Sommaire

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

Secrétaires :

Mme Céline Brulin, Mme Marie-Pierre Richer.

1. Mise au point au sujet d’un vote

2. Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Question préalable

Motion n° 18 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Mme Cathy Apourceau-Poly ; M. Olivier Henno, rapporteur ; Mme Catherine Vautrin, ministre ; Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Monique Lubin ; M. Daniel Chasseing ; Mme Annick Billon ; M. Pascal Savoldelli ; Mme Catherine Vautrin, ministre. – Rejet par scrutin public n° 337.

Discussion générale (suite)

M. Michel Masset

Mme Jocelyne Guidez

Mme Silvana Silvani

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Monique Lubin

M. Daniel Chasseing

Mme Pauline Martin

Mme Solanges Nadille

Mme Frédérique Puissat

M. Guillaume Chevrollier

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Amendements identiques nos 2 rectifié de Mme Guylène Pantel, 3 de Mme Monique Lubin, 4 de Mme Cathy Apourceau-Poly et 15 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet, par scrutin public n° 338, des amendements nos 3,4 et 15, l’amendement n° 2 rectifié n’étant pas soutenu.

Amendement n° 8 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.

Amendement n° 17 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Adoption.

Amendement n° 5 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Devenu sans objet.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

4. Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Article unique (suite)

Amendement n° 10 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet par scrutin public n° 339.

Amendement n° 11 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet scrutin public n° 340.

Amendement n° 12 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet par scrutin public n° 341.

Amendement n° 19 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 13 de Mme Monique de Marco. – Devenu sans objet.

Amendement n° 16 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Retrait.

Amendement n° 7 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Retrait.

Amendement n° 9 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.

Amendement n° 6 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.

Mme Corinne Féret

Mme Raymonde Poncet Monge

Adoption, par scrutin public n° 342, de l’article modifié.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 14 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

Mme Monique Lubin

M. Daniel Chasseing

Mme Silvana Silvani

M. Pascal Savoldelli

Mme Ghislaine Senée

M. Patrick Kanner

Mme Annick Billon

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Evelyne Corbière Naminzo

Mme Corinne Féret

Adoption, par scrutin public n° 343 de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

5. Pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

Mme Nadège Havet, auteure de la proposition de loi

M. Xavier Iacovelli, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap

M. Olivier Henno

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Ghislaine Senée

Mme Corinne Féret

M. Daniel Chasseing

Mme Pascale Gruny

Mme Solanges Nadille

M. Michel Masset

Mme Frédérique Puissat

Mme Viviane Malet

Clôture de la discussion générale.

Avant l’article unique

Amendement n° 1 rectifié de Mme Ghislaine Senée. – Retrait.

Article unique

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 344, de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Céline Brulin,

Mme Marie-Pierre Richer.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Delia.

M. Jean-Marc Delia. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 335 sur l’ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, ma collègue Laurence Muller-Bronn souhaitait s’abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue.

Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Article unique (début)

Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai, présentée par Mme Annick Billon, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 550, texte de la commission n° 777, rapport n° 776).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par une devinette. Parmi les trois actions suivantes, laquelle est la plus sévèrement punie ? Réponse A : insulter une femme dans la rue ; réponse B : conduire sans permis ; réponse C : vendre du pain un 1er mai.

La question peut prêter à sourire, mais la réponse a de quoi surprendre. L’acte le plus sanctionné est la vente de pain un 1er mai ! Un boulanger qui fait travailler ses salariés ce jour-là risque ainsi 750 euros d’amende par salarié, 1 500 euros s’il s’agit d’un apprenti.

Je vous livre deux exemples concrets.

Le 1er mai 2021, un boulanger parisien a reçu une amende de près de 80 000 euros pour avoir fait travailler vingt et un salariés, tous volontaires et payés double.

Le 1er mai 2024, cinq boulangers vendéens ont été inquiétés pour les mêmes raisons. Ils ont été contrôlés, verbalisés puis convoqués. Certains encouraient plusieurs milliers d’euros d’amende.

Alors que la conduite sans permis causerait plus de deux cents morts par an, entrer dans une boulangerie n’a, à ma connaissance, jamais tué personne. C’est incompréhensible !

C’est pour mettre fin à ces incohérences qu’avec le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, que je remercie pour sa réactivité et son engagement, nous avons déposé cette proposition de loi, cosignée par cent soixante sénatrices et sénateurs, dont trois présidents de groupe.

Cette mobilisation illustre l’urgence et la légitimité de ce texte.

Je précise que nous sommes profondément attachés à la journée du 1er mai, chômée depuis 1946. Elle incarne près de quatre-vingts ans d’histoire sociale. Il s’agit non pas de remettre en cause ce totem, mais simplement de donner une base légale (Mme Raymonde Poncet Monge sexclame.) à des pratiques professionnelles en vigueur depuis plus de quarante ans.

L’engagement du Gouvernement aura également été déterminant pour que nous puissions débattre aujourd’hui. Mesdames les ministres, vous avez engagé la procédure accélérée, déclarant souhaiter une inscription rapide de ce texte à l’Assemblée nationale. Je vous en suis reconnaissante.

Alors, mes chers collègues, qui peut faire travailler ses salariés le 1er mai ? Si la question est simple, la réponse l’est beaucoup moins.

Le code du travail mentionne les « établissements qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Cependant, la liste précise n’a jamais été fixée par décret. Pour un hôpital, c’est évident, mais pour une boulangerie, c’est plus compliqué.

Prenons un exemple. Pour une boulangerie qui livre un hôpital, une prison, un Ehpad, c’est autorisé ; mais pour les autres clients, c’est porte close.

Pour ouvrir, une boulangerie doit prouver, d’abord, que l’activité ne peut être interrompue et, ensuite, que les salariés présents sont absolument nécessaires. Autrement dit, même le petit-déjeuner du 1er mai devient une affaire d’État !

Pourtant, selon une position ministérielle ancienne, les employeurs autorisés à ouvrir le dimanche peuvent également bénéficier d’une dérogation le jour de la fête du travail. En 1986, un courrier de Mme Martine Aubry, alors directrice des relations du travail au ministère des affaires sociales et de l’emploi, confirmait cette autorisation. Depuis, la question ne faisait pas débat : l’ouverture était tolérée.

En 2006, un arrêt de la Cour de cassation a changé la donne. En cas de contrôle, chaque situation doit désormais être analysée au cas par cas. C’est donc à l’artisan de prendre le risque, puis au juge de trancher.

Dans la pratique, les professionnels, forts d’une tradition de plusieurs décennies, n’ont pas changé leurs habitudes. L’artisan ouvre sa boutique ; les employés sont payés double ; le client repart sa baguette sous le bras. Bref, tout le monde est content. Néanmoins, ce statu quo a été remis en cause par une vague de contrôles et de verbalisations en 2023, 2024 et 2025. Les boulangers ne sont pas les seuls concernés. Les fleuristes vivent le même casse-tête.

Imaginez la scène : le fleuriste, respectueux de la loi, ferme boutique, tandis qu’un vendeur de muguet à la sauvette s’installe. Le client n’y voit que du vert, mais le fleuriste, lui, voit rouge…

Les vendeurs de muguet sont censés être soumis à des règles strictes : vendre en brins, sans autre fleur, feuillage, ou emballage ; pas de tréteau ou de table, et surtout pas d’installation à proximité d’un fleuriste. Vous en conviendrez, ces règles ne sont pas respectées. Les fleuristes subissent ainsi une concurrence totalement déloyale.

La journée du 1er mai est pourtant essentielle pour tous ces artisans. C’est le quatrième jour de l’année pour les fleuristes en volume de ventes. Pour certains, elle représente jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires annuel. Pour les 35 000 boulangeries qui ferment, cela représente entre 70 millions et 80 millions d’euros de manque à gagner. En Vendée, cette journée représente 25 % de chiffre d’affaires de plus qu’un jour férié classique. Pour les salariés aussi, les conséquences financières sont concrètes. Trois jours fériés de mai travaillés, ce sont 300 à 400 euros de plus sur une fiche de paie.

En 2025, vingt-deux boulangeries ont été verbalisées pour avoir vendu du pain à des clients, venus nombreux. Elles ont été sanctionnées pour avoir fait leur travail. Ce flou juridique est devenu un non-sens. Alors, aujourd’hui, ces professions ont besoin de clarté. Elles aspirent à travailler sans risquer une verbalisation, une amende.

Nous avons déposé ce texte le 25 avril 2025 dans l’urgence, avec le président Marseille, pour envoyer un signal fort aux professionnels à la veille du 1er mai. Notre rapporteur, Olivier Henno, a retravaillé le texte avec précision et application. Je l’en remercie.

La version initiale du texte s’appuyait sur le décret relatif aux dérogations au repos dominical. Plus de quarante catégories d’établissements étaient visées, ce qui ne permettait pas de sécuriser suffisamment le dispositif.

La réécriture proposée par le rapporteur permet de cibler uniquement les professions visées. Cette nouvelle rédaction insiste aussi sur le volontariat : pas d’obligation ; pas de contrainte ; pas d’automatisme. Tout salarié devra donner son accord préalable. Avec le président Hervé Marseille, nous vous présenterons un amendement tendant à renforcer cette garantie.

Ce texte doit prospérer avant le 1er mai 2026, madame la ministre (Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles approuve.), pour clarifier, sécuriser et encadrer l’autorisation d’ouverture de certains établissements. Il est temps de mettre fin à cette incertitude qui fragilise les professionnels.

Mes chers collègues, entre le pain interdit et le muguet clandestin, remettons un peu de bon sens dans la loi ! J’en profite pour remercier le président de l’interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage (Valhor), qui assiste à nos débats en tribune. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Mmes Marta de Cidrac et Frédérique Puissat applaudissent.)

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, s’il convient de légiférer toujours « d’une main tremblante », la maxime de Montesquieu s’applique encore davantage à certains sujets. La symbolique et l’importance du 1er mai nous obligent à agir avec beaucoup de prudence. C’est bien cette ligne de conduite qui a été adoptée pour l’instruction de ce texte et son examen en commission des affaires sociales.

Permettez-moi de revenir d’abord sur cette date et sa portée. Je ne m’attarderai pas sur la longue histoire mouvementée de la fête du travail. Je rappellerai simplement que cette journée fut pendant longtemps le support de la lutte internationale en faveur de la journée de huit heures, ainsi qu’un jour de repos célébré localement au gré des municipalités. Elle s’est aussi chargée d’une forte dimension mémorielle après le drame du 1er mai 1891 à Fourmies, dans le département du Nord – un événement marquant pour le sénateur du Nord que je suis –, lors duquel la répression d’une manifestation fit neuf morts et trente blessés. Puis, après plusieurs tentatives de reconnaissance législative dans l’entre-deux-guerres et une appropriation par le régime de Vichy, c’est le Conseil national de la Résistance (CNR) qui la consacra définitivement comme jour férié et chômé, par les lois du 30 avril 1947 et du 29 avril 1948.

Depuis la IVe République, le 1er mai est donc un jour férié et chômé en vertu de la loi. Parmi les onze jours fériés reconnus, ce régime spécifique, directement inscrit dans le code du travail, fait figure d’exception.

Au principe d’interdiction d’occuper les salariés ce jour est assortie une dérogation applicable aux établissements « qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés occupés ont alors droit à une indemnité égale au salaire s’ajoutant à leur rémunération habituelle.

Depuis 1947, la liste des établissements pouvant employer des salariés ce jour-là n’a jamais été précisée par voie réglementaire. Il en résulte quelques controverses juridiques sur la portée exacte de la dérogation. Certains secteurs, comme les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage, semblent, de manière manifeste, ne pas pouvoir interrompre leur activité. Pour d’autres domaines, l’affaire est plus ardue.

Suivant une position ministérielle, une correspondance était établie avec la dérogation permanente de droit au repos dominical. Tous les employeurs admis à accorder le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche étaient également réputés pouvoir faire travailler leurs salariés le 1er mai. Cette assimilation présentait un intérêt pratique, dans la mesure où la liste des secteurs concernés par la dérogation au repos dominical est, elle, expressément fixée par décret.

Cette position fut réaffirmée, dans une lettre du 23 mai 1986, par Martine Aubry, alors directrice des relations du travail au ministère des affaires sociales et de l’emploi, dirigé par Philippe Séguin, également maire d’Épinal. Ce courrier est éclairant pour nos débats actuels : il y est précisé qu’en 1986 cette pratique administrative était déjà ancienne et que, selon le ministère, le boulanger ayant ouvert le 1er mai n’avait nullement commis de fait répréhensible.

La Cour de cassation, toutefois, a retenu une autre interprétation de la loi. Dans un arrêt de 2006, elle a ainsi jugé que les établissements admis à déroger au repos dominical n’avaient pas pour autant le droit, par principe, d’occuper des salariés le 1er mai. Elle a considéré qu’il appartenait à l’employeur de justifier que l’activité exercée ne permettait pas, en pratique, d’interrompre le travail. En vertu de cet arrêt, chaque situation devait donc être analysée au cas par cas.

Vous le constatez, l’état du droit en la matière ne relève pas d’un jardin à la française, ordonné et parfaitement délimité : la portée de la dérogation n’a jamais été précisément définie. Pourtant, dans la plupart de nos départements, les choses, en pratique, se réglaient facilement.

Dans certains secteurs d’activité – boulangeries-pâtisseries, fleuristes, jardineries, théâtres et cinémas –, l’ouverture des établissements et le travail des salariés le 1er mai ont toujours été considérés comme allant de soi. J’insiste aussi sur le fait que cette pratique n’a jamais soulevé de difficultés particulières au sein des entreprises, compte tenu du doublement de la rémunération ce jour-là.

Pour les fleuristes, en particulier, la fête du travail a toujours revêtu une importance majeure, puisque l’affluence du public dans les magasins et le chiffre d’affaires réalisé ce jour sont parmi les plus importants de l’année en raison de la vente du muguet. Cette situation a cependant été remise en cause très récemment par des contrôles et des verbalisations dressées par certains services de l’inspection du travail.

Ces verbalisations ont été très localisées. Selon les informations portées à ma connaissance par les fédérations d’employeurs, quelques jardineries indépendantes, des fleuristes et des boulangeries-pâtisseries ont été verbalisés en 2023 et 2024 en Charente, à Lyon ou à Paris. En particulier, cinq boulangers ont été verbalisés en Vendée pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024.

Le phénomène a beau être marginal, les conséquences n’en sont pas moins importantes pour les employeurs mis en cause. Ces derniers risquent une amende de quatrième classe, soit 750 euros par salarié employé. Ce risque financier encouru n’est pas négligeable pour ces commerces, qui sont souvent de très petites entreprises (TPE). Une majorité de boulangeries ont donc décidé de rester fermées le 1er mai 2025 et cette situation a fait naître, dans la profession, un sentiment d’incompréhension.

Les détracteurs de ce texte de loi ne manqueront pas de se saisir de ces verbalisations pour objecter que le travail ce jour-là dans les boulangeries était une pratique contra legem et que, dès lors, légiférer sur ce point serait donner une prime aux contrevenants et faire preuve de laxisme. Ce raisonnement est spécieux et repose sur un raccourci juridique. Les cinq employeurs mis en cause en Vendée ont par exemple démontré au juge que la nature de leur activité ne permettait pas d’interrompre le travail. Le tribunal de police leur a donné raison, et ils ont finalement été relaxés par un jugement du 25 avril 2025.

C’est bien là que se révèle la faiblesse du droit existant. La marge d’interprétation de la loi laisse la place à des contrôles et à des poursuites pénales. Ensuite, la charge de la preuve incombe aux employeurs, qui doivent justifier de la légalité de leur situation dans les circonstances de l’espèce. Ce régime comporte une trop grande incertitude juridique, qu’il convient de lever.

La prudence, dont je parlais au préalable, demande de légiférer en dernier ressort. Tel est bien le cas sur ce sujet. La jurisprudence ne saurait mettre fin à l’insécurité juridique qui demeure pour les employeurs. La négociation collective non plus, puisque l’interdiction d’employer des salariés le 1er mai est d’ordre public. De même, l’indépendance des inspecteurs du travail, qu’il convient de respecter, ne laisse pas de marge de manœuvre à une instruction ministérielle. Pour en avoir discuté avec Mme la ministre, je puis vous assurer que les choses sont claires et limpides.

Le législateur doit donc se saisir de cet enjeu, et je remercie notre collègue Annick Billon et le président Hervé Marseille d’avoir déposé cette proposition de loi. La commission l’a adoptée – j’en profite pour remercier aussi le président Philippe Mouiller –, en souhaitant toutefois repréciser le périmètre des secteurs concernés.

Dans sa version initiale, le texte associait les établissements couverts par cette exception au chômage du 1er mai à ceux bénéficiant d’une dérogation au repos dominical en raison des « contraintes de la production, de l’activité ou des besoins du public ». Cette rédaction avait l’avantage de renvoyer à un décret déjà existant, pris en Conseil d’État.

Cependant, la liste prévue par ce décret comprend de très nombreux domaines d’activité et tend à s’allonger régulièrement. En outre, si le 1er mai n’est pas un jour férié comme un autre, son régime ne saurait, à plus forte raison, être assimilé à celui du dimanche.

La commission a donc renvoyé à un nouveau décret la liste des secteurs qui bénéficieraient d’une dérogation de principe à l’interdiction d’occuper des salariés ce jour. Le décret serait encadré par des critères légaux précis et comprendrait les entreprises qui, traditionnellement, ouvrent ce jour, et dont l’activité justifie la dérogation : les commerces de bouche de proximité, dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, qui permettent la continuité de la vie sociale ; les commerces de fleurs, qui, par la vente du muguet, sont liés à un usage traditionnel du 1er mai ; enfin, les établissements du secteur culturel, cinémas et théâtres notamment, dont l’activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.

Nous n’avons pas souhaité inclure dans cette dérogation les grandes surfaces et je vous proposerai un nouvel amendement visant à éviter tout risque d’élargir le décret en ce sens.

Enfin, la commission a également prévu que l’activité des salariés ne serait possible que sous réserve de leur volontariat. Cette précision est essentielle pour ne pas porter une atteinte disproportionnée à cette date symbolique. Le texte maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation, afin de tenir compte de la spécificité de certains secteurs, tels que les hôpitaux, pour lesquels la condition de volontariat ne paraît pas souhaitable.

L’intention des auteurs de cette proposition de loi est non pas de banaliser le 1er mai, mais bien de garantir que la pratique traditionnelle de ce jour soit maintenue. Il s’agit d’un texte de clarification du droit et non pas de renversement de principe. Je vous invite donc à adopter la proposition de loi dans sa version issue de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame l’auteure de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de nous poser une question à la fois simple et essentielle : comment faire vivre les principes de notre droit du travail sans ignorer les réalités du terrain et les besoins de nos concitoyens ?

Mme Corinne Féret. En oubliant les luttes des salariés !

Mme Catherine Vautrin, ministre. C’est, au fond, tout l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. (Mme Corinne Féret et M. Pascal Savoldelli sexclament.)

Nous parlons ici d’une journée très particulière de notre calendrier national : le 1er mai, jour de la fête du travail, journée des droits des travailleurs. Un jour porteur d’un héritage social fort, qui est le seul jour férié à la fois chômé et payé dans notre droit du travail.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Cette reconnaissance n’a rien d’un hasard. Elle est l’aboutissement de décennies de luttes ouvrières, en France comme à l’étranger. Depuis la Libération, le 1er mai est officiellement un jour chômé et payé. C’est incontestablement un acquis et un symbole.

La proposition de loi ne remet nullement en cause le statut et la tradition de la fête du travail, qui restera fériée et chômée pour la grande majorité des salariés. Il ne s’agit ni d’en banaliser la portée ni d’en faire un jour comme un autre. (Mme Corinne Féret ironise.)

Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, la force d’une loi ne réside pas seulement dans ce qu’elle affirme. Elle réside, aussi, dans le fait d’énoncer une règle claire, lisible et applicable sur tout le territoire. L’exemple de la vente du muguet cité par Mme Billon est particulièrement parlant à cet égard.

Mme Corinne Féret. La loi est claire, il faut la respecter !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Aujourd’hui, dans certains secteurs, notamment les boulangeries et les fleuristes, des établissements ouvrent, des salariés souhaitent travailler – j’y insiste ! – et des clients attendent ces services essentiels. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Nous l’avons vu ces derniers mois, les règles relatives à ce jour férié sont source de confusion.

Le code du travail prévoit bien certaines dérogations au principe du repos dominical et des jours fériés, dans l’intérêt du public ou pour assurer la continuité de l’activité, mais il reste beaucoup trop imprécis concernant le 1er mai. On s’en rend compte à la lecture de la lettre de Martine Aubry, à l’époque directrice des relations du travail, en 1986, ainsi que de l’arrêt de la Cour de cassation de 2006, que les deux orateurs précédents ont évoqués.

Résultat, ces dernières années : des sanctions, des procès-verbaux, une insécurité juridique,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quand on ne respecte pas la loi…

Mme Catherine Vautrin, ministre. … avec des appréciations hétérogènes selon les territoires et des commerçants parfois pénalisés, alors même qu’ils agissaient de bonne foi. Et je tiens à souligner la bonne foi de l’ensemble de ces professionnels.

Avec la ministre Astrid Panosyan-Bouvet, nous avons clairement dit que la loi devait évoluer. Nous devons apporter notre soutien aux artisans de proximité, ces professionnels qui, chaque jour, assurent un service essentiel dans nos territoires, en zone urbaine comme dans les territoires ruraux, parfois dans l’ombre, toujours avec passion.

Le jugement rendu par le tribunal de police de La Roche-sur-Yon, le 25 avril 2025, qui a prononcé la relaxe de cinq boulangeries vendéennes poursuivies pour avoir ouvert le 1er mai, montre bien l’impasse actuelle. Il reconnaît la bonne foi des professionnels concernés, mais il ne suffit pas à sécuriser juridiquement l’ensemble des salariés et des employeurs. Il revient au législateur d’apporter la clarté attendue.

Tel est l’objectif de la proposition de loi déposée par le président Hervé Marseille, la sénatrice Annick Billon et les membres du groupe Union Centriste. Elle ne crée pas un droit nouveau ; elle ne remet pas en cause l’existant. (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.) Elle vient combler une faille juridique, mettre fin à une insécurité qui pénalise aujourd’hui des commerçants, des salariés, des territoires, ainsi que certains de nos concitoyens. Elle vient sécuriser les employeurs, comme les travailleurs.

Soyons clairs, nous ne voulons pas banaliser une journée qui reste et restera emblématique du dialogue social. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi.

Mme Monique Lubin. Ben tiens !

Mme Catherine Vautrin, ministre. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité engager la procédure accélérée. Ce texte permettra à certains établissements d’employer le 1er mai des salariés volontaires – encore une fois, j’y insiste –…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Le volontariat, parlons-en !

Mme Catherine Vautrin, ministre. … dans un cadre strictement défini et avec une rémunération doublée, comme le prévoit le droit commun. Oui, madame la sénatrice, il y a des salariés qui sont demandeurs de cette approche ! Nous leur apportons une réponse concrète avec ce texte. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il vaudrait mieux augmenter le Smic !

Mme la présidente. Mes chers collègues, écoutons Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Je salue à ce titre le travail de la commission et du rapporteur, qui a permis de resserrer le texte pour borner très précisément les activités concernées. Je veux ici les rappeler avec précision, pour lever toute ambiguïté.

Certains établissements et services pourront continuer à se prévaloir du cadre existant, puisqu’ils ne peuvent évidemment pas interrompre leur activité : secours et sécurité, établissements sanitaires et médico-sociaux, transports, maintenance, industries de l’énergie ou utilisant des fours, agriculture, gens de la mer, hôtellerie.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils travaillent déjà le 1er mai !

Mme Catherine Vautrin, ministre. En plus de ces activités essentielles, seules quatre catégories d’établissements pourront bénéficier de cette dérogation leur permettant d’ouvrir le 1er mai avec des salariés volontaires : les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ; les établissements dont l’activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail ; les établissements répondant à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai ; enfin, les établissements exerçant une activité culturelle.

Ce périmètre a été pensé avec rigueur et avec le souci de préserver l’exception de la fête du travail.

La mise en œuvre de ces dispositions nécessitera un décret en Conseil d’État, que nous sommes en train de rédiger, en parallèle du processus législatif.

Mme Raymonde Poncet Monge. Bien sûr, il n’y a rien de plus urgent !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Je tiens à être très claire : ce décret sera fidèle à l’intention du législateur. Il ne visera pas d’autres établissements que ceux que je viens de mentionner. Les établissements assurant la fabrication ou la vente de produits alimentaires comprendront les cafés, les restaurants, les boulangeries, les traiteurs, les primeurs et autres commerces de bouche. Les établissements répondant à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai incluront l’activité de vente de fleurs naturelles. Les établissements exerçant une activité culturelle comprendront les cinémas, les musées, les centres culturels et autres lieux de spectacle.

Le Gouvernement ne souhaite pas inclure la grande distribution, qui ne relève ni de la logique de proximité ni d’un usage traditionnel lié au 1er mai. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Grâce à cette proposition de loi, si elle est votée, il n’incombera plus aux employeurs de démontrer qu’ils ne peuvent interrompre le travail ce jour-là en raison de la nature de leur activité. Il leur suffira de figurer sur la liste des établissements et activités mentionnés dans le décret.

Pour conclure, je veux réaffirmer un principe fondamental : cette proposition de loi ne porte en rien atteinte aux droits des travailleurs. Les salariés seront amenés à travailler sur la seule base du volontariat et ils bénéficieront d’une rémunération doublée, conformément à l’article L. 3133-6 du code du travail.

Il s’agit d’un texte d’équilibre, qui articule liberté d’entreprendre, liberté de travailler, respect des traditions locales et protection des droits sociaux.

Mme Silvana Silvani. C’est grotesque !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est utile, équilibrée et attendue. Elle clarifie, elle encadre, elle protège, en apportant des réponses concrètes aux professionnels et à leurs salariés. Ce texte ne fait pas l’économie de notre histoire sociale,…

Mme Monique Lubin. Non, il crache dessus !

Mme Catherine Vautrin, ministre. … il en est une déclinaison contemporaine et respectueuse. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani, Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 18.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai (n° 777, 2024-2025).

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 1er mai est la fête des travailleurs et non, comme certains à l’extrême droite le prétendent, la fête du travail.

Depuis 1890, la classe ouvrière définit le 1er mai comme une journée d’auto-reconnaissance en tant que classe sociale. Cette journée est l’occasion de rendre visible, sur les scènes locale, nationale et même internationale, la présence massive de ceux qui travaillent et de leurs familles.

Le 1er mai est une fête ouvrière et populaire qui sert de catalyseur, mais aussi de baromètre des mouvements sociaux comme de la conjoncture politique. En France, le 1er mai ne se résume pas à des défilés de cortèges dans les villes ; c’est également l’occasion de rassemblements, de meetings et de moments populaires où l’on chante Le Temps des cerises et où l’on danse dans les bals de village.

Dans le sillage des ouvriers de Chicago, qui avaient manifesté le 1er mai 1886 en faveur de la journée de huit heures, et du 1er mai 1891 à Fourmies, où la répression de la manifestation avait fait neuf morts, dont deux enfants, et plus de trente blessés, cette journée a été inscrite dans l’histoire du mouvement social.

C’est bien cette histoire que le groupe centriste veut rayer d’un trait par cette proposition de loi. Le 13 novembre 2024, le président du groupe Les Républicains du Sénat avait déclaré aux journalistes de Public Sénat que la suppression d’un jour férié était « quelque chose qui pourrait être voté ».

Si le choix du jour férié en question s’est porté sur le 1er mai, c’est parce que c’est le seul qui, de par la loi, est obligatoirement chômé. L’idée que des salariés puissent percevoir une rémunération sans travailler est insupportable pour la majorité sénatoriale comme pour les soutiens du Gouvernement. Si au moins c’était une journée religieuse, ou servant à commémorer une guerre capitaliste…

Au prétexte que cinq boulangeries ont été verbalisées, nous devrions changer le droit qui organise les usages depuis 1947 ! Alors même que ces cinq boulangeries ont toutes été relaxées, le Gouvernement a estimé nécessaire de déclencher l’urgence sur ce texte qui étend les dérogations au jour chômé du 1er mai.

