divergent à l’évidence quant à la réalité de notre dissuasion – même si, en son temps, le général de Gaulle s’était prononcé pour le désarmement nucléaire dès lors que tout le monde le mettait en œuvre.
Nous ne sommes pas le pays le moins exemplaire en la matière. Je dirai même que, de tous les signataires du TNP que vous avez cités, nous sommes le plus exemplaire.
À l’Assemblée nationale, vos collègues communistes viennent de consacrer une commission d’enquête aux conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. Là aussi, tout n’est pas parfait, mais – je suis bien placé pour le savoir, ayant été ministre des outre-mer –, de tous les pays ayant mené des essais nucléaires, la France est celui qui, objectivement, pousse le plus loin l’effort de transparence, de justice et de réparation.
Sur l’ensemble de ces questions, il me semble qu’il en est de même. Il faudra y revenir en détail, car la question nucléaire est d’une complexité redoutable.
Jean-Noël Barrot a insisté avec raison sur les sources nationales dont nous disposons au sujet du programme nucléaire iranien.
Monsieur le président Malhuret, nous ne sommes plus tout à fait dans la même situation qu’il y a sept, huit ou dix ans. À ce titre, nous étions alors dans la dépendance complète des Américains. Or, à l’heure où je vous parle, je peux donner au Premier ministre et au Président de la République des renseignements de source nationale. Sans entrer dans les détails, j’insiste sur le fait qu’il s’agit là d’une nouveauté ; c’est, du reste, le fruit des efforts budgétaires que vous avez largement consentis, par vos votes, pour augmenter nos crédits de défense.
Quoi qu’il en soit, l’avancée des programmes d’enrichissement et surtout des programmes balistiques rendait l’assemblage d’une arme nucléaire réellement imminent. Pour être parfaitement clair, toutes les pièces étaient prêtes : ne manquait plus que la décision d’assembler.
En matière de frappes balistiques, l’Iran a accompli, au cours des deux dernières années, un saut technologique tout à fait significatif. C’est un point sur lequel nous aurons l’occasion de revenir : ce constat soulève un certain nombre de questions pour nous, y compris pour notre défense sol-air, pour les outils destinés à la protection de nos propres emprises.