Mme la présidente. Veuillez conclure.

M. Christian Klinger. Décentraliser, c'est faire des économies et reconnaître l'identité d'un territoire, tout en préservant l'unité républicaine.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, la Collectivité européenne d'Alsace – je salut d'ailleurs Agnès Canayer, ici présente, qui fut rapporteur du texte qui l'a instituée – n'est pas une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. C'est l'exemple même de la différenciation, fondée sur le fait que l'Alsace a une particularité, au-delà de son identité : elle est un espace frontalier.

C'est sur ce fondement que nous avons travaillé à la coopération transfrontalière, à la création de fédérations culturelles ou sportives à l'échelle de l'Alsace et au transfert des routes non concédées.

Ce que je vous propose, c'est de procéder à une évaluation de la mise en œuvre de ce texte ; la question sera ouverte. Je l'ai indiqué : nous ne nous orientons pas vers un Grand Soir de découpes et de copier-coller de territoires. Il n'empêche qu'il convient peut-être de revenir à une approche plus équilibrée.

En 2024, le Président de la République a indiqué qu'il fallait rouvrir la question des transferts de compétences, sans pour autant s'engager dans de grands jeux institutionnels.

Je rappelle toutefois que, depuis 2017, des avancées ont été réalisées avec la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) – vous avez d'ailleurs participé à cette évolution –, ainsi qu'avec la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

Je ne doute pas que ce débat se poursuivra.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.

M. Christian Klinger. Effectivement, l'Alsace est un véritable terrain de jeu, qui pourrait encore recevoir quelques compétences supplémentaires. Il conviendrait en effet de faire un bilan d'étape, afin de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Sabine Drexler, qui est aussi conseillère d'Alsace, peut en témoigner : les élus sont en attente de compétences accrues, mais évidemment avec les moyens correspondants.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, mes propos seront un écho à nos débats.

Je me félicite de la richesse de nos échanges, qui témoignent à la fois de la diversité de nos opinions et de l'engagement du Sénat en faveur de la confiance entre l'État et les territoires. Une fois encore, je salue les travaux conduits ici, que Mme Agnès Canayer a rappelés avec justesse.

La question de la décentralisation n'est pas une question technique, elle touche au corps même du pacte républicain. Pourquoi décentralise-t-on ? Pourquoi déconcentre-t-on ? Pourquoi différencie-t-on ?

Vous l'avez rappelé tout au long de l'après-midi, la République repose sur deux piliers : l'État et les collectivités, qui doivent être responsables et en mesure d'agir pour offrir à nos concitoyens les services qu'ils attendent.

Les réformes successives ont souvent engendré de la complexité ; à tout le moins, elles ont créé des irritants. Il a beaucoup été question de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ; on a formaté la taille des collectivités et on a imposé des transferts de compétences, faisant fi de la réalité des territoires. Depuis 2017, nous avons accompli plusieurs avancées, certes modestes mais réelles : la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, la loi 3DS, ainsi que le lancement de la simplification et de l'expérimentation.

Il importe néanmoins de réaffirmer un cadre clair de responsabilités partagées. Il n'y a pas un donneur d'ordre et des sous-traitants ; il y a des partenaires, qui doivent travailler ensemble pour renforcer l'efficacité de l'action publique. Nous devons définir un horizon, indépendamment de la durée de vie des gouvernements, afin d'avancer, de progresser, de retrouver la confiance, tout en traversant le gué du déficit budgétaire, qu'il convient de prendre plus que jamais en considération si nous nourrissons des ambitions fortes.

Je terminerai sur un point auquel je tiens : l'engagement résolu dans la chasse aux normes inutiles, ou du moins leur évaluation systématique.

Je vous remercie de la qualité de nos échanges et de la pertinence de vos observations. Ce débat marque le commencement d'un travail que nous mènerons, à la demande du Premier ministre, en parfaite synergie avec vous, avec les élus locaux, via leurs associations, et avec l'ensemble des partenaires concernés.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été relevé çà et là : voilà plus de deux siècles que notre organisation territoriale et administrative est traversée par deux courants contradictoires : d'un côté, le centralisme jacobin, avec un État omniprésent, unifié et centralisateur ; de l'autre, l'esprit local des provinces, conçu comme la condition de la liberté et de la vertu civique, bien mieux représenté ici.

