Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur Longeot, nous construirons ensemble cette nouvelle phase de décentralisation, y compris sous l'angle financier. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous ne réformerons pas d'une manière pertinente et structurelle le financement des compétences exercées par les collectivités au travers d'un projet de loi de finances.
Reprenons vos questions l'une après l'autre.
Vous m'interrogez sur la décentralisation du financement de l'économie circulaire, autre sujet sur lequel nous travaillerons ensemble. Il faut de la cohérence : puisque les régions ont pour attribution le développement économique, ne doivent-elles pas avoir également la charge de la formation et de l'emploi ?
En partant non pas des attributions actuelles, mais des services à rendre, déterminons quelle échelle est la plus adaptée aux objectifs, quelles collaborations envisager et comment fournir des moyens cohérents par rapport aux compétences, de telle sorte que ces dernières soient assurées efficacement.
Je vois d'ici les débats que nous aurons, car les avis divergent de manière nette, comme vous avez pu le constater au cours de ce débat. Certains suggèrent de doter tous les niveaux de collectivité de la clause générale de compétence, d'autres souhaitent un chef de file par sujet, pour mieux comprendre qui fait quoi. Comme vous le voyez, le sujet n'est pas simple…
En matière de simplification, je proposerai au Premier ministre une démarche, d'ailleurs lancée par le Sénat, l'exigence de l'évaluation et d'allégement des normes. Ainsi, nous pouvons nous « guérir » de cet afflux de règles contradictoires, qui nous coûte cher et nous empêche d'agir.
Pour reprendre une recommandation d'un rapport d'information que Rémy Pointereau et moi avions « commis » quand je siégeais sur vos travées, je souhaite que l'examen de tout projet de loi soit précédé d'une étude d'options, avant même la réalisation d'une étude d'impact : avons-nous vraiment besoin de rédiger un texte sur le sujet envisagé ? Il faudrait intégrer aux textes du Gouvernement et du Parlement des « clauses guillotines », comme on les appelle en Angleterre, qui instaurent une norme pour une durée déterminée : quatre ou cinq ans.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
M. Jean-François Longeot. Merci !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aborder les questions de décentralisation au moment où s'ouvrent les difficiles discussions budgétaires et à la veille d'une année électorale 2026 importante pour les collectivités territoriales nous offre l'occasion de mettre en lumière certains sujets préoccupants, qui ont été développés depuis presque une heure.
Chacun d'entre nous constate dans le département dont il est le représentant les difficultés quotidiennes des collectivités, en particulier des plus modestes. Lorsque nous sommes sur le terrain, nous voyons aussi l'affaiblissement progressif des services déconcentrés de l'État dans les préfectures ou les sous-préfectures, souvent par manque de moyens.
À quelques jours du congrès des maires, les questions budgétaires préoccupent les élus. Les finances du pays sont fortement dégradées et doivent être redressées au plus vite. Les collectivités assurent une part significative de l'investissement public ; aussi, en fragilisant ces leviers, des pans entiers de l'économie du territoire sont affectés.
Au-delà des restrictions budgétaires, n'est-ce pas en réalité à une forme de recentralisation financière de la part de l'État que nous assistons ? Les élus et leurs associations s'en inquiètent à juste titre.
De plus, les règles imposées entravent leur action. Voilà des années que les élus locaux entendent des discours volontaristes sur la réduction des normes. Pourtant, l'État dicte aux collectivités non seulement ce qu'elles doivent faire, mais aussi comment elles doivent faire. Ce n'est plus possible.
Le cas du « zéro artificialisation nette » (ZAN) est emblématique des complexités actuelles. La mise en œuvre de la garantie communale d'un hectare suscite de nombreuses interrogations et les interprétations de l'administration varient d'un département à l'autre, d'une administration à l'autre. J'ai adressé, madame la ministre, une question écrite à un de vos collègues et j'ai eu – c'est fantastique ! – une réponse de mon préfet… Ce procédé est totalement décourageant.
Les élus ont donc le sentiment de perdre la maîtrise de l'avenir de leur collectivité, notamment ceux de la ruralité. Or les habitants de ces territoires veulent faire des projets et il ne s'agit nullement – vous le savez bien – de faire de ces territoires une réserve naturelle pour urbains en mal de campagne.
Quarante années après les premières lois de décentralisation, l'échelon local a connu des évolutions positives – il faut tout de même le rappeler –, mais l'accumulation des difficultés pèse sur l'avenir.
