Bicamérisme et représentation des régions et des collectivités locales : le rôle des secondes chambres en Europe
Palais du Luxembourg, 21 février 2008
Présidence de M. Jean-Jacques HYEST (France), Président de la Commission des lois du Sénat
Mesdames, Messieurs,
Je remercie les organisateurs de m'avoir confié la présidence de la troisième partie de ce colloque. La Commission des lois du Sénat est très attentive à tout ce qui a trait à la représentation des collectivités locales. J'ajoute que notre instance représente également les Français établis hors de France. Il s'agit d'une des spécificités du Sénat français.
Certes, chacun des pays européens a une conception assez différente de ses collectivités locales, qu'il s'agisse de leur position institutionnelle, de leurs compétences ou de leurs modes de financement. Mais, à mes yeux, par-delà les différences, les Etats partagent deux aspirations communes : faire en sorte que les collectivités locales soient actives et efficaces et que leurs intérêts soient correctement pris en compte à l'échelon national. Car il ne peut pas exister de vraie démocratie locale sans une bonne articulation entre les échelons locaux et le niveau national, et inversement. Les secondes chambres sont bien placées pour assurer ce rôle et c'est pourquoi nous militons pour un bicamérisme différencié, dont l'expérience a prouvé l'efficacité.
Bien entendu, la question ne se pose pas dans les mêmes termes dans les 27 Etats de l'Union européenne ni, a fortiori , dans les 47 pays du Conseil de l'Europe. Toutefois, cette problématique commune dépasse aujourd'hui le cadre des Etats et s'est hissée au plan européen. En clair, elle sous-tend la mise en place d'une seconde chambre européenne qui, pour certains, devrait être en charge de la représentation des intérêts locaux.
Ce projet a été mis en place à plusieurs reprises et je ne serais pas surpris qu'il revienne périodiquement sur la table des négociations européennes, à une période où l'Europe elle-même valorise la démocratie de proximité et reconnaît le rôle essentiel des organes de décision les plus proches du citoyen communautaire. Quoi qu'il en soit, le Sénat français s'honore des liens d'amitié et de coopération qu'il a tissés avec beaucoup d'autres secondes chambres en Europe. Notre président M. Christian PONCELET en a été l'initiateur. Vous me permettrez, à cet égard, de saluer l'action en profondeur de notre Délégation pour l'Union européenne, dont le président, mon collègue M. Hubert HAENEL, présentera tout à l'heure la conclusion générale de la journée. Cette coopération active, susceptible d'ailleurs d'être approfondie, contribue à la promotion du modèle bicaméral en Europe. Plusieurs nouveaux Etats membres de l'Union européenne ont déjà fait le choix du bicamérisme, à commencer par la Slovénie, qui préside l'Union depuis le début de l'année.
Si mes renseignements sont exacts, le Parlement slovène comporte, en effet, une seconde chambre (le Conseil national) dont vingt-deux des quarante membres sont en charge de la représentation des intérêts locaux. M. Duan TRUS, qui nous présentera son exposé dans quelques instants, pourra en parler beaucoup mieux que moi, puisqu'il est conseiller juridique au Conseil national.
En juillet prochain, la France va succéder à la Slovénie à la présidence de l'Union européenne. Dès à présent, je forme donc le voeu que la présidence française nous permette de valoriser les résultats de notre réflexion, à laquelle le Sénat français est fier d'apporter sa contribution. Professeur et cher collègue, Monsieur DELPÉRÉE, vous avez la parole.
Rapport introductif de M. Francis DELPÉRÉE (Belgique), Sénateur, Professeur émérite à l'Université catholique de Louvain
Monsieur le Président, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Il me revient d'introduire notre quatrième séance de travail, cette séance qui est un peu le point d'aboutissement des travaux de cette journée.
Qu'avons-nous fait jusqu'à présent ? Trois choses, en somme.
Nous nous sommes interrogés, en début de matinée, sur « nos Etats » - et notamment sur la manière dont ils organisent leurs institutions parlementaires.
Nous nous sommes interrogés, en fin de matinée, sur « nos concitoyens » - et notamment sur les moyens dont ils disposent pour s'exprimer lors des élections municipales, régionales ou nationales, sans oublier les élections européennes.
Nous nous sommes interrogés, en début d'après-midi, sur « nos régions et nos collectivités locales » - et notamment sur la place qu'elles peuvent occuper dans les secondes chambres.
Nous devons maintenant nous interroger sur « nous-mêmes » - c'est-à-dire sur les Sénats d'Europe.
La question est simple. Quels sont les pouvoirs, quelles sont les attributions que la seconde chambre doit exercer dès l'instant où elle est construite selon des critères régionaux ou locaux ?
Pour dire les choses autrement, un Sénat des régions ou un Sénat des collectivités locales est-il investi de responsabilités différentes de celles d'un Sénat composé sur le modèle de la Nation unifiée ?
Pour aller droit au vif du sujet, je me permets de poser cette question schématique. Plus « ou » moins de responsabilités ? Et je ne cache pas ma réponse. Elle est tout aussi abrupte. Plus « et » moins de responsabilités. C'est-à-dire autre chose.
Bref, les Sénats à base régionale ou locale sont d'autres Sénats que ceux que nous a légués le XIX e siècle libéral.
Ceci mérite un mot d'explication.
- Je commence par le « plus ».
On l'a dit. Le Sénat peut être composé à la manière de la première Chambre. Il en est alors la pure (ou la pâle) copie. Ce qui nous renvoie toujours à cette question dérangeante. Pourquoi deux assemblées composées de la même manière exerceraient-elles des responsabilités distinctes ? Ce qui nous amène aussi à poser la question du sens - c'est-à-dire celle de la légitimité et de l'efficacité - de l'assemblée jumelle 18 ( * ) .
Le Sénat peut aussi, vous l'avez dit, affirmer sa singularité. Il se compose autrement que la première chambre. Il rend compte, jusque dans son recrutement, des diversités régionales et locales qui s'inscrivent au coeur de l'Etat. Rien n'empêche, dans ces conditions, de lui attribuer des fonctions différentes de celles du Sénat traditionnel. La logique institutionnelle est même celle-là. A composition différente, attributions distinctes.
