Cette étude a pris pour échelle les bassins d'emploi au sein des territoires. J'ai participé à une table ronde avec la Fédération française du bâtiment (FFB) sur le sujet : il me semble que nous devons tous nous appuyer sur le travail réalisé par votre ministère pour démontrer les besoins en la matière.

Cette étude distingue besoins de logements et de construction. Et dans certains territoires, les chiffres sont les mêmes.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pascal Savoldelli. Le logement n'est pas un bien comme les autres. Il est même un droit constitutionnel, en vertu des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, selon lesquels la « Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

J'ai peur de devoir vous le dire, mais, aujourd'hui, la Nation ne tient pas cet engagement. Monsieur le ministre, nous sommes issus du même département : on y compte à ce jour 110 000 demandeurs de logement.

La Nation facilite même les expulsions, depuis la loi Kasbarian. L'ancien ministre dont elle tient son nom vient de revendiquer le triste record du nombre de familles mises à la rue ! Monsieur le ministre, j'espère que vous n'avez pas l'intention de battre ce record inhumain. Les expulsions ont bondi de 29 % en un an, de 223 % en vingt ans !

Pourtant, à vous entendre, ce que vous tentez d'assurer, c'est la rentabilité des investisseurs. Sous couvert de créer un statut du bailleur privé, vous vous apprêtez à soutenir encore la concentration du patrimoine, alors que 3 % des propriétaires possèdent déjà 50 % du parc privé locatif.

Ce modèle du soutien aux investisseurs est inefficace. Les chiffres sont désastreux et ne font qu'empirer : 12 millions de Français sont fragilisés par la crise du logement, 5 millions de personnes vivent dans des passoires énergétiques et 2,8 millions de demandes de logement social sont en attente. Ces chiffres, vous les connaissez, monsieur le ministre. (M. le ministre opine du chef.) Sans intervention publique, il n'y aura pas de solution. Et pourtant, ce n'est pas le choix que vous faites.

Vous soutenez le rétablissement de la ponction de 200 millions d'euros sur les finances des bailleurs sociaux, alors même que votre prédécesseur avait promis le gel de la RLS, laquelle repart finalement à la hausse dans le projet de budget du Gouvernement. Dont acte !

Vous ne voulez pas lancer la construction nécessaire de 200 000 logements ? Alors, attaquez-vous au moins aux causes ! Citons, parmi celles-ci, les insuffisances du marché du logement et les travers du secteur privé, qui, d'un côté, permet une spéculation à l'origine d'une explosion des prix du foncier et des constructions, et, de l'autre, laisse les loyers atteindre des niveaux de plus en plus inaccessibles par souci de rentabilité !

Tous ceux qui font le procès du logement social commettent une grave erreur, tant sociale que politique.

Prenons la région qui m'est la plus chère, l'Île-de-France : il n'est pas vrai de dire que les plus pauvres sont logés dans le parc social. La réalité, c'est que les plus pauvres vivent dans un parc privé, en partie insalubre, inadapté, et que beaucoup d'entre eux sont exploités par des marchands de sommeil. La réalité, c'est que la crise du logement vient bien du parc privé.

Permettez-moi d'expliquer pourquoi.

Les prix du foncier ont été multipliés par quatre depuis 2000 dans la région Île-de-France. Le prix des logements est 72 % plus élevé qu'en 2000, alors que le revenu disponible par ménage n'a progressé que de 4 %. En vingt-cinq ans, les loyers ont presque doublé dans l'agglomération parisienne.

La situation n'est pas toujours meilleure pour ceux qui sont propriétaires de leur logement, puisque 115 000 copropriétés sont dégradées. Les constructeurs comme les particuliers ont de plus en plus de mal à vendre, à cause de coûts exorbitants, notamment en matière de foncier.

Tout cela est un cercle vicieux : en achetant des logements plus chers, les propriétaires souhaitent ensuite les mettre en location et en répercutent le coût sur les loyers, qui, à force d'augmenter, deviennent inaccessibles.

L'encadrement des loyers a fait ses preuves. Actons sa pérennisation, alors que la fin de son expérimentation est prévue pour novembre 2026.

Monsieur le ministre, entendez-vous encourager la pérennisation de l'encadrement des loyers ?

Comptez-vous également mettre en œuvre un encadrement des prix du foncier, qui, lui aussi, fait ses preuves là où des villes s'en saisissent, notamment au travers de chartes des promoteurs ?

