QUESTIONS AUTOUR DE LA PEINE
Pierre
FAUCHON,
sénateur du Loir-et-Cher
Dans le souci de ne pas empiéter sur les propos de M. Lecerf, spécialiste des questions pénitentiaires, j'ai souhaité improviser mon propos.
Le premier exposé nous a plongés dans un infini philosophique, dans lequel nous nous perdions dans les méandres de la pensée humaine et des spéculations les plus contestables, et le second dans l'infini des variantes et des inventions législatives.
J'ai deux réflexions sur ce sujet : sur la question philosophique, quelle est la raison d'être de la peine ? Je ne sais pas si nous avons peur de condamner mais l'état de nos consciences modernes fait que nous ne nous sentons pas capables de condamner. On a cité de grands auteurs, permettez-moi de citer Jésus-Christ. Dans l'évangile de la femme adultère : on conduit devant le Christ une femme convaincue d'adultère et on est sur le point de la lapider. Le Christ trace des signes mystérieux sur le sol, lève la tête, la regarde et dit « que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première pierre ». L'Evangile nous dit qu'ils sont tous partis, les uns après les autres et les plus anciens d'abord. Je ne condamne pas et ne jette pas la première pierre. L'opinion a naturellement besoin que des condamnations soient prononcées d'une manière emblématique : ceci est nécessaire, d'autant plus que nous sommes dans des temps et dans une société où la délinquance, bien loin de se résorber, ne cesse de se multiplier, de prendre des formes nouvelles, imprévues, parfois terrifiantes ou confondantes, et la société ne doit pas se désarmer. Elle doit prononcer des condamnations, au moins comme proclamation. Dans une société réellement civilisée, le seul fait qu'un comportement a été condamné et que cette condamnation est publique devrait suffire en soi. Il reste la dangerosité : il faut empêcher les gens de nuire. Le législateur ne peut ignorer cette nécessité. Il ne faut pas désespérer de la possibilité d'obtenir des amendements par les sanctions. M. Delarue nous disait que des résultats surprenants peuvent être atteints. Tout cela nous amène à reprendre la réflexion sur la prison. Si nous inventons, nous autres législateurs, tant de moyens d'éviter de prononcer la peine de prison, avouons que c'est parce que nous ne sommes pas très fiers de notre prison. Notre système pénitentiaire est un système en échec qui ne réussit ni à convaincre les personnes de leur culpabilité, ni à les faire réfléchir, ni à les amender. Le Président du Sénat me rappelait une visite qu'il avait faite à un établissement pénitentiaire et dont il était sorti profondément bouleversé, inquiété et pessimiste sur l'efficacité de la prison. Valéry Giscard d'Estaing à l'époque où on parlait des « prisons trois étoiles », disait que la peine devait être une privation de liberté et ne devait être rien d'autre. Or la prison d'aujourd'hui prive de liberté et réunit des circonstances dégradantes et humiliantes. Au lieu de créer une réflexion sur la gravité de la faute commise ou un cheminement vers un amendement, la prison crée un affaissement de la personnalité qui est meurtrie ; elle est une forme nouvelle de torture, telle qu'elle est gérée et telle qu'elle est.
J'ai dirigé, aux débuts de ma carrière, une prison avec jusqu'à 300 détenus. J'avais pratiqué la permission. Quand quelqu'un demandait la permission d'aller passer quelques jours en famille, j'accordais systématiquement cette permission. Cela se passait au Maroc du temps du protectorat. Il était incroyable de voir l'effet de détente psychologique que produisait le système des permissions, qui se répétait presque tous les ans, pour l'individu qui alors se ressourçait et retrouvait sa famille mais aussi pour l'établissement tout entier : la possibilité d'avoir des permissions encourageait effectivement les détenus à se tenir tranquille, à adopter un comportement exemplaire et maintenait le « moral » de chacun. Les permissions sont actuellement très rares, ce que je regrette.
Je me demande aussi s'il ne serait pas possible de développer des activités physiques ou manuelles qui sont si bonnes pour le rééquilibrage psychologique, comme le jardinage, le bricolage et la menuiserie. Dans certaines prisons, des espaces vides ne sont pas cultivés : qu'attendons-nous pour faire pousser des radis ? Cela n'a l'air de rien mais il faut chercher de multiples petites solutions et de petites améliorations qui, mises bout à bout, créeront un climat différent. Je suggère qu'on introduise de telles activités dans les maisons de détention.