En effet, il importe de rappeler qu’il existe déjà des dérogations au 1er mai, puisque les employeurs qui ne peuvent pas interrompre le travail sont autorisés à poursuivre leur activité ce jour-là. Selon la direction générale du travail, les transports publics, les hôpitaux, les hôtels et les services de gardiennage remplissent naturellement cette condition, de même, d’ailleurs, que certaines industries. Certains ont voulu s’insérer dans la brèche en arguant qu’un restaurant ne pouvait s’arrêter de fonctionner, tout comme les cafés, ce qui est déjà contestable.

Depuis des années, bénéficiant de cette dérogation, les employeurs qui ne pouvaient arrêter de fonctionner ouvraient leur établissement le dimanche. Lorsque la Cour de cassation a exigé des boulangers de démontrer l’impossibilité pour eux d’arrêter de travailler, les premières plaintes sont apparues, lors de la campagne présidentielle de 2007. La tolérance ministérielle a été contredite par la plus haute juridiction de droit civil.

Aujourd’hui, les entreprises exigent donc que soient légalisées leurs pratiques illégales. Cette manière de faire est d’autant plus insupportable que ce texte fait partie d’un ensemble de remises en cause du droit social que mène le Sénat depuis plusieurs années. La guerre idéologique consiste à affaiblir toutes les victoires syndicales de notre pays, qui constituent notre pacte social.

Depuis un an, c’est un festival de la part du groupe centriste : remise en cause du droit de grève dans les transports, création d’une journée de travail gratuite et, aujourd’hui, dérogation au seul jour férié et chômé de l’année !

Au nom de la correction d’une prétendue insécurité juridique, cette proposition de loi était censée permettre aux boulangers et aux fleuristes d’ouvrir le 1er mai. Pourtant, le périmètre retenu dans sa rédaction initiale dépassait largement ce cadre puisque toutes les entreprises autorisées à ouvrir le dimanche, comme les magasins d’ameublement, les supermarchés ou les casinos, auraient été autorisées à faire travailler leurs salariés le 1er mai.

En réalité, derrière le débat sur l’autorisation de faire travailler les salariés le 1er mai se révèle un désaccord, entre nous, sur la vision que l’on se fait de notre société et du droit au repos.

Les modernes seraient ceux qui souhaitent travailler 365 jours par an pour consommer en tout temps et en tout lieu. Pour notre part, nous considérons que les moments sans consommation deviennent déjà trop rares et qu’il faut protéger des temps démarchandisés.

Certains répètent à l’envi que notre société se délite du fait d’un repli sur les individus, au détriment du collectif ; pourtant, en autorisant des dérogations au chômage du 1er mai, vous remettez en cause une journée de repos et de partage en famille et entre amis.

En commission, le texte a été modifié, sur l’initiative du rapporteur, de manière à limiter le bénéfice des dérogations supplémentaires aux commerces de bouche de proximité, aux fleuristes et jardineries, aux cinémas et aux théâtres.

Le rapporteur ne nous a pas fourni d’évaluation du nombre de salariés potentiellement concernés, mais, si l’on cumule les secteurs de l’agroalimentaire et des commerces de détail alimentaire, les boulangers, les fleuristes et les activités culturelles, nous arrivons à près de 1,5 million de salariés affectés par ce texte. (Protestations sur les travées du groupe UC.)

Vous avez beau jeu de nous répondre que les salariés devront être volontaires pour travailler le 1er mai ! Vous avez eu l’air surpris de découvrir, en commission, le principe du lien de subordination. Il s’agit, je le rappelle, de ce rapport particulier qui fait que, lorsqu’un patron demande à un salarié s’il veut venir travailler le 1er mai, celui-ci acceptera par crainte de répercussions négatives. Le volontariat n’existe pas pour les salariés !

On avait prétendu sécuriser de la même manière l’instauration du travail dominical. Eh bien, dix ans après le vote de la loi Macron, le volontariat des salariés qui travaillent le dimanche n’existe pas. Je ne vois pas trace non plus des taxis censés être payés par les employeurs pour ramener chez eux ces salariés ! Même la majoration de salaire de droit le dimanche, qui devait être de 50 %, est descendue à 30 %, voire à 20 %, selon les conventions collectives.

Le travail dominical était censé permettre à la fois aux étudiants de payer leurs études et aux entreprises de gagner plus d’argent. Selon une étude publiée par l’Insee en 2023, intitulée Qui travaillera dimanche ? Les gagnants et les perdants de la déréglementation du travail dominical, le résultat est sans appel : l’ouverture dominicale ne s’est accompagnée d’aucune hausse des effectifs ni du chiffre d’affaires.

Aujourd’hui, vous reprenez le même argument de la rémunération doublée pour justifier l’ouverture du travail le 1er mai. Pourtant, nous avons la démonstration qu’il n’existe pas d’argent magique, qu’il s’agisse du dimanche ou du 1er mai. Nos concitoyens ne consomment pas davantage le dimanche ou le 1er mai parce que les magasins ouvrent leurs portes, puisque les entreprises refusent d’augmenter les salaires !

L’augmentation des salaires, voilà un sujet qui aurait mérité que le Gouvernement dépose un projet de loi et engage la procédure accélérée ! L’augmentation du Smic et l’indexation des salaires sur l’inflation – nous avions proposé ces mesures en février dernier – permettraient d’augmenter le pouvoir d’achat et de dynamiser l’économie.

Mais vous préférez vous attaquer à une journée hautement symbolique dans notre pays. Le 1er mai chômé est une conquête des luttes sociales, acquise en 1947 dans notre pays. Après les dérogations au repos dominical, après le recul de l’âge de départ à la retraite, après la journée de solidarité, voilà que les 35 heures et le 1er mai sont les nouveaux acquis sociaux remis en cause par les groupes Union Centriste, RDPI, Les Indépendants et Les Républicains du Sénat : les mêmes qui vantent depuis des mois le dialogue social au motif de l’organisation du conclave sur les retraites s’attaquent aujourd’hui ouvertement aux organisations syndicales.

Avec l’extension des dérogations, vous détricotez petit à petit le principe du 1er mai chômé, de manière à justifier demain sa remise en cause totale.

Votre objectif final, évidemment non revendiqué, est de voler un jour de congé aux salariés, car vous jugez qu’ils ne travaillent pas suffisamment. Cette vieille rengaine du patronat semble trouver un grand d’écho du côté droit de l’hémicycle !

Je voudrais pourtant rappeler les données de l’OCDE de 2022, selon lesquelles la France se classe sixième en Europe en matière de productivité. Pour nous, l’enjeu n’est pas de travailler plus ; c’est de travailler tous, et dans de bonnes conditions, pour ne pas finir cassés à la retraite.

Cette proposition de loi, inscrite par le Gouvernement à l’ordre du jour de la session extraordinaire de juillet, est une bombe à fragmentation de la société. La prudence et la proportionnalité, si chères aux rapporteurs, auraient dû inciter à l’abstinence, mais vous semblez prêts à affronter une nouvelle colère sociale.

Vous pouvez compter sur le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky pour ne pas céder d’un pouce quand on s’attaque à des acquis sociaux obtenus dans le sang et les larmes. Clara Zetkin voyait dans le 1er mai « l’unique vrai jour de fête du prolétariat exploité et militant, un jour de fête librement voulu et résolu, en antagonisme avec les jours de fête religieux ou laïcs octroyés aux esclaves de l’usine, de la mine et des champs, par la volonté des exploiteurs et des gouvernants. […] Le 1er mai est une fête de l’avenir, une fête révolutionnaire. »

Nous sommes profondément attachés à cette dimension du 1er mai et, comme l’ensemble des organisations syndicales, nous refusons ce texte.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous vous appelons, solennellement, à voter notre motion et à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Il est évidemment défavorable.

Notre volonté n’est pas d’empêcher quiconque de chanter Le Temps des cerises ou d’écouter Jean Ferrat. (Sourires sur les travées du groupe UC.) Nous voulons que le débat ait lieu, afin de démontrer que cette proposition de loi d’Annick Billon et Hervé Marseille est connectée à la vie réelle,…

M. Pascal Savoldelli. On va en parler, de la vie réelle !

M. Olivier Henno, rapporteur. … qu’elle sécurise les employeurs comme les salariés…

M. Pascal Savoldelli. Des salariés, il n’y en a pas beaucoup dans vos rangs !

M. Olivier Henno, rapporteur. … et qu’elle vise simplement à revenir à la situation antérieure aux récentes décisions de justice.

Mes chers collègues, les TPE qui emploient des salariés ne sont pas des esclavagistes ! Le travail n’est pas l’enfer et le lien de subordination n’a pas forcément une dimension maléfique.

Il sera donc intéressant, sur ces bases, d’avoir ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Comme vous pouvez l’imaginer, le Gouvernement est particulièrement défavorable à cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Faire travailler le 1er mai, c’est porter atteinte à la spécificité d’un jour symbolique, façonné par une histoire longue et internationale, dont la portée émancipatrice a traversé les XIXe et XXe siècles.

Le législateur a pour mission non de satisfaire des intérêts économiques particuliers, mais de protéger un temps commun qui, depuis les grèves pour la journée de huit heures – huit heures de loisir ! – jusqu’à sa consécration légale en 1947, rappelle que ce temps libre de toute subordination pour les travailleurs et travailleuses est, dans nos aspirations comme dans les faits, un temps d’émancipation.

Faire travailler le 1er mai au-delà des activités qui ne peuvent être arrêtées, c’est nier l’aspiration qui est à son origine, celle de la réduction du temps de travail, de la libération d’un temps pour l’épanouissement personnel et familial du salarié, d’un temps qui permette de faire ensemble société, faire ensemble classe, dans la majorité des pays.

À Fourmies, en 1891, à la veille de la journée qui vit l’armée ouvrir le feu sur les manifestants, le patronat avait fait placarder une affiche affirmant que « l’on travaillerait le 1er mai comme tous les autres jours ». La volonté patronale de faire travailler le 1er mai n’est donc pas nouvelle !

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est dangereux, car il ouvre une brèche. En cédant à certains établissements, alors que la population sait très bien se passer de leurs services les jours de leur fermeture, on s’expose à une stratégie du pied dans la porte. Le champ de dérogation sera demain élargi.

Faire travailler le 1er mai crée aussi une inégalité entre, d’une part, celles et ceux qui seront, à terme, contraints de travailler – le volontariat étant voué à devenir un leurre – alors que la plupart des services sont fermés et, d’autre part, celles et ceux qui auront la possibilité de se reposer et de participer aux temps sociaux, dont les temps de manifestation.

Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront donc pour cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Voici venu le temps des propositions de loi réactionnelles, pour ne pas dire réactionnaires… Réactionnelles, dis-je, car il suffit que quelques boulangers – cinq pour être exact – n’ayant pas, je le précise, respecté la loi se voient opposer l’obligation de la respecter pour que l’on décide soudainement que, décidément, cette loi ne convient pas et qu’il faut la changer.

Or quel changement propose-t-on ? On voudrait permettre de travailler le 1er mai à un certain nombre d’artisans et de commerçants, lesquels demanderont bien évidemment à leurs salariés de travailler ce jour-là.

Il va tout de même falloir nous expliquer – je ne doute pas de la qualité de la démonstration qui nous sera offerte – pourquoi l’on ne pourrait pas se passer, le 1er mai, d’aller dans une charcuterie acheter un pâté tout juste sorti du four, ou dans une boulangerie où l’artisan ne sera pas le seul à travailler : il aura mobilisé une horde de salariés – l’un des boulangers condamnés, puis relaxés, en avait vingt et un – pour préparer tartes, viennoiseries et salades, tout ce qui se vend aujourd’hui dans les grandes boulangeries. De tout cela, à vous entendre, on ne pourrait absolument pas se passer !

De surcroît, vous osez – la socialiste que je suis a bien compris la manœuvre ! – vous prévaloir de la caution de Martine Aubry ! Mais celle-ci, qui n’était, à l’époque à laquelle vous nous renvoyez, que directrice des relations du travail, a simplement voulu – sous l’autorité de son ministre de tutelle, j’imagine – faire en sorte que les services qui ne peuvent et ne doivent pas être arrêtés, notamment les services de soins, puissent continuer de fonctionner.

Mme la présidente. Merci de conclure, ma chère collègue !

Mme Monique Lubin. J’aurai l’occasion de m’exprimer de nouveau sur ce sujet au fil du débat. Pour l’heure, sachez que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront bien évidemment pour la motion de nos collègues du groupe CRCE-K. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Il est tout à fait nécessaire de clarifier dans la loi la possibilité offerte aux volontaires de certaines professions, comme les fleuristes et les boulangers, de travailler le 1er mai. Il convient aussi, à l’évidence, de préciser les conditions dans lesquelles ce volontariat s’exercera ; tel est l’objet d’un amendement qui sera présenté.

Cette proposition de loi ne remet pas en cause le 1er mai, fête des travailleurs et du mouvement social, en tant que journée fériée et chômée. Mais il serait quand même difficile d’expliquer aux travailleurs volontaires – ce volontariat, je le répète, doit être bien encadré – qu’ils peuvent être sanctionnés pour ce travail. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Il y avait une tolérance en en la matière, mais la multiplication des contrôles et des sanctions impose de clarifier en droit la nature des établissements de commerce exemptés de cette obligation de chômer ; nous devons donc légiférer.

Je suis par conséquent favorable à la proposition de loi de notre collègue Annick Billon, que j’ai cosignée, car elle clarifie la situation et protège les professionnels et les salariés. Je ne voterai donc pas cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera évidemment contre cette motion, que ses auteurs justifient, je dois le dire, par des arguments assez caricaturaux, pour ne pas dire complètement erronés.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quels arguments sont erronés ?

Mme Annick Billon. Le président Hervé Marseille et moi-même, auteurs de cette proposition de loi, sommes attachés au 1er mai chômé et férié. Je le répète, car nous avons été attaqués sur ce point de manière assez incisive. Nous n’ouvrons pas une brèche ; nous sécurisons certaines situations.

Mes chers collègues, quarante ans durant – plus ou moins, en fonction de votre âge –, vous avez acheté du muguet le 1er mai, vous avez acheté du pain le 1er mai,…

Mme Annick Billon. … sans que cela vous pose aucun problème. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Oui, mes chers collègues, je le rappelle, Martine Aubry a sécurisé la situation en 1986 et, depuis lors, pas un seul député ou sénateur, qu’il siège à droite ou à gauche, n’est venu remettre en cause cet équilibre. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Cette proposition de loi a donc pour seul objet de préciser le droit et de sécuriser ces situations.

Mme Cécile Cukierman. Elle n’est pas pour les artisans, votre proposition de loi, elle sécurise seulement les profits des grands groupes ! Il faut assumer !

Mme Annick Billon. Mes chers collègues, à l’évidence, nous ne partageons pas votre vision du travail tirée de Germinal ! C’est pourquoi nous voterons contre votre motion. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous prie de respecter l’expression de chacun des orateurs.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Beaucoup de commentateurs s’escriment à expliquer qu’il n’y aurait plus de gauche, plus de confrontation gauche-droite. Franchement, notre débat illustre bien combien cela est faux.

Il me donne aussi l’occasion, madame la ministre, de rappeler – cela permettra de clarifier les choses – les propos que vous avez tenus en janvier dernier : vous mettiez au débat l’idée de sept heures de travail supplémentaires non rémunérées pour les salariés. C’est bien vrai, madame la ministre ? « C’est une piste qui est sur la table », ajoutait votre collègue chargée des comptes publics. Là est la vérité, le sens réel de cette proposition de loi.

Un autre élément justifie le dépôt de cette motion : le débat s’est déjà tenu, mes chers collègues. Le 20 novembre 2024, les groupes Les Républicains et Union Centriste défendaient un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) inspiré du dispositif de la « journée de solidarité ». C’est cela même qui se retrouve dans cette proposition de loi !

Le sujet n’est donc nullement les boulangeries ou les traiteurs, ni ce que l’on peut acheter ou non le 1er mai. Nous débattons de tout autre chose ! Il me semble d’ailleurs que Mme la ministre l’a tout à fait assumé à la tribune tout à l’heure. Elle a de la cohérence politique, je ne le lui reproche pas : ce qu’elle a annoncé en janvier, elle l’a bien soumis au débat.

Mais je veux inviter à deux réflexions nos collègues de droite et Mme la ministre avant de conclure mon propos.

Premièrement, rappelez-vous la prudence du Premier ministre de l’automne dernier, Michel Barnier, qui est loin d’être un homme de gauche : « Attention, disait-il, on ne peut pas prendre une telle décision sans l’accord des organisations syndicales. » Vous pouvez le vérifier. Eh bien, toutes les organisations syndicales sont opposées à ce texte ; c’est bien pourquoi nous appelons par cette motion à le rejeter.

Deuxièmement, rappelez-vous ce qui s’est passé cette année pour le budget de la sécurité sociale ; je m’en souviens très bien, et ceux de mes collègues qui siègent à la commission des affaires sociales mieux encore. Les amendements visant prétendument à financer l’autonomie par du travail supplémentaire non rémunéré ont été soutenus par les députés du Front national. Cela aussi, vous pouvez le vérifier ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir sur plusieurs points.

Mme la sénatrice Apourceau-Poly, en présentant cette motion, nous a parlé du Temps des cerises et des bals populaires, mais elle a oublié le pain. Pourtant, s’il y a une tradition française qui est toujours mise en avant, c’est bien celle-ci ! Il y a toujours eu, parmi nos concitoyens, des gens qui vont acheter du pain tous les jours. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. On peut l’acheter le 30 avril au soir, le pain !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Le problème que nous avons aujourd’hui, c’est que, alors que cela n’a pas posé la moindre difficulté pendant des années (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), le fondement légal manque désormais de sécurité, la loi n’est pas claire. C’est pour y répondre que cette proposition de loi a été déposée.

Monsieur Savoldelli, par votre interpellation, vous essayez de nous amener sur un tout autre terrain, à savoir celui de la journée de solidarité instituée après la canicule de 2003, quand notre pays devait s’équiper pour faire face au phénomène du vieillissement. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Une question a bien été posée lors de l’examen du PLFSS pour 2025 : celle de l’instauration d’une deuxième journée de solidarité ; cette idée n’a d’ailleurs pas prospéré dans ce cadre. Mais ce n’est pas du tout ce dont il est question aujourd’hui !

La meilleure preuve en est que cette proposition de loi est extrêmement précise quant aux professions qui pourraient bénéficier de la dérogation ouverte. Il s’agit bien d’un dispositif exceptionnel, avec une journée de travail payée double, alors que la proposition à laquelle vous faites référence consistait, à l’inverse, à demander aux gens de travailler une journée de plus sans être rémunérés. Il s’agit d’une logique absolument différente ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Vous suscitez là une grande confusion en évoquant des idées qui n’ont rien à voir avec la proposition de loi de Mme Billon, dont M. le rapporteur nous a exposé le dispositif tout à l’heure.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 18, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste et, l’autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 337 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 101
Contre 225

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner en préambule que cette proposition de loi suscite des interrogations profondes quant à la manière dont nous nous penchons sur la problématique du travail. Là est bien le sujet, car on ne peut pas dénouer le 1er mai de la question du travail et des travailleurs.

Était-il si urgent de discuter ensemble d’une question qui traverse la société tout entière ? Était-ce le bon véhicule ?

Certes, ce débat n’est pas sans légitimité. Je comprends les revendications exprimées par certains commerçants de proximité – boulangers, fleuristes, primeurs – confrontés à des injonctions contradictoires. D’un côté, une tradition commerciale les incite à ouvrir le 1er mai ; de l’autre, ils subissent une insécurité juridique face aux sanctions qu’on leur inflige parfois, alors même que de grandes enseignes ouvrent leurs portes le 1er mai sans que l’État assure réellement le respect de la loi.

La demande des professionnels, c’est qu’il y ait une stricte égalité de traitement entre les commerces et entre les territoires, qu’il n’y ait pas de régime factuel d’exemption, hors de la loi. Ils identifient une demande de consommation sur la journée du 1er mai, donc une perte de chiffre d’affaires potentiel. Cette éventuelle perte ne doit pas peser sur les seuls volontaristes qui, sans contrôle, respectent la loi.

Malgré la prégnance de l’enjeu, il me semble que cette proposition de loi divise outre mesure, alors qu’il nous faudrait au contraire trouver ici de la concorde.

Ce que vous sous-entendez, mes chers collègues, c’est que le 1er mai serait caduc. Les valeurs qui sont au cœur de cette fête ne seraient plus d’actualité.

Pourtant, il y a des dates dans notre calendrier républicain qui relèvent non pas simplement de l’organisation du travail, mais de la mémoire collective. Le 1er mai en fait partie. C’est cette mémoire sociale que la République a sanctuarisée en 1947, en faisant de cette date le seul jour férié obligatoirement chômé et payé.

C’est bien ce socle symbolique que ce texte, même amendé, vient fragiliser. En instaurant un régime de dérogation pour certaines activités commerciales, il modifie ce qui, jusqu’ici, faisait l’unité du 1er mai, donc l’unité du corps social des salariés.

Certes, la proposition est encadrée : les secteurs concernés sont restreints, le volontariat est exigé, une majoration salariale est prévue. Mais l’histoire du droit du travail nous a appris que les dérogations finissaient souvent par devenir la norme. Le travail dominical, auquel j’étais d’ailleurs opposé en tant qu’employeur – je dirigeais quelques magasins –, en est l’exemple le plus évident.

Ce risque s’accentue à une époque de net recul du syndicalisme. Cette réalité affaiblit le dialogue social, réduit la capacité de négociation des salariés et rend plus fragile encore l’effectivité du volontariat, notamment dans les petites structures.

Pour conclure, je reconnais la valeur du travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M. Olivier Henno, qui a exclu une assimilation au régime du dimanche.

Franchement, je ne suis pas arc-bouté contre ce texte, et je ne veux pas esquiver cette question, mais un véritable débat national doit être ouvert, comme sur tant d’autres sujets : la dégradation des conditions de travail – j’ai une pensée particulière pour les travailleurs agricoles, en ces journées caniculaires –, l’attractivité des métiers du social, ou encore l’ubérisation du travail.

Surtout, le législateur ne saurait passer outre la démocratie sociale. Court-circuiter les corps intermédiaires aboutirait à une décision non concertée, donc non acceptée. Preuve en est la réaction face à la réforme des retraites et l’enlisement que l’on connaît.

C’est pourquoi, reconnaissant les intentions d’apaisement exprimées par les commissaires aux affaires sociales et refusant tout dogmatisme, les membres du RDSE voteront, comme à l’accoutumée, selon leurs convictions. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues,

« Le premier mai, c’est pas gai,

« Je trime, a dit le muguet. »

En quelques mots, non sans humour, Georges Brassens pointe le paradoxe d’un symbole de bonheur qui travaille plus que les autres en ce jour de repos.

Le 1er mai n’est en effet pas un jour ordinaire dans notre calendrier. Il est le seul jour à la fois férié, chômé et intégralement payé. Il est inscrit dans notre mémoire collective comme un repère historique et symbolique. Il est en même temps une conquête sociale, une tradition culturelle, un moment de pause pour le pays tout entier.

Vous l’imaginez aisément, je ne suis pas une habituée des défilés syndicaux ni des cortèges du 1er mai, de leurs mots d’ordre revendicatifs et de leurs slogans brandis à bout de bras. Ce n’est pas là ma culture.

Pourtant, ce n’est pas parce que l’on ne manifeste pas que l’on ne respecte pas la portée historique de cette date. Le 1er mai, c’est aussi l’occasion de rendre hommage aux grandes avancées obtenues par les travailleurs au fil des décennies : la journée de huit heures, la protection sociale, les congés payés.

Cette journée, partagée par de nombreux pays, est le fruit d’une histoire ouvrière internationale, d’un héritage forgé dans les luttes sociales de la fin du XIXe siècle, de Fourmies à Chicago. Elle s’est imposée comme un moment de mémoire militante, de fierté pour ceux qui, dans les usines, les bureaux, les ateliers, ont posé les bases de notre droit du travail. Il est légitime de le connaître et de le faire connaître.

Le 1er mai, ce n’est pas seulement la mémoire des luttes. C’est aussi, pour beaucoup de Français, un jour de retrouvailles familiales ou amicales, à l’occasion duquel nous célébrons la saison nouvelle et où le brin de muguet s’échange comme symbole de renouveau.

Ce double visage du 1er mai, jour de combat et jour de fête, nous oblige à rechercher une position d’équilibre. Cette exigence, que nous partageons largement dans cet hémicycle, se heurte aujourd’hui à un vide juridique, source de confusion, qui pénalise injustement certains professionnels et qui ne rend service ni aux salariés, ni aux employeurs, ni aux usagers.

Nous avons tous en tête les sanctions prononcées ces derniers mois à l’encontre de boulangers ayant fait travailler leurs salariés le 1er mai pour pétrir leur pâte, ouvrir leur commerce et vendre du pain. Ces artisans ne demandaient pas un traitement de faveur, ils pensaient simplement agir dans le prolongement d’une tolérance ancienne, jamais formalisée dans la loi, mais réaffirmée encore dans une position ministérielle de 1986. (Mme Monique Lubin le conteste.) Cette tolérance a été balayée par la jurisprudence de la Cour de cassation de 2006, sans qu’un cadre clair vienne la remplacer.

C’est à cette situation que la présente proposition de loi entend répondre. Aussi, je remercie vivement Annick Billon et Hervé Marseille de leur initiative rapide et Olivier Henno de ses contributions précieuses.

Ce texte entend restaurer le bon sens et la cohérence. Il permettra de sécuriser les pratiques et de reconnaître que certaines activités, du fait de leur lien avec la vie quotidienne, la culture ou les usages traditionnels, peuvent justifier une dérogation.

Dans cette optique, qui, mieux que les boulangers, incarne cette culture française du bon sens ?

La baguette de pain n’est pas une denrée comme une autre. Elle fonde notre art de vivre à la française, elle est au cœur de notre identité culturelle, de notre imaginaire collectif, jusqu’à avoir intégré récemment le patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Elle rythme nos repas, elle accompagne nos moments de fête comme nos jours ordinaires. Ce sont 6 milliards de baguettes qui sont vendues chaque année dans notre pays, soit 320 baguettes chaque seconde. À l’étranger, le Français se définit non seulement par son béret, mais aussi, et surtout, par sa baguette sous le bras. Faut-il vraiment rappeler que la France ne cesse jamais d’être la France, pas même le 1er mai ?

Il y a également le muguet, fleur modeste, mais porteuse de sens. Ce brin symbolique que l’on offre en signe d’amitié, d’amour, d’espoir. Ce geste remonte à Charles IX : touché d’avoir reçu un brin de muguet lors de sa campagne dans la Drôme, il décida, pour la première fois en 1561, d’offrir à son tour un brin de muguet aux dames de la cour en guise de porte-bonheur. Ce petit geste, porteur de grandes intentions, s’est ancré dans nos traditions et sert à témoigner à nos proches qu’ils nous sont chers.

Aujourd’hui, le temps a passé, mais le geste est resté. Le 1er mai, nos rues s’emplissent de ces vendeurs non professionnels tolérés par la force de la tradition. Pendant ce temps, nos fleuristes, eux, devraient rester porte close sous peine de sanction ?

Pour autant, nous devons poser des limites claires. C’est d’ailleurs en cela que le texte a été utilement précisé par la commission. Il s’agit d’accorder une dérogation non pas à tous les établissements concernés par le repos dominical, mais uniquement à ceux dont l’activité est particulièrement liée à cette date, à ses usages, à ses attentes.

C’est une manière de prévenir une dérive progressive, où, par effet d’appel, d’autres secteurs demanderaient à leur tour à travailler le 1er mai : bricolage, ameublement, mode… Il serait tentant pour certains d’ouvrir cette porte, mais cela conduirait à affaiblir le sens même de cette journée. Nous devons, je le crois, résister à cette pente glissante.

De la même manière, faisons confiance à l’intelligence du terrain. Rien n’empêchera un artisan boulanger ou un fleuriste, s’il le souhaite, de limiter volontairement son activité au matin du 1er mai, afin de permettre à ses salariés de profiter, eux aussi, d’un temps de repos l’après-midi.

