Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l'article.
Mme Monique Lubin. La droite sénatoriale a visiblement décidé de rompre le très faible consensus qui est sorti de l'Assemblée nationale, à un moment où le pays est terriblement fracturé. C'est un choix.
Pourquoi tenons-nous autant à cette suspension de la réforme des retraites ? Parce que le pays n'a toujours pas accepté cette réforme. Les citoyens ne l'ont toujours pas acceptée. Elle n'a pas été votée à l'Assemblée nationale. Elle est arrivée ici, au Sénat, et nous savons ce qu'il en est advenu. Elle est appliquée, bien évidemment, mais elle est restée en travers de la gorge des salariés de ce pays, qui se sont massivement exprimés contre et qui n'ont absolument pas été entendus. Ils ont même été méprisés.
Oui, nous voulons en rediscuter. Nous voulons, monsieur le ministre, qu'il y ait un véritable débat au Parlement. Oui, nous voulons en rediscuter, parce que nous considérons que, dans ce pays, même en 2025, il y a encore un certain nombre de personnes, exerçant certaines professions, qui ne peuvent pas travailler au-delà de 62 ans. Nous en sommes absolument certains. Aussi, nous voulons qu'une future réforme des retraites prenne tout en compte, ce qui n'a pas été fait la dernière fois.
La dernière réforme des retraites, comme celle qui avait été amorcée en 2019, correspondait à un mantra idéologique. Il fallait une réforme des retraites pour faire plaisir à un certain nombre de Français.
À l'époque, on nous a inventé des déficits pour faire peur. J'ai même entendu des ministres, bien avant vous, monsieur le ministre, dire ici, au banc : « Si on ne fait rien, dans quelques mois, on ne pourra plus payer les retraites. » Or nous savons que le système, pour l'instant, se maintient. Nous savons aussi qu'il y a de nouvelles donnes et qu'il faudra y travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l'article.
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues de la droite sénatoriale, depuis une semaine, c'est la France des salariés, des retraités, des chômeurs, des pauvres et des malades que vous avez décidé de matraquer. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) C'est un matraquage méthodique, inique, cynique des quelques avancées qui avaient été obtenues à l'Assemblée nationale pour les Français.
Par idéologie, vous avez rétabli le gel des pensions de retraite et des prestations sociales. Par idéologie, vous avez rétabli la taxe sur les mutuelles. Par idéologie, vous êtes allés jusqu'à ajouter une mesure pour allonger la durée du travail. Et je n'oublie pas la suppression d'une recette de 2,7 milliards d'euros, qui était assurée et assise sur les produits de placements de nos concitoyens les plus aisés.
Par idéologie, vous vous apprêtez maintenant à rétablir la réforme des retraites de 2023. Vous assumez donc pleinement de voler des années de vie à 3,5 millions de Français (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.), car c'est de cela qu'il s'agit : des années de repos méritées après une vie de travail. C'est injuste et inacceptable.
Au fond, mes chers collègues vous employez les mêmes mots qu'en 2023.
M. Laurent Burgoa. Ah oui !
M. Patrick Kanner. C'est un véritable retour vers le futur : les mêmes postures, les mêmes dénégations, le même choix de protéger le capital et la rente plutôt que les travailleurs. Cette même idéologie, vous y revenez toujours, et nous la combattons pied à pied.
Mes chers collègues, les Français ne vont pas bien, mais ils nous regardent. Ils vous regardent et, croyez-moi, ils sauront se souvenir de vos choix de société qui les sacrifient sur l'autel de l'austérité budgétaire. Nous voterons pour le maintien de la suspension de la réforme des retraites, par conviction et pour protéger celles et ceux qui travaillent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le retour !
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est clair que la suspension de la réforme des retraites est le tribut payé par le Gouvernement à la gauche pour durer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Jaloux !
M. Bruno Retailleau. Nous allons nous y opposer, parce que nous pensons que cette suspension est contraire aux intérêts des Français, et ce pour plusieurs raisons.
La première raison est d'ordre budgétaire. Il est totalement illusoire de s'imaginer un seul instant que nous pourrons, aujourd'hui et demain, maîtriser les déficits et la dépense publique quand on connaît précisément le poids des dépenses de retraite dans la dépense publique. Je veux simplement vous rappeler que le déficit, tel qu'il est aujourd'hui présenté, est totalement sous-estimé. Il est même masqué, puisqu'il faut y ajouter 44 milliards d'euros de subventions de l'État pour les agents publics, ainsi que 8 milliards d'euros pour les régimes spéciaux. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – Mme le rapporteur le confirme.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Mensonges !
M. Bruno Retailleau. Par conséquent, ne rien faire, c'est se condamner au déficit éternel.
Deuxième raison : tous les Français, d'où qu'ils viennent, quelles que soient leurs attaches partisanes, sont attachés au régime par répartition. Le régime par répartition est un régime intergénérationnel reposant sur la démographie. Jadis, il y avait 4 cotisants pour 1 pensionné ; aujourd'hui, il y en a 1,6. Comment ferons-nous demain ? Le statu quo, là encore, fragilisera le régime par répartition et le fardeau de l'endettement se reportera sur les générations futures, qui devront payer leur retraite et la nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Balzac avait un mot sublime à cet égard : « Une génération n'a pas le droit d'en amoindrir une autre ».
Enfin, troisième et dernière raison, il faut travailler plus en France si nous voulons renouer avec la prospérité. Les choses sont claires : sur une vie, il nous manque trois années de travail, trois années sans lesquelles on ne peut pas distribuer de niveau de vie, de pouvoir d'achat, ni alimenter nos services publics. Ce n'est pas, là encore, par le statu quo que nous parviendrons à redresser la France. C'est le problème de la gauche, qui a bonimenté les Français depuis des années avec les 35 heures et la retraite à 60 ans, sous le slogan : « Travaillez moins et vous vivrez mieux. » C'est un mensonge ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, sur l'article.
Mme Maryse Carrère. Nous arrivons à un point névralgique du texte avec cet article 45 bis : le fameux dispositif de suspension de la réforme des retraites, qui soulève des enjeux à la fois de fond et de forme.
Sur le fond, mon groupe était partagé au moment de l'adoption de la réforme, en 2023. Les membres du RDSE avaient cependant cela en commun que tous voulaient améliorer le sort des femmes et des salariés aux carrières longues ou hachées ; nous souhaitions aussi, bien sûr, une meilleure prise en compte de la pénibilité. Par ailleurs, nous sommes également tous conscients du poids de la dette publique et nous ne souhaitons pas hypothéquer l'avenir des jeunes générations. À l'évidence, notre système de retraite, pensé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, doit être appréhendé à la lumière des enjeux budgétaires et démographiques contemporains.
Sur la forme, le groupe du RDSE, dans sa majorité, regrette la position adoptée aujourd'hui par la majorité sénatoriale. Cet article 45 bis vise à réaliser ce qui est une condition essentielle si l'on veut avoir une chance d'éviter ce qui reste une possibilité, à savoir la censure du Gouvernement et une nouvelle crise politique. Il nous offre l'espoir d'un compromis. Nous verrons bien si celui-ci permettra, dans la durée, d'échapper à une nouvelle instabilité qui ne peut, au fil des jours, que servir les extrêmes, comme on le constate à la lecture des derniers sondages.
Il est aujourd'hui question d'apaisement politique et d'apaisement social. La France n'a pas besoin d'un énième choc institutionnel ; elle a besoin de sérénité, de dialogue et de temps pour reconstruire la confiance.
La suspension de la réforme des retraites n'aura de sens que si nous mettons à profit ces deux années pour travailler à une réforme systémique, comme les membres du RDSE le réclament depuis très longtemps. Le moment viendra d'ouvrir ce débat de manière structurée, transparente et dépassionnée. Mon groupe souhaite que cela se fasse très rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart, sur l'article.
M. Joshua Hochart. Nous discutons enfin de l'article le plus attendu de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale – je le dis sans intention de relativiser l'importance du reste de son contenu.
La suspension de la réforme des retraites, même s'il convient d'en atténuer la portée, que les socialistes ont grandement amplifiée pour justifier leur refus de censurer le Gouvernement, n'en est pas moins un premier pas vers une mise en cause réelle de cette mesure phare du second mandat d'Emmanuel Macron. Cette réforme était annoncée ; la gauche a donc fait réélire M. Macron en parfaite connaissance de cause.
De toute évidence, la majorité sénatoriale votera aujourd'hui, sans surprise, pour la suppression de cet article. C'est une position que nous combattons, mais qui a au moins le mérite de la constance : constance dans l'erreur, mais constance tout de même.
Nous regrettons que cette réforme de 2023 ait été entreprise pour éviter d'avoir à dénoncer les totems habituels de la gabegie des finances publiques.
Nous, sénateurs du Rassemblement national, voterons contre ces amendements de suppression. En effet, nous nous souvenons de l'injustice de cette réforme des retraites ; nous nous souvenons de l'opposition unanime du pays et, en particulier, de la France qui travaille ; enfin, nous nous souvenons des souffrances qu'elle a engendrées – faut-il rappeler que la pénibilité est la grande absente de tous ces débats, alors qu'elle devrait être le principal critère conditionnant le moment du départ à la retraite ?
Sitôt cette petite victoire obtenue par la majorité, nous retournerons à la réalité d'un budget impossible, d'un gouvernement sans tête et d'un Parlement fragmenté. Face à l'accumulation des reniements et des mensonges, une seule réponse s'impose : vivement 2027 ! (M. Christopher Szczurek applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l'article.