Aussi, je souhaite savoir, madame la ministre, comment le Gouvernement entend lever ces irritants pour donner un nouvel élan à la décentralisation, clarifier les compétences et restaurer une confiance, qui a été altérée, dans la relation État-collectivités. (M. Jean Sol applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Allizard, votre question porte sur deux sujets : d'une part, les normes et, comme on dit, l'enchevêtrement des compétences, et, d'autre part, le ZAN.
Commençons par ce dernier point. Je sais à quel point le Sénat a mis en avant l'absence d'étude d'impact préalable à l'adoption du ZAN – dispositif qui porte un nom un peu étrange… – et je connais la difficulté de définir un objectif de frugalité foncière, auquel nous souscrivons d'ailleurs tous, de manière uniforme.
La Haute Assemblée a œuvré à la révision de cette définition via la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), dont l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale est annoncée, semble-t-il, mais les points de vue sur ce texte divergent. Je rencontrerai les sénateurs et les députés pour en discuter ; j'espère que nous cheminerons ensemble. C'est l'intérêt de tous.
Ensuite, en ce qui concerne les normes, produites par les règlements et les lois il faut que leur accumulation cesse. Chacun d'entre vous connaît l'excellent rapport de Boris Ravignon sur le sujet : le coût net des normes pour les seules collectivités entre 2009 et 2023 dépasse 14 milliards d'euros. Certaines de ces normes sont très utiles, mais nous pourrions peut-être nous passer d'une partie des autres. Chaque année, le flux de normes, c'est-à-dire l'adoption de nouveaux textes, représente une dépense supplémentaire de 2 milliards à 3 milliards d'euros.
Il nous faut donc tous faire preuve de frugalité normative. Veillons à ce que les règles qui sont édictées n'empêchent pas l'action, ne la ralentissent pas et n'engendrent pas de coûts supplémentaires.
Par conséquent, comme je l'ai répété tout au long de l'après-midi, je souhaite vraiment que l'État suive les préconisations du Sénat : il faut travailler davantage avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) pour s'attaquer au stock de normes et en réduire la quantité, afin de retrouver une capacité d'action d'agir et gagner en rapidité.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je vous remercie également d'avoir cité précédemment Deauville et Honfleur ; en tant que Calvadosien, je ne pouvais pas ne pas le faire !
Plus sérieusement, les chiffres de 2024 sont tout de même extrêmement inquiétants : la production normative de cette année-là représente près de 450 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités. Le sujet est donc toujours d'actualité. Il faut vraiment mettre fin à ce mouvement…
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, la décentralisation constitue l'un des piliers de notre démocratie. Elle repose sur un principe fondamental : la libre administration des collectivités territoriales. Ce principe n'a de sens, toutefois, que s'il s'accompagne d'une véritable autonomie financière permettant aux collectivités d'exercer leurs compétences avec responsabilité et visibilité.
Or force est de constater que cette autonomie est gravement fragilisée. En trois ans, l'épargne nette des collectivités a chuté de 40 %. Une telle dégradation de leur autofinancement compromet directement leur capacité d'investissement, au moment même où l'État leur demande d'accélérer la transition écologique, la rénovation énergétique ou la modernisation de leurs équipements publics.
Le contraste est saisissant entre les déclarations politiques et la réalité budgétaire. Le Premier ministre affirme vouloir renouer la confiance avec les territoires, restaurer la proximité et inaugurer un nouvel acte de décentralisation, mais le PLF 2026 consacre, en réalité, une logique inverse : une recentralisation financière et une dépendance accrue des collectivités aux dotations d'État. Cela a été largement évoqué lors du précédent débat.
Dans ces conditions, comment parler de confiance ? Comment évoquer un nouvel acte de décentralisation, alors que les leviers fiscaux locaux disparaissent les uns après les autres ? Cette situation pose une question institutionnelle de fond : peut-il y avoir libre administration sans autonomie fiscale ?
Depuis plusieurs années, le financement des collectivités est de plus en plus contraint. Les réformes successives, comme la suppression de la taxe d'habitation ou la diminution des impôts de production, ont eu pour effet de nationaliser les recettes locales. Il n'existe pas de véritable autonomie si la collectivité ne dispose d'aucun levier fiscal pour ajuster ses ressources en fonction de ses charges.