Si la République a consacré un État fort, garant de la cohésion et de l'égalité, elle a souvent confondu – vous l'avez dit, madame la ministre – unité et uniformité.

Chacun a rappelé ici combien les lois Defferre ont favorisé l'établissement d'une France plus décentralisée, visant à rapprocher les citoyens des centres de décision et à responsabiliser les autorités élues. Beaucoup ont toutefois souligné combien, quarante ans plus tard, cette promesse demeure inachevée et parfois brouillée par l'empilement des structures et la complexité des compétences.

Déjà, en 2009, le comité Balladur dressait un bilan sévère de cette décentralisation. Rappelons ce qu'il indiquait alors dans son rapport : « l'organisation des collectivités locales n'a cessé de se compliquer au fil du temps, les étapes récentes de la décentralisation et la multiplication […] des établissements publics de coopération intercommunale ne s'étant pas accompagnées d'un effort de rationalisation des structures des collectivités locales, des compétences qu'elles exercent et des financements qui s'y attachent. Il en résulte une perte d'efficacité pour l'action publique et pour les usagers des services publics, un coût élevé pour le contribuable et un manque de transparence pour l'électeur. »

La Cour des comptes elle-même ne disait pas autre chose en 2023 : elle soulignait combien notre organisation territoriale n'est ni claire, ni efficace, ni durable.

Ce constat demeure, bien sûr, et a parfois été aggravé par une succession de lois ; je songe à la loi de 2010, à la funeste loi NOTRe de 2015 ou à la loi Maptam (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles).

Aujourd'hui, la grave crise budgétaire que nous connaissons devrait nous obliger à repenser et à recentrer le rôle de l'État. À vouloir tout faire ou trop faire, à vouloir tout régenter et tout financer, l'État le fait maladroitement. Résultat : des dépenses publiques à la dérive, une bureaucratie léthargique et qui gesticule, entravée par des circuits complexes de décision et de nombreux doublons administratifs.

Le périmètre d'action de l'État est devenu trop large et diffus, sa dépense trop contrainte. Il doit donc se recentrer sur ses missions régaliennes : la sécurité, évidemment, la justice, la défense, la politique migratoire, la stratégie énergétique, la diplomatie.

Pour tout le reste, qui concerne le quotidien des Français, ce sont bien sûr les collectivités territoriales qui doivent avoir les leviers, les moyens et la responsabilité d'agir, car, en l'espèce, c'est bien la proximité qui fait l'efficacité. Un maire connaît mieux que quiconque – en tout cas mieux qu'un préfet – les besoins de sa commune, sans doute parce que le système communal repose sur une organisation simple : un responsable, le maire, et une assemblée communale ; un territoire clairement identifié et pertinent ; et un budget.

Un État recentré ne doit pas être un État éloigné. Éric Woerth, dans son rapport de 2024, ne disait pas autre chose, quand il appelait à rétablir de la cohérence dans l'action publique territoriale et à articuler décentralisation et déconcentration.

Si nous reconnaissons la nécessité que chaque service public soit incarné par une autorité identifiée et disposant des moyens nécessaires, encore faut-il que l'État accepte de transférer de véritables compétences avec les moyens correspondants.

Le Gouvernement parle de clarification des responsabilités. Bien sûr, nous y souscrivons, mais, dans ce cas, le principe doit être celui de la subsidiarité réelle, non pas descendante, mais ascendante, comme le réclame fort justement l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) : que les collectivités elles-mêmes déterminent l'échelon le plus pertinent pour chaque politique publique.

Nul ne peut être plus clair que l'AMF, qui rappelle les quatre préalables à appliquer : la subsidiarité ascendante, l'autonomie financière et fiscale des collectivités, le transfert immédiat d'un pouvoir réglementaire local et, enfin, une redéfinition du sacro-saint principe de libre administration.

Parallèlement, nous aurons à nous attaquer à l'indigeste millefeuille territorial : communes, intercommunalités, départements, régions, métropoles. L'enchevêtrement des compétences entre collectivités territoriales est illisible et parfois coûteux. Nous avons besoin de plus de cohérence dans l'organisation pour avoir plus d'efficacité.

La décentralisation ne saurait être un simple transfert des compétences sans transfert des moyens. C'est le prix de la liberté ! Or c'est malheureusement ce que fait bien souvent l'État depuis de nombreuses années : il décentralise les charges, mais garde d'une main de fer les recettes budgétaires.

À quoi sert de promettre un nouvel acte de décentralisation, si, dans le même temps, le projet de loi de finances prévoit de lourdes ponctions sur les finances locales ? Gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), nouvelle réduction du fonds vert, reconduction et augmentation du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), coup de rabot sur les prélèvements sur recettes (PSR) et hausse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Mes chers collègues, le Premier ministre a annoncé, dans son discours de politique générale, un grand acte de décentralisation devant se traduire par un futur projet de loi, dont la date semble encore incertaine. Cette initiative est certes louable, mais a-t-elle réellement des chances d'aboutir au cours des prochains mois ?

J'ai donc une requête : un peu moins de sermons, un peu plus de praxis, et espérons que nous ne nous rassurerons pas une fois de plus en renvoyant cet impératif au grand rendez-vous présidentiel, qui constitue trop souvent un faux-fuyant confortable de nos propres renoncements ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L'avenir de la décentralisation ».

4

Quelles réponses apporter à la crise du logement ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? »

Je vous rappelle que dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trois ans, notre pays s'enfonce dans une crise du logement sans précédent, dont les effets dramatiques sur le pouvoir d'achat, la qualité de vie et les parcours résidentiels engendrent découragement, frustration et même colère chez nombre de nos concitoyens.

Nous en connaissons les causes. Certains décrivent cette crise comme un phénomène exogène et conjoncturel, que la baisse des taux viendrait résoudre comme par magie. Je crois au contraire que ses racines plongent dans des causes structurelles, dans les renoncements et les coups de canifs portés à la politique du logement dans notre pays depuis 2018.

Nous connaissons aussi les chiffres et les drames que ceux-ci reflètent bien souvent. Rappelons que la construction neuve est loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant la crise sanitaire, que plus d'un Français sur deux déclare avoir des difficultés à se loger et que le taux d'effort des ménages sur le logement a atteint un niveau inégalé.

Ce qu'il nous manque aujourd'hui, c'est une action publique résolue et volontariste en faveur du logement, et s'inscrivant dans la durée.

La crise du logement est un sujet trop grave pour faire les frais de l'instabilité politique. Depuis un an, nous agissons par petites touches, au gré de propositions de loi sectorielles. Je pense, par exemple, à la régulation de la location meublée touristique ou à la transformation des bureaux en logements : ces textes sont assurément utiles, mais ils ne donnent ni un cap ni un souffle à notre politique du logement !

Il est temps de reconstruire les fondations d'une politique de moyen terme, à la hauteur de la promesse républicaine du droit au logement.

C'est pourquoi, comme je l'ai annoncé l'été dernier, je déposerai prochainement une proposition de loi de refondation de la politique du logement ; aucun segment ne sera écarté.

La première pierre à l'édifice de cette refondation doit être, me semble-t-il, la programmation. C'est indispensable : comment agir dans la durée sans se fonder sur une vision partagée de l'ampleur de la tâche ? Cessons de naviguer à vue ! Les élus locaux et les acteurs économiques ont plus que jamais besoin de visibilité.

Pour refonder la politique du logement, il nous faut avancer sur nos deux jambes : le logement privé et le logement social. Ne nous enfermons pas dans une opposition stérile entre les deux.

Appuyons-nous sur les bailleurs sociaux. Ils peuvent jouer un rôle contracyclique déterminant. Il faut leur redonner des marges de manœuvre pour relancer la production de logements.

Le budget 2025 avait marqué une avancée, grâce à Valérie Létard, en réduisant de 200 millions d'euros la réduction de loyer de solidarité, la fameuse RLS, source d'économies budgétaires pour l'État au détriment des capacités d'investissement du secteur. Hélas, le projet de budget 2026 revient – à ce stade – en arrière : en plus de rétablir cette ponction contre-productive, il augmente considérablement la contribution des bailleurs sociaux au fonds national des aides à la pierre, le Fnap.