M. Daniel Chasseing. Je voudrais replacer ce débat dans le cadre de la situation générale de la sécurité sociale et, plus largement, de nos finances publiques.
On comptait 9 millions de patients atteints d'une affection de longue durée (ALD) en 2012 ; ils sont 14 millions en 2025 et seront 18 millions en 2035. Rappelons que les trois quarts des dépenses de l'assurance maladie sont consacrés aux ALD. Dès lors, l'assurance maladie peut-elle venir au secours des retraites ? Non !
Qu'en est-il du budget de l'État ? Les chiffres sont clairs : un déficit annuel de quelque 170 milliards d'euros, une dette publique de 3 400 milliards d'euros et une charge des intérêts de celle-ci qui va atteindre 75 milliards d'euros en 2026 – contre 30 milliards d'euros en 2020. Alors, l'État peut-il venir au secours des retraites ? Non !
Certes, on pourrait vouloir augmenter les cotisations des salariés et des entreprises, cibler peut-être certaines holdings qui pratiquent l'optimisation fiscale, mais M. Jadot a reconnu lui-même tout à l'heure que, derrière nos entreprises, il n'y a pas que de milliardaires : nombre d'entre elles sont de petites entreprises fragiles. (M. Yannick Jadot acquiesce.) Il convient donc, non pas d'augmenter l'imposition des entreprises, ce qui ruinerait leur compétitivité, mais de poursuivre la politique de l'offre, qui a tout de même créé 2 millions d'emplois.
J'avais proposé une autre piste via un amendement d'appel : une heure, voire deux heures, de travail en plus chaque semaine. C'est par ce biais que nous préserverons les acquis sociaux ; c'est donc à proprement parler du social-libéralisme.
Pour en revenir aux retraites, rappelons qu'il y avait 4 millions de retraités en 1984, soit un ratio de quatre travailleurs pour un retraité ; en 2025, avec 18 millions de retraités, le ratio n'est plus que de 1,6 actif pour un retraité ; en 2040, avec 25,1 millions de retraités, il sera seulement de 1,3 pour 1. Nous serons donc obligés, malheureusement, de maintenir l'âge de la retraite à 64 ans. Peut-être faudra-t-il un compromis, comme vous nous y invitez : indéniablement, il convient d'améliorer les retraites des femmes, de prendre en compte les carrières longues et pénibles. Certes, mais cela ne pourra se faire en baissant l'âge légal en dessous de 64 ans.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, sur l'article.
Mme Anne Souyris. J'entends parler de boniment et d'irresponsabilité. Vous nous montrez du doigt, monsieur Retailleau, mais regardez donc la poutre que vous avez dans l'œil ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous, c'est un poteau !
Mme Anne Souyris. Notre sécurité sociale manque d'argent, parce que vous avez refusé les milliards d'euros de recettes équilibrées et solidaires que la gauche proposait de lui fournir.
Et voilà que vous nous demandez de supprimer la seule mesure décente de ce texte, une mesure minimale qui aurait permis de surseoir à l'application de la réforme des retraites. La seule victoire des millions de travailleurs qui avaient combattu cette réforme, une victoire partielle, temporaire, vous la refusez, comme si toute concession envers le monde du travail était insupportable.
Suspension, décalage, peau de chagrin en fin de vie… nous ne pourrons pas même avoir un débat sémantique sur cette disposition, ni a fortiori un débat de fond. Pourtant, en toute honnêteté, ce n'est qu'un simple décalage : il n'y a rien là qui remette en cause votre fameuse réforme, rien qui bouleverse l'équilibre du système, rien qui empêche le débat. Même cela, vous vous empressez d'en demander la suppression ! Vous n'acceptez pas même la possibilité d'une discussion qui ouvrirait une brèche, qui permettrait un réexamen a minima d'une réforme rejetée de tous. Voici le message : circulez, il n'y a rien à voir, rien à discuter !
M. Olivier Rietmann. 1 200 milliards d'euros de dettes supplémentaires depuis 2017 !
Mme Anne Souyris. Pour justifier ce recul, vous nous resservez l'argument budgétaire : cela coûterait trop cher.
Qui peut encore croire à cette fable quand, dans le même temps, vous refusez obstinément toutes les nouvelles recettes que nous proposons, absolument toutes ? Celles sur le capital,…
Mme Sophie Primas. Taxe !
Mme Anne Souyris. … celles sur les industries qui détruisent notre santé,…
Mme Sophie Primas. Taxe !
Mme Anne Souyris. … celles sur les niches antisociales qui profitent aux plus hauts revenus,
Mme Sophie Primas. Taxe !
Mme Anne Souyris. … chacune de nos propositions reçoit la même réponse : non ! Face à l'argent, face au capital, vous êtes toujours très prudents.
Mme la présidente. Merci, ma chère collègue !
Mme Anne Souyris. Mais face à la vie des travailleurs, vous êtes d'une brutalité comptable implacable ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier, sur l'article.
M. Martin Lévrier. Je suis très heureux que nous soyons si nombreux dans l'hémicycle à ce moment crucial de notre débat. Cela prouve que nous nous sentons tous concernés par ce sujet essentiel.
La réforme de 2023 était-elle indispensable ? Je le crois : j'ai participé à son élaboration, je l'ai soutenue, je l'ai votée. Était-elle pour autant bien née ? Non, je ne le crois pas. A-t-elle été acceptée par les Français ? Quelle que soit la réponse, il est certain qu'elle a été incomprise.
Je me souviens de nos débats d'alors. Du côté droit de cet hémicycle, on suggérait volontiers qu'il faudrait une part de capitalisation dans nos retraites. De l'autre côté, j'entendais nombre de propositions visant à empêcher, à casser cette réforme, mais parmi tous les financements proposés, je n'ai pas souvenir que même un seul rentrât dans la logique d'un système par répartition ! Toutes vos propositions, mes chers collègues de gauche, reposaient sur d'autres types de recettes ; mais cela, personne ne l'a dit aux Français !
Par conséquent, dès l'origine, le débat était biaisé. On ne discutait pas des moyens de sauver le régime par répartition, alors que c'était l'objet même de cette réforme. On faisait bien des propositions, mais on lançait surtout beaucoup d'accusations. Je le regrette, mais c'est ainsi que cela s'est passé.
Aujourd'hui, nous avons une chance d'échapper à cette logique, mais cela requiert que chacun d'entre nous sorte de son couloir. Il y a quatre-vingts ans, c'est ce qu'ont fait nos aïeux pour créer notre système de retraite : sinon, ils n'auraient pas œuvré ensemble à la construction de ce régime que je qualifierai de fraternel. Le moment que nous vivons, tous ensemble, à présent est donc essentiel, mais il implique que nous acceptions tous, une bonne fois pour toutes, de sortir de nos couloirs respectifs sur ce sujet.
Je vous le dis franchement, mes chers collègues : je ne sais pas quel sera mon vote sur cet article.
M. Francis Szpiner. C'est du macronisme !
M. Martin Lévrier. Non, pas du tout : c'est du courage, monsieur ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Ça devient dur de faire du « en même temps » !
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l'article.
M. Ronan Dantec. La réforme des retraites de 2023 a eu un coût absolument considérable pour la société française. Elle nourrit deux fractures dont le pays ne se relève pas.
La première de ces fractures françaises est la fracture sociale, bien sûr. En effet, en faisant le choix de fonder la réforme sur le relèvement de l'âge légal de la retraite, on a très clairement demandé aux Français qui ont fait le moins d'études de payer pour ceux qui, ayant fait des études plus longues, ont les situations les plus favorisées. C'est donc une réforme profondément injuste, et ressentie comme telle par les Français.
La deuxième fracture résulte de la manière dont ce texte a été forcé contre la société française, en dépit de mobilisations absolument inédites et d'études d'opinion qui montraient toutes à quel point notre société était opposée à cette réforme. Malgré tout cela, le gouvernement de l'époque et le Président de la République ont pris la responsabilité de la faire passer, à l'encontre de toute démocratie sociale.
Ces deux fractures, aujourd'hui encore, fragilisent très profondément la société française.
Or, malgré ce bilan politique désastreux, qui s'est traduit dans les urnes à la suite de la dissolution – remarquons à ce propos que, sans la mobilisation de la gauche en faveur du front républicain, vous auriez perdu encore plus de sièges ! –, vous persistez. En témoigne la phrase totem répétée par Bruno Retailleau : « Il ne faut pas transmettre aux générations futures le fardeau de la dette. » C'est oublier, mon cher collègue, que par votre refus d'entendre les Français, en particulier les plus modestes, vous laissez aux générations futures un fardeau politique bien plus redoutable : la droite républicaine se résigne ou se prépare à n'être plus que le supplétif de forces obscures que la gauche, elle, a toujours combattues ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Francis Szpiner. Vous avez censuré Michel Barnier avec les voix du RN !
M. Ronan Dantec. Vous pouvez encore renoncer à cette posture, vous pouvez encore faire preuve de responsabilité, mais vous ne le ferez certainement pas en persistant à refuser tout compromis au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l'article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je relève qu'un simple décalage de l'application de la réforme des retraites est insupportable à la majorité sénatoriale. (M. Marc-Philippe Daubresse le confirme.)
