Ce document nous enseigne notamment que les allègements de charges ont permis de créer massivement des emplois et que leur suppression – l'idée surgit parfois dans le débat public – entraînerait une remontée spectaculaire du taux de chômage.

Par ailleurs, on parle souvent des allègements de charges comme d'une dépense publique. Mais, en réalité, il s'agit d'une sorte d'artefact comptable : si le dispositif était présenté différemment, si l'on établissait un barème des taux de cotisation, on aurait simplement le sentiment que les taux sont plus faibles sur les bas salaires et plus élevés sur les hauts salaires.

Il y a donc là parfois une confusion dans le débat public, qui pose d'ailleurs la question d'une réforme systémique des allègements de charges. Certains, à gauche, réfléchissent à la pertinence de rendre ou non les cotisations salariales progressives. Il s'agit d'une piste intéressante, qui pose cependant des difficultés constitutionnelles. Il est important que ce débat ait lieu, du côté tant patronal que salarial.

Enfin, vous avez raison de dire, monsieur le sénateur, que la massification des allègements de charges au niveau du Smic a pu susciter des trappes à bas salaires. Ces allègements ont créé de nombreux emplois, dans un pays où le Smic était plus élevé qu'ailleurs, et c'est tant mieux, évidemment, pour le pouvoir d'achat des travailleurs.

Toutefois, il est difficile de sortir de ces niveaux de rémunération. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 prévoit donc, en effet, une mesure visant à réviser la courbe des allègements de charges et à lutter notamment contre ces effets d'enfermement.

Au-delà, la question doit être traitée, vous l'aurez compris, de manière systémique, dans le cadre d'une réflexion globale sur le pouvoir d'achat, sur la prime d'activité et sur le financement de notre protection sociale.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que vous proposez me permet d'aborder une question non pas nouvelle, mais très actuelle, et pourtant relativement absente des débats budgétaires : celle de la taxation des robots et des applications numériques, y compris l'intelligence artificielle (IA) générative.

Benoît Hamon, alors candidat à l'élection présidentielle, en parlait déjà en 2017. Il proposait de taxer la richesse créée par les robots dans les entreprises françaises, afin de financer notre modèle de protection sociale et de mettre en place sa proposition de revenu universel.

Au-delà du fait d'être favorable ou non au revenu universel, c'est bien la question d'une nouvelle recette dans un marché du travail bouleversé par l'automatisation qui me préoccupe.

Mes chers collègues, pourquoi un salarié paierait-il des cotisations sociales quand un robot qui le remplace n'en paie aucune ? Est-ce justifié, alors qu'un robot nécessitera lui aussi des soins, au travers de mises à jour au cours de son existence ?

Ainsi que le suggérait Michel-Édouard Leclerc en mai dernier, lors d'une interview sur BFM TV, « quand l'IA, quand les ChatGPT ou Mistral remplacent des avocats, des juristes, des professions libérales ou des journalistes, on pourrait imaginer que ces applis paient une part des charges sociales. »

À l'inverse, on peut aussi considérer qu'une nouvelle taxation de ce type pourrait freiner l'innovation source de croissance, selon les principes économiques défendus hier par Joseph Schumpeter et aujourd'hui par Philippe Aghion. Il s'agit ici non pas de freiner l'innovation, mais de répondre à une question d'éthique et de rapport au travail : quelle relation voulons-nous entre l'humanité et les objets technologiques que nous créons et qui, nous l'observons déjà, transformeront nos vies ?

Monsieur le ministre, que pensez-vous de la mise en place d'une telle taxe, dont l'assiette reste à définir ? Grâce à elle, nous pourrions préserver notre modèle social, voire augmenter les revenus du travail humain, sans pour autant nous exonérer d'une réforme de notre système de retraite. La réflexion sur ce sujet ne devrait-elle pas être envisagée par ailleurs à l'échelle européenne, afin de prévenir tout risque d'exil fiscal ?

Je précise que mon intervention est le fruit non pas d'une intelligence artificielle, mais d'un travail participatif mené avec un collaborateur en chair et en os. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, vous avez très bien posé les termes d'un débat qui fait rage également parmi les économistes : celui de l'impact sur l'emploi de l'intelligence artificielle et des transformations technologiques.

De la littérature scientifique, je comprends qu'aucun consensus ne se dégage au sujet de l'intelligence artificielle. En ce qui concerne les robots – ceux que l'on voit par exemple dans les usines –, en revanche, les travaux de Philippe Aghion notamment montrent que leur généralisation va de pair avec l'augmentation du nombre des emplois : les robots permettent en effet aux industries de rester compétitives, notamment par rapport aux pays dans lesquels le coût des salaires est faible.

Ce constat vaut par exemple pour l'Allemagne, dont le taux de robotisation des entreprises a été historiquement bien plus élevé que celui de la France et qui affiche néanmoins un taux d'emploi manufacturier bien supérieur au nôtre.

Il faut donc mener la réflexion que vous avez évoquée sur l'assiette du financement de la protection sociale, sans toutefois taxer trop lourdement le capital productif. C'est en effet ce dernier qui tire la productivité, l'innovation, à laquelle vous faisiez référence, ainsi que les salaires.

Je pense que nous devons nous intéresser plutôt aux rentes, au capital qui ne génère pas de croissance. C'est un travail fin, qu'il convient de mener au niveau européen.

L'Union européenne a ainsi mis en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) – cela constitue d'ailleurs une grande victoire pour la France. Il s'agit de taxer les importations polluantes en provenance de pays étrangers, ce qui permettra de dégager des ressources au niveau européen.

Se pose aussi évidemment la question de la fiscalité des géants du numérique. La France, qui a mis en place une taxe sur les Gafam, est en avance sur ce point. Il convient de mener une réflexion sur cette question à l'échelon européen.

Tels sont les grands débats qui se dessinent, mais il ne s'agit que d'éléments de prospective, car, pour en revenir à l'intelligence artificielle, nous n'assistons qu'à ses balbutiements. L'irruption de celle-ci nous obligera, à n'en pas douter, à refondre notre fiscalité, tout comme nous devrons également le faire d'ailleurs en raison de la transition écologique.

Nous n'avons pas fait cette distinction jusqu'ici, mais il est évident qu'il faut encourager le « capital vert » au détriment du « capital brun ». Voilà qui doit constituer une piste de réflexion pour ce qui concerne la refonte de la fiscalité du capital.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Depuis plusieurs années, le Gouvernement a choisi de baisser les impôts de production, c'est-à-dire de perdre des milliards d'euros de recettes, au nom d'un objectif affiché : améliorer la compétitivité, relancer l'investissement et favoriser l'emploi.

Toutefois, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L'Institut des politiques publiques (IPP) l'a confirmé dans une étude récente : on n'observe aucun effet mesurable de cette politique sur l'investissement, l'emploi ou les exportations. Autrement dit, des milliards d'euros ont été dépensés pour un impact économique imperceptible !

Pourtant, malgré ce constat, le Gouvernement poursuit dans la même voie. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit ainsi que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) continuera d'être réduite – sans doute pour améliorer la santé de nos finances publiques (Sourires sur les travées du groupe SER. – M. Olivier Rietmann s'exclame.–, pour un coût de 1,1 milliard d'euros supplémentaires dès l'an prochain, avant d'être supprimée totalement d'ici à 2028.

Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'une politique publique est efficace lorsqu'aucun résultat n'est observé. À l'évidence, le Gouvernement confond politique économique et politique du chèque en blanc. Au final, ce sont non pas les Françaises et les Français qui y gagnent, mais seulement quelques actionnaires du CAC40.

Monsieur le ministre, croyez-vous encore sincèrement à la théorie du ruissellement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Je crois effectivement à la politique de l'offre. J'estime que renforcer l'appareil productif français devrait être une priorité, d'ailleurs transpartisane : lorsque l'on examine ce qui s'est passé dans les pays scandinaves après la crise des années 1990, ou dans d'autres pays européens, on constate que ceux-ci ont obtenu des résultats précisément parce que des politiques en faveur de l'offre y ont été menées, et par différentes majorités.