Madame la ministre, cette situation conduit mon groupe à poser une question claire : le Gouvernement envisage-t-il un retour vers une fiscalité locale adaptée à chaque strate de collectivité, permettant de renouer le lien entre décision, financement et responsabilité ? C'est à cette seule condition que nous pourrons redonner sens à la libre administration et restaurer la confiance des élus locaux, qui sont les premiers partenaires de l'État dans la mise en œuvre des politiques publiques.
Un nouvel acte de décentralisation se bâtira non pas sur des promesses verbales et des transferts sans moyens, mais sur la clarté, la stabilité et la responsabilité. Les collectivités territoriales ne sont pas un appendice budgétaire de l'État, elles en sont le socle opérationnel. C'est pourquoi nous appelons le Gouvernement à ouvrir sans tarder un chantier sur la refondation de la fiscalité locale, en lien étroit avec les associations d'élus et le Parlement, afin que chaque niveau de collectivité dispose à nouveau de ressources propres adaptées à ses compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Isabelle Briquet, je vous remercie de votre intervention. Je le répète, le temps budgétaire que nous vivons est celui du redressement, parce que nous partageons tous une ambition : non seulement maîtriser la dépense publique, mais aussi s'assurer qu'elle soit parfaitement utile. Nous devons garantir, pour l'avenir, le fonctionnement de nos services publics.
J'y insiste : sans cette étape de redressement des finances publiques – elle est désagréable, je l'entends –, nous ne pourrons plus assurer le financement des services de l'État et des collectivités. Nous visons un horizon, mais, au préalable, ce passage à gué est nécessaire.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, chacun reconnaît et affirme la nécessité d'une réforme des finances locales, parce que nous n'avons pas cessé d'y coller des rustines et d'y introduire de l'incohérence.
Prenons l'exemple des départements. Leurs dépenses sont, pour l'essentiel, d'ordre social : elles représentent pratiquement 70 % de leurs charges, elles sont fixes et ne cessent de s'alourdir. Face à cela, on leur donne comme recettes les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui constituent une sorte de levier fiscal. Tant que le montant de ces droits progressait, tout le monde était content et l'on n'entendait rien ; seulement, les DMTO étant devenus volatils avec la crise de l'immobilier, les ressources sur lesquelles s'appuyaient les départements pour financer leurs dépenses sociales se sont évanouies.
Dès lors, je reviens à votre propos sur la cohérence entre la compétence et la ressource. Éric Woerth explique très bien dans son rapport qu'il serait plus logique que les départements reçoivent une part de l'impôt national qu'est la CSG. Ce dernier est plus fiable, car fondé sur des recettes structurelles.
Enfin, j'y insiste avec beaucoup de sincérité : les collectivités locales ne sont ni les commis ni des appendices de l'État.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger sur le sujet, mais nos discussions ne font que commencer.
En effet, si les prises de décision locales ne sont plus possibles, faute de marge de manœuvre, alors, plutôt que de « décentralisation », il faudra parler de « déconcentration ». Ce sera plus clair, même si ce n'est pas du tout ce que nous souhaitons… (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Président de la République a plutôt œuvré dans le sens d'une recentralisation depuis 2017, le Premier ministre appelle à un acte IV de la décentralisation. Eu égard à cette annonce, je rappelle une réalité simple : nous arrivons au bout du modèle actuel d'organisation et de financement des collectivités. Pourtant, dans le contexte politique fragmenté que nous connaissons, il serait illusoire d'attendre un grand bouleversement institutionnel.
Pour avancer, il suffit, me semble-t-il, de réaffirmer quelques principes fondamentaux.
Tout d'abord, il faut mettre l'accent sur la place du département. Depuis plus de deux siècles, celui-ci est un pilier de l'action publique de proximité, au même titre que la commune et l'État. Il est présent dans la vie quotidienne des Français, où qu'ils vivent. Il faut donc cesser d'agiter régulièrement la menace de sa disparition ou de la recentralisation.
Les réalités territoriales sont diverses, parfois au sein d'un même département. C'est pourquoi il faut instaurer un véritable droit à la différenciation. Le département doit pouvoir adapter ses politiques à nos territoires plutôt que d'être réduit à un rôle de guichet social.
Ensuite, la libre administration des collectivités doit être pleinement respectée. Toute décision nationale qui affecte les finances locales doit être concertée et, si nécessaire, compensée à l'euro près. Sans cela, il n'y a ni autonomie ni responsabilité.
De même, il est temps de rétablir une véritable autonomie fiscale, afin de redonner du sens au lien entre l'impôt, l'action publique et nos concitoyens. La déconnexion actuelle entretient incompréhension et défiance.