Un autre point mérite d’être souligné : la consécration législative du volontariat. Elle constitue une avancée importante. (Mme Monique Lubin sexclame.)

Travailler le 1er mai ne pourra se faire que sur la base d’un volontariat clair, explicite, formalisé. C’est une condition sine qua non. Nous savons en effet à quel point le volontariat peut, dans certaines situations, être biaisé. Sous la pression, même implicite ou inconsciente, d’un employeur, le salarié peut s’autocensurer et sa liberté être entravée. C’est pourquoi il est essentiel que le principe de volontariat s’inscrive dans un cadre juridique vérifiable, afin de ne pas être une simple déclaration d’intention.

Cela étant, lorsqu’il est réel, ce volontariat est souvent recherché. Nombreux sont les jeunes, les étudiants, les salariés modestes qui souhaitent pouvoir travailler ce jour-là. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) En effet, les heures sont mieux rémunérées : il s’agit alors souvent d’un complément de revenu non négligeable dans des secteurs où les rémunérations demeurent faibles. Pourquoi ne pas leur laisser cette liberté, dès lors que le choix est librement consenti ?

Pensons également aux employeurs. Le chiffre d’affaires des artisans fleuristes dégagé ce jour-là par la vente de muguet est estimé à 19,4 millions d’euros. Pour nombre de petits artisans, cette journée représente une part décisive de leur activité annuelle.

La boulangerie traditionnelle, elle aussi, est un secteur en difficulté. Le nombre de baguettes vendues a chuté de manière spectaculaire : sept fois moins qu’il y a un siècle. La hausse des coûts de l’énergie, des matières premières, la concurrence des zones commerciales et de la grande distribution, les fermetures dans les centres-villes : tout cela fragilise nos artisans.

Dans ces conditions, pourquoi imposer, en plus, à ce secteur une contrainte incomprise, un interdit abscons, là où, jusqu’à présent, le bon sens prévalait ?

En outre, il est bienvenu que, en ce jour de repos collectif, les établissements à vocation culturelle puissent rester accessibles, offrant ainsi aux Français la possibilité de se retrouver autour d’un film, d’un spectacle, d’une exposition, dans un esprit de partage et de transmission.

Il y va enfin de la proportionnalité des peines, de la cohérence de notre droit et de l’acceptabilité de nos règles. Peut-on sérieusement accepter qu’un commerçant, parce qu’il a ouvert sa boutique, se voie infliger une amende de 750 euros par salarié, alors qu’un casseur ayant brisé la vitrine de ce même établissement à l’occasion d’émeutes écope d’une amende de seulement 500 euros ? (Exclamations indignées sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) Ce type d’incohérence ne renforce ni l’autorité de la loi ni la confiance des citoyens.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Jocelyne Guidez. Mes chers collègues, faisons le choix d’un texte de bon sens, qui repose sur la conviction que la liberté, lorsqu’elle est encadrée, volontaire et mesurée, est compatible avec le respect des traditions.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans Une Simple Promenade, Jules Romains écrivait à propos du 1er mai 1909 : « Par bonheur pour l’ordre, ce Premier Mai tombe un samedi, et ce samedi est jour de grande paye. Ne passeront ce soir à la caisse que ceux qu’on aura pointés à l’atelier. Pour chômer cette fois-ci, il faut plus de courage qu’à l’ordinaire. »

Le texte que nous examinons aujourd’hui propose de revenir à la situation de 1909. (Mme Annick Billon proteste.) Il retourne 100 ans en arrière, quand les salariés devaient choisir entre la participation aux mobilisations syndicales du 1er mai ou l’obligation d’aller travailler.

Comme souvent lorsqu’il s’agit de s’attaquer à un acquis social, la première version est grossière. Ensuite, par une manœuvre de repli, le rapporteur propose un texte en apparence équilibré. En réalité, l’objectif politique recherché dans la première version demeure et le texte modifié en commission n’est que le cheval de Troie de la remise en cause du 1er mai férié et chômé. (Mme Annick Billon sexclame.)

Sous des allures plus raisonnables et atténuées, ce texte n’en demeure pas moins extrêmement dangereux pour les droits des salariés.

Bien sûr qu’ajouter que les salariés qui travailleront le 1er mai ne le feront que sur la base du volontariat et que le montant du salaire sera doublé ce jour-là est une amélioration par rapport à la version initiale. Reste que ce sont des leurres pour les salariés qui seront appelés à venir travailler le 1er mai.

Le volontariat des salariés est une illusion lorsque les travailleurs et les travailleuses sont placés dans un rapport de subordination. Le lien de subordination se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le lien de subordination est le même pour tous les salariés, qu’ils soient épanouis ou non dans leur travail.

La conséquence, c’est l’impossibilité pour les salariés de choisir librement d’aller travailler le 1er mai si leur employeur le leur demande. Par conséquent, les contreparties prévues n’en sont pas.

Si je reprends les arguments des auteurs de cette proposition, ce texte devrait apporter une solution à l’insécurité juridique des boulangers et des fleuristes. On pourrait déjà s’arrêter sur les glissements sémantiques…

En premier lieu, les boulangers et les fleuristes ont déjà la possibilité d’ouvrir leur boutique sans avoir recours à leurs salariés. Les commerces sont autorisés à ouvrir le 1er mai ; en revanche, il est interdit aux patrons de faire travailler leurs salariés.

En second lieu, le périmètre de la proposition de loi n’est pas limité aux commerces liés à un usage traditionnel du 1er mai, il englobe aussi les commerces de bouche de proximité et les établissements du secteur culturel.

Vous prenez le prétexte des boulangeries et des fleuristes, mais vous étendez les dérogations aux supérettes, aux bureaux de tabac et aux cinémas.

Ce ne sont pas les petits artisans qui rencontrent des difficultés qui gagneront de l’argent le 1er mai, ce sont les grands groupes du secteur : Brioche dorée, Fnac, Interflora, j’en passe !

Mme Annick Billon. C’est faux !

Mme Silvana Silvani. Brioche dorée, c’est 800 000 euros de chiffre d’affaires par point de vente, soit un total de 242 millions d’euros en 2024. Notre histoire sociale doit-elle être sacrifiée pour que l’empire Brioche dorée dépasse les 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2026 ?

En résumé, ce texte constitue une brèche inacceptable contre le 1er mai.

Vous banalisez les exceptions pour en faire la norme et vous prenez prétexte de la défense de l’artisanat local pour autoriser les chaînes de boulangeries à ouvrir le 1er mai.

Enfin, ce texte repose sur une vision de la société dans laquelle il faudrait privilégier l’ouverture des commerces et la consommation au détriment de la vie familiale et de la santé des salariés.

Mme Annick Billon. C’est faux !

Mme Silvana Silvani. Je rappelle que 60 % des travailleurs dans le secteur du commerce sont des femmes. (Mme Annick Billon sexclame.) Vous proposez donc que, le 1er mai, des femmes soient obligées de travailler et perdent du temps en famille.

L’intersyndicale, unanime, ne s’y est pas trompée en dénonçant dans un communiqué commun une proposition de loi qui attaque le 1er mai, seul jour chômé et payé.

En conclusion, le groupe CRCE-K votera contre ce texte qui remet en cause un acquis de 140 ans de luttes sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon son intitulé, cette proposition de loi vise « à permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai », mais la formulation est inversée : il s’agit plutôt de permettre aux employeurs de faire travailler leurs salariés le 1er mai !

Les employeurs artisans et commerçants, bouchers et boulangers, ont déjà la possibilité d’ouvrir ce jour-là de façon légale en tant qu’indépendants, sans qu’une dérogation soit nécessaire.

Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est exact !

Mme Raymonde Poncet Monge. Ils ferment certains jours chaque semaine, mais, pour le seul jour de l’année obligatoirement chômé par les travailleurs, ce jour si particulier, ils sollicitent le législateur pour pouvoir y déroger.

Il n’est pas de petite remise en cause du 1er mai. En introduisant quelques exceptions et en faisant prévaloir des intérêts particuliers, on fait tomber d’un seul coup la spécificité et la dimension unique de cette journée.

Ce serait une attaque symbolique contre une histoire qui a traversé deux siècles, devenue journée internationale, car son sens profond est né d’une aspiration universelle à l’émancipation du monde du travail, à des temps pour l’épanouissement personnel et familial et pour faire société et classe ensemble.

Ce serait une attaque juridique. Répondant à une demande patronale qui n’est pas nouvelle, l’objectif du texte que nous examinons est de rendre légales des pratiques illégales.

Mme Raymonde Poncet Monge. Si une tolérance a parfois été mobilisée, elle n’a rien de juridique. La Cour de cassation, dans une décision de 2006, a indiqué qu’il appartenait au commerçant « d’établir que la nature de l’activité exercée ne permet pas d’interrompre le travail le jour du 1er mai ». En effet, le 1er mai est obligatoirement chômé, sauf impossibilité d’interrompre le travail. C’est ce qui fonde sa spécificité.

Hormis ces cas, l’employeur est passible d’une amende « autant de fois qu’il y a de salariés indûment employés », car il s’agit de protéger la signification essentielle du 1er mai.

La rédaction initiale du texte tendait à substituer à la définition propre au 1er mai celle de la dérogation au repos dominical. Prenant partiellement en compte le problème, la commission a réécrit cet article, ce dont nous prenons acte, mais elle a en fait accolé les deux définitions pour justifier des dérogations, circonscrites dans un premier temps à certains secteurs.

Pourtant, les modalités de dérogation au repos dominical et celles qui sont relatives au 1er mai demeurent antinomiques. C’est le problème !

Si cette nouvelle rédaction de l’article unique maintient bien la première partie de l’article L. 3133-6 du code du travail – seuls sont autorisés à faire travailler leurs salariés les établissements et services qui « ne peuvent interrompre le travail » –, elle tend à ajouter une seconde partie pour élargir cette autorisation à certains établissements qui pourraient pourtant « interrompre le travail »…

Ce compromis n’a pas de sens et ne trouve pas sa justification dans la nécessité impérieuse de répondre aux besoins du consommateur. L’argument des besoins du public, souvent mobilisé, est un construit social. Du pain frais serait donc indispensable aux Français le 1er mai ?

Voilà qui nous oblige à définir ce que sont les besoins. Je rappelle que l’objectif même du consumérisme est d’en créer toujours de nouveaux, prétendument essentiels, qui découlent de la possibilité de les voir assouvis.

Les établissements dont l’ouverture est essentielle, voire vitale, fonctionnent déjà le 1er mai. On argue que ne pas consommer un jour serait une frustration insupportable. N’est-ce pas plutôt de l’aliénation face au 1er mai, journée d’émancipation ?

Nous déplorons un recul politique. Au travers de cette proposition de loi, c’est une vision de la société qui tente de s’imposer.

C’est le symptôme d’une logique qui place les intérêts des employeurs au-dessus des droits des salariés.

C’est le symptôme d’une société qui, pendant vingt-quatre heures, ne peut s’arrêter de consommer des biens non essentiels (Mme Annick Billon sexclame.), pour un temps collectif qui fait sens et société. Comme hier avec la libéralisation du travail du dimanche, l’exception deviendra la règle, jusqu’à vider le 1er mai de sa signification.

Il est à prévoir une multiplication à terme des autorisations qui, mises bout à bout, déconstruiront le seul jour férié obligatoirement chômé et payé, fruit de l’histoire du mouvement social et de son aspiration à l’émancipation. Toutes les organisations syndicales de salariés sont vent debout contre votre proposition !

In fine, cette proposition de loi est une attaque multiforme contre le monde du travail, contre les droits des salariés, leur droit à avoir une journée pour eux, c’est-à-dire un jour libre protégé des multiples désarticulations des temps, leur droit à manifester et à faire classe ensemble, leur droit à pouvoir articuler vie professionnelle et vie familiale. On le sait, le volontariat demeure un leurre qui nie l’asymétrie de la relation de travail.

Ce texte se place dans le sillon de réformes qui détricotent peu à peu le code du travail et qui sont d’ailleurs souvent dénoncées lors des manifestations du 1er mai.

Le groupe GEST votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par m’adresser à mes collègues de la majorité sénatoriale.

Mes chers collègues, je m’étonne de vous voir, vous qui ne cessez de monter au créneau contre des séparatismes divers et variés, travailler à mettre en place un outil supplémentaire de fragmentation de la société française, dans l’oubli des rythmes de la vie collective.

Je suis également surprise, alors que vous proclamez votre attachement au paritarisme et au rôle des partenaires sociaux, de constater que vous vous attaquez à un jour férié, chômé et payé, emblématique pour les syndicats de travailleurs et indispensable à leurs actions collectives. Pourtant, vous savez qu’ils se sont unanimement prononcés contre cette proposition de loi.

Comme j’ai déjà pu le souligner au cours de nos débats sur la réforme des retraites, il est vrai que ce sont souvent les syndicats patronaux qui ont vos faveurs et que seul vous préoccupe le succès de leurs revendications.

Le travail salarié ne peut être nourrissant pour chacun qu’à la condition que la place des travailleurs soit reconnue dans l’appareil productif. Il en va de même pour la participation qui doit être la leur dans le façonnement de leur outil et cadre de travail.

Ce sont les mouvements sociaux et les luttes collectives qui le permettent. Leur action a débouché sur des dispositions législatives telles que les lois Auroux de 1982. Nous revenons de loin ! Rappelons que, en 1899, dans Action socialiste, Jean Jaurès affirmait : « Le travail devrait être une fonction et une joie ; il n’est bien souvent qu’une servitude et une souffrance. »

C’est en souvenir de ce passé pas si lointain, dont nous refusons le retour, et au nom du respect des travailleurs que nous sommes opposés à la désanctuarisation du 1er mai. Nous ne voulons pas voir ce jour chômé sacrifié sur l’autel d’une consommation reine, face à laquelle tous nos repères et temps communs devraient inexorablement céder le pas.

Le 1er mai, c’est le respect des travailleurs, du temps qui leur est nécessaire pour penser et organiser leur action collective. Le temps alloué pour ce faire, sur lequel vous nous proposez de revenir, n’est déjà pas très important, mes chers collègues !

Consacrer ce jour non travaillé et payé signe la volonté de pérenniser un investissement consenti par la collectivité et les entreprises en faveur des forces productives du pays.

C’est reconnaître que les rythmes imposés par le travail dans toutes les organisations doivent être modelés en prenant en compte les besoins du travailleur. Sa place dans la société et sa contribution doivent également être reconnues.

Le 1er mai est un temps partagé qui nous permet de faire société, l’une des conditions nécessaires à des combats sociaux féconds pour tous.

Dans l’un de ses articles, Alain Supiot souligne ainsi que « le temps sert à rythmer le travail des hommes, à leur imprimer des cadences et des horaires communs. […] Cette synchronisation de la vie des travailleurs engendre mécaniquement deux types de solidarités ».

Il s’agit, d’une part, de la solidarité qui se noue entre les travailleurs subordonnés aux mêmes horaires et cadences. C’est ce que le chercheur appelle « solidarité de travail, d’organisation et de lutte ». Nous en avons collectivement besoin : les temps désynchronisés, c’est aussi ce qui affaiblit le syndicalisme et le paritarisme.

Il s’agit, d’autre part, d’une « solidarité entre le temps du travail et le temps de la cité », le second étant tributaire du premier.

Comment faire société et lutter quand plus aucun espace temporel n’est préservé pour permettre aux travailleurs de se retrouver ? C’est pourtant à cela qu’œuvre cette proposition de loi.

Bérénice Bauduin, maîtresse de conférences en droit social à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, a apporté sur France Culture un éclairage intéressant sur la démarche législative qui a donné naissance à ce texte. Elle observe ainsi que, dans sa version initiale, « cette proposition de loi fait une sorte de copier-coller à partir de ce qui existe pour les dérogations au travail le dimanche pour l’importer au travail le 1er mai. Mais en réalité, c’est substituer une définition à une autre, puisqu’on passe de la définition sur l’activité qui ne peut s’interrompre aux besoins du public : or, les besoins du public sont larges ».

En raison de son caractère extensif, l’introduction de la notion de « besoins du public » à l’article L. 3133-6 du code du travail était un véritable cheval de Troie visant le 1er mai chômé et payé. C’est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, vous avez souhaité y remédier, mais vous n’avez que partiellement renoncé aux définitions imprécises. En effet, vous avez choisi de dresser la liste de tous les établissements qui disposeraient d’une dérogation pour le 1er mai chômé.

Pourtant, l’amendement que vous avez fait adopter en commission maintient le flou de la proposition de loi initiale. Je fais d’ailleurs remarquer que ce flou est aussi à mettre sur le compte de l’état du droit existant concernant le 1er mai, qui sert de justification au texte que nous examinons.

Dans cet amendement, il est question des « établissements dont l’activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne sait pas très bien à quoi renvoie ce « besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai » et que cela ouvre un large champ à l’interprétation.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui établit en tout état de cause une forme d’équivalence entre le 1er mai et le repos dominical. Cela n’a pourtant rien à voir !

Le repos dominical, qui a été malheureusement attaqué dès 2008, est inscrit dans le code du travail et repose sur le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il s’agit de soustraire un jour de la semaine au productivisme et au capitalisme et de permettre aux travailleurs de bénéficier d’un temps pour eux en tant que personnes privées.

Le 1er mai, c’est autre chose : c’est un jour dans l’année chômé et payé, qui permet à ceux qui constituent l’essentiel de ce qu’est l’entreprise, où ils ont rarement le pouvoir alors qu’ils y passent leur vie, de se consacrer à eux-mêmes en tant que classe, celle des travailleurs.

Dans un ouvrage portant sur les mobilisations sociales, Danielle Tartakowsky souligne que le 1er mai est « la conquête d’une parcelle de temps par les travailleurs eux-mêmes à la faveur de la grève, leur appropriation d’une parcelle de liberté ». Ainsi, « le geste de cesser symboliquement le travail transfigure […] le 1er mai. Il marque l’autodétermination de l’ouvrier qui s’approprie de son seul vouloir, le temps d’une fête dont il détermine les formes, la possibilité d’une alternative imposée pour s’opposer au capitalisme et à ses maux ».

Lors du congrès de Bruxelles d’août 1891, qui a réuni 337 délégués de quinze nations, il a été fait le choix de refuser le report au dimanche le plus proche du 1er mai de cette journée de luttes liées notamment aux aspirations des ouvriers à la journée de travail de huit heures. Danielle Tartakowsky rappelle également que, dans le cadre de ce congrès, le 1er mai est qualifié de « célébration ».

De célébration, il ne serait pourtant plus question si cette proposition de loi était adoptée !

Mes chers collègues, vous nous proposez d’introduire une véritable brèche dans l’article du code du travail qui régit ce qui a trait au 1er mai. Nul doute que d’autres droits des travailleurs pourraient suivre après ce premier pied dans la porte.

D’ailleurs, les travailleurs ne seraient pas les seules victimes de votre démarche.

Approfondissant son propos, Bérénice Bauduin a ainsi noté un décalage entre ce qui était annoncé par les sénateurs qui défendaient la proposition de loi initiale, à savoir favoriser le commerce de proximité, et les possibilités qu’ouvrait en pratique ce texte. En effet, rien ne garantit que les établissements recensés soient les bénéficiaires exclusifs du dispositif législatif envisagé.

L’amendement que vous avez fait adopter en commission ne le garantit pas non plus, monsieur le rapporteur. L’expression « établissements dont l’activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai » est en effet peu utile dans cette optique.

Il en est de même des spécifications relatives aux autres établissements pouvant continuer leurs activités le 1er mai, à savoir « les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate », « les autres établissements dont l’activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail » et « les établissements exerçant une activité culturelle ».

Oui, il y a un fossé entre les cinq boulangers vendéens,…

Mme Annick Billon. Pas seulement vendéens !

Mme Monique Lubin. … au nom desquels ce texte a été déposé dans la hâte, et l’ensemble des commerces susceptibles d’être ouverts le 1er mai, si ce texte, dont les dispositions ressemblent à un inventaire à la Prévert, venait à être adopté. Ainsi, des élus qui se disent soucieux des territoires vivants et des centres-bourgs florissants se retrouvent dans une démarche qui va à l’opposé de leur profession de foi.

Cerise sur le gâteau, les femmes sont souvent majoritaires dans les activités qui pourraient être concernées par l’ouverture de certains établissements le 1er mai. La constance et la cohérence qui conduisent à s’en prendre systématiquement aux mêmes, les plus vulnérables des travailleurs, dénotent une ligne idéologique sans merci à laquelle nous refusons absolument de souscrire.

Je conclus mon propos en rappelant la mémoire ouvrière attachée à la sanctuarisation du 1er mai en journée des travailleurs pour les travailleurs, notamment les assassinats qui ont été commis dans le cadre de la fusillade de Fourmies, dans le Nord, le 1er mai 1891. Le bilan de cette journée fut sans appel : trente-cinq blessés, mais surtout neuf morts parmi lesquels deux enfants.

Lors du Congrès de Paris en 1889, l’Internationale ouvrière a fait du 1er mai une journée de revendication internationale pour réclamer la journée de huit heures.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Monique Lubin. C’est dans cette droite ligne que s’inscrivait la journée qui s’est finie dans le sang à Fourmies : la manifestation avait été pensée par les travailleurs pour être festive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, le code du travail ne reconnaît qu’un seul et unique jour férié légal qui soit chômé et payé : le 1er mai, fête des travailleurs et du mouvement social.

La loi est claire : ce jour-là, le travail est proscrit. Pourtant, depuis les années 1980, grâce à une tolérance de l’administration, certains commerces pouvaient ouvrir boutique et faire travailler leurs employés volontaires.

En contradiction avec cette tradition bienveillante, plusieurs boulangers et fleuristes de bonne foi ont été sanctionnés pour avoir ouvert leur commerce le 1er mai 2024. Comment expliquer que la fête du travail puisse entraîner la verbalisation de travailleurs volontaires ? Les employeurs, pour ouvrir leur commerce, ont parfois, bien sûr, besoin de salariés volontaires.

Ces contrôles particulièrement malvenus ont donné lieu à des amendes ayant pu atteindre 1 500 euros par salarié. Imaginez les conséquences désastreuses pour ces petits commerces. Je pense notamment aux fleuristes : la vente du muguet ce jour-là représente en moyenne un dixième de leur chiffre d’affaires annuel.

Si la tolérance qui prévalait depuis des années n’est plus d’actualité, il revient au législateur d’intervenir. Tel est l’objet de cette proposition de loi qui apporte plusieurs précisions nécessaires pour sécuriser juridiquement les quelques commerçants concernés, tout en préservant le 1er mai comme il est aujourd’hui pour les travailleurs. Le texte clarifie le droit et la nature des commerces et des établissements exemptés des dispositions relatives au 1er mai, en les listant de façon précise et spécifique.

Cette liste, qui sera évidemment soumise au Conseil d’État, comprend les petits commerces alimentaires, les établissements à caractère culturel et les établissements dont les activités sont liées aux traditions du 1er mai, c’est-à-dire les fleuristes. Cela permettra à ces commerçants d’accepter l’aide de leurs salariés volontaires pour travailler ce jour-là.

Les modifications apportées au texte par le rapporteur en commission des affaires sociales me semblent aller dans le bon sens et sont protectrices.

L’objectif de ce texte est non pas de changer la nature du 1er mai, mais de l’adapter à la réalité actuelle. Le principe fondamental du volontariat demeure. Quant aux indemnités versées aux salariés concernés, elles ne changeront pas et seront précisées par voie d’amendement.

Ce texte, dont je suis cosignataire, introduit des modifications précises et actualise le cadre juridique pour répondre aux besoins de la population. Le travail ne doit pas devenir un risque pour ces commerçants.

Nous sommes favorables au droit au travail. Ce droit est une liberté qui ne peut et ne doit être restreinte. Nous avons en France assez de petits commerces, de boulangers, d’artisans fleuristes, de petits cinémas qui connaissent des difficultés économiques. Notre mission est de les écouter, ainsi que ceux de leurs salariés qui sont volontaires.

Les dispositions de cette proposition de loi sont pragmatiques et légitimes. Ce texte n’est pas, contrairement à ce que j’ai entendu dire, contre le monde du travail. Il apporte une clarification nécessaire et responsable. Jamais personne ne devrait être pénalisé pour avoir voulu travailler, dès lors que cela répond à un besoin de la population.

Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pauline Martin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai un rêve, le même que le président Pompidou, qui disait : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! » (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Après avoir été saisie par les petits commerçants du Loiret le 30 avril dernier, je m’étonnais, lors des questions d’actualité au Gouvernement, des risques d’excès de zèle de l’État lors des contrôles chez les artisans boulangers et fleuristes ouverts le 1er mai. Je souhaitais que les inspecteurs profitent de cette journée ensoleillée pour acheter fleurs et baguettes sans contrôle ni verbalisation… J’indiquais alors que nous comptions sur le Gouvernement pour l’action réglementaire et que vous pouviez compter sur nous pour l’action législative. Nous y sommes.

Quel dommage, cependant, de devoir en passer par une proposition de loi permissive pour mettre en œuvre des mesures qui découlent du simple bon sens !

Mme Monique Lubin. « Permissive » ?

Mme Pauline Martin. À l’heure où l’État invite les Français à travailler plus afin de soutenir notre économie en berne et d’assurer nos retraites, il est temps de préserver la liberté des salariés volontaires de travailler lors d’une journée fériée, chômée, ouvrant droit à une rémunération bonifiée. (Mme Raymonde Poncet Monge sexclame.)

Si les parlementaires excellent dans l’art des propositions de loi, c’est aussi, mais pas seulement, parce que notre société procédurière se noie dans les réglementations au nom de la sacro-sainte liberté de chacun. Même si le code du travail a pris un embonpoint inquiétant, la valeur travail n’a jamais été aussi menacée, décriée et remisée, au profit d’une société dite de loisirs, qui exige de pouvoir manger sa baguette même le 1er mai.

M. Pascal Savoldelli. Tout cela au profit du capital !

Mme Pauline Martin. Je remercie mes collègues Annick Billon et Hervé Marseille, qui ouvrent la voie à une autorisation de travailler pour les boulangers et les fleuristes qui le souhaitent.

Loin de constituer un recul social, cette proposition de loi est un acte de confiance envers nos artisans, un acte de liberté et de cohérence pour ceux qui veulent travailler sans mettre tout le monde dans le pétrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Annick Billon vise à permettre aux salariés de certains établissements et services, au premier rang desquels les boulangeries et les magasins de fleurs, de travailler le 1er mai, jour de la fête du travail, des travailleuses et des travailleurs. Elle a plus précisément pour objet de lever l’insécurité juridique qui pèse, depuis un arrêt de la Cour de cassation de 2006, sur plusieurs secteurs d’activité traditionnellement ouverts ce jour-là.

Cet arrêt a en effet remis en cause une position ministérielle ancienne, réaffirmée en 1986 par la directrice des relations du travail de l’époque, Martine Aubry, qui prévoyait jusque-là une dérogation au caractère chômé du 1er mai pour les services et les établissements dérogeant déjà au repos dominical.

Depuis trois ans, les contrôles des services de l’inspection du travail se multiplient, renforçant l’incompréhension tant des employeurs que des salariés et nourrissant un profond sentiment d’injustice, en particulier chez les fleuristes. Comment expliquer, en effet, que les magasins de ces derniers restent fermés ou fonctionnent au ralenti, faute d’employés présents, quand la vente de muguet par les particuliers est tolérée partout ailleurs ?

Plusieurs dizaines de boulangers ont ainsi été verbalisés ces dernières années en Vendée, en Charente, à Paris et à Lyon. La presse s’en est fait largement l’écho. Le montant total des amendes infligées – 750 euros par salarié – se chiffre parfois en milliers, voire en dizaines de milliers d’euros, soit un montant non négligeable pour les petites, voire très petites entreprises dont nous parlons ici.

Du fait de cette incertitude, une majorité de ces entreprises sont restées fermées à l’appel de leurs syndicats le 1er mai dernier, faute de garanties, alors que cette journée a toujours revêtu une importance majeure pour elles.

Il était donc urgent de modifier le cadre législatif pour clarifier et sécuriser la situation des boulangeries, des jardineries, des commerces de bouche de proximité, des théâtres et des cinémas et pour desserrer certaines contraintes qui pèsent inutilement sur le travail. C’est tout l’objet de cette proposition de loi, à laquelle plusieurs sénateurs du groupe RDPI ont souhaité s’associer.