À cet égard, permettez-moi de vous rappeler que les premiers éléments d'une politique de l'offre ont été mis en place, en réalité, sous le quinquennat de François Hollande.

M. David Amiel, ministre délégué. Le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité française date, si ma mémoire est bonne, du début de son mandat. De même, une baisse de la fiscalité sur le travail a été engagée à l'époque, sous la forme d'un crédit d'impôt, tout comme l'a été la réforme du droit du travail, par le biais de la loi El Khomri. (Mmes Frédérique Espagnac et Annie Le Houerou protestent.)

Il est bon d'avoir collectivement un peu de mémoire. Ces politiques ont fait suite au choc terrible que nous avons connu en 2008-2010, qui nous a imposé de redresser la compétitivité de l'économie française sur plusieurs années. Ces politiques de l'offre ont ensuite été poursuivies lors du premier et du second mandat d'Emmanuel Macron.

Madame la sénatrice, vous avez évoqué des études de l'Institut des politiques publiques, mais encore faut-il les citer intégralement, car celles-ci, tout comme, plus généralement, les travaux qui ont été menés sous l'égide de France Stratégie, montrent deux choses très intéressantes.

Tout d'abord, elles mettent en évidence que les réformes de la fiscalité du capital ne se sont pas accompagnées de coupes budgétaires : l'effet d'assiette – cette dernière a augmenté – a compensé l'effet de taux – celui-ci a baissé. (M. Thomas Dossus s'exclame.)

Ensuite, ces études ont souligné, en le mesurant, l'effet sur la création d'entreprises. Nous savons à quel point cet élément est important.

Enfin, il faut examiner aussi les indicateurs macroéconomiques. Ainsi, pour la cinquième année consécutive, notre pays est le plus attractif d'Europe, en dépit du contexte que nous connaissons. Le taux de chômage est historiquement bas.

M. Thierry Cozic. Il remonte !

M. David Amiel, ministre délégué. Et il a fallu remonter la pente après la crise des années 2008-2010.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, selon Eurostat, le taux de chômage en France est remonté, en juillet 2025, à 7,6 %, alors qu'il était de 7,4 % un an plus tôt. Dans le même temps, pourtant, il a continué de baisser dans la zone euro.

Si la baisse des impôts de production constituait vraiment ce levier miracle de la compétitivité et de l'emploi que vous évoquez, monsieur le ministre, expliquez-nous pourquoi la France ne suit pas cette tendance européenne. Quand le chômage remonte, que les inégalités se creusent et que l'État se prive encore de recettes, il me semble que l'on doit parler non plus de compétitivité, mais d'aveuglement budgétaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ». Tel est le thème de notre débat. Or, monsieur le ministre, j'avoue que j'ai eu du mal à comprendre quelle était votre perception des déséquilibres.

Depuis 2017, les revenus financiers ont progressé deux fois plus vite que le PIB et trois fois plus vite que les salaires. Ce n'est pas un bilan terrible ! En 2025, les dividendes atteignent un record absolu : ils se sont élevés à plus de 30 milliards d'euros au deuxième trimestre. Autrement dit, les revenus du capital s'envolent, pendant que ceux du travail piétinent. Cela fait tout de même réfléchir.

La fiscalité, qui devrait corriger ces déséquilibres, a cessé de jouer son rôle d'amortisseur. Elle a été transformée, depuis 2018, en instrument de reproduction des inégalités. L'instauration de la flat tax a creusé l'écart entre celles et ceux qui vivent de leur travail et ceux qui vivent de leur patrimoine, dans la mesure où le taux marginal d'imposition est de 30 % pour les revenus financiers, contre 45 % pour les revenus du travail.

Il s'agit donc non plus de savoir si cette dynamique existe, mais de connaître la stratégie que l'État adopte. Profitons de cette occasion, monsieur le ministre, pour débattre projet contre projet. Deux lignes s'affrontent, en effet.

Les partisans de la première ligne, que vous avez défendue – cela se respecte – présentent la protection des grandes fortunes comme un signe d'attractivité, alors qu'une partie de ces dernières est le fruit du non-travail. (M. le ministre délégué sourit.) Vous pouvez sourire, monsieur le ministre, mais c'est la vérité : l'argent amassé ne provient pas du travail !

Les partisans de la seconde option en appellent à l'État pour rétablir la progressivité de l'impôt et protéger les revenus du travail.

Pourriez-vous nous préciser votre vision des choses ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, il faut prendre un peu de recul sur la situation française. En vous écoutant, j'avais l'impression que vous décriviez la situation des États-Unis, ou de certains pays anglo-saxons, où les inégalités de revenus ont explosé.

Mme Émilienne Poumirol. C'est le cas en France aussi !

M. Thierry Cozic. De 15 % !

M. David Amiel, ministre délégué. Non, la France ne se trouve pas du tout dans la même situation. Quand on examine le partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail – puisque c'est le sujet qui nous intéresse aujourd'hui –, sur cinquante ans, on constate qu'il n'a presque pas bougé. Notre situation est très différente de celle qui prévaut aux États-Unis, où, pour le coup, les grandes fortunes et le capital se sont taillé la part du lion depuis les années 1970-1980.

Pourquoi n'est-ce pas le cas en France ? Parce que nous avons un système fiscal très redistributif. L'écart entre les plus riches et les plus pauvres est massivement réduit par notre système de prélèvements, et il est heureux qu'il en soit ainsi.

Nous rencontrons, en France, deux difficultés.

D'une part, les plus importantes des grandes fortunes parviennent à optimiser leur impôt grâce à la constitution de holdings patrimoniales, ce qui leur permet de se soustraire au taux ordinaire d'imposition qui devrait leur être appliqué.

Pourquoi peuvent-elles le faire ? Parce que nos règles, notamment européennes – je pense, par exemple, à la directive mère-fille –, nous empêchent de taxer les holdings de la même manière que le font les Américains. C'est pourquoi nous proposons, dans le projet de loi de finances, de taxer directement ces holdings pour contourner cette difficulté juridique et répondre à cette injustice.

D'autre part, le cœur du malheur français et de l'injustice sociale, c'est l'absence de mobilité sociale. Cela nous renvoie à un débat plus vaste, et nous avons, en effet, une profonde différence d'approche politique sur ce point.

La tragédie française, c'est qu'il faut six générations à un enfant né dans une classe populaire pour rejoindre les classes moyennes – autant dire une éternité ! L'évocation de ce chiffre en devient presque ridicule : cela voudrait dire qu'il faudrait, pour rejoindre les classes moyennes de nos jours, avoir commencé son ascension sociale au début du XIXe siècle…

Le malheur français, c'était aussi le chômage de masse, qui frappait les classes populaires. En effet, ses premières victimes étaient les enfants non pas des cadres et de la bourgeoisie, mais des ouvriers et des employés. Voilà pourquoi une politique économique de création d'emplois est indispensable aussi pour contribuer à la justice sociale.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. En vous écoutant, monsieur le ministre, j'ai cru que j'étais aux États-Unis, même si je ne sais pas si vos propos étaient ceux d'un candidat républicain ou d'un candidat démocrate !

Selon vous, il n'y a pas eu d'accroissement du déséquilibre entre le capital et le travail depuis 2017. Mais l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été supprimé, la flat tax instaurée, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) effacée, l'impôt sur les sociétés réduit... Tout cela serait donc sans conséquence ? La charge fiscale a été déplacée du capital vers le travail. Finalement, le montant de l'addition pour les salariés s'élève à 62 milliards d'euros !

M. Thierry Cozic. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour ce débat.

Ma question portera également sur l'égalité devant l'impôt. Depuis cinquante ou soixante ans, on assiste, au niveau mondial, à un transfert dans les systèmes fiscaux : la taxation des revenus du capital a baissé de 5 points, tandis que celle des revenus du travail a augmenté de 10 points.

En France, l'Institut des politiques publiques a mis en lumière, voilà deux ans, l'inégalité devant l'impôt, en montrant, dans une étude fameuse, que 99 % des contribuables paient environ 50 % des contributions publiques – tous impôts, taxes et prélèvements obligatoires compris –, quand les 1 % les plus riches n'en paient que 27 %, grâce aux systèmes d'évitement de l'impôt que vous avez évoqués. L'article 3 du projet de loi de finances, que nous allons étudier dans quelques semaines, a d'ailleurs pour objet les holdings.