Par ailleurs, l'État doit se recentrer sur ses fonctions régaliennes, notamment la sécurité.
Pour le reste, faisons confiance aux collectivités. Elles savent agir, elles connaissent les besoins du terrain.
En réalité, le cœur du sujet n'est pas seulement la répartition des compétences. C'est – cela a été rappelé plusieurs fois cet après-midi – la confiance : la confiance en l'élu local, dans la capacité des collectivités à organiser la vie de nos concitoyens, dans la force du terrain.
Notre pays ne souffre pas d'un manque de démocratie, mais il pâtit d'un État qui veut trop en faire, là où la réponse doit être locale, au moyen d'une autonomie fiscale et financière.
Dans un monde complexe, nous avons besoin de proximité, de souplesse et de liberté d'action. Redonner aux collectivités les moyens d'agir, ce n'est pas affaiblir la République, c'est la renforcer.
Dans ce contexte, que comptez-vous faire, madame la ministre, pour accorder, ou ré-accorder, votre confiance aux élus locaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Chaize, votre dernière phrase résume parfaitement la situation. Pourquoi faut-il qu'il y ait de la confiance entre des partenaires et non plus un État qui délègue à des collectivités – lesquelles n'auraient pas leur mot à dire – l'exécution de ses compétences ? Il y va de l'efficacité de l'action publique, jusqu'au dernier kilomètre. C'est la confiance de nos concitoyens que nous recherchons et que nous devons mériter.
D'abord, je partage votre analyse : il importe de définir le rôle de l'État, garant des fonctions régaliennes, mais également porteur d'une mission de péréquation, destinée à offrir à tous les territoires les moyens d'agir.
Ensuite, je le répète, je ne m'inscris nullement dans une logique de suppression d'un niveau de collectivité. Partons des services que nous avons à rendre et voyons qui est le mieux placé. Le Sénat a plutôt considéré, naguère, que les départements étaient plutôt une échelle intéressante pour mutualiser des réseaux. Nous l'avons vu sur le très haut débit, mais nous l'avons vu aussi sur l'eau et l'assainissement.
Quant à la recentralisation, elle doit aussi faire l'objet d'une discussion : lorsqu'un département doit exécuter, scrupuleusement, la compétence que l'État lui a confiée dans des conditions prédéfinies, pourquoi ne pas envisager une renationalisation ? Une expérimentation est d'ailleurs en cours concernant l'éventuelle renationalisation du revenu de solidarité active (RSA). Cela doit pouvoir fonctionner dans les deux sens. Il convient que nous nous interrogions sur ce point.
Enfin, un mot sur les normes : on en meurt ! Nous siégeons ici sous la protection de Portalis (Mme la ministre désigne de la main la statue du jurisconsulte, qui surplombe le fauteuil de la présidence.), selon qui « les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ». La norme demeure nécessaire : nos concitoyens la réclament pour garantir leur sécurité et prévenir les risques, nous partageons ce principe, d'autant que la Constitution consacre le principe de précaution ; l'État s'y conforme donc. Toutefois, je le dis sans vouloir accabler quiconque, d'autant que je suis issue de cette maison : le législateur charge parfois la barque. Il nous revient donc aussi, quand nous élaborons la loi, d'accorder notre confiance aux élus et de reconnaître que le maire est aussi responsable qu'un parlementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Madame la ministre, je vous remercie pour de votre réponse. Nous partageons, me semble-t-il, le même constat. Maintenant, si j'ose dire, « y a plus qu'à »… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, pour reprendre l'intitulé du thème de notre débat, plus que jamais nous pouvons dire que la décentralisation est l'avenir.
Nos citoyens sont aujourd'hui en colère, voire défaitistes, face à l'impuissance publique. L'une des meilleures solutions est le pouvoir d'agir local et la libre administration de nos collectivités.
Vous l'avez dit, d'une certaine manière, face à la crise démocratique – nous en sommes tous conscients –, nous avons besoin de proximité, de reconnaissance, de différenciation. C'est le message que les citoyens nous adressent.
Pour cela, il faut un État qui se concentre sur le régalien, qui assure la péréquation pour garantir cette égalité républicaine et qui laisse aux collectivités territoriales la responsabilité de la vie quotidienne de nos forces vives : nos citoyens, nos associations, nos entreprises.
Je souhaite, madame la ministre, centrer mon propos sur quelques sujets que vous connaissez bien, vous qui avez été une parlementaire bretonne et qui restez bretonne dans l'âme.