Enfin, allez-vous agir sur le parc privé, dont le dérèglement est à l'origine de la crise du logement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Pascal Savoldelli, j'ai effectivement le plaisir de vous croiser régulièrement dans ce beau département qu'est le Val-de-Marne.

Même si nous ne sommes pas toujours d'accord, il nous arrive de nous rejoindre sur l'essentiel. C'est notamment le cas lorsque vous rappelez le rôle fondamental du logement dans notre Constitution. Le logement est en effet un droit inaliénable et opposable ; et c'est une chance.

Je le répète : je suis un enfant du parc HLM et, pendant mes dix années de mandat de maire, ma principale préoccupation a été de créer un véritable parcours résidentiel dans ma commune, ce qui impliquait évidemment le soutien à la construction et au logement social.

Je regrette cependant que vous rejetiez le statut du bailleur privé, comme s'il fallait opposer propriétaires et locataires.

Comme l'indiquent Marc-Philippe Daubresse et son coauteur dans leur rapport, l'objectif n'est pas de permettre à de très riches investisseurs d'acquérir des dizaines de logements pour en tirer le maximum de profit. Au contraire, ce statut vise à inciter des familles plus modestes, qui ont un petit bas de laine, à arbitrer en faveur d'un investissement, qui soit rentable, dans la pierre plutôt que dans l'épargne en banque, de manière à loger un maximum de familles.

En effet, un quart des foyers français sont logés dans des biens qui appartiennent à de petits investisseurs. Dans le rapport, il était suggéré de plafonner le nombre de logements concernés par une défiscalisation. Selon moi, cela garantirait que la mesure s'adresse bien aux investisseurs familiaux de petite taille.

Vous avez évoqué les copropriétés dégradées. C'est un enjeu auquel nous devons nous attaquer. Ce sera probablement l'un des sujets clés de la mission de préfiguration qui a été lancée sur la troisième phase de rénovation urbaine, dite Anru 3.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, il faut conclure.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Enfin, j'aborde sans dogmatisme dans le débat sur l'encadrement des loyers.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, je suis désolée, vous ne pouvez pas dépasser votre temps de parole sur chaque question.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, tâchons d'interpréter fidèlement vos propos ; si je comprends bien, vous êtes disposé à pérenniser l'encadrement des loyers ; est-ce bien cela ? Vous devez me répondre les yeux dans les yeux, c'est oui ou non !

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Madame la présidente, ai-je le droit de répondre ?

M. Pascal Savoldelli. C'est une mesure attendue.

Par ailleurs, je vous ai posé trois autres questions auxquelles, même si votre temps de parole est limité, vous n'avez pas répondu.

Tout d'abord, j'espérais vous entendre dire que vous ne teniez pas à entrer en compétition avec l'un de vos prédécesseurs, qui revendique le record du nombre d'expulsions en France. Vous ne m'avez pas répondu, c'est votre choix.

Ensuite, je vous ai interrogé sur l'encadrement des prix du foncier, qui a été expérimenté par certaines communes, et pas que des communes de gauche ; là encore, pas de réponse.

Enfin, je vous ai demandé si vous alliez agir sur le parc privé, au regard de la démonstration que je venais de vous faire : pas de réponse non plus.

Vous l'avez dit vous-même, à juste titre, le logement est une bombe sociale, mais, au regard de votre action depuis votre prise de fonctions, il me semble que vous allumez la mèche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Toujours dans la nuance !

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement est une violence quotidienne. Elle frappe les ménages modestes, les classes moyennes, les jeunes, les familles monoparentales, les travailleurs pauvres, les retraités. Elle enferme, elle empêche, elle fracture.

Pendant que les besoins explosent, la production de logements sociaux diminue, la rénovation énergétique ralentit ; mais les prix, eux, s'envolent.

Face à cela, la politique du Gouvernement est – comment le dire poliment et sans colère ? – insuffisante ? indifférente ? Non, je la qualifierai d'absente !

Depuis 2017, la Macronie, souvent soutenue par la droite républicaine, a cassé les bailleurs sociaux, a changé de politique sur la rénovation thermique aussi souvent que de gouvernement et a laissé s'installer une spéculation débridée favorisant une fois de plus les plus riches au détriment des plus pauvres !