À gauche, nous privilégions plutôt la création d'un impôt plancher sur la fortune, la fameuse taxe Zucman. Celle-ci a suscité de nombreux débats. On nous a opposé l'argument selon lequel elle entraînerait un exil fiscal des contribuables les plus fortunés, qui pourraient partir si jamais on menaçait de les taxer à hauteur de 2 % de leur capital.

Or, cet été, le Conseil d'analyse économique (CAE) a publié une étude, intitulée Fiscalité du capital : quels sont les effets de l'exil fiscal sur l'économie ?, dans laquelle il écrit que l'exil fiscal en cas de hausse de la fiscalité sur les hauts patrimoines serait « relativement modeste et avec un effet marginal sur l'économie française, même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l'activité économique et entrepreneuriale ».

Rappelons comment Tocqueville décrivait l'impôt sous l'Ancien Régime : « Du moment que l'impôt avait pour objet, non d'atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s'en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l'épargner au riche et d'en charger le pauvre. »

Ma question est donc la suivante : sommes-nous revenus à l'Ancien Régime ? Existe-t-il un niveau d'accumulation du capital à partir duquel il est autorisé de payer moins d'impôts que le reste de la population, au motif que l'on menacerait de quitter le pays ? (Mme Émilienne Poumirol et M. Patrick Kanner applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, vous avez cité, et vous avez eu raison, les travaux du Conseil d'analyse économique.

En revanche, je vous invite à lire aussi les propos de son président, Xavier Jaravel, sur la taxe Zucman. Dans une tribune, cosignée notamment par Philippe Aghion, prix Nobel d'économie, il estime que les effets comportementaux engendrés par l'instauration de cette taxe, telle qu'elle est proposée par Gabriel Zucman, seraient tels que le rendement espéré de ladite taxe serait divisé par quatre.

Son produit serait donc très inférieur à ce que vous dites. (M. Thomas Dossus proteste.) Cela signifie que les trois quarts de l'effet espéré s'évaporeraient. Telle est la réalité, et cela avant même d'entrer dans l'analyse de l'impact économique que cette taxe pourrait avoir par ailleurs. En tout cas, si l'on cite les travaux du Conseil d'analyse économique, il est important de les citer jusqu'au bout.

Sans doute pouvons-nous nous accorder sur un diagnostic, celui du problème de la taxation des 0,01 % les riches. Mais en ce qui concerne la manière de le traiter, il importe de tirer les leçons du passé.

L'un des grands débats qui animent la scène publique actuellement concerne l'intégration des biens professionnels dans l'assiette fiscale. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de discuter de ce point au sein de cet hémicycle, il y a quelques jours.

Je vous invite à tirer les leçons de l'expérience. Quand l'impôt sur les grandes fortunes a été imaginé, en 1981, il devait, dans sa version initiale, intégrer l'actif professionnel.

Or ce fut une telle catastrophe économique que le gouvernement de Pierre Mauroy a dû suspendre l'application du dispositif à l'automne 1982, avant même qu'il n'entre en vigueur. Nous ne pouvons pourtant pas suspecter ce gouvernement de complaisance à l'égard de la droite – c'était bien avant le tournant de 1983-1984.

De même, l'économie était alors bien moins mondialisée que la nôtre. Rappelons que l'Acte unique européen n'est entré en vigueur que quelques années plus tard. Pourtant, telle est la décision pragmatique qui a été prise à l'époque. Il est important, quarante-cinq ans après, de se souvenir de cette expérience.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fiscalité acceptée est une fiscalité équitable. Tel est l'équilibre que nous devons viser. Il s'agit non pas seulement de chiffres, mais aussi de la manière dont nous valorisons le travail, le capital et la solidarité pour tous.

À ce sujet, selon une enquête de la Fondation Jean-Jaurès, 33 % des Français ne sont pas du tout d'accord et 32 % plutôt pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle le système fiscal français est juste.

La France fait partie des États qui taxent moins le capital que le travail. Ces chiffres montrent à quel point notre système fiscal mérite d'être repensé. Concrètement, cela signifie que nous devons veiller à ce que le travail ne soit pas surtaxé, à ce que le capital contribue de manière juste à l'effort collectif et à ce que chacun perçoive l'impôt comme un outil de solidarité et non comme une sanction.

Je le dis avec d'autant plus de conviction que, comme épouse d'artisan, j'ai été particulièrement sensibilisée à la situation de celles et ceux qui, comme les artisans, les commerçants ou les petits entrepreneurs, font vivre nos territoires.

Ces professions représentent près de 1,8 million d'actifs, qui représentent environ 6,7 % de l'emploi total selon l'Insee. Elles effectuent un travail concret, souvent exigeant. Pourtant, elles se heurtent à une fiscalité qui est parfois perçue comme déconnectée de leur réalité quotidienne. Si l'on veut restaurer la confiance dans l'impôt, il faut reconnaître la contribution du travail indépendant.

Nous devons aussi penser à l'avenir. Notre pays vieillit ; les actifs seront demain moins nombreux, tandis que les besoins de financement – pour les retraites, la santé, la dépendance – vont croître. Comment le Gouvernement compte-t-il adapter la fiscalité du travail et du capital à cette nouvelle donne démographique, afin de garantir à la fois la justice entre les générations et la soutenabilité des politiques publiques ?

Par ailleurs, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour mieux accompagner les artisans, les commerçants et les indépendants, dont l'activité est essentielle, singulièrement dans la ruralité, mais qui se heurtent souvent à une fiscalité trop complexe et trop lourde, ainsi qu'à de nombreux obstacles lorsqu'il s'agit d'investir, de se former ou de transmettre leur savoir-faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Vous avez abordé, madame la sénatrice, de nombreuses dimensions de la fiscalité. Il s'agit de sujets très importants.

Je commencerai par répondre à la question relative à la fiscalité sur les petites entreprises. Il était très important pour le Gouvernement que, dans un contexte où un effort général est attendu de tous, l'effort demandé aux entreprises se concentre sur les plus grandes d'entre elles. En effet, vous avez raison, nombre de PME, d'artisans, de commerçants, ou d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont souvent confrontées à la dureté de la concurrence internationale, traversent un moment difficile.

Je n'énumérerai pas l'ensemble des secteurs en difficulté, mais je songe évidemment au secteur du commerce, en raison du bouleversement provoqué par le développement du commerce en ligne, ou à l'industrie, qui subit la vague chinoise, comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire.

C'est la raison pour laquelle la surtaxe de l'impôt sur les sociétés visera uniquement les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros, avec des seuils d'imposition fixés à plus de 1 milliard d'euros et à plus de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

C'est aussi la raison pour laquelle, à l'inverse, des baisses d'impôts sont prévues. Je songe en particulier à la baisse de la CVAE, qui bénéficiera aux PME et aux ETI.

Un autre sujet important que vous avez évoqué est celui de la simplification. En effet, l'opacité de notre système mine le consentement à l'impôt.

Notre système fiscal est ainsi construit que les taux d'imposition faciaux sont élevés, mais qu'il existe parallèlement un grand nombre de niches ou de crédits d'impôt pour les contourner. Ce système permet à certains de se livrer à des manœuvres d'optimisation fiscale – nous en avons parlé abondamment –, mais il s'accompagne aussi d'une grande opacité, de beaucoup de difficultés et de nombreux traitements administratifs.

Une bonne réforme fiscale consisterait à réduire le nombre de niches, quitte à baisser les taux des différents impôts. On obtiendrait ainsi davantage de transparence et d'égalité.

Enfin, il est important de continuer à accompagner les entreprises. Nous avons commencé par l'instauration du droit à l'erreur, mais, de manière plus générale, nous devons encore procéder à un mouvement de simplification considérable.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on entend souvent dire que, en France, les prélèvements pèseraient trop sur le travail et pas assez sur le capital, et qu'il conviendrait de rééquilibrer la situation.

