M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Je reconnais bien là votre envie de convaincre, monsieur Lemoyne !

J'ai pris un exemple qui vous parle particulièrement, celui du tourisme. Si nous souhaitons une clarification des compétences, il faut à un moment désigner clairement qui est responsable, tout en permettant que, sur les territoires, les organisations soient spécifiques. Nous l'avons vu, par exemple, avec la gestion de l'eau et de l'assainissement : les territoires s'organisent comme ils l'entendent, mais un responsable est identifié.

Je rappelle que les communes disposent de la compétence générale, comme vous le savez. Elles conservent donc la capacité d'intervenir sur l'ensemble des champs, néanmoins il me semble nécessaire de clarifier le paysage. Quoi qu'il en soit, je constate que nous en débattrons longuement et que les points de vue seront variés.

La décentralisation va de pair avec la déconcentration, c'est-à-dire qu'il faut donner à l'État territorial la capacité d'apporter des solutions et une certaine liberté dans l'application des normes. Cela est en cours et, vous l'avez souligné, c'est une profonde révolution. Le préfet pourra ainsi constater qu'une norme est inadaptée à une collectivité et, à l'échelon local, être en mesure de décider.

Donner du pouvoir normatif aux élus locaux, je partage ce projet. Toutefois, vous le savez bien, il existe un enjeu de responsabilité et de judiciarisation. Certaines collectivités, notamment parmi les plus petites, ne souhaitent pas disposer de ce pouvoir normatif, car elles ne sont pas en mesure d'assumer les risques qui y sont associés. Cela signifie que la loi doit sans doute être moins bavarde : elle doit fixer un cadre normatif clair tout en laissant la possibilité aux collectivités qui le peuvent d'adapter ce cadre à leur réalité.

J'en viens au financement. Il y a un débat sur l'autonomie financière et fiscale. Je ne crois pas que, dans un pays où les collectivités exercent des compétences aussi importantes que l'éducation, on puisse se passer totalement de dotations. Les grands pays fédéraux, comme l'Allemagne, fonctionnent avec un système de dotations régionales ajustées au niveau des compétences exercées. À ces dotations provenant d'impôts nationaux partagés s'ajoute un levier fiscal, faute de quoi il n'y aurait pas d'égalité dans la qualité du service rendu.

Je prendrai un dernier exemple : celui du coût de la scolarisation d'un élève dans une école élémentaire. À l'échelon départemental, ce coût a été défini afin d'assurer un financement équitable.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. Nous établissons un coût et nous le reconnaissons. Je pense donc qu'il est nécessaire de maintenir un équilibre entre dotation et levier fiscal.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Pierre-Alain Roiron. Madame la ministre, mes chers collègues, parler de l'avenir de la décentralisation suppose d'abord de dresser un constat lucide sur le présent. Quarante ans après les lois de décentralisation, nous sommes au seuil d'un nouveau modèle à inventer. Hélas, ce qui devait être un partage du pouvoir s'est peu à peu transformé en dilution progressive de celui-ci.

Aujourd'hui, alors que le Premier ministre annonce un grand acte de décentralisation, le projet de loi de finances pour 2026 dessine une trajectoire incompatible avec cette perspective. Rappelons que l'article 72-2 de notre Constitution garantit aux collectivités des « ressources dont elles peuvent disposer librement ». La décentralisation repose sur un triptyque indissociable : compétences, moyens, autonomie fiscale. Toutefois, cette autonomie s'étiole, notamment depuis la suppression de la taxe professionnelle en 2010 et de la taxe d'habitation en 2018. Cela crée une dépendance croissante aux dotations de l'État, laquelle fragilise la prévisibilité nécessaire à tout investissement de long terme.