M. Daniel Salmon. Très bien !

Mme Antoinette Guhl. Alors, à la question posée aujourd'hui – « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? » – le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires répond clairement : tout d'abord, il faut remettre le logement social au cœur de l'action publique, c'est une urgence ; ensuite, il faut sortir de la spirale spéculative ; en outre, il faut garantir un réel droit au logement ; enfin, il nous faut prendre soin plus particulièrement de notre jeunesse et de notre planète.

Premièrement, disais-je, nous devons faire du logement social notre priorité. La réduction de loyer de solidarité doit cesser au plus vite, car, en privant les bailleurs sociaux de plus de 1 milliard d'euros par an, ce sont les plus pauvres que vous blessez. À ce titre, le budget 2026 s'annonce encore une fois catastrophique. Vous êtes en train d'assécher les bailleurs sociaux et, ce faisant, c'est toute la chaîne du logement qui s'effondre. Vous qui êtes les rois de l'économie, vous plantez tout un secteur économique, celui du bâtiment.

Deuxièmement, il faut sortir de la spirale spéculative. Au travers des niches fiscales et des locations touristiques, vous détournez les moyens publics : 11 milliards d'euros en douze ans pour trois niches fiscales – le dispositif Censi-Bouvard, les sociétés d'investissements immobiliers cotées (Siic) et les locations meublées non professionnelles (LMNP) –, dont vous faites cadeau aux plus riches alors qu'une telle somme aurait permis de construire au moins 70 000 logements sociaux ! Nous proposons de supprimer ces niches fiscales qui profitent aux 4 % de Français qui détiennent à eux seuls 50 % du parc locatif privé et de basculer les revenus des meublés touristiques vers le régime foncier, de plafonner la location touristique aux seuls propriétaires occupants et de rendre l'encadrement des loyers obligatoire dans toutes les zones tendues.

Troisièmement, il y a urgence à garantir un droit réel au logement. Cela passe, y compris dans les outre-mer, par l'interdiction des expulsions sans relogement, mais aussi par la mise en place d'une véritable garantie universelle des loyers sécurisant locataires et propriétaires, et par un permis de louer renforcé pour lutter contre l'habitat indigne.

Tout cela doit être fait en prêtant une attention particulière à notre jeunesse, comme l'ont rappelé Mmes Berthet et Artigalas. En effet, 70 % des moins de 25 ans logés hors du foyer parental se logent dans le parc privé ; or celui-ci coûte très cher, quand il n'est pas inaccessible dans certaines villes, d'autant que les petites surfaces coûtent encore plus cher au mètre carré. Le logement représente 60 % du budget des jeunes. Et je ne m'étendrai pas sur les offres de co-living à 900 euros par mois pour une chambre de 12 mètres carrés, défiant toute réglementation. Résultat : la jeunesse galère et se retrouve plus précarisée que jamais. Loger la jeunesse, c'est garantir l'avenir du pays. Monsieur le ministre, vous avez été nommé ; maintenant, nous comptons sur vous pour vous atteler à cette question.

Enfin, nous devons réussir la transition écologique. La rénovation énergétique des bâtiments doit être massive, complète et lisible. Nous refusons tout recul sur l'interdiction progressive des passoires thermiques.

Mes chers collègues du groupe Les Républicains, vous nous interrogez sur les réponses que nous voulons apporter à la crise du logement ; je crois vous avoir répondu. Permettez-moi, à présent, de vous présenter celles dont nous ne voulons pas. Nous ne voulons pas de rupture avec une conception républicaine du logement. Nous ne voulons pas faire du logement une récompense méritocratique réservée à quelques-uns. Nous ne voulons ni de recul sur le droit ni de marché sans règle. Nous ne voulons pas de jeunesse abandonnée et nous ne voulons pas de territoire oublié.

La crise du logement est une bombe sociale, réagissons vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice Guhl, j'ai bien entendu vos alertes sur la politique du logement. Sachez que le Gouvernement agit et continuera de le faire de manière déterminée et concrète. En effet, nous partageons votre souci de loger nos concitoyens, particulièrement les jeunes et les publics les plus vulnérables, cela va de soi.

Votre question est pour moi l'occasion de répondre à celle de Pascal Savoldelli sur l'encadrement des loyers. Comme je commençais de le dire, il faut aborder ce sujet sans dogmatisme et laisser le débat se tenir, y compris entre élus locaux.