Vous-même, monsieur le ministre, ne pouvez nier ce que disent les Français et les partenaires sociaux qui vous sont si chers : il faut non seulement un décalage, mais surtout une abrogation de cette réforme. C'est souhaitable, c'est nécessaire et c'est finançable. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Bien sûr…
M. Marc-Philippe Daubresse. C'est insupportable !
Mme Raymonde Poncet Monge. Quant à vous, monsieur Retailleau, vous ne nous aurez pas convaincus en sortant du tiroir la fake news sur le déficit caché des retraites, qui est contestée par le Conseil d'orientation des retraites lui-même – peut-être faudrait-il le dissoudre, alors –, ainsi que par la Cour des comptes – peut-être faudrait-il la dissoudre, elle aussi ! Votre méthode relève tout simplement des « vérités alternatives » qui nous viennent des États-Unis, c'est-à-dire de l'utilisation du mensonge comme argument. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je voudrais donc rappeler – il faut le dire et le redire, même si l'avoir fait a coûté son poste au président du COR – que le déficit du système de retraite est dû non à la dynamique des dépenses, mais à la baisse tendancielle des recettes.
M. Olivier Rietmann. C'est faux!
Mme Raymonde Poncet Monge. Aussi, si vous aviez accepté les solutions de recettes que nous proposions, les comptes sociaux auraient pu être rééquilibrés.
Pour rétablir l'équilibre des comptes sociaux, y compris ceux des retraites, il faut cesser de se concentrer sur la baisse des dépenses, car celle-ci ne fait que courir derrière la baisse des recettes. On diminue celles-ci, on pratique la politique des caisses vides, et ensuite on presse les dépenses de diminuer à leur tour ; on les revoit à la baisse parce qu'il ne faut surtout pas de déficit !
Le seul argument valable des auteurs de ces amendements est qu'ils pointent l'injustice que constitue le fait de faire supporter le coût de cette mesure de décalage par les retraités. Sur ce point, mes chers collègues, nous sommes d'accord, et en désaccord sur tout le reste ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, nous sommes tous ici des gens responsables. Simplement, nous avons des désaccords politiques et, par conséquent, nous répondons de manière différente à un problème donné.
Nous débattons ce soir de la question du déficit de notre système de retraite. Mais quid des exonérations de cotisations sociales, qui grèvent les recettes de la sécurité sociale ? Quid des inégalités salariales, des petits salaires dont les cotisations sont mécaniquement insuffisantes pour payer les retraites ? Quid de la relance de l'activité économique et de l'embauche, qui permettraient, elles aussi, de percevoir des cotisations supplémentaires ?
Il n'y a donc pas les responsables d'un côté et les irresponsables de l'autre : il y a différents projets de société, et nous soumettons le nôtre au débat.
À l'Assemblée nationale, je l'ai rappelé, nos collègues communistes ont voté contre cet article 45 bis, et ce pour deux raisons principales.
Premièrement, contrairement à ce qui a été annoncé, il ne s'agit pas d'une suspension de la réforme des retraites, mais d'un simple décalage, qui suscite d'ailleurs de nombreux cafouillages : on peine à expliquer qui en seraient les bénéficiaires réels, combien ils seraient et pour combien de temps.
Deuxièmement et surtout, il nous est apparu que, si le Parlement devait approuver cet article 45 bis, il acterait par son vote, pour la première fois, le recul à 64 ans de l'âge légal de départ à la retraite. Or, tout comme nous nous y étions opposés lors de l'examen de la réforme défendue par Mme Borne, nous y sommes toujours défavorables, parce qu'il existe d'autres solutions et que, majoritairement, les Français ne sont pas favorables à la retraite à 64 ans.
Cela étant posé, il n'y en a pas moins une certaine malice dans les amendements de suppression de cet article, et nous ne tomberons pas dans l'écueil que constituerait le mélange, dans un vote de suppression, de voix dont les significations seraient divergentes.
Dès lors, je vous le dis très tranquillement, nous nous abstiendrons sur ces amendements de suppression, non pas parce que nous soutenons l'article 45 bis, mais parce que nous ne sommes pas tout à fait d'accord, pour le dire gentiment, avec ceux qui proposent sa suppression.
M. Mathieu Darnaud. Il est bien isolé, le parti socialiste !
M. Laurent Duplomb. Ah, la gauche…
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, sur l'article.
M. Olivier Henno. Pour notre part, je le dis d'emblée en toute clarté, nous voterons pour ces amendements de suppression de l'article. Ce débat appelle cependant plusieurs remarques de fond et de forme.
Milan Kundera relevait combien est rude le combat contre les démagogues ; je ne peux ce soir que constater combien il avait raison. J'ai noté plusieurs des expressions employées au cours du débat : « inique », « matraquage », « cynique », « impôt sur la vie », « obscurité », « Ancien Régime ». À ce propos, l'un de mes maîtres, Jean Lecanuet, qui a longtemps siégé dans cet hémicycle, disait volontiers : « La violence des mots masque la pauvreté de la pensée. » Je trouve que cette phrase convient fort bien au débat de ce jour ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également. – Mme Cécile Cukierman proteste.)
Ensuite, pour répondre à certains arguments de forme, la réforme des retraites de 2023 nous apparaît pleinement légitime. Certes, elle est passée grâce au 49.3, mais les réformes adoptées de cette manière doivent-elles toutes être remises en cause, mes chers collègues ? Ainsi, sous la présidence de François Hollande, la loi El Khomri a été adoptée par 49.3,…
Mme Cécile Cukierman. Ça tombe bien, nous avons voté contre !
M. Olivier Henno. … la loi Macron – M. Macron était alors ministre, tout comme M. Kanner, d'ailleurs… (Rires et applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.) – également. Or l'on ne vous a pas entendu à l'époque, mes chers collègues de gauche, vous élever contre l'illégitimité de ces textes ! À nos yeux, cette réforme-ci est donc tout à fait légitime.
Après la forme, j'en viens au fond. Soyons raisonnables, rappelons les chiffres : quand la gauche a décidé de la retraite à 60 ans, l'espérance de vie était de 72 ans ; il fallait donc servir en moyenne douze ans de pensions. Aujourd'hui, quand on a 60 ans, on peut espérer vivre jusqu'à 82 ans, bientôt 83. (Exclamations sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Mickaël Vallet. Ça dépend pour qui !
M. Olivier Henno. Peut-on raisonnablement verser plus de vingt ans de pensions ? Ce n'est pas sérieux pour les générations à venir !
Je formulerai une remarque en conclusion : voyez-vous, mes chers collègues socialistes, ce n'est pas en se montrant responsable que l'on prépare l'arrivée au pouvoir des populistes et des extrémistes ; c'est en faisant du populisme light ! Restez un parti de gouvernement, s'il vous plaît. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
Mme Sophie Primas. Bien envoyé !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l'article.
M. Guillaume Gontard. Nous sommes en 2025, année du quatre-vingtième anniversaire de la sécurité sociale et du régime général des retraites. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est important de le souligner, mes chers collègues : ce sont quatre-vingts années durant lesquelles nous avons fait fonctionner ce régime.
Or c'est le moment même que vous choisissez pour élaborer le pire budget que la sécurité sociale ait jamais connu. Nous l'avons constaté toute cette semaine, nous l'entendons encore dans vos interventions de cet après-midi : vous vous entêtez dans votre dogmatisme ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Marie Nédélec. Alors, ça !
M. Guillaume Gontard. Ambroise Croizat avait raison quand il déclarait : « Ne me parlez pas d'acquis sociaux, mais de conquis sociaux, car le patronat ne désarme jamais. » Non, la droite ne désarme jamais. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous affirmez vouloir sauver le système par répartition, mais, en réalité, vous êtes en train de le tuer ! Vous l'avez tué toute cette semaine, à coups d'exonérations et de non-compensations ; vous le faites depuis des années.
Nous comprenons pourtant fort bien que l'origine du problème est à chercher dans la baisse des recettes. Je vous appelle donc une nouvelle fois à sortir de vos dogmatismes.
M. François Bonhomme. Parole d'expert !
M. Guillaume Gontard. Soyez responsables, mes chers collègues, car nous sommes dans une période où l'on a besoin de responsabilité !
M. Marc-Philippe Daubresse. Je ne vous le fais pas dire !
M. Guillaume Gontard. Nous souhaitons, nous aurions préféré une abrogation de la réforme des retraites. Cet article ne nous offre qu'une suspension, ou un décalage. Mais nous, nous savons faire des compromis, et les accepter.
Alors, chers collègues de la majorité, faites montre d'un tantinet de réalisme, ouvrez les yeux sur l'environnement politique ! Il y a eu des élections législatives il n'y a pas si longtemps, me semble-t-il, lors desquelles les retraites ont été au cœur du débat. Chacun de vos candidats à la députation a défendu cette réforme. Et quel en a été le résultat ? Votre score moyen n'a pas dépassé 5,4 % !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. – Et le vôtre ?
M. Guillaume Gontard. À un moment donné, il faut savoir écouter. Cette réforme des retraites n'a jamais été votée à l'Assemblée nationale.
M. Olivier Rietmann. Elle a été votée ici !
M. Guillaume Gontard. Une écrasante majorité des actifs, 90 % d'entre eux, y sont opposés. Écoutez donc, ne serait-ce qu'un instant, les citoyennes et les citoyens français ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l'article.