Dans cette perspective, les deux chambres d'un même Etat empruntent des voies différentes. Le Sénat régional ou local est investi de responsabilités spécifiques, de responsabilités que la première chambre ne saurait, pour sa part, revendiquer. L'inverse est vrai aussi.
Quelles responsabilités spécifiques ? J'en mentionne quatre, de manière presque anthropomorphique. Le Sénat peut être visage et langage. Il peut aussi être geste et marche.
1. - Il y a, d'abord, « le visage ». Le Sénat doit ressembler à l'Etat fédéral, régional ou décentralisé dont il est l'une des pièces essentielles. Il doit en être le reflet. Il doit être porteur, dans son organisation, dans ses modes de fonctionnement mais aussi dans l'exercice de ses attributions, des équilibres institutionnels sur lesquels repose la société politique.
Le Sénat contribue à structurer et à organiser l'espace politique. Il reconnaît les diversités mais il les intègre dans un ensemble institutionnel ordonné.
Ce n'est pas de la théorie, cela. C'est de la pratique. Je ne prends qu'un exemple. Dans tout Etat de droit, l'opération de rédaction puis de révision de la Constitution prend une importance particulière 19 ( * ). C'est la clef du système constitutionnel.
Si cette opération se déroule, au moins pour une part, au Sénat, elle doit tenir compte de l'aménagement concret des structures de l'Etat et des traits spécifiques du Sénat. Des dispositions pratiques en termes de calendrier, de majorité ou de procédure doivent traduire cette réalité institutionnelle fondamentale.
2. - Il y a, ensuite, « le langage ». Le Sénat peut exercer ce que l'on appelle, dans d'autres débats, la fonction tribunicienne.
Il est la caisse de résonance des préoccupations régionales et locales. De deux manières au moins.
D'une part, il peut faire entendre la voix des collectivités particulières à l'occasion des débats qui mettent en cause l'organisation, le fonctionnement ou le financement de ces collectivités.
D'autre part, il peut faire entendre leur point de vue dans tout autre débat et apporter une touche régionale ou locale dans la discussion des questions qui relèvent à proprement parler des intérêts nationaux.
L'exercice n'est pas commode. Ainsi configuré, le Sénat peut devenir le réceptacle des revendications les plus autonomistes. Si l'on n'y prend garde, il peut être le cheval de Troie qui s'introduit subrepticement au coeur de l'appareil étatique. En réalité, il ne remplira utilement sa fonction de porte-parole des intérêts régionaux et locaux que si, malgré sa composition et ses fonctions propres, il comprend qu'il est, à sa manière, une « assemblée nationale ».
3. - L'image, la parole... Il y a aussi le geste de la main. Il faut tenir compte de la fonction pacificatrice que peut remplir un Sénat régional ou local. Au carrefour des intérêts de divers ordres, il peut remplir une fonction arbitrale non négligeable.
Où est le problème ? En toute bonne foi, une collectivité peut prendre des initiatives qui empiètent sur les domaines de compétences qui reviennent à d'autres collectivités ou qui contrarient ses intérêts. Le risque est d'autant plus grand que les questions traitées présentent souvent des aspects qui relèvent de l'action de l'une ou l'autre collectivité.
La seconde chambre peut remplir ici une fonction éminente. Plutôt que de se laisser se développer un conflit politique et juridique qui ne demande qu'à éclater, elle peut s'attacher à former des suggestions constructives.
A raison de sa composition, elle est l'institution la mieux placée pour concilier les points de vue. Pas pour donner systématiquement raison aux intérêts nationaux. Pas pour défendre mordicus les solutions qui sont préconisées au niveau régional ou local. Mais pour assurer un équilibre entre les préoccupations qui viennent du centre et de la périphérie.
4. - Reste la marche. Il faut, enfin, insister sur la fonction internationale - la fonction diplomatique, comme dit le Président Poncelet - d'un Sénat régional ou local. Il s'agit, cette fois de faire « le grand écart ». Du local à l'international...
A côté d'une première chambre confinée dans l'examen des affaires intérieures, la seconde chambre peut avoir intérêt à se spécialiser dans l'examen de questions internationales, notamment européennes.
L'exemple de la Belgique est significatif à cet égard. Le Sénat belge est en voie de reconstruction. Selon divers projets, il devait être restructuré sur une base régionale. Si c'est le cas, chacun semble considérer que les assemblées particulières pourraient se dispenser d'apporter leur assentiment aux traités internationaux qui ont trait à leurs domaines de compétences. Dans ce domaine comme en d'autres, elles pourraient faire confiance au Sénat puisque ce dernier en émane.
- Voilà pour les « plus ». Au tour des « moins ».
Consultons l'autre colonne. Ici aussi, me semble-t-il, un ensemble de réalités institutionnelles doivent sauter aux yeux. Dès l'instant où l'on s'achemine vers une spécialisation du travail des assemblées, des restrictions s'imposent dans la définition et l'exercice des fonctions sénatoriales.
Quatre brèves remarques. Elles portent sur les conditions de l'action du Sénat. Elles touchent au temps et à l'espace. Elles concernent le pouvoir et l'influence.
1.- Le temps ? Quelle que soit sa composition, la deuxième chambre est une assemblée seconde. Elle est invitée à travailler dans d'autres cadres chronologiques que ceux de la première chambre. Elle est invitée, on l'a souvent souligné, à inscrire son travail dans la durée.
Si la deuxième chambre est composée au départ de critères régionaux et locaux, elle se placera plus encore en retrait de l'actualité immédiate. Elle agira comme le relais d'autres assemblées, régionales ou locale. Elle appliquera le principe de postériorité.
2. - L'espace ? Une question technique est trop souvent perdue de vue. Dans un Sénat à base régionale ou locale, les sénateurs assument-ils des fonctions exclusives, auquel cas le détour par des assemblées particulières se ramène à une voie particulière de recrutement ? Ou exercent-ils nécessairement, selon la technique du dédoublement fonctionnel, des responsabilités dans les assemblées particulières qui les ont choisis ?
Dans le premier cas, ils détiennent une fonction qu'ils exerceront de manière autonome, quitte à rendre compte, en fin de législature, à l'assemblée qui les a choisis et de manière indirecte à leurs électeurs. Dans le second, ils sont les porte-parole, voire les mandataires, au sens précis de l'expression, de leur collectivité d'origine.