• Christian RAYSSEGUIER
Je cède maintenant la parole à M. le sénateur Jean-René Lecerf, rapporteur de la dernière loi d'orientation pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Jean-René
LECERF,
sénateur du Nord
Je tenterai de vous donner un exemple de la confrontation du législateur avec la problématique du sens de la peine. Je l'ai vécue en qualité de rapporteur de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi pénitentiaire. Il existe un consensus sur le diagnostic posé de la situation de la prison en France : le Sénat et l'Assemblée nationale ont émis il y a dix ans des jugements similaires. L'intitulé de la commission d'enquête sénatoriale, présidée par Jean-Jacques Hyest, en résume la philosophie : « Prison en France, une humiliation pour la République » . Devant le congrès de Versailles, Nicolas Sarkozy déclarait le 22 juin 2009 : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? La détention est une épreuve dure ; elle ne doit pas être dégradante. Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu'on aura privés pendant des années de toute dignité ? L'état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République, quel que soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire ».
Nous avions l'impression avant la loi pénitentiaire que le sens de la peine était simplement celui de la sanction, vécue dans une situation de relative indignité des personnes avec tous les risques que la prison se transforme en une école de la récidive. Pour visiter régulièrement des prisons, je sais qu'il y a des améliorations manifestes depuis quelque temps mais, quand vous rentrez dans une cellule et que vous tombez sur trois personnes qui sont transformées en véritables bêtes apeurées et qui vous racontent qu'elles n'osent plus sortir de la cellule car la dernière fois qu'elles ont été prendre une douche, l'une d'entre elles a été violée. Quand les surveillants confirment de tels propos, vous vous dites alors que la situation des prisons de la République n'était à l'honneur de personne, que l'on risquait de sortir bien pire que l'on y était entré et que ce n'était donc guère protecteur des victimes potentielles.
La loi pénitentiaire nous a offert l'opportunité de changer cette situation. Le Parlement a essayé d'améliorer considérablement le projet de loi initialement déposé qui était assez abouti sur l'aménagement de peines mais beaucoup moins sur l'évolution des conditions de détention. Nous avons eu, avec le gouvernement, des discussions, voire des rapports de force assez rudes, sur des problèmes comme celui de l'encellulement individuel. J'ai eu également la chance que ce texte, au Sénat, essuyait les plâtres de la révision constitutionnelle. Le texte qui arrivait devant l'Assemblée n'était plus le projet de loi initial mais le projet de loi modifié par les amendements de la commission. Pour que le gouvernement retrouve son projet, il devait déposer à son tour des amendements pour revenir sur les décisions de la commission des lois, ce qu'il a en vain tenté de faire. Je constate aujourd'hui que Madame Alliot-Marie a ensuite tout fait pour faciliter la mise en exécution de la loi pénitentiaire, même si elle ne correspondait pas tout à fait à ce qu'elle avait initialement souhaité. Le nouveau garde des Sceaux partage cette même volonté. Cette loi est fondatrice, à condition qu'elle passe le plus rapidement possible du stade des intentions à celui de la réalité. Des décrets d'application sont actuellement pris : certains sont encore devant le Conseil d'Etat, d'autres doivent encore être pris. Nous devrons veiller à sa mise en application la plus complète et la plus rapide.
La volonté a été que la peine prenne un sens complémentaire. L'article préliminaire que nous avons souhaité introduire dans la loi pénitentiaire porte sur ce sens de la peine : « le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions » . Ce texte s'inspire des règles pénitentiaires européennes : il voulait montrer le chemin à parcourir, comme un phare qui permettrait ensuite d'interpréter les évolutions nécessaires sur la législation pénitentiaire. Il n'a pas été facile de faire adopter cet article sur le sens de la peine, disposition considérée comme non normative, mais nous avons tenu bon. La revue Pouvoirs qui vient de paraître sur la prison commente abondamment cette disposition de manière favorable.