M. Yannick Jadot. Au fond, l'objet de cet article est de soigner une blessure démocratique. Personne n'est satisfait de cette réforme des retraites ni de la façon dont elle a été menée ; même vous qui la souteniez, vous ne pouvez vous satisfaire de la manière dont tout cela s'est passé.
Quand on suscite une telle opposition dans l'opinion publique, en particulier de la part des salariés, quand on triture ainsi nos règles et nos institutions pour faire passer une réforme, on crée une blessure démocratique. Dès lors, notre responsabilité collective, dans le vote qui s'annonce, est moins de trancher que de soigner.
J'imagine, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous défendrez, dans le cadre de la campagne présidentielle de 2027, le recul de l'âge de départ à la retraite jusqu'à 67 ans – cela fait déjà partie de vos propositions. Nous soutiendrons tout autre chose, en l'occurrence l'abrogation de cette réforme. Quoi qu'il en soit, avant que les électeurs ne tranchent ce débat, au vu de l'état du pays aujourd'hui, trouver un compromis, une solution d'apaisement serait tout de même une bonne nouvelle.
En effet, nous sommes tous conscients, d'un côté comme de l'autre, que pour une grande part de nos concitoyens, la démocratie est aujourd'hui comme mise en examen. Depuis trop longtemps, la démocratie que nous défendons légitimement, y compris contre l'extrême droite, ne les protège plus. Les dysfonctionnements de nos institutions et l'impuissance de nos politiques publiques font que beaucoup se sentent relégués et méprisés ; ils ont l'impression que la démocratie, en fait, ne s'occupe plus d'eux. Nous avons le devoir d'y remédier au travers des textes budgétaires qu'il nous revient de voter.
Or que faites-vous ? Vous avez entériné le gel des minima sociaux. Dans quelques jours, vous voterez la réduction du budget des associations ; ce sera la deuxième lame.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Yannick Jadot. Franchement, mes chers collègues, ne ratez pas cette occasion d'apaiser le pays et de soigner un tant soit peu cette blessure démocratique ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l'article.
Mme Laurence Rossignol. Il y a quelques instants, notre collègue Bruno Retailleau, pour justifier la suppression de cet article qui suspend la réforme des retraites, invoquait comme premier argument le fait que cette disposition constituerait le prix du compromis passé entre le Gouvernement et les socialistes.
Mais enfin, mon cher collègue, quand bien même ce serait le cas – nous sommes capables de passer un compromis avec le Gouvernement, et celui-ci non seulement avec les socialistes, mais aussi avec tous ceux qui, comme Yannick Jadot vient de l'exposer en détail, sont soucieux de réparer une blessure démocratique –, il ne vous aura tout de même pas échappé que cette réforme suscitait l'hostilité des trois quarts des Français ! Même si vous êtes convaincus d'avoir raison, vous ne pouvez éternellement éviter de vous poser la question des conséquences démocratiques d'un tel affrontement avec un si grand nombre de nos concitoyens.
Oui, j'estime que le temps est au compromis ; il importe aujourd'hui que des hommes et des femmes politiques responsables se montrent capables de passer des compromis. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous en avons besoin, tant sur le plan social que sur le plan politique.
En effet, notre pays est menacé de toutes parts. Vous le savez, car vous vous intéressez beaucoup aux menaces intérieures ; pour ma part, je m'intéresse beaucoup aux menaces extérieures.
M. Mathieu Darnaud. Nous aussi !
Mme Laurence Rossignol. Nous avons besoin d'un pays qui soit suffisamment fort et uni pour affronter ces menaces, à l'approche d'échéances politiques lourdes et graves.
Il est tout de même plus qu'étonnant, mes chers collègues, que vous nous reprochiez de passer des compromis. Vous n'avez pas moins de six ministres dans ce gouvernement ! Nous, socialistes, n'en avons pas un seul, mais nous sommes au moins capables de passer des compromis dans l'intérêt du pays et des Français. Quant à vous, je ne sais trop quel est l'intérêt que vous défendez ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Je trouve ce débat particulièrement intéressant, mais je dois dire, monsieur le président Kanner, que j'ignorais que vous eussiez une spécialité médicale en psychiatrie et en gériatrie. (Protestations sur les travées du groupe SER.) En effet, vous nous reprochez d'empêcher les gens de vieillir mal, en les forçant à travailler. Mais enfin, ce n'est pas du tout ainsi que les choses se passent ! Le travail contribue en bonne partie à la bonne santé, quoi que l'on dise. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Céline Brulin. Ça dépend de quel travail !
M. Patrick Kanner. Venez donc à Dunkerque expliquer cela aux salariés d'ArcelorMittal !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, je vous ai écouté sans vous interrompre, permettez-moi de parler à mon tour !
M. Patrick Kanner. Ne soyez pas aussi caricatural, alors !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Vous-même l'avez été, et même à l'extrême sur des sujets de médecine !
Il est un point qui me semble extrêmement important, mais que personne n'a encore évoqué dans ce débat. La réforme Touraine prévoyait d'en venir à 43 années de cotisations ; la réforme Borne ne prévoit pas autre chose. (Marques d'approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. L'âge légal, dans la réforme Touraine, c'était 62 ans !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Mais à quel âge les gens auraient-ils pu partir à la retraite, aux termes de la réforme Touraine ? À 63 ans et 8 mois… En 2023, on a simplement rajouté quatre mois, pour que les gens puissent partir à la retraite à 64 ans. Dans ces conditions, mes chers collègues, en toute honnêteté, la violence des termes que certains d'entre vous ont employés dans vos interventions se justifie-t-elle ? Je ne le pense pas.
En revanche, je reconnais une erreur dans la réforme Borne : le fait que ce fut une réforme strictement financière. Comme elle a pris la forme d'une loi de financement de la sécurité sociale, la pénibilité a été exclue du texte…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi l'avez-vous votée, alors ?
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Certes, lors de son examen au Sénat – je le rappelle à l'intention de ceux qui ne siégeaient pas encore parmi nous –, nous y avions introduit des dispositions visant à prendre en compte la pénibilité, comme Mme El Khomri l'avait souhaité, ou encore des mesures améliorant la retraite des femmes…
M. Patrick Kanner. C'était une mauvaise réforme !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, je me souviens bien que vous avez voté avec nous ces dispositions relatives aux femmes, à la prise en compte des grossesses dans le calcul des pensions, ou encore au temps de travail et aux carrières longues. Tout cela, nous l'avons voté, mais le Conseil constitutionnel l'a évidemment censuré du fait de la nature juridique du texte.
Dès lors, la sagesse serait, plutôt que de revenir sur la loi qui a été adoptée – par le 49.3, malheureusement – en 2023, de travailler sur la pénibilité, la retraite des femmes et les carrières longues. Surtout, arrêtons de nous invectiver pour rien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, sur l'article.
M. Éric Kerrouche. J'ai écouté attentivement les interventions de nos collègues Bruno Retailleau et Olivier Henno, qui nous ont exposé tout le mal que représentent selon eux les solutions mises en place par les socialistes au cours de l'histoire ; à les entendre, elles seraient à l'origine de l'ensemble des dérives de la France. Je retrouve là comme un écho de certains propos tenus jadis par des députés ou sénateurs de droite, que je voudrais vous citer.
Ainsi, s'agissant de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, qui a limité à dix heures la journée de travail, le député Paul Beauregard déclarait : « La réduction des heures de travail est une chimère socialiste qui ruinera nos usines et découragera le capital. »
Lors de l'instauration des retraites ouvrières et paysannes, en 1910, un sénateur de droite affirmait : « Vous créez une retraite que l'ouvrier ne demande pas et que l'État ne pourra pas payer. Nous faisons naître des espérances que nous serons incapables de satisfaire. » Un autre encore disait ceci : « On veut faire croire que l'État pourra assurer à tous une vieillesse paisible. Ce n'est qu'une illusion coûteuse qui compromettra nos finances et nos libertés. »
Je vous le dis donc tout à fait clairement, mes chers collègues de droite : vous serez toujours les défenseurs de quelques-uns au détriment de tous ! C'est ce même choix que vous vous apprêtez à faire ce soir : le choix de la résignation sociale. Si vous le faites, si vous confirmez ce renoncement, il se fera au détriment du plus grand nombre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Barros, sur l'article.
M. Pierre Barros. Il y a du monde ce soir dans notre hémicycle, et c'est bien normal : c'est un vrai débat politique qui se tient sur cet article, un débat important sur des choix qui permettent d'ailleurs de distinguer clairement la droite de la gauche.
Certes, nous ne referons pas aujourd'hui tout le débat sur les retraites, mais l'examen de cet article nous autorise tout de même à discuter un tant soit peu de toutes ces questions.
Il est question ici non seulement d'efficacité budgétaire, mais d'un réel choix de société. Ainsi, M. Retailleau veut aller encore plus loin, au-delà de la réforme des retraites : il pose la question du temps de travail, en remettant en cause les 35 heures, et en suggérant que la France, qui, selon lui, ne travaille pas suffisamment, pourrait travailler un peu plus pour créer un peu plus de richesses.
Certes, je ne nierai pas que c'est le travail qui produit la richesse ; il a en outre le mérite de nous inscrire dans la société, il peut procurer une réelle satisfaction quand on produit réellement quelque chose. Mais, quand on participe, comme beaucoup d'entre nous, à la vie de la collectivité, quand on est élu municipal, on sait que la vie productive de chacun ne se réduit pas au travail salarié.