Or ce constat est erroné. D'après l'OCDE, la France reste, en dépit des réformes Macron sur la fiscalité du capital de 2018, l'un des pays où la taxation de ce dernier est la plus élevée. Lorsque l'on tient compte de la superposition des impôts touchant son stock, son rendement et ses différentes mutations, on constate que le capital est non pas sous-taxé, mais au contraire surtaxé.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Le projet de loi de finances pour 2026, s'il est adopté, n'améliorera ni notre situation ni notre rang. Il majore, dans certains cas, le taux d'impôt sur les sociétés jusqu'à pratiquement 34 %, soit 13 points de plus que ce qui est pratiqué en moyenne dans les pays de l'OCDE.

Par le biais de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, le taux d'imposition des revenus des capitaux mobiliers sera propulsé à 37,2 %, soit presque le double du taux pratiqué par l'Espagne socialiste, qui s'élève à 19 %. Ces deux mesures combinées reviennent à taxer un même capital à un taux proche de 60 %.

Voilà qui est suicidaire ! En effet, la surtaxation du capital dissuade la formation de capitaux nouveaux. Moins de capital rime avec une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou avec un chômage plus élevé si les salaires réels sont rigides.

On le voit, opposer travail et capital n'a économiquement aucun sens. L'épargne et l'investissement ont des retombées positives qui profitent à tous. Les pays qui traitent mieux le capital que nous, c'est-à-dire à peu près tous les pays de la planète, à commencer par nos voisins, l'ont bien compris, hélas à nos dépens.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : votre gouvernement va-t-il rayer d'un trait de plume les réformes de 2018 au nom de la stabilité, mais au détriment de notre prospérité ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, il ne vous aura pas échappé que le texte proposé par le Gouvernement ne prévoit rien de tout cela ! Il envisage plutôt la poursuite de la baisse des impôts de production.

En ce qui concerne la surtaxe à l'impôt sur les sociétés, les chiffres que vous citez auraient pu être encore plus élevés si vous aviez repris le taux, encore supérieur, que le gouvernement de Michel Barnier prévoyait d'instaurer l'année dernière.

Si la mise en œuvre de cette surtaxe peut se comprendre dans le contexte particulier, à la fois politique et budgétaire, que nous connaissons, celle-ci doit rester temporaire. En effet, il ne faut pas oublier le contexte international dans lequel nous nous trouvons.

J'ai d'ailleurs commencé mon propos liminaire en le rappelant. Nos entreprises industrielles sont confrontées à une concurrence féroce dans les domaines de la sidérurgie, de l'automobile et de la chimie, ainsi que dans bien d'autres secteurs, où elles subissent l'arrivée d'une vague d'importations de produits industriels asiatiques, en particulier chinois, qui déstabilise très profondément notre tissu industriel.

Lorsque nous discutons avec des industriels, qui ne sont en aucun cas des militants politiques, ils nous font simplement part de la réalité du terrain. Or rares sont ceux qui nous demandent d'augmenter les charges et les impôts... Ils nous demandent plutôt le contraire, parce qu'ils n'arrivent plus à dégager les marges nécessaires pour investir et lutter contre la concurrence internationale.

Je suis toujours très frappé de notre capacité à débattre successivement des sujets, comme s'il n'y avait aucun lien entre eux. Si notre débat de ce soir s'intitulait « Réindustrialisation et investissement productif », et non pas « Fiscalité du travail et fiscalité du capital : quels équilibres ? », je ne doute pas que notre discussion serait complètement différente. Nous parlerions tous de la concurrence déloyale de certains pays, des problèmes de compétitivité, etc. Et nous serions tous d'accord pour dire qu'il faut mettre le paquet sur l'industrie.

Mettons en cohérence nos discours, sans quoi ce sont les industriels et les entreprises, donc les ouvriers qu'ils emploient, qui paieront l'addition.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos PME affrontent aujourd'hui de nombreux défis et subissent une instabilité politique préoccupante. L'imprévisibilité fiscale étouffe la confiance et freine l'investissement. Ces entreprises sont pourtant le socle de l'économie réelle, enracinée dans les territoires, souvent dans l'industrie, cœur battant de notre souveraineté économique.

La part de l'industrie dans la richesse nationale n'est plus que de 14 %, contre près du double il y a trente ans. Ce déclin tient moins à des fermetures spectaculaires d'usines qu'à un mal plus insidieux : le découragement des entrepreneurs et la peur d'investir faute de visibilité.

La fiscalité française demeure l'une des plus lourdes d'Europe, en particulier pour les PME. La suppression progressive de la CVAE constitue une avancée, mais elle doit s'inscrire dans une trajectoire claire et respectée, sans compensation par d'autres prélèvements. Nos chefs d'entreprise attendent non pas des faveurs, mais un cadre fiscal stable et lisible, qui récompense le travail et l'investissement.

La transmission des entreprises constitue également un enjeu majeur. Dans mon département de la Mayenne, de nombreuses PME familiales, patrimoniales, n'ont pas de successeur identifié, et les contraintes fiscales freinent les reprises. Préserver la transmission, c'est préserver des emplois, des savoir-faire et la vitalité de nos territoires.

Certains invoquent la justice fiscale pour taxer toujours davantage, mais la véritable justice, la seule qui soit durable, est de récompenser ceux qui entreprennent et de mieux valoriser le travail d'une façon générale ! Car sans création de richesses, il n'y a pas de solidarité possible.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous garantir la stabilité de notre cadre fiscal, encourager ce capitalisme familial qui fait la force de nos territoires et préserver la transmission des entreprises, plutôt que de les menacer avec de nouveaux alourdissements de la fiscalité des successions ?

Enfin, pouvez-vous éclaircir la position du Gouvernement concernant le pacte Dutreil, si précieux pour les chefs d'entreprise ? (MM. Olivier Rietmann et Emmanuel Capus applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l'importance du pacte Dutreil. Nous parlions à l'instant de la concurrence internationale. Celle-ci concerne évidemment les exportations – ou les importations, selon le point de vue français –, mais elle a aussi pour enjeu la préservation de notre tissu industriel, que nous devons protéger face aux prédations étrangères.

Le pacte Dutreil a été initialement conçu dans cette perspective. Il s'agissait d'éviter que l'application de droits de succession très élevés n'empêche la transmission d'une entreprise familiale aux descendants et n'aboutisse à livrer cette société à l'appétit des fonds d'investissement. À l'époque, d'ailleurs, on pensait beaucoup aux fonds de pension américains, mais sans doute, demain, s'agira-t-il plutôt de fonds issus du Moyen-Orient ou d'Extrême-Orient.

C'est la raison pour laquelle il est vital de préserver le pacte Dutreil, particulièrement dans les années qui viennent, alors que se profile une vague importante de transmissions d'entreprises, notamment d'entreprises de taille intermédiaire.

Certains proposent de réserver le pacte Dutreil aux petites entreprises. C'est absurde, parce que ce sont précisément les ETI qui sont la cible des manœuvres de prédation ! C'est la raison pour laquelle, j'y insiste, il faut préserver le pacte Dutreil.

Au cours de nos débats, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, nous aurons l'occasion d'apprécier s'il convient d'ajuster tel ou tel paramètre du dispositif, mais le cœur de notre politique doit être de préserver le pacte Dutreil. Celui-ci constitue, comme vous l'avez souligné, un instrument indispensable pour faciliter la transmission des entreprises, mais aussi pour préserver notre souveraineté économique et conserver la maîtrise de nos emplois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2023, l'OCDE calculait que, dans la quasi-totalité des pays, les revenus du capital étaient moins taxés que les revenus du travail. En France, la taxation sur les revenus du travail est supérieure de 14 points à celle qui est applicable aux dividendes. La question de la justice fiscale dans notre pays se pose quotidiennement avec prégnance.

Notre système fiscal repose actuellement sur la taxation des plus-values réalisées, c'est-à-dire celles qui résultent d'une cession d'actifs. Cependant, dans un contexte où les patrimoines financiers et immobiliers voient leur valorisation progresser de manière constante, les plus-values dites latentes, c'est-à-dire les gains non encore réalisés, mais constatables sur les actifs détenus, représentent une richesse réelle, qui alimente les inégalités patrimoniales croissantes.