C'est d'autant plus regrettable que, depuis 2018, l'État s'est totalement désengagé du Fnap, qui est dans une situation financière critique, comme l'a rappelé en juillet dernier notre collègue Jean-Baptiste Blanc, que je salue.

Alors qu'il faudrait des mesures contracycliques pour permettre aux organismes HLM de répondre à la crise, c'est précisément le chemin inverse que prend le nouveau gouvernement.

Nous devons ensuite bâtir un pacte renouvelé avec les élus locaux. La planification se fait avant tout à l'échelle locale : faisons confiance aux maires et renforçons leurs moyens d'action, notamment en matière de foncier, véritable clé de la relance.

Plusieurs évolutions récentes doivent être poursuivies, comme la transformation des bureaux en logements, qui n'est pas suffisante, ou encore les adaptations à la trajectoire « zéro artificialisation nette » (ZAN) adoptées par le Sénat via la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace).

En matière de logement social, nous avons déjà assoupli, en 2022, le cadre posé par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) : nous pouvons et devons aller plus loin, pour prendre davantage en compte les contraintes de nos territoires et leurs spécificités.

Il s'agit enfin de répondre au sentiment de dépossession des maires dans l'attribution des logements sociaux, et de les replacer au centre des décisions.

Il convient aussi de relancer l'investissement locatif. À cet égard, je défends depuis plusieurs années la création d'un véritable statut du bailleur privé : il est temps de voir les propriétaires non plus comme les profiteurs d'une rente, mais bien comme des contributeurs essentiels à la vie économique et sociale de notre pays.

Appuyons-nous pour cela sur le travail de notre collègue Marc-Philippe Daubresse (M. le ministre acquiesce.) pour faire aboutir enfin ce statut du bailleur privé au cours des prochaines discussions budgétaires.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce dispositif doit encourager l'investissement dans le neuf, mais aussi dans l'ancien, car ce parc est un réservoir immédiatement mobilisable.

En outre, n'envisageons pas le statut du bailleur privé seulement sous l'angle de son coût, comme Bercy a tendance à le faire : c'est un véritable choc d'investissement qu'il s'agit de créer, source de recettes nouvelles pour l'État et pour nos collectivités. Ne nous contentons pas d'un compromis frileux qui dénaturerait le dispositif avant même de l'avoir fait vivre. Monsieur le ministre, avec Marc-Philippe Daubresse, le Sénat sera au rendez-vous sur ce statut du bailleur privé !

Enfin et surtout, il faut débloquer les parcours résidentiels. Relancer l'accès à la propriété est une urgence politique. Pour les classes moyennes, ne pas parvenir à sortir du parc locatif est une source de frustration, qui alimente le sentiment de déclassement et d'assignation à résidence. C'est malheureusement le terreau du ressentiment dont nous voyons aujourd'hui les effets sur l'échiquier politique.

Outre le maintien de la généralisation du prêt à taux zéro (PTZ), il nous faut encourager l'accession sociale à la propriété. Comme l'a décidé l'Assemblée nationale, le prêt à taux zéro doit être ouvert aux logements acquis une première fois en bail réel solidaire (BRS), pour ne pas gripper les parcours résidentiels des classes moyennes, à qui ce produit est destiné, et ne pas créer un véritable goulet d'étranglement.

Face à la crise, durable et multifactorielle, aucun segment du logement ne doit être négligé, aucune solution ne doit être écartée. Surtout, il nous faut rompre avec les réponses par à-coups : il nous faut regarder loin, fixer un cap clair et penser une politique de moyen terme pour redonner confiance à ceux qui construisent, investissent et font vivre nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie Dominique Estrosi Sassone d'avoir dit les choses si clairement et de porter le combat du sauvetage – je pense qu'on peut le nommer ainsi – du logement depuis tant d'années, y compris au travers de l'action de la commission des affaires économiques, qu'elle préside avec talent.

Sa volonté de sortir de la crise du logement n'est plus à démontrer, puisqu'elle a elle-même été corapporteur, avec les sénatrices Gacquerre et Artigalas, d'une mission d'information dont le rapport m'a été très utile pour ma prise de fonctions. Je tenais à vous en remercier, madame la sénatrice.