Pierre Mauroy, Premier ministre au moment du vote de la loi relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, dite Defferre, avait déjà cette formule prémonitoire : « Aucun nouvel acte de la décentralisation ne pourra désormais se passer d'une réforme en profondeur de l'État central lui-même. »

M. Patrick Kanner. Très bien !

M. Pierre-Alain Roiron. Réformer l'État en profondeur, c'est aussi et d'abord accepter que l'uniformité des règles ne garantisse plus l'égalité entre les territoires. Le droit à la différenciation territoriale, que notre famille politique défend, doit être pleinement consacré, de même que l'affirmation du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. C'est l'aboutissement logique du processus de décentralisation.

Il va sans dire qu'une telle réforme institutionnelle appelle une réelle traduction financière. L'autonomie budgétaire et fiscale demeure la condition sine qua non d'une décentralisation véritable et pérenne. Cependant, au-delà de la question financière, c'est toute l'architecture de nos compétences qu'il faut repenser. Trop de doublons subsistent entre l'État et les collectivités, entre les différents échelons territoriaux, créant confusion, inefficacité et pertes financières.

Comment justifier que l'État finance et définisse les normes ayant trait à l'apprentissage et à la formation professionnelle, tandis que les régions gèrent l'orientation et le développement territorial ? Ce chevauchement, constant depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, illustre parfaitement cette dilution du pouvoir que nous dénonçons. S'agissant de la politique du logement social, même incohérence : l'État fixe les quotas, les intercommunalités planifient, les départements financent. Cette fragmentation engendre lenteurs et inefficacité, pendant que des familles attendent un toit.

Nous appelons à un réexamen systématique de la répartition des compétences, guidé par un principe simple : une compétence, un échelon, des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Roiron, je pense que vous confondez les temps.

Jusqu'en 2029, le temps budgétaire est un temps de redressement. En d'autres termes, nous travaillons non pas à niveau zéro, mais avec la réalité budgétaire et financière que nous connaissons tous. C'est bien, monsieur le sénateur, parce que nous partageons la même ambition d'une action publique efficace et de collectivités territoriales disposant des moyens nécessaires, qu'il nous faut redresser nos finances. Je pense donc qu'il n'y a pas de contradiction entre affirmer une volonté de décentralisation et le projet de budget que nous présentons, qui est un budget de redressement et non d'austérité.

Je partage ce qu'avait dit M. Mauroy à l'époque : commençons donc par définir ce que fait l'État ! J'aime l'idée d'un État qui assume la décentralisation, mais dans le même temps ce dont les collectivités doivent s'occuper et dans quelles conditions elles doivent le faire. Jusqu'à présent, il y a eu une délégation d'exécution de compétences, mais je pense que le temps qui vient, celui d'une transition et d'une période de crise, exige de nous une remise en ordre, si je puis dire, afin de redéfinir ce qui relève des compétences propres de l'État.

S'agissant des financements, il faut un mix entre des dotations, qui garantissent que les objectifs fixés par l'État puissent être atteints, une capacité fiscale propre aux collectivités et, surtout, une clause de revoyure. Je l'ai dit tout à l'heure, le contrat doit reposer sur des clauses de revoyure. Il faut de la cohérence.

Je partage votre constat : lorsque les régions disposent de la compétence de l'économie et de l'emploi, mais n'ont pas la capacité d'agir sur la formation, l'efficacité n'est pas optimale. Sur le logement également, je vous rejoins. Est-ce depuis Paris que l'on doit continuer à définir des zonages qui échappent souvent à la réalité des territoires ? En Bretagne, par exemple, une territorialisation du logement et de l'investissement locatif a été expérimentée : cela a très bien fonctionné et n'a pas coûté plus cher.

Enfin, je le répète, M. Lemoyne a raison : avant d'inventer autre chose, il faut évaluer l'efficacité de ce qui a été fait, de ce qui ne l'a pas été ou de ce qui l'a été insuffisamment.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. En tout cas, je serais très heureuse de travailler avec vous tous autour d'un objectif qui nous réunit.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, merci pour l'organisation de ce débat sur la décentralisation. Celui-ci touche au cœur de notre République, à sa capacité à garantir l'égalité, la solidarité et la proximité avec les citoyennes et citoyens.

