Sommaire

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

1. Garantir la qualité des services de gestion des déchets. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi

M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

M. Alexandre Basquin

M. Thomas Dossus

M. Christian Bilhac

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Catherine Belrhiti

M. Stéphane Fouassin

Mme Frédérique Espagnac

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Cécile Cukierman

Mme Marianne Margaté

M. Gérard Lahellec

M. Alexandre Basquin

M. Olivier Paccaud, rapporteur

Rappel au règlement

Mme Catherine Belrhiti

Article 1er (suite)

M. Marc Laménie

Mme Marie-Claude Varaillas

Rappels au règlement

M. Laurent Burgoa

M. Ian Brossat

Article 1er (suite)

M. Pascal Savoldelli

M. Olivier Paccaud, rapporteur

M. Jacques Fernique

M. Vincent Louault

Mme Colombe Brossel

Rejet, par scrutin public n° 12, de l’article.

Article 2

Mme Cécile Cukierman

Mme Micheline Jacques

M. Vincent Louault

Rejet, par scrutin public n° 13, de l’article.

Après l’article 2

Amendement n° 1 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet par scrutin public n° 14.

Amendement n° 2 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet par scrutin public n° 15.

Article 3

Mme Cécile Cukierman

M. Vincent Louault

Mme Marie-Claude Varaillas

Rejet, par scrutin public n° 16, de l’article.

Article 4 – Devenu sans objet.

Tous ses articles ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, la proposition de loi n’est pas adoptée.

2. Nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal. – Discussion d’une proposition de loi

Discussion générale

Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie

3. Mise au point au sujet de votes

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

4. Nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)

M. Thomas Dossus

Mme Mireille Jouve

M. Michel Canévet

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Catherine Belrhiti

M. Stéphane Fouassin

Mme Isabelle Briquet

Mme Silvana Silvani

M. Joshua Hochart

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Mireille Jouve

Mme Audrey Linkenheld

M. Pascal Savoldelli

M. Marc Laménie

Rejet, par scrutin public n° 17, de l’article.

Article 2

Mme Karine Daniel

Rejet, par scrutin public n° 18, de l’article.

Article 3 – Rejet par scrutin public n° 19.

Organisation des travaux

Mme Cécile Cukierman

Article 4

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Pierre Barros

Mme Silvana Silvani

Mme Cécile Cukierman

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances

M. Joshua Hochart

M. Sébastien Martin, ministre délégué

M. Thomas Dossus

Rejet, par scrutin public n° 20, de l’article.

Article 5 – Devenu sans objet.

Tous ses articles ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, la proposition de loi n’est pas adoptée.

5. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets
Article 1er

Garantir la qualité des services de gestion des déchets

Rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion de la proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 221 [2024-2025], résultat des travaux n° 50, rapport n° 49).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi.

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un Français produit en moyenne huit fois son poids en déchets ménagers chaque année, ce qui représente 615 kilogrammes par habitant, un chiffre en hausse de plus de 4 % en dix ans. Près de la moitié sont des ordures ménagères résiduelles non triées et non revalorisées.

En quarante ans, la quantité de déchets produits par les ménages a doublé, entraînant une hausse continue des coûts liés à la collecte et au traitement. Entre 2000 et 2022, ces dépenses sont ainsi passées de 9,4 milliards d’euros à 21,6 milliards d’euros.

La collecte et le traitement des ordures ménagères sont un service public indispensable et particulièrement visible lorsqu’il n’est pas assuré. En effet, les grèves des éboueurs nous rappellent à quel point sont essentiels ces femmes et ces hommes « que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal », disait le Président de la République en 2020.

Il serait évidemment tout à fait souhaitable de réduire la production des déchets à la source en luttant contre le suremballage, contre le gaspillage et contre les incitations publicitaires à acheter des produits qui sont finalement jetés sans avoir été consommés ou utilisés. Les gouvernements successifs ayant été assez timides sur la question, malgré quelques avancées récentes sur la fast fashion, les collectivités sont confrontées à cette question cruciale de la collecte et du traitement des déchets et doivent chercher elles-mêmes la bonne formule pour en réduire la production.

La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement et la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dites lois Grenelle, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) ont fixé des objectifs, dont celui, prioritaire, de la réduction de la production de déchets.

À cette fin, la tarification incitative devait concerner 15 millions d’habitants en 2020 et 25 millions d’habitants en 2025. Ce système, qui lie la tarification au volume de production de déchets, a vocation à encourager les usagers à modifier leurs comportements : diminuer leur production de déchets, trier davantage et adopter un mode de consommation plus responsable.

Selon la Cour des comptes, en 2022, quelque 6 millions de Françaises et de Français étaient concernés par la tarification incitative, et 200 collectivités l’avaient mise en place selon le principe du pollueur-payeur.

Cette incitation peut prendre la forme d’une taxe ou d’une redevance.

La taxe d’enlèvement des ordures ménagères incitative (Teomi) est toujours déterminée en fonction de la valeur locative du logement, mais on lui assortit une part variable liée au volume de déchets produits.

La redevance d’enlèvement des ordures ménagères incitative (Reomi) est directement liée au service rendu. Elle comporte une part variable et une part calculée en fonction du volume des déchets produits et de la composition des foyers. Elle peut inclure un nombre annuel de levées. Auquel cas, le service est facturé directement par la collectivité gestionnaire.

La majorité des collectivités ayant instauré une tarification incitative ont choisi la redevance, qui, à en croire le rapport du commissariat général au développement durable, donne de meilleurs résultats. En effet, alors que la production de déchets est réduite à 234 kilogrammes par habitant dans les collectivités appliquant la taxe incitative, ce chiffre diminue à 134 kilogrammes dans les collectivités ayant opté pour la redevance incitative.

À Besançon, par exemple, la redevance incitative, couplée à d’autres dispositifs de sensibilisation, a permis de réduire de moitié la production de déchets depuis 2008.

Les méthodes de calcul de ces deux types de taxation sont différentes, mais aucune n’est liée au niveau de revenu du foyer. Cela pose des problèmes de justice sociale qui n’étaient pas forcément visibles lorsque le coût d’enlèvement des ordures ménagères ne représentait qu’une part marginale du budget des familles.

Or, comme je l’ai souligné en commission, un rapport du Sénat de 2014 a révélé que la contribution des usagers avait déjà quadruplé entre 1990 et 2010. L’État étant en pleine recherche de nouvelles recettes, il ne cesse d’augmenter la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Au bout de la chaîne, les conséquences pour le contribuable sont lourdes.

Au 1er janvier 2025, la TGAP s’élevait à 65 euros la tonne pour les déchets enfouis et à 41 euros la tonne pour les déchets incinérés. Pour ce qui concerne les déchets enfouis, elle pourrait passer de 65 euros à 105 euros la tonne en 2030.

Le montant perçu par l’État au titre de cette taxe dépasse actuellement 1,3 milliard d’euros. Mais, il faut le dire, ces recettes ne sont malheureusement pas utilisées pour aider les collectivités à assurer leurs dépenses d’investissement destinées, notamment, à améliorer le tri.

Le surcoût de gestion de ce service pour les collectivités est estimé entre 240 millions d’euros et 450 millions d’euros d’ici à 2030, selon qu’elles parviendront ou non à enfouir moins de déchets et à réaliser les investissements nécessaires.

Le projet de loi de finances (PLF) 2026 n’est pas de nature à nous rassurer. Il prévoit une nouvelle baisse du fonds vert, dont l’un des objets est de financer les actions contribuant à réduire la production d’ordures ménagères résiduelles, notamment la généralisation du tri à la source et la valorisation des biodéchets.

Alors que les crédits du fond vert ont été divisés par deux entre 2024 et 2025, passant de 2,5 milliards d’euros à 1,15 milliard d’euros, ils devraient de nouveau être divisés par deux ou presque en 2026. Ce désengagement de l’État pèse sur la fiscalité locale et, bien entendu, ce sont les contribuables qui paient la facture.

Dans le même temps, il faut savoir que la France, en raison de la non-atteinte de ses objectifs de recyclage, a dû régler en 2023 une amende de 1,5 milliard d’euros à l’Union européenne au titre de la contribution plastique.

Si le passage à la tarification incitative repose sur un principe d’égalité devant les charges, il a des répercussions sur certains usagers. Je pense en particulier aux familles nombreuses, qui produisent inévitablement plus de déchets, mais aussi, par exemple, aux personnes vivant seules dans une grande maison et assujetties à une taxe foncière élevée.

Aussi, face à ces situations, il nous paraît opportun de permettre aux collectivités gestionnaires d’inclure des critères sociaux dans l’élaboration de leurs grilles tarifaires. Selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), près de la moitié des collectivités qui sont passées en tarification incitative ont réduit la production d’ordures ménagères résiduelles de 30 % à 50 %.

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a publié en 2024 un rapport intitulé Faire de la transition écologique un levier de linclusion sociale, réalisé en partenariat avec l’Ademe et avec le soutien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce document souligne que la transition écologique est porteuse pour les plus modestes de risques sociaux, qu’il convient d’anticiper et de prévenir.

Nous ne pouvons fermer les yeux sur le coût de ce service, qui est supporté par les collectivités et qui se répercute sur les usagers. Cette réalité, je la vis dans mon département, la Dordogne, où des associations d’usagers se sont créées pour réclamer davantage de justice et d’équité à la suite de la mise en place de la redevance incitative, qui a conduit à supprimer le porte-à-porte et à installer des points d’apport volontaire (PAV).

Cette contestation étant légitime, elle essaimera certainement ailleurs – nous en entendons d’ailleurs déjà parler –, d’autant plus que le coût de la vie devient de plus en plus élevé et que les salaires, évidemment, ne suivent pas.

La présente proposition de loi résulte d’une expérience, d’un vécu et d’observations de terrains. Elle a pour but essentiel de permettre aux collectivités qui le souhaitent d’instaurer une tarification sociale. Actuellement, la réglementation ne les autorise pas à le faire pour les déchets, alors qu’elle le permet pour les services de l’eau, de la petite enfance ou encore des transports.

Les familles nombreuses et modestes ne sont pas les seules à être touchées ; les ménages avec enfants en bas âge, les personnes incontinentes ou âgées le sont aussi. Il en va de même pour les associations caritatives comme les Restos du cœur, qui doivent, après tri, prendre en charge financièrement les rebuts des dons alimentaires des grandes surfaces.

La guerre des poubelles aura-t-elle lieu ? Je le crois, si nous continuons à ignorer la colère de nos concitoyens, qui constatent que, plus ils trient, plus ils paient. S’ils sont convaincus de la nécessité de réduire leurs déchets, ils vivent d’autant plus mal le coût de la collecte que celui-ci devient insupportable pour certaines familles.

Nous devons faire de la transition écologique un levier de solidarité, plutôt qu’un facteur d’inégalités.

À l’article 1er, nous matérialisons le principe d’égalité en créant une tarification sociale tenant compte des revenus et de la composition des ménages. Et non, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que cette tarification sociale puisse être comprise comme un droit à produire davantage de déchets. Au contraire, cette mesure de justice sociale est l’une des voies menant à l’apaisement, en ce qu’elle évitera des incivilités et des dépôts sauvages.

Quant à devoir fournir des données telles que sa situation fiscale ou médicale pour profiter de la mesure, nous savons que la collectivité gestionnaire est tenue par le droit au respect de la confidentialité.

L’article 2 impose un point d’apport volontaire pour 200 habitants, pour un meilleur maillage. J’affirme qu’il est conforme à l’avis du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 6 décembre 2023.

À mes nombreux collègues qui cherchent actuellement à réaliser des économies budgétaires, je tiens à dire que cette proposition de loi n’est pas de nature à leur compliquer la tâche. Elle a pour seul objectif de permettre aux élus qui le souhaitent d’instaurer, par délibération, une tarification incitative sociale adaptée à leur territoire.

À l’aune de la promesse d’une nouvelle étape de décentralisation, il s’agit simplement de faire confiance aux élus locaux en respectant le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Mme Marie-Claude Varaillas. Mes chers collègues, je serai attentive à l’ensemble de nos échanges et me tiendrai disponible tout au long du débat pour vous convaincre de la pertinence de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Christian Bilhac applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat pour votre baptême dans cet hémicycle !

Madame la présidente, mes chers collègues, la collecte, le transport et le traitement des déchets constituent un défi logistique, écologique et surtout budgétaire pour nos territoires.

Chaque année, ce sont environ 559 kilogrammes de déchets ménagers par personne qui sont collectés. Ces seize dernières années, nous avons réduit notre production de déchets de seulement 5 %. Pour le dire très explicitement, nous ne parvenons plus à réduire significativement les quantités de déchets que nous produisons en France.

Face à de tels enjeux, le législateur a intelligemment choisi de faire confiance à nos collectivités, qui sont les plus à même de déterminer l’organisation et le mode de financement du service public de gestion des déchets les plus appropriés. En effet, nous avons qu’il existe un lien direct entre la quantité de déchets et le financement de leur collecte.

Les communes peuvent décider d’assumer l’intégralité de la compétence, mais c’est devenu très rare : ce n’est plus le cas aujourd’hui que de six communes en France, majoritairement insulaires. Le choix le plus courant est de transmettre à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un syndicat mixte soit l’ensemble de la compétence, soit la seule partie transport et traitement.

Depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la compétence collecte et traitement des déchets ménagers est une obligation pour les EPCI, qui peuvent aussi faire le choix – ils le font de plus en plus souvent – de se regrouper au sein d’un syndicat mixte.

Pour résumer, en France, 1 169 structures, qui peuvent être des communes, des EPCI ou des syndicats mixtes, sont chargées d’assurer la collecte, le transport ou le traitement des déchets.

Afin de financer l’exercice de leur compétence, ces structures disposent d’une relative latitude.

Elles peuvent choisir de faire reposer le financement sur les contribuables par le biais de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Celle-ci n’est pas calculée sur le volume de déchets générés par chaque foyer, mais résulte de l’application d’un taux, librement fixé par la collectivité et corrélé à la valeur locative du bien qui sert de base à la taxe foncière. Ce choix a été fait par 63 % des 1 169 collectivités ou groupements compétents.

Ce mode de financement présente l’avantage de favoriser une relative – j’insiste sur ce mot – équité sociale : plus la valeur locative du bien est élevée, plus le coût du service l’est aussi. En revanche, il décorrèle le montant payé du service, donc de la quantité de déchets produits, ce qui n’incite pas les usagers à limiter leur production de déchets.

Les collectivités peuvent également décider d’instaurer une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (Reom), proportionnelle au service rendu, donc à la quantité de déchets émise par le foyer. Ce mécanisme présente l’inconvénient de ne pas du tout tenir compte de la valeur du bien immobilier – donc, indirectement, des moyens dont dispose le foyer – pour déterminer le montant à régler, mais il pousse à réduire la production de déchets.

La volonté du législateur de réduire la quantité de déchets ménagers produits l’a conduit à prévoir, pour chacune de ces deux modalités de financement, une part incitative. L’idée est de faire payer une part fixe, forfaitaire, aux ménages, ainsi qu’une part variable qui les incite à réduire la quantité de déchets ultimes et à mieux trier les déchets valorisables comme les emballages et les biodéchets.

Dans les faits, même si la Teomi et la Reomi, c’est-à-dire la Teom et la Reomi incitatives, connaissent une certaine progression, elles restent globalement peu fréquentes : dans la pratique, 72 % des Français sont assujettis à la Teom classique, c’est-à-dire sans part incitative.

De même qu’elles sont relativement libres d’organiser et de financer cette compétence comme elles l’entendent, les collectivités jouissent d’une certaine marge de manœuvre concernant les modalités de collecte.

Même si des contraintes existent selon la densité de population, les collectivités ont globalement le choix entre différentes formes de collecte. La collecte en porte-à-porte est bien sûr la plus répandue, mais nos territoires se sont adaptés en créant d’autres modes de collecte.

Je ne vais pas toutes les citer, mais vous connaissez par exemple la collecte souterraine pneumatique, la collecte par voie fluviale, la collecte multiflux, la collecte de biodéchets, la collecte des encombrants, la collecte des déchets d’équipements électriques et électroniques, la reprise des déchets par le distributeur, ou encore les fameux points d’apport volontaire (PAV), que cette proposition de loi cherche à généraliser massivement.

Face à cette très grande variété de situations, qui reflète la diversité de nos territoires et de nos usages, nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ont déposé une proposition de loi dont je tiens à dire qu’elle a le mérite de soulever des enjeux extrêmement importants, même si, dans sa grande majorité, la commission des finances ne partage pas les solutions préconisées.

Que cherchent à faire les auteurs de cette proposition de loi et pourquoi, ne nous semble-t-il pas opportun d’adopter ce texte, en tout cas en l’état ?

Cette proposition de loi est censée donner aux collectivités la faculté de moduler le montant de la Reom ou de la part incitative de la Teom en fonction de certains critères sanitaires ou sociaux : les revenus du foyer, le nombre de personnes qui y vivent ou la présence d’une personne qui « connaît des problèmes de santé entraînant une production élevée de déchets ».

Je reconnais le caractère séduisant de cette démarche. Après tout, il ne s’agit que d’ouvrir une faculté et, de prime abord, les critères évoqués semblent légitimes. Mais après avoir creusé la question, je suis convaincu que cette disposition serait la source de très nombreuses difficultés pratiques. Les auditions que j’ai conduites m’ont conforté dans ce point de vue.

Tout d’abord, l’instauration d’une tarification incitative sur critères sociaux, si elle se traduit par un droit renforcé à produire davantage de déchets lorsque l’on a moins de moyens, risque paradoxalement de favoriser une hausse de la production de déchets. (Mme Marie-Claude Varaillas et M. Alexandre Basquin protestent.) Elle pourrait donc, je le dis comme je le pense, avoir un effet contre-productif sur l’environnement.

Ce n’est pas parce que l’on a moins de revenus que l’on ne peut pas diminuer sa production de déchets. Nous devons tous, quels que soient nos revenus, chercher à réduire la quantité de déchets que nous produisons.

Néanmoins, ce n’est pas le seul problème que pose le texte : permettre aux collectivités de tenir compte des revenus pour déterminer le montant de la Reom ou de la Teom supposerait une clarification des organismes ayant accès à des informations aussi confidentielles que la situation fiscale des foyers concernés. Nous voyons bien les questions de confidentialité en cascade que poserait un tel mécanisme.

C’est d’autant plus gênant que la rédaction proposée ne signifie absolument pas que le montant de la Reom ou de la Teom va diminuer pour les personnes aux revenus modestes. Ce n’est pas précisé.

Mme Cécile Cukierman. Il fallait déposer un amendement !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. J’ai lu et relu l’article 1er, et sa rédaction peut simplement signifier que le montant de la Reom ou de la Teom acquittée par les classes moyennes ou les plus aisés pourra augmenter, ce qui ne répondra pas à l’objectif de réduire le nombre des impayés.

En ce qui concerne les problèmes de santé entraînant une production élevée de déchets, il semblerait que la proposition de loi vise principalement les personnes incontinentes, auxquelles vous avez fait référence. Or la rédaction proposée couvre des situations beaucoup plus nombreuses, qui nous laissent imaginer toutes les difficultés de tarification que cela créerait.

Comment mesurerait-on la part des déchets liés à l’incontinence ? Comment garantirions-nous le respect du secret médical, à moins de solliciter un certificat médical, que les personnes concernées seront peut-être réticentes à fournir ?

Au bout du compte, ne risquons-nous pas de complexifier la situation et de compliquer la tâche de nos collectivités, qui n’ont vraiment pas besoin de nouvelles normes – sur ce point, elles sont malheureusement bien dotées ! Le mot « hypercomplexification » a d’ailleurs été prononcé à de très nombreuses reprises lors des auditions que nous avons menées.

J’ai la même lecture des autres dispositions de la proposition de loi. Le texte vise à rendre obligatoire, lorsque la collecte s’appuie sur des points d’apport volontaire, la mise à disposition par les collectivités d’au moins un PAV pour 200 habitants.

Un tel maillage minimal serait extrêmement contraignant pour les collectivités, alors même que, dans la majorité des cas, la collecte des déchets, en particulier celle des ordures ménagères résiduelles, repose surtout sur des modalités mixtes alliant apport volontaire et collecte en porte-à-porte.

Par ailleurs, est-il adéquat de retenir la même densité pour tout le territoire national ? Reconnaissez que 200 habitants en zone urbaine, ce n’est pas la même chose que 200 habitants en zone rurale… M. Fournier le sait très bien. Et je ne parle même pas de la montagne ! (Sourires.) Vous imaginez le nombre de bacs de collecte qu’il faudrait dans les grandes villes pour respecter ce critère ? Rue de Vaugirard, il en faudrait un tous les cinquante mètres ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)

Même si je partage une partie du diagnostic, je reste sceptique sur le dispositif. Ne contraignons pas davantage les décideurs locaux dans leurs choix de gestion par des politiques coûteuses pour les collectivités ! Le droit actuel est de nature à répondre à la variété des situations, même si cela suppose un dialogue permanent, et je ne sous-estime pas les difficultés qui peuvent naître ici ou là.

Enfin, l’instauration d’un comité des usagers prévue à l’article 3 est a priori satisfaite par le droit existant. Il n’est donc pas nécessaire de légiférer sur ce point.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je reconnais à cette proposition de loi le mérite de lancer le débat, mais la commission des finances vous propose de rejeter chacun de ses articles, ainsi que les deux amendements qui ont été déposés – une fois, bien sûr, que le débat aura eu lieu ! (MM. Stéphane Le Rudulier et Vincent Capo-Canellas applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en effet la première fois que j’ai l’honneur de m’exprimer devant votre assemblée, et je suis heureux que ce soit sur un sujet aussi concret et essentiel pour nos territoires que celui de la gestion de nos déchets.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui ouvre un débat important, celui de la qualité du service rendu à nos concitoyens et des conditions dans lesquelles nos collectivités peuvent l’assurer durablement. Le Gouvernement en partage bien sûr pleinement l’objectif, même s’il diverge sur les moyens proposés, à commencer par l’instauration, à l’article 1er, d’une tarification sociale du service public de gestion des déchets.

Cette proposition part d’une volonté que nous partageons toutes et tous : celle d’une plus grande équité pour les ménages les plus modestes. Mais, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, il nous semble qu’elle ne constitue pas la réponse la plus adaptée à cet objectif.

En effet, la tarification incitative vise à responsabiliser les usagers, en faisant varier leur contribution selon la quantité de déchets produits. Son objectif est donc non pas de moduler la charge fiscale, mais d’encourager la réduction à la source. Y introduire des critères sociaux reviendrait à détourner le dispositif de sa vocation première et, surtout, à brouiller le signal adressé aux citoyens, à savoir que moins l’on produit, moins l’on paie.

Cette proposition pourrait aussi créer une rupture d’égalité devant la charge publique, en introduisant une différence de traitement sans lien direct avec la finalité environnementale du dispositif. Elle instaurerait également un traitement différencié entre les territoires, puisque chaque collectivité pourrait déterminer les critères socio-économiques qu’elle considère comme justifiés.

Mme Cécile Cukierman. Cela s’appelle la différenciation !

M. Michel Fournier, ministre délégué. Les obstacles techniques et juridiques sont également majeurs. Comment identifier précisément les foyers éligibles à un tarif social ? Comment articuler ce mécanisme avec les modalités actuelles de calcul de la Teom ou de la Reom, établies par les services fiscaux sur la base de la taxe foncière ? Comment traiter les situations particulières liées à des problèmes de santé générant une production accrue de déchets spécifiques ?

Ces difficultés, qui ont été largement soulignées lors des auditions menées par le rapporteur, nourrissent la crainte légitime d’une complexification pour les collectivités locales.

En définitive, cette réforme serait difficile à appliquer, peu lisible pour les usagers et fragile sur le plan juridique. Néanmoins, il est possible de répondre au souci de solidarité qui l’inspire en actionnant d’autres leviers, plus efficaces et déjà opérationnels.