Le texte initial prévoyait une dérogation pour tous les secteurs admis à déroger au repos dominical, c’est-à-dire pour les établissements « dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendue nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public ».

La commission des affaires sociales a cependant souhaité restreindre la liste des secteurs éligibles. Elle a estimé, à raison, que le régime applicable au 1er mai, seul jour férié et obligatoirement chômé de notre calendrier, ne pouvait être calqué sur celui du dimanche.

Dans la rédaction qui nous est aujourd’hui soumise, les établissements ou les services concernés sont ceux qui ouvraient déjà le 1er mai et dont l’activité justifie l’inscription d’une dérogation de droit dans la loi. Il s’agit plus précisément des commerces de bouche de proximité, qui permettent la continuité de la vie sociale, des commerces dont l’activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai – les fleuristes et les jardineries qui vendent du muguet – et des établissements du secteur culturel.

La commission a également souhaité réaffirmer que seuls les salariés volontaires exerçant dans ces établissements ou ces services pourraient travailler le jour de la fête du travail. Il s’agit d’une précaution essentielle. Un équilibre nous semble avoir été trouvé ici.

Notre groupe salue la sécurisation juridique du dispositif permise par le rapporteur. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause le caractère chômé et férié du 1er mai, que la loi reconnaît depuis 1947. Ce dispositif permettra simplement de revenir à la situation d’équilibre qui prévalait jusqu’en 2006.

La majorité des membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants voteront cette proposition de loi, qui va dans le bon sens et contribue à lever certaines contraintes pesant sur l’emploi. Je vous invite à en faire de même, mes chers collègues.

Pour ma part, si je peux comprendre la volonté de certains de travailler le 1er mai pour obtenir un plus, j’ai en mémoire les témoignages de salariés de mon territoire sur l’attitude de certains employeurs, y compris des petits artisans, exerçant des pressions pour qu’ils acceptent de travailler ce jour-là. Alors je dis : non ! Je dis non, quand cela va trop loin.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai fait suite à une alerte des boulangers et, singulièrement, à plusieurs contrôles qui ont été largement médiatisés. Au-delà de cette profession, les fleuristes, dont je salue les représentants présents dans nos tribunes, avaient aussi réclamé de pouvoir ouvrir le 1er mai en employant des salariés.

L’article L. 3133-4 du code du travail prévoit que le 1er mai est un jour férié et chômé. Il est fondamental de rappeler que la présente proposition de loi ne modifie pas cet article : le 1er mai, si cette proposition de loi est adoptée, restera un jour férié et chômé. Il se distingue en ce sens des autres jours fériés.

Toutefois, le texte qui nous est aujourd’hui soumis tire les conséquences d’une interprétation et d’une insécurité juridiques, déjà évoquées par les précédents orateurs, résultant notamment d’un arrêt de la Cour de cassation de 2006. Il modifie pour cela l’article L. 3133-6 du code du travail.

En effet, comme notre rapporteur l’a bien précisé, nous parlons d’une interprétation du code du travail. En cas de contrôle et de poursuites pénales, il appartient à l’employeur de démontrer que, en l’espèce, sa situation est légale. Il est à noter que, en 2024, le tribunal de police a systématiquement donné raison aux boulangers incriminés.

Ce texte vise donc à clarifier le droit afin d’éviter les embouteillages, notamment dans les tribunaux de police, qui ont d’autres problèmes à régler. Il vise à permettre aux boulangers de passer leur temps à faire ce pour quoi nous les aimons, à savoir des pains et des viennoiseries, au lieu de le perdre en procédures inutiles.

La proposition de loi permettra également aux commerces dont l’activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai, en l’occurrence les fleuristes, d’offrir des perspectives de bonheur à nombre de nos concitoyens et aux établissements du secteur culturel – les cinémas et les théâtres – de leur procurer des moments de plaisir, à la fraîche…

Je remercie donc les auteurs de ce texte, Annick Billon, Hervé Marseille et Mathieu Darnaud, ainsi que tous nos collègues signataires, de l’avoir déposé. J’adresse un grand merci au rapporteur, toujours capable d’expliquer avec simplicité, humanité et souvent humour des textes complexes. Par son amendement, il a resserré la liste des secteurs qui bénéficieraient de la dérogation autorisant le travail le 1er mai. Il a également prévu que, dans ces établissements, l’activité des salariés n’est possible ce jour-là que sur la base du volontariat.

En conséquence, les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte. Cela ne nous empêchera pas de respecter les collègues qui ne le voteront pas, ni même de les écouter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons est bien modeste, mais il aborde un sujet bien plus vaste, celui de notre rapport collectif au travail et à l’organisation économique de notre société.

Il s’agit non pas de remettre en cause la symbolique du 1er mai, qui reste une date forte dans notre histoire sociale, mais simplement de permettre à certains salariés de secteurs spécifiques, sur la base du volontariat, de travailler ce jour-là, en bénéficiant d’une rémunération accrue, dans le respect, bien sûr, du droit du travail.

Les secteurs concernés – les boulangeries, les magasins de fleurs, les commerces de proximité – sont ancrés dans nos territoires. Ils répondent à une demande réelle exprimée à la fois par les professionnels et par les clients. Refuser d’entendre cette réalité reviendrait à nier les évolutions sociales et celles du monde du travail, ainsi qu’à ignorer les besoins des Français sur le terrain.

Alors que la France vit une tension budgétaire inédite, alors que la dette publique de notre pays s’élève à plus de 3 300 milliards d’euros, la création de richesses est indispensable. Et cette richesse est d’abord le fruit du travail.

Au-delà de cette dimension, ce texte permet aussi de mettre fin à une forme d’insécurité juridique. En l’absence de base légale claire, certains professionnels ont été verbalisés pour avoir ouvert leur établissement le 1er mai. Cela n’est pas acceptable. La loi doit protéger, non pas piéger.

Plus profondément, cette question est également un enjeu de société. Nous devons cesser d’avoir une vision binaire, de penser que le travail serait nécessairement synonyme de contrainte. Travailler, c’est aussi s’émanciper, participer, contribuer à la vie de la Nation. Le travail est le fondement de notre prospérité collective.

Enfin, ce texte ne crée pas d’obligation. Il ne contraint ni l’employeur ni le salarié, bien sûr. Il propose une liberté nouvelle, encadrée, pour répondre à des besoins concrets. Il s’inscrit aussi dans une vision plus large, celle d’un travail qui paie, qui récompense l’effort et le mérite.

Aujourd’hui, les salariés, d’une façon générale, ont trop le sentiment que le travail ne suffit plus pour bien vivre. Et ils ont raison. Les évolutions professionnelles sont parfois freinées, les perspectives limitées. Quant au phénomène de smicardisation, il s’installe durablement, ce qui mine le contrat social et affaiblit la valeur travail dans la société.

Je le dis encore une fois, ce texte est modeste, mais il aborde un sujet concret. Je pense qu’il doit nous inviter plus globalement à réfléchir à la place du travail dans la société, qui mérite un vrai débat, à redonner de l’ambition à notre modèle social, sans doute en prévoyant de travailler plus et mieux, en tenant compte, bien évidemment, de la pénibilité. Le travail doit redevenir un vecteur d’émancipation, de progrès, mais aussi de rassemblement entre les générations, dans une société qui est fracturée – cela a été dit, même si nous ne partageons pas nécessairement une position identique. Je pense profondément que le travail doit permettre de nous rassembler.

C’est la raison pour laquelle les membres du groupe Les Républicains voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Article unique (interruption de la discussion)

Article unique

L’article L. 3133-6 du code du travail est ainsi modifié :

1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Peuvent également occuper des salariés ce jour, sous réserve de leur volontariat, les établissements, autres que ceux mentionnés au I, suivants :

« 1° Les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ;

« 2° Les autres établissements dont l’activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail ;

« 3° Les établissements dont l’activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai ;

« 4° Les établissements exerçant une activité culturelle.

« Les catégories d’établissements concernées sont déterminées par un décret en Conseil d’État.

« Les salariés occupés bénéficient d’une indemnité dans les conditions prévues au même I. »

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 2 rectifié est présenté par Mme Pantel, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, MM. Grosvalet et Guiol, Mme Jouve et M. Roux.

L’amendement n° 3 est présenté par Mmes Lubin et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 4 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 15 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

L’amendement n° 2 rectifié n’est pas soutenu.

La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 3.

Mme Monique Lubin. Par cet amendement, nous proposons la suppression de l’article unique, car nous sommes très défavorables à cette proposition de loi. Nous avons déjà eu l’occasion de donner notre avis sur le texte, mais je tiens à dire encore certaines choses.

D’abord, je voudrais revenir sur des propos que j’ai entendus. Il a été dit que les salariés auraient été verbalisés. Or ce sont non pas les salariés qui ont été verbalisés à la suite des contrôles qui ont été effectués, mais leurs employeurs, car ils ne respectaient pas la loi. Je tenais à le préciser.

Ensuite, le général de Gaulle a été cité. Il avait demandé que l’on arrête d’emmerder les Français. (Exclamations sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Non, c’était Pompidou !

Mme Monique Lubin. Ah, pardon !

Je me demande en tout cas ce qu’il est advenu du gaullisme social auquel certains ici se référaient encore il y a quelque temps, auquel ils se réfèrent peut-être encore aujourd’hui. Je ferme la parenthèse.

Je l’ai dit, nous sommes foncièrement opposés à ce texte. Un certain nombre d’entre vous me semblent d’ailleurs également un peu gênés aux entournures.

Vous ne cessez de dire que le travail le 1er mai se fera sur la base du volontariat. Franchement, on le sait – cela a été démontré avec les ouvertures de magasins le dimanche –, le volontariat est respecté au début. En revanche, lorsque l’employeur doit remplacer un salarié et en embaucher un nouveau, le travail le dimanche – ce sera la même chose demain pour le 1er mai – figure dans le contrat, dans le contrat verbal, évidemment, pas dans le contrat écrit.

Ceux qui osent dire qu’ils ne souhaitent pas travailler le dimanche ou le 1er mai, même en étant payés double, ne sont tout simplement pas recrutés. Dans la réalité, pour un certain nombre de salariés, le volontariat ne dure pas.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour présenter l’amendement n° 4.

Mme Marianne Margaté. Nous l’avons dit, le 1er mai revêt dans l’histoire de notre pays et dans celle du mouvement ouvrier international une symbolique particulière. Le 1er mai appartient aux travailleurs, et c’est bien cela qui vous est insupportable.

Mme Marianne Margaté. Le rapporteur a dit en commission des affaires sociales qu’il convenait de faire preuve de prudence et d’équilibre, car rien n’est aussi symbolique que le 1er mai dans le code du travail. Or on ne peut pas dire que la prudence et l’équilibre caractérisent ce texte.

En effet, vous ajoutez à la liste des commerçants pouvant faire travailler leurs salariés le 1er mai, à savoir les boulangers et les fleuristes, les commerces de bouche de proximité, les épiceries, les supérettes, les théâtres, les cinémas… Il s’agit donc bien là d’une remise en cause profonde du 1er mai et elle suscite, nous l’avons dit, l’opposition de l’ensemble des organisations syndicales. C’est un passage en force, sous couvert d’une urgence qui n’existe pas.

Je veux également revenir sur l’argument du bon sens, qu’on a beaucoup entendu dans votre bouche, mes chers collègues. Le « bon sens », c’est la négation du débat politique ! C’est un argument d’autorité qui ne signifie rien. Ce n’est pas le bon sens qui doit prévaloir ici, ce sont des arguments politiques. Dans le discours politique contemporain, le bon sens est souvent totalement rhétorique. Il revient à conférer à des propos le statut d’évidence incontestable ou à faire passer des préjugés pour des vérités. Je pense qu’il faut relever le niveau du débat politique sur ces questions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 15.

Mme Raymonde Poncet Monge. Pour ma part, je reviendrai d’abord, très rapidement, sur les assertions relatives à Martine Aubry.

Je rappelle que le courrier de Martine Aubry en 1986 concernait les dérogations relatives au travail dominical, mais également les établissements et services pouvant employer du personnel le 1er mai. Les deux situations étaient alors extrêmement liées, parce qu’elles concernaient toutes deux les établissements et services qui ne pouvaient pas interrompre le travail.

Ensuite, les dérogations au travail dominical ont peu à peu été étendues : de l’impossibilité d’interrompre le travail, on est passé à ces prétendus « besoins du public ». C’est pour cela que la Cour de cassation a dû rappeler la définition du 1er mai.

Vous dites, chers collègues, que le tribunal de police a relaxé tous les boulangers incriminés. Mais pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’il est important d’aller à la boulangerie le 1er mai, c’est parce qu’ils ont prouvé qu’ils ne pouvaient pas interrompre leur activité le 1er mai – je ne sais pas comment ils ont fait… C’est en cela qu’ils ont respecté la loi.

J’évoquerai, pour terminer, la majoration de salaire due aux employés travaillant le 1er mai. Cette majoration n’est pas un doublement du salaire, c’est une compensation. Elle est octroyée aux personnes qui ne chôment pas ce jour-là, c’est la règle, et elle s’ajoute au salaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.

Je me suis déjà exprimé sur la notion de volontariat. Le volontariat existe quand bien même il y a un lien de subordination. Ce lien n’éteint pas la notion de volontariat, pas du tout. À vous écouter, on pourrait pourtant croire que tel est le cas.

Madame Lubin, je respecte totalement vos arguments et vos convictions ; nous sommes dans une République et en démocratie. Mais je ne peux pas vous laisser dire que nous sommes gênés aux entournures.

Voyez-vous, je m’efforce toujours de ne pas m’exprimer sur le ressenti des autres ; je l’ai appris en étudiant Bergson. Je vous le dis : nous ne sommes nullement gênés.

Nous avons travaillé pour parvenir à un texte équilibré, pour faire en sorte que la fête du travail soit respectée sans pour autant être transformée en une opération ville morte. Il n’est pas question de revenir à la situation antérieure, laquelle a donné lieu à des abus de la part de certains inspecteurs du travail. Nous respectons leur autonomie, mais s’ils n’avaient pas infligé des amendes, nous ne discuterions pas aujourd’hui de ce texte dans l’hémicycle.

Nous faisons en sorte, tout simplement, que quelques décisions abusives ne puissent pas avoir d’effets sur un nombre considérable de commerces et sur la vie réelle. Nous ne sommes en rien gênés, madame Lubin, parce que nous sommes de bonne foi, figurez-vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de lautonomie et du handicap. Le Gouvernement émet le même avis que le rapporteur de la commission des affaires sociales : il est défavorable à ces amendements de suppression.

Catherine Vautrin l’a rappelé expressément tout à l’heure, le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas regardé la réalité en face ni étudié la manière dont le volontariat a été appliqué en cas de dérogation au travail dominical.

Le lien de subordination introduit une dissymétrie. L’employeur dispose de moyens de rétorsion lorsqu’un salarié ne veut pas travailler le dimanche ou, demain, le 1er mai. Ainsi, c’est lui qui, en dernière instance, valide les dates des congés annuels. Il est donc très facile pour lui – c’est évident – de pénaliser un salarié. C’est aussi simple que cela ! La voilà, la réalité.

Le rapport de subordination, je le répète, est dissymétrique. Certes, le contrat de travail est signé entre deux parties, mais l’une d’elles a un pouvoir différent de l’autre, que ce soit en termes d’organisation ou de subordination.

Dans la réalité, monsieur le rapporteur, il est bien entendu tout à fait possible d’imposer à un salarié de travailler le dimanche, même si la loi prévoit que ce dernier doit être volontaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Beaucoup de références historiques, de personnalités politiques importantes ont été évoquées. Il a été question de l’imaginaire, de la pratique, de notre patrimoine, du pain, etc.

Je ferai moi aussi une référence historique : « Le pain, la paix et la liberté. » En l’évoquant, je ne fais pas preuve de passéisme ou de nostalgie, ce slogan étant toujours complètement d’actualité.

Souvenez-vous, ce mot d’ordre, assorti d’un programme politique, date de l’époque où il a fallu faire barrage à l’extrême droite. Il s’agissait alors d’abord de combattre la misère – c’est pour cela qu’on cite en premier le pain – et de mettre en place, madame la ministre, vous vous en souvenez, un régime de sécurité sociale – assurance vieillesse et maladie. C’est une très belle référence.

Par ailleurs, chers collègues de droite, vous êtes, les uns et les autres, dans une définition extensive, et pour tout dire un peu morale, du volontariat.

Mais les faits sont têtus. Les dérogations au repos dominical n’ont abouti à aucune création d’emploi. Ce sont les chiffres de l’Insee ; vous pouvez les vérifier.

En revanche, le lien de subordination crée bien un chantage à l’embauche ou au maintien dans l’emploi : il faut le dire. Si le refus de ce prétendu volontariat n’aboutit peut-être pas mécaniquement à un licenciement, le risque pour le salarié de perdre son emploi existe bel et bien.

Voilà qui me rappelle – je m’adresse notamment à ma collègue Puissat – le débat que nous avions eu sur l’ubérisation du travail. À quand un vrai contrat de travail pour ceux qui doivent effectuer des livraisons en pleine canicule, dans des conditions inadmissibles, sans droit du travail ni protection sociale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je rappelle à mes collègues siégeant de l’autre côté de l’hémicycle qu’en cas d’adoption de la proposition de loi, les boulangers et les fleuristes ne seront pas les seuls concernés.

Mme Monique Lubin. Ce sont tous les commerces de bouche des centres-bourgs et des villes qui ouvriront. (Mme Ghislaine Senée acquiesce.)

Et vous dites qu’il ne s’agit pas d’une brèche dans le droit du travail ? (Loratrice sesclaffe.) Mais, selon vous, combien y aura-t-il de salariés concernés dans toute la France ? Des centaines ? Des milliers ?

Et surtout, encore une fois, est-ce vraiment indispensable ?

Martine Aubry, à laquelle il a été fait référence à plusieurs reprises, confirmait le droit qui s’appliquait aux salariés dont l’activité ne pouvait pas s’arrêter, par exemple dans les hôpitaux, les services aux personnes âgées ou les transports.

Là, vous nous parlez des commerces de bouche, dont on ne pourrait soudainement plus se passer le 1er mai… Ce sont des centaines de milliers de salariés qui seront concernés par une telle mesure.

Et arrêtez avec votre discours sur le volontariat ! Tout le monde sait très bien que, à quelques exceptions près, c’est – pardonnez-moi l’expression – du pipeau !

Mme Monique Lubin. Vous vous défendez de vouloir « mettre un pied dans la porte » ? Pourtant, un collègue du groupe Les Républicains, absent aujourd’hui, a dit en commission des affaires sociales que vous vouliez le faire et même « ouvrir la porte ».

Sur le moment, nous n’avions pas nécessairement saisi de quoi il parlait. Mais nous avons vite compris : retraite à 65 ans, semaine de travail de trente-six heures ou trente-sept heures, etc. C’est reparti !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Les membres du groupe Union Centriste ne voteront évidemment pas ces amendements de suppression.

Chers collègues, ayant moi-même été salariée pendant dix ans, je ne me reconnais absolument pas dans votre vision des relations au sein du monde du travail, qui me semble assez désuète et datée. Il y a des lois sur le volontariat ; elles doivent être respectées. Comme M. le rapporteur l’a rappelé, nous y sommes très attachés.

Je suis fière d’avoir déposé cette proposition de loi avec Hervé Marseille. Au-delà des artisans boulangers et fleuristes, c’est de la vitalité de nos centres-villes et centres-bourgs qu’il s’agit.

Pour ces commerces, que nous essayons depuis des années de préserver, le 1er mai, c’est 25 % de chiffre d’affaires de plus qu’un jour férié classique. À l’échelon national, cela représente 70 millions à 80 millions d’euros. Pour les fleuristes, c’est le quatrième jour de l’année en volume de ventes. Et pour les salariés, c’est – je le rappelle – environ 400 euros sur la feuille de paie au mois de mai.

Oui, je défends le 1er mai férié et chômé ! Mais je défends aussi la possibilité, pour les artisans qui le souhaitent, de travailler et, pour les salariés qui le souhaitent, de gagner plus ! Voilà pourquoi nous proposons de sécuriser l’ouverture des commerces le 1er mai.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je ne me reconnais pas du tout dans la description que font nos amis de gauche de la relation de travail entre employeurs et salariés.

Les employeurs respectent leurs salariés. Ils ne cherchent pas à sanctionner de manière détournée ceux qui déclarent ne pas pouvoir travailler le dimanche ou un jour férié, par exemple parce qu’ils ont des enfants à garder.

Je connais des employeurs. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Je connais aussi des salariés, chers collègues. Les relations de travail ne sont pas du tout fondées sur le conflit ou les sanctions. Et les employeurs respectent le choix de leurs employés d’être, ou non, volontaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. Je me demande dans quel monde certains vivent…

Qui peut sérieusement croire qu’un chômeur ayant besoin d’argent pour nourrir ses enfants va répondre qu’il ne peut pas travailler le dimanche si la question lui est posée lors d’un entretien d’embauche ? Il n’aura évidemment pas d’autre choix que d’accepter ; il faut bien payer le loyer. C’est cela, le lien de subordination !

Peut-être que, dans votre secteur d’activité, il y a des personnes qui se disent : « Tiens, comme je ne sais pas quoi faire ce dimanche, si j’allais travailler ? » Mais, dans le monde réel, le dimanche, les gens doivent surtout s’occuper de leur famille : pour pouvoir aller travailler, il faut déjà avoir une solution de garde et savoir comment les enfants feront pour manger le midi !

Et vous pensez que la clé de la revitalisation des centres-bourgs, c’est le travail du 1er mai ? Sérieusement ?

Nous avons en effet un problème structurel : nos commerces de proximité et les centres-bourgs sont en train de se dévitaliser. Mais je doute que la solution réside dans le travail du 1er mai. Regardez plutôt du côté du e-commerce ou de tout ce qui empêche aujourd’hui nos artisans de valoriser leur travail. Non seulement vous élèveriez le débat, mais, en plus, vous apporteriez des réponses concrètes à nos commerçants !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, j’ai demandé un scrutin public – je crois que je ne suis pas seul – sur ces amendements de suppression.

Je pense que nous vivons un moment politique important. C’est un vrai débat droite-gauche. Cela fait du bien de se rappeler de temps en temps qu’il y a, d’un côté, les progressistes et, de l’autre, une tendance plus que réactionnaire. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Chers collègues, n’ayez pas peur de l’adjectif « réactionnaire ». La réaction, littéralement, c’est le retour en arrière. Or ce que vous voulez faire, c’est revenir en arrière, tout simplement. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) C’est votre droit le plus strict.

Vous allez pouvoir vous déclarer officiellement réactionnaires par votre vote lors du scrutin public, ce système que vous aimez tant… Et vous pourrez ensuite justifier vos positions politiques dans vos territoires.

Pour ma part, je pense que ce texte aurait dû s’appeler « proposition de loi permettant aux employeurs d’obliger les salariés de certains secteurs à travailler le 1er mai ».

Mme Raymonde Poncet Monge. J’ai justement déposé un amendement en ce sens !

M. Patrick Kanner. Je me réjouis que nous ayons ce moment de clarification dans l’hémicycle. Cela nous permet d’affirmer nos positions politiques sur ce qui est un droit acquis depuis des dizaines et des dizaines d’années et, pour les salariés de ce pays, un symbole manifeste.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 4 et 15.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et, l’autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 338 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 106
Contre 225

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 8, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À la première phrase, après la deuxième occurrence du mot : « au », sont insérés les mots : « double du ».

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Vous l’avez compris, nous ne vous suivons pas sur ce que vous appelez le volontariat et j’aimerais revenir sur la notion de lien de subordination qui, pour information, n’est ni une insulte ni une critique : c’est tout simplement ce qui définit la relation entre un employeur et un salarié.

Mme Raymonde Poncet Monge. Oui, une subordination !

Mme Silvana Silvani. Entre parenthèses, s’il y a un code du travail, c’est précisément pour réguler ce lien.

Voilà pourquoi la notion de volontariat n’a pas de sens dans une relation salariale. On ne voit pas bien en quoi ce serait une justification en l’espèce.

Par cet amendement, nous voulons a minima protéger les salariés qui ne pourront pas refuser de travailler le 1er mai, en doublant la majoration.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Les salariés qui travaillent le 1er mai ont droit à une indemnité égale au montant du salaire s’ajoutant à la rémunération de la journée. Il s’agit donc d’une majoration de 100 %. Cela explique, selon les fédérations représentatives, que les salariés soient très souvent volontaires pour travailler ce jour-là. Nous nous en réjouissons.

La contrepartie prévue étant suffisante, il n’est pas souhaitable d’aller au-delà, sauf, évidemment, si une négociation collective le décidait.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Je profite de l’occasion pour revenir sur certains termes qui ont pu être prononcés : « progressiste », « réactionnaire », etc.

Chers collègues, je vous écoute et il me semble que vos propos dénotent une peur, une détestation, pour ne pas dire une diabolisation du travail. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Sincèrement, cela m’inquiète : à mon sens, un pays qui en viendrait à avoir peur, à détester et même à diaboliser le travail, à le considérer comme maléfique, n’aurait pas beaucoup d’avenir (Mme Ghislaine Senée sexclame.), ne risquerait pas de connaître la prospérité et finirait par s’enfoncer dans la pauvreté.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il s’y enfonce déjà ! Et du fait de votre politique !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué tout à l’heure ne pas tolérer certains des propos que j’ai pu tenir. Eh bien, sachez que c’est réciproque : moi, je ne tolère pas la manière dont vous caricaturez nos positions !

Personne ici ne s’est déclaré hostile au travail. Simplement, ce que nous disons, c’est que vous êtes en train de défigurer le 1er mai. Si, par malheur, ce texte venait à être adopté et à entrer en vigueur, le 1er mai ne serait plus que l’ombre de lui-même. Or nous, nous tenons au 1er mai, pour toutes les raisons que nous avons déjà évoquées.

Mais, de grâce, ne caricaturez pas nos propos !

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, en France, ceux qui détestent le travail, ce sont les rentiers. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Et les rentiers, vous les favorisez ! (Mêmes mouvements.) Regardez plutôt du côté des travailleurs : eux ne détestent pas le travail, ils sont le monde du travail !

J’aimerais revenir sur l’une de vos déclarations. Vous avez reproché aux inspecteurs du travail d’abuser… quand ils font appliquer le droit du travail. Celle-là, il fallait quand même la faire !

Je reviens sur le lien de subordination. Depuis le début du XXe siècle, des dispositions ont été adoptées pour essayer de corriger le déséquilibre qui caractérise les relations de pouvoir au sein de l’entreprise. C’est l’objet du code du travail, dont l’existence même démontre la nécessité d’un rééquilibrage quand le lien de subordination est au cœur du contrat de travail.

L’amendement que nous examinons concerne la majoration. Comprenons bien de quoi il s’agit.

Le fait que le 1er mai soit un jour chômé est un droit collectif. La majoration, c’est la contrepartie prévue pour ceux qui, à titre individuel, ne peuvent pas bénéficier de ce droit, parce qu’ils exercent une activité qui ne peut pas s’interrompre. Il s’agit non pas de « payer double » le travail effectué – si le jour avait été chômé, la personne aurait tout de même reçu son salaire –, mais bien de compenser l’impossibilité de bénéficier d’un droit. (Marques dimpatience sur des travées du groupe Les Républicains.)

Il faut cesser de prétendre que le salarié qui travaille le 1er mai serait payé le double ; il est simplement payé pour son travail ce jour-là !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 17 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Marseille et Malhuret, Mme Antoine, M. Belin, Mmes Bellurot et Berthet, M. Bonneau, Mmes Borchio Fontimp, Bourcier et V. Boyer, MM. Bruyen, Cambier, Delahaye et Delcros, Mmes Dumont et Duranton, M. Fialaire, Mmes Florennes, Gacquerre, F. Gerbaud et Guidez, M. Haye, Mmes Herzog et Imbert, M. Kern, Mme Lassarade, MM. Laugier et Lemoyne, Mme Malet, MM. Maurey et Menonville et Mmes Perrot, O. Richard, Romagny, Saint-Pé, Schalck, Sollogoub, Vérien et Vermeillet, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

Après le mot :

jour,

Rédiger ainsi la fin de l’alinéa :

les établissements suivants ne relevant pas du I :

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« III – Pour l’application du II, seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler. Le salarié qui refuse de travailler le 1er mai ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler le 1er mai pour un salarié ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement. »

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Depuis quarante ans, les boulangeries et les magasins de fleurs ouvrent le 1er mai. Depuis quarante ans, des salariés travaillent ce jour-là, sur la base du volontariat. Depuis quarante ans, nous nous rendons chez les boulangers et les fleuristes sans que cela ait posé de problème à quiconque jusqu’à présent.