Vous avez raison, madame Estrosi Sassone, de parler de découragement, de frustration, de colère. Nous sommes face à une crise d'ampleur, à une crise majeure, et il va falloir ouvrir les yeux à tous ceux qui n'auraient pas encore perçu la réalité de la crise qui nous attend, de cette bombe sociale qu'est la crise du logement. C'est pour cela que je suis très heureux que nous ayons ce débat aujourd'hui.

Nous mesurons qu'il existe encore énormément de clichés, notamment une volonté farouche de considérer que la France des propriétaires est dépassée, qu'elle est derrière nous. Il faut absolument battre cette idée en brèche. Je crois, au contraire, comme vous l'avez très justement rappelé, qu'il faut donner un rôle crucial et central aux familles qui souhaitent investir, non pas dans la finance, mais dans la pierre et, ce faisant, fournir un logement, une habitation digne et décente à des familles françaises qui en ont grand besoin. Un quart des ménages français sont logés par de petits propriétaires qui ont investi dans la pierre.

J'aurai l'occasion d'y revenir en répondant aux différents intervenants, mais je peux dire d'ores et déjà que je souscris à certains de vos constats.

Oui, cette crise du logement dure, depuis maintenant longtemps. Il faudra donc lui apporter une réponse inscrite elle aussi dans la durée. Cela passe, vous l'avez dit, par la programmation et par une synergie absolument fondamentale entre le social et le privé.

Bien sûr, il faut décentraliser et donner beaucoup plus la main aux maires – c'est un ancien maire, dont je puis vous assurer qu'il n'a pas oublié les années où il exerçait un mandat local, qui vous le dit.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Il faut évidemment soutenir le statut du bailleur privé.

Je reviendrai sur les autres points.

Je vous remercie de ce propos introductif.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Amel Gacquerre.

Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer, je veux vous faire part de mon incompréhension.

Voilà quelques semaines, j'ai publié une tribune, cosignée par mes collègues du groupe Union Centriste, qui appelait le Gouvernement à prendre la mesure de la grave crise du logement que nous traversons et à faire du logement la grande cause nationale 2026, tribune que je me suis empressée d'adresser directement au Premier ministre ; vous n'étiez pas encore en fonctions, monsieur le ministre. À ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse, aucune réaction.

Pourtant, ce n'était pas un simple exercice de communication : c'était un cri d'alarme, appelant à regarder ce qui se passe dans notre pays, dans l'ensemble de nos territoires, à prendre la mesure de la détresse des millions de Français qui sont dans l'impossibilité de se loger dignement, voire de se loger tout court.

C'était un appel à voir qu'un pan entier de notre économie vacille sous l'effet de la baisse historique des constructions neuves, des transactions immobilières, des reports en cascade des projets de rénovation.

Au regard de la situation plus que critique que traverse le secteur, faire du logement la grande cause nationale 2026 serait tout à fait justifié. Nos appels à l'engagement pour un logement pour chacun, quel qu'il soit, méritent d'être entendus. Le débat inscrit à l'ordre du jour de la séance publique de cet après-midi va dans ce sens. J'en profite pour saluer le groupe Les Républicains, qui en a pris l'initiative.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 350 000 personnes sont aujourd'hui sans domicile, nombre qui a plus que doublé depuis 2012, et 2,8 millions de ménages sont dans l'attente de l'attribution d'un logement social, alors que seulement 82 000 logements sociaux ont été financés en 2024 – le pire résultat depuis vingt ans.

Cette crise touche tous les secteurs, tous les publics – les étudiants, les salariés, nos aînés… – et elle affecte directement le pouvoir d'achat des Français, le logement représentant près de 30 % de leurs dépenses. C'est le premier poste de dépenses, loin devant l'alimentation ou les transports.

Face à cette urgence absolue, nous devons bâtir une politique du logement sur trois horizons temporels : à court, moyen et long termes. En effet, ce dont souffrent véritablement les acteurs du logement, c'est du manque de stabilité et de visibilité. Une politique du logement ne doit pas subir l'instabilité politique que nous traversons : elle exige une continuité.