Regardons toutefois la réalité en face. Depuis des années, nos territoires subissent un affaiblissement durable de la présence de l'État déconcentré et un recul continu des services publics : sous-préfectures exsangues, trésoreries éloignées et amoindries dans leur capacité à accueillir les contribuables comme à conseiller les élus locaux, permanences supprimées dans les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), bureaux de poste à l'amplitude horaire diminuée ou devenus agences postales communales, à la charge principale des mairies... – et j'en passe !

Les moyens de nos collectivités ont subi les mêmes coups de rabot et, à mesure qu'elles devaient pallier de nouvelles missions, répondre à de nouveaux besoins de la population, leurs ressources ont diminué.

Nous ne pouvons pas nous contenter de belles paroles ou de belles intentions. Il faut des actes, des moyens et du respect. C'est indispensable dans le climat de défiance que nous connaissons actuellement.

Les élus locaux, souvent les premiers à affronter les difficultés du quotidien, le disent : la République s'éloigne quand le service public recule. Quand la dotation globale de fonctionnement diminue, quand la fiscalité locale est réformée sans concertation, quand l'ingénierie publique manque, ce sont les maires, les conseillers départementaux et régionaux, qui doivent faire plus avec moins.

La multiplication des agences, sous couvert de modernité, d'agilité, d'efficience et autres concepts aussi libéraux que technocratiques, éloigne encore un peu plus les décisions et leur élaboration même, du terrain. Cette « agencisation » des politiques publiques, c'est la traduction d'un État bureaucratique qui ne fait plus avec les territoires, mais qui leur enjoint de déployer ses propres politiques, à coup d'appels à projets, de programmes nationaux à décliner.

Un nouvel acte de décentralisation, que nous appelons de nos vœux, doit clairement se traduire par de la confiance accordée aux territoires, sans que l'État se désengage de ses propres missions. Nous voulons un État partenaire, garant de l'égalité républicaine, pas un État qui se délite au profit d'acteurs privés, avides de nouveaux marchés.

Nous voulons un État accompagnateur, aménageur du territoire, pas censeur de décisions prises en vertu de la libre administration des collectivités territoriales. Nous défendons un modèle de coopération, pas de liens hiérarchiques ou d'autorité. Nous plaidons pour la restauration de la clause générale de compétence pour tous les niveaux de collectivités, et pas seulement pour les communes.

C'est, à nos yeux, le moyen d'assurer la possibilité pour chaque niveau de collectivités de mettre en œuvre des choix qui répondent aux besoins des habitants, à la réalité des territoires, dans leur complexité et leurs différences, tout en préservant l'unité et l'indivisibilité de la République.

Nous devons tirer les leçons d'une organisation territoriale où quelques métropoles devaient ruisseler, nous disait-on, « en mode gagnant-gagnant », sur l'ensemble de leur région. Des territoires fragiles ont continué de dévisser, dans une concurrence accrue qui conduit à ce que de plus en plus de nos concitoyens se sentent abandonnés, laissés pour compte de la République.

La République doit revenir à ses fondements mêmes, être garante d'égalité et n'accepter qu'aucun bassin de vie, qu'aucun de nos concitoyens ne soit considéré comme de seconde zone. Comme le disait Rousseau, « c'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ».

Notre ambition, c'est une décentralisation solidaire, dans un cadre national clair, avec des moyens et un accompagnement de l'État. Et cette solidarité doit s'incarner par une péréquation repensée et renforcée, pour réduire les écarts entre territoires riches et territoires pauvres. Aucune liberté locale ne peut s'exercer sans autonomie financière, aucune compétence ne peut être transférée sans être compensée de façon pérenne.

Nous ne pouvons pas déconnecter ce débat du contexte et des débats budgétaires en cours. « Dangereux », « indigeste pour nos collectivités », « une saignée sans précédent », « une purge massive, une punition collective » : voilà un florilège des commentaires qu'inspire aux associations d'élus votre projet de budget… Et pour cause ! Près de 8 milliards d'euros de nouvelles baisses des moyens des collectivités locales ! Pour l'instant, la seule chose que vous décentralisez, c'est l'austérité.