Dans plusieurs pays, comme les États-Unis, à l'occasion de certains débats récents, il a été envisagé de mettre en œuvre une forme de taxation partielle de ces plus-values latentes, notamment pour les contribuables les plus aisés. Parfois, des expérimentations ont même été menées.

Aussi, monsieur le ministre, afin de renforcer l'équité de notre système fiscal, tout en assurant la soutenabilité budgétaire de nos politiques publiques, seriez-vous favorable à l'ouverture d'une réflexion, voire d'une expérimentation, concernant la création d'un dispositif de taxation des plus-values latentes applicable aux très hauts patrimoines ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice, je commencerai par répondre sur le constat. Lorsque l'on fait des comparaisons internationales, on observe que la France taxe davantage le travail et le capital que ses voisins européens.

De même, la France a à peu près la même structure de prélèvements obligatoires que ses voisins européens, à une exception près : on taxe davantage le stock de capital. Les pays scandinaves eux-mêmes ont aboli les impôts sur la fortune et les dispositifs similaires… Ces précisions me semblent importantes pour fixer le cadre de notre débat.

Ensuite, concernant votre question, la taxation des plus-values latentes implique de reconstituer toute l'histoire d'un bien au cours de trente, quarante ou cinquante ans... Ainsi, un appartement acheté dans les années 1970 ou 1980 se verrait taxé aujourd'hui sur la plus-value au moment de la succession, après le décès de son propriétaire. Je vous le dis comme je le pense, cela me paraît fou sur le fond et flou techniquement !

La question que vous posez sur la taxation des très hauts patrimoines doit plutôt être abordée sous l'angle du contournement de l'impôt, me semble-t-il. D'ailleurs, nous en avons parlé pour ce qui est de la contribution différentielle sur les hauts revenus et sur la question des holdings.

Il y a d'autres sujets qui, je n'en doute pas, seront évoqués lors de votre débat budgétaire et qui portent sur les différents dispositifs permettant aux très grandes fortunes, parce qu'elles les utilisent massivement, de contourner les impôts de droit commun. À mon sens, c'est la meilleure façon de procéder. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si, à ma connaissance, ce que vous proposez n'a été fait dans aucun autre pays. (Mme Frédérique Espagnac proteste.)

Il faut réussir à s'assurer que les impôts qui sont prévus sont effectivement payés et, quand ils ne le sont pas, corriger les dispositifs qui permettent d'y échapper, sauf, évidemment, quand ceux-ci sont très précisément justifiés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. Si, monsieur le ministre, cela a été fait ou expérimenté, y compris aux États-Unis. (M. le ministre délégué proteste.)

Le constat est sans appel : 79 % des Français réclament plus de justice fiscale. Ce budget 2026 était l'occasion de donner un cap pour plus de justice fiscale, sociale et environnementale, en dégageant de nouvelles recettes. C'est ce que je propose à l'instant.

On estime que les plus-values latentes des 10 % les plus riches représentent environ 1 300 milliards à 1 500 milliards d'euros. Il s'agit non pas de prendre le capital, mais de le taxer chaque année à 1 % ou à 2 %, ce qui apporterait aujourd'hui 30 milliards d'euros au budget de l'État. Je vous laisse donc y réfléchir, dans cette période où nous recherchons des ressources pour les Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, en écoutant ce débat, il me semble que nous avons rétabli pendant un instant dans cet hémicycle les distinctions entre la droite et la gauche, qui, parfois, n'étaient plus très claires.

M. Thomas Dossus. C'est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Ce soir, au moins, c'est clair : le capital, le travail … Cela nous rappelle les discours des ténors d'antan !

Pour ma part, je vais vous parler de succession. L'héritage est-il « ce truc qui vous tombe du ciel », comme l'a affirmé la présidente de l'Assemblée nationale ? Je ne le crois pas. Le travail serait surtaxé, ce qui est vrai, tandis que le capital serait sous-taxé, ce qui est faux.

C'est faux concernant les droits de succession et de donation, puisque seules la Corée du Sud et la Belgique en ont de plus élevés que la France.

C'est faux, surtout, pour ce qui concerne la fiscalité des transmissions en ligne collatérale ou entre non-parents. S'il s'explique par une augmentation des flux, le dynamisme de l'impôt sur l'héritage s'explique aussi par l'application de taux quasi confiscatoires pour les successions et donations en ligne collatérale.

Combiné à des abattements ridicules, un taux unique de 55 % s'applique aux neveux et nièces ; il est porté à 60 % pour les non-parents. Par exemple, une somme de 20 000 euros reçue d'un oncle ou d'une tante sera taxée à 33 %, taux qui s'applique en ligne directe pour une transmission de 2 millions d'euros.

Ma question, monsieur le ministre, est donc la suivante : dans un contexte sociologique et familial profondément transformé, ne faut-il pas éradiquer du système fiscal ces discriminations à l'égard de la parentèle la plus éloignée ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice, je trouve légitime de mener une réflexion sur l'adaptation de la fiscalité sur les successions et sur les donations aux évolutions des familles.

Quand j'étais parlementaire, j'avais défendu un amendement visant à permettre précisément de relever les abattements pour les beaux-enfants. Il y a aujourd'hui beaucoup de familles recomposées. Des beaux-pères ou des belles-mères sont en réalité comme des parents pour les beaux-enfants dont ils se sont occupés souvent toute leur vie. Or ils se voient appliquer au moment de la succession des abattements ridicules.

En effet – pardonnez-moi, je n'ai pas en tête le chiffre exact –, cet abattement est de l'ordre de 5 000 euros à peu près, alors que, ne serait-ce que pour un frère ou une sœur, il est déjà de 15 000 euros. Cela fait donc effectivement partie des modernisations importantes qui sont attendues, et il faut que nous ayons une réflexion sur ce sujet.

Il existe ensuite un débat plus général sur la question de la fiscalité des successions. On constate que, désormais, dans la part du patrimoine, le patrimoine hérité est supérieur au patrimoine acquis par une vie de travail. Une des explications tient au contexte économique dans lequel nous sommes : c'est le reflet d'une croissance qui est faible, avec des salaires nets qui sont trop faibles, nous en avons beaucoup parlé.

C'est aussi le reflet des prix de l'immobilier, qui ont énormément augmenté. En effet, quand on parle du patrimoine, c'est bien souvent du patrimoine immobilier qu'il s'agit pour l'immense majorité des Français, car c'est là que leur épargne est investie.

Ce constat doit donc nous amener, si nous avons des marges de manœuvre budgétaires, à concentrer les baisses d'impôt sur le travail. Le fait de ne plus pouvoir acquérir un logement sans être aidé par ses parents est tout de même un affront terrible à la méritocratie. Or, malheureusement, c'est le cas dans des endroits de plus en plus nombreux du pays.

Tous nos efforts doivent donc être consacrés à revaloriser le travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il faut aussi considérer les successions en matière agricole, qui posent un certain nombre de problèmes très sérieux pour les reprises d'exploitation. C'est un sujet sur lequel il faut travailler sereinement, dans la durée.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, monsieur le ministre, je rejoins à mon tour le bal… (Sourires.)

Dans ce débat sur la fiscalité du travail et du capital, je voudrais partir d'un élément souvent négligé : le patrimoine, qui constitue le socle du capital et le fruit, dans bien des cas, du travail et de la transmission.

La fiscalité française sur le capital est à la fois lourde et profondément hétérogène.

Lourde, car, selon l'OCDE, les prélèvements sur le capital représentent environ 12 % du PIB en France, contre 9 % en moyenne dans l'Union européenne, alors que la pression fiscale globale atteint déjà 43,8 % du PIB dans notre pays. Au sein du marché unique européen, cette pression doit nous interroger en ce qu'elle illustre la tension entre souveraineté fiscale nationale et liberté de circulation européenne, touchant à la fois aux personnes et aux capitaux.

Hétérogène, ensuite, parce que l'imposition varie fortement selon la nature du capital : plus clémente pour certains supports, comme l'assurance vie ou les plus-values à long terme, mais particulièrement lourde sur le capital productif et entrepreneurial. Cette diversité crée des distorsions profondes dans l'allocation de l'épargne.