Je pense notamment aux aides sociales locales des centres communaux d’action sociale (CCAS) ou des centres intercommunaux d’action sociale (CIAS) pour les foyers les plus modestes, ou encore au fonds de solidarité logement, qui a vocation à aider les ménages en difficulté à payer, par exemple, la Teom ou la Reom. (Marques dagacement sur les travées du groupe CRCE-K.)

Ainsi, tout en saluant l’intention de justice sociale qui sous-tend cette proposition, le Gouvernement sera défavorable à l’article 1er, par cohérence avec l’objectif environnemental et la clarté d’action qui doivent guider la politique publique des déchets.

En ce qui concerne l’article 2, qui prévoit d’imposer un maillage obligatoire des points d’apport volontaire, le Gouvernement partage également le constat du rapporteur : appliquer une règle uniforme à toutes les situations ne semble pas satisfaisant.

Le cadre juridique actuel est clair. L’article R. 2224-26 du code général des collectivités territoriales confie au maire ou, plus souvent, au président du groupement compétent, la responsabilité d’établir, par arrêté, les modalités de collecte des déchets. Il appartient donc aux communes ou, plus fréquemment, à leurs groupements d’adapter aux besoins du territoire le nombre et la taille des points d’apport volontaire qu’ils implantent.

Il serait pour le moins délicat d’imposer un ratio national, en l’occurrence un point d’apport pour 200 habitants, dans une commune comme la mienne, où l’habitat est dispersé. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Cela reviendrait à nier la diversité des situations locales et à limiter la marge d’appréciation des élus locaux, qui savent mieux que nous, à Paris, quel maillage est le plus pertinent pour leur territoire.

C’est d’autant plus vrai que les collectivités disposent souvent de modes de collecte complémentaires : lorsqu’une collecte en porte-à-porte est assurée, le besoin de points d’apport volontaire s’en trouve naturellement réduit.

En réalité, et je vous le dis en tant qu’élu local, mesdames, messieurs les sénateurs, une telle disposition introduirait une contrainte supplémentaire, à rebours de la demande constante des élus locaux d’une plus grande souplesse dans la fixation des règles de collecte.

Mme Marie-Claude Varaillas. C’est bien le sujet !

M. Michel Fournier, ministre délégué. Plutôt que d’imposer un seuil rigide, le Gouvernement estime préférable de renforcer l’accompagnement technique des collectivités, avec l’appui des agences et des services de l’État dans les territoires, en développant des outils méthodologiques d’aide à la décision, ainsi que, le cas échéant, un accompagnement sur site.

Cette approche pragmatique permettrait, je le crois très profondément, d’adapter le maillage aux réalités de tous les territoires, auxquels il faut faire confiance – je sais que c’est un principe important au sein de votre assemblée –, sans alourdir inutilement le cadre législatif. C’est pourquoi nous sommes également défavorables à cette mesure.

M. Michel Fournier, ministre délégué. Enfin, l’article 3 de cette proposition de loi crée un comité des usagers du service public des déchets. Là encore, l’intention est louable : associer davantage les citoyens à la définition et à l’évaluation du service public local.

C’est vrai, une telle démarche répond à une aspiration forte de nos concitoyens – être mieux informés et davantage impliqués dans la gestion des politiques publiques qui les concernent directement. Mais le droit en vigueur permet déjà une telle association.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Fournier, ministre délégué. Dans les communes et les intercommunalités les plus importantes, l’article L. 1413-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) impose la création d’une commission consultative des services publics locaux.

Cette instance associe les citoyens à la gestion de l’ensemble des services publics, dont celui de la collecte et du traitement des déchets. J’ajoute qu’elle dispose de larges prérogatives : la majorité de ses membres peut, par exemple, demander l’inscription à l’ordre du jour de toute proposition visant à améliorer le service de gestion des déchets.

Dans les communes plus petites, une telle commission n’est pas obligatoire.

M. Michel Fournier, ministre délégué. Toutefois – j’en sais quelque chose –, le lien entre le maire et les habitants y est plus direct. Le dialogue entre le premier et les seconds est plus souple,…

Mme Cécile Cukierman. Plus violent aussi…

M. Michel Fournier, ministre délégué. … parfois plus informel, dans une logique de proximité, mais tout aussi efficace.

La proximité reste, dans ces territoires, le meilleur garant de la participation citoyenne. (Mme Marie-Claude Varaillas manifeste son désaccord.)

En outre, un autre article du même code permet à tout conseil municipal de créer un comité consultatif afin d’examiner un problème d’intérêt communal, quel qu’il soit. Ces comités, auxquels peuvent être associés des représentants d’associations ou des habitants, peuvent être consultés sur les services publics ou les équipements de proximité.

Autrement dit, l’outil juridique existe déjà : il appartient aux collectivités territoriales de s’en saisir si elles le souhaitent.

Dans ce contexte, un comité supplémentaire ne renforcerait pas nécessairement la participation citoyenne. En créant une telle instance, on risquerait surtout de superposer une nouvelle fois des dispositifs, au détriment de la clarté et de l’efficacité de la concertation locale. Gardons à l’esprit que nos concitoyens ne comprennent pas toujours le fonctionnement de nos collectivités territoriales.

C’est pourquoi le Gouvernement émet également un avis défavorable sur l’article 3,…

Mme Cécile Cukierman. La démocratie n’est donc pas le maître mot du Gouvernement ?

M. Michel Fournier, ministre délégué. … tout en reconnaissant l’importance d’une gouvernance ouverte et d’un dialogue constant avec les usagers.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les discussions suscitées par ce texte montrent que, en la matière, nous visons tous le même objectif : inciter à la diminution de la production de déchets.

Si ce service ne répond pas encore pleinement aux ambitions de réduction et de valorisation, le progrès ne passe pas nécessairement par de nouvelles obligations législatives. (M. le rapporteur acquiesce.)

La solution réside avant tout dans l’adaptation locale des outils existants, la prise en compte des réalités du terrain et la mise en œuvre de politiques pragmatiques,…

Mme Cécile Cukierman. Parlons-en, du pragmatisme !

M. Michel Fournier, ministre délégué. … ainsi que de pédagogies adaptées. Elle repose aussi sur le partage des bonnes pratiques, la coopération entre collectivités territoriales et la valorisation des initiatives qui réussissent.

C’est dans cet esprit d’efficacité, de confiance et de responsabilité partagée que le Gouvernement souhaite poursuivre le dialogue avec les collectivités territoriales, et bien entendu avec vous, parlementaires,…

M. Pierre Barros. C’est bien parti !

M. Michel Fournier, ministre délégué. … pour faire du service public des déchets un levier durable de la transition écologique et de la cohésion territoriale. Vous pouvez donc compter sur notre pleine mobilisation.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Les représentants du socle commun pourraient applaudir… (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Basquin.

M. Alexandre Basquin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est important que nous puissions débattre aujourd’hui de cette proposition de loi, qui, selon moi, relève du bon sens.

Il est vrai que la gestion des déchets est parfois particulièrement nébuleuse. En la matière, il y a pour ainsi dire autant de façons de faire que de territoires, que ce soit pour le traitement des déchets, leur valorisation, les mesures incitatives ou les formes d’imposition.

S’y ajoute un grand paradoxe, qui, lui, se vérifie partout : plus on trie, plus on paie. Il en résulte beaucoup de frustration chez bon nombre d’usagers, qui, alors même qu’ils multiplient les efforts, voient augmenter leur taxe ou leur redevance. Quant aux collectivités territoriales gestionnaires, elles voient constamment augmenter le montant de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Or, pour d’autres, le marché des déchets est une aubaine. Il se révèle ainsi particulièrement lucratif pour de grands acteurs privés comme Veolia et Suez (Mme Marianne Margaté approuve.), dont les activités pèsent respectivement, en France, 3 et 2,5 milliards d’euros par an. Il me semble important de le rappeler.

En déposant cette proposition de loi, nous avons répondu à une demande exprimée par de nombreuses collectivités territoriales. En outre, nous avons tâché de répondre à des considérations à la fois environnementales et sociales.

Aujourd’hui, les collectivités territoriales assoient la gestion des déchets sur la taxe et la redevance d’enlèvement des ordures ménagères, parfois en fixant une part incitative.

Bien sûr, l’incitation est louable, l’objectif restant de diminuer la production de déchets en responsabilisant les particuliers. Mais la tarification incitative n’en présente pas moins deux angles morts.

Premièrement, ce choix frappe durement les familles comptant des enfants en bas âge, les familles nombreuses, les personnes âgées, les personnes incontinentes, les personnes en situation de handicap – bref, les personnes les plus fragilisées, qui produisent des déchets du fait, non pas de leur consommation, mais de leur condition.

Deuxièmement, un certain nombre de personnes, qui peinent à se déplacer ou ne peuvent tout simplement pas le faire, n’ont par définition pas accès aux points d’apport volontaire. C’est précisément pourquoi l’on assiste à la recrudescence des dépôts sauvages comme du brûlage, bien que ces pratiques soient interdites. Monsieur le ministre, étant issu de la ruralité, vous connaissez bien ces problèmes.

Il convient donc de trouver de nouvelles solutions pour éviter ces écueils : c’est tout le sens de cette proposition de loi.

Nous entendons soutenir à la fois nos concitoyens et les collectivités territoriales en assurant la massification des points d’apport. De plus, les collectivités territoriales qui le souhaitent doivent pouvoir mettre en œuvre une tarification sociale, pour plus de justice. Elles disposent d’ailleurs déjà de cette faculté pour financer les secteurs publics de l’eau et des transports.

Mes chers collègues, beaucoup d’entre nous ont été maires avant d’être élus sénateurs : nous le savons bien, de nombreuses communes optent, de même, pour des tarifications différenciées, qu’il s’agisse des crèches, des centres de loisirs, des cantines scolaires ou des voyages des aînés.

De tels choix ne pèsent pas sur l’organisation pratique ou juridique des services. Ils ne créent pas de complexification administrative. En revanche, ils évitent que les politiques municipales ne deviennent excluantes. C’est tout le sens de cette proposition de loi, en faveur de laquelle il me semble possible de trouver une voie de consensus.

Monsieur le ministre, tout d’abord, ces dispositions ne coûteront pas un kopeck à l’État. Elles ne coûteront absolument rien !

Ensuite, le présent texte se fonde sur le principe de libre administration des collectivités territoriales : charge à ces dernières de mettre en œuvre, ou non, la tarification sociale dont il s’agit.

Je sais que vous êtes un ardent défenseur de la libre administration des collectivités territoriales et de la confiance envers les élus locaux. Je suis donc assez surpris de la position que vous venez d’exprimer – comme quoi, parfois, le pouvoir change les hommes…

Enfin, cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans le nouvel acte de décentralisation récemment annoncé par M. le Premier ministre et défendu par l’Association des maires ruraux de France (AMRF).

Avec ce texte, nous voulons donner de nouveaux leviers à nos collectivités territoriales. Ces dernières doivent être en phase avec les aspirations de leurs habitants, avec leurs réalités géographiques et avec leurs différentes problématiques.

Mes chers collègues, on ne peut pas toujours parler sans jamais agir in fine : c’est également le sens de notre texte. Or, des discours aux actes, il n’y a qu’un pas. Personnellement, je ne vois pas ce que l’on peut nous objecter pour rejeter cette proposition de loi, à moins que l’on ne s’en tienne à de simples postures… (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les déchets produits par l’homme ont évidemment changé de nature au fil du temps, au gré de l’évolution de nos sociétés et de nos modes de vie. Aujourd’hui, ils sont l’une des traces matérielles de notre entrée dans l’anthropocène, ère marquée par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre.

Le déchet est partout. La production annuelle de déchets solides a dépassé 2 milliards de tonnes dans le monde et devrait atteindre 3,4 milliards de tonnes en 2050.

Preuve ultime de cette surproduction, des traces de microplastiques se retrouvent à plus de 2 000 mètres sous le niveau de la mer comme dans les régions reculées de l’Arctique, dans la fosse des Mariannes ou encore au sommet du mont Everest.

Face à de tels constats, nous devons avant tout nous interroger sur la production de cette masse de déchets, conséquence du suremballage, de la surconsommation et de l’avènement du tout-plastique, ainsi que du tout-jetable.

Toutefois, cette proposition de loi de Marie-Claude Varaillas et de ses collègues du groupe communiste porte non pas sur l’amont, mais sur l’aval. Elle vise à garantir la qualité des services de gestion des déchets.

Commençons par saluer le dépôt du présent texte, qui introduit un critère de justice sociale dans la tarification incitative du traitement des déchets.

Dans un contexte d’augmentation des coûts, il est impératif d’éviter que ces hausses ne pèsent lourdement sur les ménages les plus modestes ou vulnérables. Une telle démarche, même incitative, n’a pas à alourdir les dépenses contraintes de ces foyers.

Aussi, cette proposition de loi ouvre la voie à une modulation sociale du tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou de la part incitative de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Le calcul retenu tiendrait compte des revenus, de la composition du foyer et des éventuels problèmes de santé de ses membres, s’ils entraînent une forte production de déchets.

Les auteurs du présent texte entendent, entre autres, répondre à la situation inquiétante et largement documentée de la gestion des déchets en Dordogne. Dans ce département, dont Mme Varaillas est élue, la qualité de service se dégrade ; dans le même temps, les coûts ont explosé pour les usagers, notamment du fait du recours à la Reom.

Nous saluons la philosophie et les objectifs de ce texte, mais nous aurions aimé approfondir le travail engagé. Notre collègue député Sébastien Peytavie, lui aussi élu de la Dordogne, a justement déposé une proposition de loi sur ce même sujet. Le projet de loi de finances (PLF) nous donnera aussi l’occasion de revenir sur ces questions, lors de l’examen des amendements.

Au sujet du mode de collecte, nous pourrions saluer l’article 2, qui fixe pour objectif minimal un point d’apport volontaire pour 200 habitants. Cela étant, nous estimons que le choix de ce maillage relève de la libre administration des collectivités territoriales.

Les auteurs du présent texte ont le mérite de pointer les impasses de certains modes de collecte et de leurs tarifs. Mais, si nous voulons réellement réduire la production de déchets, il est impératif de faire contribuer davantage les premiers producteurs, à savoir les industriels.

Nous devons appliquer pleinement le principe du pollueur-payeur. À cette fin, il existe une solution dont nous, écologistes, sommes les inlassables partisans : la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dite amont, applicable aux produits manufacturés qui ne bénéficient d’aucune filière de récupération. Il s’agit là d’une taxe affectée aux collectivités territoriales pour soutenir la revalorisation locale.

En parallèle, il est crucial de mieux encadrer l’activité des éco-organismes, tout en les fiscalisant en cas de non-atteinte de leurs objectifs de gestion des déchets et de prévention. Il n’est pas juste que les collectivités territoriales et, in fine, les usagers supportent les coûts liés aux défaillances du système de responsabilité élargie des producteurs (REP).

En résumé, cette proposition de loi va dans le bon sens et nous la voterons. Mais nous appelons maintenant à changer de braquet, pour concilier les impératifs de réduction des déchets et de justice sociale. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi entendent moduler le calcul de la redevance spéciale pour financer le service public d’enlèvement des déchets suivant des critères sociaux de revenus, de composition du ménage ou encore d’état de santé des membres du foyer.

Ils redoutent que l’alourdissement de la fiscalité locale liée aux déchets ne provoque une nouvelle vague de protestations. Dans cette logique, la tarification incitative serait un levier pour contenir l’explosion sociale.

L’article 1er introduit donc une « tarification sociale » de la redevance sur les déchets, l’exemple le plus souvent cité étant celui des couches, qu’il s’agisse de celles des personnes incontinentes, notamment du quatrième âge, ou de celles des plus jeunes enfants.

Pour les familles, ce poste de dépenses fait désormais l’objet d’une double peine. Non seulement ces produits d’hygiène de première nécessité sont devenus très onéreux à l’achat, mais ils alourdissent, à la charge des usagers, la fiscalité sur le coût de la gestion des déchets auxquels ils donnent lieu. Or les intéressés ne peuvent se passer de ces produits du quotidien.

M. le rapporteur l’a rappelé, la commission des finances a rejeté ce texte, préférant un adossement de la redevance à l’évolution des valeurs locatives cadastrales. Elle a refusé toute modulation sociale et s’est opposée à l’obligation, pour les collectivités territoriales, d’installer de nouveaux points d’apport volontaire par tranche de 200 habitants.

Pour ma part, je relève une contradiction. Nous voulons favoriser les politiques publiques pour accroître la natalité et maintenir nos aïeux à domicile ; or, en pratique, nous multiplions des taxes plutôt que de recourir à l’impôt local, dont nous avons supprimé une part importante en mettant fin à la taxe d’habitation.

Depuis lors, les impôts locaux ont certes baissé, mais on a multiplié et augmenté les taxes dans tous les domaines.

Mme Cécile Cukierman. Exactement ! Trop de taxes et pas assez d’impôts !

M. Christian Bilhac. On n’augmente pas les impôts, mais on augmente les taxes… Le contribuable peine à voir la différence, je puis vous l’assurer ! (Sourires.)

Si la redevance proposée via ce texte est incitative, elle reste peu équitable, malgré l’introduction de critères sociaux. Le principe du pollueur-payeur trouve ici sa limite : celle de l’acceptabilité sociale.

La gestion des déchets doit entrer dans une logique de politique publique collective, grâce à la mise en œuvre d’une TGAP amont. Ce ne sont pas les consommateurs qui produisent les déchets, ce sont les industriels. (Marques dapprobation sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Christian Bilhac. Plus largement, je m’interroge sur le modèle économique de la filière des déchets. À la fin, en effet, c’est toujours le consommateur qui paie. S’il achète un appareil électroménager ou je ne sais quel équipement électrique, c’est le consommateur qui paie. De même, s’il fait des travaux dans sa salle de bains, ce n’est pas la filière qui paie, c’est lui, alors même qu’il acquitte la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

Ce secteur de l’économie circulaire représente 2,3 milliards d’euros de contributions. Mais il faut y ajouter près de 470 millions d’euros au titre du fonds vert, du fonds économie circulaire et du programme d’investissements d’avenir (PIA) ; je n’oublie pas non plus les coûts de fonctionnement les différents organiques de contrôle – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la direction générale des entreprises (DGE), la direction générale de la prévention des risques (DGPR), le contrôle général économique et financier (CGefi), ainsi que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

En résumé, tout le monde fait tout, mais personne n’est responsable. Plus personne n’y comprend rien, et l’on ne sait pas si les objectifs sont atteints !

Bref, je suis personnellement favorable au lancement d’une réflexion, en vue de financer les services publics locaux par une taxe de résidence – avec un tel intitulé, on évitera de froisser ceux qui ont soutenu la suppression de la taxe d’habitation…

Il est grand temps de clarifier l’action publique dans ce domaine. Les taxes que l’on multiplie depuis quelque temps sont forcément inéquitables, car elles imposent à tout le monde de payer le même montant, quel que soit le revenu.

Certes, ce texte n’est pas parfait, mais il mérite d’être voté, car il permettra d’atténuer un tant soit peu, pour les familles, le coût du traitement des ordures ménagères. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et CRCE-K. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi part d’une bonne intention. En effet, dans ce domaine, nous visons tous les mêmes objectifs : moins de déchets, plus de tri, un service public lisible et équitable.

À ce titre, l’intention que traduit ce texte – introduire davantage de justice sociale – mérite d’être saluée. Nous sommes tous conscients que la quantité de déchets ménagers et assimilés produits par habitant est en constante progression et que ces volumes historiques pèsent lourdement sur nos finances locales.

Toutefois, une bonne intention ne suffit pas toujours pour élaborer un excellent dispositif. La commission des finances l’a rappelé, ce texte présente un certain nombre de fragilités. À cet égard, les membres du groupe Union Centriste s’associent aux alertes émises par notre rapporteur, Olivier Paccaud, que je salue.

Bien sûr, nous ne rejetons ni l’objectif social ni l’exigence de qualité du service. En revanche, les moyens que proposent les auteurs de ce texte nous laissent sceptiques. Ils ne nous paraissent pas les bons, puisqu’ils risquent d’affaiblir les dispositifs existants plus qu’ils ne pourraient les renforcer.

La tarification incitative repose sur un principe vertueux, rappelé par M. le rapporteur : celui du pollueur-payeur.

Le présent texte part d’un constat juste : ce système peut avoir des effets inéquitables, notamment pour les familles nombreuses ou pour les personnes présentant des besoins spécifiques, par exemple médicaux. Mais, si l’on tente de traiter ces situations en modulant la redevance selon les revenus, la composition ou l’état de santé des membres du foyer, on risque fort de soulever de sérieux problèmes pratiques et juridiques. On se heurtera, en particulier, à trois réalités.

Premièrement, en transformant la tarification incitative en tarification « socialement compensée », on risque d’affaiblir l’incitation. La tarification incitative repose sur une logique simple : moins je jette, moins je paie. À force d’exceptions, on finit par réduire l’incitation, donc par augmenter les tonnages. La question de l’efficacité environnementale de la mesure se pose alors : ne risque-t-on pas d’obtenir l’effet inverse ?

Deuxièmement, en autorisant l’accès à certaines informations fiscales et médicales, on ouvrirait en quelque sorte la boîte de Pandore. Qui sera chargé d’assurer la collecte, ainsi que le contrôle, et sous quelles garanties de confidentialité ? Selon nous, les réponses dont nous disposons aujourd’hui ne sont pas suffisamment robustes.

Troisièmement, et enfin, nos collectivités territoriales sont déjà confrontées à beaucoup d’obligations. Ajouter un tel barème social reviendrait à alourdir les procédures et, peut-être, à multiplier les contentieux, en tout cas à réduire la lisibilité du dispositif pour l’usager. Dès lors, on risquerait d’accroître encore le millefeuille administratif, que nous dénonçons tous. On irait ainsi à rebours de l’objectif de simplification de l’action publique.

Nous sommes favorables à la logique de solidarité. Mais les actions mises en œuvre à ce titre doivent être lisibles et bien ciblées. Aussi, ce texte ne nous semble pas offrir la meilleure réponse.

Il en est de même du maillage national des points d’apport. Fixer le ratio uniforme d’un point d’apport volontaire pour 200 habitants, c’est, nous semble-t-il, sous-estimer la diversité de nos territoires. Chacun doit en avoir conscience : selon que l’on se trouve dans un hypercentre urbain, dans un territoire rural à habitat dispersé ou encore dans une zone de montagne, pour ne citer que ces espaces, les contraintes de foncier, de voirie, de sécurité et de coûts ne sont pas les mêmes.

Au total, 58 % de la population relèvent déjà de systèmes mixtes, mêlant apport volontaire et porte-à-porte. En outre, 20 % de nos concitoyens vivent dans des territoires où la collecte des déchets est intégralement assurée via le porte-à-porte. Une norme unique serait coûteuse et sans doute contre-productive.

Pour notre part, nous faisons confiance aux élus locaux pour adapter au mieux l’offre de gestion des déchets sur la base des contraintes qui leur sont propres.

Je le répète, appliquer une norme uniforme dans ce domaine, c’est courir le risque d’une inefficacité d’ensemble. Ne vaudrait-il pas mieux expérimenter avant d’imposer ? Ne pourrait-on pas lancer un appel à projets dans des territoires volontaires, pour tester des filets sociaux hors facture et des standards de maillage de points d’apport volontaire adaptés ? Ce pourrait être une première étape.

La gestion des déchets constitue l’un des grands défis, non seulement de la transition écologique, bien sûr, mais aussi de la cohésion territoriale. Je le rappelle à mon tour, chaque Français produit en moyenne près de 580 kilogrammes de déchets ménagers par an. Ce chiffre, qui a doublé depuis les années 1960, illustre à quel point nos modes de vie ont évolué. À l’évidence, les déchets sont devenus une question de société.

Cette proposition de loi a le mérite d’ouvrir un débat utile : celui de la justice sociale dans la gestion des déchets. Mais elle crée trop d’incertitudes et de contraintes pour être adoptée en l’état.