À l'inverse, nous pensons que les collectivités doivent devenir les fabriques du changement attendu par nos citoyens. Donnons-leur du souffle, des moyens et la confiance qu'elles méritent. Nous ferons œuvre utile pour notre économie, pour la cohésion sociale et, même, pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

(Mme Sylvie Vermeillet remplace M. Alain Marc au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice, je ne regrette pas d'être venue, après le plaidoyer que vous venez de prononcer !

Nous nous connaissons bien et je sais la sincérité de votre conviction et de votre engagement sur le territoire. Néanmoins, je pense que vous faites une sorte de procès en excès. Je me suis déplacé dans cinquante départements, tous très différents, et je n'ai pas constaté la même réalité que vous.

Je connais les difficultés des territoires très ruraux et des territoires industriels, mais je ne peux pas laisser dire que l'État aurait disparu des écrans radars. Six nouvelles sous-préfectures ont été créées. Aujourd'hui, dans tous les départements où je me suis rendue, j'ai rencontré l'ensemble des maires et il n'y a pas de parole plus franche ni plus claire qu'une parole de maire. Tous m'ont dit que les préfets et les sous-préfets sont désormais dans un rôle d'accompagnement et de facilitation, pour aider à trouver des solutions, et non plus dans un rôle de censure.

Quand vous évoquez les bureaux de poste, madame la sénatrice, vous êtes trop sérieuse pour que je vous croie. Dans mon propre village, le bureau de poste était vide et, lorsque l'on rentrait du travail, il était déjà fermé, car il n'ouvrait que jusqu'à quinze heures ! Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est d'un service disponible quand les citoyens le sont. De nombreuses communes ont d'ailleurs créé des commerces multiservices qui incluent un point postal, ce qui permet une offre de proximité tout en assurant une meilleure viabilité économique.

Je pense que le monde change, que nous traversons des transitions, rien n'est parfait. Il faut accepter de se transformer pour continuer à offrir à nos concitoyens ce dont ils ont besoin.

Le budget que nous proposons est un budget non pas d'austérité, mais de redressement. Le Gouvernement aurait pu ne pas le présenter et laisser filer les déficits, mais, dans cinq ans, tout le monde aurait râlé, dans cet hémicycle, contre l'État, qui nous aurait conduits à la faillite et l'on n'aurait plus les moyens de financer les services publics locaux.

Mme la présidente. Madame la ministre, il faut conclure.

Mme Françoise Gatel, ministre. Pour être juste, la nuance est nécessaire. Travaillons ensemble à améliorer les choses !

M. Alexandre Basquin. C'est le principe !

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, je reprendrai l'exemple que vous avez cité. Même si vous maîtrisez sans doute mieux que moi les chiffres, il existe, à ma connaissance, presque autant d'agences postales communales que de bureaux de poste. Je souhaitais par conséquent vous alerter : des missions qui étaient auparavant exercées par des services publics nationaux sont à présent à la charge de nos collectivités.

En qualifiant le projet de loi de finances de « budget d'austérité », je n'ai fait que m'appuyer sur quelques-uns des propos des associations d'élus. Vous pouvez vous réjouir de ce PLF, mais il posera problème, car, au sein des collectivités, il fait l'unanimité contre lui.

J'entends dire que l'heure serait au dialogue, mais, à entendre vos propos, cela ne me semble pas être le cas. Il n'est pas imaginable de transférer aux collectivités non seulement l'austérité, mais aussi l'endettement actuel de l'État, car, en faisant ainsi, on ne résoudrait aucun des problèmes, on les déplacerait et on les aggraverait, et on abîmerait encore plus la cohésion nationale.

Ce n'est vraiment pas le chemin que souhaite prendre mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat débat aujourd'hui de décentralisation, alors que le Premier ministre appelle les groupes politiques à contribuer à un projet de loi sur l'avenir des territoires.

Nous prenons cette invitation au sérieux. Il nous faut d'abord regarder la réalité en face. L'État est dans une situation politique extrêmement fragile : absence de majorité stable, menace latente de dissolution, défiance généralisée envers les élus nationaux et, devant nous, un embouteillage électoral : élections municipales en 2026, présidentielle en 2027 et législatives au plus tard dans la foulée de celle-ci.

Dans ce contexte et alors que la France connaît en outre une grave crise financière, annoncer un nouveau grand acte de décentralisation suscite au mieux de la défiance, au pire de la colère chez les élus locaux : il ne faut pas leur raconter d'histoires. Or nous constatons ces sentiments dans les différents retours des associations ; il semble que cette initiative les agace. Les maires et les présidents des conseils départementaux et régionaux n'ont pas besoin que l'État leur promette le Grand Soir institutionnel. Ils n'ont pas davantage besoin d'effets d'annonce. Il leur faut plutôt des marges de manœuvre,…

Mme Françoise Gatel, ministre. Oui.

Mme Ghislaine Senée. … de la visibilité, de la stabilité financière, des moyens humains et des outils juridiques clairs.

Le Gouvernement doit avancer sur ces sujets, car, depuis dix ans, la décentralisation est moins en panne qu'en recul. Suppression de la taxe d'habitation, compensations via des fractions de TVA, contrats de maîtrise des dépenses, perte d'autonomie fiscale et financière, reprise en main des préfectures : c'est une recentralisation silencieuse mais profonde qui s'est réalisée.

Le projet de loi de finances pour 2026 contient encore une ponction, de 6 milliards à 7 milliards d'euros, sur les budgets locaux, à laquelle s'ajoutent 1,2 milliard de charges nouvelles liées aux cotisations retraite de la CNRACL. Ces coupes signifient moins de rénovations d'écoles, moins de lignes de bus, moins de réseaux de chaleur, moins d'investissements pour s'adapter aux effets du dérèglement climatique et les prévenir, autrement dit moins de transition écologique, moins de résilience et des carences fatales dans la préparation de l'avenir.

Pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la décentralisation ne se limite pas et ne peut pas se limiter à des répartitions de compétences ou à une remise à plat des agences et des opérateurs. Personnellement, je me méfie toujours du « pragmatisme », du « bon sens » auquel vous avez fait plusieurs fois référence, madame la ministre.

La décentralisation est, au contraire, un projet politique et démocratique fondé sur la subsidiarité, la coopération et, surtout, la confiance. Nous aussi, nous revendiquons un fédéralisme différencié. Nous défendons des régions fortes, autonomes, capables de planifier, de coordonner, d'accompagner et de mettre en œuvre les politiques de mobilité, d'aménagement du territoire, de formation et d'adaptation au changement climatique.

Nous défendons un bloc communal tout aussi fort, car beaucoup se joue dans ces collectivités : rénovation des logements, mobilité du quotidien, accès à la nature, circuits alimentaires, tissu associatif. À cette échelle, les transitions deviennent concrètes, vécues et partagées. Or les communes et intercommunalités doivent composer avec des appels à projets illisibles, une ingénierie insuffisante, des financements instables et des injonctions contradictoires. C'est, en fait, l'inverse de la subsidiarité…

Permettez-moi de faire un zoom sur la transition écologique. Les alertes des associations d'élus rejoignent celles que mon groupe formule depuis plusieurs années : sans investissement local, la France s'écartera de la trajectoire climatique qu'elle s'est fixée. Pour avancer, il faut changer de méthode, clarifier les compétences, construire la transition avec les territoires, sortir de la logique de guichet et sécuriser les ressources.