Cette question a fait l'objet d'évolutions qui dépassent maintenant les clivages politiques classiques. Pour ma part, je suis un défenseur de la liberté, notamment celle, si chère au Sénat, des élus locaux à déterminer leur politique. Cependant, il n'est pas question non plus de faire preuve de dogmatisme sur ce point.

Enfin, je suis particulièrement soucieux de lutter farouchement contre les passoires thermiques. C'est un enjeu tant pour le pouvoir d'achat et le bien-vivre des familles, que pour la transition écologique. Je vous remercie donc de mener ce combat.

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est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».

Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux d'introduire ce débat ô combien important, proposé par le groupe socialiste du Sénat, alors que l'heure du bilan économique tant vanté du macronisme semble arrivée.

Dans un pays où les revenus du capital ont littéralement explosé, avec 100 milliards d'euros de distribution de dividendes et de rachats d'actions enregistrés au CAC40 l'an dernier – au passage, c'est un record historique et européen –, il est grand temps de revenir sur les réformes du capital menées depuis huit ans, quand, dans le même temps, la France a vu exploser le nombre de ses travailleurs pauvres, et de pauvres tout court. Près de 10 millions de personnes sont en effet touchées par la pauvreté dans notre pays, un record historique là aussi, inédit depuis l'après-guerre.

Concrètement, le mandat d'Emmanuel Macron a plongé 1,2 million de personnes dans la pauvreté. Mais avant d'entrer dans la politique nationale, il me semble important de prendre du recul et de faire preuve d'un peu de profondeur historique.

Depuis le milieu des années 1960, le niveau de taxation des revenus du capital et du travail a connu des évolutions contrastées. Le niveau moyen de taxation des revenus du capital est ainsi resté relativement stable, alors que le niveau d'imposition sur les revenus du travail a connu une forte augmentation.

Si l'on se concentre sur le cas français, on observe une forte hausse du taux de taxation sur les sociétés dans les années 1970 – de moins de 20 %, ce dernier est passé à près de 40 % en une décennie –, suivie d'une très forte hausse jusqu'au début des années 1990, puis une chute aboutissant à un niveau historiquement bas, à près de 15 % aujourd'hui.

Le taux de taxation sur les revenus des capitaux a connu des évolutions similaires entre les années 1970 et 1990, même s'il a eu tendance à augmenter depuis le début des années 1990.

Sur la même période, le taux de taxation sur les revenus du travail a augmenté de manière continue entre le milieu des années 1970 et aujourd'hui, tout en restant plus élevé que la moyenne des autres pays développés.

Ces différentes évolutions sont le résultat de changements structurels caractéristiques de l'ensemble des pays développés. Je pense, par exemple, à la mondialisation des échanges commerciaux, à l'adoption de nouvelles technologies ou encore à la déréglementation du marché du travail.

La libéralisation financière, synonyme à la fois de diversification des sources de financement pour les entreprises et d'intensification des transactions financières internationales, a pu contribuer également à réduire le taux moyen d'imposition sur les sociétés et sur les revenus du capital.

Ce mouvement s'est en effet traduit par la montée en puissance de divers investisseurs institutionnels, fonds d'investissement ou fonds de pension, dont le poids relatif varie selon les pays. À titre d'exemple, les fonds d'investissement se sont particulièrement développés en France dès les années 1980, quand les fonds de pension y sont demeurés quasi inexistants.

Or le taux de rentabilité des entreprises, dont dépend la rémunération des investisseurs, augmente avec la baisse du taux de taxation sur les sociétés.

L'effet baissier de la libéralisation financière sur le taux effectif de taxation des sociétés est particulièrement observable dans les pays d'Europe continentale – Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas – et d'Europe du Sud – Espagne, Italie –, dans lesquels la montée en puissance des investisseurs institutionnels a été très rapide. En réalité, la hausse du niveau de taxation sur les revenus du travail traduit simplement le fait que la fiscalité s'est davantage portée sur ces revenus, qui sont par définition moins mobiles.