Ces constats nous renvoient aux deux principes cardinaux de toute fiscalité que sont la nécessité et l'égalité, aujourd'hui largement fragilisés.

La nécessité, qui veut que l'impôt soit justifié par une dépense publique utile et efficiente, est aujourd'hui mise à mal par une fiscalité trop lourde qui décourage l'investissement productif, celui qui crée des emplois et soutient notre compétitivité. Et l'égalité vacille lorsqu'un patrimoine issu du travail – celui d'un agriculteur, d'un artisan, d'un chef d'entreprise –, est aussi lourdement taxé aujourd'hui.

L'enjeu est donc non pas d'opposer le travail et le capital, mais de restaurer un équilibre entre les deux pour plus de cohérence : il s'agit de reconnaître la valeur du risque et de la création, d'orienter l'épargne vers la production et de replacer le patrimoine au cœur d'une fiscalité plus lisible, plus juste et plus efficace.

Monsieur le ministre, en comparant la France à l'Allemagne et à l'Italie, il apparaît que nous restons champions toutes catégories de l'imposition, et même doubles médaillés d'or sur le patrimoine et la transmission. C'est un record que personne ne nous conteste, mais peut-être pourrions-nous accepter, pour une fois, de descendre de la plus haute marche du podium.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, nous sommes entrés pour plusieurs années dans une période d'ajustement budgétaire. Il ne s'agit pas d'une surprise, car c'est le cas à la suite de la plupart des grandes crises : c'était le cas après la crise du début des années 1990, après la crise financière de 2008, après la crise de la zone euro de 2010. Et c'est le cas, maintenant, après les crises sanitaire de 2020 et énergétique de 2022.

Il va nous falloir, si l'on en croit les travaux du Conseil d'analyse économique (CAE), dégager sur plusieurs années, j'y insiste, de l'ordre de 110 milliards à 120 milliards d'euros pour stabiliser notre dette en part du PIB. Ce n'est pas une règle qui nous est imposée par l'Europe ou par nous-mêmes ni un quelconque impératif de communication : c'est simplement une réalité mathématique !

La réflexion que nous menons sur la question fiscale doit donc être ciblée, puisque, évidemment, nous ne pourrons pas tout faire. Le débat que vous posez, qui est celui de la réallocation de l'épargne et des priorités, est le bon. C'est, en fait, celui que nous devrions avoir.

Pour ma part, je pense que nous devons parvenir à une forme de préférence productive. En effet, ce qui est devant nous, ce sont les deux urgences que j'évoquais au début : l'urgence sociale, c'est-à-dire faire en sorte que le travail paie ; et l'urgence économique, qui est de défendre notre tissu productif, notre tissu industriel face à la mondialisation et aux bouleversements technologiques.

Nous aurons réussi à traverser cette période d'ajustement budgétaire – je le répète, c'est normal après des crises de cette importance –, si nous parvenons dans le même mouvement à baisser les prélèvements sur les travailleurs et les actifs, sans quoi le contrat social ne tiendra pas, et à diminuer la pression sur les entreprises qui produisent, qui sont aux premières loges de la concurrence internationale – l'industrie est un très bon test à cet égard. Si nous y arrivons, nous aurons réussi quelque chose d'important.

En revanche, si nous fragilisons les actifs et si nous laissons notre tissu industriel être balayé par les concurrents internationaux, je crains que la décennie 2030 ne soit encore plus difficile pour nous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, la fiscalité du capital est au cœur du débat budgétaire pour 2026. Nos concitoyens demandent plus de justice fiscale.

Les inégalités se creusent, avec presque 10 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté, alors que le montant total des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé depuis 2017. Ce montant, évalué alors à 600 milliards d'euros, atteignait 1 200 milliards d'euros en 2023. Ces inégalités croissantes rendent nécessaire la recherche d'une plus juste redistribution des richesses.

La fiscalité du travail et la fiscalité du capital répondent à des logiques différentes. L'une vise le financement des prestations sociales contributives, l'autre tend à taxer la rente et à limiter la concentration des richesses sur quelques-uns pour financer la solidarité nationale.

La redistribution, ainsi que le financement de la protection sociale et de la dette, est assurée de manière disproportionnée par le travail : pour les classes moyennes, le taux d'imposition est de 50 % ; pour les ultra-riches, il est de 26 % selon l'Institut des politiques publiques.

Le capital bénéficie pourtant à une infime proportion de la population. Il est excessivement protégé de l'effort fiscal, massivement abrité derrière des personnes morales, des entreprises, des holdings, sans que le ruissellement vers les classes plus modestes se soit fait sentir.

Par ailleurs, la multiplication des allègements généraux sur le travail, évalués à plus de 60 milliards d'euros, renforce encore cette injustice et accentue le sentiment que le salarié est toujours mis à contribution, au bénéfice de celui qui possède l'outil de travail.

Le système de protection sociale est souvent présenté exclusivement dans sa fonction de redistribution, de charge pour les entreprises. Or le système de sécurité sociale soutient très directement l'activité économique. C'est de l'argent qui circule, qui est dépensé dans des biens de consommation, qui contribue au développement économique dynamique de notre pays et qui ne présente pas de risque récessif pour notre économie.

Monsieur le ministre, quels sont les leviers que votre gouvernement prévoit d'actionner pour mettre fin à l'injustice que constitue cette concentration de richesses inédite, que l'on qualifie désormais de « sécession des ultra-riches » ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice, je livrerai tout d'abord un élément de constat : notre fiscalité est massivement redistributive pour 99 % des Français, car l'impôt sur le revenu est très progressif.

Le problème que vous mentionnez s'applique tout en haut de la courbe de distribution des richesses. Effectivement, une poignée de personnes ont la capacité de contourner l'impôt sur le revenu ou le prélèvement forfaitaire unique (PFU) par l'utilisation des holdings.

C'est la raison pour laquelle nous proposons dans le PLF initial, qui sera ensuite soumis à vos amendements, de taxer les holdings pour éviter ce contournement. C'est d'ailleurs une mesure que l'on peut retrouver dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, que je mentionnais tout à l'heure.

Vous évoquez ensuite la question du financement de la protection sociale. Je constate que la baisse du coût du travail a participé, au cours des trente-cinq dernières années, d'une politique plutôt transpartisane, puisqu'elle a commencé sous le gouvernement d'Édouard Balladur, puis a été amplifiée sous le gouvernement de Lionel Jospin et poursuivie sous les gouvernements de Jacques Chirac, notamment par François Fillon en 2003. Elle a ensuite été encore intensifiée par François Hollande avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Si des gouvernements de droite, de gauche et du centre ont évité de concentrer la fiscalité sur le travail et sur les emplois, c'est précisément parce que nous avions en France un problème de chômage massif. Si nous décidons que seul le travail finance massivement la protection sociale, nous détruisons de l'emploi, des recettes pour la sécurité sociale et, surtout, des espoirs ou des désirs de mobilité sociale chez les Français des classes populaires.

Il y a donc une réflexion à mener, d'abord sur le calcul de ces allègements de charges – nous l'évoquions il y a quelques minutes –, puis sur des assiettes complémentaires de financement de la protection sociale. Il est extrêmement important d'agir en ce sens si nous voulons réduire l'écart entre ce qui est versé par l'employeur et ce qui est touché par le salarié, car s'il y a bien un domaine dans lequel la France se distingue des autres pays, c'est celui-là.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, ma question est plus technique et moins politique que celle de mes collègues. Je parle sous contrôle, à distance, de ma collègue Christine Lavarde.

La France finance une partie de son modèle social par des prélèvements sur le capital. La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) viennent en effet compléter l'impôt sur le revenu dans le cadre du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

Or, pour les résidents fiscaux français non affiliés à la sécurité sociale française, la Cour de justice de l'Union européenne interdit d'appliquer la CSG et la CRDS, car ces contributions financent directement notre sécurité sociale nationale. Résultat, ces personnes ne sont aujourd'hui assujetties qu'au prélèvement de solidarité à 7,5 %, soit moins de la moitié du taux de droit commun de 17,2 %.