Quelles sont les modifications induites par ces dispositions sur le sens de la peine ? Cet élément justifiait d'abord le retour en force du législateur dans l'application des peines. Le législateur est compétent pour définir les crimes et délits et les peines applicables ; il est compétent en matière de procédure pénale mais l'exécution des peines lui échappait totalement, relevant d'un droit de la prison, de circulaires ou de règlements. Ce point était contestable puisque la Constitution, dans son article 34, prévoit également la compétence du législateur sur les libertés publiques. Il pouvait sembler assez évident que, en dehors de la liberté d'aller et venir retirée aux personnes incarcérées, les autres libertés dépendaient, pour les entraves qu'on pouvait leur poser, de la seule volonté du législateur. Telle est la première conséquence de ce sens de la peine nouveau. Nous avons également réaffirmé les principes déjà affirmés à la Libération sur l'importance de la réinsertion et de la possibilité de mener une vie exempte d'infractions.
D'autres aspects de la loi pénitentiaire s'expliquent par cette référence au sens de la peine, ainsi que d'autres aspects de la vie en prison. L'obligation d'activité que le législateur a voulu mettre en place s'impose aux personnes détenues, mais aussi à l'administration pénitentiaire et à la société toute entière. Cette obligation d'activité fut loin de faire immédiatement l'unanimité, mais ceux qui visitent les prisons se rendent bien compte du poids de l'oisiveté et du drame de ce temps mort que constitue trop souvent la période passée en prison alors qu'elle pourrait être mise à profit pour resocialiser la personne et lui donner des chances pour sa sortie. L'obligation d'activité fait partie d'une main tendue à la personne détenue, dans le cadre d'une formation professionnelle, d'un travail carcéral, de responsabilités de gestion d'association culturelle ou sportive, ou d'actions de lutte contre la récidive de manière à ce que ce projet remette la personne debout et cesse de l'infantiliser.
De la même manière, nous avons souhaité réformer le régime des fouilles : ce régime tel qu'il fonctionnait était-il de nature à faciliter une vie responsable ? Les fouilles corporelles internes étaient-elles bien nécessaires ? La loi les interdit désormais, sauf hypothèses d'école où il faudra l'autorisation d'un magistrat judiciaire et l'intervention d'un médecin extérieur à l'établissement. Les fouilles intégrales ne mériteraient-elles pas d'être plus souvent remplacées, autant que possible, par des fouilles par palpation et par la mise en place d'équipements qui permettraient d'éviter ces actes qui portent atteinte à la dignité humaine et qui expliquent, dans une certaine mesure, l'importance du risque suicidaire dans nos établissements ?
La loi pénitentiaire développe également les unités de vie familiale ou parloirs familiaux : croyez-vous que les conditions dans lesquelles les détenus rencontrent leur compagne ou compagnon sont des conditions dignes ? Croyez-vous que le contact qui s'établit après des années de détention entre une personne et celle ou celui qui l'a accompagné dans sa vie ne doit pas se passer autrement qu'au vu et au su de tout le monde ? Par ce biais, nous tentons de remettre de la dignité humaine dans les prisons.
La différenciation des régimes de détention nous a été reprochée alors qu'elle est indispensable. Les régimes particulièrement stricts, très utiles pour quelques personnes incarcérées, ne doivent pas s'appliquer aux 62 000 détenus. Les régimes permettant une circulation plus facile dans la prison sont une modalité qui facilite le travail, la formation et la socialisation.
Je vous cite ces exemples parmi d'autres de la prise en compte du sens de la peine que nous avons inscrits dans la loi pénitentiaire. La dignité n'est pas respectée aussi du fait de la surpopulation carcérale, qui cède un peu le pas : entre le 1 er octobre 2009 et le 1 er octobre 2010, la moitié des établissements pénitentiaires qui avaient une densité d'occupation supérieure à 150 % est passée en dessous de ce seuil. Entre 2004 et aujourd'hui, le nombre de personnes incarcérées a diminué de 2 500 à 3 000 alors que le nombre de places augmentait. Nous sommes aujourd'hui en mesure de faire en sorte que l'encellulement individuel, principe inscrit dans la loi depuis 1875, puisse enfin s'appliquer à compter de 2014. Encore faut-il réussir les aménagements de peine, en donnant beaucoup d'importance à l'embauche de conseillers d'insertion et de probation, et donc en cessant de construire de nouvelles places de prison. Je ne crois pas à l'utilité de 5 000 places supplémentaires : il convient certes de créer 12 000 places pour remplacer des places obsolètes, mais il suffira alors de transférer les personnels d'un établissement à un autre. En revanche, avec la création de 5 000 places supplémentaires, l'essentiel des moyens pendant des années sera consacré à l'embauche de personnels de surveillance et l'embauche de conseillers d'insertion et de probation en nombre suffisant ne se fera pas. Nous raterons alors l'essentiel de la loi pénitentiaire, à savoir les aménagements de peine.