La tendance à l'œuvre s'explique donc par la libéralisation financière. Elle a fait l'objet de maintes alertes. En 2007, déjà, dans un entretien au Financial Times, Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale américaine, observait lui aussi cette « caractéristique très étrange » du capitalisme contemporain : « La part des salaires dans le revenu national aux États-Unis et dans d'autres pays développés atteint, disait-il, un niveau exceptionnellement bas selon les normes historiques. »

De son côté, la Banque des règlements internationaux (BRI), qui regroupe les banquiers centraux de la planète, notait en juillet 2007 : « La part des profits est inhabituellement élevée et la part des salaires inhabituellement basse. L'amplitude de cette évolution et l'éventail des pays concernés n'ont pas de précédent dans les quarante-cinq dernières années » Le phénomène s'est encore accentué depuis lors.

Mais revenons en France, où les politiques de l'offre étaient censées faire ruisseler tous leurs dividendes sur les salaires de nos travailleurs. Il semblerait que cela n'ait pas été le cas, malgré les efforts répétés du Président de la République pour faire baisser, à grands frais, le niveau de taxation pesant sur les grands groupes.

Une étude de l'Insee publiée en septembre dernier a ainsi dressé le bilan de la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, qui a été ramené, rappelons-le, de 33 % en 2016 à 25 % en 2022. La première conséquence directe de cette baisse est la suivante : alors que le bénéfice fiscal des redevables de l'impôt sur les sociétés a augmenté très fortement – de 71 % – sur la période, pour atteindre près de 280 milliards d'euros en 2022, le montant de l'impôt sur les sociétés à acquitter avant réductions et crédits d'impôt a lui augmenté dans une bien moindre mesure – + 31 % –, pour atteindre 68 milliards d'euros.

Pis, les entités qui ont le plus bénéficié de cette baisse d'impôt massive lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron sont les plus grands groupes.

L'Insee nous apprend notamment que le taux implicite d'impôt sur les sociétés – ou rapport du montant d'impôt acquitté sur l'excédent net d'exploitation – des grandes entreprises s'est réduit de 5 points sur la période 2016-2022, pour atteindre seulement 14,3 %. C'est beaucoup plus que la réduction dont ont bénéficié les petites et moyennes entreprises (PME), dont le taux implicite d'impôt sur les sociétés « n'a reculé que de 1,7 point, pour s'établir à 21,4 % en 2022 ».

Jamais le capital n'aura été aussi gâté, et les chiffres que je viens de citer résument parfaitement les huit dernières années d'une politique de l'offre inefficace et coûteuse, au point d'avoir fait dérailler le déficit du pays à un niveau historique.

M. Vincent Delahaye. Cela n'a rien à voir !

M. Thierry Cozic. Il n'y a pas eu, toutefois, que des perdants dans cette histoire. Au cours des seize dernières années, certains ont vu leur fortune multipliée par six et le capital des cinq cents personnes les plus riches de France a explosé, quand les revenus de la classe moyenne ont quasiment stagné.

Cet accroissement de la richesse de quelques-uns n'est pas tombé du ciel, pas plus qu'il ne relève de la main invisible du marché ; il découle directement de décisions prises par des décideurs publics en chair et en os, l'édiction de règles fiscales favorables au capital ayant produit des effets très concrets.

C'est ainsi que, depuis que le président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a crû de plus de 114 %, quand les dividendes ont progressé de 46 %. De leur côté, les rachats d'action, qui ne sont, je le rappelle, que des opérations boursières spéculatives, ont bondi de 286 % ! Dans le même temps, le Smic brut a connu une augmentation de 19 % et le salaire moyen brut de 15 %.

Je rappelle aussi que le Gouvernement s'est toujours opposé à une augmentation minime du Smic, qui aurait pourtant permis un choc de demande et entraîné des gains de productivité pour notre pays.

Voici le choix économique qui a été fait depuis huit ans : mener une politique de l'offre qui le dispute souvent à la politique de l'offrande et qui permet d'accroître les marges des entreprises en visant un plein emploi dégradé, le tout au prix d'une baisse de productivité de l'économie, de la précarisation des travailleurs et de la destruction de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de cette invitation à débattre d'un sujet important : l'articulation entre la fiscalité du capital et celle du travail.

La question touche autant aux finances publiques qu'à la nature même de notre contrat social. Elle est certes d'ordre budgétaire, mais elle est aussi et avant tout, j'en suis convaincu, une question économique, sociale et politique.