Cette ambition doit se traduire par une politique volontariste, bien sûr dotée de moyens, et articulée autour de quatre axes majeurs.

Premier axe : redonner confiance aux bailleurs privés, en créant un statut attractif, afin de relancer l'investissement locatif, comme cela a été soutenu par nos collègues.

Deuxième axe fort : réhabiliter l'accession à la propriété, afin que celle-ci redevienne un objectif atteignable pour les classes moyennes et populaires, par exemple en maintenant l'extension du prêt à taux zéro et en développant le bail réel solidaire.

Troisième axe : la relance massive de la construction de logements sociaux, en redonnant prioritairement des capacités d'investissement aux bailleurs ; en maintenant à tout le moins la réduction de loyer de solidarité au niveau actuel, soit 1,1 milliard d'euros, comme l'avait soutenu Valérie Létard pour le PLF 2025 ; en sécurisant le fonds national des aides à la pierre, qui a été sacrifié dans la copie initiale du PLF 2026 ; en soutenant les collectivités territoriales qui construisent ; enfin, en simplifiant les normes qui alourdissent les coûts de construction.

Quatrième et dernier axe : la refonte de la politique de rénovation des logements. Le dispositif MaPrimeRénov', dont on peut saluer le succès, a connu d'importantes difficultés en 2025. Ces incertitudes permanentes découragent les ménages et paralysent les professionnels du bâtiment.

Le logement n'est pas un sujet technique parmi tant d'autres : c'est le premier poste de dépenses des Français et celui qui conditionne leur capacité à se projeter dans l'avenir.

Nous avons le devoir d'apporter des réponses concrètes, ambitieuses et durables. Monsieur le ministre, quels engagements prenez-vous en ce sens ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez raison de pousser ce cri d'alarme et je veillerai à ce que la tribune que vous avez adressée au Premier ministre obtienne réponse.

Je souscris à vos priorités et, comme vous le savez, puisque nous avons déjà eu l'occasion de nous rencontrer et d'échanger à ce sujet, je considère qu'il est fondamental que nous puissions apporter un certain nombre de réponses et sécuriser, avec une vision de long terme, les différents outils que vous avez évoqués.

Votre premier point – redonner confiance – est absolument crucial. J'ai déjà pu échanger sur ce point avec Marc-Philippe Daubresse : redonner confiance à tous ceux qui participent à la construction et à la production de logements dans notre pays est fondamental.

Nous devons évidemment aller plus loin. Je pense que j'aurai l'occasion d'y revenir, le débat budgétaire doit conduire à préciser les modalités de soutien de l'aide à la pierre et à permettre aux bailleurs sociaux de jouer un rôle éminent dans la résolution de cette crise. Nous l'avons dit, aucun logement privé ne sort de terre aujourd'hui si l'on ne soutient pas le logement social à certains endroits et, inversement, on ne construit pas de logements sociaux sans opérations conjointes avec le privé. Cette symbiose est fondamentale ; il faut évidemment la soutenir.

Votre cri d'alarme est très juste, car la crise que nous évoquons ici est multiple.

C'est évidemment une crise économique : un pan entier de notre économie, de notre industrie, est menacé si nous ne faisons rien.

C'est également une crise écologique : si nous n'avons pas la capacité d'agir sur la rénovation – sujet qui vous tient particulièrement à cœur, madame la sénatrice –, notamment de l'ancien, des passoires thermiques continueront d'exister.

Enfin, c'est évidemment une crise sociale. Il s'agit d'une bombe à retardement énorme. J'ignore si nous pourrons faire du logement une grande cause nationale, mais celui-ci mérite au moins que nous nous en fassions tous aujourd'hui une grande cause et une urgence. En effet, derrière la question du logement, il y a des familles qui ne se logent pas correctement, dignement, voire qui ne se logent pas tout court et qui, par conséquent, ne peuvent pas étudier, travailler, s'insérer, bref, faire partie de notre pays, de notre société. C'est évidemment inacceptable.

Faire en sorte de développer avec vous, en coconstruction, un grand plan pour le logement, un plan d'urgence pour que, demain,…