Il ne faut pas oublier tout le travail que l'on fournit et produit en dehors du temps de travail. Intervenir dans le milieu associatif, faire de la politique quand on est actif ou à la retraite, c'est l'occasion de faire autre chose et de produire d'autres richesses. Quand ils s'inscrivent dans un cadre budgétaire, le débat sur les retraites et celui sur le temps de travail éludent souvent la richesse que l'on crée en dehors du temps de vie au travail.
Pour ma part, pendant vingt ans, j'ai réduit mon temps de travail pour faire de la politique. Ce choix, que j'ai fait comme beaucoup d'entre nous, mes chers collègues, a été heureux, puisqu'il m'a permis de m'épanouir à la fois au travail et en politique.
Nous évoquons aujourd'hui la question du temps dans une institution qui a fêté son cent cinquantième anniversaire cette année et qui a vu naître de nombreuses avancées sociales. Il ne faut surtout pas créer les conditions d'un retour à l'époque où l'hémicycle dans lequel nous siégeons a été construit, lorsque hommes, femmes, enfants, travaillaient dix heures par jour, soixante heures par semaine, dans des conditions épouvantables.
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Mesurons, mes chers collègues, tous les progrès qui ont été accomplis et toutes les avancées sociales qui perdurent.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l'article.
M. Laurent Duplomb. En réalité, ce n'est pas la force des opposants qui provoque cette suspension, mais bel et bien l'aveuglement des dirigeants, enfermés dans une logique de fuite en avant, cédant au chantage et n'hésitant pas à s'autodésigner otages d'un diktat de quelques minorités. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Suspendre pour ne pas gouverner, c'est pire qu'un échec, c'est un aveu d'impuissance. C'est un retour à la case départ !
Pendant que l'Europe repousse l'âge de départ à la retraite – à 67 ans en Italie et en Espagne ; à 70 ans au Danemark –, la France ferait marche arrière, comme d'ailleurs dans beaucoup de domaines,…
M. Ian Brossat. Avec les pesticides ?
M. Laurent Duplomb. … pour revenir à 62,5 ans.
Le pire, c'est qu'il faut bien voir que la suspension de ladite réforme des retraites fait définitivement basculer celle-ci dans le vide, vers une suppression irrévocable. Qui oserait en effet se risquer à remettre le sujet sur la table à la veille de l'élection présidentielle ? (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Thomas Dossus. Vous êtes pourtant majoritaires au Sénat !
M. Laurent Duplomb. Pour celui qui tenterait de porter cette réforme tant écornée, l'exercice serait suicidaire. Résultat, la suspension, qui sera au final une suppression inévitable, conduira à creuser allègrement un déficit qui compte pour moitié dans l'accroissement de notre dette depuis dix ans.
Aujourd'hui, et c'est inquiétant, presque personne ne semble remettre en cause ce renoncement que les générations futures payeront au prix fort, car, pour elles, il ne restera plus que des miettes du système de retraite par répartition et beaucoup de dettes.
Comme l'a écrit Marc Bloch, c'est non pas l'absence de moyens qui frappent, mais « l'incapacité de commandement » de nos responsables politiques qui « ne se sont pas seulement laissés battre », mais qui « ont [aussi] estimé très tôt naturel d'être battus ».
L'histoire nous enseigne que les Nations s'effondrent non pas seulement sous les coups de l'ennemi, mais par l'usure interne, par la rupture entre les gouvernants et les gouvernés. La suspension de la réforme des retraites doit être prise pour ce qu'elle est : le signal d'une étrange défaite. (Marques d'impatience sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Laurent Duplomb. Refuser de réformer, c'est préparer l'effondrement silencieux d'un système à bout de souffle ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 128 rectifié nonies est présenté par MM. Henno et Marseille, Mme Billon, MM. Bleunven, Bonneau, Cadic, Cambier, Canévet, Cazabonne, Chauvet, Cigolotti et Courtial, Mme de La Provôté, MM. Delahaye, S. Demilly et Dhersin, Mme Doineau, MM. Fargeot et Folliot, Mmes Gacquerre et Guidez, MM. Haye et L. Hervé, Mme Herzog, M. Hingray, Mmes Housseau et Jacquemet, MM. Kern, Lafon, Laugier et Levi, Mme Loisier, MM. Longeot, P. Martin, Maurey, Menonville et Mizzon, Mmes Morin-Desailly et Patru, M. Pillefer et Mmes Romagny, Sollogoub, Tetuanui, Vérien, Vermeillet et Perrot.
L'amendement n° 155 rectifié ter est présenté par MM. Capus, Malhuret et Chasseing, Mmes Bourcier, Lermytte, Bessin-Guérin, L. Darcos et Paoli-Gagin, MM. Brault, Grand, Laménie, Chevalier, L. Vogel, Wattebled, Rochette, Pellevat, Médevielle et V. Louault et Mme Canayer.
L'amendement n° 716 est présenté par Mme Gruny, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 1512 rectifié ter est présenté par M. Le Rudulier, Mme Dumont, MM. Khalifé, Sido et Séné, Mme Lopez et MM. H. Leroy et Panunzi.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Henno, pour présenter l'amendement n° 128 rectifié nonies.
M. Olivier Henno. Il n'est pas question de revenir une nouvelle fois sur les arguments échangés à l'issue de ces débats intenses.
Cet amendement a pour objet de préserver la réforme de 2023, qui a été engagée pour sauver le système de retraite par répartition. Monsieur Kerrouche, il s'agit de revenir non pas sur la totalité des conquêtes sociales,…
M. Patrick Kanner. Vous en rêvez !
M. Olivier Henno. … que nous approuvons toutes, mais sur la suspension de la réforme des retraites.
Notre raisonnement est très simple. Nous constatons que, quand un pays travaille moins, il s'appauvrit ; et, quand un pays s'appauvrit, ce sont les plus fragiles et les plus pauvres qui payent la note. C'est ce dont nous ne voulons pas pour la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l'amendement n° 155 rectifié ter.
M. Emmanuel Capus. J'ai une bonne nouvelle pour le président Kanner. Je vais la lui apprendre, car, manifestement, elle n'est pas encore arrivée jusqu'à ses oreilles. M. Kanner vit visiblement sur la même île que le Rassemblement national, puisqu'elle n'a manifestement pas non plus été portée à la connaissance de ce parti politique. Cette bonne nouvelle, c'est que nous vivons en moyenne dix ans de plus qu'il y a quelques années. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Comme M. le président Milon l'a indiqué, le travail participe évidemment grandement à l'allongement de l'espérance de vie. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Nous ne volons donc pas deux années de vie : nous continuerons à vivre huit, neuf, dix ans de plus en bonne santé.
Nous faisons comme tous les pays du monde qui, eux, ne vivent pas sur une île. Nous allons faire comme la Belgique et l'Espagne, qui ont repoussé l'âge de départ à la retraite à 65 ans, comme l'Allemagne, le Portugal et l'Irlande, qui l'ont repoussé à 66 ans,…
M. Mickaël Vallet. Comme le Luxembourg !
M. Emmanuel Capus. … comme l'Italie et les Pays-Bas, qui l'ont repoussé à 67 ans. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Monique Lubin. Et le taux d'emploi ?
M. Emmanuel Capus. Comment les gens font-ils pour travailler après 62 ans, madame Lubin ? Il serait bon que vous alliez sur place le constater. En fait, c'est simple : ils travaillent. Et figurez-vous que cela améliore la qualité de vie des seniors. C'est le meilleur moyen de lutter contre le défaut de travail des salariés les plus âgés. Tout cela est corrélé à l'allongement de la vie…
Nous allons donc faire exactement ce que font tous les autres pays.
L'erreur funeste, le péché originel, c'est la retraite à 60 ans de François Mitterrand. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) Elle a été une catastrophe, un contresens historique.
Depuis, quels que soient les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, que les Premiers ministres se nomment Balladur ou Rocard, les ministres Woerth ou Touraine, personne n'a jamais renoncé à une réforme des retraites, tout simplement parce que celles-ci s'imposent.
Nous nous apprêtons à faire la même chose. Ne pas le faire serait une première.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Emmanuel Capus. Nous ne renoncerons pas à réformer et nous ne sacrifions pas les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 716.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Nous en arrivons aux amendements tendant à supprimer la suspension de la réforme des retraites.
Mes chers collègues, je ne sais pas si vous avez été interrogés dans vos territoires sur cette réforme. Pour ma part, j'ai constaté que celle-ci avait été intégrée par nos concitoyens.
Le parti socialiste a agité un chiffon rouge (Mme Laurence Rossignol proteste.) : la réforme des retraites ou la censure du Gouvernement, afin de faire gagner un trimestre aux générations nées en 1964 et 1965 – tout cela pour un coût de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,5 milliard d'euros en 2027, si l'on tient compte de la mesure sur les carrières longues adoptée à l'Assemblée nationale.
Comme la France a beaucoup d'argent, il n'y a pas de problème...
M. Patrick Kanner. On a trouvé des recettes !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Les recettes ? Oui, on les a trouvées…
M. Patrick Kanner. Sur le dos des plus faibles !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Non, sur le dos des retraités, monsieur Kanner, parce que nous n'avons pas le choix si nous voulons conserver la retraite par répartition ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le choix est simple : soit le report de l'âge de départ à la retraite, soit la baisse des pensions, soit la hausse des cotisations. À vous de choisir…
C'est d'ailleurs ce que j'ai dit aux syndicats. Quand on leur demande ce qu'ils proposent, ils ne nous parlent pas des riches, car ils ont conscience que cela relève du projet de loi de finances et n'a rien à voir avec la branche vieillesse.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer l'article 45 bis.