Nous devons soutenir nos collectivités territoriales, non leur imposer des règles si difficiles à appliquer. Si nous voulons réduire la production de déchets tout en améliorant la gestion de ces derniers, nous devons opter pour une politique lisible, condition sine qua non d’une action efficace. Une telle politique se résume en quatre verbes : sensibiliser, réduire, trier et accompagner. Tel est le cap que nous voulons défendre.

Les élus du groupe Union Centriste voteront contre cette proposition de loi, conformément aux observations formulées par M. le rapporteur de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précédents orateurs l’ont rappelé, la gestion des déchets représente un coût considérable pour nos collectivités territoriales.

L’efficacité des éco-organismes reste à démontrer : nous ne parvenons pas à réduire davantage la quantité de déchets produits et les dépôts sauvages se multiplient. Bref, ce vaste sujet mériterait d’être repensé selon une logique systémique.

Les auteurs de cette proposition de loi entendent réformer le financement et l’organisation des services publics locaux de gestion des déchets.

Outre la question de la faisabilité même des mesures proposées, qu’il s’agisse de la transmission de données médicales personnelles ou de l’installation d’un point d’apport volontaire pour 200 habitants, ce texte pose pour nous, membres du groupe Les Indépendants, un problème d’efficacité écologique.

L’OCDE est formelle : l’instrument le plus efficace pour réduire les déchets ménagers, c’est la tarification incitative.

Depuis 2006, puis avec les lois Grenelle 1 et 2, le législateur a introduit une part incitative permettant de moduler le montant de la Teom et de la Reom en fonction de la quantité ou de la nature des déchets produits, ainsi que du nombre d’enlèvements.

Cette logique est compréhensible par tous. Elle découle du principe du pollueur-payeur, qui encourage à adopter un comportement plus vertueux, plus écoresponsable, et elle se révèle efficace. Selon l’Ademe, les collectivités territoriales ayant mis en place la tarification incitative constatent en moyenne une baisse de 30 % du volume des ordures résiduelles.

Dans ces conditions, pourquoi instaurer une modulation en fonction des revenus ? On invoque la justice sociale, mais il ne revient pas aux politiques environnementales de traiter des inégalités sociales. Non seulement les revenus n’ont aucun rapport avec la gestion des déchets, mais cette mesure constitue une véritable injustice sociale.

Mes chers collègues, vous dites que nous devons « payer collectivement la facture », mais c’est inexact. En réalité, que faites-vous ? Vous divisez la société en catégories…

Mme Cécile Cukierman. Eh oui, il y a des pauvres et des riches en France ! Je n’y suis pour rien !

Mme Vanina Paoli-Gagin. … et vous demandez à certaines d’entre elles de payer davantage, indépendamment du service rendu ou du comportement individuel.

Pour ma part, je m’interroge. Si le communautarisme vient s’immiscer jusque dans les poubelles des Français, où va-t-on ? (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cécile Cukierman. Mais quelle mauvaise foi !

Mme Vanina Paoli-Gagin. On peine à trouver la cohérence d’ensemble de vos propositions.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Vous appelez à taxer les super-riches tout en faisant les poches des classes moyennes. Mais même si vous parvenez à les faire payer davantage, votre action sera sans incidence sur la quantité totale d’ordures ménagères produites. Avec cette proposition de loi, vous souhaitez contribuer à « conduire une transition écologique ». Or on ne peut pas mieux renoncer aux objectifs environnementaux.

La fiscalité environnementale agit comme un rappel permanent de notre responsabilité individuelle. (Mme Cécile Cukierman sexclame.) Elle est efficace si elle est directement liée à la pollution ou à la quantité de déchets. Si nous sortons de cette logique en instaurant des objectifs redistributifs, l’effet incitatif s’estompera mécaniquement. L’objectif de réduction des déchets deviendra secondaire, si tant est qu’il survive.

J’y insiste, l’amélioration de notre gestion des déchets appelle une approche globale et même systémique.

Nous devons appliquer une taxation incitative, sans dépasser un seuil acceptable, afin d’éviter les contournements et les dépôts sauvages.

Nous devons, de surcroît, déployer d’autres solutions, à condition qu’elles soient réellement accessibles, comme la multiplication des points d’apport, le tri, le compostage, la valorisation, notamment énergétique, et la réduction des emballages. Surtout, nous devons faire œuvre de pédagogie.

Dans ce cadre, on peut bel et bien réfléchir à une prise en compte de la composition du foyer ou des besoins particuliers de ses membres dans leur évolution temporelle, via des aides ou des compensations. Toutefois, ces critères ne peuvent être appliqués a priori. Ils ne sauraient donc entrer dans le calcul de la taxe ou de la redevance pour enlèvement des ordures ménagères.

Mes chers collègues, en mélangeant justice sociale et écologie, on ne peut que perdre sur les deux tableaux. Ne compromettons pas nos objectifs environnementaux au nom d’une posture purement idéologique.

Mme Cécile Cukierman. Vous n’avez pas de leçon à donner en la matière !

Mme Vanina Paoli-Gagin. Les élus du groupe Les Indépendants ne pourront donc pas soutenir ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi prônent la modulation du montant de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou de la part incitative de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

Cette modulation dépendrait de critères sanitaires et sociaux, comme la composition du foyer, les revenus de ce dernier ou encore la présence d’une personne ayant des problèmes de santé entraînant une production plus élevée de déchets.

Ces critères peuvent donner l’impression d’un traitement plus équitable. Mais a-t-on songé à la complexité de leur application et à leur caractère intrusif, qu’il s’agisse des données fiscales ou des informations médicales ?

Comment le respect des secrets médical et fiscal serait-il assuré ? Qui serait chargé de collecter ces données ? À ce titre, le présent texte n’apporte aucune précision.

J’ajoute que cette tarification sociale pourrait présenter un effet paradoxal, en accordant un droit à produire davantage de déchets.

Mme Catherine Belrhiti. Dès lors, elle risquerait de favoriser l’augmentation globale de leur volume, à rebours des objectifs de sobriété et de limitation de production de déchets.

De plus, une modulation ne signifierait pas nécessairement une baisse du montant de la redevance ou de la taxe pour les ménages modestes. Mme Paoli-Gagin le relevait à l’instant, elle pourrait même conduire à une augmentation pour les classes moyennes ou les foyers les plus aisés. Ces perspectives ne peuvent qu’être source de tensions et d’incompréhensions.

En parallèle, les auteurs du présent texte veulent imposer l’installation d’un point d’apport volontaire pour 200 habitants. Cette intention peut sembler louable, mais elle méconnaît les différentes formes de dépôt des déchets. Surtout, un tel système serait inapplicable.

Ainsi, selon l’Ademe, 3 % de la population seulement vit dans un territoire où les ordures ménagères résiduelles sont collectées exclusivement par apport volontaire.

Plus de la moitié de la collecte des déchets en France repose sur des systèmes mixtes, qui combinent collecte en porte-à-porte et points d’apport volontaire. Il est donc nécessaire de faire du sur-mesure et de ne pas imposer de contraintes inutiles à certains territoires, notamment les zones rurales ou de montagne, qui se verraient confrontés à des coûts d’investissement élevés.

Les élus locaux sont les mieux à même d’adapter les dispositifs aux contraintes géographiques et aux usages de leurs concitoyens.

Très présente aux côtés des élus, défendant le pragmatisme et l’intelligence du terrain, je souhaite vous présenter l’exemple du tri et de la collecte des déchets dans mon territoire, le pays de Sarrebourg, qui sont organisés par la communauté de communes.

Une concertation entre le pôle des déchets du pays de Sarrebourg, les élus et les habitants a permis la mise en place d’une gestion harmonieuse. Les habitants disposent de bacs pucés et sont soumis à une redevance incitative qui encourage la réduction des ordures à la source. Le dispositif s’appuie également sur un maillage de points d’apport volontaire, qui a été décidé non par obligation, mais de façon rationnelle. Il s’agit là d’un exemple concret de gestion locale responsable et solidaire, au service de la transition écologique.

La concertation avec les habitants est régulière et ne repose pas sur un comité des usagers du service public de gestion des déchets, cette structure que la présente proposition de loi vise à instituer. Du reste, les commissions consultatives des services publics locaux ou encore les comités consultatifs municipaux prévus par le code général des collectivités territoriales existent déjà.

Alors que nous cherchons à rationaliser le paysage des instances locales, pourquoi créer une structure supplémentaire ? Loin de renforcer la participation citoyenne, une telle mesure viendrait alourdir encore les procédures pour des collectivités déjà soumises à de multiples obligations de concertation.

Mes chers collègues, ce texte ne répond ni à l’enjeu de la simplification ni à celui de l’efficacité. Il multiplie les dispositifs inapplicables et crée la confusion dans le financement du service public. Nous lui préférons une approche fondée sur la confiance, la souplesse et la responsabilité plutôt que sur les contraintes et la complexité.

C’est pourquoi, tout en saluant la qualité du débat, le groupe Les Républicains ne votera pas en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui procède d’une intention que nous pouvons tous partager : améliorer la qualité du service public de gestion des déchets et rendre son financement plus juste.

Personne dans cet hémicycle ne conteste l’importance de la réduction des déchets ni la nécessité d’instaurer un système plus équitable pour les usagers. Cependant, ainsi que cela arrive parfois, un fossé sépare la bonne intention du bon instrument législatif, et, malheureusement, cette proposition de loi tombe dedans.

Le texte nous propose une modulation sociale de la taxe et de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (Teom et Reom), en fonction du revenu, de la composition du foyer ou encore de l’état de santé de ses occupants, avec pour objectif affiché de corriger les injustices qui touchent les familles nombreuses, les foyers modestes ou les personnes malades.

L’intention est louable, mais le dispositif, à bien des égards, est mal conçu et juridiquement risqué.

Tout d’abord, la Teom et la Reom ont un objet strictement technique : elles financent un service public, celui de la collecte et du traitement des déchets ; elles n’ont pas vocation à devenir des outils de redistribution sociale.

En liant leur montant aux revenus des ménages, on rompt le lien direct entre le coût du service rendu et la contribution demandée. Les précédents sont clairs : un impôt technique ne peut se transformer en outil social sans trahir son objet. En somme, il emporterait un effet potentiellement contre-productif, car des revenus moindres ne signifient pas une moindre production de déchets.

Ensuite, la proposition est financièrement imprudente. Le service public de gestion des déchets représente plus de 13 milliards d’euros par an et pèse lourdement sur les budgets communaux et intercommunaux.

Or cette réforme serait engagée sans la moindre étude d’impact, sans chiffrage, sans évaluation de son coût, ni pour les collectivités ni pour l’État, qui devrait compenser les éventuelles pertes de recettes. En d’autres termes, il nous est demandé de voter un texte fiscal sans en connaître le coût. S’agissant d’un sujet aussi sensible, le procédé paraît pour le moins léger.

Si cette réflexion devait véritablement être ouverte, le vecteur approprié serait un projet de loi gouvernemental étayé par une étude d’impact complète, non une proposition de loi de niche.

Enfin, le texte prévoit d’autres mesures accessoires : un nombre plancher de points d’apport volontaire et la création d’un comité des usagers dont la composition serait fixée par décret. Nous sommes là encore face à des dispositions non évaluées et mal calibrées.

Mes chers collègues, nous partageons l’ambition d’une gestion plus sobre, plus efficace et plus équitable de nos déchets. Pour autant, ce texte ne répond pas à ces objectifs : il ne corrige pas les injustices, il en crée de nouvelles ; il ne simplifie pas, il hypercomplexifie ; il ne sécurise pas, il fragilise.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) estime que la justice sociale ne saurait s’inviter par effraction au sein des taxes techniques. Si l’on souhaite renforcer la solidarité, il faut le faire au moyen des bons outils : la fiscalité générale, l’aide ciblée, l’accompagnement social. Ne déréglons pas un système déjà fragile et coûteux pour nos collectivités.

C’est pourquoi, tout en saluant l’intention qui anime ses auteurs, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de notre collègue Marie-Claude Varaillas et du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

D’aucuns pourraient considérer qu’il s’agit d’un sujet purement technique, presque banal. En réalité, le texte que nous examinons est profondément politique, car il touche à trois questions essentielles : l’écologie, la justice sociale et le service public.

La politique des déchets est devenue inéquitable. Depuis des années, la France produit toujours plus de déchets : 343 millions de tonnes en 2022, dont 11 % sont issus des ménages. Cela représente pour chacun d’entre nous près d’une tonne par an.

Pour y faire face, l’État et les collectivités ont mis en place une tarification incitative, fondée sur le principe du pollueur-payeur. L’idée est juste ; elle vise à encourager chacun à produire moins et à trier mieux. Sur le plan écologique, le dispositif fonctionne : là où il est appliqué, la production d’ordures ménagères baisse de 31 % en moyenne.

Sur le plan social, toutefois, la réalité est plus dure. Ce dispositif pénalise ceux qui ont moins : les familles nombreuses, les personnes âgées, les foyers modestes ; ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter en vrac ni de réduire davantage leurs déchets ; en somme, ceux pour qui la sobriété est non pas un choix, mais une contrainte du quotidien.

Nous aspirons à une écologie juste, mais pas punitive. C’est cette injustice que le texte de notre collègue vise à corriger. Je tiens, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à saluer son initiative.

L’article 1er ouvre la possibilité d’une modulation sociale de la taxe ou de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères, instaurant ainsi une tarification sociale des déchets, sur le modèle de celle qui, rappelons-le, existe déjà pour l’eau. Autrement dit, chacun paiera en fonction de ses moyens, et pas uniquement en fonction de son bac. Il s’agit d’une idée de bon sens, profondément républicaine, car la transition écologique ne saurait donner lieu à une nouvelle forme d’injustice.

Contrairement à ce que l’on entend parfois, ce texte ne crée pas d’obligation nouvelle : il donne simplement la liberté aux collectivités qui le souhaitent d’introduire cette modulation. Il offre donc une option sociale et locale, mais n’impose aucune contrainte.

Mme Frédérique Espagnac. Il nous faut adapter la politique des déchets au territoire. L’article 2 traite des points d’apport volontaire. Là encore, l’intention est bonne : rendre le tri plus simple et plus accessible. Attention, toutefois, à ne pas appliquer la même règle partout.

Mme Frédérique Espagnac. Un point d’apport pour 200 habitants est une cible sans doute atteignable dans les métropoles, mais pas dans nos campagnes, nous le savons bien, et évidemment pas dans les communes de montagne. Nous serons attentifs à ce que ce texte tienne compte de cette diversité territoriale.

L’égalité républicaine, ce n’est pas la même norme pour tous ; c’est la garantie que chacun, où qu’il vive, puisse accéder au même service.

Il importe à ce titre de donner une voix aux citoyens, et l’article 3 crée un comité des usagers du service public des déchets.

Certains affirmeront qu’il s’agit encore d’une commission de plus, ou que celle-ci existe déjà. En réalité, il y a là une belle idée démocratique : donner la parole à ceux qui utilisent le service, qui subissent parfois ses manques et qui, souvent, en savent plus que nous sur la réalité du terrain me paraît important. Ce comité, s’il est bien conçu, pourra devenir un vrai lieu de dialogue entre les élus, les techniciens et les citoyens. Mes chers collègues, cela offre une richesse démocratique que nous aurions tort de négliger.

Le texte qui nous est soumis est donc utile, juste et cohérent. Il ne bouleverse pas la loi, il ne renverse pas la table, mais il envoie un message fort : on peut faire de l’écologie sans oublier la justice sociale. Il rappelle que les politiques environnementales ne réussiront que si elles sont acceptées et partagées.

Soyons lucides : si la transition écologique se traduit par plus d’inégalités, elle échouera. Elle suscitera le rejet, la colère, la méfiance, et nous perdrons le sens même du mot « écologie », qui devrait rimer avec « solidarité ». Le service public doit être notre boussole.

Un mot sur la philosophie d’ensemble de ce texte. Cette proposition relève d’une idée que nous partageons profondément : la foi dans un service public fort, accessible à tous, qui protège les plus faibles et accompagne les transitions.

La gestion des déchets est un service du quotidien, qui dit beaucoup de la qualité de notre République dans la vie concrète des gens. Quand ce service fonctionne bien, il renforce la confiance ; quand il devient injuste, il alimente le sentiment d’abandon sur nos territoires. Oui, il faut une politique des déchets efficace, mais celle-ci doit être humaine, équitable et territorialisée. Ce texte y contribue.

Le message de cette proposition est simple : la transition écologique n’a de sens que si elle est socialement juste ; elle n’a d’avenir que si elle est territorialement équitable ; elle ne sera durable que si elle est démocratiquement partagée.

C’est pourquoi, fidèle à ses valeurs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte, qui incarne une écologie de responsabilité, une écologie de solidarité et une écologie qui ne punit pas, mais qui protège. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets
Article 1er (suite) (début)

Article 1er

I. – L’article L. 2333-76 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le tarif de la redevance peut être modulé en fonction du niveau du revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au sein de leur foyer ou si une personne vivant au sein du foyer connaît des problèmes de santé entraînant une production élevée de déchets. »

II. – Après la deuxième phrase du troisième alinéa du A du I de l’article L. 1522 bis du code général des impôts, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Ils peuvent être modulés en fonction des revenus du contribuable et de la composition de son foyer ou si une personne vivant au sein du foyer connaît des problèmes de santé entraînant une production élevée de déchets. »

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Je vous remercie, mes chers collègues, car après quatorze ans de mandat, j’avais parfois le sentiment d’une certaine banalité au Sénat…

Ainsi, je considérais par défaut que la libre administration des collectivités territoriales était un point acquis ou qu’une disposition autorisant ceux qui le souhaitent à agir répondait à l’objectif de différenciation, si souvent évoqué ici. Mais voilà : à la fin d’une discussion générale comme celle-ci, je me rends compte que tel n’est pas le cas !

Nous recevons des leçons selon lesquelles nous nous complairions dans une posture, mais je prie ceux qui les délivrent de me pardonner : eux-mêmes se sont drapés dans leurs propres postures, à commencer par vous, monsieur le rapporteur !

Ains, dès le départ, vous avez rejeté ce texte, alors même que la coutume sénatoriale privilégie, pour ce type de propositions de loi, l’échange et l’examen des amendements susceptibles d’être déposés pour traiter les quelques irritants que le texte pourrait recéler.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Dès lors, il aurait fallu déposer lesdits amendements !

Mme Cécile Cukierman. Ensuite, j’ai entendu dire qu’une taxe était technique. Je tiens à rassurer ceux qui pourraient nous écouter : les taxes, comme les impôts, sont le fruit de décisions politiques ; elles ne sont en rien techniques. Nous pouvons donc, si nous le souhaitons, les colorer de justice sociale.

Encore faut-il reconnaître que, dans notre pays, il y a des pauvres et des riches et que la différence est essentielle en la matière : les pauvres ne choisissent pas leurs déchets de la même manière que les plus riches, et l’impact de ce poste sur le budget du ménage n’a pas la même incidence dans les deux situations.

Finalement, j’ai entendu s’exprimer le besoin d’une écologie véritablement punitive de la part même de ceux qui n’ont eu de cesse, pendant six ans, d’attaquer les maires écologistes en les accusant de pratiquer l’écologie punitive !

Vous le voyez, mes chers collègues, nous en apprenons beaucoup au travers de cette proposition de loi : la droite sénatoriale ne veut rien changer et renonce à offrir la liberté aux communes qui le souhaitent. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, sur l’article.

Mme Marianne Margaté. Le thème de la justice fiscale est au cœur du débat, au moment où nos collègues de l’Assemblée nationale discutent du budget de l’État.

Dans ce budget, d’ailleurs, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) augmente encore et pourrait atteindre 105 euros la tonne en 2030, contre 65 euros aujourd’hui. Elle pèse sur les collectivités et, par conséquent, sur les usagers du service de collecte et de traitement des déchets.

L’article 1er aborde le problème de la répartition des coûts. Qui paie ? La taxe est acquittée en fonction de la valeur locative d’un logement ; la redevance, en fonction de la composition du ménage et de l’utilisation du service. Dans les deux cas, la solution est imparfaite, parce qu’elle est injuste.

Une question de justice fiscale se pose dans notre pays, car une grande majorité de Français a le sentiment de payer pour les autres. Lorsque l’on cotise ou que l’on paie l’impôt, cela finance, en effet, des services dont on ne bénéficie pas forcément soi-même, mais qui répondent à un besoin d’intérêt général.

Ces contributions doivent toutefois également être calculées en fonction des moyens de chacun. Or tel n’est pas le cas de la redevance dont nous débattons, qui ne s’appuie sur aucun critère de ressources. La taxe, quant à elle, s’appuie sur la valeur patrimoniale du logement. Ce n’est guère plus juste, mais cela constitue tout de même un indice de valeur, quand la redevance, en ne prenant en compte ni le revenu ni le patrimoine, fait payer tout le monde de la même façon.

Cette égalité stricte est bien loin de l’équité, laquelle doit rester le fondement et le ciment de notre société si nous souhaitons que celle-ci soit véritablement solidaire. Ce défaut de solidarité érode la cohésion sociale dans le pays et crée un sentiment d’injustice. Il nous faut défendre davantage de justice fiscale.

Mme Marianne Margaté. Ce principe vaut également pour les déchets.

C’est la raison pour laquelle nous soutenons évidemment cet article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec, sur l’article.

M. Gérard Lahellec. Cet article constitue évidemment le cœur de la proposition de loi, qui intègre la possibilité de moduler la tarification de la redevance, afin de la rendre plus juste. Celle-ci dépendra toujours de l’usage qui sera fait du service, puisque tel est son principe, mais elle tiendra compte également des ressources des usagers.

C’est aussi une façon de faire fonctionner l’incitation, aussi bien pour les plus pauvres que pour les plus riches. En effet, un tarif de 5 euros pour le dépôt d’un sac supplémentaire ne représente pas la même charge pour une famille qui vit avec un Smic que pour un couple sans enfant disposant de deux salaires de 5 000 euros mensuels chacun. Je prends volontairement pour exemple ces deux situations très opposées, mais non moins réalistes, qui illustrent bien l’intention de cette proposition de loi et de son article 1er.

En apportant davantage de justice fiscale à nos ambitions écologiques, nous rendons la transition écologique acceptable. L’article 1er répond donc à cette problématique, et ce de manière satisfaisante, puisqu’il laisse aux collectivités la possibilité de moduler la tarification en fonction de critères et d’objectifs de leur choix.

Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Basquin, sur l’article.

M. Alexandre Basquin. Cet article constitue le point nodal de la philosophie de notre proposition de loi.

Tout d’abord, j’y insiste, sa mise en œuvre est laissée à la libre appréciation des collectivités locales. Pour ma part, je me refuse à danser au bal des faux-culs ! (Exclamations.) On ne saurait parler constamment de libre administration et d’actes de décentralisation et, dans le même temps, fermer la porte à la première proposition de loi qui va dans ce sens !

Je vous le dis, mes chers collègues, le dispositif prévu dans ce texte relève de la volonté des collectivités, alors qu’il nous faut créer les conditions pour que celles-ci exercent pleinement leur administration.

D’ailleurs, monsieur le ministre, cette proposition est largement soutenue par les maires ruraux de Dordogne. Je tenais à vous le signaler, car nous devons nous garder de tenir un double discours.

Enfin, et surtout, s’agissant de la question des déchets, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut en produire et en jeter moins. C’est là une évidence. Pour autant, des conditions, notamment sanitaires et sociales, empêchent parfois d’aller dans ce sens. Gardons à l’esprit que les personnes malades ou en difficulté se voient imposer une double peine en étant surtaxées précisément parce qu’elles consomment des produits qui ne sont malheureusement pas recyclables.

Cette proposition vise ainsi à lutter contre une injustice de fait et une injustice de condition.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Je ne m’étendrai pas plus avant, car il me semble que la discussion générale a été de qualité et que la plupart des arguments ont été présentés par les partisans comme par les opposants de ce texte.

Néanmoins, certaines expressions entendues dans les récentes prises de parole me paraissent peu dignes du Sénat : jeune homme, vous évoquez « le bal des faux-culs » ? De tels propos de tribune sont méprisants et ont, à mon sens, dépassé votre pensée. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Alexandre Basquin. Il s’agissait de prendre position contre le déterminisme social !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Mon cher collègue, je ne vous ai pas interrompu, et je vous rappelle que nous accueillons un public !

M. Laurent Burgoa. Cela n’est pas digne du Sénat, nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. L’expression « bal des faux-culs » m’est restée en travers de la gorge, car ni le ministre ni aucun de nos collègues ici présents ne sont des faux-culs !

J’ai auditionné une dizaine de structures. Contrairement à ce qui a été affirmé, je ne me suis jamais drapé dans une posture.

Si j’ai émis un avis défavorable, partagé par la quasi-unanimité des membres de la commission des finances, c’est parce que les trois arguments types qui ont été développés par le ministre, par M. Vincent Capo-Canellas ou par Mme Vanina Paoli-Gagin revenaient comme une ritournelle chez toutes les personnes auditionnées : d’abord, l’hypercomplexification du système, alors que nos intercommunalités souffrent malheureusement déjà de la surabondance des normes ; ensuite, la déresponsabilisation de ceux qui pourraient bénéficier d’un tel dispositif ; enfin, la confidentialité des données d’ordre fiscal ou médical.

Il me semble, dès lors, que nous avons là l’exemple type de la fausse bonne idée. Oui, le texte partait d’une bonne intention, et il aurait été perfectible. Mais encore fallait-il déposer des amendements en ce sens, jeunes gens ! Nous les attendons toujours. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est la meilleure, celle-là !

Mme Cécile Cukierman. C’est lunaire ! Depuis quand le rapporteur lui-même ne dépose-t-il aucun amendement ? Je n’ai jamais vu cela !

Mme la présidente. Mes chers collègues, ces écarts de langage ne correspondent pas au ton du Sénat. Je vous invite donc à rester corrects dans votre expression. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour un rappel au règlement.

Mme Catherine Belrhiti. Je souhaite faire un rappel au règlement sur le fondement de l’article 33. Je ne suis pas ici pour me faire insulter. Les propos de notre collègue ne sont pas acceptables !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Arrêtez donc un peu, c’est une expression, vous le savez bien !

Mme Catherine Belrhiti. Non, ce n’est pas une expression !

Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

Article 1er
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Article 1er (suite) (suite)

Article 1er (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Je tiens à souligner l’intérêt de cette proposition de loi, laquelle repose sur une idée tout à fait louable et qui revêt une grande signification sociétale, car ce sujet est important et mérite respect et reconnaissance.

Le rapporteur, ainsi que nous l’avons constaté en commission des finances, a accompli un travail considérable. Cela suscite des réactions, mais nous sommes en démocratie, et la Haute Assemblée respecte la démocratie sous toutes ses formes.

Concernant la redevance en cause, il n’existe aucun système idéal, nous le savons bien, nous qui sommes tous, par ailleurs, des élus locaux. La redevance peut être bonne ou mauvaise ; la taxe, c’est encore autre chose. Entrent en compte des sentiments d’injustice et des questions d’équité. Nous y prêtons attention, et, pour ma part, je partage et respecte les points de vue exprimés à ce sujet.

Il convient aussi de sensibiliser nos concitoyens. Car, si nous prônons le tri sélectif et l’écologie – je partage tout à fait ce point de vue –, malheureusement, tout le monde ne le pratique pas encore, et il reste beaucoup à faire en la matière. Je songe aux dépôts sauvages, mais aussi aux maires qui sont en difficulté face aux incivilités et à tout ce qui en découle. Il s’agit d’un travail de fond.

D’un autre côté, sur le plan financier, les impayés constituent également un problème pour la perception.

Pour rester cohérent avec le respect que j’ai pour le groupe auteur de ce texte, je m’abstiendrai sur l’article 1er, ainsi que sur l’ensemble du texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, sur l’article.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le rapporteur, je souhaite apporter une précision, avec tout le respect qui vous est dû.

Vous avez souhaité m’entendre en commission des finances et, lors de mon audition, vous m’avez distribué LEssentiel avant même que nous n’entamions la réunion d’examen de votre rapport.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Non !

Mme Marie-Claude Varaillas. J’ai tout de suite ouvert la dernière page et j’ai compris : la décision avait déjà été prise. Je me suis sentie rajeunir : j’ai eu le sentiment d’être une élève qui passait le baccalauréat, mais qui n’obtenait qu’un zéro pointé. J’ai trouvé tout de même cette manière quelque peu cavalière.

Quant à la complexification, nous y sommes confrontés tous les jours. J’étais présidente en charge de l’habitat dans mon département. Avez-vous déjà essayé de remplir un dossier MaPrimeRénov’ en ligne ?

Serait-il si complexe pour nos collectivités, qui ont l’habitude de gérer ce type de service, de simplement tenir compte du revenu fiscal de référence ? Ou de demander un certificat médical, par exemple pour les personnes incontinentes qui auraient besoin de tarifs allégés ? Dans notre vie de tous les jours, nous sommes confrontés à ce type de démarche administrative. Je ne vois donc pas où vous voyez de la complexification.

Rappels au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour un rappel au règlement.

M. Laurent Burgoa. Je souhaite faire un rappel au règlement au titre de l’article 33.

Mes chers collègues, nous avons le droit de diverger, nous avons le droit de débattre. Certains mots ne peuvent cependant être prononcés dans cette enceinte si l’on ne veut pas ressembler à cette autre assemblée qui, depuis quelque temps, renvoie une image tout à fait détestable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Catherine Belrhiti. Changez d’hémicycle, chers collègues de gauche !

M. Laurent Burgoa. Nous avons des différences, cela s’appelle la démocratie. Mais si l’on affirme que certains d’entre nous, dans cet hémicycle, sont des faux-culs,… (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cécile Cukierman. Nous n’avons pas dit cela !

M. Alexandre Basquin. C’est une expression !

M. Laurent Burgoa. … il ne faut pas s’étonner ensuite que certains de nos concitoyens en viennent à la violence à l’égard des élus municipaux.

Mes chers collègues, nos débats sont retransmis à la télévision depuis cet hémicycle, et nous nous devons de renvoyer l’image d’élus responsables. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer vos propos.

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour un rappel au règlement.

M. Ian Brossat. Je souhaite revenir sur les leçons de maintien qui nous sont dispensées depuis quelques minutes, à la suite de l’expression utilisée par mon collègue et camarade Alexandre Basquin.

Je veux bien que nous nous livrions, de part et d’autre de cet hémicycle, à des leçons de politesse. Mais si vous souhaitez jouer à ce jeu, allons jusqu’au bout.

Vous disiez, par exemple, qu’il y a des mots que l’on n’a pas le droit d’employer. J’ai, quant à moi, encore en travers de la gorge la séance de questions d’actualité au Gouvernement d’hier, au cours de laquelle l’une de vos collègues du groupe Les Républicains s’est permis de citer Maurice Barrès, auteur notoirement antisémite, comme une référence.

J’ai également à l’esprit une question posée, toujours lors de cette séance, par l’un de nos collègues socialistes au sujet de Zyed et Bouna, morts à 15 ans et 17 ans, coupables de rien. Il a suffi de prononcer leurs prénoms pour que s’élèvent des murmures de protestation sur vos travées.

Mme Catherine Belrhiti. Nous n’insultons personne en murmurant !

M. Ian Brossat. Lisez donc le compte rendu de la séance d’hier !

Mme Catherine Belrhiti. C’était hier, nous sommes aujourd’hui !

M. Ian Brossat. Livrons-nous donc à des leçons de maintien. Mais votre attitude d’hier, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, et vos références idéologiques me choquent bien plus que l’expression populaire utilisée tout à l’heure par Alexandre Basquin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. Acte vous est donné de ces rappels au règlement, mes chers collègues.

Article 1er (suite) (début)
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Article 2

Article 1er (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Je veux bien qu’une expression suscite une vive émotion, mais est-il nécessaire d’en rajouter ? Il faut affronter la question telle qu’elle se pose. Nul n’a, dans cet hémicycle, le monopole du sujet des ordures ménagères. Chacun sait ici que la taxation et la redevance divisent nos concitoyens.

Je ne comprends pas que l’on ne cherche pas à résoudre le problème, car le sentiment d’hypocrisie que nous exprimons porte sur une seule question : la libre administration des collectivités territoriales. Il faut l’assumer, c’est cela, le débat politique !

Favorise-t-on, par un tel dispositif, la libre administration des collectivités ? En effet, si la taxation et la redevance divisent, le rôle d’un ministre, d’un gouvernement, et celui des sénateurs, c’est de trouver l’harmonie entre une réponse universelle, républicaine, et la singularité de l’exercice de la libre administration des collectivités territoriales. C’est cela que prônent par ce texte notre groupe et Marie-Claude Varaillas.

Mme Catherine Belrhiti. Mais enfin, où va-t-on ?

M. Pascal Savoldelli. Je suis quant à moi tout à fait étonné, monsieur le ministre, que ni vous-même ni le rapporteur n’ayez considéré cette proposition de loi comme un texte d’appel. Nous avions pourtant aujourd’hui l’occasion d’ouvrir le débat.

M. Pascal Savoldelli. Or l’attitude et les arguments que j’ai entendus n’élèvent pas le rôle du Parlement. Il ne s’agit pas de lancer une polémique : c’est de la politique. Le Parlement doit être capable de se saisir d’un projet d’appel et, en dépit des réserves exprimées par les uns ou les autres, d’encourager la démarche qui a présidé à sa présentation.

Nous avons l’occasion de renforcer l’autorité des collectivités territoriales sur un sujet qui divise nos concitoyens. Au-delà des mots employés par les uns ou les autres, j’estime donc qu’il convient de ne pas dévoyer la nature de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. J’espère que c’est ma dernière intervention…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous avons le temps !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Je suis heureux de vous entendre parler de littérature, mon cher collègue Ian Brossat, car je sais – je le dis sans ironie – que vous savez de quoi vous parlez. Maurice Barrès est un très grand auteur – La Colline inspirée est loin d’être un mauvais livre –, qui, comme d’autres auteurs bien plus célèbres que lui – Voltaire, par exemple –, a pu écrire ou tenir des propos regrettables, notamment antisémites.

Mme Colombe Brossel. Regrettables ?

M. Olivier Paccaud, rapporteur. En démocratie, il faut accepter d’être minoritaire, madame Varaillas. Vous vous émouvez d’avoir trouvé sur les tables de la commission des finances, devant laquelle vous avez eu le loisir de vous exprimer, le document intitulé Lessentiel, qui présente la position du rapporteur.

Mme Marie-Claude Varaillas. La position de la commission !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Je vous rappelle toutefois, puisque, si vous paraissez l’avoir découvert à la commission des finances, tel est le fonctionnement démocratique de notre assemblée, que les commissaires, qui ne sont en aucun cas à mes ordres, se sont ensuite prononcés sur cette proposition que, en l’occurrence, ils ont adoptée. Il est donc malhonnête de dire que les dés étaient pipés d’entrée de jeu. (Mme Marie-Claude Varaillas le conteste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.

M. Jacques Fernique. Je ne voudrais pas que nos débats se grippent, sur fond d’énervement quelque peu surjoué, autour d’une expression, mes chers collègues.

Je me suis donc amusé – cela est très rapide – à rechercher dans les comptes rendus intégraux de séance publique, et il se trouve que lors des questions d’actualité au Gouvernement du 24 janvier 2024, votre collègue Kristina Pluchet – largement applaudie sur les travées du groupe Les Républicains, indique le compte rendu – avait affirmé que les agriculteurs en avaient « ras le bol du bal des faux culs », monsieur le rapporteur. L’emploi de cette expression n’avait alors pas provoqué de crispation. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Catherine Belrhiti proteste.)

M. Ian Brossat. Et voilà !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, sur l’article.

M. Vincent Louault. Étant en quelque sorte spécialiste des déchets (Sourires.), j’ai couru pour revenir en séance publique, car le sujet est important – je vous remercie de l’avoir mis sur la table, mes chers collègues.

Loin de vouloir polémiquer, je souhaite rappeler quelques faits simples. Les collectivités sont déjà très embêtées pour appliquer les règles sans cesse plus complexes de gestion des déchets. Celles-ci entraînent des augmentations exponentielles, de 30 %, 40 %, 50 % et parfois jusqu’à 60 % de la facture pour nos habitants, sachant que dans la prochaine loi de finances, la TGAP devrait de plus être portée de 65 à 135 euros. La vache à lait des poubelles produit à plein régime !

Les collectivités ont aujourd’hui le choix entre deux systèmes : la taxe ou la redevance incitative. Constatant que 25 % des administrés arrêtaient de payer leurs factures, de nombreuses collectivités qui avaient mis en place la redevance incitative sont revenues en arrière. La taxe, qui est incorporée aux impôts locaux, est de plus de gestion bien plus facile, sans compter que la redevance incitative supposant déjà la mise à jour des dossiers des familles, l’ajout de paramètres apportera d’autant plus de complexité.

Pourquoi, par ailleurs, ne pas appliquer aux poubelles la solidarité qui vous est chère, mes chers collègues ? Les retraités, qui ne produisent quasiment pas de déchets, ne devraient-ils pas être solidaires des familles nombreuses, qui jettent des kilogrammes et des kilogrammes de couches et verront le montant de leur redevance incitative augmenter en proportion ?

Le système que vous nous proposez de créer aura pour effet de creuser l’écart entre les Français qui n’ont pas d’autre choix que de consommer et ceux qui, disposant d’un grand logement, peuvent bio-composter une grande partie de leurs déchets, si bien qu’ils finiront par ne plus rien payer.

Je suis donc très défavorable à cet article, que mon groupe ne votera pas.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, sur l’article.

Mme Colombe Brossel. Je tiens à revenir sur les propos de M. Paccaud, qui indiquait que Maurice Barrès avait pu écrire ou tenir des propos antisémites « regrettables ». Vous auriez dû dire, mon cher collègue, que Maurice Barrès a écrit ou tenu des propos antisémites, car à la différence d’une opinion, qui peut être regrettable, l’antisémitisme est un délit, et il est à ce titre condamnable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 12 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 109
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er (suite) (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets
Après l’article 2

Article 2

Le cinquième alinéa de l’article L. 2224-16 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour les déchets mentionnés au 1° du présent article, lorsque la collecte s’appuie sur des points d’apport volontaire, le nombre de points est au moins égal à un pour deux cents habitants. »

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Malhonnêteté ou incompétence ? Puisque les mots ont un sens, vous choisirez le vôtre et celui de tous ceux qui ont repris vos propos, monsieur le rapporteur.

Si vous le permettez, je commencerai par vous donner lecture du dispositif de l’article 2, mes chers collègues : « Pour les déchets mentionnés au 1° du présent article, lorsque la collecte s’appuie sur des points d’apport volontaire, le nombre de points est au moins égal à un pour deux cents habitants. »

La ville de Paris n’étant – sauf erreur de ma part – pas soumise à la collecte par apport volontaire, la comparaison avec des points de collecte tous les deux cents mètres rue de Vaugirard relève soit de l’incompétence, puisque vous n’auriez pas lu correctement l’article 2, soit de la malhonnêteté, aux fins de discréditer la proposition de loi présentée par ma collègue Marie-Claude Varaillas, monsieur le rapporteur. Je ne vois pas d’autre explication.

Il n’est par ailleurs pas précisé que le dispositif doit s’appliquer à l’EPCI tout entier. Nous connaissons tous des EPCI qui ont mis en place l’apport volontaire ou la collecte en bac seulement dans certaines communes, ou qui adaptent le nombre de points de collecte par habitant en fonction de la densité de la zone, par exemple, en zone de montagne ou en zone très peu dense, pour desservir les hameaux.

Telle est la réalité de notre pays, monsieur le rapporteur, que, dans une volonté de contester a priori cette proposition de loi, vous avez occultée.

Vous nous reprochez de ne pas avoir déposé d’amendements, mais je vous répondrai que si nous n’en avons rien fait, c’est parce que, lorsque le rapporteur décide de faire preuve d’ouverture sur une proposition d’appel, lui-même élabore, avec l’appui des services de la commission, des amendements tendant à rectifier le texte dans le sens qui lui paraît le bon. Or tel n’est pas le choix que vous avez fait ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, sur l’article.

Mme Micheline Jacques. La délégation sénatoriale aux outre-mer, que j’ai l’honneur de présider, a beaucoup travaillé sur la problématique des déchets, dont la gestion est très difficile dans nos outre-mer.

Je soutiendrai donc les amendements déposés par notre collègue Gisèle Jourda, rapporteure de la mission d’information menée par la délégation sur ce sujet en 2022. Dans le droit fil des recommandations formulées dans son rapport, ces propositions contribueront à adapter la gestion des déchets aux spécificités ultramarines.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault.

M. Vincent Louault. Cet article introduit un nouveau critère, celui d’un point d’apport volontaire pour deux cents habitants.

Je rappelle que – dernière cerise sur le gâteau de l’organisation du ramassage des ordures ménagères – les factures augmentent de manière exponentielle, alors qu’il est de plus en plus rare que le camion de ramassage passe devant le domicile des usagers, qui, dans les plus petites communes, doivent dans ce cas apporter leurs déchets au centre du village, à 100 mètres, 200 mètres, 2 kilomètres ou 3 kilomètres de chez eux.

Mme Cécile Cukierman. Ils n’ont qu’à payer la redevance !

M. Vincent Louault. Dans un contexte où tout est fait pour réduire le coût du ramassage, qui augmente de manière exponentielle, telle est la réalité, mes chers collègues.

Le résultat, c’est que les maires doivent organiser le ramassage des immondices qui ne rentrent pas dans les conteneurs automatiques installés aux points d’apport volontaire. Croyez-vous que cela amuse les maires, mes chers collègues ?

Ils sont au contraire fatigués de tout cela. Bien qu’ils n’aient pas la responsabilité du ramassage des ordures ménagères, ils doivent faire le service après-vente des coûts qui explosent et du service qui se dégrade pour les habitants.

Les habitants paient toujours plus cher, alors qu’ils trient de plus en plus. Comment voulez-vous qu’ils comprennent qu’on leur demande de faire un effort de tri alors que les factures explosent ? Comment leur expliquer cette augmentation, alors que des déchets triés sont censés être valorisés ?

Le critère consistant à instaurer un point d’apport volontaire pour deux cents habitants ne veut strictement rien dire.

Mme Cécile Cukierman. C’est un minimum !

M. Vincent Louault. Entre la Touraine, territoire dont je suis élu, où la population est dense, et les Ardennes où je me suis rendu ce week-end, où il faudra faire 10 kilomètres pour trouver un point d’apport volontaire, il n’y a rien de commun !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 13 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 319
Pour l’adoption 93
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets
Article 3 (début)

Après l’article 2

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mmes G. Jourda et Malet, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2224-16 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale encourage le développement des déchetteries mobiles. »

La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Comme l’indiquait Mme Jacques, par cet amendement, je vous propose de reprendre l’une des préconisations que j’avais formulées, avec Mme Viviane Malet, en conclusion d’un rapport d’information sur la gestion des déchets en outre-mer. Nous y indiquions que, en la matière, la « cote d’alerte » était dépassée.

Le présent amendement vise à faciliter la mise en place de déchetteries mobiles afin de suppléer aux réseaux insuffisants de collecte des déchets et encombrants, notamment à La Réunion.

La communauté intercommunale Réunion Est (Cirest) obtient en effet les meilleurs résultats de l’île en matière d’apports en déchetterie, en partie grâce au système de déchetterie mobile mis en place : des bennes sont installées par roulement dans les quartiers pour récupérer les déchets d’équipements électriques ou des encombrants. Ces opérations sont précédées d’une forte communication dans les quartiers, dont chacun compte environ 500 foyers.

Une telle solution paraît particulièrement adaptée à des territoires en retard d’équipement. Elle favorise la transition vers une collecte en point d’apport volontaire plutôt qu’en porte-à-porte et offre un support efficace pour une communication positive et de proximité.

Le présent amendement a donc pour objet d’encourager la généralisation de ce dispositif innovant qui permet d’aller chercher les déchets au plus près des gisements.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Votre amendement vise à « encourager », pour reprendre le terme que vous avez employé, ma chère collègue. Rien n’empêche aujourd’hui les collectivités, notamment d’outre-mer, qui le font déjà, d’installer des déchetteries mobiles.

Cet article étant dénué de portée normative, il n’est pas utile. Il n’est en effet nullement besoin de graver le dispositif proposé dans le marbre de la loi pour continuer d’encourager les collectivités à installer des déchetteries mobiles.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Fournier, ministre délégué. Le Gouvernement estime que les collectivités sont en mesure de s’organiser et, s’il les encourage, comme elles le font déjà, à installer des déchetteries mobiles, il ne paraît pas nécessaire d’inscrire le dispositif proposé dans la loi.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour explication de vote.

M. Stéphane Fouassin. C’est à Salazie, commune dont je suis élu, au sein de la Cirest, qu’a été installée la déchetterie mobile que vous évoquez, ma chère collègue. C’est donc en connaissance de cause que je puis affirmer qu’il n’est pas besoin de voter cet amendement pour mettre en place des déchetteries mobiles : nous le faisons déjà depuis plus de dix ans !

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour explication de vote.

Mme Gisèle Jourda. Je vous invite à vous rendre à Mayotte, à La Réunion ou en Guyane, mes chers collègues : vous y constaterez que la situation n’est pas la même partout. J’estime donc nécessaire, et même vital, que cet amendement soit adopté, et qu’en conséquence, l’article additionnel qu’il vise à introduire soit gravé dans le texte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 14 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 110
Contre 225

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 2, présenté par Mmes G. Jourda et Malet, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2224-16 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale peut décider la mise en place de dispositifs de gratification directe du tri pour encourager la collecte sélective dans les zones les plus isolées. »

La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. La présente proposition est issue des observations que Mme Malet et moi-même avons formulées à l’issue de notre déplacement à Mayotte. Avant la catastrophe, un projet innovant, reposant sur la gratification, y avait en effet été mis en place.

Le constat est simple : le tri sélectif ne fonctionne pas, en particulier dans les quartiers informels, les points d’apport volontaires étant éloignés, insuffisants et très vite dégradés, voire, pour certains, très peu accessibles. Par ailleurs, la population ne s’est pas approprié le geste du tri. Enfin, la collecte en porte à porte est limitée par les difficultés d’accès, notamment par la rareté ou l’absence de route carrossable – les hélicoptères apportant des denrées dans certains lieux éloignés de Mayotte transportent d’ailleurs parfois des encombrants sur le chemin du retour.

Une collecte différente a donc été imaginée à titre expérimental, sur le fondement de deux principes : s’appuyer sur les commerces de proximité des quartiers, les doukas, épiceries de quartiers offrant une diversité de services ; et gratifier le tri. En dix mois, avec seulement huit points de collecte, onze tonnes de déchets plastiques ont été récupérées, à raison d’une collecte hebdomadaire des déchets déposés dans les doukas.

Les personnes apportant cinq kilogrammes de déchets ou plus se voient gratifiées de récompenses, en particulier des produits sanitaires – savon, couches, serviettes hygiéniques. Des cartes de fidélité sont également remises, quinze passages donnant lieu à une gratification.

Cette expérience réussie à Mayotte a mis en lumière l’intérêt de déployer des dispositifs analogues dans les zones où la collecte sélective est la moins développée et qui cumulent les handicaps.

Par ce dispositif, il s’agit donc non pas de se substituer à la collecte sélective classique par les collectivités, mais d’habituer les populations au geste de tri, mes chers collègues.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Par cet amendement « jumeau » du précédent, vous entendez de nouveau « encourager » une pratique, ma chère collègue. Vous avez du reste, dans votre explication, montré que ce que vous souhaitez encourager existe déjà sans la loi.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Fournier, ministre délégué. Le Gouvernement étant respectueux de la libre administration des collectivités, l’avis est défavorable, madame la sénatrice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour explication de vote.

Mme Micheline Jacques. Mesurant les difficultés auxquelles sont confrontés les quartiers informels dans lesquels je me suis rendue, j’estime que ce dispositif innovant mérite d’être encouragé. J’invite donc mes collègues à voter cet amendement, ne serait-ce que pour le message qui serait envoyé par son adoption à nos compatriotes mahorais.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour explication de vote.

Mme Gisèle Jourda. Je rappelle à notre assemblée que le prédécesseur de Mme Jacques à la délégation sénatoriale aux outre-mer, monsieur Magras, prônait la différenciation. L’insertion de l’article additionnel que je propose serait à ce titre particulièrement bien vue dans les territoires ultramarins, notamment dans les quartiers que nous appelons poliment informels, mais qui sont en réalité des bidonvilles à ciel ouvert, s’étendant sur des superficies que nul ne peut imaginer ici.

Contrairement à vous, monsieur le rapporteur, j’estime que, à l’instar de la présente proposition de loi, la loi doit être stimulante et encourageante, au plus près des préoccupations des personnes.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Il nous faut rappeler la nécessaire solidarité entre la métropole et les outre-mer, mes chers collègues. La présidente Micheline Jacques et nos collègues de la délégation aux outre-mer s’y emploient, notamment Viviane Malet, pour La Réunion. Nous avons voté la loi du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte et, plus récemment, nous avons adopté le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, mais la tâche reste immense.

Par respect et par solidarité, je voterai donc l’amendement de notre collègue Gisèle Jourda.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 15 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 111
Contre 223

Le Sénat n’a pas adopté.

Après l’article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets
Article 3 (fin)

Article 3

L’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les collectivités territoriales et leurs groupements compétents pour la collecte et le traitement des déchets instituent un comité des usagers dont la composition et les missions sont précisées par décret. »

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article 3, je précise que si cet article n’était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l’article 4, qui deviendrait sans objet.

Il n’y aurait par ailleurs plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, puisque tous les articles qui la composent auraient été successivement rejetés par le Sénat.

Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Le présent article vise à instituer un comité des usagers. Contrairement à vous, j’estime que l’on ne peut pas balayer cette proposition d’un revers de main, monsieur le ministre. La véritable difficulté des maires ruraux est en effet qu’ils sont en première ligne.

L’une des raisons qui expliquent aussi parfois l’agressivité et la violence à leur égard est qu’il n’y a jamais d’espace intermédiaire pour gérer et apaiser ce que l’on peut qualifier de crise ou de colère, y compris à l’échelle de nos territoires ruraux. Nous l’avons d’ailleurs constaté en 2020 dans un certain nombre de départements : la question des ordures ménagères a balayé plusieurs exécutifs en place, jusque dans les plus petites communes, en raison de la manière dont les choses se sont déroulées. Je ne doute pas que l’année 2026 nous réserve encore quelques surprises en la matière.

L’institution de ce comité ne représente pas une charge supplémentaire ; il s’agit bien d’un dispositif qui vise à protéger, car nous souffrons cruellement dans notre pays d’un manque d’espaces intermédiaires. Et pour cause, le Président de la République n’en veut pas et s’est toujours assis sur leurs avis : il n’y a donc pas de raison d’en créer dans nos territoires.

Nous défendons en tout cas cet article et nous l’avons volontairement rédigé de manière très souple, puisqu’il conviendra de préciser par décret tant la composition que les missions prévues. Nous souhaitions en effet retenir une formulation qui ne crée pas une charge pour nos territoires, mais, au contraire, les aide en étayant les décisions et les évolutions nécessaires pour répondre aux difficultés que nos concitoyens ont de plus en plus de mal à comprendre : on a de moins en moins de déchets, mais on paie de plus en plus cher ; à qui, finalement, profite ce financement ?

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote sur l’article.

M. Vincent Louault. Dans les EPCI, il existe déjà une commission chargée de la gestion des ordures ménagères. C’est d’ailleurs l’une des seules où les gens tiennent à venir. Telle est la réalité que j’observe dans ma collectivité. Chaque communauté de communes est encore libre de faire ce qu’elle veut et de gérer sa commission environnement avec une sous-commission sur les ordures ménagères.

Quant à l’article 4, vous demandez une compensation par la dotation globale de fonctionnement (DGF) du surcoût de tout le dispositif. C’est mélanger les choux et les carottes ! J’espère que vous ne faites pas le tri sélectif de cette manière… (Mme Cécile Cukierman proteste.) Vous auriez pu demander plutôt une réduction de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) que toutes les collectivités paient. Tout cela n’est pas très crédible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote sur l’article.

Mme Marie-Claude Varaillas. Si j’ai bien compris, le Sénat s’apprête à rejeter cet article 3 et, avec lui, l’ensemble de la proposition de loi, qui était de toute façon dénaturée par la suppression des articles 1er et 2.

Je voudrais simplement remercier mes collègues du groupe RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste d’avoir voté en faveur de ce texte. À n’en pas douter, il reviendra dans cet hémicycle, car, comme je l’ai dit en commission, je crains que le problème des déchets ne joue le même rôle que la hausse du prix du carburant qui a déclenché le mouvement des « gilets jaunes ». Nous en reparlerons très certainement.

En tout cas, les élus de mon département savent que j’ai pris en compte leurs préoccupations. Je sais ce qu’ils vivent sur le terrain et ce que vit le président du syndicat mixte qui gère ce service. Nous sommes là pour entendre ce que nos concitoyens nous disent des problèmes de leur vie quotidienne, et celui des déchets en est un qui prend des proportions importantes. Je souhaite que ce débat serve à ce que, un jour, une proposition de loi prenne assez rapidement en compte ce qui ne l’a pas été aujourd’hui.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 109
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 4 n’a plus d’objet.

Les articles de la proposition de loi ayant été supprimés par le Sénat, ou étant devenus sans objet, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets
 

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
Discussion générale (interruption de la discussion)

Nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 626 [2024-2025], résultat de travaux n° 57, rapport n° 56).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi.

Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous présentons aujourd’hui part d’un constat simple, brutal, mais désormais incontestable : depuis vingt ans, ArcelorMittal a transformé notre acier national en un actif financier au service de ses actionnaires.

Cette proposition de loi est, je veux le dire, le fruit d’un travail collectif, qui est d’abord celui des salariés, de ces femmes et de ces hommes qui produisent encore l’acier dans notre pays et souhaitent préserver sa production sur notre territoire. Elle est ensuite le fruit d’un travail collectif avec les autres groupes de gauche, puisqu’elle a été cosignée par mes deux collègues présidents des groupes de gauche et par nombre de leurs collègues.

Notre acier, notre savoir-faire, nos emplois sont devenus des lignes comptables dans les bilans d’un groupe multinational. Ce qui était jadis une fierté industrielle française et européenne n’est plus qu’un produit spéculatif soumis à la seule logique du profit immédiat. Au fond, mes chers collègues, c’est bien là le cœur du problème. L’économie capitaliste, livrée à elle-même, ne cherche pas à produire pour répondre aux besoins des peuples ; elle produit pour rémunérer le capital.

Alors, posons la question simplement : quelle légitimité y a-t-il à perdre une production essentielle et un savoir-faire séculaire, simplement parce qu’un fonds d’investissement exige une rentabilité immédiate ? La réponse est claire : aucune.

Pour nous, l’économie n’a de sens que si elle sert le besoin collectif, le travail humain et l’intérêt général. C’est là toute la différence entre une économie livrée à la spéculation et une économie régulée par la puissance publique. Tel est le sens profond de cette proposition de loi : arracher les secteurs vitaux à la logique du profit pour les replacer dans celle de l’utilité collective.

La nationalisation n’est pas un gros mot. Elle est un acte de puissance publique. Elle est une décision politique, souveraine, pour reprendre la main sur notre destin industriel.

Depuis des années, nous assistons à un renoncement organisé à toute souveraineté économique. On nous a fait croire naïvement, ou devrais-je dire cyniquement, que le marché ferait tout mieux que l’État, que les actionnaires étrangers se soucieraient mieux de l’avenir de nos territoires que nos élus ou nos ingénieurs. Pendant ce temps, nos usines ferment, nos ouvriers sont licenciés, nos régions se vident et la France perd peu à peu le contrôle de son industrie.

J’entends souvent nos collègues de droite se réclamer de la souveraineté nationale. Mais enfin, mes chers collègues, on ne peut pas défendre la souveraineté en laissant les clés de notre acier à ArcelorMittal. On ne peut pas, d’un côté, brandir le drapeau tricolore et, de l’autre, s’en remettre aux décisions d’un conseil d’administration installé au Luxembourg. La souveraineté n’est pas un slogan ; c’est une pratique économique concrète. Elle commence ici, avec l’acier.

Parce que l’acier, ce n’est pas n’importe quel métal. C’est la base matérielle de notre puissance industrielle. Sans acier, il n’y a pas de construction, pas de transition énergétique et pas de défense nationale. Les turbines, les rails, les éoliennes, les ponts ou les infrastructures vertes, tout cela dépend de la filière sidérurgique. Comment donc répondre à la crise du logement ? Comment développer demain des infrastructures de transport ambitieuses pour relier les territoires entre eux ? Comment même assurer la politique d’armement si nous sommes dépendants au regard de l’acier ?

Quand nous parlons de l’acier, nous parlons aussi des femmes et des hommes qui, depuis des générations, le font vivre, souvent dans des conditions difficiles, mais – je veux le souligner – avec une fierté immense. Florange, Fos-sur-Mer, Dunkerque ou Saint-Chély-d’Apcher sont autant de lieux de savoir-faire, autant de symboles d’un pays qui a cru à son industrie et qui ne veut pas la voir disparaître.

Pourtant, ArcelorMittal ne cesse de trahir ses engagements. Malgré des profits colossaux et des aides publiques massives, le groupe ferme des sites, démantèle notre outil industriel et menace notre indépendance. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 23 milliards d’euros de valorisation, 62 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024 et 13 milliards de dollars versés aux actionnaires depuis 2020.

Dans le même temps, 392 millions d’euros d’aides publiques ont été reçus rien qu’en 2023, bien évidemment sans aucune contrepartie sociale ni environnementale. ArcelorMittal a également bénéficié de quotas gratuits d’émissions de carbone dont l’excédent non utilisé est revendable, ce qui constitue une forme d’aide implicite de l’ordre de 960 millions d’euros.

Malgré cela, les investissements sont reportés, les emplois sont menacés et les usines également. Pourquoi ? Parce que la logique d’ArcelorMittal n’est pas celle de la production utile ; c’est celle – je l’ai déjà dit – du profit à court terme.

Alors oui, la nationalisation n’est plus une option, elle est devenue une nécessité. Une nécessité économique pour planifier la décarbonation de la filière. Une nécessité industrielle pour garantir nos approvisionnements stratégiques. Et une nécessité sociale pour protéger les travailleurs, les territoires et les savoir-faire français.

Je veux d’ailleurs saluer la présence en tribune de travailleurs de l’acier venus assister aujourd’hui à nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Ce que nous proposons, c’est de créer une société nationale de l’acier, placée sous contrôle public et démocratique, capable d’investir, d’innover et de planifier. Car, ne nous y trompons pas, sans État stratège, il n’y aurait pas eu EDF-GDF, Airbus, Ariane ou le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), autant de fleurons qui ont servi au développement des femmes et des hommes dans tout notre pays. L’histoire industrielle française est indissociable de l’action publique.

On nous dit souvent que la nationalisation est trop coûteuse. C’est d’ailleurs, monsieur le rapporteur, l’un des arguments que vous allez, me semble-t-il, utiliser. Toutefois, qu’est-ce qui coûte le plus cher : investir pour sauver nos usines et nos emplois, ou bien payer des plans sociaux, réhabiliter des territoires désertés, les dépolluer, les réaménager, sans compter les nombreuses compétences perdues ?

Les fonds existent. Quelque 15 milliards d’euros sont prévus dans le plan européen pour l’acier et 6 milliards d’euros sont consacrés à la décarbonation de l’industrie en France. Mettons ces moyens au service du pays. Arrêtons de subventionner ceux qui détruisent notre industrie et investissons dans ceux qui la feront renaître.

On nous dit également que la nationalisation n’est pas conforme au droit européen. C’est faux. L’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne reconnaît le droit des États de choisir leur régime de la propriété. Ce que nous faisons, c’est affirmer un choix politique souverain, comme d’autres pays l’ont fait avant nous : un choix d’intérêt général au service de l’emploi, de la transition écologique et de la sécurité nationale.

Enfin, mes chers collègues, cette nationalisation n’est pas un retour en arrière. C’est au contraire un acte de souveraineté moderne. Un acte pour piloter la décarbonation de la filière acier, indispensable au regard des enjeux climatiques. Un acte pour planifier les investissements dans les hauts fourneaux électriques. Un acte pour garantir l’emploi et la formation sur tout le territoire. L’acier est la colonne vertébrale de notre puissance industrielle. Ce bien commun stratégique mérite d’être protégé.

Oui, notre proposition est ambitieuse. Elle est lucide, parce qu’il n’y aura pas de réindustrialisation sans reprise en main publique de cet outil. Il n’y aura pas de transition écologique sans souveraineté productive. Et il n’y aura pas de justice sociale sans rupture avec la loi du profit à court terme.

Tel est le sens de notre démarche. Telle est la promesse d’une France qui reprend la main.

Mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, vous ne voterez pas seulement pour un texte ; vous voterez pour une vision, pour un projet, pour une France qui choisit de produire, de protéger et de planifier.

L’acier n’est pas un produit financier. C’est un bien commun, une force nationale et un levier d’avenir. Il est temps, il est même urgent de le traiter comme tel.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cette proposition de loi que nous vous demandons de voter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national, déposée sur le bureau du Sénat le 14 mai dernier par la présidente Cécile Cukierman.

Sans surprise, au regard de la position constante de la majorité sénatoriale sur ce sujet, la commission des finances a rejeté cette proposition de loi lors de son examen, mercredi dernier.

La commission des finances a rejeté cette initiative pour deux raisons structurantes que je vais développer. D’abord, la nationalisation serait extrêmement coûteuse pour les pouvoirs publics dans une période de crise des finances publiques. Ensuite et surtout, la nationalisation n’apporterait pas de solution durable à la crise du secteur de la production d’acier en Europe.

Je me propose de développer en trois points le raisonnement qu’a suivi la commission des finances.

En premier lieu, je veux insister sur le fait que la filière de production d’acier en Europe traverse depuis plusieurs années une crise structurelle qui dépasse largement le cas des sites de production d’ArcelorMittal en France. Pour ne citer que quelques illustrations, je rappelle que le secteur sidérurgique européen a vu la suppression de 100 000 emplois entre 2007 et 2024. Pour la seule année 2024, le nombre d’emplois supprimés s’élève à 18 000. J’ajoute que le groupe sidérurgique allemand ThyssenKrupp a annoncé, il y a un an, qu’il envisageait de supprimer 11 000 emplois à l’horizon 2030 dans ses filiales de production d’acier. Il serait par conséquent illusoire de nier le caractère global de cette crise en rejetant la faute sur un acteur unique, fût-il l’actionnariat du groupe ArcelorMittal.

Pour comprendre les causes structurelles de cette crise, il faut distinguer plusieurs facteurs qui se conjuguent pour dégrader l’équilibre économique de l’activité de production d’acier en Europe.

Le premier facteur est celui de la baisse de la demande d’acier en Europe. Il n’est en effet un secret pour personne que notre continent subit depuis plusieurs décennies, dans le cadre de la mondialisation des chaînes de valeur, un processus de désindustrialisation. Ce processus a comme effet indirect mais mécanique de réduire la demande en acier qui est largement portée par l’industrie automobile ainsi que par le secteur de la construction.

Le deuxième facteur est celui, plus déstabilisant encore, de l’existence sur le marché mondial actuel de l’acier d’une surcapacité massive de production. Pour dire les choses concrètement, les usines mondiales de production d’acier ont produit en 2024 un surplus de 602 millions de tonnes d’acier par rapport à la demande mondiale.

Le troisième facteur est lié à la réforme récente du marché du carbone européen. En effet, les grands sites sidérurgiques européens sont assujettis depuis 2005 à une obligation de détenir des quotas d’émissions équivalents à leurs rejets de gaz à effet de serre. Or, alors que ce marché prévoyait un mécanisme d’allocation gratuite de quotas d’émissions pour tenir compte des risques de fuite de carbone, la mise en place récente du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) a eu pour conséquence indirecte de déclencher une trajectoire de réduction des quotas d’émission gratuits alloués aux aciéristes à partir de l’exercice 2026.

Le quatrième facteur qui a un effet de perturbation indirecte sur la trajectoire de décarbonation de la filière sidérurgique est la hausse substantielle des coûts de l’énergie observée en Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. En effet, les processus décarbonés de production d’acier reposent non seulement sur l’électrification de certaines étapes de production, mais également sur l’usage de gaz naturel ou d’hydrogène comme énergie primaire. Par conséquent, les incertitudes actuelles sur le prix de l’électricité à long terme obstruent la visibilité des industriels sur leurs projets d’investissement. À titre d’illustration, ArcelorMittal estime que le prix de l’hydrogène vert devrait être divisé par deux pour que ce groupe puisse envisager de produire du minerai de fer préréduit décarboné à un prix compétitif.

En deuxième lieu, après vous avoir présenté ce contexte de crise structurelle du secteur de la production d’acier en Europe, j’aimerais vous expliquer pour quelles raisons la décision de nationaliser ArcelorMittal serait inefficace, fragiliserait les sites de production concernés et serait coûteuse pour les finances publiques.

Dans le contexte de crise européenne que je viens de décrire, les sites de production du groupe ArcelorMittal affrontent une dégradation de leur équilibre économique, en conséquence de laquelle la direction du groupe a annoncé, en avril dernier, un plan de restructuration ayant pour conséquence la suppression de 636 postes, soit 4 % des effectifs en France.

Je veux insister sur le fait que la nationalisation ne résoudrait aucun des problèmes qui alimentent la crise de la sidérurgie européenne. Cette nationalisation n’aurait aucun effet sur la baisse de la demande d’acier en Europe. Elle n’aurait aucun effet non plus sur l’existence d’une surcapacité mondiale d’acier de plus de 600 millions de tonnes par an.

Enfin, la nationalisation d’ArcelorMittal n’aurait pas plus d’effet sur les conséquences de la réduction des quotas gratuits d’émissions et de la hausse du prix de l’énergie en Europe.

Deuxièmement, je veux également insister sur le risque économique majeur auquel les sites français de production d’acier, au premier rang desquels Dunkerque et Fos-sur-Mer, seraient exposés en cas de détachement du groupe ArcelorMittal pour se trouver dans une entreprise isolée à capitaux publics. En effet, comme nous l’ont expliqué les responsables d’ArcelorMittal et comme l’ont confirmé les services du ministère de l’industrie, les sites français de production d’acier bénéficient très largement du carnet de commandes du groupe ArcelorMittal, qui est géré à l’échelle européenne.

Concrètement, cela signifie que l’acier produit à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque est souvent exporté vers des clients du groupe ArcelorMittal situés hors du territoire français. Par conséquent, il existe un risque commercial majeur que des sites de production isolés, privés de l’apport de clientèle assuré par la gestion consolidée du groupe ArcelorMittal en Europe, ne se trouvent fragilisés et contraints de réduire encore le taux d’utilisation de leurs capacités.

J’ajoute sur ce point que l’option de la nationalisation ne fait pas l’unanimité parmi les représentants syndicaux du groupe ArcelorMittal que j’ai interrogés pour préparer l’examen de ce texte. Si la CGT soutient le projet de nationalisation, la CFE-CGC, qui est le deuxième syndicat le plus représentatif avec 25 % des voix aux élections professionnelles, s’est opposée à une nationalisation des sites français.

Troisièmement, j’aimerais évoquer le coût massif pour les finances publiques que représenterait une telle décision. Les auditions menées dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi ne m’ont pas permis d’obtenir un chiffrage robuste quant à la valorisation des sites industriels d’ArcelorMittal en France. Peut-être que M. le ministre délégué chargé de l’industrie pourra nous éclairer sur ce point dans un instant.

En tout état de cause, les sources existantes et les travaux menés par les organisations syndicales font état d’un prix d’achat dont l’ordre de grandeur avoisine 1 milliard d’euros. En ajoutant les investissements massifs de décarbonation nécessaires à la pérennité des sites, le coût global de l’opération doit être estimé à plusieurs milliards d’euros. Cette somme est évidemment incompatible avec le contexte actuel de consolidation impérieuse de nos comptes publics.

Enfin, je terminerai en soulignant qu’il existe des mesures alternatives à la nationalisation qui sont plus efficaces pour défendre la pérennité de la filière sidérurgique, dont il n’est pas question de nier le caractère stratégique.

À l’échelle nationale, je rappellerai qu’il existe une enveloppe pluriannuelle de 6 milliards d’euros pour soutenir les investissements des acteurs industriels privés dans la décarbonation des processus de production. Ces aides, qui ont un effet de levier important en entraînant des investissements privés, constituent un soutien vital pour assurer la transition de nos usines sidérurgiques, condition sine qua non de leur pérennité.

À l’échelle européenne, je tiens également à souligner les annonces particulièrement encourageantes qui ont été faites par la Commission européenne au début du mois d’octobre. En effet, dans le sillage de la publication en mars 2025 d’un plan d’action pour l’acier et les métaux, la Commission européenne a proposé, le 7 octobre dernier, la création d’un mécanisme de protection pérenne du marché de l’acier en Europe, en application duquel les importations d’acier au-delà d’un quota en franchise de droits seraient taxées à hauteur de 50 %. Sur ce point, je sais que le gouvernement français s’est fortement engagé pour convaincre la Commission européenne de déployer enfin ces instruments de protection. Je vous encourage, monsieur le ministre, à poursuivre ce combat pour que l’Europe se dote des instruments indispensables au maintien de sa souveraineté industrielle.

En conclusion, je veux remercier nos collègues du groupe communiste d’avoir attiré l’attention du Gouvernement et celle du Sénat sur cette crise de l’acier européen, qui est un enjeu majeur pour notre souveraineté et l’autonomie de nos industries. Pour autant, pour les diverses raisons que j’ai exposées, la nationalisation resterait sans effet sur cette crise structurelle et son effet principal serait d’immobiliser inutilement plusieurs milliards d’euros en faisant courir aux sites concernés un risque de fragilisation commerciale. Je propose au Sénat de procéder comme l’a fait la commission des finances en rejetant ce texte au profit des mesures alternatives de protection de notre industrie que je viens de développer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord, moi aussi, remercier Mme Cukierman et ceux de vos collègues qui ont fait le choix de déposer cette proposition de loi. Je veux les remercier, car ce texte porte sur un sujet fondamental, qui sera également évoqué à l’Assemblée nationale, celui de notre avenir industriel, en particulier de la sidérurgie.

Je veux aussi remercier M. le rapporteur pour la qualité de son argumentation et pour avoir posé très clairement et rationnellement un certain nombre d’éléments sur un sujet qui a fait l’objet de débats parfois passionnés. C’est le cas – on le comprend – chaque fois que nous parlons de notre industrie et des hommes et des femmes qui la font vivre partout sur le territoire.

Cette « industrie des industries » qu’est la sidérurgie est celle dont on voit les œuvres partout : dans nos routes et nos rails, nos ponts et nos usines, nos villes et nos armées. Elle soutient nos infrastructures, elle irrigue toutes nos chaînes de valeur et, derrière elle, ce sont des usines, des hommes, des femmes et des territoires qui façonnent la France industrielle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi part d’un constat que nous avons tous fait : celui des difficultés profondes que traverse l’industrie sidérurgique européenne et, plus gravement, comme l’a rappelé M. le rapporteur, la filière historique des hauts fourneaux.

Ces difficultés tiennent à plusieurs causes très bien identifiées.

D’abord, la demande européenne et mondiale en recul entraîne des surcapacités massives. Nous produisons aujourd’hui plus d’acier que nous n’en consommons et les débouchés se contractent. Je songe notamment aux secteurs de la construction et de l’automobile, tous deux en crise et dont dépend la filière sidérurgique.

Ensuite, nous faisons face à une concurrence déloyale, avec des aciers asiatiques subventionnés qui arrivent sur notre continent à des prix artificiellement bas : le rapport des prix entre notre acier et le leur est de 1 à 3, et il est de 1 à 5 ou de 1 à 6 avec l’acier américain. Mais certains pays asiatiques qui ne pratiquent ni le dumping ni la subvention à l’extrême sont dans le même rapport de prix que nous. Cela montre bien qu’il existe une problématique spécifique de dumping avec certains pays asiatiques, à laquelle nous pouvons apporter des réponses – j’y reviendrai.

Enfin, le coût de production européen est tiré vers le haut par les prix de l’énergie, une fiscalité souvent trop lourde et le prix de la décarbonation. La décarbonation est inévitable à long terme, mais l’Europe a décidé de la mener la première, en faisant le choix lucide d’agir dès maintenant.

Ces réalités économiques suscitent de l’angoisse chez nos concitoyens, partout dans les territoires : la peur de la fermeture, la crainte du déclassement, l’incertitude qui plane sur l’avenir. Je connais cette détresse, car je suis moi-même élu d’un département qui, par le passé, a été confronté à des accidents industriels majeurs, tels que la fermeture de l’usine Kodak. Et c’est pourquoi ce débat a toute sa place dans cette assemblée.

Pour autant, la réponse apportée par le texte n’est pas la bonne. La nationalisation – n’en faisons pas une affaire d’idéologie – peut, dans certains cas, être une solution. Elle n’a d’ailleurs jamais été l’apanage d’un camp politique. La France y a ainsi eu recours à plusieurs reprises : ce fut le cas pour EDF, pour Atos, ou encore pour Alcatel Submarine Networks. La puissance publique a repris la main dans ces secteurs, non pour masquer une difficulté, mais pour protéger une infrastructure critique.

Or la situation d’ArcelorMittal n’entre pas dans ce cadre. Car, ici, nationaliser, ce n’est pas sauver, mais différer, traiter les symptômes sans s’attaquer aux causes. Pis encore, nationaliser ne ferait que poser de nouveaux défis à l’entreprise. Comme l’a très bien expliqué M. le rapporteur, en France, ArcelorMittal fonctionne comme un réseau intégré, avec des sites qui dépendent des fournisseurs et des clients du groupe partout dans le monde. Si l’on nationalise seulement la partie française, on brise ce réseau : les clients partent, les concurrents en profitent, la compétitivité s’effondre et l’on favorise les investissements étrangers.

Nationaliser ArcelorMittal reviendrait à placer l’entreprise sous perfusion publique, sans pour autant régler les problèmes qui minent la filière : la concurrence mondiale faussée, la faiblesse de la demande européenne et le déficit de compétitivité. Aucune de ces difficultés ne disparaîtra avec la nationalisation.

Les pertes, en revanche, deviendraient celles de l’État, et, donc, celles du contribuable. Une nationalisation reviendrait, pour le dire simplement, à essayer de gagner du temps pour perdre beaucoup d’argent.

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, les exemples britannique et italien sont cités à juste titre. Encore faut-il aller jusqu’au bout du raisonnement : outre-Manche, British Steel coûte 700 000 livres de pertes par jour au contribuable britannique. En Italie, le cas d’Ilva illustre un autre écueil : après des années de blocages et d’incertitudes, l’État italien peine encore à trouver un repreneur capable de relancer durablement l’activité – car, si l’on nationalise, ce n’est que temporairement, dans l’attente d’une reprise. Je ne crois pas que ce soit le modèle que nous souhaitons adopter.

Notre devoir est de préserver la vitalité industrielle des sites, une vitalité qui passe par des projets industriels. Si notre priorité est bien de protéger les salariés, leurs emplois, leurs compétences, leurs trajectoires professionnelles, il faut apporter des solutions structurelles à des problèmes structurels.

En réalité, le cœur du sujet réside dans la compétitivité. Le Gouvernement en tient compte en proposant, dans le cadre du projet de loi de finances, une baisse de 1,3 milliard d’euros de cet impôt de production que l’on appelle la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). C’est 1,3 milliard d’euros que nos entreprises n’auront plus à dépenser en impôts, mais qu’elles pourront réinvestir.

Car la compétitivité, c’est aussi cela : investir pour innover, décarboner, former les équipes, faire évoluer les compétences. C’est d’ailleurs tout l’enjeu autour des investissements déjà effectués par ArcelorMittal dans ses sites français, ainsi que des investissements que le groupe a annoncés et que nous soutenons. Cela étant, la volonté d’ArcelorMittal d’investir 1,2 milliard d’euros pour la construction d’un four électrique à Dunkerque reste conditionnée à l’existence d’un marché européen véritablement protégé du dumping et à celle d’un mécanisme de taxation carbone aux frontières réellement appliqué.

Mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi dissiper un doute : la survie de la sidérurgie européenne se jouera d’abord à Bruxelles, et pas en France dans le cadre d’un décret de nationalisation, parce que le défi est avant tout européen. Tel est le sens du travail que nous menons pour faire vivre une véritable défense commerciale et une préférence européenne concrète.

Les deux lignes de force qui guident notre action sont un plan d’urgence pour l’acier européen et une taxe carbone aux frontières réellement efficace.

D’une part, la France bataille pour que l’Union européenne mette en place un plan d’urgence sur l’acier face au dumping asiatique. Ce plan, que nous avons obtenu, repose sur une clause de sauvegarde, un terme technique qui recouvre une réalité très simple, celle de quotas d’importation. Dit autrement, au-delà d’un certain seuil, des droits de douane de 50 % seront appliqués aux importations d’acier étranger.

Nous avons gagné sur le principe, mais le combat doit se poursuivre : la France se bat pour que ces mesures soient pleinement opérationnelles dès le 1er janvier 2026. Nous ne sommes pas seuls, puisqu’une dizaine de pays réunis dans l’Alliance européenne de l’industrie lourde soutiennent cette position. Nous sommes pleinement mobilisés sur ce dossier. Dès ma prise de fonction, je me suis d’ailleurs entretenu avec le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, et je serai à Bruxelles dans les prochains jours.

D’autre part, la France lutte pour une taxe carbone aux frontières qui fonctionne réellement, une taxe qui mette à égalité les sidérurgistes européens, qui paient le carbone, avec leurs concurrents étrangers, qui ne le paient pas… Là encore, nous avançons, mais nous devons rester combatifs pour que ce mécanisme ne puisse pas être contourné.

Nous avons arraché ces avancées, parce que nous croyons à une Europe industrielle, une Europe qui protège ses usines, ses emplois et ses savoir-faire. Et nous continuerons à nous battre pour que ces mesures soient adoptées rapidement par le Parlement européen comme par le Conseil.

Non, la nationalisation n’est pas la solution. Mais cela ne veut pas dire que nous nous interdisons d’agir : nous soutenons la décarbonation des procédés ; nous finançons les technologies nouvelles ; nous défendons la réciprocité commerciale ; et nous renforçons la compétitivité de notre industrie. Nous mobilisons donc tous les leviers pour que nos usines restent en France et que leurs salariés aient un avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ArcelorMittal n’est pas à vendre. Surtout, l’indépendance ne se décrète pas par un rachat : elle résulte d’une stratégie industrielle. Je veux le dire simplement : sauver une entreprise, c’est lui donner un futur, et non la mettre sous perfusion. Et, ce futur, nous le construirons par la compétitivité, l’investissement, et grâce à la cohérence de notre action européenne.

Je salue la position de la commission des finances sur cette proposition de loi. Je la partage pleinement, et j’appelle le Sénat à la suivre. (M. le rapporteur et M. Marc Laménie applaudissent.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
Discussion générale (suite)

3

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques. Lors des scrutins publics nos 14 et 15 portant sur la proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, Mme Viviane Malet souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.

Mes chers collègues, je vais suspendre la séance ; elle sera reprise à quatorze heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quatorze heures quarante, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
Article 1er

Nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe ArcelorMittal, malgré des fonds propres colossaux et la perception d’aides publiques massives, a annoncé en avril dernier la suppression de centaines d’emplois en France, ainsi que le report de ses investissements dans la modernisation et la décarbonation de son outil industriel.

Face à une forme de cynisme de la part de ce groupe, face à la crise structurelle qui frappe la sidérurgie européenne, dans un contexte d’urgence climatique absolue, et face aux menaces directes qui pèsent sur nos emplois et notre souveraineté, la présente proposition de loi du groupe communiste, cosignée par l’ensemble des groupes de gauche et les écologistes, est d’une importance majeure et répond à une impérieuse nécessité.

La modernisation des outils de production, leur électrification notamment, est incontournable si nous voulons respecter nos engagements climatiques en matière de transition. Les trois sites français de production d’acier appartenant à ArcelorMittal, à Dunkerque, Fos-sur-Mer et Florange, représentaient, en 2019, 24 % des émissions de CO2 de l’industrie en France et 4,5 % des gaz à effet de serre émis sur le territoire national.

En 2023, dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone et en vue de décarboner les sites les plus émetteurs, le groupe ArcelorMittal a signé un contrat de transition écologique avec l’État français, avec pour premier objectif, d’ici 2030, de réduire de 35 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2015, et pour second objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

La puissance publique a proposé de subventionner la décarbonation de l’outil de production à hauteur de 850 millions d’euros, soit environ la moitié des besoins d’investissement. Cette aide a été autorisée par la Commission européenne le 20 juillet 2023, mais le revirement d’ArcelorMittal a entraîné le report de ces investissements et remet en cause, de fait, notre stratégie climatique.

Ce qui garantira, demain, l’emploi industriel dans notre pays, c’est la transformation de l’outil de production – il faut le dire –, via notamment l’électrification des hauts fourneaux. Il n’y aura pas de transition écologique sans emplois industriels ni d’industrie sans transition écologique.

La filière de l’acier est hautement stratégique. Nous ne pouvons accepter que son avenir en France et en Europe dépende uniquement de décisions erratiques, sans aucune logique de planification ni vision d’avenir. Oui, la sidérurgie est une composante majeure de notre souveraineté industrielle, essentielle entre autres à la défense, aux infrastructures critiques et à la transition énergétique.

Face à la menace qui pèse sur l’ensemble de la filière de l’acier européen, la Commission européenne a enfin amorcé un virage protectionniste en proposant de doubler les droits de douane sur l’acier de 25 % à 50 %, tout en diminuant de moitié les quotas d’acier étranger pouvant être importés sans surtaxe dans l’Union européenne. Il s’agit d’un début de réveil salutaire.

Oui, en effet, il y a urgence. La filière européenne est menacée par la surproduction mondiale, dopée par la concurrence déloyale chinoise : 150 000 emplois sont ainsi menacés en Europe.

La présente proposition de loi ne relève donc pas d’un choix idéologique : elle résulte d’une vision pragmatique qui s’articulera parfaitement avec le virage pris au niveau européen. Elle vise à préserver nos capacités industrielles et l’emploi, comme l’a fait le gouvernement britannique.

Le texte tend à garantir que les actifs d’ArcelorMittal en France – c’est-à-dire les sites de Dunkerque, de Fos-sur-Mer, et de Florange ainsi et que toute autre installation jugée essentielle – soient reconnus comme des biens d’intérêt général relevant de notre souveraineté industrielle.

Cette proposition de loi est un premier pas essentiel, qui doit en outre s’inscrire dans une démarche plus globale et multisectorielle. Nous devons protéger l’ensemble des entreprises stratégiques d’intérêt national ou européen.

Nous devons aussi mettre fin à la passivité de l’État face aux décisions unilatérales des multinationales. Nous devons reprendre en main notre destin et bâtir notre stratégie industrielle.

Pour sauvegarder les aciéries, pour leur permettre de réussir à passer le cap de la décarbonation, pour faire advenir une souveraineté industrielle réelle, loin des incantations et de la soumission au marché, pour favoriser la planification des emplois, des filières et des savoir-faire, vous l’aurez compris, nous voterons ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avouons-le d’emblée, il est bien difficile pour n’importe quel habitant des Bouches-du-Rhône, et, donc, pour chacun des parlementaires de ce département, d’être insensible aux questions touchant à l’avenir d’ArcelorMittal.

Il en va de même de toutes les régions françaises qui ont subi les crises causées par le recul de nos capacités de production dans le domaine sidérurgique, ainsi que les cortèges de licenciements qui ont plongé nombre de familles dans la difficulté et ont contraint des villes à s’engager dans des conversions interminables et aléatoires.

Se désintéresser de ce sujet reviendrait à faire preuve de désinvolture quand on sait que la filière sidérurgique, à Fos-sur-Mer, représente 4 000 emplois. Une telle attitude serait d’autant plus condamnable que cette implantation industrielle, deuxième site sidérurgique français, est le fruit d’une histoire qui serait bien trop longue à retracer ici.

Le secteur sidérurgique fait aussi l’objet, pour les années à venir, d’importantes perspectives d’investissement liées à la décarbonation, car nous devons nous adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Il est aussi au cœur de ce que l’on appelle notre souveraineté économique.

C’est pourquoi je partage les interrogations et inquiétudes qui ont conduit à l’élaboration du texte que nous examinons aujourd’hui. Elles sont légitimes et appellent une attention particulière.

Toutefois, je ne peux m’empêcher de vous faire part de ma perplexité. « Nationalisation » : pour des oreilles bercées par les douces rengaines du libéralisme, il s’agit d’un gros mot. Pour d’autres, en revanche, le terme est un totem scandé lors de chaque discussion où il est question de maîtrise de nos politiques industrielles.

Dans le cadre des échanges qui ont précédé le rejet de ce texte par la commission des finances, j’ai eu la désagréable impression de revivre un film, si je puis m’exprimer ainsi, qui a suscité bien des querelles lors du quinquennat de François Hollande. C’est fort regrettable, et je crains que nous ne donnions le spectacle d’élus ravivant ad nauseam la querelle des Anciens et des Modernes.

À l’heure où l’exécutif et le Parlement sont en quête de milliards pour lutter contre une dette qui fragilise notre pays, nous sommes en présence d’un cas d’école avec cette proposition de loi relative à la situation d’ArcelorMittal. Chacun affûte ses arguments : les auteurs du texte ont raison de tirer la sonnette d’alarme de l’emploi ; le rapporteur, lui, n’est pas en reste, puisqu’il rappelle que toute réponse doit être apportée au niveau européen si l’on veut protéger le secteur sidérurgique.

Hélas, je crains que cela ne soit insuffisant pour calmer l’inquiétude des sidérurgistes qui peuvent estimer que, derrière cet argument, se cache l’antienne du « ce n’est pas nous, c’est Bruxelles ! »…

Je reste convaincue que les passes d’armes convenues autour du terme « nationalisation » nous font passer à côté d’un point essentiel : les 200 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises et les quelque 300 millions d’euros dont a bénéficié ArcelorMittal en 2023. Ces aides sont nécessaires. Soit ! Mais si le coût d’une nationalisation est pharaonique, celui des aides publiques versées aux entreprises, sans l’assurance de préserver durablement notre souveraineté, sans la garantie du maintien de l’emploi, le tout accompagné du chantage permanent exercé par celles-ci – je fais référence à l’article du journal Le Monde de ce matin –, l’est tout autant.

Il faut évaluer ces aides publiques, les réglementer et légiférer pour mieux les contrôler. Il convient de savoir à quels investissements elles contribuent, quels emplois elles permettent de créer ou de préserver, quelles stratégies elles encouragent. Il s’agirait là d’une démarche plus fructueuse. Il importe aussi de rappeler aux entreprises bénéficiaires, qui licencient abusivement en jouant de leur position, la célèbre saillie de Margaret Thatcher : « I want my money back ! »

Cela étant, je voterai pour ma part contre ce texte. Mes collègues du groupe du RDSE useront, eux, de leur liberté de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet.

M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à remercier les membres du groupe CRCE-K d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de leur espace réservé, un texte d’ailleurs cosigné par les membres d’autres groupes.

En effet, la question de l’industrialisation de la France est absolument majeure, et ce débat va nous donner l’occasion de réfléchir à l’avenir de notre industrie, plus particulièrement à l’avenir du secteur sidérurgique.

Mon groupe n’est pas opposé aux nationalisations. J’en veux pour preuve que nous avons approuvé la nationalisation intégrale d’EDF l’an passé. Certes, nous aurions préféré que les personnels puissent acquérir une part plus significative du capital de l’entreprise – disons-le clairement – pour tirer les fruits de son expansion, mais nous ne sommes pas par principe opposés à un tel processus. Cet engagement témoigne de notre attachement à un État fort, qui se préoccupe des véritables facteurs de croissance économique dans les territoires, c’est-à-dire, ici, de nos filières énergétiques, qui sont cruciales pour notre industrie.

Le groupe Union Centriste est particulièrement sensible au sort de la filière sidérurgique. On le sait en effet, en 1951, l’Europe s’est construite, pour le plus grand bien de tous, sur les bases de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). C’est à partir de cette organisation et de ses quelques pays fondateurs que s’est forgé l’esprit européen et que s’est développée l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui. Cela montre bien l’importance de l’acier et explique notre intérêt pour cette question.

Comme l’a très bien expliqué le rapporteur, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation paradoxale : d’un côté, la production mondiale d’acier est largement excédentaire, ce qui nous expose à un problème de compétitivité ; de l’autre, ArcelorMittal, acteur non négligeable de la filière sidérurgique, emploie 15 000 salariés en France sur une quarantaine de sites différents. On sait que la filière sidérurgique est indispensable pour l’industrialisation de notre pays : doit-on pour autant, face à toute nouvelle difficulté, envisager la nationalisation des entreprises fragilisées, c’est-à-dire proposer systématiquement que l’État en prenne seul la direction ?

Nous estimons qu’il faut y réfléchir à deux fois avant de s’engager dans une telle voie. En effet, nous pourrions être amenés à engager des montants considérables, alors même que nous sommes dans l’obligation de réduire nos dépenses publiques.

Face à un déficit public colossal, nous n’avons pas d’autre choix que de réduire nos dépenses, contrairement à ce que soutiennent certains de nos collègues députés – on le voit bien en ce moment – qui veulent toujours taxer davantage. Nous estimons au contraire que le levier de l’impôt doit être mobilisé avec mesure, car la surtaxation conduit inévitablement à l’indécision des acteurs économiques, qui hésitent alors à investir et à s’engager en faveur du développement du pays. C’est pourtant indispensable : la croissance de la France passera notamment par la reconnaissance de la valeur travail – il faut se retrousser les manches pour faire de la France un pays prospère dans lequel chaque habitant puisse vivre heureux.

Avant d’envisager la nationalisation d’ArcelorMittal et, donc, d’investir massivement, malgré le risque que fait courir le recours systématique à la puissance publique, devenue une sorte de « panier sans fond » pour sauver les entreprises déficitaires, il nous faut bien réfléchir. (Mme Catherine Belrhiti approuve.) On s’expose, sinon, à un certain nombre de désillusions : je pense à la hausse des déficits et, donc, à la possible incapacité de l’État à mener, demain, des politiques publiques, un rôle auquel nous tenons bien évidemment tous. Soyons prudents à ce sujet !

Monsieur le ministre, les membres du groupe Union Centriste sont particulièrement sensibles à la question de la réindustrialisation de la France. Nous espérons, puisque vous avez été nommé il y a quelques jours, que vous pourrez mener une action déterminée en la matière. Nous en avons bien besoin ! La tâche ne sera pas facile, il faut bien le reconnaître.

Les entreprises doivent pouvoir gagner en compétitivité et, donc, être davantage performantes au niveau international. Cela implique, selon nous, de baisser les charges. Nous espérons donc que des propositions en ce sens seront formulées lors de l’examen du projet de loi de finances.

Quoi qu’il en soit, la majorité des membres du groupe Union Centriste ne soutiendront pas la nationalisation d’ArcelorMittal.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de nos collègues communistes visant à nationaliser les actifs français de l’entreprise ArcelorMittal.

Le texte prévoit tout simplement que l’État rachète les actifs français d’une entreprise sidérurgique mondiale. Une fois l’État devenu propriétaire, il deviendrait aussi sidérurgiste au travers d’une société publique que nos collègues proposent de baptiser « Société Nationale de l’Acier ».

Bien que l’idée paraisse surprenante, elle n’est pas nouvelle. Dans les années 1980, en France, les communistes ont poussé leurs alliés socialistes à cette même politique de nationalisation. À l’époque, l’industrie sidérurgique était en situation de surcapacité de production au niveau mondial, ce qui a provoqué une chute du cours de l’acier et l’arrêt de nombreux hauts fourneaux.

Après que le secteur a été sous perfusion publique durant plusieurs années, François Mitterrand a décidé de le nationaliser en 1982. Treize années plus tard, lorsque l’entreprise Usinor-Sacilor est reprivatisée, l’État sidérurgiste n’a pas pu empêcher les transformations que la filière a connues à l’échelon mondial.

En quelques années, dans ce secteur, le nombre de salariés est passé de 95 000 à 38 000 en France, et la productivité a tout simplement doublé. La « casse sociale » que les socialistes voulaient éviter a malgré tout eu lieu. Sans compter que cette politique nous a coûté extrêmement cher : en vingt ans, 100 milliards de francs de subventions publiques ont été engloutis, dont 80 milliards de francs pour un accompagnement social en complet décalage avec les besoins de l’économie de l’époque. Des départs anticipés à 55 ans, voire à 50 ans, ont été rendus possibles ; l’État a payé des congés de formation de deux ans : il a ainsi diminué le temps de travail d’ouvriers qui étaient pourtant en âge de produire.

Voici ce qui nous attend, mes chers collègues, si nous essayons de reconduire une telle politique publique. D’abord, la nationalisation va nous coûter une somme exorbitante dont nous ne disposons pas. L’Institut La Boétie, le think tank des Insoumis, estime que cette nationalisation ne nous coûterait que 4 milliards à 6 milliards d’euros : une bagatelle à l’époque où nous sommes ! Ensuite, il nous faudra investir massivement pour rénover l’appareil de production sidérurgique, pour faire en sorte qu’il pollue moins à l’avenir, en passant du charbon à l’électricité. Enfin, il nous faudra de toute façon payer la facture sociale que la rénovation de l’appareil productif engendrera. Si mes calculs sont bons, nous aurons en quelque sorte payé trois fois au lieu d’une…

L’examen de cette proposition de loi intervient dans un contexte tout à fait similaire à celui des années 1970 et 1980. La Chine produit des quantités pharaoniques d’acier très pollué, ce qui entraîne une surproduction mondiale.

Les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences : le cours de l’acier plonge – il a presque été divisé par deux depuis octobre 2021 – et de nombreux hauts fourneaux sont éteints.

Nous sommes, finalement, dans une situation identique. Il nous faut, de plus, prendre en compte les impératifs climatiques, puisque la sidérurgie est l’industrie la plus polluante de France, bien que nous produisions un acier bien plus « vert » que celui de nos amis chinois.

Notre pays ne dispose ni d’importants gisements, ni d’une énergie à bas coût, et encore moins d’une main d’œuvre quasiment gratuite. Ces atouts, l’URSS en bénéficiait, mais elle a tout de même échoué. Le résultat du dirigisme économique soviétique, nous le connaissons : l’industrie sidérurgique a englouti des milliards de roubles au détriment des autres secteurs, comme l’alimentation. Cette industrie a pollué plus et produit moins que ses concurrentes, pour une qualité inférieure.

L’alternative que nous devons résoudre est simple : soit nous utilisons des milliards fictifs pour nous approprier par la force une entreprise qui n’est pas à vendre, soit nous utilisons cet argent à bon escient, au service de notre souveraineté industrielle.

L’industrie sidérurgique française a, comme le reste de l’industrie, besoin de protection contre les distorsions de concurrence, notamment celles dont bénéficient les aciers chinois. Il lui faut retrouver de la compétitivité grâce à une fiscalité équivalente à celle dont bénéficient ses concurrents mondiaux et nous devons l’accompagner dans le verdissement de sa production par des investissements publics très ciblés.

Tels sont les véritables enjeux qui s’imposent à nous et auxquels nous devons apporter une réponse.

Cette réponse est attendue par les salariés d’ArcelorMittal comme par ceux de l’entreprise Novasco dans le Nord, la Loire et la Moselle, dont la situation particulièrement préoccupante m’a été rapportée par ma collègue Marie-Claude Lermytte.

Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires s’opposeront à l’adoption de cette proposition de loi qui obéit, selon eux, à une logique d’un autre temps.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (M. Laurent Burgoa applaudit.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enjeu que représente ArcelorMittal est éminemment stratégique pour notre industrie ; notre collègue Arnaud Bazin, dont je salue la qualité du rapport, l’a rappelé.

L’industrie, et en particulier l’industrie lourde, connaît depuis plusieurs décennies des turbulences et des fermetures qui affectent durement nos territoires. C’est en connaissance de cause que je vous en parle, car je suis élue en Moselle, dans un bassin minier et sidérurgique autrefois prospère où les nombreuses fermetures de sites ont occasionné de graves souffrances pour les populations locales.

Je souhaite, du fait de mon ancrage territorial au cœur du bassin sidérurgique lorrain, vous parler en particulier du site ArcelorMittal Florange.

L’usine sidérurgique de Hayange-Florange est un immense complexe sidérurgique situé dans la vallée de la Fensch et pourvoyeur de près de 4 000 emplois.

Vous vous souvenez certainement de la visibilité médiatique dont ont bénéficié les hauts fourneaux de Florange lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Lorsque le ministre Arnaud Montebourg avait mis sur la table le sujet de la nationalisation, le front syndical n’était pas uni à cet égard ; je me souviens notamment de la prise de position de la CFE-CGC du site, qui y était opposée. En mai dernier, le coordinateur de ce syndicat au sein d’ArcelorMittal a maintenu cette position, arguant que cette entreprise était par trop intégrée au marché européen et mondial.

La nationalisation ratée, en 1981, d’Usinor, l’ancêtre d’ArcelorMittal, a marqué les esprits.

Concernant cette proposition de loi, il faut regarder la réalité en face. Nous sommes confrontés à un déséquilibre du marché de l’acier en Europe, avec une baisse de la demande européenne couplée à une concurrence féroce des aciers importés. On observe, par ailleurs, une spécialisation dans les aciers automobiles haut de gamme, alors que le marché de l’automobile est fluctuant, ainsi qu’une concurrence de l’offre mondiale – l’acier chinois à bas coût, par exemple, bénéficie de la situation –, et un manque d’investissement dans l’outil industriel.

Passer d’un actionnariat privé à un actionnariat public n’aura aucun impact sur les grands équilibres commerciaux du monde. Comment espérer, en cette période économique et financière perturbée pour la France, que l’État puisse investir massivement ?

Les auteurs de cette proposition de nationalisation voudraient apporter « la » solution. Cependant, n’oublions pas qu’ArcelorMittal est une multinationale qui répond à des enjeux de profitabilité et de rentabilité sur un marché concurrentiel.

Quelques jours après l’annonce par la Commission européenne de son plan acier, ArcelorMittal annonçait la suppression de centaines d’emplois en France. Le 17 septembre dernier, le groupe se retirait d’un projet de construction d’une usine de production de chaux vive à Dunkerque, replongeant le site dans l’incertitude. Enfin, nous avons appris avant-hier que les syndicats étaient appelés à se prononcer, le 7 novembre prochain, sur un plan social visant à supprimer 636 postes.

D’un côté, l’entreprise doit faire face à des enjeux financiers ; de l’autre, il convient que les pouvoirs publics répondent aux enjeux humains et sociaux occasionnés par cette situation. (Mme Cécile Cukierman sexclame.)

Un État stratège, avec une vision pluriannuelle et organisée à l’échelle nationale, pourrait apporter une réponse. C’est par une vision globale et de long terme que nous maintiendrons la pérennité des sites. Bien que la décarbonation soit un horizon souhaitable, tâchons, par exemple, de ne pas « surnormer ». Le groupe du Parti populaire européen (PPE), au Parlement européen, dénonce à juste titre depuis des années un poids normatif excessif pesant sur l’industrie européenne, ce qui la fragilise dans le cadre d’un marché global.

C’est aussi à l’échelle européenne que nous pouvons trouver des solutions.

La Commission européenne a proposé, au début du mois d’octobre, un mécanisme de réduction des quotas d’importation en franchise de douane, ainsi que le rehaussement à 50 % des droits hors quotas. C’est un bon début, même si cela aurait dû être fait plus tôt.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d’une proposition de loi ambitieuse sur le papier, mais périlleuse dans les faits : elle vise la nationalisation des actifs d’ArcelorMittal en France.

Ses auteurs veulent, disent-ils, garantir la souveraineté industrielle, sauver des emplois et accélérer la transition écologique. Qui pourrait être contre ces objectifs ? Mais encore faut-il choisir les bons outils. Or cette proposition de loi, malgré les intentions affichées, emprunte une voie qui n’est ni réaliste, ni efficace, ni responsable. Soyons lucides : elle est juridiquement fragile, économiquement intenable et politiquement contre-productive.

D’abord, sur le plan juridique : nationaliser n’est pas interdit par la Constitution, à condition que cela réponde à une nécessité publique impérieuse. Mais ici, quelle est l’urgence ?

ArcelorMittal est une entreprise solide qui emploie 15 000 personnes en France, autant qu’il y a cinq ans. Elle investit, parfois trop lentement sans doute, mais elle le fait. Sa situation n’est pas celle d’EDF en 2023, confrontée à une crise énergétique majeure. La « nécessité publique impérieuse » n’est donc pas démontrée. Et si l’on y ajoute une indemnisation incertaine, puisque l’on veut en déduire les aides publiques reçues, le risque de censure constitutionnelle est avéré.

Sur le plan économique, c’est encore plus clair : nationaliser les seuls sites français d’un groupe mondial reviendrait à créer un monstre économique non viable. ArcelorMittal fonctionne à l’échelle internationale : le minerai vient du Brésil et du Canada, la transformation se fait en France et au Luxembourg, la vente en Allemagne, en Italie ou ailleurs. Isoler la partie française reviendrait à couper le moteur du reste du véhicule.

En conséquence, cette nationalisation aurait pour effet d’affaiblir la rentabilité de cette entreprise, et l’État se retrouverait seul à financer des pertes structurelles et à porter le coût colossal de la décarbonation, soit entre 5 milliards et 8 milliards d’euros. Et pour quel résultat ? Un acier « vert » aujourd’hui invendable, faute de clients prêts à en payer le prix.

Ensuite, politiquement, cette proposition de loi envoie un très mauvais signal : quel investisseur étranger voudra encore s’implanter en France si, demain, on peut décider de nationaliser unilatéralement ses sites ? Cette logique de défiance relève non pas du patriotisme économique, mais du repli industriel, et elle ruinerait tous les efforts que nous faisons depuis des années pour rendre la France attractive et compétitive.

Mme Cécile Cukierman. On voit ça…

M. Stéphane Fouassin. Je veux aussi rappeler quelques points d’histoire.

Le Royaume-Uni a nationalisé sa sidérurgie dans les années 1960. Résultat : des milliards engloutis, une productivité en berne, des fermetures d’usines et des dizaines de milliers d’emplois perdus.

Chez nous, la nationalisation d’Usinor-Sacilor dans les années 1980 a certes permis d’éviter la faillite, mais elle a coûté très cher et s’est terminée par une privatisation en 1995, avant la création d’Arcelor.

Alors oui, ArcelorMittal doit faire plus pour ses salariés, pour ses sites, pour la décarbonation. Oui, les aides publiques pourraient être conditionnées à des engagements fermes. Mais la réponse au problème posé réside non pas dans l’étatisation pure et simple, mais dans le dialogue, la transparence, la régulation et l’investissement conjoint dans l’industrie de demain.

En somme, cette proposition de loi n’est pas une bonne solution : elle flatte l’émotion, mais ignore la réalité économique. Si elle était adoptée, elle fragiliserait notre crédibilité industrielle et notre sécurité juridique, tout en coûtant des milliards aux contribuables. C’est pourquoi le groupe RDPI votera contre ce texte.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous n’en doutions pas !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Mme Audrey Linkenheld applaudit.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE-K d’avoir pris l’initiative de ce débat consacré à l’avenir de la filière sidérurgique française et, plus largement, à la question de notre souveraineté industrielle.

Parler d’acier, c’est parler de ce que nous sommes : une Europe forgée dans le feu des hauts fourneaux, une France bâtie sur le travail industriel et la fierté ouvrière. Rappelons-le, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, fondée en 1951, fut le socle du projet européen. Elle liait la production d’acier et de charbon non seulement pour reconstruire nos économies, mais aussi pour garantir la paix.

Soixante-dix ans plus tard, la sidérurgie européenne traverse une crise importante. Entre 2014 et 2023, la production d’acier sur notre continent a chuté de 20 %, entraînant la perte de 8 % des emplois directs du secteur. L’Europe ne représente plus que 6,8 % de la production mondiale, contre plus de 9 % il y a dix ans, tandis que l’Asie concentre désormais près de 74 % des volumes produits.

Cette érosion tient à trois causes majeures : le ralentissement de la construction et de l’automobile, qui absorbent plus de la moitié de la demande d’acier européenne ; le coût de l’énergie, quatre fois plus élevé qu’aux États-Unis pour le gaz et deux fois plus qu’en Chine pour l’électricité ; et enfin la surcapacité mondiale, entretenue par la Chine qui produit plus de la moitié de l’acier mondial et pratique un dumping via des pays tiers.

C’est dans ce contexte qu’ArcelorMittal a annoncé la suppression de plus de 600 emplois en France, menaçant l’avenir de ses quarante sites. Et ce, après avoir réalisé 718 millions d’euros de bénéfices au cours du seul premier trimestre 2025, perçu 298 millions d’euros d’aides publiques, qui s’ajoutent aux 850 millions d’euros déjà versés par la France, et distribué 9 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires depuis 2020.

Comment accepter qu’un groupe ayant bénéficié de la solidarité nationale se comporte comme un investisseur opportuniste, sans égard pour l’emploi, les territoires ou les engagements pris ? Je pense aujourd’hui aux salariés de Dunkerque, Florange, Basse-Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire, aux familles, aux sous-traitants, à ces territoires entiers suspendus à des décisions prises à des milliers de kilomètres d’ici.

De nombreuses propositions sont aujourd’hui sur la table : nationalisation des sites stratégiques, mise sous gestion publique temporaire, prise de participation de l’État, ou encore conditionnement strict des aides publiques. Ces pistes, proposées par différentes forces politiques et par les organisations syndicales, méritent toutes d’être examinées sans tabou.

Mes chers collègues, nous considérons sur ces travées que le grand péché de notre époque est d’avoir cru que le marché pouvait tout structurer, en tout temps, en tout lieu et en toute matière. Nous ne sommes pas hostiles à l’économie de marché, mais nous affirmons que l’État doit faire respecter la parole donnée, garantir la continuité industrielle, redevenir un stratège, et non pas demeurer un spectateur.

Après la nationalisation des Chantiers de l’Atlantique et la reprise en main d’EDF, cette proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national nous invite à tirer les leçons de plusieurs décennies d’aveuglement industriel et de désarmement public. Elle nous offre, en réalité, l’occasion de rouvrir un débat de fond : celui du rôle de l’État dans la planification et la défense de nos intérêts stratégiques, parmi lesquels figure l’acier.

Face à des multinationales qui s’affranchissent de toute responsabilité territoriale, il faut des règles, des contreparties, des conditions. Les aides publiques doivent être conditionnées à des engagements clairs et opposables en matière d’investissement, d’emploi et de décarbonation.

Au-delà du cas d’ArcelorMittal, c’est la cohérence même de notre politique industrielle qu’il faut interroger. Depuis vingt ans, la France navigue d’un plan à l’autre – France Relance, France 2030 –, sans jamais définir de stratégie claire sur ce qu’elle veut produire, où, et comment.

Bien entendu, la réponse doit aussi être européenne. Après des années de naïveté, l’Union semble enfin décidée à défendre son industrie sidérurgique face à la concurrence déloyale. La clause de sauvegarde sur les importations va dans le bon sens, mais elle ne saurait suffire. L’Europe doit désormais s’armer d’une stratégie industrielle claire et ambitieuse.

Cela implique d’imposer une réciprocité normative : tout produit entrant sur le marché européen doit respecter les mêmes règles sociales, environnementales et sanitaires que celles qui sont imposées à nos entreprises. Cela implique aussi de réserver une part de la production locale dans les marchés publics européens, à l’image de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain.

La désindustrialisation n’a pas seulement fragilisé notre économie. Elle a transformé nos territoires, fracturé nos sociétés, nourri le sentiment d’abandon et la défiance politique. Dans ces bassins où l’usine faisait lien social, la fermeture d’un site, c’est souvent la fermeture d’un avenir. C’est pourquoi la réindustrialisation n’est pas un objectif économique : c’est un impératif social et territorial.

Mes chers collègues, nous le savons tous ici, la discussion que nous entamons aujourd’hui ne tranchera pas le débat qui peut nous opposer, à gauche ou à droite de cet hémicycle. Pour autant, je considère que cette proposition de loi peut nous permettre de retrouver l’esprit qui, un temps, nous a rassemblés autour de choix stratégiques pour la souveraineté et l’indépendance de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sidérurgie mondiale est en crise : la production d’acier dépasse largement la demande, la croissance chinoise s’essouffle, mais Pékin continue de subventionner massivement ses aciéries et, aux États-Unis, les politiques protectionnistes de Trump ont fermé des débouchés entiers.

Pendant que d’autres planifient, protègent, la France semble avoir choisi la passivité. ArcelorMittal, géant privé aux profits colossaux, joue avec notre outil industriel comme on déplace des pions sur un échiquier.

Cette situation n’est pas nouvelle. Depuis des années, ArcelorMittal ferme, réduit, délocalise. Présidents et ministres se succèdent sur des sites menacés, oubliant que derrière les mots « restructuration », « plan social », « rationalisation », il y a des visages : ceux de Dunkerque, Florange, Gandrange, Hayange, Reims, Denain… La liste est loin d’être exhaustive. Des femmes et des hommes qui, depuis des décennies, forgent le métal de notre pays et que Mittal s’apprête, une fois encore, à reléguer dans le silence des friches au travers de 636 suppressions de postes en France, dont 400 dans la production.

Je rappelle qu’ArcelorMittal dispose de 17,6 milliards d’euros de fonds propres, qu’entre 2021 et 2024 ce groupe a dégagé 32,6 milliards de dollars de bénéfices et redistribué 13,2 milliards de dollars aux actionnaires. En France, en 2023, il a perçu 392 millions d’euros d’aides publiques, tout en continuant à exercer un véritable chantage à l’emploi.

Cette situation n’est pas une anomalie : c’est le produit d’un modèle dans lequel les aides publiques servent à enrichir les actionnaires sans aucune contrepartie sociale, industrielle ou environnementale. Le rapport du Sénat sur les aides publiques aux entreprises l’a démontré : 211 milliards d’euros sont distribués chaque année aux entreprises sans contrôle ni conditions.

Alors, que l’on ne vienne pas nous dire que « l’argent n’existe pas » ! Il existe, il circule, mais il nourrit la rente plutôt que la production, en laissant des déserts économiques et sociaux. Et ainsi, l’État finance la casse de notre outil productif et accepte que des secteurs aussi stratégiques que la sidérurgie soient soumis aux seuls impératifs financiers d’un groupe privé. Ce secteur est stratégique, comme en a conclu un rapport du Sénat en 2019, car l’acier est la fondation de notre économie – pensons à l’automobile, au nucléaire, à l’aéronautique !

Pis, lorsque les hauts fourneaux ferment, ce ne sont pas seulement notre souveraineté et la continuité des chaînes de valeur qui se brisent ; ce sont des vies, des familles, des identités territoriales. Qui sait quelle est la vie des jeunes de la vallée de la Fensch, maintenant que les hauts fourneaux y sont éteints ? Qui agit contre le déracinement ou le kilométrage à rallonge pour accéder à l’emploi, après avoir versé une larme en lisant les romans de Nicolas Mathieu ?

C’est pourquoi la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national s’impose comme une réponse de bon sens aux défis industriels, sociaux et environnementaux que nous devons affronter collectivement.

La sidérurgie française est à un carrefour historique : soit elle disparaît progressivement, victime de la financiarisation et de la concurrence déloyale, avec des conséquences dramatiques pour nos emplois, l’environnement et notre souveraineté ; soit elle renaît, portée par une vision publique qui lie écologie, indépendance nationale et justice sociale.

En ce sens, la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal serait non pas un retour en arrière, mais une réponse moderne aux défis du XXIe siècle : décarboner sans désindustrialiser, produire sans précariser, innover sans dépendre. C’est une décision nécessaire pour que la France demeure une nation industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Thomas Dossus applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur un texte d’une importance capitale pour notre industrie, pour notre territoire et pour des milliers de familles : la nationalisation d’ArcelorMittal.

À Denain, dans le Valenciennois, dans tout le bassin sidérurgique du Nord, l’histoire de l’acier est celle de nos vies, de nos luttes et de notre dignité. Nous savons ce que représente cette filière, ce que sa désindustrialisation a coûté à nos concitoyens : des usines fermées, des savoir-faire perdus, des villes entières frappées par le chômage et la précarité.

Depuis des années, aucun investissement sérieux n’a été consenti, alors même que nous parlons d’une entreprise essentielle à notre souveraineté industrielle, confrontée à des concurrents étrangers qui, eux, ne sont soumis à aucune contrainte environnementale ou sociale.

Alors oui, nationaliser peut apparaître, à première vue, comme un acte fort, un acte de souveraineté, un geste de reconquête industrielle. Mais un tel acte n’a de sens que si l’État s’y engage avec lucidité, avec stratégie, et surtout avec la volonté de rendre des comptes à la Nation. Or, dans sa rédaction actuelle, ce texte ne garantit rien de cela.

Il s’agit ici d’une nationalisation sans cap, sans direction claire, sans garantie pour nos ouvriers ni pour nos territoires. Une nationalisation qui pourrait, demain, n’être qu’un rachat à perte, une nouvelle aventure technocratique où l’État deviendrait actionnaire passif d’un géant sans boussole.

M. Ian Brossat. Donc on ne fait rien…

M. Joshua Hochart. C’est pourquoi le Rassemblement national ne peut soutenir ce texte.

Nous ne rejetons pas l’idée que l’État puisse reprendre la main sur des actifs stratégiques. Bien au contraire, nous avons toujours défendu une politique industrielle ambitieuse, prévoyant que la puissance publique joue pleinement son rôle protecteur. Mais cette reprise doit être guidée par une logique de souveraineté et d’efficacité, non par une logique idéologique ou opportuniste, comme nous avons souvent pu l’observer dans le passé.

M. Ian Brossat. Le porte-parole du Medef !

M. Joshua Hochart. Le Nord n’a que trop souffert des promesses non tenues. Nos territoires ne veulent plus de symboles, ils veulent des actes concrets. Notre industrie a besoin d’un État fort, pas d’un État figurant. Car, pour nous, la défense de l’acier français est non pas une posture, mais un devoir ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il y a une différence entre vos propos et vos tracts !

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’arcelormittal situés sur le territoire national

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
Article 2

Article 1er

Afin de garantir la souveraineté industrielle dans le secteur sidérurgique, reconnu comme essentiel à la défense, aux infrastructures critiques et à la transition énergétique, ainsi que la protection des emplois et des compétences, les sites industriels d’ArcelorMittal situés en France, identifiés comme stratégiques pour l’industrie sidérurgique et la transition énergétique, sont nationalisés.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, sur l’article.

Mme Mireille Jouve. Le groupe du RDSE souscrit pleinement à la nécessité d’apporter une réponse rapide et concrète aux salariés d’ArcelorMittal, aujourd’hui confrontés à un plan social. Cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRCE-K a le mérite d’alerter et de proposer une solution à l’échelle de la loi. Cependant, notre groupe estime que la nationalisation envisagée, bien qu’inspirée par une intention louable, serait particulièrement coûteuse pour les finances publiques, sans garantir la pérennité de l’entreprise à long terme.

Le véritable enjeu réside dans une concurrence internationale structurellement déséquilibrée, face à laquelle seule une réponse européenne serait efficace. Mais dans l’immédiat, deux urgences doivent être traitées et relèvent du pouvoir réglementaire : le maintien de l’emploi et la décarbonation de la production.

Nous estimons qu’une prise de participation de l’État via l’Agence des participations de l’État (APE) ou Bpifrance constitue une piste efficace. Cette solution, plus modérée en termes de coûts, permet à l’État d’intervenir sur les décisions stratégiques, d’une part, pour s’opposer à des suppressions d’emploi et, d’autre part, pour accompagner la transition énergétique des sites.

Dans une logique européenne, la France pourrait également impulser un rapprochement des activités Europe d’ArcelorMittal par une entrée concertée au capital avec d’autres États membres.

Le groupe du RDSE invite donc le Gouvernement à prendre toute sa part de responsabilité dans ce dossier, non pas au travers d’un geste symbolique, mais par une stratégie d’intervention économique claire, ciblée et cohérente au service de sa politique industrielle.

Enfin, je souhaite rappeler que les entreprises sidérurgiques européennes les plus performantes sont souvent celles dans lesquelles l’État ou les salariés participent activement aux décisions stratégiques. L’exemple de l’entreprise suédoise SSAB en est une illustration,…

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Mireille Jouve. … soit un modèle de gouvernance équilibré alliant compétitivité, transition écologique et responsabilité sociale. Je nous invite à méditer cet exemple.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, sur l’article.

Mme Audrey Linkenheld. Je souhaite, moi aussi, intervenir sur cet article 1er qui concerne très précisément la nationalisation des actifs d’ArcelorMittal. Et je veux remercier, à mon tour, le groupe communiste, sa présidente ainsi que l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui sont présents pour l’examen de ce texte, en particulier celles et ceux dont le département accueille des sites directement touchés par l’annonce des suppressions de postes chez ArcelorMittal.

Comme j’avais eu l’occasion de le dire lorsque cette annonce est tombée, je pense plus particulièrement au site de Dunkerque, où plusieurs centaines de postes doivent être supprimés, à celui de Mardyck, à d’autres sites du Nord, et plus largement des Hauts-de-France.

Merci au groupe communiste d’avoir braqué de nouveau le projecteur sur ce sujet douloureux, à quelques jours à peine de l’ouverture d’un délai dans lequel les salariés et leurs organisations syndicales devront répondre à l’annonce de ce plan social.

Cette proposition de loi, et tout particulièrement son article 1er, a l’immense mérite de proposer des solutions à l’échelle nationale, ce qui relève de la mission du Parlement français.

Plusieurs solutions sont possibles. La nationalisation en est une et il est important que nous puissions en débattre, notamment pour relayer la parole des salariés.

Cela a été dit, nous faisons face à une concurrence importante, principalement asiatique et très souvent déloyale. Au-delà des questions nationales, il nous faudra aussi revenir sur la question européenne.

Des solutions ont été esquissées : des solutions commerciales – par exemple, des quotas d’importation – et des solutions de régulation au travers des marchés publics.

Je considère, pour ma part, que la question du capital pourrait également être posée à l’échelle européenne. En effet, l’emploi est un sujet non pas seulement français, mais aussi européen : des emplois seront détruits dans d’autres États membres. Peut-être faudrait-il, à l’avenir, réfléchir à une européanisation ?

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas de chance, monsieur le ministre, le journal économique auquel vous avez accordé une interview et dans lequel la présente proposition de loi fait l’actualité indique que le nouveau baromètre des ouvertures et des fermetures des sites industriels en France, lequel est réalisé par les services de Bercy – donc ni par LHumanité ni par le parti communiste ! – « confirme les ratés de la politique de réindustrialisation ». Je cite toujours : « Au premier semestre, le pays a vu presque deux fois plus de fermetures d’usines – 82 – que d’ouvertures – 44. »

Vous dites dans cette interview que vous allez mobiliser les préfets. En effet, tout le monde a bien compris ici qu’il s’agissait seulement, en l’occurrence, d’un problème de lourdeur administrative (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)… Ce n’est pas très sérieux, monsieur le ministre !

Je vous ai également entendu relater en partie ce qui s’est déroulé au sein de la Commission européenne. Dont acte. Il n’y a rien à dire, pas de commentaires à faire…

Vous avez simplement oublié de préciser avant – mais sans doute n’aviez-vous pas le temps ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) – que cette situation était liée à celle du marché européen de l’acier : 18 000 emplois directs supprimés dans la sidérurgie en 2024 au sein de l’Union européenne, et 150 000 autres emplois menacés d’ici à 2030 !

Bien évidemment, il faut tenir compte de la concurrence chinoise et des droits de douane américains. Vous dites que la politique des droits de douane a fait augmenter de 20 % les cours de l’acier à l’échelle mondiale. Dont acte.

Vous ajoutez que la Commission propose de diminuer de moitié les quotas d’acier étranger pouvant être importé sans surtaxe, et de doubler, de 25 % à 50 %, les droits de douane sur l’acier.

Je souhaite donc vous poser la question suivante, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, et vous, chers collègues de droite qui avez tous exposé votre désaccord sur notre proposition de loi sans formuler aucune proposition alternative,…

M. Ian Brossat. Exactement !

M. Pascal Savoldelli. … concernant ces mesures de la Commission européenne, que va dire la France ? Je vous demande une réponse !

Je vous le dis, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans relance de la production en France, et même si des mesures d’harmonisation sont prises face à une situation de concurrence exacerbée, ces mesures n’auront aucun effet ! Cela signifie que nous avons un problème de souveraineté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Je remercie nos collègues du groupe CRCE-K d’avoir mis à l’ordre du jour un texte aussi important. Lors de la discussion générale, la présidente Cécile Cukierman a rappelé que 15 000 emplois étaient concernés en France, dans des sites importants, à Dunkerque, à Fos-sur-Mer, mais aussi à Saint-Chély-d’Apcher en Lozère, et à Mouzon, dans les Ardennes, où 150 emplois sont directement menacés.

Mme Silvana Silvani. Exactement !

M. Marc Laménie. Le sujet est d’importance pour l’aménagement du territoire : le transport de fret ferroviaire décline, malheureusement, mais il joue un rôle important pour la sidérurgie et la fonderie. Sur leurs territoires respectifs, les sites de Saint-Chély-d’Apcher et de Mouzon constituent, en quelque sorte, le dernier client.

Monsieur le ministre, vous êtes saisi de nombreux dossiers relatifs aux Ardennes. Dans ce département, la fonderie de cuivre Tréfimétaux ne compte plus que 35 salariés, alors qu’on en comptait plus de 1 000 dans les années 1980.

De même, Usinor comptait plus de 2 000 emplois sur deux sites dans les Ardennes, dans les vallées de la Meuse et de la Chiers. Historiquement, en ce qui concerne la fonderie et l’estompage, les pertes d’emplois sont bien visibles. Les explications en ont été données, notamment la surcapacité mondiale.

En ce qui concerne plus spécifiquement ArcelorMittal, nous nous battons aussi. Aux côtés de Fabien Gay et d’Olivier Rietmann, j’ai participé à l’audition des grands patrons de l’entreprise lors de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants.

L’enjeu de cette proposition de loi est fondamental, et, en ce qui me concerne, je resterai fidèle à mes engagements et je ne voterai pas contre ce texte : je m’abstiendrai. Ces sujets stratégiques sont très importants, car il y va aussi des emplois et des familles.

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 17 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 107
Contre 235

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er
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Article 3

Article 2

Les sites de Dunkerque, de Fos-sur-Mer, de Florange ainsi que toutes autres installations détenues par ArcelorMittal en France, jugées essentielles pour la transition énergétique et la sauvegarde de l’emploi, sont considérées comme stratégiques pour l’industrie sidérurgique nationale et qualifiées d’intérêt général.

Les actifs concernés comprennent toutes les installations industrielles nécessaires à la production d’acier ainsi que les droits de propriété intellectuelle et brevets associés aux procédés industriels et technologiques, indispensables à la modernisation des sites.

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, sur l’article.

Mme Karine Daniel. Je remercie à mon tour les collègues du groupe CRCE-K de leur initiative, qui met en lumière les problématiques relatives à ArcelorMittal et les enjeux de l’acier.

Ce matériau est présent dans les emballages alimentaires, les éoliennes, les véhicules électriques, les infrastructures ferroviaires, soit l’ensemble des équipements décisifs pour répondre au défi de la transition écologique et de l’économie de demain. Ne l’oublions pas : défendre l’acier européen est un enjeu stratégique.

L’article 2 nous permet de ne pas abandonner nos territoires. Nous considérons qu’il faut reconnaître la dignité du travail des ouvriers qui travaillent dans ces filières. On ne peut sacrifier ces lignes de production stratégiques en France.

J’ai évidemment une pensée pour le site bicentenaire des Forges de Basse-Indre, en Loire-Atlantique, où sont produits des aciers destinés à l’industrie agroalimentaire, et qui, si l’article était adopté, ferait partie des installations qualifiées d’intérêt général. Près de 100 ouvriers de cette usine sont touchés par un plan social et reçoivent des lettres de licenciement : j’ai une pensée pour eux et pour leurs familles.

Il est temps de renouer avec une ambition industrielle forte pour la France. Les ouvriers des Forges de Basse-Indre, comme ceux des autres sites, méritent que nous leur accordions notre attention et, surtout, que nous trouvions des solutions.

Je partage les propos tenus tout à l’heure : au-delà de la nationalisation et des outils de capitalisation que nous devons trouver, il nous faut aussi être force de proposition sur les enjeux européens. N’ayons aucune naïveté : aujourd’hui, ArcelorMittal utilise la concurrence interne entre ses propres sites pour affaiblir les sites européens. C’est inacceptable, et nous devons lutter face à ces stratégies industrielles de manière globale.

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 18 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 107
Contre 235

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 2
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Article 4 (début)

Article 3

L’État procède à l’expropriation des actifs d’ArcelorMittal situés en France en prenant possession des sites mentionnés à l’article 2.

La valorisation des sites d’ArcelorMittal en France est effectuée par une commission indépendante, dont la composition est précisée par décret en Conseil d’État.

L’indemnité due aux actionnaires est réduite du montant des aides publiques antérieurement perçues par ArcelorMittal.

Un organisme indépendant procède à l’identification et à l’évaluation de ces aides publiques. Ce recensement comprend notamment : les subventions directes versées par l’État ou les collectivités territoriales pour la modernisation des sites, les prêts à taux garantis par l’État, les exonérations fiscales et les autres avantages fiscaux accordés au groupe, les exonérations sociales, les fonds européens et les subventions reçus pour la transition énergétique, notamment à travers les programmes Horizon 2020 ou le Fonds pour la transition énergétique.

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 19 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 107
Contre 235

Le Sénat n’a pas adopté.

Organisation des travaux

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, pourriez-vous indiquer de combien de temps nous disposons encore dans le cadre de notre espace réservé ?

M. le président. La séance sera levée au plus tard à 16 heures 03, pour être tout à fait précis.

Article 3
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Article 4 (fin)

Article 4

L’État crée une entreprise publique, la Société Nationale de l’Acier, placée sous son contrôle direct, qui est responsable de l’exploitation des sites nationalisés. Cette société a notamment pour missions :

1° La modernisation des installations pour répondre aux objectifs de décarbonation ;

2° Le maintien de l’emploi et des compétences ;

3° La pérennité des sites.

La gouvernance de la Société Nationale de l’Acier est régie par les dispositions de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

La Société Nationale de l’Acier remet chaque année au Parlement, avant le 30 juin, un rapport détaillé composé de trois volets : économique et financier, social et environnemental, et stratégique. Ce rapport présente notamment l’évolution des effectifs, les conditions de travail et la formation des salariés, la réduction des émissions de CO2, les avancées en matière de décarbonation ainsi que les investissements réalisés. Ce rapport est transmis aux commissions chargées des affaires économiques et du développement durable de l’Assemblée nationale et du Sénat.

M. le président. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l’article 4.

Si cet article n’était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l’article 5, qui deviendrait sans objet.

Il n’y aurait par ailleurs plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, puisque tous les articles qui la composent auraient été successivement rejetés par le Sénat. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.

Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je viens d’une belle région industrielle, le Nord-Pas-de-Calais, où après la fermeture des mines, nous avons eu de belles industries. Pourtant, aujourd’hui, mon département, c’est Metaleurop, 800 salariés virés du jour au lendemain ; Synthexim en 2023, idem ; Meccano en 2023, idem ; Bridgestone, il y a maintenant quatre ans, idem.

Si nous avons déposé cette proposition de loi, c’est qu’elle a du sens. En effet, lorsque nous avions à l’époque proposé la nationalisation des sites qui ont fermé – j’étais moi-même intervenue en ce sens pour Synthexim et pour Meccano –, notre demande avait été refusée.

L’État n’a jamais accepté d’entrer au capital de ces entreprises ni de les nationaliser. Notre département a perdu des milliers d’emplois. On a promis aux salariés des reconversions, mais si l’on fait le bilan, des milliers de familles ont été laissées sur le carreau ; j’y insiste : on a laissé des milliers de familles sur le carreau !

Aujourd’hui, si on laisse faire, si on ne prend pas la mesure de ce qui arrive à ArcelorMittal et si on refuse de nationaliser cette entreprise, elle finira malheureusement dans le même état que celles que je viens de citer.

Nous avons donc une responsabilité particulière. Je vous ai entendu tout à l’heure, monsieur Hochart : ce que le Rassemblement national écrit dans ses tracts, ce que vous dites aux salariés ne correspond jamais aux paroles que vous tenez dans l’hémicycle.

M. le président. Il faut conclure, chère collègue.

Mme Cathy Apourceau-Poly. En effet, si ici vous vous prononcez contre la nationalisation, votre discours sera différent de retour chez nous, dans le Nord-Pas-de-Calais.

M. Joshua Hochart. Je n’ai pas de leçon à recevoir de vous !

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, sur l’article.

M. Pierre Barros. Le dernier texte que nous examinons au sein de cette niche est particulièrement d’actualité, mais il renvoie aussi à des positions récurrentes dans l’histoire de la stratégie et de la politique industrielle menée en France depuis vingt ou trente ans.

Aujourd’hui, nous parlons d’ArcelorMittal ; pendant des années, nous avons parlé d’Alstom, qui était un fleuron industriel faisant la richesse et la fierté de la France. À la suite de l’entreprise Rateau, créée avant la guerre, elle a produit les turboalternateurs qui ont permis la production de l’énergie électrique par les centrales nucléaires et thermiques ou par les barrages hydrauliques.

Cette industrie s’est déployée avec une grande technicité, grâce à ses agents, à ses personnels, à ses techniciens et à ses ingénieurs. Toute cette histoire s’est arrêtée à la fin des années 1990 et au début des années 2000, voire il y a près de dix ans, quand un ministre devenu depuis Président de la République a bradé l’entreprise Alstom à General Electric.

Ces exemples le montrent donc bien : l’histoire récente de la politique industrielle de la France est celle d’un bradage ; c’est celle de l’abandon de l’ensemble des femmes et des hommes qui ont fait l’histoire comme l’honneur de notre pays et qui ont permis, à un moment donné, de produire de la force motrice et de la richesse.

Au fond, la politique menée depuis les années 1970-1980, qui a tout misé sur le secteur tertiaire tout en faisant de la Chine et de l’Inde le grand atelier du monde, a montré ses limites. Nous avons vu ce que cela a donné d’un point de vue environnemental ou en matière de dumping social.

Je suis d’accord avec ce qui a été évoqué par mes collègues, notamment Pascal Savoldelli : pour des questions de souveraineté, il faut que nous soyons présents sur ces champs d’activité, car nous avons besoin de produire localement pour les nombreuses raisons évoquées cet après-midi.

Malheureusement, l’histoire se répète encore une fois, avec ArcelorMittal. La situation n’est pas seulement dramatique : elle découle d’un vrai choix politique.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote sur l’article.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le rapporteur, en évoquant le coût représenté par la nationalisation d’ArcelorMittal, vous avez mentionné une somme comprise entre un et plusieurs milliards d’euros. Je le reconnais, nous ne vous avons pas demandé de chiffrer notre proposition, mais pour être tout à fait honnête, une telle fourchette ne semble pas représenter un gouffre insurmontable.

Monsieur le ministre, il m’a semblé – je ne sais si je vous ai bien compris – que vous proposiez de fournir à cette entreprise une aide supplémentaire pour soutenir la compétitivité. Mais quand se rendra-t-on enfin compte que les aides financières ne suffisent pas à soutenir la compétitivité de nos entreprises, au vu de leur état ?

Lors de la discussion générale, une de nos collègues a dit qu’il faudra investir. Oui, bien sûr, mais c’est déjà le cas. À vous entendre, on aurait presque l’impression qu’il ne se passe rien, alors que l’on investit déjà !

Plus grave, à mon sens : ce qui nous oppose à ArcelorMittal n’est pas un cas isolé. Dans d’autres situations, des investisseurs nous mènent par le bout du nez. Des aides ont été fournies par l’État, qui a rempli sa part, mais l’investisseur, lui, n’a pas rempli la sienne – je n’insisterai pas davantage sur ce sujet.

Honnêtement, je m’interroge sur le projet de réindustrialisation actuel en France, et je n’en saisis pas les contours. En tout cas, ce qui est sûr, ainsi que mon collègue Savoldelli l’a rappelé, c’est que nous n’en voyons pas les résultats pour l’instant, en tout cas depuis 2017.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Nous le constatons avec grand regret, notre proposition de loi va être rejetée. Pourtant, comme je l’ai dit précédemment, nous ne pouvons pas d’un côté prétendre vouloir réindustrialiser notre pays pour assurer sa souveraineté industrielle et, de l’autre, nous désintéresser de la question de la maîtrise de l’acier.

Je vous le rappelle, pour que l’on prenne la mesure des coûts : un emploi industriel vaut quatre emplois. C’est dire combien, demain, dans nos territoires, la fermeture des hauts fourneaux aura des conséquences catastrophiques, y compris financières, pour la vie des gens et pour les territoires à réaménager.

Mes chers collègues, je n’offenserai personne en disant que nous devons mener une véritable réflexion pour répondre à l’inquiétude de plusieurs centaines de salariés.

Un certain nombre d’entre vous ont répondu qu’il ne fallait surtout pas nationaliser, qu’il ne fallait pas que l’État se mêle de la question. Mais la réalité, aujourd’hui, c’est que le marché n’a rien fait pour ces salariés. La réalité, c’est qu’une majorité des femmes et des hommes politiques de notre pays leur disent : « C’est triste, c’est malheureux, mais on ne peut rien faire pour vous. »

Je le dis avec beaucoup de sincérité, car c’est peut-être encore plus vrai aujourd’hui : si je fais de la politique, c’est parce que, avec l’ensemble de mon groupe, je crois en notre capacité à nous mobiliser collectivement et à agir pour changer la vie des gens. Renoncer à de tels combats, c’est finalement nourrir la résignation, l’individualisme, l’immobilisme, c’est-à-dire le terreau qui fait grandir l’extrême droite dans notre pays.

En déposant cette proposition de loi, au-delà de la question de la nationalisation, nous avons voulu mesurer avec quelle force l’action publique répond aux Françaises et aux Français. (Mme Evelyne Corbière Naminzo et M. Ian Brossat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances. Mes chers collègues, j’ai tenté de démontrer que la nationalisation des sites d’ArcelorMittal en France n’est pas la solution. Pour autant, il ne s’agit pas du tout de dire que l’on ne peut ou que l’on ne doit rien faire, bien au contraire !

Un pays comme la France peut-il être un pays sans industrie ? La réponse est non. Peut-il y avoir une industrie sans acier ? La réponse est non.

M. Arnaud Bazin, rapporteur. Nous devons tout simplement prendre en considération l’écosystème général européen et international, ainsi que la situation de concurrence totalement déloyale que nous imposent, entre autres, la Chine, mais aussi, demain, l’Inde. Il faut le savoir, les surcapacités de production ne diminueront pas, elles continueront d’augmenter.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et on fait quoi alors ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur. La solution est donc de garantir un prix de l’acier en Europe qui permette de produire sur notre continent. Pour cela, il faut des mesures de protection. Doubler les droits de douane envoie un premier bon signe. Il faut maintenant que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières soit très rapidement mis en œuvre.

Moyennant ces mesures, nous pourrons attendre d’ArcelorMittal que cette entreprise honore ses engagements – qu’elle a pour l’instant suspendus – en matière de décarbonation.

Mme Silvana Silvani. Pourquoi attendre ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur. Les investissements, colossaux, devraient être soutenus par le budget de l’État si l’entreprise était nationalisée, tandis qu’ils seront, en l’état actuel des choses, essentiellement apportés par des fonds privés.

Mme Cécile Cukierman. Il s’agit d’un milliard d’euros !

M. Arnaud Bazin, rapporteur. Aujourd’hui, nous savons donc ce qu’il faut faire. On peut regretter très fortement que l’Europe ait tardé à réagir, et il est plus que temps de le faire. Nous sommes en train d’obtenir gain de cause, mais nous devrons continuer d’être vigilants.

Mes chers collègues, vous avez déposé cette proposition de loi afin de susciter un débat. Très sincèrement, ce débat a été de qualité. Le dossier, évidemment, restera sous notre vigilance la plus complète.

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, sur l’article.

M. Joshua Hochart. Quelques éléments de réponse à nos collègues communistes, qui ont cru bon de m’accuser de tenir un double discours.

Bien évidemment, une telle accusation est fausse. Vous dénoncez aujourd’hui les effets des textes que vous avez vous-mêmes soutenus…

M. Ian Brossat et Mme Cathy Apourceau-Poly. N’importe quoi !

M. Joshua Hochart. En 2014, il me semble que vous avez soutenu le gouvernement de M. Hollande lorsqu’il décida de la fermeture des hauts fourneaux de Florange.

M. Joshua Hochart. Vos amis socialistes sont par ailleurs très peu nombreux dans l’hémicycle.

M. Ian Brossat. Vous n’êtes pas bien nombreux non plus !

M. Joshua Hochart. Le marché européen de l’acier, vous le soutenez, puisque vous soutenez l’Union européenne.

Arrêtez donc de dénoncer les effets des textes que vous avez soutenus et de l’Union européenne que vous soutenez en permanence !

Mme Cécile Cukierman. C’est mieux quand il ne parle pas !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Avant le vote dont la présidente Cukierman a annoncé l’issue, je voulais insister sur la qualité de nos échanges de cet après-midi.

Sur toutes les travées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez défendu l’idée, partagée dans notre nation, qu’il est nécessaire de soutenir l’industrie française et l’industrie européenne.

Je ne suis pas là pour dire – monsieur le sénateur Savoldelli, ne faisons pas dire aux Échos ce qu’ils ne disent pas – que la situation n’est pas difficile. Elle est extrêmement difficile, extrêmement complexe.

M. Pascal Savoldelli. C’est votre bilan !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Aujourd’hui, nous voyons bien toutes et tous que, en Europe, ce n’est pas seulement le modèle économique qui est attaqué. Plus globalement, c’est le modèle européen lui-même qui est attaqué, avec des leviers non seulement économiques, mais aussi politiques et numériques.

Face à cela, la réponse doit-elle être la nationalisation ? Pour ma part, je crois que la première des réponses est une mobilisation très forte. (Mme Cathy Apourceau-Poly fait la moue.)

Elle doit associer la puissance publique nationale qu’est l’État, le monde économique, et – je suis devant la chambre des territoires, et c’est ma conviction profonde, car j’ai été pendant des années président d’une association nationale d’élus – bien évidemment les territoires eux-mêmes, qu’il s’agisse des régions, des intercommunalités, des communes. Bref, elle doit réunir toutes celles et tous ceux qui croient véritablement en l’industrie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous croyez tous à la nécessité de l’industrie. Le sujet n’est pas seulement économique : c’est aussi un sujet de cohésion nationale ; c’est aussi un sujet de parcours professionnels, parfois bien plus intéressants dans l’industrie que dans le secteur des services. Il s’agit aussi de savoir quel projet proposer à un territoire qui ne créerait plus de valeur, car l’industrie n’y serait plus présente.

Pour moi, la vraie réponse à toutes ces questions – plusieurs d’entre vous l’ont indiqué – est avant tout la sortie de la naïveté face à l’agression à laquelle nous sommes confrontés. Il n’y a pas d’autre terme : quand les produits envoyés en Europe sont subventionnés massivement, dans le seul objectif de créer un prix tellement imbattable que rien ne sert de lutter, cela s’appelle une agression. Et nous nous défendons.

Nous devons désormais aller plus fort et plus loin au niveau européen. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, des droits de douane vont s’appliquer à partir de janvier 2026. En tout cas, la France fait tout pour que très peu d’amendements soient apportés au texte de la Commission, afin que celui-ci s’applique le plus rapidement possible. C’est là que se trouve la vraie réponse aux problématiques d’invasion de la sidérurgie asiatique en Europe.

Nous croyons en la nécessité de décarboner, mais encore faut-il que des mécanismes de protection aux frontières soient actifs pour s’assurer que les productions qui ne sont pas décarbonées soient pénalisées et paient, elles aussi, les coûts du carbone. C’est le MACF qui doit établir des sanctions non pas simplement par rapport à une usine, mais bien par rapport à un pays, sinon elles seront trop fortement contournées.

Un dernier point doit nous rassembler, quelles que soient les travées sur lesquels vous siégez, mesdames, messieurs les sénateurs : c’est le principe de la préférence européenne, que nous devons véritablement inscrire au niveau de la Commission européenne. (M. Joshua Hochart proteste.)

En effet, si nous n’instaurons pas la préférence européenne, qui requiert dans nos produits finis une part d’éléments européens d’au moins 60 % à 70 %, tous les mécanismes dont je viens de parler pourraient être tout simplement contournés.

Tels sont les combats que le Gouvernement va mener dans les mois qui viennent, avec, je l’espère, l’ensemble des parlementaires.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.

M. Thomas Dossus. J’ai trouvé le discours du ministre très œcuménique (Mme Cathy Apourceau-Poly rit.) : donnons-nous tous la main et, à la fin, avec la mobilisation de chacun, nous y arriverons…

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Ce serait utile, oui !

M. Thomas Dossus. Toutefois, vous n’avez pas avancé la moindre solution d’action publique de la part de l’État français ni proposé aucune vision de la stratégie industrielle française, voire européenne. On reste un peu sur sa faim, monsieur le ministre, et je suis largement déçu.

J’approuve le réveil européen sur le protectionnisme, qui a enfin lieu. Si je puis dire, nous avons besoin de barrières et de frontières en la matière. Devant la bascule des grands empires vers l’archisubvention de leur économie, face à la concurrence déloyale permanente et à la surproduction, il est évident que l’Europe doit se réveiller.

Toutefois, nous avons aussi besoin en France d’une vision industrielle, qui insiste sur les filières, alors que, en la matière, nous n’avons pas entendu grand-chose dans votre discours.

Je partage les propos tenus par nos collègues du groupe communiste : la solution de la nationalisation n’est peut-être pas l’outil adapté, mais pour l’instant, c’est le seul qui ait été mis sur la table. Nous n’avons entendu personne en proposer un autre. Je remercie le groupe communiste d’avoir inscrit ce texte à notre ordre du jour. Nous avons besoin d’une mobilisation plus forte et, en tout cas, d’une vision stratégique pour l’industrie française.

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 20 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 107
Contre 235

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 5 n’a plus d’objet.

Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
 

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 4 novembre 2025 :

À neuf heures trente :

Questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances ;

Débat sur le thème « L’avenir de la décentralisation » ;

Débat sur le thème « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? ».

À vingt et une heures :

Débat sur le thème « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

JEAN-CYRIL MASSERON