Le premier point d'attention est l'autonomie, un sujet porté avec conviction par la région Bretagne en tant que collectivité, ainsi que par l'ensemble de ses élus. Cette autonomie s'entend de façon très large, mais en particulier dans sa dimension financière et fiscale.
Vous avez précédemment évoqué le nécessaire équilibre entre les dotations et le levier fiscal. Force est de constater que cet équilibre est aujourd'hui inexistant, puisque près de 80 % des recettes réelles de fonctionnement et d'investissement, notamment des départements et des régions, procèdent de transferts financiers de l'État et que les paniers de recettes sont complètement déconnectés des compétences des collectivités. Vous avez cité à ce titre les départements, mais c'est vrai également pour les régions : celles-ci perçoivent des taxes sur les cartes grises ou sur l'essence, alors qu'elles doivent promouvoir les mobilités décarbonées…
Quelles mesures concrètes proposez-vous à cet égard ?
Mon deuxième point d'attention concerne le pouvoir réglementaire local, sujet que vous connaissez bien, madame la ministre. Très concrètement, il s'agit de faire confiance aux élus locaux. C'est tout le sens de la différenciation entre nos territoires : oui, une péninsule, un territoire de montagne, une île, chacun présente des réalités propres, et, en matière de transition écologique, les mêmes solutions ne sauraient s'appliquer uniformément sur l'ensemble du territoire national.
Nous sommes aujourd'hui dans un entre-deux : la notion d'« autorité organisatrice » a été mise en avant, mais sa traduction concrète dans les faits tarde à se réaliser.
Nous évoquons les uns et les autres des actions concrètes. L'article 72 de la Constitution offre des pistes de travail. En outre, des propositions de loi constitutionnelle ont été déposées, mais, dans la période actuelle, nous aurons sans doute du mal à utiliser cet outil. Par conséquent, madame la ministre, quelles actions concrètes et urgentes le Gouvernement pourrait-il déployer pour que les élus puissent enfin voir se matérialiser cette confiance que nous entendons leur accorder ?
Ma dernière question, madame la ministre, porte sur la consultation démocratique tant attendue par les Bretons et par les habitants de la Loire-Atlantique, afin qu'ils puissent enfin donner leur avis sur le rattachement de ce département à cette région, reconstituant ainsi la Bretagne historique.
M. Simon Uzenat. Nous estimons que cela doit être le fruit d'un processus démocratique. Les précédents gouvernements s'y étaient engagés, notamment en 2024. Prévoyez-vous enfin d'actionner les leviers pour que cette consultation puisse avoir lieu ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Uzenat, il ne vous aura pas échappé, cela a été souligné précédemment, que l'existence du Gouvernement est très précaire, son espérance de vie est incertaine.
Nous avons la volonté d'avancer et d'aborder un certain nombre de sujets. Il faudra notamment entreprendre la révision constitutionnelle de l'article 72, afin de permettre la différenciation.
Pour ce qui est du pouvoir réglementaire local, c'est une vraie question, qui suscite à la fois de l'envie et de la peur. Je le rappelle, ce pouvoir réglementaire local est reconnu aux communes depuis la loi du 5 avril 1884, mais il n'est pas très connu et il n'est pas utilisé. Depuis 1983, cette compétence est également accordée aux départements et aux régions. Ainsi, comme le dit le sénateur Chaize, « y a plus qu'à » ou presque.
Je veux en outre souligner la nécessité d'une cohérence entre les compétences et les ressources. Le panier de ressources doit permettre de faire face aux dépenses ; il faut donc des dotations adaptées et un levier fiscal. Il existe déjà une liberté d'agir, puisque, l'année dernière, vous avez décidé de permettre aux régions de percevoir un versement mobilité. Certaines régions s'en sont saisies, dont la Bretagne, mais pas toutes.
Vous m'avez enfin posé une question un peu centrée sur la Bretagne, mais il s'agit en réalité d'une vraie question de fond. C'est le maréchal Pétain qui a mis fin à la Bretagne à cinq départements : les quatre départements que nous connaissons aujourd'hui, auxquels s'ajoutait la Loire-Atlantique. Le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne est depuis longtemps un sujet de débat. Cela aurait sans doute une certaine cohérence, mais, sans modifier ma position personnelle sur le sujet, cette question exige un traitement responsable ; on ne saurait rattacher un département à une région sans s'interroger sur l'avenir les départements qui demeurent dans la région d'origine. Parlons-en.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Nous avons beaucoup parlé de confiance. Or la confiance repose sur le respect de la parole de l'État, laquelle est aujourd'hui gravement mise en cause.
Nous le constatons notamment à la lecture du projet de loi de finances, madame la ministre. Lorsqu'il est question d'une compensation à l'euro près, puis que l'on y revient, notamment au travers du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), les règles du jeu se trouvent modifiées en cours de mandat. Une telle instabilité ne favorise pas la confiance. Il faut de la cohérence entre la parole et les actes et nous en sommes pour l'instant très loin.
Vous évoquiez un budget de redressement, madame la ministre. Oui, le redressement s'impose, mais il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal, car, en l'occurrence, vous vous attaquez à l'un des moteurs essentiels de la croissance, du développement économique et du soutien à l'emploi local. Nous le réaffirmons, la préservation des moyens d'action des collectivités permet de soutenir le rebond économique, notamment via la commande publique.
Enfin, j'ai bien entendu votre remarque sur le versement mobilité régionale et rurale. Nous plaidons justement pour offrir un bouquet de solutions aux collectivités locales, notamment aux régions, via une taxe de séjour additionnelle. Libre à elles ensuite de choisir parmi des options. Ce dispositif existe pour la région Île-de-France ; nous souhaitons qu'il puisse s'appliquer à l'ensemble des régions françaises.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la décentralisation en France est un sujet complexe et récurrent, un vieux serpent de mer.
La France est marquée par un jacobinisme tenace, en vertu duquel Paris concentre pouvoir et ressources. La décentralisation se heurte à une méfiance historique envers les territoires. Cette complexité institutionnelle, la superposition des échelons et le chevauchement des compétences rendent le système illisible pour nos concitoyens.
Il est manifeste que, au plus haut niveau de l'État, à l'Élysée, la décentralisation n'est pas en odeur de sainteté. Il y règne plutôt un parfum de jacobinisme, avec une note florale persistante de narcissisme. Alors que le paquebot France croule sous la dette et que le bateau prend l'eau de partout, on s'enfonce tranquillement vers les abîmes, à 3 400 milliards sous les mers, tout en remarquant que les passagers se font séduire à tribord par la sirène Marine, qui promet un trésor de solutions qui n'existent pas, ou à bâbord par la sirène Mathilde qui nous conduit droit dans le panneau… (Sourires.)
Nous voyons bien que nous sommes à la fin d'un cycle, que le système actuel est à bout de souffle. Pour lui redonner de l'oxygène, il faut repenser notre organisation, ce qui passe inévitablement par une décentralisation aboutie. Pour cela il faut du courage, de l'audace et un mini big-bang territorial.
Certes, il faudra renverser la table, mais aussi faire confiance aux élus locaux, qui détiennent la solution.
Mon mentor en politique, Adrien Zeller, militait, lorsqu'il était président du conseil régional d'Alsace, pour le droit à l'expérimentation. Il disait, à juste titre, que l'Alsace était à la bonne échelle pour mettre en place de nouvelles politiques publiques, au plus près de nos concitoyens. Mais pour cela il faut oser, oser la différenciation, oser l'expérimentation, afin d'en tirer des conclusions sur ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas.
Prenons l'exemple de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), qui est un premier pas vers la décentralisation. Créée par une loi de 2019, elle est née de la fusion des deux départements alsaciens, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, en une seule collectivité territoriale. Les deux départements ont été remplacés par une seule collectivité, qui exerce les compétences normalement dévolues aux départements, ainsi que certaines compétences de l'État, en disposant d'une marge de manœuvre accrue pour adapter les politiques publiques aux spécificités alsaciennes.
Nous sommes néanmoins restés au milieu du gué. En transférant d'autres compétences, comme celles de la région ou de l'État, nous aurions une décentralisation aboutie avec, enfin, la disparition d'une strate du millefeuille institutionnel, mais aussi, à la clé, de fortes économies de fonctionnement. Selon l'économiste Jean-Philippe Atzenhoffer, le transfert des compétences de la région vers la Collectivité européenne d'Alsace engendrerait une économie de fonctionnement de l'ordre de 100 millions d'euros par an.
Madame la ministre, les milliards que cherche le Gouvernement sont là : 100 millions d'euros à l'échelle alsacienne, imaginez le montant au niveau national !
La solution est donc dans la décentralisation, la simplification et la mise en œuvre des politiques publiques par les élus locaux.