Avec ma collègue Christine Lavarde, nous avions proposé, lors du dernier examen budgétaire, une réforme visant à relever le prélèvement de solidarité de 7,5 % à 16,2 %, en contrepartie d'un abaissement de la CSG sur le capital de 9,2 % à 0,5 %, de manière à rester conformes au droit européen.

L'effet net était simple : neutralité pour les résidents affiliés en France et alignement vers le taux de droit commun pour les non-affiliés. Quant aux recettes supplémentaires attendues, monsieur le ministre, elles étaient de l'ordre d'un milliard d'euros.

Le ministre de l'époque avait demandé le retrait de l'amendement pour permettre une étude d'impact. Un an plus tard, cette proposition n'a reçu aucune suite. Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il enfin mettre à l'étude l'harmonisation du régime applicable aux non-affiliés, afin de rapprocher leur taux effectif du taux de droit commun ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice, votre question est précise, et je ne voudrais pas y répondre d'une manière qui ne le soit pas.

J'imagine que vous déposerez de nouveau un amendement similaire dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, sans doute dès le stade de la commission, et à coup sûr en séance publique. Je vous propose que nous revenions vers vous à ce moment-là, avec une réponse précise à la question de l'étude d'impact. En effet, je ne voudrais pas, ce soir, vous apporter des éléments inexacts.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Soyez assuré que nous déposerons cet amendement. Mais son sort doit être différent de celui de l'année dernière. Monsieur le ministre, un milliard d'euros, ce n'est pas rien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann.

M. Olivier Rietmann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite pointer aujourd'hui ce qui me semble être une profonde anomalie, qui devrait, je l'espère, tous nous convaincre d'alléger le coût du travail.

Depuis vingt ans, la part des revenus du travail dans les revenus des ménages français ne cesse de reculer : elle est passée de 57 % en 2000 à 52 % aujourd'hui. Les prestations sociales, elles, sont passées de 25 % à 29 %, soit 595 milliards d'euros, dont 400 milliards d'euros de pensions de retraite.

Autrement dit, notre pays vit de moins en moins de ceux qui travaillent et de plus en plus du travail des autres. Résultat, celui qui travaille a le sentiment d'être le seul à contribuer, sans en retirer de reconnaissance. Ce sentiment d'injustice est bien présent, et il est compréhensible qu'il suscite de la colère.

Songez que 29 millions de Français travaillent pour financer notre modèle social, qui bénéficie aux 17 millions de retraités, aux 2,5 millions de bénéficiaires des minima sociaux et au million et demi de chômeurs indemnisés.

Monsieur le ministre, nous devons dire les choses clairement : notre pays doit non seulement mieux rémunérer le travail, mais aussi travailler davantage, ce qui était d'ailleurs prévu jusqu'à la volte-face du Premier ministre.

J'ai deux questions très simples.

Tout d'abord, comptez-vous engager une refonte fiscale ambitieuse qui redonne toute sa valeur au travail, en allégeant la fiscalité qui pèse aujourd'hui sur les revenus d'activité ?

Ensuite, alors que notre démographie ne joue pas en notre faveur, nous avions su compenser cette réalité par une réforme courageuse du système de retraites. Dès lors, comment pouvez-vous sérieusement justifier la suspension de cette réforme, qui aura pour conséquence directe le découragement de ceux qui produisent ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, je vous remercie, car votre question permet de mettre le doigt sur le cœur du paradoxe français : nous avons à la fois un taux record de prélèvements obligatoires, une dette très importante et, chez énormément de Français, le sentiment que les services publics sont à l'os.

En fait, tout est vrai : oui, le taux de prélèvements est important ; oui, le déficit l'est tout autant ; oui, nos services publics souffrent – les services publics du quotidien, comme l'éducation nationale et la justice, mais également les armées, fonction majeure de l'État, et bien entendu la santé, en particulier – vous avez eu raison de le rappeler – les hôpitaux, où les besoins d'investissement sont importants, même si des efforts sont engagés depuis plusieurs années.

L'explication de ce paradoxe est claire : à l'évidence, la dépense publique qui augmente massivement est la dépense sociale. Quand on emploie ce terme, cela suscite souvent un malentendu : on peut imaginer que cela recouvre des dépenses de lutte contre la pauvreté. Mais ce qui augmente énormément, ce sont d'abord les dépenses de retraite, puis celles de l'assurance maladie, soit deux types de prestations dont tout un chacun, vous et moi comme tous nos concitoyens, bénéficie ou bénéficiera un jour.

Comme vous, je suis convaincu que notre modèle de protection sociale ne pourra perdurer que si, collectivement, nous travaillons davantage, donc plus longtemps.

Toutefois, vous n'ignorez pas qu'il n'y a plus de majorité à l'Assemblée nationale pour défendre la réforme des retraites qui allait dans ce sens. Devant une telle situation politique, il faut être lucide. C'est pourquoi cette réforme sera suspendue, mais cela ne doit pas nous dispenser de réfléchir à l'avenir, notamment pour que le débat de 2027 repose sur de bonnes bases.

Évidemment, on aura alors des options très différentes, tant par le mode de financement des retraites retenu que par la vision économique. Mais si l'on arrive à construire au moins un cadre de référence commun, afin que l'on puisse partir des mêmes chiffres, du même constat, le débat démocratique qui devra trancher entre ces options pourra être de la meilleure qualité possible.

C'est sur cet enjeu important que les partenaires sociaux, les organisations syndicales comme patronales, sont convenus de travailler ensemble.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Pierre Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Pierre Vogel. Monsieur le ministre, la France constitue aujourd'hui un cas presque unique en Europe.

Elle est le seul pays à cumuler autant d'impôts sur la production : ils atteignent 125 milliards d'euros, soit 4,7 % de notre PIB, contre une moyenne européenne de 2,5 % et seulement 1 % en Allemagne. La fiscalité du travail, au sens large, demeure le principal canal de financement de la protection sociale et de nombreux dispositifs parafiscaux.

Ces impôts qui, comme la CVAE ou la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), ont pour assiette le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée s'empilent en cascade à chaque maillon de la chaîne de valeur ; ils pénalisent nos circuits longs, nos exportations industrielles et, finalement, notre production nationale.

À cela s'ajoute, pour près de 50 milliards d'euros, une myriade de prélèvements sur les salaires, dont je ne pourrai citer que quelques-uns : la taxe sur les salaires, le versement mobilité, la taxe d'apprentissage et la contribution supplémentaire à l'apprentissage, la participation des employeurs à l'effort de construction (Peec), la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA), la taxe de solidarité additionnelle (TSA), ou encore la contribution au Fonds national d'aide au logement (Fnal)…

Cette accumulation, incompréhensible pour les entreprises, résulte du millefeuille fiscal français : c'est un empilement sans cohérence ni logique économique.

Ces différentes contributions, souvent déconnectées de la productivité ou du résultat des entreprises assujetties, renchérissent mécaniquement le coût du travail. À la différence des impôts sur les bénéfices, elles sont dues dès le premier euro de salaire versé, indépendamment de la rentabilité de l'entreprise.

Le résultat, nous le connaissons : un coût du travail élevé, des effets de seuil pénalisants, une compétitivité fragilisée et une création d'emplois en berne dans les secteurs intensifs en main-d'œuvre.

Finalement, ces impôts de production ne se justifient ni par l'efficience ni par l'équité. Ils ne constituent qu'une ressource de court terme pour les finances publiques et représentent un frein durable à la compétitivité, à la réindustrialisation et au rebond du travail.

La question n'est pas seulement budgétaire, elle est philosophique : quelle place notre pays veut-il accorder au travail dans la création de richesse ? Nous devons bâtir une fiscalité qui encourage la production, l'emploi et l'investissement.

Aussi, monsieur le ministre, compte tenu de notre objectif partagé de reconquête industrielle, le Gouvernement entend-il engager un mouvement de baisse structurelle et de rationalisation des impôts de production, qui ciblerait prioritairement les taxes sur le chiffre d'affaires et les prélèvements fiscaux sur les salaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, la réponse est simple : oui !