Sur la volonté de rechercher des solutions qui donnent du sens à la peine et soient davantage efficaces pour la réinsertion, il existe des prisons ouvertes, comme celle de Casabianda, qui sont des exemples éclairants. Cette prison ouverte accueille des délinquants sexuels ayant commis des infractions graves, qui ont reconnu leur faute et qui disent que les barreaux ne leur sont plus utiles car ils sont dans leur tête. Je suis convaincu que la récidive est moins importante à Casabianda qu'à Mauzac, et moins à Mauzac qu'à Caen. La loi pénitentiaire a prévu de demander à l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses pénales des statistiques sur le nombre de récidives par établissement pour peine afin qu'on connaisse clairement l'effet des conditions de détention sur la récidive.
La loi pénitentiaire n'a pas traité de la maladie mentale en prison, point pourtant essentiel qui exigerait que la santé et la justice s'associent. J'ai travaillé sur la responsabilité pénale des malades mentaux : de nombreux problèmes psychologiques et psychiatriques se posent à une grande partie de la population carcérale. Pour certains, la maladie mentale est telle que la peine n'a aucun sens. 6 000 personnes au moins n'ont rien à faire en prison. Quand vous visitez des établissements pénitentiaires comme Château-Thierry, vous vous demandez comment le personnel pénitentiaire arrive à faire face à ces problématiques auxquelles il n'a pas été formé. Vous vous demandez aussi pourquoi ces personnes sont dans des établissements pénitentiaires : vous comprenez alors que leur présence est liée la distinction par le code pénal de l'abolition et de l'altération du discernement mais aussi à la fermeture de nombreux lits psychiatriques. La prison accueille alors ces malades mentaux lourds et parfois dangereux. Devant l'absence d'autres solutions, on préfère que la peine de prison sanctionne ces personnes qui devraient pourtant être considérées comme irresponsables. Le code pénal prévoit qu'il faudrait tenir compte de l'altération : quand nous le faisons, c'est généralement pour augmenter la peine et non pour la diminuer, de façon à ce que la protection de la société soit assurée plus longtemps. Même des initiatives intéressantes, comme les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) posent problème : construire des unités psychiatriques pour gérer la population carcérale, n'est-ce pas la preuve que l'on a incarcéré des personnes irresponsables ? Je viens de déposer une proposition de loi sur ce sujet. Ce problème de la maladie mentale est au coeur du sens de la peine : que signifie une peine pour des personnes qui ne comprennent pas les raisons pour lesquelles elles sont là ?
A Tournai en Belgique, des établissements dits de défense sociale accueillent des personnes malades mentales qui sont soignées dans des établissements sanitaires, le temps que leur état se soit notablement amélioré. Elles sont soignées dans des conditions dignes et ne génèrent donc pas des conditions de vie insupportables tant pour les codétenus que pour le personnel de l'administration pénitentiaire, comme c'est trop souvent le cas dans notre pays. Si les premiers progrès accomplis par la loi pénitentiaire sont importants, si le texte dessine les avancées vers lesquelles nous devons nous diriger, il nous reste à traiter le problème de la maladie mentale : on ne pourra pas se dérober à cette obligation encore très longtemps.
• Christian RAYSSEGUIER
L'établissement pénitentiaire de Casabianda, ferme pénitentiaire, est effectivement un modèle du genre qui ne connaît aucun incident mais il ne dispose que de 194 places.
• De la salle
Les prisons manquent de psychologues et d'écoute ; les prisonniers ont effectivement besoin de s'exprimer.