La décentralisation n'existe pas sans autonomie fiscale et financière. Restaurer un véritable pouvoir de taux, donner aux régions des ressources dynamiques, comme une part modulable de l'impôt sur les sociétés, garantir aux départements une ressource stable, telle une fraction de la CSG, indexer les dotations sur l'inflation et compenser intégralement les transferts de charges : ce sont non pas des revendications techniques, mais bien les conditions mêmes de l'existence et de l'efficacité de l'action publique locale.

J'ajoute ceci : la décentralisation doit être un progrès démocratique et non une régression. On ne redonne pas du pouvoir aux territoires en concentrant davantage les responsabilités entre les mains de quelques-uns. Aussi, le retour du cumul des mandats serait un contresens, une manière de verrouiller la vie politique locale au lieu de l'ouvrir. La transition écologique exige de la proximité, de l'écoute et de la disponibilité. Elle ne se pilote ni à distance ni à temps partiel.

Mon groupe exige, à tout le moins, de faire cesser les ponctions sur les collectivités, de sanctuariser un fonds consacré à la transition écologique territoriale, avec une trajectoire définie et une réelle croissance pluriannuelle de ses ressources, et d'engager la restauration progressive d'une véritable autonomie financière locale. La transition écologique ne réussira pas sous tutelle. Elle exige de la confiance, de la clarté et de la démocratie.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Ghislaine Senée. Les collectivités sont prêtes à prendre leurs responsabilités, à l'État de prendre les siennes. Qu'il desserre le garrot et leur donne les moyens et la liberté d'agir ! (M. Simon Uzenat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Senée, la situation politique est très fragile, chacun le sait, et l'état financier et budgétaire de notre pays très grave. Ce dernier constat nous concerne tous, tant les collectivités que nos concitoyens. Faut-il pour autant rester immobile ? Un cycliste qui arrête de pédaler finit par chuter !

Madame la sénatrice, nous sommes d'accord : ne confondons pas l'horizon, c'est-à-dire l'amélioration de l'organisation de notre pays, et le temps du redressement des finances. Aussi, si ce projet de loi de finances n'est pas, je le répète, un budget d'austérité, il doit néanmoins être frugal pour permettre au pays de se rétablir et d'avoir un avenir.

Vous affirmez, madame la sénatrice – je l'entends bien volontiers –, que les paroles du Premier ministre sur la décentralisation engendrent de la colère et de l'incompréhension. Pour ma part, j'ai aussi perçu de l'envie de la part des élus. Je serais heureuse que nous arrivions à débattre du sujet et que nous avancions en nous appuyant sur tout le travail effectué par le Sénat. Nous le devons à nos concitoyens et aux élus locaux.

Je n'ai jamais promis de Grand Soir. J'ai même indiqué tout à l'heure détester les « Grands Soirs », parce qu'ils ne font que laisser place, pour rester polie, à de petits matins blêmes… Je souhaite appliquer les décisions du Premier ministre, c'est-à-dire définir qui est responsable de quoi, comment on s'y prend et avec quels moyens. Il me semble que nous sommes d'accord là-dessus.

En ce qui concerne les appels à projets, l'État les a largement supprimés ou, en tout cas, les a considérablement encadrés.

En revanche, je partage vos propos sur les injonctions contradictoires. Ayant été maire, comme nombre de sénateurs, je me souviens d'avoir un jour franchi les portes de six bureaux pour un projet et en être ressortie avec cinq consignes différentes et une terrible migraine… Renforcer les pouvoirs du préfet de département signifie simplifier, en assurant l'accompagnement de l'État. Par conséquent, madame la sénatrice, je pense, une nouvelle fois, que nos analyses se rejoignent.

En ce qui concerne la transition écologique,…

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. … l'État a mis en place les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE), afin que chaque territoire ait son propre projet en la matière.

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.

Mme Ghislaine Senée. Le problème, ce n'est pas que le cycliste reste immobile, c'est que, dans certains territoires, il n'a même plus de vélo ! Autrement dit, sans autonomie financière, pas de décentralisation, tout le monde le sait !

Dès lors, le débat sur la décentralisation, aussi intéressant soit-il, peut être considéré comme un moyen d'occuper le terrain de la part du Premier ministre et, à ce titre, vous faites très bien votre travail, madame la ministre. Néanmoins, la réalité est qu'il faut se donner les moyens d'agir.

Nous nous retrouverons pour en discuter lors de l'examen du PLF.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, décentraliser est à la fois nécessaire, souhaité et attendu. Toutefois, comment y parvenir lorsque tout le monde fait tout et que personne ne sait plus vraiment qui est responsable de quoi ?

Le transfert de compétences vers l'échelon local est une avancée essentielle, à condition que celles-ci ne soient pas morcelées entre deux échelons et six acteurs différents ! En effet, la complexité du millefeuille administratif a un coût : 7,5 milliards d'euros par an. Dès lors, une clarification est tout aussi nécessaire, tout autant souhaitée et peut-être même encore plus attendue que la décentralisation. Réduire ce millefeuille administratif reviendrait à trancher le nœud gordien qui entrave toute véritable politique de décentralisation.

Il est plus que jamais nécessaire, dans cette optique, d'appliquer enfin le principe « Une norme créée, une norme supprimée ». (Mme la ministre acquiesce.) Plus encore, il faut s'assurer que la norme créée n'ajoute pas pour les collectivités de la complexité à la complexité. Pour ce faire, il convient, par exemple, de faciliter les possibilités de saisine du Conseil national d'évaluation des normes.

Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il concrètement réduire le nombre de strates, clarifier les compétences et « désembrouiller » ce millefeuille administratif ?

Les filières à responsabilité élargie du producteur sont, elles aussi, victimes d'un archipel de réglementations : celles-ci sont souvent conçues en silos, sans vision d'ensemble.

Comme le préconisent justement nos collègues Marta de Cidrac et Jacques Fernique dans un excellent rapport d'information, il est urgent de bâtir une « stratégie industrielle interministérielle » claire et déclinée de façon cohérente à l'échelon régional.

Pourtant, pour que les régions soient capables d'assumer ce rôle, encore faut-il leur en donner les moyens. Le fonds Économie circulaire pourrait devenir le bras armé de ces collectivités, en cogestion avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : à l'État la stratégie, aux territoires l'action. En effet, la décentralisation ne vaut que si elle s'accompagne de la confiance – ce mot a été évoqué plusieurs fois, faire confiance aux élus est primordial – et des moyens nécessaires aux administrations compétentes pour appliquer les politiques dont elles ont la charge.

Madame la ministre, la décentralisation vers les régions des financements de l'économie circulaire fera-t-elle partie de l'acte IV annoncé par M. le Premier ministre ?

Enfin, décentraliser, c'est avant tout rapprocher le pouvoir du citoyen. Ce principe fondateur n'a de sens que s'il s'accompagne du plein exercice des libertés locales. Pourtant, force est de constater que plusieurs réformes récentes ont contribué à affaiblir progressivement cet exercice, réduisant ainsi la capacité des élus à agir librement au nom de leurs administrés.

La suppression totale de la taxe d'habitation sur les résidences principales l'illustre parfaitement. Elle a eu un double effet néfaste : d'une part, elle a distendu le lien civique et concret entre le citoyen et sa collectivité, d'autre part, elle a réduit l'autonomie financière des communes, qui, désormais, dépendent principalement de dotations ou de compensations décidées par l'État.

Il est temps de resserrer ce lien, de rendre aux collectivités les moyens de leur liberté et de faire confiance à l'expertise des élus, ancrés dans la réalité de leur territoire. Cela passe par la réaffirmation de l'autonomie fiscale comme un véritable pilier de notre République. Pourquoi ne pas l'ériger en principe constitutionnel, au même titre que la libre administration des collectivités territoriales ? Ce serait là un signal fort de confiance, en faveur de la responsabilité et de la vitalité démocratique locales.

Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il redonner aux collectivités les moyens réels de leur liberté ? Prévoyez-vous de réaffirmer leur autonomie fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)