Cette mesure n'est que de la poudre de perlimpinpin ; c'est une annonce pour sauver le Gouvernement – je ne suis d'ailleurs pas très convaincue que cela fonctionne. Pour les retraités, on sacrifie la jeunesse et les jeunes actifs, que ce débat n'intéresse pas, parce qu'eux savent bien qu'ils n'auront pas de retraite – et cela me fend le cœur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour présenter l'amendement n° 1512 rectifié ter.
M. Stéphane Le Rudulier. Je me suis penché sur la philosophie de notre système par répartition. Si un constat doit faire l'unanimité – et je pense que c'est le cas dans cet hémicycle –, c'est qu'il faut le sauvegarder.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de financer les retraites de demain avec les bébés d'aujourd'hui. Cette équation n'est valable que si l'on bénéficie d'une parenthèse démographique enchantée similaire à celle des années 1950.
Or que constatons-nous a minima ? Nous sommes face à un double phénomène. D'une part, la population vieillit. Avec l'allongement de la durée de vie, dont tout le monde peut se réjouir, cinq générations cohabitent aujourd'hui. D'autre part, notre taux de natalité est en berne et la pyramide des âges décline.
Face à ce constat démographique, c'est la petite mort du système par répartition qui est aujourd'hui en jeu.
M. Laurent Duplomb. Tout à fait ! Et ce sont les pauvres qui trinquent !
M. Stéphane Le Rudulier. Comme l'a rappelé Bruno Retailleau, en 1945, on comptait six actifs pour un retraité. Aujourd'hui, on en est à 1,6 actif pour un retraité. Dans quinze ans, c'est-à-dire demain, le ratio sera de 1,2. En 2040, nous connaîtrons un pic démographique auquel succédera un déclin des actifs – on prévoit une baisse de 30 % de ces derniers en 2045. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Clou du spectacle, les Français travaillent 170 heures de moins en moyenne que dans le reste des pays européens. Qu'il faille travailler davantage, c'est une évidence.
Je conclurai par un clin d'œil à M. Kerrouche, qui semble nostalgique de la loi de 1910. Celle-ci prévoyait un système par capitalisation pour les ouvriers et les paysans qui gagnaient moins de 3 000 francs par an et, tenez-vous bien, un âge légal de départ à la retraite à 65 ans… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Quelle est l'analyse du Gouvernement sur cette suspension de la réforme des retraites ?
Certes, je devine la position majoritaire du Sénat,…
M. Marc-Philippe Daubresse. Eh oui !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. … car je connais le sérieux budgétaire qui caractérise la chambre haute.
Le Gouvernement a perçu cette mesure comme une condition nécessaire à la stabilité politique et économique de notre pays voulue par les Français. Je rappelle en effet que 61 % des Français sont favorables à une forme de stabilité. Il en va de même des entreprises. Les changements perpétuels de gouvernement depuis quelques mois commencent à nuire au fonctionnement de notre pays.
Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : pour le Gouvernement, cette suspension n'est pas une abrogation – j'en suis désolé pour le côté gauche de cet hémicycle. Certes, elle suspend le déploiement initial de la réforme des retraites, dont les paramètres ont été figés au moment de son adoption, mais, à défaut d'une autre réforme, celle-ci reprendra au 1er janvier 2028. Je réponds ainsi aux questions qui ont pu être posées sur l'avenir de la réforme.
Quel est le coût de cette suspension ?
Pour le moment, au regard des modifications opérées par l'Assemblée nationale, puisque des ajustements ont eu lieu au cours des débats, notamment sur les carrières longues, cette disposition coûtera 300 millions d'euros en 2026 et 1,9 milliard d'euros en 2027. Je précise que tout cela peut évoluer jusqu'au vote définitif.
Cette suspension a un avantage, celui de donner du temps au dialogue social. C'est fondamental – j'y ai beaucoup insisté durant les débats –, car cela permettra par exemple de revenir sur la question de la pénibilité que vous avez évoquée, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous ne sommes pas passés loin d'un accord sur ce point, mais nous n'y sommes finalement pas parvenus.
Certains d'entre vous ont souligné que cette réforme avait été élaborée dans le cadre d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale et qu'elle s'était donc bornée aux aspects financiers.
M. Mickaël Vallet. C'est le cas de le dire !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Ce volet était certes très important, mais les autres sujets n'ont pu être abordés, par exemple tout ce qui touche au travail ou à la pénibilité. Lorsque l'on exerce un métier pénible pendant trente, trente-cinq ou quarante ans, comment envisager la poursuite de sa carrière ? Il faut répondre à ces enjeux.
L'un des objectifs de la conférence sur le travail et les retraites est de discuter en profondeur du travail, des conditions de travail, de l'organisation du travail, du vécu au travail, de la rémunération au travail, du rapport au management. Il est primordial de traiter ces problématiques si nous voulons que, dans notre pays, les salariés abordent la dernière partie de leur carrière en bon état physique et mental. Les réponses sur lesquelles nous nous accorderons permettront certainement aux travailleurs d'appréhender plus facilement une poursuite de carrière au-delà des limites d'âge fixées aujourd'hui.
En ce qui me concerne, j'ai confiance dans le dialogue social. Si l'on y intègre cette question du travail, en particulier de la pénibilité, le débat a une chance réelle de reprendre et de déboucher sur un accord qui, au fond, réglerait le problème. Si les partenaires sociaux parviennent à un accord, ce dernier devrait pouvoir trouver sa traduction dans la loi – disant cela, je ne préjuge pas des débats qui auront lieu au Parlement.
En cas d'échec, le débat démocratique prendra le relais. On voit bien d'ailleurs que certains partis proposent déjà de nouveaux systèmes de retraite.
Ce temps sera aussi un temps utile. Le sénateur Yannick Jadot a évoqué la prochaine élection présidentielle : tant mieux si les sujets sociaux sont au cœur de la campagne qui s'annonce. On parle des retraites, mais il faudra peut-être aussi parler du financement de la sécurité sociale, dont on voit qu'il est à bout de souffle.
Il s'agit là de sujets fondamentaux pour les Français. Je préfère que ce soient ces enjeux qui soient au cœur du débat politique, plutôt que d'autres, car cela concerne toutes les Françaises et tous les Français, quelle que soit leur génération. Au fond, si c'est le cas, nous n'aurons pas travaillé pour rien : ce matériau ordonné, structuré, au sujet duquel tout le monde accepte de s'écouter sans tabou, permettra de choisir entre des options qui auront fait l'objet de l'évaluation la plus objective possible. Tout cela sera porté au débat et sera tranché de façon démocratique, si les partenaires sociaux n'ont pas su le faire avant. C'est par le débat démocratique que sera décidée l'évolution de la réforme. Évidemment, tout cela a de la valeur.
Par ailleurs, le redressement des comptes de la sécurité sociale fait partie des objectifs du Gouvernement et constitue l'une de ses principales préoccupations. D'un point de vue macroéconomique, la copie du Gouvernement permettait de parvenir à un déficit de 17,5 milliards d'euros. Selon quelles recettes et quelles dépenses ? C'est tout l'objet du débat parlementaire.
La suspension de la réforme des retraites concerne en premier lieu la branche vieillesse. Les finances de celle-ci dérapent cependant moins que celles de la branche maladie, qui, sans mauvais jeu de mots, reste la branche la plus malade. Ce sont les comptes de l'assurance maladie qui sont en effet les plus déficitaires, et ce en raison de la conjonction de deux facteurs déterminants : le vieillissement de la population et le coût croissant des maladies en fin de vie. Cela étant, l'évolution de la démographie a aussi une incidence sur la branche vieillesse, ainsi que sur les retraites.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai écoutés avec attention. J'ai bien vu que les débats étaient montés d'un cran. Ne vous trompez pas d'enjeu : il s'agit non pas d'être pour ou contre la réforme des retraites, mais pour ou contre sa suspension. (Exclamations sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je reste factuel : l'article 45 bis a trait à la suspension de la réforme des retraites, il n'a pas pour objet la réforme des retraites.
Vous l'aurez compris, le Gouvernement est favorable à la suspension de la réforme des retraites ; c'est d'ailleurs pourquoi il a intégré cet article dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026. Vous ne serez donc pas surpris qu'il émette un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Je souhaite revenir sur les propos qu'a tenus M. Retailleau : les Français doivent travailler plus. Or, en allongeant la durée du travail, mon cher collègue, vous allongez en fait la vie au travail de ceux qui travaillent déjà beaucoup et qui n'ont pas le choix de s'arrêter avant.
Par ailleurs, le déficit caché est une fable irresponsable. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Dans le temps qui m'est imparti, et compte tenu de la technicité du débat, je ne pourrai pas développer mes arguments, mais faut-il vraiment intégrer les retraites des fonctionnaires dans le déficit ? Et dans ces conditions, qui est censé les payer ? Nous aurons l'occasion d'en reparler…
J'ai entendu différents éléments de langage, qui reviennent de plus en plus fréquemment du côté droit de l'hémicycle : il a été question des 35 heures, de la retraite à 60 ans… À cet égard, j'évoquerai des temps encore plus anciens que ceux que mon collègue Kerrouche a rappelés et vous invite à vous souvenir de l'époque où vos lointains prédécesseurs fustigeaient la fin du travail des enfants qui allait ruiner les entreprises ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) C'est pourtant ainsi que cela a commencé, non ?
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous passez de Lamartine à Zola !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est insupportable !
Mme Monique Lubin. Je conclurai en saluant la sagesse des propos du président Milon, qui nous a signalé qu'il faudrait débattre d'un certain nombre de sujets que nous n'avons pas encore abordés. Par conséquent, calmons-nous et recommençons à discuter tranquillement.
M. Olivier Rietmann. Oui !
Mme Monique Lubin. Mes chers collègues, pour apaiser nos débats et ramener un peu de concorde,…
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est insupportable !
Mme Monique Lubin. … je vous invite à ne pas voter ces amendements…
M. Olivier Rietmann. On va se gêner!
Mme Monique Lubin. … qui visent à mettre à bas ce à quoi nous sommes parvenus, à savoir appuyer sur le bouton « stop » – et ce n'est pas la poudre de perlimpinpin, madame le rapporteur. Comme l'a dit M. Duplomb, je souhaite bon courage à ceux qui réappuieront sur le bouton « start » ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je n'avais pas prévu d'intervenir… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Mes chers collègues, je vais vous donner un bon conseil pour la suite des débats : si vous ne voulez pas que je prenne la parole, c'est simple, arrêtez de dire des mensonges !
Non, mes chers collègues, on ne travaille pas 170 heures de moins que dans les autres pays d'Europe : on travaille, par emploi, exactement le même nombre d'heures.
M. Marc-Philippe Daubresse. N'importe quoi !
Mme Raymonde Poncet Monge. Bien sûr que si ! On travaille même quelquefois un peu plus. Le problème n'est donc pas là.
Arrêtez également de vous référer à un rapport démographique purement physique (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) : le ratio entre actifs et retraités. Nous sommes en train de parler de financement : il faut donc d'abord évoquer la productivité. Le financement est une donnée monétaire, elle n'a rien à voir avec les personnes ! (Mêmes mouvements.)
Et puisque vous avez abordé la question du ratio entre cotisants et retraités – je sais qu'il y a beaucoup de médecins dans cet hémicycle, alors, je préviens de possibles malaises, voire d'éventuels infarctus –, je précise que ce ratio dépend aussi des flux migratoires. Quand on les tarit, ce que n'ont pas fait l'Italie et l'Espagne, on dégrade forcément les comptes de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Depuis quelques jours, je m'interroge sur ce que fait la majorité sénatoriale. Dans ce débat, elle a bizarrement choisi de ne servir à rien.
Elle aurait pu décider de participer à la construction d'un compromis républicain dans ces temps difficiles. Non, elle a rétabli le budget LR traditionnel qu'elle nous sert année après année dans cet hémicycle. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Elle n'a cherché aucun point de contact avec personne.
Je pense avoir compris pourquoi elle agissait ainsi.
Mme Sophie Primas. Merci !
M. Alexandre Ouizille. Mes chers collègues, je pense que vous éprouvez un profond sentiment de fragilité. Et pour cause ! À quelques rues d'ici, à l'Assemblée nationale, qu'ont fait vos collègues Les Républicains il y a quelques semaines ? Ils ont voté le dégel que vous venez de rétablir.
M. Olivier Rietmann. Mais non !
M. Alexandre Ouizille. Qu'ont-ils fait en 2023 ? Pour partie, ils ont voté contre cette absurde réforme des retraites. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. C'est la liberté ! Pas l'embrigadement !
M. Alexandre Ouizille. Dans cet hémicycle, nous sommes votre mauvaise conscience démocratique et sociale. Aujourd'hui, vous ne servez à rien pour le pays. Pour notre part, nous cherchons des moyens pour parvenir à un budget. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur Retailleau, vous faites comme si le compromis était la part maudite de la politique. Pourtant, la situation actuelle impose de trouver des solutions.
Mme Sophie Primas. Allez à l'Assemblée nationale, monsieur ! Vous n'avez rien à faire au Sénat !
M. Alexandre Ouizille. C'est évidemment dommage parce que Les Républicains sont en train de s'abîmer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier, pour explication de vote.
M. Martin Lévrier. Mes chers collègues, vous essayez de refaire le débat sur la réforme des retraites. Je suis désolé de vous dire que ce n'est pas le sujet. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Patricia Schillinger. Exactement !
M. Martin Lévrier. Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure : j'ai défendu cette retraite bec et ongles, mais je reconnais qu'elle est mal née. Le vice-président Milon en a exposé les raisons bien mieux que je ne saurais le faire.
À un moment donné, il nous faudra d'une façon ou d'une autre reprendre cette réforme. C'est la seule vraie question et c'est la plus intéressante.
Le monde va mal, la France ne va pas bien. C'est le sujet qui nous intéresse ce soir et qui nous engage sur le long terme malgré tout. Nous, Sénat, la chambre des compromis,…
M. Marc-Philippe Daubresse. Pas des compromissions !
M. Martin Lévrier. … nous devons sortir de cette panade.
Nous en avons aujourd'hui la possibilité. Pour moi, ce débat est transpartisan : ce n'est pas un débat de partis politiques contre partis politiques. Je suis navré de voir les uns et les autres se lancer des anathèmes.
Il nous faut voter ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026. Si nous n'y parvenons pas, ce sera beaucoup plus grave que ce petit débat sur une réforme des retraites que nous remettrons de toute façon en cause. (Marques d'exaspération sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, je vous demande instamment de réfléchir à ce problème, de ne pas voter pour ou contre pour de mauvaises raisons, et de vous interroger sur ce à quoi sert un compromis. Il y en a eu énormément avec la droite, j'en suis très heureux et très fier. Il y en a maintenant au moins un avec la gauche. Est-ce si dramatique de faire des compromis ?
M. Francis Szpiner. Oui !
M. Martin Lévrier. Tout à l'heure, on m'a dit que je faisais du macronisme. Pour ma part, sortir de son couloir pour trouver des solutions, j'appelle cela du panache ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Laurence Harribey et Véronique Guillotin applaudissent également. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. Non seulement vous mentez – et il est important qu'on le dise aux Français –, mais surtout vous faites montre de l'inaction la plus totale. En fait, vous dites que n'auriez pas le choix. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C'est à se demander pourquoi vous siégez dans cet hémicycle, puisque vous ne faites que subir.
Quand vous décidez une exonération de 80 milliards d'euros de cotisations sociales pour les entreprises, vous faites pourtant un choix politique : c'est vous qui décidez de vider la caisse.
M. Marc-Philippe Daubresse. Ce n'est pas la suspension, c'est « sus aux pensions » ! (Sourires.)
Mme Ghislaine Senée. Quand vous refusez toutes les taxes comportementales qui auraient pu renflouer les caisses de l'État, là encore, vous faites le choix de creuser le déficit.
Quand vous refusez la justice fiscale, quand vous refusez la taxe Zucman qui consiste à taxer les plus riches (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.), là aussi, vous décidez de taper sur les personnes les plus fragiles.
Tout cela, ce sont des choix politiques. Arrêtez de dire que vous n'avez pas le choix ! Cela fait des décennies que vous faites le choix de favoriser les plus riches et, surtout, de mettre à mal notre système social, notre système de sécurité sociale, notre système de retraite. C'est donc un choix.
Vous continuez de mentir désespérément aux Français. C'est pour cela que nous voterons contre ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. Certains s'émeuvent de la violence des mots, quand d'autres revendiquent de ne plus écouter les Français. Nous, nous entendons leur cri et la violence de ce qu'ils vivent au quotidien.
À l'acte II d'Olympie, tragédie de Voltaire écrite il y a plus de 260 ans, Olympie et sa mère se révèlent leur véritable identité. Un grand prêtre dit à la mère d'Olympie :
« Une retraite heureuse amène au fond des cœurs
« L'oubli des ennemis et l'oubli des malheurs. »
Avec ce nouvel acte de cette réforme injuste et brutale des retraites, c'est de cet horizon que vous voulez résolument priver les Français. À l'image de ce qu'il advient à l'acte II de cette tragédie, la droite sénatoriale tombe les masques devant nos concitoyens.
Vous prétendez exercer vos responsabilités. En réalité, vous prenez votre crayon pour écrire une tragédie politique au détriment de notre pays.
M. Marc-Philippe Daubresse. Et vous, vous faites une pantalonnade !
M. Simon Uzenat. Vous ne rejetez pas le compromis, vous l'abhorrez, vous le méprisez.
Vous dites vouloir prendre soin de nos concitoyens. En réalité, vous écrivez une tragédie pour les Français, les plus modestes,…
Mme Sophie Primas. Ça va ! On parle de trois mois !
M. Simon Uzenat. … tout particulièrement celles et ceux des territoires ruraux qui ont déjà une espérance de vie inférieure à la moyenne nationale et nos millions de concitoyens qui exercent des métiers pénibles, qui voient leur vie aujourd'hui durement éprouvée. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Ça devient fatigant !
M. Simon Uzenat. C'est à ceux-là que vous envoyez un message d'une violence sociale sans nom, en refusant d'autres sources de financement et en leur déclarant que la retraite heureuse, si jamais un jour ils y ont droit, ne sera pas bien longue.
Finalement, comme dans la mythologie grecque, la droite sénatoriale souhaite imposer aux concitoyens les plus modestes un prix toujours plus élevé pour atteindre la rive d'une retraite méritée. Nos compatriotes méritent plus que jamais que nous leur proposions un autre destin. C'est ce que nous avons fait avec ce compromis à l'Assemblée nationale et c'est ce que nous continuerons résolument à faire ici. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Beaucoup a été dit sur les travées de la droite, beaucoup de contre-vérités, qui illustrent beaucoup de méconnaissance. (Mme Sophie Primas s'esclaffe.)
J'ai ainsi entendu dire que, dans certains pays, l'âge de départ à la retraite était fixé à 67 ans. Comparaison n'est pas toujours raison. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous ne le savez peut-être pas, mais, à système équivalent, dans notre pays, quand un actif n'a pas toutes ses annuités pour bénéficier d'une pension à taux plein, c'est également à 67 ans qu'il peut partir à la retraite. Un grand nombre de nos compatriotes sont déjà concernés, mais cela ira s'accroissant, car les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail et ont des carrières hachées. Voilà une première contrevérité, preuve de votre méconnaissance.
Vous parlez de l'espérance de vie. De quelle espérance de vie parle-t-on pour ceux qui ont exercé les métiers les plus pénibles – les caissières, les femmes de ménage de vos bureaux (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), les salariés dans les industries ? Pour la plupart d'entre eux, elle n'est même pas de 67 ans !
C'est pour cela que cette réforme est aussi impopulaire dans le pays. Elle a été rejetée massivement, elle n'a même pas été votée par l'Assemblée nationale. Vous vous obstinez dans cette violence sociale contre ceux qui ont le moins. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Et nous, nous avons des propositions, car il n'existe jamais une seule politique possible. Affirmer le contraire est faux : il y a toujours plusieurs voies qui s'offrent. Il faut simplement assumer ses choix.
Les vôtres consistent à protéger la rente, cette rente qui s'est accumulée dans notre pays et à laquelle vous refusez de toucher. Nous l'avons constaté tout au long de l'examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale : vous avez tapé sur les plus démunis – gel des prestations sociales, gel des retraites… Les salariés aussi, quels que soient leurs revenus, y compris les plus bas, sont tapés au portefeuille !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Mais oui, bien sûr !
M. Yan Chantrel. En revanche, la rente, qui a explosé, vous la protégez ; vous protégez vos amis, alors que c'est précisément là qu'il faudrait aller chercher l'argent pour sauver notre système de retraite. C'est là qu'il se trouve ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Je croyais, tout à l'heure, que la gauche et le Rassemblement national étaient enfermés sur une île, une île éloignée. En écoutant Mme Lubin, je comprends qu'en réalité ils sont enfermés non pas sur une île, mais dans le passé.
Notre collègue Lubin est revenue sur les premières lois sociales de 1840.
Mme Monique Lubin. Et alors ?
M. Emmanuel Capus. Je ne sais pas si vous avez saisi la référence : elle est revenue au rapport du bon docteur Louis René Villermé, qui a écrit, en 1840, le Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. En 1840 ! Vous en êtes encore à cette vision du travail totalement dépassée, mes amis ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Marc-Philippe Daubresse. C'est Germinal !
M. Emmanuel Capus. Le docteur Chasseing nous le rappelle : nous vivons beaucoup plus longtemps et en bien meilleure santé. Il faut donc, comme dans tous les pays du monde, en prendre acte et allonger la durée de travail en conséquence.
Il ne s'agit pas d'un acte de renoncement, monsieur Lévrier. On peut toujours renoncer, on peut toujours suspendre, mais cela n'est jamais arrivé : c'est ce que j'ai voulu dire tout à l'heure. Aucun gouvernement n'a renoncé à la réforme de ses prédécesseurs. Je prends date, mes chers collègues : si la gauche arrive au pouvoir, si le Rassemblement national arrive au pouvoir, aucun d'entre eux ne reviendra sur la réforme que nous avons défendue, et ce pour la très simple raison que ce n'est pas possible ! Dire le contraire est un mensonge. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Il est une deuxième raison, encore plus simple : on ne sacrifie pas les générations futures sur l'autel des générations actuelles. Ce serait irresponsable, ce serait une injustice sociale – pour reprendre les termes grandiloquents que vous avez utilisés – et ce serait enfin, madame Rossignol, immoral. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je ne souhaitais pas intervenir de nouveau (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), mais notre collègue Capus s'adressant aux autres avec toujours autant de condescendance,…
Mme Sophie Primas. Et M. Ouizille, qu'a-t-il fait tout à l'heure ?
M. Éric Kerrouche. … je vais simplement lui donner une petite explication de méthode.
Vous avez répété sans cesse que nous vivions plus longtemps et que les choses allaient donc mieux. Par conséquent, nous devrions, selon vous, partir plus tard à la retraite puisque, en moyenne, nous vivons plus longtemps.
Permettez-moi une mise au point : la moyenne est un indicateur statistique qui écrase les valeurs.
M. Olivier Rietmann. Quand ça vous arrange !
M. Éric Kerrouche. Pour le dire simplement, cela signifie qu'il existe des différences fondamentales entre les individus. La moyenne pour les hommes, la moyenne pour les femmes, la moyenne selon les catégories sociales sont complètement différentes.
Faire croire que tout le monde se situe à la même moyenne, prétendre que cela relève du bon sens, c'est oublier les différences sociales, c'est oublier et masquer combien cette réforme est injuste.
La prochaine fois, je vous invite donc à entrer dans le détail et à ne pas vous contenter de considérations générales et infondées, qui prennent l'apparence d'un bon sens… complètement faux ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Emmanuel Capus. Il faudra le dire à vos amis socialistes espagnols !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Permettez-moi de formuler deux remarques : l'une sur cette question de la quantité de travail dont on a parlé tout à l'heure ; l'autre sur la stabilité et le chaos.
Pour ce qui concerne la quantité de travail, le président Milon s'est très bien exprimé : pourquoi 1 million de Français ont-ils été rattrapés par le Smic en l'espace de deux ans ?
Pourquoi le niveau de vie d'un Français était-il absolument équivalent à celui d'un Allemand voilà vingt-cinq ans, alors qu'aujourd'hui l'écart est de 7 000 euros par an au profit de l'Allemand ?
Pourquoi pratiquement un quart des Français voient-ils, chaque 16 du mois, leurs comptes passer dans le rouge ?
Parce que nous avons un problème de travail. Les Français ne sont pas des feignants ; simplement, aujourd'hui, le travail ne paie pas suffisamment. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Akli Mellouli. C'est un problème de salaire !
M. Bruno Retailleau. Il ne paie pas suffisamment, parce qu'une toute petite minorité de ceux qui travaillent supportent une majorité de charges. Demain, si nous voulons redresser le pays, le relever, retrouver davantage de prospérité, il faudra travailler plus, mais avec un travail mieux rémunéré, grâce à une convergence accrue entre le brut et le net. Nous ferons des propositions en ce sens. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.)
Enfin, monsieur le ministre, un mot sur le chaos et la stabilité.
La stabilité ne peut pas être recherchée à n'importe quel prix ; elle ne peut pas relever du « quoi qu'il en coûte ». Suspendre une réforme qui ne posait plus de problèmes dans le pays, comme l'a très bien rappelé Mme la rapporteure, est un signal terrible. À l'avenir, en 2027, nous savons parfaitement qu'il faudra assumer des réformes exigeantes, des réformes courageuses. Avec cette suspension, vous indiquez à chacun qu'une réforme, demain, même votée, pourra toujours être remise en cause. Il n'y a pas pire instabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 128 rectifié nonies, 155 rectifié ter, 716 et 1512 rectifié ter.
J'ai été saisie de quatre demandes de scrutin public émanant, la première, de la commission des affaires sociales, la deuxième, du groupe Les Républicains, la troisième, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, et la quatrième du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :
| Nombre de votants | 344 |
| Nombre de suffrages exprimés | 298 |
| Pour l'adoption | 190 |
| Contre | 108 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 45 bis est supprimé. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je prends acte du vote bien évidemment souverain du Sénat.
Il faudra peut-être poursuivre la réflexion, car notre affaire est loin d'être terminée. Il se trouve qu'ici, au Sénat, se trouvent des groupes politiques avec lesquels, je l'espère, nous bâtirons la fameuse convergence dont nous avons besoin. Si nous n'y arrivons pas, je ne sais pas si ce sera le chaos, monsieur Retailleau, mais il se passera des choses bizarres et curieuses. Je ne pense pas que cette situation fasse du bien au pays.
Mme Frédérique Puissat. Nous n'en sommes pas responsables !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Personne n'est responsable de rien, mais je voulais tout de même faire passer un message, lancer un appel au recul et à la réflexion. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Francis Szpiner. Cela fait huit ans que vous êtes au pouvoir !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je ne suis pas sûr que la réaction spontanée soit la meilleure des conseillères. Il faut prendre le temps de réfléchir aux étapes suivantes. D'abord, il est indispensable d'aller au bout de ce PLFSS. À défaut, le budget de la sécurité sociale connaîtra l'année prochaine un déficit de 29 milliards d'euros. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Max Brisson. C'est votre problème !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. La démocratie est toujours possible. Cette réforme existe, mais il me semble que certains partis ont déjà pris position pour la faire évoluer. On n'est donc jamais complètement sûr qu'une réforme reste stable. Oui, la stabilité a du bon, monsieur Retailleau.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix,
(À suivre)