Il y a aujourd'hui en France, me semble-t-il, deux grandes urgences. La première est une urgence sociale : trop de Français ont la perception que le travail ne paie pas ou ne paie plus. L'écart entre le salaire brut et le salaire net, l'insuffisante mobilité salariale ou le poids des dépenses contraintes – en particulier les dépenses de logement et de transport – rognent le pouvoir d'achat des actifs et minent le contrat social, qui repose sur la méritocratie et l'espoir de pouvoir vivre de son travail.

La seconde urgence est économique : nous vivons dans le monde entier une très grande accélération des investissements et, pour reprendre les termes du débat de ce jour, une très grande accélération de la mobilisation du capital.

En réprimant la consommation et en freinant les salaires, la Chine dégage un capital considérable, qu'elle met au service d'une ambition stratégique menaçant d'ailleurs la souveraineté européenne, ainsi que celle de nombreux autres pays. Elle parvient à avoir la mainmise sur de très nombreux secteurs industriels, y compris parmi les plus avancés technologiquement.

À cet égard, la Chine est très loin de ce qu'elle était dans les années 2000. Sa politique économique va bien au-delà de baisses d'impôts ciblées : elle consiste en de véritables subventions en faveur du capital, qu'elles soient explicites ou implicites.

Je ne m'attarderai pas davantage sur les États-Unis, qui mobilisent, pour investir notamment dans l'intelligence artificielle, des montants de capitaux considérables, qui surpassent infiniment ceux que l'Europe est en mesure de mobiliser.

Les deux questions – la capacité à mobiliser du capital, d'une part, la nécessité de faire en sorte que le travail paie, de l'autre – sont évidemment liées. Or le lien qui les unit s'appelle la croissance, un sujet dont nous parlons trop peu dans nos débats actuels. Nous vivons en effet dans une sorte de projet de loi de finances perpétuel, qui nous éloigne sans doute du cœur de la question économique, à savoir celle de la productivité et de l'emploi.

De fait, si nous avions le taux de productivité des États-Unis ou le taux d'emploi de l'Allemagne, nous n'aurions plus, en réalité, de problème de finances publiques : nous pourrions alors financer le modèle social que nous sommes ici, j'en suis convaincu, une grande majorité à vouloir défendre.

Dès lors, je tire de ce qui précède quatre conclusions pour la France.

La première est évidemment la nécessité de réduire la dépense publique, pour éviter une nouvelle explosion des prélèvements obligatoires.

En effet, si notre structure de prélèvements est globalement proche de celle des pays de la zone euro – nous pourrons entrer dans le détail de cette analyse –, pour la taxation, qu'il s'agisse de celle du capital ou de celle du travail, nous nous situons au sommet de la pyramide des pays européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous renvoie sur ce sujet à la très bonne étude de France Stratégie, réalisée par des économistes tout à fait indépendants.

Nous pourrions au moins nous mettre d'accord sur ce constat, dans la mesure où il émane d'économistes indépendants, qui ne sont pas suspects d'une quelconque appartenance politique.

La seconde conclusion est la nécessité d'éviter la notion fourre-tout de capital. Quand on parle de l'épargne des Français – l'autre façon, en réalité, de désigner le capital –, la question clef est en réalité celle de son usage. Malheureusement pour l'Europe, les autres pays, États-Unis et Chine en tête, l'ont très bien compris. Notre priorité doit être d'encourager la réindustrialisation, plutôt que la rente.

C'est précisément pour encourager la réindustrialisation que nous avons lancé, après les réformes de 2018 – nous y reviendrons sûrement longuement au cours du débat –, un mouvement de baisse des impôts de production, dont nous savons qu'ils pèsent de manière disproportionnée sur l'industrie et qu'ils distinguent considérablement la France de ses voisins européens, en particulier de l'Allemagne.

C'est la raison pour laquelle le texte initial du projet de loi de finances pour 2026 prévoit de poursuivre la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Lutter contre les rentes, c'est d'abord éviter l'optimisation fiscale abusive. Nous aurons l'occasion d'évoquer demain la question de la lutte contre le blanchiment, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de la sénatrice Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. David Amiel, ministre délégué. Nous aborderons également la question de la lutte contre la fraude lorsque nous examinerons la semaine prochaine dans cet hémicycle le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

L'optimisation fiscale, même légale, est une forme de rente dont bénéficient certains contribuables, qui, au fond, manipulent des dispositifs n'ayant pas été conçus pour cela.

C'est la raison pour laquelle le projet de loi de finances initial prévoit la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR).