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Question de Mme Mélanie Vogel (Français établis hors de France - GEST) publiée le 01/02/2024

Mme Mélanie Vogel alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le blocage de la France à l'inscription, en droit européen, d'une définition du viol fondée sur le consentement conformément à la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d'Istanbul ».
Elle souhaite lui rappeler qu'à l'échelle de l'Union européenne, une femme sur trois déclare avoir été victime de violences physiques ou sexuelles et que pas moins de 3 500 femmes meurent chaque année dans le contexte de violences domestiques. En France, seulement 6 300 condamnations pour violences sexuelles en tant qu'infraction principale sont prononcées en moyenne par an, alors que 84 500 cas de violences sexuelles ont été enregistrés au cours de la seule année 2022. De surcroît, à peine 0,6 % des viols et tentatives de viols ont donné lieu à une condamnation.
Elle en conclut que, malgré une libération de la parole des victimes, les agresseurs sexuels continuent à bénéficier trop souvent de l'impunité.
Elle déplore que le code pénal ne réprime toujours pas les actes sexuels dès lors qu'ils n'ont pas été consentis, alors que c'est ce que prévoit la convention d'Istanbul ratifiée en 2014 par la France. Elle constate avec sidération que non seulement le Gouvernement ne s'engage pas à appliquer toutes les dispositions de la convention d'Istanbul, mais qu'il s'oppose même à ce qu'une telle définition fondée sur l'absence de consentement soit inscrite dans le droit européen. Elle souhaite attirer son attention sur le fait qu'une telle définition européenne du viol et de l'agression sexuelle constituerait une grande avancée pour la lutte contre les violences sexuelles et permettrait d'améliorer la protection des victimes.
Elle lui suggère avec véhémence que la France soutienne une inscription d'une définition du viol et des agressions sexuelles fondée sur l'absence sur le consentement dans la directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique en cours de négociation.
En outre, elle lui demande de lui faire part de toute évolution de la position du Gouvernement sur la directive susmentionnée en cours de négociation.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 20/06/2024

Le ministère de la Justice salue l'accord historique trouvé entre le Conseil de l'Union européenne, le Parlement européen et la Commission européenne concernant la proposition de directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Ce texte constituait l'une des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union au premier semestre 2022. Il permettra d'harmoniser et de renforcer les législations nationales des Etats membres relatives à la répression contre ce type de violences, ainsi que la protection et la prise en charge des victimes. A ce titre, il s'agit d'une réponse efficace, ambitieuse et équilibrée face à ces enjeux. La proposition de directive contient de grandes avancées en matière de prévention et de sensibilisation, de protection, de soutien et de prise en compte de la singularité des victimes de tous les types de violences fondées sur le genre, notamment lorsque celles-ci sont perpétrées dans un cadre domestique. Elle vise de nouvelles infractions liées à la cybercriminalité, qu'il s'agisse de harcèlement ou de violences et une infraction spécifique pour les faits de mutilation génitale féminine, allant ainsi plus loin que la Convention d'Istanbul. De plus, le texte prévoit la formation approfondie de tous les praticiens spécialisés compétents en la matière. Le texte renforcera opportunément l'accès des victimes à la justice et la coopération entre tous les acteurs, qu'ils soient de la sphère publique, administrative et judiciaire, ou privée, impliqués dans ce combat contre les violences fondées sur le genre. Les analyses juridiques menées par les services nationaux comme par le Service juridique du Conseil ont néanmoins conclu à l'insuffisance de la base juridique retenue par la Commission pour l'harmonisation de la définition du crime de viol au niveau de l'Union européenne. En effet, le droit pénal relève des Etats membres et non de l'Union européenne, excepté pour certains crimes revêtant une dimension transfrontalière dit « eurocrimes ». Aussi, en intégrant une définition légale du viol dans une directive européenne, l'Union européenne aurait pris le risque de voir la directive et toutes les avancées qu'elle comporte annulées par la Cour de justice de l'Union européenne en raison de sa non-conformité sur le partage des compétences prévues par les traités européens. Une majorité d'Etats membres, dont la France, a ainsi tiré la conséquence de la nécessité de supprimer cet article du texte de la directive pour des questions de sécurité juridique. Par ailleurs, la France a également soutenu de longue date l'adhésion de l'Union européenne à la Convention d'Istanbul, instrument essentiel de la lutte et de la prévention des violences faites aux femmes, dont elle promeut l'universalisation. Cette adhésion, désormais effective, a envoyé un signal fort aux Etats membres de l'Union européenne n'ayant pas encore ratifié cette Convention. L'accord sur la proposition de directive sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique s'inscrit dans le prolongement de l'action prioritaire du Gouvernement en matière de lutte contre les violences sexuelles conduite au niveau national depuis 2017 par le ministère de la Justice. Plusieurs lois successives ont été en effet adoptées afin d'incriminer davantage de comportements et renforcer la répression du viol. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et celle du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, ont modifié la définition légale du viol pour permettre l'incrimination des actes de pénétration commis sur l'auteur ainsi que les actes bucco-génitaux et précisé la notion de contrainte morale. Deux incriminations nouvelles de viol qui ne nécessitent pas de rapporter la preuve de menaces, violences, contraintes ou surprise ont également été créées et sont définies aux articles 223-22-2 et 223-22-3 du code pénal pour les situations incestueuses ou celles mettant en cause un majeur et un mineur de 15 ans ayant avec le majeur un écart d'âge de plus de 5 ans. Le délai de prescription des faits de viols a également été allongé, passant de 20 ans à 30 ans à compter de la majorité de la victime pour les faits commis sur les mineurs. Un mécanisme de prescription prolongé a aussi été créé en cas de viols commis sur des victimes mineures différentes. Outre ces évolutions législatives, le ministère de la Justice sensibilise régulièrement les procureurs généraux et procureurs de la République à l'attention devant être portée aux victimes d'infractions sexuelles. La circulaire du 25 novembre 2017 relative au traitement des plaintes déposées pour des infractions sexuelles invite ainsi les parquets généraux et parquets à veiller à la qualité du recueil de la plainte de la victime, à instaurer un circuit de traitement identifié et un suivi attentif des plaintes. La dépêche du 26 février 2021 relative au traitement judiciaire des infractions sexuelles susceptibles d'être prescrites encourage de plus les procureurs à diligenter systématiquement des enquêtes lorsque des faits anciens, susceptibles d'être prescrits, sont révélés. L'engagement de tous les acteurs judiciaires doit être salué tant il permet une meilleure prise en compte de la parole des victimes. Les données du ministère de la justice marquent cette évolution avec une augmentation du nombre de condamnations de plus de 30% entre 2017 et 2022 (1260 condamnations de majeurs pour viol en 2022 contre 960 condamnations en 2017). Aujourd'hui, la France est l'un des pays les plus répressifs en Europe en matière de viol. Le quantum des peines prononcées est de 11 ans en moyenne, soit l'un des plus élevé au sein de l'Union européenne. Le Gouvernement reste résolument engagé dans la lutte contre toutes les formes de violence fondées sur le genre et notamment celles qui touchent les femmes, y compris les violences sexuelles, qui sont réprimées dans tous les Etats membres et dans la Convention d'Istanbul. L'impulsion au niveau européen de réponses concrètes et effectives à ces phénomènes intolérables de violences est ainsi primordiale.

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