M. Kanner nous a traités de « réactionnaires » et nous a accusés de vouloir un « retour en arrière ». En réalité, nous souhaitons simplement donner un cadre clair à l’ouverture de ces magasins le 1er mai, qui n’a pas fait débat depuis plus de quarante ans.

C’est la raison pour laquelle le présent amendement vise à apporter des précisions relatives au volontariat, dans un souci, là encore, de sécurisation.

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Après le mot :

volontariat

insérer les mots :

exprimé par écrit à leur employeur dans un délai d’un mois

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Par cet amendement, nous proposons de préciser que le volontariat doit être exprimé « par écrit » et avec un délai d’un mois. Il s’agit évidemment d’une protection : le fait de ne pas vouloir travailler le 1er mai ne saurait être un motif de refus d’embauche.

Monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’aimerions pas le travail. Je vous rappelle qu’en France, les salariés ont 364 jours pour travailler ; le seul jour chômé, c’est le 1er mai !

Je veux aussi revenir sur cette question du volontariat. Comme vous, je tiens des permanences. Et les gens que j’y rencontre me disent qu’ils n’ont vraiment pas le choix. Lorsqu’un jeune, une femme ou une personne en situation de précarité va travailler dans un supermarché le dimanche, ce n’est pas ce que vous appelez du « volontariat » ; c’est parce qu’il y est obligé !

Si on fait miroiter à une salariée en CDD depuis des mois qui élève seule ses enfants – nous en rencontrons tous dans nos permanences – la possibilité d’obtenir un CDI à condition de venir travailler le dimanche, elle n’aura évidemment pas le choix. En plus, les personnes sont culpabilisées sur le thème : « Si vous ne venez pas le dimanche, nous ferons travailler vos collègues. »

Et vous, vous nous parlez de volontariat ? Un peu de bonne foi, s’il vous plaît !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Ces deux amendements visent à renforcer les garanties relatives au volontariat.

La commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 17 rectifié bis. En revanche, elle demande le retrait de l’amendement n° 5, faute de quoi l’avis serait défavorable. En effet, le délai d’un mois nous semble abusif et source de complications, notamment pour les TPE.

Je voudrais revenir sur le volontariat et, plus généralement, sur le sens de cette proposition de loi. L’idée n’est évidemment pas – sur ce point, nous sommes d’accord – d’ouvrir les hypermarchés ou les supermarchés. Simplement, avec ce texte, dans ma commune, le fleuriste du quartier pourra vendre son muguet le 1er mai avec ses deux salariés, qui – je sais que cela vous paraîtra bizarre ! – aiment leur métier.

Mme Ghislaine Senée. Ils aiment peut-être aussi passer du temps avec leur famille…

M. Olivier Henno, rapporteur. Nous permettons ainsi à des responsables de TPE, qui ne sont pas d’affreux capitalistes aux profits mirobolants, de travailler honorablement et de faire vivre un peu mieux leur famille, sachant qu’ils réalisent un chiffre d’affaires important le 1er mai et qu’un petit brin de muguet ce jour-là – Jocelyne Guidez l’a souligné –, cela fait toujours plaisir !

Voilà le sens de la proposition de loi déposée par Annick Billon.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. À l’instar de la commission, le Gouvernement sollicite le retrait de l’amendement n° 5 au profit de l’amendement n° 17 rectifié bis, qui vise à apporter une précision utile dans le texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous voterons ces amendements.

Mme Raymonde Poncet Monge. Eh oui, ma chère collègue. Car je vois dans votre amendement une tentative, certes désespérée, de rendre effectif le volontariat. Et si vous essayez de le rendre effectif, c’est bien que vous avez pu observer ce que produit depuis des années la dérogation au repos dominical.

Mais aucun amendement ne pourra aller contre la réalité : il est vain de penser que, pour les salariés, le volontariat s’exerce en toute liberté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je ne dirai pas mieux ! Pourquoi déposer un tel amendement si vous êtes sûrs que le volontariat est réel et que le choix profond des salariés sera respecté ?

Vous n’avez pas beaucoup apprécié ce que j’ai dit tout à l’heure, mais je le maintiens. Et d’ailleurs, cet amendement en est la confirmation. Vous n’auriez pas besoin d’introduire des dispositions aussi précises dans le texte si vous étiez convaincus par votre propre discours sur le volontariat. Mais manifestement, vous savez comment les choses se passent en pratique…

Pour ma part, je m’abstiendrai sur ces amendements. Les voter, c’est déjà composer avec ce texte. Or moi, je n’en veux pas du tout !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le rapporteur, à l’instar de ma collègue Lubin, je vous prie de ne pas caricaturer nos propos et de ne pas nous faire dire ce que nous n’avons pas dit. Je ne sollicite pas d’excuses, mais je vous demande de bien vouloir cesser de prétendre que nous n’aimerions pas le travail. Cela suffit !

Oui, monsieur le rapporteur, il y a des gens qui ont peur du travail. C’est un problème de santé reconnu. Ils ont la boule au ventre, ils sont stressés. J’en ai connu qui perdaient tous leurs moyens lors d’épreuves professionnelles. Je suis d’ailleurs certain que vous en connaissez aussi. Oui, cette peur existe, c’est un problème de santé et c’est sous cet angle qu’il faut l’appréhender. Merci donc de ne pas nous l’attribuer politiquement !

Comme vous, je siège souvent dans cet hémicycle. Et je dois vous dire que les conditions dans lesquelles nous légiférons me posent problème.

Voilà trois semaines, nous avons proposé de taxer – à un taux dérisoire ! – les 1 700 ultrariches. Vous avez refusé. Et peu après, ce texte visant à introduire des dérogations au code du travail arrivait en commission ! (Mme Raymonde Poncet Monge renchérit.)

Les choses sont simples : il y a un code du travail, mais il n’y a pas de code du capital. Ou, plus exactement, le seul « code du capital » qui existe à ma connaissance – c’est un livre très intéressant, dont je vous recommande vivement la lecture – ne fait pas partie, malheureusement, de notre corpus législatif. (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire que ceux qui chôment le 1er mai n’aiment pas leur travail.

Mme Annick Billon. Ce n’est pas ce qui a été dit !

Mme Silvana Silvani. C’est bien ce qui a été indiqué en creux. Et c’est faux !

J’ai longtemps été salariée – je ne me ferai pas offense en précisant le nombre d’années… – et j’ai beaucoup aimé mon travail. Et le 1er mai, j’étais avec mes collègues dans la rue et dans les réunions.

Par ailleurs, vous avez renvoyé tout à l’heure le montant de la majoration à la négociation collective. J’ai un peu de mal à vous suivre : quand les syndicats de travailleurs s’opposent unanimement à vos propositions, vous ne voulez pas discuter, mais quand il s’agit de fixer le montant d’une majoration, là, vous proclamez votre amour pour la fameuse négociation collective…

Je vois le contrat de volontariat qui est proposé dans l’amendement de Mme Billon comme une tentative d’apaisement. Mais, pour ma part, je ne l’accepte pas. D’ailleurs, cela ne change rien au lien de subordination. Pourquoi créer un contrat de volontariat quand il existe déjà quelque chose qui s’appelle le contrat de travail et qui a justement pour objet de fixer les conditions de travail ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. Mes collègues ont raison : voter l’amendement de Mme Billon, c’est entériner le fait que le texte va passer – quelque chose que nous avions peut-être intériorisé… Finalement, nous nous abstiendrons.

Moi aussi, j’ai un peu de mal à vous suivre : vous n’avez de cesse de proclamer, la main sur le cœur, à longueur de colloques, votre volonté de simplifier les choses et, là, vous les complexifiez avec ce nouveau contrat de volontariat.

Les commerçants, artisans, boulangers et fleuristes qui veulent ouvrir leur boutique le 1er mai ne vous ont pas attendus : voilà quarante ans qu’ils le font tout seuls, comme des grands ! Et, comme eux, les syndicalistes sont très attachés au 1er mai et à ce petit brin de muguet, emblème de tant de luttes sociales, que l’on achète chez son fleuriste ou au coin de la rue…

Encore une fois, je déplore la complexité supplémentaire que vous créez avec ce nouveau contrat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Notre collègue Pascal Savoldelli regrettait la temporalité du texte.

Je rappelle que le groupe Union Centriste a été l’un des seuls, au moment de la crise de la covid-19, à proposer de taxer les superprofits et qu’il n’a pas été suivi. (Mmes Raymonde Poncet Monge et Cathy Apourceau-Poly sexclament.)

Le fait est que le 1er mai tombe tous les ans à la même date et c’est à son approche que des fleuristes et des boulangers, notamment par l’intermédiaire de leurs syndicats professionnels, nous ont sollicités.

Sur la question du volontariat en particulier, notre amendement vise à préciser le texte. En général, cela permet de limiter les interprétations.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 5 n’a plus d’objet.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Discussion générale

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Article unique (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Article unique (suite)

Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein de l’article unique, à l’amendement n° 10.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Intitulé de la proposition de loi (début)

Article unique (suite)

Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa qui tend à autoriser l’ouverture, le 1er mai, « des établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ». De manière implicite, cette formulation concerne en premier lieu les boulangeries.

La législation actuelle protège la continuité d’activité lorsque celle-ci est impérative. Toutes les boulangeries ferment certains jours chaque semaine. Elles auront donc quelques difficultés à démontrer que, le 1er mai, elles doivent répondre au besoin essentiel du public que serait l’achat d’une baguette fraîche. Doit-on déduire de ce principe qu’elles doivent ouvrir 364 jours sur 365 ?

Quelles sont par ailleurs les boulangeries concernées ? Les boulangeries artisanales ou celles des grandes chaînes ? Les boulangeries rurales, où souvent travaille de toute façon un seul indépendant, ou celles des centres commerciaux périurbains ?

La rédaction retenue concernera bien d’autres établissements que les seules boulangeries, qui ne sont qu’un prétexte, un alibi, pour déréguler à terme l’ensemble du champ de la consommation immédiate de produits alimentaires, sachant que le modèle économique de ce secteur se caractérise par une ouverture maximale et des horaires atypiques fragilisant des salariés souvent précaires. Le rapport de force est défavorable à ces derniers et rend illusoire le libre exercice du volontariat.

Indéniablement, cette dérogation, dont on perçoit l’inanité, ouvrirait une brèche : céder aujourd’hui aux boulangeries, dont la population sait très bien se passer les jours de fermeture, validerait la stratégie du pied dans la porte.

Demain, chaque secteur – pourquoi pas les salons de coiffure ? – invoquera une prétendue demande du public au prétexte paradoxal que les familles, en congé le 1er mai, ont le temps de consommer des biens et services.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Nous avons déjà échangé nos arguments. L’adoption de cet amendement dénaturerait le texte, d’où un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de lautonomie et du handicap. Même avis, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste et, l’autre, du groupe Les Républicains. (Murmures sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 339 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 98
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 11, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa qui tend à autoriser l’ouverture, le 1er mai, des « autres établissements dont l’activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail ».

Une telle autorisation n’est pas pertinente. L’article L. 3133-6 du code du travail permet une dérogation « dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ».

D’ailleurs, c’est à tort que vous présentez votre proposition comme une régularisation liée à la verbalisation de cinq boulangers.

Mme Annick Billon. Ils ont été relaxés !

Mme Raymonde Poncet Monge. Oui, après avoir prouvé qu’ils ne pouvaient pas interrompre leur activité ! La philosophie du 1er mai a donc bien été respectée.

En élargissant le dispositif, vous dispensez des secteurs entiers d’apporter la moindre preuve de cette nature. De l’artisan à la grande chaîne, les établissements ouvriront de plein droit, sans se plier aux exceptions relatives au 1er mai, qui ont pourtant du sens. Pour eux, le 1er mai n’existera plus !

Loin de régulariser des situations particulières, vous autorisez quatre secteurs – et demain plus, il suffira d’un décret – à déroger à leurs obligations.

C’est la stratégie du pied dans la porte : après les boulangeries puis les épiceries, d’autres secteurs suivront, toujours prompts à invoquer la commodité pour la clientèle afin d’ouvrir les jours où la concurrence est fermée.

Mme la présidente. Veuillez conclure !

M. Laurent Burgoa. C’est fini !

Mme Raymonde Poncet Monge. Dans un premier temps, cela sera bénéfique, puis dans un second temps la concurrence s’alignera.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Puisque cela semble agacer certains, je reviens à la charge.

Mes chers collègues, expliquez-nous pourquoi vous élargissez à ce point le périmètre de la dérogation. À vous entendre, il s’agirait de régler un problème ponctuel et de régulariser la situation des boulangers et des fleuristes.

Avez-vous évalué le nombre de salariés qui seraient concernés ? Vous restez silencieux sur ce point. J’aimerais vous entendre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je précise que derrière les établissements visés par cet alinéa du texte se cachent les épiceries.

Vous prétendez vouloir régulariser des situations exceptionnelles. Or il n’y a jamais eu de tolérance pour ce secteur que vous voulez écarter de plein droit de la philosophie du 1er mai.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 340 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 98
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 12, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je poursuis l’examen exhaustif des quatre secteurs listés dans la proposition de loi. Nous avons déjà vu que deux d’entre eux n’ont rien à voir avec les arguments que vous avancez.

Sous la formule « établissements dont l’activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai » se profile le commerce des fleurs, eu égard à la tradition qui autorise, ce jour-là, la vente du muguet dans l’espace public.

Pendant longtemps, c’est l’aubépine que l’on arborait à la boutonnière les jours de manifestation. Aujourd’hui, on fait commerce du muguet.

À l’instar des organisations professionnelles de la boulangerie, les représentants du secteur des fleuristes mènent depuis plusieurs années une campagne médiatique soutenue pour obtenir une dérogation permanente. Rien n’interdit pourtant à un artisan de vendre du muguet préparé la veille avec l’aide de ses salariés.

Cette demande de dérogation émane non seulement des commerces indépendants, mais aussi des jardineries qui, pour 60 %, vendent tout à fait autre chose que du muguet !

Mme Raymonde Poncet Monge. Il faudra m’expliquer en quoi l’achat d’un bonsaï le 1er mai nécessite une dérogation !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il pousse plus vite ! (Sourires.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Il n’est pas sûr, en outre, que les petits commerces soient les principaux bénéficiaires, à terme, de cette dérogation.

C’est encore la stratégie du pied dans la porte : après les fleuristes, d’autres secteurs se réclameront d’un prétendu « usage traditionnel » lié aux fêtes locales qui se greffent sur le 1er mai. Et c’est ainsi que l’on détricotera progressivement l’unique jour férié obligatoirement chômé dont bénéficient les salariés.

Il serait en outre paradoxal pour le législateur de récompenser ceux qui ont déclaré ouvertement, par provocation, qu’ils ouvriraient leur établissement et feraient travailler leurs salariés.

Valider ce comportement encourage le mépris de la loi. Le législateur a pour mission non pas de satisfaire des intérêts économiques particuliers, mais de protéger ce temps commun que constitue le 1er mai, dont la portée sociale est issue d’une longue histoire de luttes menées par les travailleurs et les travailleuses.

Mme la présidente. L’amendement n° 19, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 7

Remplacer les mots :

dont l’activité répond

par les mots :

exerçant, à titre principal, une activité de vente de fleurs naturelles qui permet de répondre

II. – Alinéa 8

Après le mot :

exerçant

insérer les mots :

, à titre principal,

La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement vise à sécuriser le dispositif en précisant le périmètre des activités autorisées le 1er mai.

La formulation retenue a notamment pour objectif d’en exclure les grandes surfaces, dont l’activité excède largement la vente de brins de muguet et de biens culturels.

C’est d’ailleurs l’un des atouts de cette proposition de loi : en délimitant clairement les exceptions, nous rendons plus difficile l’ouverture des grandes surfaces, nous leur fermons donc la porte… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)

Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par Mmes de Marco, Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Cet amendement de Mme de Marco vise à exclure du périmètre des dérogations envisagées au travail chômé le 1er mai les « établissements exerçant une activité culturelle ».

Cette mention est une atteinte grave et manifeste au droit de repos comme au droit de manifester. En effet, depuis la création, en 1947, de ce jour férié et chômé, les cortèges du 1er mai revêtent une importance particulière dans la vie syndicale des travailleuses et des travailleurs et pour la vitalité démocratique et sociale de la Nation.

Il importe au contraire de préserver les droits des salariés des établissements culturels, qui sont confrontés à une forte dégradation de leurs conditions de travail. C’est le cas notamment dans les musées, que le rapporteur ne mentionne pas dans l’objet de son amendement, mais qui entreraient dans le champ de la dérogation.

Le recours massif, en lieu et place de salariés, à des jeunes en service civique ou à la sous-traitance, les faibles rémunérations ou encore le management toxique justifient d’autant plus le droit au repos de ces travailleuses et travailleurs.

Comme le soulignait le sociologue Frédéric Poulard, en 2024, « sur 17 000 agents des musées constitués en établissements publics, 76 % ne sont pas des titulaires et, parmi eux, 55 % ont un contrat de moins d’un an ».

L’exercice du droit de repos des salariés de ces établissements est aussi l’occasion pour les citoyens de s’ouvrir à des pratiques culturelles non marchandes, d’exercer des activités artistiques ou associatives ou encore de redécouvrir la nature.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 12 et 13.

Leur adoption aurait pour effet, là encore, de dénaturer le texte, qu’il s’agisse des dispositions relatives aux fleuristes ou de celles qui concernent les activités culturelles, comme les cinémas ou les théâtres.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. L’avis est défavorable sur les amendements nos 12 et 13.

Le Gouvernement est par ailleurs favorable à l’amendement n° 19 de M. le rapporteur, qui apporte d’utiles précisions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Monsieur le rapporteur, si vous entendez limiter au mieux les dérogations, il suffit de ne pas voter cette proposition de loi ! Cela nous permettrait de ne pas ouvrir la boîte de Pandore.

Mme Monique Lubin. Par ailleurs, j’aimerais savoir, même si je doute que l’on me réponde, quelle est la vision des choses de nos collègues de droite.

Ce sont toujours les mêmes qui sont appelés à travailler les jours fériés et le dimanche : les salariés des commerces, dont le temps de travail est haché et qui – ne nous racontons pas d’histoires – ont les rémunérations les plus faibles. Alors bien sûr, quand on leur propose de doubler leur salaire, quelle manne extraordinaire !

Ce sont toujours les mêmes qui travaillent pour le bon vouloir de ceux pour qui le 1er mai restera à jamais un jour férié, de ceux qui pourront se permettre de consommer aussi ce jour-là, puisque d’autres auront été contraints de venir travailler.

Est-ce là votre philosophie de vie ? Je trouve cela particulièrement injuste.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, on ne peut pas se cacher derrière une supposée protection contre les grandes surfaces.

Les hypermarchés resteront fermés le 1er mai, bien entendu. Cela fait belle lurette toutefois, évolution de leur modèle économique oblige, que des enseignes comme Auchan ou Carrefour ont ouvert un peu partout des supérettes de proximité.

Qu’est-ce qui empêchera le salarié d’une grande surface en zone périurbaine de devoir aller travailler dans les supérettes environnantes ?

J’ajoute que ces supérettes, dont l’ouverture serait autorisée le 1er mai au titre des commerces alimentaires, pourraient très bien vendre des pots de muguet…

Mme Raymonde Poncet Monge. Je veux bien tout entendre, mais s’il vous plaît, n’invoquez pas la défense des artisans et des commerçants, alors que vous avez favorisé, aux abords de nos villes, l’implantation de grandes surfaces dont, pour notre part, nous ne voulions pas !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera bien entendu contre les amendements nos 12, 13, 16 et 7 et pour l’amendement n° 19 du rapporteur, qui précise et sécurise le dispositif. Lorsque nous avons déposé ce texte dans l’urgence, nous savions qu’il faudrait en ajuster la rédaction.

Plusieurs d’entre vous ont avancé le fait que les syndicats s’opposaient majoritairement à ce texte ; les syndicats nationaux, oui, mais lorsque l’on discute face à face avec leurs représentants locaux, la position est très différente. Ces derniers ne peuvent simplement pas l’exprimer de manière écrite, parce qu’ils sont sous la menace des premiers. (Mme Raymonde Poncet Monge sexclame. – Mme Monique Lubin sesclaffe.)

Par ailleurs, au sein de la majorité sénatoriale, nous sommes légalistes. Je rappelle que la vente de muguet dans l’espace public est totalement illégale et qu’elle vient concurrencer directement les fleuristes. Or personne ne s’en plaint !

Mme Raymonde Poncet Monge. Il fallait déposer un amendement…

Mme Annick Billon. Madame Lubin, vous craigniez que nous ne répondions pas à vos interrogations. Eh bien, nos visions du monde du travail sont totalement opposées et, me semble-t-il, irréconciliables. (Mme Raymonde Poncet Monge sexclame.)

Comme de nombreux sénateurs qui m’entourent, je suis aussi une ancienne salariée et je n’ai jamais vécu le monde du travail comme vous nous le décrivez !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous trouve bien empressés, mes chers collègues, d’adopter ce texte avant le 1er mai.

Mme Annick Billon. Le 1er mai est passé !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il doit sûrement répondre à une revendication profonde des Français… Nombreux sont les salariés qui défilent dans les rues pour demander à travailler le 1er mai !

J’aurais aimé voir le même empressement pour faire en sorte que les plus riches de ce pays mettent un peu la main à la poche. Vous en aviez l’occasion, avec la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches, mais vous avez trouvé le moyen de voter contre la taxe Zucman.

Revenons au débat du jour. Avec cette proposition de loi, vous ouvrez la boîte de Pandore et vous cassez le code du travail, car c’est bien là la philosophie de ce texte.

Déjà, quatre Carrefour Market ouvrent en France le 1er mai. Demain, les grandes surfaces pourront ouvrir au motif qu’elles vendent, elles aussi, des fleurs et du muguet. (Mme Raymonde Poncet Monge acquiesce.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr que si !

Demain, il faudra bien ouvrir les crèches et les écoles pour garder les mômes de celles et ceux qui travailleront le 1er mai.

Vous ne voulez pas l’avouer et vous avancez pas à pas. Mais nous avons bien compris que, par idéologie, vous ne voulez pas – vous ne voulez plus – que cette journée soit payée et chômée. Cela vous est insupportable.

Mme Annick Billon. C’est faux !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Madame Billon, selon vous, nous ferions erreur quant aux motivations qui sous-tendent cette proposition de loi.

Sans doute emportée par votre enthousiasme et par votre fierté d’avoir déposé ce texte (Mme Annick Billon acquiesce.), vous avez dit à l’instant que, localement, les représentants du personnel s’opposaient aux organisations syndicales nationales.

Je vous le dis en toute amitié et avec respect : nous voyons là votre belle conception des négociations collectives. Bravo !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 12.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 341 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 105
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 13 n’a plus d’objet.

Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 16, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Après le mot :

déterminées

insérer les mots :

, après avis des organisations syndicales représentatives,

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. La volonté constante des employeurs de déroger au droit du travail pour certains établissements et services n’est pas nouvelle. L’exemple du travail du dimanche en est l’illustration.

Selon la loi du 13 juillet 1906 établissant le repos hebdomadaire en faveur des employés et ouvriers, « le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche ».

La loi du 10 août 2009 réaffirmant le principe du repos dominical, dite loi Mallié, a ensuite assoupli les règles, avant que la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, n’étende le droit à déroger au repos du dimanche.

Après une période initiale durant laquelle les salariés volontaires se sont accommodés de majorations ou de repos supplémentaires, le rapport de force, le lien de subordination entre salariés et employeurs et le pouvoir d’organisation ont émoussé au fil du temps les contreparties.

Bonne chance au salarié en CDD qui voudrait passer en CDI après avoir refusé de travailler hier le dimanche et demain le 1er mai !

Au fil des années, des décrets sont parus, élargissant le périmètre des établissements, travaux et activités concernés par le travail le dimanche, si bien que nous avons aujourd’hui une liste à la Prévert.

Il est à craindre qu’un élargissement similaire s’applique ultérieurement, par décret, au travail le 1er mai. Les dérogations prévues par la présente proposition de loi concernent aujourd’hui quatre secteurs, mais qu’en sera-t-il demain ?

Par conséquent, nous souhaitons que les organisations syndicales représentatives soient consultées et émettent un avis avant la publication du décret.

Il s’agit d’un amendement d’appel, car elles rendront probablement un avis négatif, mais au moins, elles pourront en débattre.

Certains ont évoqué les négociations de branche ; alors, pourquoi faire une loi à portée nationale ? Vous nous dites que les positions divergent au niveau local, mais vous trouverez toujours des salariés pour avoir telle ou telle position, cela n’a pas de signification collective.

Le travail le 1er mai est déjà encadré par le code du travail et les organisations syndicales représentatives estimeront certainement que ce jour doit rester férié et obligatoirement chômé. Pourquoi ne pas leur permettre de donner leur avis ?

Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par les mots :

après consultation des organisations syndicales représentatives

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet amendement va dans le même sens que celui de Mme Poncet Monge.

Chacun sait bien que les représentants de nombreux secteurs économiques – hypermarchés, entreprises de l’ameublement et de la restauration, salles de sport, etc. – font pression pour élargir l’autorisation de travailler le 1er mai.

Cet amendement de repli vise donc à ce que les organisations syndicales représentatives soient consultées préalablement à la publication du décret définissant les catégories d’établissements autorisées à faire travailler leurs salariés le 1er mai.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Ces deux amendements tendent à ce que les organisations syndicales représentatives soient consultées avant la parution du décret qui est prévu à cet article.

Or tel est déjà le cas, par principe, lorsqu’un décret de cette nature est en préparation – Mme la ministre pourra nous le confirmer. Ce serait donc inutile et superfétatoire.

Par conséquent, la commission demande le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis serait défavorable.

Mme Annick Billon. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. M. le rapporteur a raison, les amendements sont satisfaits : la consultation des organisations syndicales est bien prévue aujourd’hui de manière générale.

C’est pourquoi je demande le retrait de ces amendements ; sinon, l’avis serait défavorable.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je retire l’amendement n° 16, madame la présidente.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et moi, l’amendement n° 7 !

Mme la présidente. Les amendements nos 16 et 7 sont retirés.

L’amendement n° 9, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

«…. – Les dérogations prévues aux I et II ne bénéficient pas aux entreprises intégralement automatisées. »

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Tous nos amendements sont rejetés, mais comme vous le voyez, nous sommes sympathiques : nous en retirons… (Sourires.) Pourtant, nous avions fait le pari du dialogue parlementaire et de l’écoute.

L’amendement que je vous présente est encore un amendement de repli, qui a été rejeté en commission. Il soulève la question de l’existence d’entreprises intégralement automatisées et qui ouvrent le 1er mai. Vous en connaissez tous – Casino, Monoprix, etc. –, il n’y en a pas que dans le Val-de-Marne…

Or, même dans ce cas, des humains sont bien mobilisés, ne serait-ce qu’avec la personne qui ouvre le magasin et qui le ferme ou celles qui assurent la sécurité – il est tout de même normal qu’il y ait des vigiles. Il y a donc bien des travailleurs ou des travailleuses qui interviennent ; tout n’est pas entièrement automatisé.

M. Pascal Savoldelli. J’ai écouté M. le rapporteur, qui nous a dit qu’il voulait exclure les supermarchés des dérogations prévues dans cette proposition de loi.

Nous demandons donc, tout simplement, que l’on sorte d’une forme de flou juridique, en excluant clairement du champ de ce texte les entreprises commerciales qui opèrent en automatisation complète.

Si cet amendement est adopté, nous pourrons témoigner, mes chers collègues, de votre esprit constructif et d’ouverture !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. La situation est quelque peu ubuesque… Par définition, si le travail est totalement automatisé, il n’y a pas de salarié. (Mmes Raymonde Poncet Monge et Silvana Silvani protestent.)

La fête du 1er mai est régie par le code du travail. L’amendement est donc hors champ, d’où notre avis défavorable.

Si votre préoccupation est d’exclure les supermarchés et hypermarchés du dispositif, soyez rassuré, mon cher collègue : la proposition de loi, telle qu’elle est écrite, permet à coup sûr d’interdire leur ouverture. L’on peut ainsi considérer que l’amendement est satisfait, donc inutile. (Mme Annick Billon renchérit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, il y a toujours des salariés !

Mme Raymonde Poncet Monge. Sauf peut-être pour les casiers de livraison ! Mais même là, il y a bien quelqu’un qui les approvisionne. Il y a donc forcément des salariés.

Nous sommes en droit de nous demander pourquoi vous ne regrettez pas que les inspecteurs du travail, qui, eux, ne peuvent bénéficier du 1er mai chômé, étant justement chargés de veiller à sa bonne application, ne puissent empêcher que ce phénomène persiste.

Il existe un moyen de contournement assez simple : il suffit que le vigile soit autoentrepreneur. Vous avez tellement permis et favorisé ce statut, en marge du code du travail, que cela est possible.

Hier, certains parlaient d’usines sans hommes : cela n’existe pas, pas plus qu’un monde sans usine, d’ailleurs. Aujourd’hui, n’entretenons pas l’illusion selon laquelle on peut ouvrir un magasin entièrement automatisé sans la présence d’un humain. Ce n’est pas possible, à l’exception peut-être, je le redis, des casiers qui existent dans certains endroits.

Il y a donc bien des personnes. Sont-elles salariées ? En ce cas, il convient de diligenter un contrôle des inspecteurs du travail pour y regarder de plus près. Autrement, peut-être s’agit-il d’autoentrepreneurs : après tout, vous avez suffisamment développé ce statut pour cela.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Dans le prolongement de la réponse de M. le rapporteur, j’aimerais obtenir une explication de la part de Mme la ministre.

En effet, s’agissant du travail automatisé dans ce type de commerce, comme le pratiquent Casino ou Monoprix, le rapporteur nous affirme que nous sommes protégés, qu’il n’y a pas de danger sur ce point.

Je vais vous faire part de mon expérience : pour celui ou celle qui est vigile, qui ouvre ou ferme le magasin, il s’agit de volontariat. Or, dans le même temps, ces entreprises se dotent d’un système totalement automatisé où, c’est certain, il n’y a aucun problème de subordination ou de volontariat.

Dès lors, si Mme la ministre nous garantit que les entreprises de commerce qui ouvrent le 1er mai avec un système de travail totalement automatisé enfreignent la loi, nous sommes prêts à retirer l’amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Je ne puis que confirmer les propos de M. le rapporteur. Il n’y a donc pas de crainte à avoir : vous pouvez retirer l’amendement.

Mme la présidente. Monsieur Savoldelli, l’amendement n° 9 est-il maintenu ?

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, j’estime, très sincèrement, ne pas avoir eu de réponse. Comme il n’y a pas eu d’argumentation, je maintiens l’amendement et le vote tranchera, légitimement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

« …. – Dans les entreprises mentionnées à l’article L. 2311-1 du code du travail, est présenté chaque année un bilan du volontariat des salariés ayant travaillé lors de la journée du 1er mai. »

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Les entreprises de plus de cinquante salariés disposent obligatoirement d’un comité social et économique (CSE), lequel doit être consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sur sa situation économique et financière et sur sa politique sociale.

Sur ce dernier point, notamment s’agissant des conditions de travail et d’emploi, l’employeur présente au CSE les rapports et programmes relatifs à la santé et à la sécurité au travail.

Dans ce cadre, il nous semble utile de fournir aux représentants du personnel des informations chiffrées sur le recours au volontariat des salariés lors de la journée du 1er mai. Les syndicats doivent pouvoir disposer d’un bilan exhaustif du nombre de salariés, des postes occupés, de la répartition par genre et du montant des indemnités accordées.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Notre objectif n’est pas de permettre aux supermarchés et hypermarchés, qui sont souvent des entreprises de plus de cinquante salariés, d’ouvrir le 1er mai. Nous voulons même l’empêcher.

Par ailleurs, accroître les charges administratives des petits commerces ou des TPE n’a pas de sens, il y a déjà bien assez de lourdeurs de ce type qui pèsent sur les petites entreprises de notre pays.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Cet amendement, comme le précédent, est quelque peu ubuesque. (Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.)

En effet, les entreprises disposant d’un CSE ne sont pas concernées par le champ de cette proposition de loi : aucun boulanger, aucun fleuriste ne s’en est doté.

Comme l’a dit M. le rapporteur, l’adoption de cet amendement n’aboutirait qu’à alourdir inutilement les charges administratives.

Par conséquent, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.

Mme Corinne Féret. Je sais l’occasion qui m’est donnée pour revenir sur la notion de volontariat. Selon vous, chers collègues qui soutenez cette proposition de loi, il faudrait faire évoluer le droit, car de nombreux volontaires seraient prêts à travailler le 1er mai afin d’être mieux rémunérés.

Permettez-moi de m’interroger : le volontariat tel que vous l’évoquez, le volontariat réel, n’existe pas. Vous savez très bien que le lien de subordination matérialisé par le contrat de travail fait que l’on est volontaire, non pas réellement, mais par obligation. Par définition, le volontariat n’existe donc pas.

Les employeurs obligent souvent les salariés à travailler le dimanche et le 1er mai, sous peine de licenciement pour ceux qui ne seraient pas volontaires. Voilà la vraie vie dans les entreprises. Et si, lors d’un entretien d’embauche, on demande à un candidat s’il sera volontaire pour travailler le 1er mai et qu’il répond par la négative, curieusement, il ne sera pas recruté…

Vous dites que des salariés – je précise qu’il s’agit souvent de femmes dans ces secteurs – voient le travail du dimanche ou le 1er mai comme un moyen d’augmenter leur rémunération. Alors, plutôt que de parler de volontariat, ne devrions-nous pas prendre le problème autrement ? Ne devrions-nous pas faire en sorte d’augmenter les salaires, en particulier les plus faibles, afin que les gens puissent vivre dignement ? Alors, ce faux volontariat disparaîtrait et nous n’aurions pas à nous interroger sur les statistiques liées à une telle notion.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote sur l’article.

Mme Corinne Féret. Cette proposition de loi étant, à mon sens, totalement contraire à l’idée même que je me fais de l’organisation et des conditions de travail, je souhaite ajouter quelques mots.

Après avoir réduit de deux années la durée de vie à la retraite, le Gouvernement, en soutenant cette proposition de loi, remet en question la spécificité du 1er mai, qui n’est pas un jour comme les autres. Il est un jour férié, obligatoirement chômé et symbolique. Il n’est pas un jour exceptionnel pour rien : il marque la journée internationale de lutte pour les droits des travailleurs depuis plus de cent ans.

Remettre en cause le principe de cette journée, c’est remettre en cause cent ans d’histoire, cent ans de luttes sociales. C’est notre histoire à tous et, pour nous projeter dans l’avenir, nous devons tenir compte de ces combats et de cette histoire.

Le Gouvernement a engagé, pour cette proposition de loi, la procédure accélérée – permettez-moi de m’en étonner, comme d’autres collègues avant moi – et il l’a inscrite à l’ordre du jour de la session extraordinaire… (Mme Raymonde Poncet Monge renchérit.)

Enfin, je reviens rapidement sur la notion de volontariat, qui sous-tend la plupart de vos arguments en faveur de ce texte : ce n’est qu’un artifice !

En tout état de cause, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre l’article unique de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote sur l’article.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous avons déjà exposé les raisons de notre opposition à ce texte.

Cela étant, je m’adresse, s’ils existent, à ceux qui, à droite et au centre, sont de bonne foi et estiment que l’on peut ne remettre en cause que partiellement le 1er mai en accolant à sa définition générale une dérogation pour quatre secteurs particuliers. Eh bien, cela n’est pas possible !

Certes, la rédaction actuelle est bien meilleure, monsieur le rapporteur, que celle qui consistait à appliquer au 1er mai la même dérogation que pour le repos dominical – là, le 1er mai explosait totalement !

Aujourd’hui, ceux qui travaillent le 1er mai ne sont pas volontaires : leur travail est obligatoire, que ce soit pour un service productif – on ne peut pas arrêter une raffinerie de pétrole, par exemple – ou un service public comme les hôpitaux. Ils ne sont donc pas volontaires et l’on ne peut accoler au 1er mai la notion de volontariat : ce serait un contresens.

De ce fait, il existe une majoration de salaire, mais cela n’a rien à voir avec, par exemple, des heures supplémentaires. Cette majoration est une compensation du fait que ces employés devraient chômer.

Ainsi, il n’y a pas de petite remise en cause ; il y a de toute façon une remise en cause, dès que l’on met le pied dans la porte. Vous introduisez des notions de volontariat, de double salaire, etc., qui sont absolument impropres et qui constituent un contresens total par rapport à la raison d’être du 1er mai.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique, modifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 342 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l’adoption 225
Contre 107

Le Sénat a adopté.

Article unique (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Intitulé de la proposition de loi (fin)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

salariés

par le mot :

employeurs

et le mot :

travailler

par les mots :

faire travailler leurs employés

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous souhaitons modifier l’intitulé de la proposition de loi pour qu’il soit plus adéquat, plus juste, et que, tout simplement, il ne soit pas inversé.

En effet, le texte vise en fait à permettre aux employeurs – eh oui ! – de certains établissements et services de faire travailler leurs employés le 1er mai.

Voilà pourquoi nous ne pouvons cautionner l’implicite de l’intitulé actuel, lequel mentionne une proposition de loi visant à permettre aux salariés de travailler le 1er mai. Cela laisse à penser que ceux-ci seraient massivement demandeurs pour travailler lors de ce seul jour obligatoirement chômé, ou bien que ce serait le cas de leurs représentants, y compris de branche.

Ils le seraient alors que, autour d’eux, tout le monde chôme, à commencer par leur famille, et que la majeure partie des services et administrations sont fermés, ce qui porterait atteinte – je m’adresse là aux gens de droite – à l’articulation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.

Il est plus exact, voire plus honnête, de retenir une formulation qui rende compte du fait que la demande émane des employeurs et de leurs syndicats.

Au regard de tous ces constats, l’intitulé doit traduire le fait que le demandeur est le patronat, et non la partie représentative des salariés, unanime contre cette dérégulation – on nous dit pourtant qu’il faut respecter les partenaires sociaux…

Le patronat demande qu’il soit enfin permis aux employeurs de faire travailler leurs employés le 1er mai. La raison en serait, non plus l’impossibilité d’interrompre le travail, mais tout simplement la volonté d’augmenter le chiffre d’affaires pendant que les autres commerces sont fermés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement irait totalement à l’encontre de l’intention des auteurs de la proposition de loi, Annick Billon et Hervé Marseille. En effet, nous avons expliqué, tout au long de ce débat, qu’il s’agissait de circonscrire le dispositif aux trois ou quatre cas évoqués : fleuristes, jardineries, boulangeries et activités culturelles, par exemple les cinémas. Nous ne souhaitons pas qu’il soit étendu aux moyennes et grandes surfaces.

C’est un peu le nœud de notre désaccord : le dispositif s’appuie sur un volontariat encadré. Il n’y a pas, selon nous, d’incompatibilité entre volontariat, qu’il faut contrôler et encadrer, et lien de subordination.

L’intitulé retenu par les auteurs de la proposition de loi est donc parfaitement juste. Par conséquent, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 14.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Tout cela est un peu triste…

Mme Monique Lubin. Eh oui.

Sous prétexte d’aider deux secteurs qui ont un impérieux besoin d’ouvrir le 1er mai, ce que nous ne contestons pas, mais surtout de faire travailler leurs salariés ce jour-là, vous ouvrez la porte à d’autres professions, essentiellement dans le commerce. Ce qui régit notre vie de citoyen, ce sont donc, aujourd’hui, les commerces !

Voilà pourquoi je trouve tout cela un peu triste.

Vous allez continuer à créer différentes catégories de salariés.

Ainsi, il y aura ceux qui pourront continuer à ne pas travailler le 1er mai, à profiter de loisirs, à poser des jours de congé autour de cette date pour partir en vacances, à bénéficier de tout ce que le droit du travail leur aura donné, de tout ce que les luttes des ouvriers, souvent sanglantes, du début du XXe siècle leur auront donné.

Et puis il y aura les autres, qui sont souvent, d’ailleurs, les héritiers de ceux qui ont lutté : eux continueront à être captifs de leur triste sort, qui est de toujours travailler pour que les autres puissent profiter de la vie.

Mme Monique Lubin. J’ai même entendu l’un d’entre vous, mes chers collègues, affirmer en substance – je caricature un peu – que, la France allant mal, il fallait travailler pour que les caisses de l’État se remplissent. En d’autres termes, c’est toujours aux mêmes de faire les efforts pour combler les déficits. Et je pense que nous entendrons encore de tels propos au cours des mois à venir.

C’est un jour triste et le groupe SER votera, bien évidemment, contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Cette proposition de loi permet de clarifier les conditions du travail des employeurs et des salariés le 1er mai. En effet, les employeurs, depuis des années, bénéficiaient d’une tolérance bienveillante pour ouvrir leur commerce avec des salariés volontaires. A priori, cela ne posait pas de problème avant les contrôles et sanctions.

Le 1er mai, jour férié et chômé, est la fête du travail et du mouvement social. Ce dernier, pendant le XXe siècle, a permis d’arriver progressivement à un équilibre des droits entre les employés et les employeurs.

Il fallait clarifier le fait que travaillent, le 1er mai, des employés volontaires dans des entreprises bien définies, avec un périmètre précis des activités autorisées, ce qu’ont permis de faire les amendements de M. le rapporteur.

En ce qui concerne le volontariat pour les salariés, il est garanti et il a été précisé par l’amendement n° 17 rectifié bis de l’auteure du texte, Mme Annick Billon.

Il s’agit donc pour moi d’une clarification responsable, et non d’une loi contre le monde du travail. Loin de l’ouverture d’une boîte de Pandore, il s’agit d’un texte nécessaire, qui permet de pérenniser ce qui existe pour les fleuristes et les boulangers, notamment pour les petites entreprises, les supermarchés étant exclus du dispositif.

En outre, les artisans et les commerçants travaillent aussi avec leurs salariés, qui veulent souvent que leur entreprise n’interrompe pas son activité. Ainsi, dans beaucoup de petites entreprises, il y a une solidarité entre les employés et les employeurs, plutôt que des conflits perpétuels. En cela, je ne me suis pas retrouvé dans certains propos.

Le groupe Les Indépendants votera pour cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Je voulais attirer l’attention sur certains glissements sémantiques, qui ne sont pas anodins.

A été évoquée « l’insécurité juridique » d’un certain nombre d’artisans ou de commerces. Pardon, mais quand on transgresse une loi, on est non pas en insécurité juridique, mais hors la loi, tout simplement ! Il convient donc de dénoncer ce glissement sémantique, auquel nous ne souscrivons pas.

Un autre glissement a consisté en l’introduction, tout d’un coup et à l’envi, de la notion de volontariat là où il existe déjà une relation professionnelle, un encadrement par le code du travail et, je l’espère, un contrat de travail. Ce n’est pas en répétant à qui mieux mieux le terme de volontariat que l’on va finir par y croire.

Malgré ces glissements sémantiques, personne ici n’est réellement dupe de la manœuvre.

Finalement, vous vous cachez derrière quelques artisans, qui ont tout notre respect. Certains d’entre eux sont venus nous voir tout à l’heure : leur propos est beaucoup plus nuancé que celui que vous leur prêtez.

En vous attaquant au 1er mai, vous vous attaquez à tous les salariés.

Cela étant dit, je note tout de même un point « positif » : le parfait accord entre la droite sénatoriale et le Gouvernement, qui aujourd’hui – c’est arrivé à d’autres moments – parlent d’une seule voix et défendent un même texte.

Bien évidemment, le groupe CRCE-K votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Je souhaite ajouter quelques mots. Peut-être cela vous surprendra-t-il, mais ne peut-on vraiment pas acheter son pain la veille du 1er mai ? (Mme Monique Lubin rit.)

Pendant mon enfance, mes yeux étaient écarquillés lorsque ma grand-mère faisait du pain perdu. Or le pain perdu ne se prépare pas avec du pain frais ! (Sourires.) De même, dans notre patrimoine culinaire, bien des recettes ne comportent pas de pain frais. Voilà pour une petite note d’insolence et d’humour…

Arrêtez de nous vendre l’idée selon laquelle il faudrait absolument acheter son pain le 1er mai ! Épargnez-nous vos références patrimoniales ou morales : cela ne fonctionne pas.

En outre, j’observe que, au cours du débat, aucun amendement déposé par la gauche n’a été retenu. Ainsi, l’auteure du texte, le rapporteur et la ministre ont décidé de leurs propres exceptions, en rejetant toute autre proposition.

De toute évidence, je conteste les valeurs défendues par mes collègues de droite, qui se réclament de la liberté de travailler. Disons-le clairement : ajouter des exceptions en cascade revient à définir une nouvelle réglementation du travail. (Mme Monique Lubin acquiesce.) Nous devrions donc vraiment inventer un code du capital, à côté du code du travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. On l’a rappelé, cela fait quarante ans que des fleuristes et des boulangers ouvrent leur commerce le 1er mai sans leurs salariés, qui ont le droit de chômer. Or vous prétendez tout à coup que ce n’est plus possible : les salariés devraient maintenant travailler pendant cette journée, au prétexte que des commerces de proximité rencontrent des difficultés économiques et souhaitent se maintenir à flot.

L’enjeu n’est pas de savoir si les salariés doivent ou non travailler le 1er mai, il est d’apporter des réponses aux artisans et aux commerces de proximité en difficulté. Ce n’est pas en piétinant le seul jour chômé qui existe en France que nous allons résoudre les problèmes !

Ce que je trouve terrible – et ceux qui nous écoutent en sont probablement tout autant choqués –, c’est que la proposition de loi vise à « permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai », comme si de très nombreux travailleurs manifestaient cette envie.

Nous nous apprêtons à voter la pire régression sociale de ces dernières années,…

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Pire que la réforme des retraites ?

Mme Ghislaine Senée. … sous couvert de garantir aux salariés la liberté de travailler, alors qu’il s’agit, au contraire, d’un droit qu’on leur retire !

Le 1er mai est le seul jour chômé où des millions de personnes – voire des milliards, en incluant les autres pays qui fêtent aussi les travailleurs – ont le droit de ne pas travailler.

Ainsi, cette proposition de loi est désespérante, cela décrédibilise encore la parole politique. J’y insiste, vouloir « permettre » aux salariés de travailler le seul jour chômé qui existe est d’un cynisme qui me heurte profondément.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. J’ai quitté l’hémicycle tout à l’heure, mais on m’a rapporté qu’Annick Billon se serait émue de l’emploi du mot « réactionnaire ».

M. Patrick Kanner. Je suis donc allé chercher une définition dans le dictionnaire : est réactionnaire une politique qui prône et met en œuvre un retour à une situation passée, réelle ou fantasmée, en révoquant une série de changements sociaux ou sociétaux.

Nous y sommes, chers collègues ! (Eh oui ! sur les travées du groupe CRCE-K.) Ce n’est pas une insulte que de le dire.

Vous prenez bien une décision réactionnaire au travers de ce qu’il conviendra d’appeler, dans l’histoire sociale de notre pays, la loi Billon-Marseille.

Dans cette logique, vos arguments ont porté essentiellement sur le volontariat qui, de toute évidence, permet au renard d’entrer dans le poulailler. Vous entendez appliquer la loi du plus fort contre les salariés, tout cela pour assurer des avantages économiques ridicules.

On a parlé du pain perdu. Notez qu’il existe, depuis maintenant quelques années, des congélateurs et qu’ils peuvent se révéler particulièrement utiles… Le pain congelé est sans doute moins bon que le pain frais, je vous le concède. Mais, si pour avoir du pain frais, il faut en venir à une politique réactionnaire, cela me désole !

Du reste, cette proposition de loi a été inscrite, par le Gouvernement, à l’ordre du jour de la session extraordinaire. Celle-ci se terminera d’ailleurs en feu d’artifice, jeudi et vendredi prochains, avec l’examen de la proposition de loi défendue par Mme Dati, qui menace de liquidation l’audiovisuel public via la mise en place d’une holding. N’en doutez pas, c’est un texte que nous combattrons aussi avec force et vigueur.

Je constate que vous êtes allés vite pour nous soumettre la présente proposition de loi, mes chers collègues, le Gouvernement ayant même engagé la procédure accélérée. Vous feriez bien de continuer à avancer vite à la rentrée, car, au rythme où vous prenez des décisions extrêmement négatives pour le pays, la censure vous attend.

Mme Pascale Gruny. Ici, il n’y en a pas !

Mme Monique Lubin. Et pas que la censure !

M. Patrick Kanner. Continuez comme cela et vous verrez que la censure sera au rendez-vous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. De toute évidence, nous n’allions pas voter les amendements tendant à supprimer l’article unique, car nous sommes fiers de défendre cette proposition de loi et nous souhaitons qu’elle puisse être votée.

En effet, monsieur Kanner, je ne me reconnaissais pas dans le terme de « réactionnaire », car cela fait quarante ans que des artisans boulangers et fleuristes ouvrent le 1er mai. Si je me suis émue de votre interprétation, c’est parce que notre texte ne vise nullement à opérer un retour en arrière.

Mme Annick Billon. D’ailleurs, je tiens à remercier le rapporteur et la commission des affaires sociales pour le travail mené sur ce texte qui, conformément à son objectif initial, permet de sécuriser et de limiter l’ouverture de certains établissements le 1er mai.

Je l’ai répété, nous sommes attachés au 1er mai, qui est de toute évidence un jour férié et chômé. Néanmoins, les fleuristes et les boulangers doivent pouvoir ouvrir leur commerce sans risquer des contrôles et des verbalisations.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons tenu à savoir combien d’artisans boulangers ouvraient leur commerce le 1er mai. Nous avons ainsi constaté qu’ils étaient 35 000, sur l’ensemble du territoire, à travailler pendant cette journée.

Bref, il y a bel et bien des artisans qui travaillent le 1er mai et leurs salariés sont payés le double. Force est de constater que, jusqu’à ce jour, ce statu quo n’a jamais ému personne, sauf depuis 2022, où des boulangers ont été soudainement verbalisés dans quelques départements. La profession dans son ensemble s’est alors sentie en danger.

Ainsi, après avoir été sollicités par les professionnels de toutes les filières concernées, Hervé Marseille et moi-même avons tenu à apporter des solutions, une sécurisation, un éclaircissement. (Mme Silvana Silvani sexclame.)

Tel était l’objectif visé par ce texte, lorsque nous l’avons rédigé. Désormais, grâce au travail du rapporteur, il est beaucoup plus précis. Il évite ainsi les dérives qui ont été évoquées. Encore une fois, je suis très fière et satisfaite de défendre ce texte et j’espère qu’il entrera en vigueur très rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Le 1er mai, c’est non pas la fête du travail, mais la fête des travailleurs ; la fête des hommes et des femmes qui se lèvent tous les matins pour aller bosser. Il s’agit bien, chers collègues, d’un acquis social.

En définitive, ce débat est très éclairant. Deux visions complètement différentes de la société s’affrontent, celle de la droite et celle de la gauche. On l’a dit tout à l’heure, ce débat de fond est idéologique et ce n’est pas, en soi, un problème.

Une chose est sûre, nos collègues de droite s’inscrivent dans une logique libérale.

M. Pascal Savoldelli. Et carrément d’extrême droite !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Après la réforme des retraites et l’idée émise par le Gouvernement de faire travailler les salariés sept heures de plus sans être rémunérés pour cela – je ne doute pas que cette proposition sera remise sur la table –, vous suggérez, aujourd’hui, de casser un peu plus le code du travail.

On voit bien la philosophie qui sous-tend votre démarche : vous voulez supprimer une journée chômée rémunérée, car cela vous est insupportable. Ce faisant, vous continuez à détricoter le code du travail.

À vous entendre, il semblerait que nous vivions dans un monde de Bisounours. Selon vous, le volontariat est une chose magnifique, car il permet aux patrons d’appeler des volontaires quand ils le souhaitent. Eh bien, ce n’est pas cela, la vraie vie…

Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue !

M. Laurent Burgoa. Votre temps de parole est écoulé !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous demande de bien réfléchir à la question, parce que le volontariat ne correspond pas à ce que vous avez décrit.

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ce qui se passe aujourd’hui est grave. Le 1er mai est un jour chômé rémunéré que, par votre texte et le vote à venir, vous attaquez. C’est un monument, un patrimoine, un héritage historique et culturel commun que vous vous apprêtez à abîmer.

User du prétexte du volontariat pour légitimer votre démarche est une hypocrisie langagière. En effet, il n’y a rien de volontaire dans le fait de laisser sa famille et de sacrifier un jour de repos pour aller travailler. Travailler un 1er mai ne peut être que le résultat d’une contrainte.

En effaçant toute la symbolique du 1er mai, vous servez un seul objectif qui est très clair et votre refus de modifier l’intitulé de la proposition de loi révèle bien votre intention de convaincre tous les travailleurs qu’ils n’ont pas le choix et que leurs droits sont en voie d’extinction.

Chers collègues, une fois que vous aurez commis la faute de voter ce texte, je vous invite à compléter les manuels d’histoire, car il faudra bien enseigner aux nouvelles générations que, en 2025, les droits des travailleurs ont posé problème au Gouvernement. (Bravo ! sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Pascale Gruny. C’est faux !

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.

Mme Corinne Féret. Je tenais à reprendre à mon compte les propos de notre collègue Senée, pour qui cette proposition de loi acte la pire régression sociale de ces dernières années, après que le Gouvernement a essayé de faire travailler les salariés sept heures de plus par an sans rémunération. En l’occurrence, le Gouvernement parlait de « bénévoles », tandis que le présent texte se réfère à des « volontaires ».

Je ne partage pas du tout cette approche philosophique du travail qui, contrairement à ce que vous vous évertuez à dire, consiste purement et simplement à remettre en cause le principe selon lequel le 1er mai est un jour chômé.

Au travers de cette proposition de loi, vous voulez permettre aux boulangers et aux fleuristes d’ouvrir leur commerce le 1er mai. Or la loi ne le leur a jamais interdit, pourvu qu’ils ne recourent pas à leurs salariés ce jour-là. (M. Daniel Chasseing sexclame.)

Vous proposez que, demain, ces mêmes commerçants puissent ouvrir leur boutique grâce au concours de volontaires – d’ailleurs, il s’agit bien de faux volontaires, comme nous l’avons démontré.

En tant que parlementaire, je pense que, si nous faisons la loi, c’est pour protéger, protéger notamment celles et ceux qui ont besoin d’un cadre pour leur éviter d’être abandonnés ou isolés sans pouvoir répondre à des mises en cause.

De votre côté, vous proposez de modifier la législation relative au 1er mai, car vous contestez les contrôles qui sont réalisés pour l’appliquer.

Bref, soit je n’ai pas compris le rôle d’un parlementaire, soit le monde marche sur la tête !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 343 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 228
Contre 112

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental
Avant l’article unique

Pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental, présentée par Mme Nadège Havet (proposition n° 475, texte de la commission n° 779, rapport n° 778).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nadège Havet, auteure de la proposition de loi.

Mme Nadège Havet, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite à une double interpellation : celle de Mme Marie Rousseau, présidente de l’association La Cour des grands 75, qui conçoit des parcours inclusifs pour adolescents et adultes autistes, et celle de Mme Jill Boucharé, fondatrice et présidente de l’association Graine d’autodétermination, située à Brest et spécialisée dans les troubles du spectre de l’autisme (TSA) depuis près de vingt ans.

Les professionnels et les citoyens qui se mobilisent à leurs côtés assurent le déploiement du dispositif Réussite emploi et un pôle ressources, afin que les besoins des entreprises soient en lien avec les compétences des adolescents et des adultes.

Ces deux associations ont au moins trois points communs.

Tout d’abord, leurs représentants sont présents dans les tribunes de notre hémicycle, aujourd’hui : je les en remercie.

Ensuite, elles ont développé des parcours d’inclusion remarquables, conçus pour des jeunes qui ne peuvent accéder aux formations qualifiantes de droit commun.

Enfin, elles ont recours, dans le cadre de leurs actions d’inclusion, aux contrats de professionnalisation expérimentaux, prévus par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. C’est pourquoi, à la fin de l’année dernière, elles m’ont demandé leur pérennisation.

Cette démarche a été entreprise aux côtés de trois autres associations : Créative Handicap, Afuté et KMK conseil et formation.

Le contrat de professionnalisation expérimental, jusqu’à présent temporaire, est une déclinaison du contrat de professionnalisation de droit commun, créé par la loi du 4 mai 2004, qui permettait d’acquérir une qualification professionnelle par la formation continue.

Le contrat dont nous allons débattre aujourd’hui, plus souple, s’adresse prioritairement aux personnes les plus éloignées du marché du travail : les jeunes de 16 à 25 ans révolus, qui souhaitent compléter leur formation initiale ; les demandeurs d’emploi de plus de 26 ans ; les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), d’un contrat aidé ou d’un contrat unique d’insertion (CUI).

Son objectif premier est de permettre au salarié d’acquérir des compétences spécifiques, définies en concertation avec l’employeur et l’organisme de formation. Il est question non plus seulement d’obtenir une certification professionnelle totale, mais de valider un ou plusieurs blocs de compétences identifiées.

Neuf des onze opérateurs de compétences (Opco) sont entrés dans ce dispositif récent, avec pour missions principales de financer les contrats en alternance, d’aider les branches à construire les certifications professionnelles et d’accompagner les entreprises à définir leurs besoins.

Initialement lancés dans le cadre d’une expérimentation, ces parcours de formation plus personnalisés devaient prendre fin le 31 décembre 2023. Ils ont été prolongés jusqu’au 31 décembre 2024, mais pas au-delà. Ainsi, nous déplorons l’existence d’une carence qui, depuis plusieurs mois, fragilise les organismes et les personnes bénéficiaires.

Nous avions pourtant constaté plusieurs choses positives. Près de 8 400 entreprises ont procédé à des recrutements via ce dispositif. Un nombre élevé de contrats a été conclu – 35 356 entre 2018 et 2023 –, signe qu’ils répondaient à un véritable besoin.

En outre, de nombreux jeunes et demandeurs d’emploi ont bénéficié de cette expérimentation : 44,31 % des bénéficiaires sont des jeunes de 16 à 25 ans, tandis que 46,86 % sont des demandeurs d’emploi de plus de 26 ans.

Ces contrats ont permis de répondre aux besoins de recrutement, via la création de parcours de formation plus courts, qui s’appuient sur les compétences déjà acquises. Ce faisant, ils contribuent à insérer ou à réinsérer par l’emploi les individus concernés. Plus globalement, ils répondent à la politique, menée depuis 2017, de soutien au travail.

Les tensions de recrutement dans certains secteurs ont pu conduire des entreprises à recruter des salariés à qui il manque une partie des compétences nécessaires pour l’emploi. Un contrat de professionnalisation, dont l’objet est élargi aux blocs de compétences, permettrait de sécuriser le recrutement et la formation de ces salariés.

Le rapport d’évaluation transmis par le Gouvernement dresse un constat identique au nôtre : cette expérimentation est concluante. Cela étant, il recommande de promouvoir ce dispositif auprès des branches professionnelles, des organismes de formation et des entreprises.

Reste la question essentielle du financement. De nombreux responsables d’organismes, notamment finistériens, et d’associations, très satisfaits de ces contrats adaptés, expriment des inquiétudes sur l’existence de certains flous.

C’est pourquoi ils demandent que ces contrats soient sanctuarisés dans le droit français, d’autant qu’ils ont été utilisés dans toutes les régions : plus de 15 % dans les Hauts-de-France et en Île-de-France, près de 5 % en Bretagne et plusieurs centaines en Guadeloupe.

Dans ces conditions, mes chers collègues, l’article unique de la présente proposition de loi, que je vous invite à adopter, vise à pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental.

Enfin, je tiens à remercier le rapporteur, Xavier Iacovelli, d’avoir émis un avis favorable sur ce texte, ainsi que le président et les membres de la commission des affaires sociales. Je veux également saluer Mme la ministre pour son engagement sur ce sujet et, plus généralement, pour son travail et sa défense politique de ce dispositif, qui a profité à des dizaines de milliers de Français à travers le pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Nadège Havet, dont je salue l’initiative, vise à pérenniser un dispositif en faveur des personnes les plus éloignées de l’emploi, soutenu dès son origine par le Sénat.

Le contrat de professionnalisation expérimental permet en effet de recourir au contrat de professionnalisation avec des conditions assouplies. Afin que vous saisissiez bien la portée de cette mesure, je rappellerai brièvement le droit applicable aux contrats de professionnalisation.

Le contrat de professionnalisation a la spécificité d’assurer le recrutement d’un salarié éloigné de l’emploi, tout en lui permettant de suivre une formation donnant lieu à certification, période durant laquelle il bénéficie d’un maintien de salaire. Sont logiquement éligibles à ce contrat les jeunes âgés de moins de 25 ans, les seuls demandeurs d’emploi de plus de 26 ans et les bénéficiaires de minima sociaux.

Ce type de contrat est plébiscité tant par les employeurs, pour sa flexibilité, que par les salariés, pour l’acquisition de compétences. Ainsi, en 2024, près de 87 000 contrats ont été conclus, pour une prise en charge des frais de formation par les opérateurs de compétence de plus de 1 milliard d’euros.

S’ajoutent à cela des aides spécifiques à l’embauche, qui permettent d’inciter les employeurs à recourir au contrat de professionnalisation, pouvant aller de 2 000 euros, dans le cas général, à 7 000 euros cumulés pour un adulte en situation de handicap.

Dans ce contexte, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a lancé une expérimentation d’une durée de deux ans, afin de permettre de recourir au contrat de professionnalisation dans des conditions assouplies.

Le code du travail précise que les formations doivent, en principe, conduire à l’obtention par le salarié d’une certification relevant du répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), ou bien reconnue par une branche professionnelle ou au niveau interprofessionnel.

A contrario, l’employeur pouvait, dans le cadre de cette expérimentation, s’affranchir de ce panel de formations pour répondre à ses besoins avec plus de flexibilité.

Cette expérimentation a été prolongée une première fois jusqu’au 28 décembre 2023 par la loi du 17 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », puis, de manière informelle, par un courrier envoyé à France Compétences, en juillet dernier, par la ministre Catherine Vautrin. Celle-ci a habilité l’organisme à poursuivre le financement de cette expérimentation, et cela de manière rétroactive, jusqu’à la fin de l’année 2024.

Quel bilan pouvons-nous tirer de cette expérimentation, à l’heure où notre collègue Havet nous propose de la pérenniser dans son principe ?

Le rapport d’évaluation prévu par la loi de 2018, qui m’a été communiqué, est sans ambiguïté : ce dispositif complète utilement les outils à la main de l’employeur pour concourir à l’insertion des publics les plus fragiles, les moins qualifiés ou les plus éloignés de l’emploi.

Sur la forme, je regrette que ce rapport ait été communiqué si tardivement et qu’il n’ait pas été formellement déposé au Sénat, au bénéfice de tous.

Cela étant, plus de 35 000 contrats de professionnalisation expérimentaux ont été conclus entre 2018 et 2023, soit près de 4 % des contrats de professionnalisation, ce qui montre qu’il n’y a pas eu de phénomène de prédation sur les contrats de professionnalisation dits classiques.

Les organisations patronales interrogées ont salué la possibilité offerte d’adapter, au plus près des besoins, le parcours de formation du salarié, qui n’est pas forcément certifiant ou diplômant. Cette souplesse a été particulièrement utilisée dans les entreprises de l’industrie agroalimentaire ou dans le secteur des mobilités.

La commission des affaires sociales a tenu à souligner que, dans le cadre de cette expérimentation, les employeurs concernés ont joué le jeu de l’insertion durable. En effet, le contrat de professionnalisation expérimental n’était pas un contrat au rabais.

À titre d’exemple, dans le secteur des entreprises de proximité, plus de 58 % des contrats de professionnalisation expérimentaux ont été conclus sous la forme d’un CDI, contre près de 83 % de CDD dans le cas des contrats de professionnalisation non expérimentaux signés en 2021, tous secteurs confondus.

Le contrat de professionnalisation expérimental s’est également révélé un outil appréciable pour les secteurs en tension, qui ont pu former des salariés volontaires à la spécificité de leur activité, mais aussi pour les entreprises ne trouvant pas de profils adaptés au poste ou pour lesquels aucune formation unifiée n’existe, en raison de la spécificité des tâches à exécuter.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à pérenniser le recours à un contrat de professionnalisation pour l’acquisition d’un ou plusieurs blocs de compétences, définies par l’employeur et l’opérateur de compétences.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette pérennisation est souhaitable en ce qu’elle facilite l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, grâce à une plus grande individualisation des parcours. Elle est d’autant plus nécessaire que certains Opco, notamment dans les secteurs de la santé, du commerce et de la construction, n’ont pas souhaité utiliser le contrat expérimental, de peur d’exposer leur organisation à un risque d’instabilité juridique et temporelle.

Une pérennisation permettrait donc d'étendre le public de bénéficiaires. Il faut cependant souligner, comme plusieurs de nos collègues l’ont fait en commission, que le présent texte ne reprend pas exactement le périmètre de l’expérimentation.

En effet, certaines branches professionnelles, à commencer par la métallurgie, se sont émues de la formulation retenue, qui permet la conclusion d’un contrat de professionnalisation en vue de la validation, par le salarié, d’un ou plusieurs blocs de compétences.

L’expérimentation était plus permissive, puisqu’elle mentionnait une formation définie par l’employeur et l’opérateur de compétences, en accord avec le salarié.

Cette restriction, il faut le dire, fera obstacle au financement de formations jusque-là réellement utiles pour certains employeurs ; ainsi, elle fera peut-être obstacle à la conclusion de certains contrats.

Cependant, cette restriction nous a semblé nécessaire.

Tout d’abord, parce que les contrats concernés sont peu nombreux : moins de 20 % des contrats de professionnalisation expérimentaux signés dans la branche métallurgie n’entreraient pas dans le périmètre de la proposition de loi.

Ensuite, parce que rien n’empêche les branches concernées de s’organiser, afin de faire émerger de nouveaux certificats de qualification professionnelle de branche et de prendre en compte les spécificités de la formation envisagée.

Enfin, parce que cette restriction permettra d’éviter les rares cas où le contrat a été utilisé à des fins étrangères au dispositif, ce qui renforce le risque d’illisibilité et conduit à un contrôle plus limité.

En définitive, nous avons là l’exemple concret d’une politique publique qui, ayant été testée et évaluée, a fait la preuve de son utilité. Il est donc logique et cohérent d’en assurer aujourd’hui la pérennisation.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce texte sans modifications. (Mme Nadège Havet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de lautonomie et du handicap. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le contrat de professionnalisation expérimental, créé par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, s’adressait prioritairement aux personnes les plus éloignées du marché du travail, notamment aux personnes en situation de handicap.

Il a permis d’assouplir le contrat de professionnalisation de droit commun, afin de personnaliser le parcours de formation et d’apporter une réponse rapide tenant compte de la situation du bénéficiaire et des besoins des employeurs. En effet, il était conçu pour permettre aux salariés d’acquérir des compétences spécifiques, définies dans le cadre d’un parcours de formation élaboré en concertation avec l’employeur ou l’organisme de formation.

Contrairement au contrat de professionnalisation de droit commun, ce contrat expérimental permettait l’acquisition de compétences par la validation d’un ou de plusieurs blocs de compétences spécifiques, sans viser l’obtention d’une certification professionnelle dans son intégralité.

Après une première prolongation à la fin de l’année 2023, l’expérimentation a pris fin le 31 décembre 2024. Aujourd’hui, la proposition de loi de Mme la sénatrice Nadège Havet vise à rétablir ce contrat et à le pérenniser, dans la continuité d’une proposition formulée par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

Pourquoi faire cela aujourd’hui ? Pour la meilleure des raisons : cet outil – ce n’est pas toujours le cas ! – a rencontré son public. C’est une vraie réussite : plus de 35 000 contrats ont été conclus durant les cinq premières années d’expérimentation ; neuf des onze opérateurs de compétences ont choisi de déployer ce contrat de professionnalisation expérimental et plus de 8 000 entreprises y ont eu recours.

Ce contrat vise des publics prioritaires, les jeunes de 16 à 25 ans et les demandeurs d’emploi, pour lesquels nous devons disposer d’une panoplie d’outils adaptés à chaque situation individuelle et aux enjeux du bassin d’emploi. À ces publics prioritaires, le contrat de professionnalisation expérimental offre des emplois stables. Il favorise leur insertion professionnelle.

Proposant des parcours plus courts et s’adressant à des publics plus éloignés de l’emploi, il donne des résultats positifs. L’Opco Atlas a ainsi recensé 79 % de salariés en CDI ou en CDD de plus de six mois parmi les personnes ayant suivi ce parcours.

Ce contrat de professionnalisation expérimental répond aux besoins en recrutement en créant des parcours de formation plus courts, qui tiennent compte des compétences déjà acquises par les salariés comme de celles que recherchent les employeurs.

Sa souplesse même est intéressante : d’une part, elle offre aux personnes concernées une insertion ou une réinsertion rapide et efficace par l’emploi ; d’autre part, elle apporte une solution aux entreprises qui ne trouvent pas les compétences qu’elles recherchent.

En cohérence avec la proposition qu’il avait formulée à l’automne 2024, le Gouvernement est favorable au rétablissement et à la pérennisation de ce contrat de professionnalisation expérimental. Il soutient donc pleinement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi simple dans sa rédaction, mais essentielle dans sa portée : il s’agit de pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental, instauré en 2018 dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Ce contrat n’est pas un dispositif de plus dans notre paysage de la formation professionnelle. Comme l’a indiqué l’auteure de cette proposition de loi, il est un outil concret d’insertion, un levier efficace de retour à l’emploi et une réponse pragmatique aux besoins des entreprises comme à ceux des demandeurs d’emploi.

Je tiens à le rappeler d’emblée, il s’adresse d’abord aux personnes les plus éloignées du marché du travail. Comme l’a souligné le rapporteur, il a été conçu pour ceux qui ne trouvent pas leur place dans les dispositifs habituels de formation ou d’alternance ; il est flexible, adaptable, centré sur les compétences réelles et utiles à l’emploi.

Plutôt que d’imposer un diplôme complet ou une certification globale, il permet de viser un ou plusieurs blocs de compétences ciblés, construits sur mesure entre l’employeur, le salarié et l’organisme de formation.

Autrement dit, il répond à des besoins concrets identifiés sur le terrain, et les résultats sont là : plus de 35 000 contrats ont été conclus en cinq ans, autant de parcours individualisés, autant de chances offertes à des personnes qui, souvent, n’avaient pas trouvé leur place dans les dispositifs classiques.

Parmi ces bénéficiaires, près de 45 % sont des demandeurs d’emploi de plus de 26 ans et plus de 44 % des jeunes de 16 à 25 ans. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : ce contrat est un outil de justice sociale et d’égalité des chances.

Il ne s’agit pas seulement de cela, pourtant ; il s’agit aussi de répondre à un problème économique. Aujourd’hui, nos entreprises, notamment dans le BTP, l’industrie, la restauration ou l’aide à la personne, peinent à recruter, non pas parce que les candidats manquent, mais souvent parce que ces derniers ne disposent pas de l’ensemble des compétences attendues, même s’ils en possèdent une partie précieuse.

Ce contrat permet justement de recruter des personnes motivées et de compléter leurs compétences de façon ciblée, progressive et opérationnelle. Il constitue ainsi un outil de sécurisation du recrutement apprécié tant par les employeurs que par les salariés. Il permet de former tout en embauchant, plutôt que d’attendre une hypothétique formation avant de proposer un contrat.

Dans mon département, comme dans beaucoup d’autres, de nombreux responsables d’organismes de formation, de missions locales ou de Pôle emploi m’ont fait part de leur attachement à ce contrat, qu’ils considèrent comme un trait d’union efficace entre la formation et l’emploi. Ils m’ont aussi fait part de leur inquiétude : depuis plusieurs mois, le flou entoure l’avenir de ce dispositif.

D’abord prévu pour s’achever à la fin de 2023, il a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2024, mais sans certitude pour la suite. Ce flou est aujourd’hui source de blocage, d’incompréhension et parfois de renoncement.

Comment construire des parcours de formation sérieux si l’on ne sait pas si ce contrat existera encore dans six mois ? Comment rassurer les entreprises si les textes sont instables ? Comment sécuriser les parcours des salariés si on leur dit qu’ils bénéficient d’un dispositif expérimental en sursis ?

C’est donc à cette insécurité juridique et à cette incertitude opérationnelle que la proposition de loi entend répondre.

Son objectif est clair : pérenniser ce contrat dans le droit commun. Il ne s’agit ni de le généraliser à tout-va ni de détricoter les autres dispositifs existants, mais de sanctuariser un outil éprouvé, apprécié et équilibré, de lui offrir une base légale stable, afin que les acteurs de terrain puissent s’en saisir avec confiance, que les contrats en cours ne soient pas interrompus et que leurs bénéficiaires, souvent en situation de précarité, ne soient pas les victimes d’une politique hésitante.

Ce n’est pas un changement idéologique. C’est bien une consolidation pragmatique, fondée sur l’expérience et sur le bon sens. Je voudrais, à ce stade, répondre à une objection que l’on entend parfois : pourquoi ajouter ce contrat au panel déjà large des contrats en alternance et des dispositifs de formation ou d’insertion existants ?

La réponse est simple : parce qu’il comble un vide, qu’il s’adresse à un public bien identifié, ni tout à fait débutant, ni tout à fait opérationnel, qui ne trouve pas toujours sa place dans les autres dispositifs, comme l’ont dit l’auteure de la proposition de loi et le rapporteur ; parce qu’il permet des parcours modulaires, progressifs, compatibles avec des réalités de vie complexes – familles monoparentales, personnes en reconversion, salariés en situation de handicap, jeunes en décrochage ; enfin, parce qu’il s’appuie sur la logique des compétences, qui est aujourd’hui celle du monde du travail réel, et non plus uniquement sur des titres ou sur des diplômes.

La France a souvent péché par complexité dans sa politique de formation. Ne commettons pas l’erreur inverse aujourd’hui, celle de la frilosité et de la remise en cause de ce qui fonctionne.

Au contraire, nous devons faire preuve de cohérence, de stabilité et de confiance envers les acteurs de terrain. En pérennisant ce contrat, nous adressons un signal positif à ceux qui cherchent à se former pour trouver un emploi, à ceux qui forment, accompagnent et orientent, mais aussi à ceux qui, dans les entreprises, font le pari de l’inclusion et de la transmission.

Mes chers collègues, cette proposition de loi ne coûte rien à l’État. Elle ne crée pas un dispositif nouveau. Elle pérennise une expérimentation réussie, attendue, nécessaire. Elle fait œuvre d’utilité sociale et d’efficacité économique.

À l’heure où les tensions de recrutement sont une réalité, voire se multiplient, où l’objectif de plein emploi reste une priorité nationale et où les transitions professionnelles s’accélèrent, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser tomber un outil qui fonctionne.

Aussi, mes chers collègues, le groupe Union Centriste vous invite, en conscience et avec responsabilité, à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental.

Ce contrat fait partie des dispositifs qui visent à l’insertion professionnelle et à l’acquisition de qualifications par des personnes éloignées de l’emploi.

Selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) menée en 2022, les effets bénéfiques de la formation sur la réinsertion professionnelle sont plus élevés chez les personnes les plus éloignées de l’emploi, notamment pour les demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an.

Ce contrat, destiné aux jeunes de moins de 30 ans, aux demandeurs d’emploi et aux bénéficiaires de minima sociaux, permet d’obtenir une certification professionnelle.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a lancé une expérimentation portant sur un contrat de professionnalisation en vue d’une formation ne correspondant qu’à un ou plusieurs blocs de compétences d’une certification, et non à son intégralité.

Le groupe RDPI nous propose aujourd’hui de pérenniser ce dispositif expérimental.

Notre première remarque, déjà exprimée en commission des affaires sociales, repose sur l’absence d’évaluation de l’expérimentation ou, plutôt, sur l’absence d’évaluation publique, puisque le rapporteur, lui, a eu la chance d’avoir connaissance de l’évaluation du contrat de professionnalisation expérimental.

Si le bilan est globalement positif, avec 35 000 contrats conclus entre 2018 et 2023, dont 58 % en CDI, pourquoi cette évaluation n’est-elle pas rendue publique et transmise aux parlementaires qui doivent se prononcer ?

Cette absence de transparence nous pose d’autant plus problème que cette expérimentation engage les finances publiques : cette dissimulation des résultats contrevient au contrôle budgétaire du Parlement sur la régularité et la sincérité de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.

Les entreprises qui ont recours aux contrats de professionnalisation cumulent les aides à l’apprentissage et les exonérations de cotisations dites Fillon. Je rappelle que les réductions générales de cotisations patronales ont atteint 27,4 milliards d’euros en 2025 et contribuent ainsi très fortement à aggraver le déficit de la sécurité sociale.

Notre seconde remarque porte sur le contenu du contrat de professionnalisation expérimental, qui est un contrat de plus dans le catalogue des organismes de formation.

Sous prétexte d’insertion professionnelle des plus éloignés de l’emploi, les entreprises recherchent l’employabilité la plus précise, au détriment des certifications. J’ai ainsi à l’esprit la situation des jeunes qui galèrent et qui alternent les périodes de chômage et les contrats de professionnalisation, pour se retrouver de nouveau sans emploi lorsque l’innovation technologique modifie les besoins des entreprises.

Les employeurs et les Opco proposent aujourd’hui, dans le Centre-Val de Loire, des contrats de professionnalisation sur la valorisation des déchets pour compléter les certifications menant aux métiers de cuisinier et de commis de cuisine. Comment voulez-vous qu’un jeune puisse valoriser ce bloc de compétences acquis dans un autre métier ?

Les données fournies par le rapporteur ne nous permettent pas de savoir si les personnes les plus éloignées de l’emploi ont bénéficié d’un maintien durable en emploi, ce dont nous doutons fortement.

En conclusion, en l’absence d’évaluation publique des contrats de professionnalisation et face à la pérennisation d’un dispositif d’exonération de cotisations sociales, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un texte visant à pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental.

Sur la forme, ce texte est une proposition de loi gouvernementale, puisqu’elle est déposée et rapportée par un groupe soutenant le Gouvernement, mais aussi inscrite en première lecture selon la procédure accélérée. En somme, il s’agit d’un projet de loi déguisé qui, par conséquent, passe outre l’étude d’impact du Conseil d’État et la communication au Gouvernement d’un rapport concluant à l’opportunité ou non d’une telle pérennisation !

Nous nous retrouvons donc dans une situation délicate : nous devons légiférer sur la transformation d’une expérimentation en dispositif pérenne, alors même que nous ne disposons d’aucune information d’évaluation.

Pis, nous apprenons qu’un rapport sur le contrat de professionnalisation expérimental existe bien, mais qu’il n’est pas public. De fait, il ne nous a pas été adressé.

C’est bien dommage, car, nous, écologistes, avons un a priori plutôt positif concernant ce contrat de professionnalisation expérimental, lequel permet aux personnes éloignées de l’emploi – du jeune au bénéficiaire de minima sociaux ou sortant d’un contrat unique d’insertion – de suivre des formations personnalisées, sur mesure, adaptées, qui facilitent l’embauche par des entreprises recherchant des compétences spécifiques.

Par ailleurs, nous recevons des retours positifs sur ce contrat dans nos territoires.

Je ne comprends donc pas bien pourquoi ce rapport gouvernemental, qui justifie la pérennisation de ce dispositif et qui, nous dit-on, tire un bilan très positif des sept années d’expérimentation, ne nous a pas été transmis, ou, a minima, mis à disposition pour consultation avant ce vote.

Mes chers collègues, considérez-vous, dès lors, que nous nous trouvons dans de bonnes conditions pour juger de l’opportunité d’une telle pérennisation ? De plus, nous aurions pu examiner ce texte lors de la prochaine session et donner ainsi à chacun le temps de consulter l’évaluation de ce contrat.

Quitte à voter au petit bonheur la chance, nous aurions pu tout aussi bien nous prononcer sur la proposition de loi du député Stéphane Viry demandant la pérennisation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », lequel propose également des emplois en CDI à des personnes très éloignées de l’emploi, dans des entreprises à but d’emploi.

Notons que l’évaluation de ce dispositif a été menée et que la Cour des comptes a bien publié son rapport. Même si je déplore le manque de prise en compte des bénéfices sociaux et familiaux dans ce document, ainsi que l’absence d’une analyse coûts-bénéfices, nous aurions pu en débattre ce jour, démocratiquement et de manière éclairée.

Concrètement, en toute franchise, j’ai bien peur que nous ne participions cet après-midi à une sorte de course à la sanctuarisation de mesures qui font leurs preuves et qui ont toute leur place dans les politiques de l’emploi, mais que l’on essaie de faire passer avant le couperet de la prochaine loi de finances. Je trouve cela fort dommageable.

Depuis plusieurs budgets, la mise en œuvre des dispositifs de formation et d’insertion par l’emploi est chahutée ; leurs termes changent d’une année sur l’autre, alors même que leur nombre se multiplie. Alors que les politiques appellent à la simplification en la matière, la dynamique est au contraire à la complexification.

Le résultat est un maquis de contrats de travail différents, dont certains sont dérogatoires, et de dispositifs d’insertion professionnelle auxquels on n’assure aucune visibilité en termes de moyens et qui créent souvent plutôt une série d’effets d’aubaine qu’une véritable politique. L’accès à l’emploi pérenne pour ceux qui en sont les plus éloignés en devient paradoxalement de plus en plus difficile.

Sur le terrain, les acteurs de la formation, de l’apprentissage et de l’insertion par l’activité économique, qui continuent à se démener pour accompagner le mieux possible toutes ces personnes, se trouvent bien souvent démunis.

Depuis 2024, les coupes et gels budgétaires sur la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » ont été massifs : 3 milliards d’euros, inscrits en loi de finances initiale, n’ont pas été exécutés l’an dernier ; 1,7 milliard d’euros d’économies sur la mission ont été décidés lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

Il nous semble aujourd’hui prioritaire d’en dresser un bilan général et de nous assurer que, en ayant opéré des coupes sur un certain nombre de dispositifs, nous n’avons laissé personne sur le bord du chemin.

Nous, parlementaires, nous ne devons pas nous contenter de légiférer : nous devons bien légiférer. Or, en l’absence d’informations précises sur la portée réelle de ce dispositif, sans évaluation, sans chiffres, vous comprendrez que nous ne pouvons émettre un avis éclairé sur la pérennisation de ce programme.

Par conséquent, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous intéresse aujourd’hui porte sur le contrat de professionnalisation, dit expérimental, tel qu’il est prévu par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Ce contrat s’adresse prioritairement aux personnes les plus éloignées de l’emploi, en leur permettant d’acquérir des blocs de compétences plutôt qu’une certification complète. Il repose sur un parcours individualisé, coconstruit entre l’entreprise, l’opérateur de compétences et le salarié et adapté aux spécificités du poste à pourvoir. Il permet donc à une entreprise de recruter un alternant en le formant spécifiquement à ses besoins en compétences, sans viser nécessairement une qualification.

Les publics concernés sont les mêmes que pour le contrat de professionnalisation classique, à savoir les jeunes de 16 à 25 ans révolus, les demandeurs d’emploi de 26 ans et plus, les bénéficiaires du RSA, de l’ASS et de l’AAH, ou les anciens titulaires du CUI.

Le contrat peut être conclu sous deux formes : un CDD d’une durée maximale de vingt-quatre mois, en dérogation de la durée classique, ou un CDI incluant, à son démarrage, une action de professionnalisation de six à douze mois. Dans les deux cas, le contrat doit obligatoirement alterner entre la période de formation et la mise en situation professionnelle en entreprise sous la responsabilité d’un tuteur. Ce tutorat est un élément essentiel du dispositif.

Il semble que plus de 35 000 contrats de ce type aient été conclus entre 2018 et 2023, ce qui représente plus de 3,8 % des contrats de professionnalisation signés sur cette période. L’expérimentation devait initialement durer trois ans, jusqu’en 2021, mais elle a été prolongée deux fois, jusqu’au 31 décembre 2024.

L’article 28 de la loi de 2018 prévoyait que le Gouvernement présente au Parlement, au plus tard trois mois avant son terme, un rapport d’évaluation de cette expérimentation.

Or force est de constater qu’aucun rapport d’évaluation n’a été publié. En commission, nous avons appris l’existence d’un bilan de l’expérimentation, dont le rapporteur a pu prendre connaissance ; celui-ci devait nous être communiqué dans les meilleurs délais, mais, à ce jour, nous n’avons eu connaissance d’aucun document, ce qui est fort regrettable.

Mes chers collègues, avant de légiférer pour pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental, il eût été utile que l’ensemble des sénateurs puissent consulter son bilan. La transmission préalable des rapports d’évaluation de politiques publiques, avant l’examen par les parlementaires de textes législatifs visant à la prolongation ou à la pérennisation des dispositifs concernés, n’est pas une option ; elle participe du bon fonctionnement de la démocratie.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’était opposé à la loi de 2018, en particulier à cette expérimentation, laquelle, selon nous, n’a pas fait la preuve de son efficacité en matière d’insertion professionnelle.

Par ailleurs, cette mesure s’inscrit dans une tendance plus large à la diversification des contrats dérogatoires, qui, si elle peut répondre à certains besoins, peut également nuire à la lisibilité et à la cohérence du droit du travail.

Pour toutes ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental de 2018.

Fruit d’un accord national interprofessionnel de décembre 2003, le contrat de professionnalisation a été instauré en 2004.

Il s’agit d’un outil visant à l’insertion professionnelle des personnes les plus éloignées de l’emploi : les jeunes, les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires de minima sociaux. Il permet à son bénéficiaire d’alterner entre des périodes de formation et des périodes en entreprise, combinant ainsi un parcours vers une certification avec l’acquisition d’une expérience professionnelle, voire une embauche dans l’entreprise qui l’accueille.

Avantage non négligeable, il permet surtout à son bénéficiaire de percevoir une rémunération comprise entre 55 % et 100 % du Smic pendant qu’il suit sa formation.

Particulièrement apprécié des employeurs, ce contrat a été conclu à près de 90 000 reprises en 2024. En 2018, sa flexibilité a été davantage accrue, avec la mise en place de l’expérimentation d’une version de ce contrat permettant de ne valider que certains blocs de compétences.

Le marché du travail français souffre paradoxalement à la fois du chômage et d’une pénurie de travailleurs, phénomène que l’on peut expliquer par un écart entre les compétences requises pour certains emplois et celles que détiennent effectivement les demandeurs d’emploi.

Le mécanisme du contrat de professionnalisation expérimental permet justement à l’employeur de ne former le salarié que sur les compétences précises requises pour l’emploi concerné. Il offre donc une formation plus courte, fondée sur les compétences déjà acquises et, par conséquent, davantage personnalisée. Une telle flexibilité répond ainsi de manière optimale au besoin de qualification, donc à la source même de ce paradoxe que constitue la crise de l’emploi.

Bien que cette formation accélérée ne concoure pas à l’obtention d’une véritable certification, ce dispositif permet bel et bien aux personnes éloignées de l’emploi d’accéder à un poste, ce qui est son principal objectif.

Outre les demandeurs d’emploi, et comme pour le contrat de professionnalisation classique, le dispositif concerne également les 16-25 ans et permet donc à un jeune sans diplôme ni expérience de s’insérer professionnellement.

L’expérimentation menée depuis 2018 a suscité la satisfaction des entreprises y ayant eu recours, notamment un vrai succès dans les secteurs des mobilités et de l’agroalimentaire. Ce nouveau contrat représente près de 4 % des contrats de professionnalisation, les employeurs saluant notamment l’adaptabilité du dispositif, qui permet de répondre efficacement à leurs besoins.

Il serait donc pertinent, à mon sens, de continuer à promouvoir ce type de contrat, qui mérite d’être encore mieux connu des entreprises et des personnes qui sortent de l’école sans formation. Ce succès illustre la nécessité d’adapter en permanence les dispositifs existants pour correspondre aux besoins réels du terrain. C’est ce que permet ce contrat.

Enfin, il convient de reconnaître que la validation de blocs de compétences ne rivalisera jamais avec une certification complète. Mais tel n’est pas le but. L’objectif est de permettre l’insertion professionnelle des personnes les moins qualifiées tout en répondant aux besoins insatisfaits des entreprises ; il est ainsi atteint.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera pour la pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd’hui sur la proposition de loi de notre collègue Nadège Havet, qui prévoit d’inscrire de manière pérenne le contrat de professionnalisation expérimental dans le code du travail.

Instauré en 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ce dispositif a pris fin le 31 décembre 2024 – à mon grand regret –, pour des raisons budgétaires.

Contrairement au contrat de professionnalisation classique, l’objectif de ce dispositif est non pas l’obtention d’une certification professionnelle totale, mais, dans le cadre de parcours personnalisés, la validation d’un ou plusieurs blocs de compétences spécifiques définis en concertation avec l’employeur et l’organisme de formation.

Le parcours de formation s’en trouve davantage personnalisé, ce qui permet aux bénéficiaires d’acquérir des compétences conformes à leurs aspirations professionnelles et adaptées aux besoins spécifiques des entreprises.

Plus flexible que le contrat de professionnalisation traditionnel, le contrat de professionnalisation expérimental a fait ses preuves. Entre 2018 et 2023, quelque 8 300 entreprises y ont eu recours et plus de 35 000 contrats ont été signés, dont 58 % sous forme de CDI.

Ce dispositif s’est montré particulièrement utile dans les secteurs en tension et pour les entreprises qui ne trouvent pas de profil adapté au poste qu’elles cherchent à pourvoir, parfois parce que, en raison des spécificités de celui-ci, aucune formation unifiée n’existe.

Le succès de ce dispositif est tel que certains Opco souhaitent aujourd’hui qu’il soit sanctuarisé dans le droit français, sous peine de voir leurs contrats en cours interrompus. D’autres Opco n’ont pas encore franchi le pas, en raison du caractère par nature instable de toute expérimentation, mais se sont dits prêts à en faire bénéficier leurs salariés et employeurs en cas de pérennisation.

Si je suis bien sûr favorable à cette proposition de loi, j’aurais aimé qu’elle aille encore plus loin, en reprenant le dispositif de la loi de 2018, dont le périmètre d’application, plus large, permettait à l’employeur, en lien avec l’opérateur de compétences et en accord avec le salarié, d’identifier directement les compétences réellement adaptées aux besoins de l’entreprise.

Une telle rédaction aurait réellement contribué à l’insertion durable de demandeurs d’emploi vers des métiers émergents pour lesquels l’offre de certification professionnelle est en cours de constitution ou d’enregistrement, mais aussi pour des actions de préqualification, qui, en l’état actuel du droit, n’entrent pas dans le cadre du contrat de professionnalisation.

Pour citer quelques exemples, c’est le cas notamment de ce demandeur d’emploi titulaire d’un certificat d’ajusteur-monteur et embauché dans une entreprise de maintenance d’aéronefs, qui doit acquérir des compétences complémentaires à l’ajustage-montage ; ou encore de cet ingénieur en développement durable embauché dans une entreprise spécialisée dans le démantèlement d’hélicoptères, qui a besoin d’un parcours d’intégration spécifique centré sur les aéronefs, lesquelles ne sont pas son cœur de métier ; ou enfin de ce technicien de maintenance embauché en qualité de campaniste, qui doit acquérir les compétences spécifiques liées à la maintenance des cloches.

Dans chacune de ces situations issues de cas réels, il est indispensable d’accompagner l’entreprise dans l’identification des compétences acquises ou non par les salariés ou candidats, d’une part, et dans la construction d’une formation structurée adaptée aux besoins du marché du travail, d’autre part. Une telle démarche est aussi bénéfique à l’entreprise qu’aux salariés.

En dépit de ces réserves, la présente proposition de loi va dans le bon sens, dans la mesure où elle profitera aux personnes les plus éloignées de l’emploi et/ou en situation de handicap et où elle offrira davantage de flexibilité à un marché du travail qui en a tant besoin.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, cher Xavier Iacovelli, mes chers collègues, en 2023, un peu moins de 116 000 contrats de professionnalisation étaient signés en France, et plus de 35 000 de 2018 à 2023, sous une forme expérimentale permettant d’acquérir non pas une certification complète, mais des blocs de compétences adaptés aux besoins de l’employeur et au profil du salarié.

Derrière ces chiffres se dessinent des parcours de formation sur mesure, des emplois retrouvés, parfois même des vocations nées dans un cadre professionnel où la formation devient un levier d’émancipation.

C’est tout l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre collègue Nadège Havet, que je salue : pérenniser dans notre droit un dispositif souple, inclusif et utile, plébiscité tant par les entreprises que par les bénéficiaires.

Le bilan est sans équivoque. Cette expérimentation autorisée par la loi du 5 septembre 2018 a rendu possible la formation de plus de 35 000 personnes. Près de 46 % de ces personnes étaient âgés de moins de 25 ans et 44 % étaient des demandeurs d’emploi de longue durée. Autrement dit, ce dispositif a bénéficié à des publics éloignés de l’emploi, pour qui la promesse républicaine d’égalité des chances ne peut rester un vœu pieux.

Ce contrat de professionnalisation dit expérimental est d’abord une passerelle vers l’emploi durable. Les chiffres montrent que, en moyenne, de 55 % à 79 % des bénéficiaires sont en CDI ou en contrat de longue durée six mois après la fin de leur formation. Dans certains secteurs, plus de la moitié de ces contrats sont même conclus directement en CDI.

Mes chers collègues, ce dispositif est aussi un outil pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs aussi divers que l’industrie, les mobilités, l’agroalimentaire ou les services à la personne. Les employeurs ont salué sa souplesse, son agilité et sa capacité à former rapidement des profils adaptés à des postes parfois très spécifiques.

Ce contrat reste pourtant sous-utilisé dans certains territoires, notamment dans les outre-mer. À peine 0,8 % des 35 000 contrats conclus entre 2018 et 2023 l’ont été dans les îles de la Guadeloupe, dont je suis élue, et seulement 1,1 % en Guyane. C’est bien trop peu, d’autant que nos territoires connaissent des taux de chômage deux fois supérieurs à la moyenne nationale : 15,7 % en Guadeloupe et plus de 16 % en Guyane, selon les derniers chiffres de l’Insee.

Face à cette situation, nous avons besoin d’outils efficaces, immédiatement mobilisables, susceptibles de créer des ponts entre les demandeurs d’emploi et les besoins réels des entreprises locales.

Ce contrat, à condition qu’il soit davantage soutenu, financé et accompagné, peut devenir ce levier tant attendu. Cela suppose de lever les freins que constituent notamment le manque de communication, la complexité de la construction des parcours et la faible ingénierie de formation des TPE et des PME locales.

Ces difficultés, bien connues et bien identifiées, sont rappelées dans le rapport d’évaluation qui, bien que tardivement, a été remis au Parlement. Nous devons les affronter et les résoudre avec pragmatisme et volontarisme, mes chers collègues.

En rendant ce dispositif permanent, nous envoyons un signal de confiance aux employeurs, notamment à ceux qui hésitaient à se saisir de ce contrat de peur qu’il ne disparaisse, tandis que nous affirmons une ambition claire pour les demandeurs d’emploi : l’insertion durable par la compétence.

Ce texte apporte une réponse concrète à une réalité sociale. Il incarne une certaine idée de la formation professionnelle, adaptée, inclusive, progressive et directement connectée au tissu économique.

Le groupe RDPI soutiendra sans réserve cette proposition de loi, parce que ce dispositif a fait ses preuves, parce qu’il répond à un besoin réel et parce qu’il redonne des perspectives professionnelles à celles et ceux que le marché du travail laisse trop souvent sur le bord du chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la République a pour devoir de tendre la main à ceux que la vie a laissés au bord du chemin ». Ces mots de Léon Bourgeois trouvent aujourd’hui un écho tout particulier, car c’est bien à ceux qui sont durablement éloignés de l’emploi que s’adresse le dispositif que ce texte propose de pérenniser.

Le contrat de professionnalisation expérimental, tel qu’il a été instauré par la loi du 5 septembre 2018, vise à explorer une voie plus souple, sans doute plus réaliste, pour l’accompagnement des publics les plus fragiles. Plutôt que l’obtention d’une certification complète, ce dispositif propose un parcours sur mesure, tourné vers l’acquisition de compétences spécifiques définies entre l’Opco et l’entreprise.

La flexibilité de ce contrat permet d’accompagner vers l’emploi des personnes durablement éloignées du marché du travail, en leur proposant des parcours plus personnalisés. Pour les entreprises, il offre la garantie d’embaucher un salarié qui sera formé aux compétences requises.

Ce pari de la souplesse semble avoir tenu ses promesses. Entre 2018 et 2023, plus de 35 000 contrats ont été signés, principalement par des demandeurs d’emploi et des jeunes, les entreprises de l’industrie agroalimentaire et du secteur des mobilités étant celles qui ont conclu le plus grand nombre de contrats de ce type.

Cet outil a par ailleurs démontré toute sa pertinence pour répondre aux besoins spécifiques de certains métiers en tension pour lesquels il n’existe pas de formation standard.

Cette dynamique se retrouve jusque dans nos territoires : selon les chiffres de la Dares, 223 contrats de professionnalisation ont commencé en 2024 dans le seul département de Lot-et-Garonne.

Cette expérimentation a de plus favorisé une insertion durable : dans le secteur des entreprises de proximité, 58 % des contrats expérimentaux ont été conclus en CDI, contre seulement 17 % pour les contrats de professionnalisation classiques.

Ces chiffres attestent un réel besoin, une appétence des entreprises comme des bénéficiaires et surtout un potentiel que nous aurions tort d’ignorer, mes chers collègues.

Ce contrat va à l’essentiel : il propose des formations ciblées, définies en fonction de compétences concrètes et directement utiles à l’entreprise. Il permet en cela de lever plusieurs freins. Dans les territoires les plus fragiles, il constitue d’ailleurs la seule voie vers un emploi stable.

Il s’agit donc d’un levier précieux, particulièrement dans les secteurs en tension où l’on cherche avant tout des personnes prêtes à apprendre, à s’investir et à évoluer.

Je tiens toutefois à souligner que la loi de 2018 avait prévu qu’un rapport d’évaluation de cette expérimentation serait réalisé trois mois avant le terme de celle-ci. Ce document a certes été communiqué au rapporteur, à sa demande – nous en prenons acte –, mais il ne l’a été que tardivement, et il n’a pas été mis à la disposition du Parlement en amont de nos travaux.

Je m’en étonne, d’autant plus qu’il semblerait que ce rapport confirme l’opportunité du présent texte. Nous sommes appelés à pérenniser un dispositif dont nous ne disposons officiellement d’aucune évaluation consolidée. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ce dispositif, mais tout de même…

En tout état de cause, le groupe RDSE ayant toujours défendu la confiance donnée aux acteurs de terrain, il apportera son soutien plein et entier à cette proposition de loi, qui relève d’une telle approche. (Mme Nadège Havet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte trouve son origine dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Cela ne nous rajeunit pas ! J’ai une pensée pour notre ami Michel Forissier et pour notre regrettée amie Catherine Fournier, avec lesquels j’ai été rapporteur de ce texte en 2018.

Ensemble, nous avions décidé de donner corps à cette expérimentation, partant du constat que, en dépit de l’expérimentation, instaurée par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, de contrats de professionnalisation visant à l’acquisition de qualifications non prévues de droit, nous n’atteignions pas la cible des demandeurs d’emploi les moins qualifiés ou les plus éloignés du marché du travail.

L’expérimentation prévue permettait alors la conclusion de contrats de professionnalisation aux fins d’acquérir des compétences définies par l’employeur et l’opérateur de compétences, en accord avec le salarié. Ces contrats pouvaient de plus être adaptés aux besoins des entreprises et du marché du travail.

En bref, il s’agissait d’un contrat plus flexible, susceptible de répondre aux besoins des secteurs en tension et de mieux s’adapter aux demandeurs d’emploi.

Ce dispositif présentait toutefois deux risques : le dévoiement des contrats de professionnalisation classiques, d’une part, et une moindre valorisation de ce contrat expérimental sur le marché du travail, d’autre part.

Pérenniser l’expérimentation ou l’adapter suppose donc que nous disposions d’une évaluation montrant que ce contrat a fonctionné.

Bien qu’il soit arrivé tardivement – de nombreux orateurs l’ont souligné –, le bilan de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), évoqué par notre rapporteur, indique que plus de 35 000 contrats ont été signés depuis 2018, que la part des contrats expérimentaux ne représente que 4,37 % des contrats de professionnalisation, que les secteurs en tension sont les principaux recruteurs et que les bénéficiaires de ces contrats sont majoritairement des jeunes de 16 à 25 ans, dont une partie est en situation de forte précarité. À ce stade, rien n’est dit toutefois du niveau de formation de ces personnes.

Par ailleurs, comme notre rapporteur l’a souligné en commission, les organisations patronales ont salué la possibilité qui leur est offerte d’adapter au plus près des besoins le parcours de formation des salariés et les employés concernés ont joué le jeu de l’insertion durable – dans plusieurs secteurs, des CDI ont été conclus.

Si ce contrat complexifie un peu plus le champ de l’offre et s’il emporte un coût – non négligeable – de 5 millions d’euros, un tel bilan montre qu’il a trouvé sa place et qu’il a su répondre aux attentes des personnes les plus éloignées de l’emploi.

Je note que le contrat de professionnalisation que l’auteure de cette proposition de loi propose de pérenniser ne permettra d’acquérir qu’un ou plusieurs blocs de compétences définis par l’employeur et l’opérateur de compétences. Le dispositif sera donc moins souple, mais cette modification favorisera sans doute la valorisation de son contrat par le demandeur d’emploi.

Comme Pascale Gruny l’a souligné, il s’agit d’accélérer les processus dans un contexte économiquement tendu. Notre groupe votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Malet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Viviane Malet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui, bien qu’elle soit technique en apparence, a trait à l’insertion professionnelle de nos concitoyens les plus éloignés de l’emploi.

Nous le savons, le marché du travail évolue rapidement. Si cette dynamique crée des opportunités, elle laisse trop souvent des personnes sur le bord du chemin : des jeunes sans diplôme, des demandeurs d’emploi de longue durée, des bénéficiaires de minima sociaux. Nous devons accompagner ces publics vers une insertion professionnelle durable.

Depuis plus de vingt ans, le contrat de professionnalisation est un outil de réinsertion essentiel. Il combine emploi et formation, en permettant aux salariés d’apprendre un métier tout en travaillant contre rémunération, avec une certification professionnelle à la clé.

Les 87 000 contrats de professionnalisation conclus en 2024 montrent que ce dispositif est apprécié. En 2023, le coût total de ces contrats, financé par les opérateurs de compétences, s’est élevé à plus de 1 milliard d’euros, le coût moyen de chaque contrat s’établissant à 8 700 euros.

Pour encourager le recours à ces contrats, des aides à l’embauche d’un montant moyen de 2000 euros, pouvant atteindre jusqu’à 7 000 euros pour un adulte en situation de handicap, ont été instaurées. Dans la grande majorité des cas, les employeurs n’ont rien à cofinancer, puisque seuls 5 % des contrats exigent une contribution de leur part.

Afin d’aller plus loin dans cette logique incitative, la loi du 5 septembre 2018 a instauré, pour une durée initialement fixée à deux ans, le contrat de professionnalisation expérimental.

Ce dispositif visait à offrir une voie d’accès plus souple à la formation, en permettant aux employeurs ayant des besoins spécifiques de former un salarié, en vue non pas de l’obtention d’une certification complète, mais de la validation d’un ou de plusieurs blocs de compétence. Plus ciblée, une telle approche est en effet plus réaliste et souvent plus efficace.

Concrètement, ce contrat de professionnalisation dit expérimental a permis de construire des parcours adaptés aux besoins de chaque entreprise et de chaque salarié.

Avec son bilan encourageant, il complète les outils qui sont déjà à la disposition des employeurs pour favoriser l’insertion professionnelle. Entre 2018 et 2023, quelque 35 000 contrats expérimentaux ont en effet été conclus. En proportion, le nombre de contrats expérimentaux ne représente que de 4 % des contrats de professionnalisation, ce qui montre qu’ils ne sont pas entrés en concurrence avec le dispositif classique.

Les organisations patronales ont apprécié de pouvoir adapter la formation au plus près des besoins, sans que celle-ci soit forcément certifiante ou diplômante. Elles n’ont d’ailleurs pas attendu pour s’emparer du dispositif. Je pense notamment aux secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire ou encore des mobilités, qui se sont notablement saisis de ce dispositif.

D’autres secteurs, comme la santé ou la construction, se montrent encore hésitants, pour une raison simple : ce contrat étant encore expérimental, les employeurs sont enclins à penser qu’il pourrait disparaître.

Une telle réflexion n’est pas sans fondement. Depuis la création du dispositif, en 2018, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’instabilité politique ont rendu incertaine la prolongation du dispositif jusqu’à la fin de l’année 2024. Bien que Mme la ministre Catherine Vautrin ait finalement confirmé celle-ci, cette décision n’a pas été inscrite dans la loi. Il nous faut donc aujourd’hui lever l’incertitude, mes chers collègues.

Cette proposition de loi, adoptée sans modification par la commission, vise précisément à pérenniser le recours au contrat de professionnalisation en vue de l’acquisition d’un ou de plusieurs blocs de compétences par le salarié. L’article unique du présent texte prévoit à cette fin l’inscription définitive de ce dispositif dans le code du travail.

L’expérimentation de ce dispositif a montré que, dans certains cas, celui-ci répondait aux besoins des salariés et des employeurs. La droite sénatoriale croit en l’insertion par les compétences, à une formation professionnelle adaptée et à la responsabilité des acteurs économiques.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Viviane Malet. Il ne nous reste plus qu’à mettre nos croyances en pratique, en inscrivant définitivement ce nouveau type de contrat dans notre droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close, mes chers collègues.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental
Article unique (début)

Avant l’article unique

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Senée, Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai d’un mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant le bilan de l’expérimentation du contrat de professionnalisation permettant d’acquérir un ou plusieurs blocs de compétences de certification professionnelle.

Le rapport évaluera les effets de ce dispositif, le public touché, son bilan en termes d’insertion professionnelle, ainsi que les effets des aides publiques à l’embauche en contrat de professionnalisation sur les dynamiques d’entrée dans ce dispositif.

La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Le 24 juin dernier, lors de l’examen de cette disposition déjà déposée par ma collègue Raymonde Poncet Monge en commission, nous avons appris l’existence d’un rapport d’évaluation. On nous avait alors indiqué que celui-ci nous serait communiqué dans les meilleurs délais, ce qui aurait emporté le retrait du présent amendement.

Depuis lors, neuf jours sont passés et ce rapport ne nous a toujours pas été transmis. J’en tire deux constats.

Premièrement, sans tomber dans la paranoïa, ce rapport contient peut-être des données dont il ne faut pas que nous ayons connaissance…

Deuxièmement, nous, parlementaires, de droite comme de gauche, nous devons nous prononcer sans disposer de la moindre information.

J’ai bien compris que M. le rapporteur, et sans doute d’autres collègues de la majorité sénatoriale, avait pu consulter ce rapport. Mais nous, nous n’en avons pas eu connaissance. Comme ma collègue Corinne Féret, j’estime que ce n’est pas normal et que cela pose un véritable problème démocratique.

Je n’ai aucun a priori négatif sur ce dispositif, bien au contraire, mais il n’est pas acceptable que certains groupes politiques disposent d’informations dont les autres sont privés !

Vous nous poussez donc à nous abstenir, monsieur le rapporteur, et nous le ferons avec fierté, car il est hors de question que nous nous prononcions sans disposer des éléments concrets susceptibles d’éclairer notre vote.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Mme Raymonde Poncet Monge, dont vous défendez l’amendement, ne vous a pas donné l’intégralité des informations utiles, ma chère collègue. En effet, le rapport visé lui a bien été communiqué hier, après que le Gouvernement l’a déposé de manière officielle sur le bureau du Sénat. (Mme Ghislaine Senée manifeste son étonnement.)

Il a été transmis non pas à mon groupe politique, mais à la commission, ainsi qu’à moi-même, en ma qualité de rapporteur.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Moi, je ne l’ai pas reçu !

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Vous disposez donc désormais de toutes les informations utiles, madame la sénatrice.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, mon avis serait défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Le rapport a en effet été transmis au Sénat hier, mais vous avez raison, madame la sénatrice : il est arrivé trop tardivement, du fait des procédures qui nous contraignent, et je le déplore sincèrement.

Toujours est-il que ce rapport existe et qu’il est désormais à votre disposition. Je sollicite donc le retrait de cet amendement, qui n’a plus d’objet.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je tiens à exprimer mon incompréhension, car, pour ma part, ce rapport ne m’a pas été transmis, madame la ministre. Ne disposant pas des éléments chiffrés, nous nous abstiendrons donc, et je le regrette.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.

Mme Corinne Féret. Peut-être ce rapport a-t-il été transmis à Mme Poncet Monge, mais pourquoi ne l’a-t-il pas été aux autres commissaires des affaires sociales, qui avaient tout autant intérêt à en prendre connaissance ?

Comme je l’ai indiqué lors de mon intervention liminaire, nous le regrettons et, en conséquence, nous nous abstiendrons. Nous n’avons jamais travaillé ainsi !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Il serait fort dommage que vous vous absteniez sur un texte qui mérite un accord unanime, mes chers collègues.

Le rapporteur a en effet transmis ce rapport, communiqué de manière officielle au Sénat hier seulement, à l’auteure du présent amendement. Nous aurions sans doute dû le transmettre ce matin à l’ensemble des commissaires des affaires sociales, mais il serait dommage que, du fait de cette erreur, ce dispositif d’intérêt général reçoive un vote défavorable.

Je tiens à cet égard à faire passer un message important au ministère du travail, auprès duquel je vous prie de vous faire notre porte-parole, madame la ministre : il est fréquent que les informations nous parviennent à la dernière minute ou que le contenu d’une restitution ne soit pas en ligne avec les informations qui nous ont été données oralement.

Cet après-midi encore, lors d’une audition, nous avons constaté un décalage entre les propos qui ont été tenus et ce qui nous avait été indiqué précédemment. Je vous remercie donc de bien vouloir faire part – osons le mot – du mécontentement du Sénat, madame la ministre. (Mme la ministre acquiesce.)

Mme Ghislaine Senée. Je retire l’amendement, madame la présidente !

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.

Avant l’article unique
Dossier législatif : proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental
Article unique (fin)

Article unique

I. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article L. 6325-1, après la référence : « L. 6314-1 », sont insérés les mots : « ou un ou plusieurs blocs de compétences de certification professionnelle mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 6113-1, selon des modalités définies par décret, » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 6325-3, après le mot : « professionnelle », sont insérés les mots : « ou un ou plusieurs blocs de compétences de certification professionnelle mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 6113-1 ».

II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État du I sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental.

Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 344 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 243
Pour l’adoption 243
Contre 0

Le Sénat a adopté.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens à remercier les rapporteurs des deux textes que nous avons examinés aujourd’hui, Olivier Henno et Xavier Iacovelli, du travail qu’ils ont réalisé, qui plus est dans des délais extrêmement courts pour le second texte. Je salue de même l’apport, toujours très utile, des services du Sénat.

Nous l’avons vu ce matin et cet après-midi, même si nous ne sommes pas forcément d’accord entre nous, le débat a toujours lieu au Sénat : c’est chaque fois pour nous l’occasion d’affirmer nos convictions.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental
 

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 juillet 2025 :

À neuf heures trente :

Questions orales.

À quatorze heures trente, le soir et la nuit :

Deuxième lecture de la proposition de loi, rejetée par l’Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie (texte de la commission n° 802, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER