Présidence de M. Gérard Larcher
1
Hommage à d'anciens sénateurs
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de rendre hommage, dans cet hémicycle, en cet instant, à quatre collègues qui nous ont quittés. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres se lèvent.)
Alain Anziani, socialiste de la première heure, avocat de formation, fut une figure incontournable de la vie politique girondine. Conseiller régional d'Aquitaine de 1992 à 2010, il devint maire de Mérignac en 2014, avant d'être élu président de Bordeaux Métropole.
Sénateur de 2008 à 2017, il siégea bien sûr au sein du groupe socialiste. Il fut membre de la commission des lois, dont il devint vice-président. Son rapport de 2010 sur les conséquences de la tempête Xynthia, notamment, marqua notre assemblée. Il devint questeur du Sénat de 2011 à 2014. Homme de conviction, cet infatigable travailleur aura incarné jusqu'au bout un sens de l'engagement empreint de lucidité et de courage.
Jean Boyer, agriculteur, s'engagea très vite en politique dans son département, dont il deviendra une figure emblématique. Maire de Blanzac, il représentera le canton de Saint-Paulien au conseil général, dont il deviendra vice-président en 1985.
Élu sénateur en 2001, il siégea au sein du groupe de l'Union Centriste, dont il devint vice-président. Il fut un membre éminent de la commission des affaires économiques, où il put mettre pleinement à profit ses compétences, notamment dans le domaine agricole. Puis il fut membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication à partir de 2011. Durant ses deux mandats, Jean Boyer mit toute son énergie au service des territoires ruraux et de l'agriculture de montagne.
Roland Courteau a marqué son département de l'Aude, en devenant, à 37 ans, l'un des plus jeunes sénateurs. Au Sénat, il sera pendant près de quatre décennies l'un des membres les plus actifs de la commission des affaires économiques – je peux en attester – et l'un des porte-parole du groupe socialiste en son sein.
Il fut à l'origine de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Vice-président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de 2012 jusqu'à la fin de son mandat, Roland Courteau s'est passionnément investi dans les questions de transition énergétique et de protection de l'environnement. Enfin, je n'oublie pas son combat pour l'agriculture et, singulièrement, la viticulture audoise.
Ambroise Dupont, enfin, fervent ambassadeur du pays d'Auge et de ses produits, amoureux des chevaux, fut un ardent défenseur de la ruralité et du monde agricole. Maire de Victot-Pontfol et conseiller général du canton de Cambremer pendant près de quarante ans, il s'était notamment appliqué à défendre, avec succès, l'obtention du label appellation d'origine contrôlée (AOC) Cidre du Pays d'Auge.
Sénateur de 1989 à 2014, membre du groupe des Républicains et Indépendants puis de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), il siégea à la commission des affaires culturelles, dont il devint vice-président. Grand serviteur du Calvados – dans les deux sens ! (Sourires.) – il marqua notre assemblée par sa simplicité et son dévouement à la chose publique.
Je voulais aussi vous dire que nous serons, par la pensée, auprès des proches de notre collègue Gilbert Bouchet, vendredi à Tain-l'Hermitage.
Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter aux familles de nos collègues disparus nos condoléances attristées. En leur mémoire, je vous propose d'observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres observent un moment de recueillement.)
2
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat, le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
quel cap gouvernemental pour la france ?
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Le groupe RDSE s'associe aux mots que vous venez de prononcer en hommage à nos collègues disparus récemment, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. En un an, nous avons totalisé 180 jours sans gouvernement. Le Parlement vient de reprendre les travaux législatifs, mais pour combien de temps ? La situation reste fragile.
Dans ce brouillard, une certitude : dans l'esprit de nos concitoyens, s'il y a échec, la responsabilité sera, une nouvelle fois, collective. Car les Français souffrent d'être privés d'un cap clair.
Tenir jusqu'en 2027, comme le préconisent ceux qui sont obnubilés par l'élection présidentielle, ce n'est pas un projet pour la France.
Sans espoir pour notre pays, nos concitoyens épargneront toujours plus et les acteurs économiques investiront moins. Sans une politique de réformes équitables et cohérentes, les marchés nous épingleront et notre économie stagnera.
Le budget est la première urgence. Pour mon groupe, maîtriser les finances publiques de l'État est une nécessité, avec un objectif central de justice fiscale.
Quant à la réforme des retraites, désormais au cœur du deal budgétaire, une seule question : qui décide ? La Constitution est claire : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. » Alors, suspension ou décalage ?
Après l'étape budgétaire, quid du jour d'après ? Nous savons que 80 % des Français attendent les textes sur l'accompagnement de la fin de vie. Quel sera le calendrier ? La crise du logement gagne du terrain. À quand une véritable politique de planification, plutôt que le saupoudrage ?
Pour la souveraineté industrielle et alimentaire, les politiques de soutien doivent être interrogées, également, pour être mieux ciblées et planifiées, afin que nos entreprises et nos exploitants agricoles survivent sous un horizon clair.
Enfin, les collectivités locales ont besoin, elles aussi, d'un cap. Est-ce le bon moment pour un nouveau chapitre de décentralisation ? Interrogés, les élus locaux parlent de stabilité, de visibilité, de souplesse et évoquent une pause institutionnelle. Pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, préciser vos projets quant aux relations entre l'État et nos communes, intercommunalités, départements et régions ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président, qu'il me soit permis, au nom du Gouvernement de la République, de m'associer aux mots que vous avez prononcés en hommage à des sénateurs récemment décédés : ceux-ci ont servi non seulement la République, mais aussi leur territoire.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il soit urgent de se mettre au travail est un constat largement partagé sur l'ensemble de ces travées, et qui a été exprimé avec la plus grande clarté la semaine dernière lors des débats consécutifs à ma déclaration de politique générale.
Votre question m'invite, au fond, à préciser quelque peu l'agenda de travail qui pourra être celui du Gouvernement avec la Haute Assemblée, dans le respect du bicamérisme, mais également en tenant compte des particularités que le Sénat peut apporter, notamment en matière de décentralisation.
L'urgence qui s'imposera pour tout le monde sera évidemment la question budgétaire, avec les grands défis qui l'accompagnent : le rétablissement de nos finances publiques, les cibles de déficits, mais aussi, en ce qui concerne les retraites, les débats relatifs à notre démographie, à la répartition des efforts, et même au partage du travail dans la société. La suspension de la réforme n'a de sens que si ces sujets sont abordés. On ne pourra les balayer d'un revers de main. À cet égard, seul le débat parlementaire, dans le respect de la démocratie sociale, permettra d'avancer.
Viendront ensuite les questions de fiscalité, les mesures d'économie, mais aussi, même si ces mots semblent parfois avoir disparu du débat public, le soutien de l'emploi et de la croissance, qui sont les véritables leviers pour aborder la répartition de l'effort et les cibles de réduction des déficits. Autant de sujets que vous connaissez parfaitement, mais sur lesquels il me semblait important de revenir.
Vous m'interrogez également sur la proposition de loi relative à la fin de vie. Déposé il y a déjà plusieurs mois, ce texte poursuit son parcours dans le cadre de la navette parlementaire. J'en ai parlé avec le président du Sénat et le ministre chargé des relations avec le Parlement, dont l'engagement sur ce texte est connu, et qui aura d'ailleurs l'occasion d'y revenir en conférence des présidents. Ce texte mérite d'être examiné jusqu'au bout.
Je souhaite néanmoins préciser – car je ne l'avais jamais fait publiquement – que l'ensemble des membres du Gouvernement bénéficieront d'une liberté totale de ton, de position et de parole sur ce sujet qui touche à l'intime, qui renvoie à des expériences personnelles et parfois douloureuses. Dans la manière dont le Gouvernement dialoguera avec les différentes forces politiques, je tenais à rappeler cette liberté, qui constitue à la fois un signe de modernité et un retour à un esprit, consistant à respecter la conscience de chacun, que l'on a connu jadis dans la vie gouvernementale.
En ce qui concerne la décentralisation, le préalable est constitué par vos travaux de ces derniers jours, avec la ministre Françoise Gatel, sur le statut de l'élu. Il eût été inconcevable, à quelques mois des élections municipales et à quelques semaines du congrès des maires, d'envisager de nouveaux transferts de compétences et de responsabilités sans s'interroger sur les conditions d'engagement de celles et ceux qui servent la République au quotidien. C'est du simple bon sens. Le débat n'est pas clos : la navette doit se poursuivre, idéalement selon un calendrier qui permette une adoption en amont du congrès des maires. Si l'Assemblée nationale en décide autrement, nous nous conformerons bien entendu à la règle.
Des avancées ont été accomplies. Ayant moi-même été ministre en charge des collectivités territoriales, je mesure le chemin parcouru sur des sujets tels que les retraites ou la protection juridique des élus. Le texte que vous examinez reprend de nombreux travaux menés au Sénat ces dernières années, sur toutes les travées, et il ne faudrait pas manquer cette étape.
Viendra ensuite la question non seulement de la décentralisation, mais également de la réforme de l'État. J'ai indiqué au président du Sénat, qui a personnellement supervisé certains travaux préparatoires, qu'un texte sera présenté en conseil des ministres au mois de décembre. Le Sénat sera naturellement saisi en premier, conformément à la Constitution. Toutefois, je crois souhaitable que nous travaillions différemment, en alimentant l'avant-projet bien avant sa présentation en conseil des ministres, afin de parvenir à une réflexion la plus aboutie possible.
La discussion pourra se prolonger jusqu'à la campagne municipale, voire au lendemain de celle-ci, et chacun le comprendra ; viendront ensuite les élections sénatoriales, puis d'autres élections encore. Nous sommes à un moment historique pour engager la réforme de l'État et un mouvement de décentralisation. Je ne souhaite pas le faire à marche forcée, mais à bonne cadence, car je connais notre vie institutionnelle et politique : si nous ne le faisons pas, cette réforme sera renvoyée à plus tard, et ce serait une occasion manquée.
Enfin, on ne peut parler des territoires sans évoquer l'outre-mer. Sur la question de la Nouvelle-Calédonie, j'ai entendu, non pas ici, mais dans une autre assemblée, qu'il serait curieux que le Parlement s'en mêle. Pourtant, quiconque connaît le processus institutionnel calédonien sait que le peuple français s'y est toujours impliqué, soit par référendum, soit par l'intermédiaire de ses représentants. Historiquement, lorsqu'un accord local était trouvé, il était intégré dans la procédure parlementaire, voire dans une révision constitutionnelle. Cela n'avait d'ailleurs pas empêché des voix dissonantes de s'exprimer, au début des années 2000, car il n'existe pas de mandat impératif.
Il est clair que la vie parlementaire doit s'emparer de cette question, en tenant compte de toute la complexité propre à la Nouvelle-Calédonie. J'ajoute que l'adoption du projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer est très attendue dans l'ensemble des territoires ultramarins. Les problématiques institutionnelles y sont certes importantes, mais la question économique et sociale y demeure un préalable à beaucoup de discussions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
suspension de la réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, nous nageons en pleine confusion ; une confusion liée aux agendas personnels et aux règlements de comptes, alors que notre pays a besoin de clarté.
Je pense à la droite du socle qui n'a plus rien de commun ; à ceux qui prennent à témoin les Français de leur guerre des chefs ; à ceux qui, pour montrer les muscles dans ce mano a mano de faible envergure, font passer les questions partisanes avant le pays. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je pense aussi au Président de la République, qui fait perdurer l'illusion qu'il est au centre du jeu. Mais nous n'attendons plus rien de la parole présidentielle, prononcée à Paris ou ailleurs, car, chaque jour, elle s'éloigne un peu plus des besoins des Français. Là est le décalage.
Grâce à notre détermination, 3,5 millions de nos concitoyens ne paieront pas un nouvel impôt sur la vie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Grâce à notre détermination, nous avons arraché la lettre rectificative au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) vous permettant de tenir votre engagement. C'était nécessaire. Cela a déterminé notre choix de ne pas censurer – pour cette fois. Mais nous sommes et resterons dans l'opposition. Si vos budgets pénalisent les plus modestes, nous n'aurons pas la main qui tremble, nous agirons. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Car oui, notre inquiétude est toujours là. Particulièrement pour les 10 millions de Français plongés dans la pauvreté, pour les 5 millions de travailleurs au Smic pour qui chaque jour est un combat, pour ces jeunes qui s'apprêtent à être, une fois de plus, les sacrifiés des politiques publiques dans vos arbitrages. Pour tous ceux-là, votre ruissellement a été un assèchement. Tous s'alarment notamment de votre projet d'année blanche ou du doublement des franchises médicales quand, en face, il n'y a rien qui renforce leur pouvoir d'achat.
Voilà quatre-vingts ans, monsieur le Premier ministre, avec courage et audace, a été créée la plus belle des protections sociales, la sécurité sociale. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.) Oui, il faut épargner les Français, qui n'ont aucune responsabilité dans le cataclysme budgétaire dont vous êtes comptable. En avez-vous vraiment conscience ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le ministre Kanner, mesdames, messieurs les sénateurs, au fond, vous posez la question de la juste répartition de l'effort dans le redressement de nos finances publiques.
Au fond, vous posez la question de la manière dont nous pouvons réduire notre déficit, tout en défendant notre modèle de protection sociale – auquel, je le redis, je ne renonce pas.
Au fond, vous posez enfin la question de la poursuite de la croissance et de la création d'emplois.
C'est bien ce débat qui doit irriguer l'ensemble de nos discussions, car on ne peut parler des retraites sans parler du travail ni évoquer la démographie. J'ai pris l'engagement devant vous que ce débat ait enfin lieu, qu'il ne soit pas confisqué, et qu'il se tienne dans les enceintes légitimes de la démocratie représentative : l'Assemblée nationale et le Sénat.
Pour répondre plus précisément à vos interrogations, permettez-moi de rappeler que, même si cela n'a pas été largement commenté, des mesures de protection pour les plus fragiles figurent déjà dans le projet de loi de finances. Il appartiendra au débat parlementaire de les consolider. Le doublement de la niche Coluche, par exemple, correspond à une demande ancienne des associations. D'autres crédits ont été débloqués, parfois sur l'initiative de parlementaires de cette assemblée, en faveur de l'aide sociale à l'enfance ou de l'hébergement d'urgence. J'insiste sur ces points, car la navette parlementaire peut parfois, par effet de bord, fragiliser certaines mesures consensuelles ici, mais moins partagées ailleurs.
Certains débats nous rassemblent sur les grands objectifs, la divergence tenant davantage aux moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Vous souhaitez un débat sur la fiscalité ; j'ai bien compris, depuis plusieurs mois, qu'il y avait une forte attente à ce sujet.
Avoir un débat sur la justice fiscale, notamment concernant les 0,01 % de nos compatriotes les plus aisés, et sur la manière dont la progressivité de l'impôt tend à s'atténuer sur les tranches les plus hautes, n'est pas quelque chose que nous balayons d'un revers de main, je l'ai toujours dit. Mais dans le même temps, vous savez qu'aller trop loin dans la hausse des prélèvements obligatoires, dans un pays où la pression fiscale est déjà élevée, poserait la question de notre attractivité, de la production de richesse et, forcément, de l'emploi.
C'est la raison pour laquelle j'ai toujours exprimé, en toute transparence, mon opposition non seulement à la taxe Zucman, mais aussi à toute forme d'insécurisation du patrimoine professionnel, c'est-à-dire de l'usine, de l'outil de production, de l'innovation, puisque nous sommes dans une économie ouverte. C'est un débat noble ; il doit avoir lieu. Et l'absence de recours à l'article 49.3 permettra, quoi qu'on en pense, d'aller jusqu'au bout de ce débat.
Mme Cécile Cukierman. Ou pas !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Je vous dis que si, madame Cukierman.
Vous évoquez la question du pouvoir d'achat des travailleurs et des travailleuses. La suspension de la réforme des retraites permet à la démocratie sociale de redémarrer. C'est un point qui, je crois, peut rassembler sur toutes les travées. La droite sociale, notamment, a toujours accompagné le paritarisme et le dialogue entre les partenaires sociaux. L'entreprise, en effet, n'est pas l'affaire du seul patron.
Comme j'ai eu l'occasion de le redire aux organisations syndicales – la CFDT, la CFTC et d'autres – le moment que nous vivons doit être celui d'un retour au dialogue sur le partage de la valeur au sein de l'entreprise, au lieu de laisser ce sujet aux extrêmes. Le Parlement pourrait s'en saisir, d'autant plus que la parole présidentielle a ouvert une perspective : le Président de la République a évoqué la possibilité d'un référendum, ce qui pose la question du rôle du peuple français dans la conduite de ce débat essentiel.
Il existe, bien sûr, des sujets plus clivants entre les formations politiques, mais qu'il est nécessaire de traiter. Je pense notamment au forfait de responsabilisation pour l'accès aux soins. Le vrai débat est de savoir qui doit être protégé. Le principe d'une contribution peut faire consensus, mais il faut en déterminer les contours. On ne peut pas, d'un côté, prôner la justice fiscale et, de l'autre, refuser que les plus aisés participent à l'achat de leurs boîtes de médicaments. Ce serait contradictoire.
Aujourd'hui, 18 millions de nos concitoyens sont déjà protégés de ce forfait de responsabilité : les mineurs, les femmes enceintes et les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S), c'est-à-dire les personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Ouvrir le débat sur la question « qui doit être exempté ? » plutôt que sur « faut-il ou non un forfait ? » change la nature de la discussion et conduit, par exemple, à envisager un relèvement du seuil de pauvreté pour élargir la protection.
Ces débats sont importants, indépendamment des querelles politiques, comme vous l'avez dit vous-même dans votre question. Ces querelles, le Gouvernement s'en tient le plus loin possible. Ce n'est pas un gouvernement apolitique, mais, par définition, il doit se tenir à la disposition du Parlement pour conduire ces discussions avec dignité, avec hauteur de vue et toujours au service de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Merci, monsieur le Premier ministre. Justice sociale, justice fiscale, justice écologique : vous y consentez, dans le principe. Nous vous jugerons sur votre capacité à agir dans les semaines et les mois qui viennent.
projets de budget pour 2026 et conditions de leur examen
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, en toute cohérence, notre groupe a soutenu la censure du Gouvernement. Vos projets budgétaires sont minoritaires dans le pays, disqualifiés pour unir les Français, cacophoniques sur la réforme des retraites. Dont acte.
Votre refrain : « Nous proposons, vous débattez, vous votez. » Mais la représentation nationale sera-t-elle vraiment souveraine ? L'abandon du 49.3 ne le garantit pas.
M. François Patriat. On va le remettre, alors !
M. Pascal Savoldelli. Votre volonté d'un débat utile et constructif n'est-elle pas qu'un affichage ?
Vous engagez-vous à déplafonner les autorisations de crédits ? En clair, allez-vous augmenter les recettes en taxant les plus riches et accorder des moyens aux services publics ?
Vous engagez-vous à renoncer aux ordonnances ? Le dispositif est légal, mais constitue en fait un super 49.3, illégitime démocratiquement.
Vous engagez-vous à renoncer à la commission mixte paritaire ? Une instance, elle aussi légale, non publique et non filmée ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Où est le respect du Parlement ?
M. Pascal Savoldelli. Vous hurlez, chers collègues de droite, puisque vous et la Macronie y êtes surreprésentées ! Cela ne peut que susciter la défiance des autres parlementaires et des Français. (Mêmes mouvements.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Et la Constitution ? C'est le retour au temps de Staline !
M. Pascal Savoldelli. Veillons donc à ce que le débat budgétaire ne soit pas qu'un faux-semblant, monsieur le Premier ministre, destiné à sauvegarder un pouvoir solitaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, dans le débat budgétaire, nous connaissons les règles et les procédures. Ce que nous attendons désormais, collectivement, c'est d'examiner les amendements.
Le Gouvernement, par définition, apportera en séance les éclairages nécessaires, les éléments factuels et précisera les conséquences qu'aurait telle ou telle mesure qui viendrait à être adoptée, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Notre travail collectif, aujourd'hui, n'est donc pas de nous interroger sur ce qu'il adviendrait si nous échouions à trouver un compromis, mais bien de bâtir ce compromis.
Le pouvoir politique, à ce stade, est partagé à double titre. Il l'est d'abord par nature, puisque le pouvoir exécutif s'en remet au pouvoir législatif pour l'adoption du budget, comme le prévoit la Constitution. Il l'est ensuite de fait, puisqu'à l'Assemblée nationale, aucun groupe ne détient la majorité absolue.
Mme Cécile Cukierman. Certains ont perdu, quand même !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Notre approche est claire : dans cet exercice, ceux qui doivent sortir gagnants, ce sont les Français ; ce sont les entreprises ; ce sont celles et ceux qui veulent savoir ce qu'il adviendra dans leur vie quotidienne le 1er janvier prochain.
Je ne suis pas présidente du Conseil constitutionnel et ce Gouvernement n'a pas prévu de réécrire la Constitution. Nous allons donc nous en tenir aux règles que nous connaissons et chercher à œuvrer, avec vous, dans l'intérêt des Français.
Ce que nos concitoyens attendent, ce sont des femmes et des hommes politiques capables de s'entendre à Paris et des décisions claires leur permettant de savoir ce qu'ils peuvent faire pour leur logement, leurs investissements, leur épargne, la vie de leurs enfants, c'est-à-dire pour tout ce qui les concerne directement dans le pays.
Mme Cécile Cukierman. Voilà un an et demi qu'on nous fait le coup, cela ne marche plus !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est dans cet esprit que nous souhaitons travailler. Le Premier ministre l'a d'ailleurs exprimé avec la plus grande clarté, en répondant à la présidente Carrère et au président Kanner : tel est l'état d'esprit qui guide notre action.
Nous faisons preuve d'humilité, qui découle naturellement de la situation politique que nous connaissons. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K et sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous n'avons pas de majorité absolue et le Premier ministre a annoncé qu'il renonçait à recourir à l'article 49.3. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. La ministre n'a pas répondu.
M. Rachid Temal. Quelle surprise !
M. Pascal Savoldelli. Elle n'a pris aucun engagement. Le Gouvernement va garder tous les leviers pour mettre notre Parlement sous tutelle, je vous le dis à tous. À nos yeux, il sera impossible de débattre des 211 milliards d'euros d'aides aux entreprises, de rendre crédible la fin de la réforme des retraites ou de rétablir la justice fiscale, comme l'attendent les Français. Nous avons des avis différents, des analyses divergentes, chers collègues, mais n'acceptons pas un Parlement sous tutelle !
M. Marc-Philippe Daubresse. Mélenchon, Robespierre, allons-y !
M. Pascal Savoldelli. Cette méthode budgétaire nous privera du débat entre nous comme avec le peuple de France… (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées des groupes SER et GEST.)
vol au louvre
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-François Husson applaudit également.)
M. Laurent Lafon. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture.
Dimanche matin, des pièces d'une valeur inestimable ont été dérobées dans la galerie d'Apollon du Louvre. Ce vol, réalisé dans des conditions rocambolesques, a provoqué un profond émoi. Il soulève également de nombreuses interrogations sur le système de sécurité à l'intérieur du musée.
La direction du Louvre affirme jusqu'à présent que les protocoles ont été respectés et qu'il n'y a pas eu de défaillance.
Dans ce cas, comment un vol de ce type peut-il s'expliquer ? A-t-il seulement été anticipé dans les procédures de sécurité ? Le matériel, notamment en termes de vidéosurveillance, est-il suffisant ? Les forces de sécurité présentes dans le Louvre sont-elles en nombre suffisant ?
On le sait, le Louvre a vieilli, mal vieilli. Les insuffisances en termes de sécurité sont connues depuis de nombreuses années. Les extraits du rapport de la Cour des comptes diffusés dans la presse montrent qu'elles ne sont toujours pas résolues. Un schéma directeur de sûreté et de sécurité a été élaboré en 2019. Le premier appel d'offres pour sa mise en œuvre vient seulement d'être lancé cette année.
Pourquoi ces délais sont-ils si longs ? Des arbitrages en interne ont-ils été rendus au détriment de la sécurité ? Voici quelques-unes des questions que la commission de la culture posera dans quelques minutes à Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre.
J'ajoute que, malheureusement, ce vol n'est pas un fait isolé : le Muséum national d'histoire naturelle, le musée du quai Branly-Jacques Chirac ou encore le Musée national Adrien Dubouché, à Limoges, ont également fait l'objet, ces dernières semaines, de vols organisés. La réflexion à mener dépasse donc le cadre du seul musée du Louvre.
Madame la ministre, vous avez diligenté une enquête administrative alors même que, selon la direction, il n'y aurait eu aucune défaillance : avez-vous un doute sur les procédures mises en œuvre ou sur les systèmes de sécurité du musée du Louvre ?
Après l'incendie de Notre-Dame de Paris, le Gouvernement a engagé un plan d'action « sécurité cathédrales ». Envisagez-vous de faire de même pour l'ensemble des musées et d'y consacrer, dès 2026, des moyens budgétaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)