Vous le savez, une baisse des impôts de production a été enclenchée à partir de 2021, à hauteur d'une dizaine de milliards d'euros, et le projet de loi de finances qui vous sera bientôt soumis prévoit, dans sa version initiale, de poursuivre cet effort, en ciblant notamment la CVAE.

Pourquoi avoir choisi la CVAE parmi tous les impôts de production que vous avez mentionnés ? Le débat est récurrent, que ce soit au Parlement ou entre experts sur les chaînes de télévision : quels impôts de production vaut-il mieux cibler ? Nous avons retenu la CVAE, parce que, de tous ces impôts, c'est celui qui frappe le plus l'industrie, alors que la C3S, par exemple, affecte beaucoup plus, en proportion, le secteur de la finance.

Dans le contexte que nous connaissons, celui d'une concurrence industrielle féroce entre pays, et alors que plusieurs secteurs de l'industrie – l'automobile, la chimie, les puces et les semi-conducteurs… – font face, dans toute l'Europe, à une menace existentielle, c'est le bon choix. Ces secteurs de notre industrie peuvent être très rapidement balayés, au vu de la férocité du comportement de leurs compétiteurs internationaux.

Vous avez aussi eu raison de rappeler le décalage massif que l'on observe, concernant de tels impôts, entre la France et d'autres pays similaires, notamment l'Allemagne. Tout n'est certes pas parfait en Allemagne, mais ce pays a tout de même réussi, au cours des vingt dernières années, à défendre son industrie. Cette réussite est, à l'évidence, en partie due à une approche différente des impôts de production.

C'est la raison pour laquelle, malgré le contexte budgétaire tendu, et bien que cette politique ne soit pas forcément la plus populaire, le Gouvernement a choisi de vous proposer de poursuivre la diminution de la CVAE : nous sommes convaincus que, pour l'intérêt général et pour la défense de notre industrie, cette baisse est extrêmement importante.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc la fin de ce premier round, qui en appelle d'autres, dans quelques semaines dans cet hémicycle.

Ce fut, à cette heure de la soirée, un round à fleurets mouchetés, mais je dois dire, monsieur le ministre, que j'ai apprécié vos réponses très structurées : vous connaissez indéniablement vos sujets, et j'ai même décelé dans vos propos une voix progressiste, qui montre que votre passage au parti socialiste n'aura pas été totalement inutile. (Rires sur les travées du groupe SER. – M. le ministre délégué sourit.)

Mme Frédérique Puissat. C'était donc ça !

M. Patrick Kanner. Naturellement, monsieur le ministre, vous pouvez encore vous améliorer !

Le débat que nous venons de mener touche à l'un des fondements mêmes de notre pacte républicain. Je regrette à cet égard le départ prématuré de nos collègues du groupe Les Républicains.

Mme Frédérique Puissat. Moi, je suis là !

M. Patrick Kanner. Oui, il reste un otage… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Ce débat, disais-je, touche à l'un des fondements de notre pacte républicain : le rapport entre le travail et le capital, entre la valeur produite et la richesse captée. Ce n'est pas un débat technique, mes chers collègues : c'est un débat de civilisation.

Depuis la Révolution industrielle, l'équilibre entre ceux qui produisent et ceux qui possèdent a toujours constitué le socle du pacte social français, même si celui-ci a connu des soubresauts – le dernier en date aura été la crise des gilets jaunes.

Néanmoins, ce modèle de société se fragilise. En effet, désormais, la richesse vient non plus de l'effort, mais toujours plus de la rente. Ce n'est plus le travail qui élève, c'est le capital qui accumule. Pourtant, c'est encore le travail que l'on taxe, que l'on presse et que l'on culpabilise.

On nous avait promis une France moderne, réconciliée, dépassant les clivages. Mais, après huit ans de macronisme, monsieur le ministre, la réalité s'impose : c'est une politique de droite qui a été menée, une politique libérale assumée, au service du capital protégé. Suppression de l'ISF, allègement de la fiscalité du capital, affaiblissement de la progressivité de l'impôt… Pendant ce temps, à rebours du fameux mythe du ruissellement, l'ouvrier, l'infirmière et l'enseignant paient plein tarif.

La droite invoque souvent le bon sens ; cela a encore été le cas tout à l'heure. Mais le bon sens, c'est de comprendre que la justice fiscale est, non pas une punition, mais une exigence de cohésion. Il n'y a pas de société durable lorsque l'effort est toujours demandé aux mêmes. Que l'on ne nous parle plus de mérite ! Il n'y a aucun millionnaire de moins de trente ans. Et aucun, ou presque, ne s'est bâti tout seul : ce sont des héritiers ou des traders, pas des héros.

Oui, il faut repenser notre fiscalité. Et le débat qui se tient ces semaines-ci à l'Assemblée nationale le permet, monsieur le ministre : aussi, faites encore un petit effort pour y parvenir, d'autant que cela vous évitera de redevenir trop vite député – nous vous souhaitons de rester longtemps ministre, tout en vous concédant que cela dépend un peu de nous… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

S'il faut, à notre sens, repenser la fiscalité en France, ce n'est pas pour punir la réussite, que nous soutenons : quand nous étions aux affaires, selon la formule consacrée, non seulement nous avons permis ces réussites privées, mais nous avons maîtrisé les comptes de la Nation. Non, s'il faut repenser la fiscalité, c'est d'abord pour redonner sens à l'idée même de République : celle où l'impôt unit, au lieu de diviser.

La droite a rompu avec ce qu'elle fut. Elle oublie trop souvent aujourd'hui, ma chère collègue Frédérique Puissat, ce que fut la droite sociale du général de Gaulle, celle qui savait que la grandeur de la France ne pouvait reposer sur la misère de ses enfants.

Aujourd'hui, nous avons 10 millions de pauvres, nous avons 12 % de smicards dans le monde salarié. Aujourd'hui, la droite a tourné le dos à l'esprit du Conseil national de la Résistance, à cette idée simple et magnifique que la prospérité ne vaut que si elle est partagée, comme d'ailleurs la production de richesses. Voilà ce qu'était le patriotisme fiscal de l'époque !

Désormais, la priorité n'est plus le bien commun ; c'est le rendement du capital. L'économie n'est plus au service de la Nation ; c'est la Nation qui se met au service des marchés. Ce renversement n'est pas neutre : c'est un choix moral, un choix de société.

On nous dit qu'il faut récompenser le risque et protéger la réussite. Mais ce que l'on appelle « modernité », c'est souvent la démission morale d'une époque. En effet, il y a un autre risque que celui que l'on invoque à foison : je pense au risque que prennent les travailleurs précaires, les jeunes sans logement, les soignants à bout, les enseignants désabusés. Quand nous parlons de justice fiscale, nous ne parlons pas de revanche. Nous parlons de responsabilité, nous parlons d'équité, car une République sans équité devient une fiction.

Alors que l'Assemblée nationale examine les textes budgétaires pour 2026, il convient, mes chers collègues, de rappeler que la fiscalité n'est pas qu'une affaire de comptes : elle dit aussi ce que nous voulons être comme société. Or nous n'avons pas honte de la société française ! Oui, elle est redistributrice, elle est protectrice des plus faibles. Tel est notre modèle de société, dont il faut assumer qu'il coûte de l'argent.

Nous, socialistes, défendons une fiscalité du travail plus juste, une contribution du capital plus équitable, un impôt réhabilité comme acte de fraternité républicaine. Cela s'impose, parce qu'il n'y a pas de République forte sans justice fiscale, pas de cohésion sans redistribution, pas de prospérité durable sans solidarité.

C'est ce message que notre groupe a voulu faire passer aujourd'hui, en conscience et en responsabilité. Tel est aussi le sens de notre engagement : redonner au travail la place qu'il mérite, redonner à l'impôt le sens du lien et redonner à la République le souffle de la justice.

Le consentement à l'impôt, la qualité des services publics, l'ascenseur social constituent sans nul doute les fondamentaux d'une République rénovée ; tel était le sens de notre débat de ce soir. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'y avoir contribué, même si nous n'avons pas toujours été d'accord. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 4 novembre 2025 :

À quinze heures :

Questions d'actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 95, 2025-2026).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

JEAN-CYRIL MASSERON