3. - Le pouvoir ? Le Sénat se définit toujours par rapport à la première chambre. Celle-ci représente la Nation dans son unité, réelle ou factice, peu importe. Pas question de la concurrencer sur ce terrain. La légitimité démocratique l'emporte sur toute autre considération.
Des conséquences importantes peuvent en découler sur le terrain de la définition des attributions spécifiques. En principe, le contrôle politique et administratif du gouvernement, et le droit de vie ou de mort qui s'y attache, ne reviennent pas au Sénat.
Des majorités politiques différentes peuvent se révéler. L'on comprendrait mal que le gouvernement qui bénéficie d'une majorité au niveau national soit censuré par une assemblée qui émane, de manière diversifiée, des majorités en place dans les régions et les collectivités locales.
4. - L'influence ? Elle est réelle. Mais on considérera, dans la même perspective dualiste, que là où les compétences de l'une et l'autre assemblées se recouvrent, le droit du dernier mot ne revient pas au Sénat. Diverses modalités permettent d'organiser un dialogue entre les deux assemblées.
Chers collègues, j'ose espérer n'avoir pas cédé, en cette fin d'après-midi, à la déformation professionnelle. Celle du professeur qui prend plaisir à ranger dans les cases de la dogmatique constitutionnelle les variétés multiples de secondes chambres, celles d'aujourd'hui et celles de demain. Celle du sénateur qui croit à l'activité qui est la sienne et à l'institution à laquelle il apporte son concours. Je devrais ajouter : la déformation du citoyen belge qui, dans la tourmente, s'accroche à des institutions qui, tel le Sénat, peuvent, à certains moments, lui apparaître comme des phares dans la nuit.
Je ne saurais vous cacher ma conviction. Elle est double.
Un. Avec le doyen Barthélémy, je considère, depuis un siècle et demi, que « la vue est une » mais que « l'on voit mieux avec deux yeux ». Une double lecture, surtout si elle est accomplie avec des paires de lunettes différentes, a son utilité.
Deux. Avec James Madison, et, dans son sillage, avec la pensée régionaliste, sinon fédéraliste, je considère que les transformations de la Nation exigent une transformation des secondes chambres.
La Nation a désormais plusieurs visages. Comme dans les premiers tableaux de Picasso, elle peut regarder dans plusieurs directions à la fois. Comment nos Parlements ne rendraient-ils pas compte de cette réalité, fût-elle moins harmonieuse que celle dont nous rêvions ou que nous imaginions sur papier ?
L'enjeu politique, nous le devinons. Il faut éviter que la double lecture, la double représentation et, pour tenir compte du niveau européen, la double structure institutionnelle ne conduisent à des incohérences, à des paralysies, à des guérillas dont le citoyen n'a que faire et dont il pourrait être la première victime.
Le bicamérisme nous prouve, chaque jour, que la délibération à plusieurs et que le dialogue interinstitutionnel font partie des valeurs démocratiques. Point besoin, certes, de multiplier comme à plaisir, je pense à l'Empire..., les assemblées et par là même de les affaiblir. Mais, pour tenir compte des complexités de la société moderne et notamment de la division du pouvoir législatif, l'organisation de multiples assemblées peut avoir un sens. Et même une utilité pratique.
A la condition, bien sûr, qu'elles s'accordent, qu'elles harmonisent leurs interventions, qu'elles concourent à de mêmes objectifs. Sans nécessairement « aller de concert », comme le réclamait Montesquieu, mais en oeuvrant, chacune à sa manière et selon ses moyens, à la poursuite de l'intérêt général.
M. Jean-Jacques HYEST
Merci. Je crois que cette intervention nous a beaucoup éclairés. Nous n'incitons pas au surréalisme ou au cubisme dans tous les domaines, mais l'image était intéressante. Monsieur le Professeur, merci infiniment pour votre intervention.
Nous devons écouter quatre intervenants. M. Duan TRUS prendra la parole tout d'abord. Ensuite je la donnerai à M. Jean-Claude PEYRONNET, puis à MM. Michael NEUREITER et Jiøí éÁK. Nous avons demandé à M. PEYRONNET de clôturer les exposés car il est le co-auteur du rapport comparatif du Sénat sur l'organisation des secondes chambres dans les différents pays d'Europe. M. GÉLARD a dû vous en informer ce matin.
Monsieur TRUS, la parole est à vous.
M. Duan TRUS (Slovénie), Maître de conférences à la Faculté d'administration de l'Université de Ljubljana
Merci Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs, Mesdames et Messieurs les invités,
Je vous parlerai des rapports qui existent entre la représentation territoriale et les pouvoirs du Conseil national de la République de Slovénie. Je vous précise, dès à présent, que cette structure est la chambre haute du Parlement slovène.
Mais, avant d'aborder le sujet des représentations territoriales, je dois vous décrire la composition et les compétences du Conseil national de Slovénie. En effet, ses caractéristiques sont uniques. Il n'existe pas de chambre identique en Europe disposant de ses compétences. Dans la Constitution slovène, il n'est pas formulé explicitement que le Conseil national correspond à une seconde chambre. Ce statut découle de son rôle, de ses fonctions et de sa position établis dans la Constitution de 1991. Il a été sur la base d'un compromis entre différentes idées et du modèle du Sénat bavarois, aboli en 1998. De plus, après la création du Conseil national, un organe consultatif a été mis au point, lequel, en vertu des compétences du Conseil national, dispose de compétences purement consultatives.
Le Conseil national constitue une chambre composée de quarante membres : vingt-deux représentants des intérêts locaux (il s'agit de la plus forte représentation), dix-huit représentants des intérêts du monde socioprofessionnel, dont quatre représentants des employeurs, quatre représentants des travailleurs, six représentants d'activités non commerciales et quatre représentants des agriculteurs, des artisans et des professions libérales.
Ses membres sont élus au suffrage indirect, exprimé par le biais d'organes électoraux. Ils ne sont pas choisis au suffrage direct, comme les membres de l'Assemblée nationale, première chambre en Slovénie. Les vingt-deux représentants d'intérêts locaux, membres du Conseil national, sont élus par des organes électoraux dans une vingtaine de circonscriptions. Le conseil municipal nomme un certain nombre d'électeurs, proportionnellement au nombre d'habitants des municipalités. Chacune d'elles peut proposer un candidat au Conseil national. Les organes électoraux élisent, par la suite, ces candidats à la majorité simple. Il en va de même pour l'élection des dix-huit membres représentant les intérêts fonctionnels. Ces candidats sont proposés par des groupes d'intérêts, d'après leurs propres règles. Ceux-ci peuvent être des chambres d'artisans, d'employeurs, des associations, des organisations professionnelles au niveau national. Les membres du Conseil national ont un mandat de 5 ans, d'une durée supérieure à un an par rapport au mandat des membres de notre Assemblée nationale.
De plus, le système slovène est un système bicaméral asymétrique. En effet, les pouvoirs de la chambre haute ne sont pas identiques à ceux de la chambre basse. La première a moins d'autorité que la seconde. Les dispositions constitutionnelles offrent des pouvoirs assez faibles au Conseil national. Ce dernier peut proposer de nouveaux textes de loi, mais il n'utilise guère fréquemment ses compétences. Le plus souvent, il propose des arrangements. Ainsi, au cours de ses quinze années d'existence, le Conseil national a seulement proposé trente projets de loi.
Par ailleurs, il peut transmettre son avis à l'Assemblée nationale sur toutes les questions relatives aux domaines de compétences de celle-ci. En dehors des projets de loi, il peut également donner son avis sur des propositions d'amendements à la Constitution, émettre des déclarations sur des dossiers relatifs à l'Union européenne (nominations et questions analogues). Le délai très bref imposé au Conseil national pour exprimer son droit de veto, soit sept jours, s'explique par le fait que ses membres n'exercent pas leurs fonctions en tant qu'activité professionnelle. L'Assemblée nationale peut rejeter le veto du Conseil national, sauf s'il y a eu vote à la majorité absolue. La lecture ultérieure du projet de loi à l'Assemblée nationale ne prévoit pas de débats plus approfondis sur le projet de loi, ou le veto, déposé par le Conseil national. Cette dernière reprend seulement un vote sur l'adoption ou non du projet de loi. Ses membres peuvent alors expliquer leur voix. De fait, il est possible d'adopter une loi présentant une faiblesse intrinsèque ou de rejeter la totalité de la loi. Ainsi, un article prêtant à controverses peut entraîner la chute de l'ensemble du projet de loi. Les membres de l'Assemblée nationale sont donc soumis à une forte pression. Si l'on pouvait amender un article contesté de la loi, il y aurait une autre solution.
Toutefois, notez que le Conseil national n'a pas le droit d'exercer son droit de veto sur le budget car, d'après l'interprétation de la Constitution, le budget ne représente pas un projet de loi. Parce que le Conseil national fait valoir son veto sur un projet de loi en raison de son inconstitutionnalité, pour tout ou partie, il a autorité d'exiger une décision sur la constitutionnalité et la légalité des lois ainsi adoptées. Ainsi, de nombreuses dispositions ont été annulées par le Tribunal constitutionnel à la suite de la demande du Conseil national.
Mais le droit le plus important dévolu au Conseil national est celui de présenter une requête pour organiser un référendum ; pouvoir ou compétence qui n'est pas attribué à d'autres chambres hautes en Europe. Ainsi, si le Conseil national n'est pas en accord avec les dispositions juridiques adoptées par l'Assemblée nationale, il peut alors présenter une requête en vue d'organiser un référendum, dans un délai de sept jours. Cette requête peut être considérée comme un avertissement très rigoureux lancé à l'Assemblée nationale. Ainsi, si la position du Conseil national n'est pas prise en considération par cette dernière, celui-ci peut exiger que la décision définitive soit émise par les électeurs.
Cette compétence est intéressante car elle peut renforcer, par le biais du référendum, la légitimité du Conseil national qui n'est pas élu directement mais indirectement. Pour citer un exemple, à l'automne dernier, il a souhaité organiser un référendum sur le projet de loi relatif à la transformation de la propriété des agences d'assurances. Seuls 30 % des électeurs se sont déclarés en faveur du projet de loi proposé par le gouvernement, lançant ainsi une sorte de motion de défiance à son égard. Pour autant, au cours de ses quinze années d'existence, le Conseil national n'a usé de ce droit seulement deux fois. Autrement dit, il est conscient des conséquences d'une telle prérogative. S'il l'utilisait à mauvais escient, il y aurait un risque de dégénérescence de ses pouvoirs. De plus, les citoyens ne sont pas favorables au recours référendaire pour tous types de sujets.
Parallèlement au pouvoir d'instaurer des référendums sur les projets de loi, le Conseil national a la possibilité - qu'il utilise rarement - d'exiger une enquête pour des questions d'importance publique. Il ne peut pas créer, de sa propre initiative, une commission d'enquête, mais il peut l'exiger de l'Assemblée nationale.
Ainsi, la légitimité du Conseil national n'est pas très importante sur le plan politique, au contraire de celle de l'Assemblée nationale, qui prend toutes les décisions définitives.
Par ailleurs, en raison de sa composition, il représente l'organe représentatif des intérêts territoriaux, la plupart de ses membres étant les porte-parole de groupes d'intérêts locaux. Néanmoins, ses pouvoirs demeurent trop faibles pour représenter de manière efficace les intérêts d'entités locales. Il participe à la procédure permettant de légiférer, mais il n'est pas un organe délibératif et pas le représentant prégnant d'intérêts locaux puisque seule l'Assemblée nationale dispose de différentes voies pour coopérer avec les municipalités.
A cet égard, les maires sont également députés à l'Assemblée nationale. Il peut donc exister une incompatibilité entre les deux fonctions. Du point de vue constitutionnel, cette compatibilité ou incompatibilité peut être contestée en raison de la nature même des autorités locales, forme décentralisée d'autorité de l'Etat. En effet, d'une part, les maires sont les représentants du pouvoir local et, d'autre part, les députés constituent les représentants de la Nation ; ceci en raison des pouvoirs exécutifs conférés aux maires dans leurs municipalités et de la surveillance exercée par l'Assemblée nationale sur leur travail.
Le Conseil national doit exercer ses compétences pour défendre les intérêts locaux. Du fait de cette prérogative, toute réforme le concernant devrait tendre à renforcer sa légitimité en lui permettant de mieux représenter les collectivités locales. Un ensemble de projets de loi établissant un second niveau d'autonomie locale au travers des régions est d'ores et déjà en préparation à l'Assemblée nationale. S'il est important que le Conseil national s'efforce de réformer l'autonomie locale, il doit devenir également le point de contact des régions slovènes. Le fait d'acquérir cette position aura un impact sur sa compétence et sa composition.
Je vous remercie de votre attention.
M. Jean-Jacques HYEST
Merci, Monsieur TRUS, de nous avoir fait part de la Constitution, assez récente, de la seconde chambre dans votre pays et d'avoir répondu, en partie, aux définitions et interrogations du professeur DELPÉRÉE. Il existe un génie dans chaque pays. M. le sénateur Jean-Claude PEYRONNET, nous vous écoutons.
M. Jean-Claude PEYRONNET (France), Sénateur
Merci, Monsieur le Président, de me donner la parole.
Je vous dois des excuses, car mon exposé ne répond pas exactement à la question posée. Mais se comporter ainsi est dans la nature des hommes politiques qui peuvent endosser également la fonction d'universitaire. Je répondrai, toutefois, à la question précédente. Par conséquent, ma faute est donc vénielle. Par ailleurs, je souligne que je suis membre de l'opposition socialiste. Notre président de séance, également président de la Commission des lois, pourra vous dire que c'est la seule tare m'empêchant d'être parfait.
Je suis très critique sur l'impossibilité actuelle de faire évoluer la représentation politique du Sénat français et de la faire correspondre à la réalité de ce pays. Pour éclairer mon discours, je souligne mon attachement, comme la grande majorité de mes collègues, au bicamérisme associé à un pouvoir législatif général. La différence entre le Sénat et l'Assemblée nationale réside dans le mode d'élection des deux assemblées. A cet égard, je retiens une des formules de notre rapporteur : Appliquer une double lecture avec des lunettes différentes .
Au cours des 25 dernières années, la France a beaucoup évolué, passant d'un Etat unitaire fortement centralisé à un Etat dans lequel la Constitution reconnaît que la République possède une organisation décentralisée. Aussi, je crois le moment venu de prendre en compte les évolutions introduites par les différentes phases de la décentralisation au sein de notre organisation administrative. Il faut donner la possibilité aux pouvoirs locaux, très établis comme les départements, ou en phase d'ascension comme les régions, d'être représentés, sans pour autant changer la nature du Sénat français.
D'un point de vue technique, le bicamérisme à la française représente un système qui fonctionne bien. Grâce à la communication existant entre les deux assemblées, le Parlement a la possibilité d'entreprendre un travail approfondi et réfléchi, dans lequel le Sénat joue un rôle modérateur éminemment positif. Ainsi, la double lecture des textes de loi, suivie et conclue par la tenue d'une commission mixte paritaire, garantit l'existence d'un bon travail législatif, dans lequel le Sénat occupe une place importante, quelle que soit la majorité politique de l'Assemblée nationale. Très souvent, il joue également un rôle modérateur, comme cela a été le cas lors de l'examen de la loi portant sur les tests ADN, destinés à établir la filiation des demandeurs étrangers au regroupement familial.
Le rôle modérateur du Sénat est lié à deux éléments :
La longueur du mandat de sénateur. En effet, sa durée a été réduite de 9 ans à 6 ans. Mais, au risque de susciter des remontrances de la part de mon parti politique, je me demande si cette mesure a été positive.
L'élection des sénateurs au suffrage indirect par un collège électoral restreint, composé d'élus locaux, ce qui les rend moins sujets aux pressions de l'actualité.
Plusieurs dispositions pourraient permettre d'améliorer le système, notamment la réduction du nombre de lois examinées en urgence, qui minimisent la communication entre les deux assemblées. Mais il s'agit là d'ajustements mineurs.
Par ailleurs, l'observation de la composition de la chambre haute au regard des mandats exercés par les sénateurs montre que le Sénat répond exactement à l'exigence de la Constitution. En effet, selon son article 24, le Sénat « doit assurer la représentation des collectivités territoriales de la République ». Aussi, parmi les 319 sénateurs siégeant actuellement - je ne tiens pas compte ici des 12 sénateurs français de l'étranger, ceux-ci n'ayant pas de mandat local a priori -, seulement 53 n'exercent pas de mandat local. Ainsi, 84 % d'entre eux ont un mandat local. Sous réserve de vérification, 23 sénateurs sont conseillers régionaux (dont 3 présidents de régions), 115 - soit 35 % - sont conseillers généraux (dont 34 président de départements), 204 - soit 61 % - sont conseillers municipaux, dont 121 sont maires (36 % de notre assemblée).
Ainsi, la représentation des collectivités territoriales est assurée, avec 441 titulaires de mandats locaux à l'Assemblée nationale, contre 278 au Sénat. Le problème provient du fait que lesdits sénateurs ne sont pas élus par leurs pairs. En effet, les 115 conseillers généraux ou les 23 conseillers régionaux sont nommés par un collège dans lequel les conseillers généraux et régionaux sont très minoritaires. Ainsi, au plan national, 95 % des grands électeurs constituant le corps électoral qui élit les sénateurs sont issus de municipalités où les petites communes sont largement sur-représentées. En 2004, les communes de moins de 100 000 habitants représentaient 16 % de la population et 31 % du corps électoral chargé d'élire les sénateurs. Les communes de plus de 100 000 habitants constituaient 15 % de la population mais seulement 7 % des grands électeurs. Pour exemple, dans mon département, la Haute-Vienne, la ville-centre est composée de 140 000 habitants. Elle représente 40 % de la population et seulement 17 % de délégués au collège électoral des grands électeurs.
Si le Sénat devait être le reflet relativement fidèle de la réalité territoriale française et satisfaire, autrement que par la forme, l'article 24 de notre Constitution, il faudrait établir une représentation des grands électeurs prenant en compte le poids des grandes collectivités territoriales, départements et régions.
Je ne souscris pas à la solution selon laquelle les présidents de départements et de régions seraient systématiquement membres du Sénat. Quand bien même leur poids serait important, ils seraient « fondus dans la masse ». En général, cette solution est assortie d'une autre, préconisant la représentation des forces vives du pays (les patronats, les syndicats). Si un tel projet voyait le jour, le Sénat jouerait un rôle différent. Il deviendrait une sorte de « super Conseil économique et social », perdant ainsi sa fonction en matière de législation générale. Cette solution est donc à bannir.
De même, il me semble impossible et non souhaitable d'établir un système inspiré du dispositif allemand, dans lequel les représentants du Bundesrat sont issus directement, par nomination, des Länder . Chaque pays possède son histoire et celle de la France correspond à celle d'un pays unitaire et non fédéral. Notre Etat demeure un pays unitaire, malgré la réforme constitutionnelle de 2003 qui introduit la notion d'organisation décentralisée de la République.
Il conviendrait que les conseils généraux et régionaux, ainsi que, par voie de conséquence, les communes, soient représentés en tant que tels. C'est de cette manière que nous pourrons rompre avec la logique de la Constitution de 1958 selon laquelle, d'après l'article 24, le Sénat ne dispose pas de pouvoirs spécifiques vis-à-vis des collectivités locales.
Quelles sont les solutions alors envisageables ?
Il pourrait s'agir de créer un corps électoral composé de trois collèges de grands électeurs : celui des communes représenterait par exemple 50 % de l'ensemble, celui des départements 25 % et celui des régions 25 %. Le collège des communes pourrait être constitué sans aucune difficulté, car celles-ci sont au nombre de 36 000. Mais la constitution des collèges des départements et des régions poserait des difficultés, en raison du faible nombre d'élus. Il faut donc choisir des membres du collège électoral chargés d'élire les sénateurs hors de ces assemblées.
Deux solutions sont envisageables en la matière. La première passe par l'adoption d'un vote plural : chaque vote de conseil général ou conseil régional pèse 10 ou 15 suffrages. La deuxième solution consiste à offrir la possibilité, à chaque conseil général ou régional, de choisir des sénateurs à l'extérieur de son assemblée. Ce choix s'effectuerait sur la base d'un vote à la proportionnelle de la composition de cette assemblée, jusqu'à l'obtention du nombre d'élus du collège considéré.
Cette dernière solution ferait entrer dans le collège électoral un nombre important de représentants qui ne sont pas élus des assemblées. Certes, cette disposition a été sanctionnée, en 2000, par le Conseil constitutionnel. Mais, le Comité BALLADUR suggère que la Constitution soit révisée de la façon suivante : « Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population ». Il me semble que, si cette modification était introduite dans la Constitution, l'objection soulevée par le Conseil constitutionnel pourrait alors être levée.
Mesdames, Messieurs, Monsieur le Président, cette solution aurait un double avantage. Elle permettrait au Sénat de mieux correspondre à la réalité territoriale nouvelle de la France et d'être plus directement aux prises avec les fluctuations politiques du pays en autorisant des changements de majorité au sein de cette assemblée immuable.
Telle est, Monsieur le Président, la médication que je préconise pour cette institution qui souffre de mal chronique, qui ne met pas cependant sa vie en danger.
Merci de votre écoute.
M. Jean-Jacques HYEST
Ce que vous proposez ne relève pas de la médecine. Mais, par rapport aux traitements trop forts préconisés par certains, vos réflexions peuvent nourrir le débat. Je note que vous souhaitez le maintien d'une assemblée législative de plein exercice et donc du système existant. Certains ont voulu transformer le Sénat en un grand Conseil économique et social. Leur tentative n'a pas connu beaucoup de succès.
Monsieur Michael NEUREITER, nous vous écoutons.
M. Michael NEUREITER (Autriche), Membre du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, Vice-Président du Parlement régional de Salzburg
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Après avoir entendu les exposés sur la situation du bicamérisme en France et en Slovénie, j'aimerais vous livrer quelques impressions concernant la situation de la seconde chambre en République d'Autriche. Bien évidemment, le risque que j'encours est celui de vous faire part seulement d'un point de vue. Etant membre du Parlement de Salzburg depuis vingt-quatre ans, je sous-estime peut-être les autres organisations démocratiques en Autriche.
Le Bundesrat est considéré en Autriche comme étant un Parlement régional faisant partie d'un Etat unitaire décentralisé. Cette structure sait précisément ce qu'elle veut et ce qu'elle doit faire conformément à la Constitution. Aussi, j'aimerais présenter rapidement l'histoire du bicamérisme en Autriche, avant d'aborder sa situation actuelle et les réformes à envisager.
La République autrichienne a vu le jour en 1918. En 1919, à Saint-Germain-en-Laye, Georges CLEMENCEAU, lors des négociations de paix, faisant référence à la période suivant la monarchie, a très bien résumé quelle était la situation du pays par ces mots : « Le reste, c'est l'Autriche ».
En 1920, la première Constitution de l'Autriche est établie. Elle comprend un Bundesrat . J'aimerais préciser que la jeune République autrichienne n'a pas été simple à organiser. Les neuf régions qui composaient l'Autriche de manière historique - y compris Salzburg, région la plus récente - sont devenues une partie du pays en 1916. En 1918, ce sont les régions qui ont créé la République en se disant prêtes à former celle-ci, ce qu'elles ont fait après la chute du Reich en 1945.
Les Länder se sont regroupés et la capitale, occupée à l'époque, a été intégrée à la République autrichienne. Ainsi les Länder ont créé la République d'Autriche à deux reprises dans l'histoire. Il est important de souligner cette réalité et de comprendre le rôle qu'ont pu jouer les Länder dans le développement de la démocratie autrichienne.
En 1920, le Bundesrat existait aux côtés d'une chambre basse. Ces deux instances se réunissaient dans le même bâtiment, le Parlement de Vienne. La chambre basse était constituée de 193 représentants élus tous les quatre ans.
Le Bundesrat , seconde chambre d'Autriche, rassemble 62 représentants, dont 16 femmes. Ceux-ci travaillent à temps partiel en tant que représentant des 9 régions et sont nommés par elles. Chacune d'entre elles dispose de trois à douze représentants au sein du Bundesrat , les mandats de ces derniers dépendant du mandat du Parlement régional dont ils sont issus. Les parlements régionaux ont un mandat de cinq ou six ans, selon les Länder , chaque Land disposant d'au moins trois sièges dans le Bundesrat , dont la présidence s'avère une présidence tournante, du Burgenland à Vienne, par ordre alphabétique. Jusqu'à récemment, les représentants siégeant au Bundesrat provenaient des deux plus grands partis autrichiens, le Parti populaire et le Parti social démocrate autrichien. Aujourd'hui, ils peuvent être issus également du Parti des verts et être sans appartenance politique, ce qui est le cas pour trois d'entre eux.
61 % des parlementaires français détiennent des mandats municipaux ou cantonaux, contre 43 % des membres du Bundesrat autrichien (7 députés sur 62 étant aussi maires). D'après ces données, la France représenterait mieux que l'Autriche les pouvoirs locaux. Toutefois, il convient de préciser que nos représentants sont élus par nos parlements régionaux, participant ainsi au bon fonctionnement de la démocratie autrichienne.
Qu'en est-il du pouvoir du Bundesrat ?
Selon l'orateur précédent, le Parlement français aurait moins de pouvoir. Il en est de même du Parlement autrichien. Les députés autrichiens ont la possibilité d'émettre des propositions de lois et des droits de veto suspensifs, lesquels n'ont pas une durée très longue, comme cela est le cas en Roumanie ou en Slovénie. Mais la chambre basse peut contrer ce veto par un vote.
Les cas de textes législatifs nécessitant une approbation obligatoire du Bundesrat sont exceptionnels. Ils concernant les changements de Constitution, lorsqu'il s'agit, par exemple, de restreindre le pouvoir des régions. Le Bundesrat a, non seulement le droit, mais aussi l'obligation d'approuver la législation et notamment au niveau de l'Union européenne.
En ce sens, il joue un rôle très important. Mais le talon d'Achille de ce système réside dans le fait que le Bundesrat ne dispose que très peu de pouvoirs en matière de transferts financiers. En effet, il peut seulement formuler des objections par rapport à certains d'entre eux.
Le Bundesrat a un droit de veto suspensif, par définition, non définitif. Il peut auditionner certains membres du gouvernement, prendre des résolutions, signer des pétitions, etc. Mais aucun de ses pouvoirs n'a un effet contraignant d'un point de vue juridique. En définitive, il ne dispose que de pouvoirs modestes. Il n'est ainsi mis en cause que lors de crises politiques. Par exemple, il a occupé les médias récemment en participant à la négociation entre les deux partis du gouvernement. Si sa majorité est différente de celle de l'autre chambre, alors la situation peut devenir complexe.
Il est donc reproché au Bundesrat de détenir trop peu de pouvoirs et, finalement, de ne représenter qu'une chambre mineure. Cependant, une chose est certaine : les députés du Bundesrat votent davantage en fonction de leur appartenance politique que de leur appartenance régionale. Aussi leur comportement empêche une représentation parfaite des intérêts régionaux au sein de la seconde chambre, les décisions y étant prises étant strictement politiques.
À l'instar de l'Allemagne, une conférence des premiers ministres régionaux a lieu. Elle sert à défendre les intérêts des Länder . Le poids du Bundesrat est donc relativement faible d'un point de vue constitutionnel et ses pouvoirs sont, d'une certaine mesure, exercés dans le cadre de la conférence des premiers ministres. Cette conférence n'est pas prévue dans la Constitution, mais elle joue un rôle majeur dans le processus politique. Ainsi, les intérêts régionaux sont représentés, certes, mais pas au sein du Bundesrat . Une des raisons pour lesquelles nous souhaitons le réformer consiste à transférer auprès de lui les pouvoirs qui lui reviennent. Les premiers ministres des régions, ayant leur propre pouvoir exécutif, portent des intérêts qui ne sont pas défendus au niveau du Bundesrat et les parlements régionaux ne sont pas représentés dans la conférence des premiers ministres.
Ainsi, une réforme concernant les pouvoirs financiers serait nécessaire. La mise en place d'un mécanisme de consultation sur ce qui touche aux problématiques financières a été envisagée. Ce mécanisme pourrait être sollicité lorsqu'un organe législatif souhaite introduire une nouvelle législation imposant une charge financière à un autre organe. Le représentant d'une région pourrait alors émettre une objection à l'instauration de cette charge supplémentaire et un mécanisme de consultation serait déployé pour éclaircir la situation. C'est d'ailleurs ce qui se produit chaque année au niveau régional et au niveau fédéral.
Un autre motif de réforme est lié au principe selon lequel le Bundesrat ne peut s'intéresser à un texte législatif que si seulement l'autre chambre l'a traité auparavant. En ce sens, les deux chambres ne sont pas égales. La réforme souhaitée soulève un certain nombre de questions. L'idée de mettre les deux chambres sur un même pied d'égalité court depuis plusieurs années, notamment au sein de la convention de consultation constitutionnelle qui s'est réunie en 2003 et en 2005 en Autriche. Lors de ces réunions, nous nous sommes interrogés sur la question suivante : les membres du Bundesrat doivent-ils être les représentants des gouvernements ou des parlements régionaux ?
Plusieurs pays sont confrontés à cette question.
Peu de gens le savent en Autriche. Mais, il y a quelques mois, un document a été soumis au Premier ministre fédéral pour l'inciter à réformer totalement le Bundesrat . Il s'agirait de demander aux 62 membres du Bundesrat de dissoudre leur chambre, afin de créer une nouvelle assemblée chargée de représenter les régions. Chaque région aurait alors une voix au sein de la nouvelle structure et chaque voix serait portée par trois représentants régionaux : le Premier ministre, le président du Parlement et une troisième personne élue par le Parlement régional. Cette solution est en cours d'étude. Elle irait dans le bon sens.
L'autre alternative réside dans la suppression du Bundesrat . Les deux solutions doivent être envisagées. En tout état de cause, le Bundesrat ne peut rester en l'état. Pour certains, il devrait promouvoir la subsidiarité et les Länder devraient pouvoir prendre des décisions contraignantes pour le gouvernement, de manière à renforcer la position des neuf régions en Autriche.
Je suis favorable à une réforme du Bundesrat consistant davantage dans l'amélioration de son fonctionnement que dans sa suppression.
Je vous remercie de votre attention et vous remercie de m'avoir invité à cette conférence très intéressante.
M. Jean-Jacques HYEST
Il existe des interrogations dans de nombreux pays. Je passe maintenant la parole à M. Jiøí éÁK, sénateur et président du groupe d'amitié République tchèque-France.
M. Jiøí éÁK (République tchèque), Sénateur, Président du groupe d'amitié République tchèque-France
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous dire à quel point j'ai été surpris d'apprendre qu'une partie de cette conférence était consacrée à la République tchèque. En effet, le Sénat tchèque ne représente pas une chambre de représentation régionale. Par conséquent, ses compétences ne sont pas particulièrement régionales. Mon exposé consistera à vous dire quel type de seconde chambre le Sénat tchèque représente et de saisir quels liens peuvent être établis entre la représentation des régions et des collectivités locales et les pouvoirs des secondes chambres.
Les travaux préparatoires à la mise en place de la nouvelle Constitution pour la République tchèque indépendante, commencés au cours de l'été 1992, prévoyaient l'instauration d'un Parlement bicaméral, système adopté par le passé en Autriche-Hongrie, dans la Tchécoslovaquie de l'entre-deux guerres et la Tchécoslovaquie fédéralisée des années allant de 1969 à 1992. Étant donné que la République tchèque indépendante voulait renouer avec l'esprit de la première République tchécoslovaque, celle datant d'avant la guerre et considérée, d'une façon un peu sommaire, comme une sorte d'âge d'or pour le pays, il a semblé naturel de fonder la nouvelle Constitution sur la charte constitutionnelle de l'époque, en reprenant ses qualités, mais aussi ses défauts. Nous avons donc repris la structure bicamérale du Parlement ainsi que son type, soit un Parlement où la seconde chambre ne défend aucun intérêt spécifique (social, national ou même régional). Son rôle essentiel est d'être le garant de la stabilité du système constitutionnel et d'apporter des corrections au processus législatif.
En 1992, un bloc minoritaire d'adversaires à la création d'un Parlement bicaméral s'est révélé. La majorité des élus y était favorable, mais ils étaient divisés sur le type de seconde chambre à adopter. Un groupe, relativement important, souhaitait avoir un Sénat représentant les pays historiques (l'ancien Royaume de Bohême, le Margraviat de Moravie et la partie ex-autrichienne du Duché de Silésie) et un autre groupe, un Sénat représentatif des régions.
Notre bicamérisme repose sur les deux chambres représentant les citoyens, mais se distinguant entre elles, non pas par leur degré de représentativité, mais par l'étendue de leurs compétences, par leur mode d'élection, la durée de leur législature et leur méthode de renouvellement. Le Sénat tchèque matérialise la projection de multiples désirs, parmi lesquels cette instance constituerait un conseil des sages, à l'instar du modèle du Sénat romain, avec des membres censés être plus expérimentés, moins liés aux partis politiques et chargés de réfléchir à des thèmes s'inscrivant dans la durée, au-delà de la période d'une législature courante. C'est pourquoi l'âge d'éligibilité des sénateurs a été fixé à 40 ans (21 ans pour les députés). La durée du mandat est de 6 ans (celle du mandat des députés de 4 ans) et le mode d'élection choisi est le mode majoritaire. Le suffrage direct - à la différence du mode proportionnel - est supposé mettre en avant la personnalité du candidat, tout en renforçant les chances des candidats indépendants et des représentants des petits partis d'être élus.
Cependant, à peine la Constitution avait été adoptée que certains faisaient remarquer sa dimension régionale. En effet, les sénateurs sont élus en tant qu'individus dans des circonscriptions électorales d'environ 100 000 électeurs. Ceux-ci peuvent alors naturellement les considérer comme étant les représentants de cette circonscription. Des recherches sociologiques ont d'ailleurs prouvé que de nombreux sénateurs se jugent comme tels plutôt que comme les représentants de l'Etat entier. Cette composante régionale, sous-estimée en premier lieu, est à l'origine d'une évolution spontanée qui a changé le rôle du Sénat. De gardien des bases du système constitutionnel et co-décideur de tous les projets liés à la souveraineté nationale, il est devenu une chambre défendant les intérêts des régions et des communes. Ainsi, si au commencement de son fonctionnement, il comportait nombre d'anciens ministres, d'ambassadeurs, de hauts fonctionnaires et d'enseignants universitaires, aujourd'hui il est surtout constitué de maires et de membres de conseils municipaux, lesquels gardent leurs fonctions parallèlement à l'exercice de leur mandat sénatorial. Les partis politiques choisissent de présenter ce type de candidats et les électeurs les élisent en tant que personnes ayant effectué leurs preuves, connues au niveau local et fidèles à la région.
Ces sénateurs s'intéressent cependant aussi à des sujets plus concrets que l'orientation de la politique étrangère tchèque, la réforme du système judiciaire, les révisions possibles de la Constitution ou l'application du principe de subsidiarité dans le contrôle des directives émanant de l'Union européenne.
Quelle appréciation pouvons-nous faire de cette évolution ?
D'un côté, le Sénat est devenu plus utile dans la mise en oeuvre de la politique quotidienne. Mais de l'autre côté, le système mis en place se heurte aux écueils constitutionnels. Le Sénat a été conçu pour jouer un rôle important lors du vote des lois organiques et électorales ou lors de l'approbation des accords internationaux, des états d'exception etc. Avec le Président de la République, il décide de la composition de la Cour constitutionnelle. Mais l'ensemble de ces questions ne sont pas toujours abordées de manière sereine par les représentants communaux. En revanche, dans les affaires qu'ils connaissent bien, les sénateurs apparaissent seulement comme les personnes corrigeant les textes issus de la Chambre des députés. Ces derniers peuvent, par une majorité absolue, imposer leur conception des lois courantes. Il existe donc une sorte de tension entre le statut constitutionnel du Sénat et sa composition réelle.
Pour clore cette courte intervention, je ferai remarquer que lors du passage à la décentralisation, tant redouté en 1992, il a souvent été question d'une possible interconnexion entre le Sénat et les représentations régionales. Une régionalisation du Sénat ne pourrait pas se faire sans que cette instance soit associée au vote du budget national. Or, jusqu'à présent, tout ce qui relève du budget appartient à la compétence exclusive de la Chambre des députés. Le Sénat serait de peu d'utilité pour les régions s'il n'avait pas la possibilité de décider de la destination des flux financiers. En outre, il serait sans doute nécessaire de définir le groupe des lois particulièrement importantes pour les collectivités locales et pour lesquelles le vote du Sénat compterait autant que celui de la Chambre des députés.
L'autre point sensible concerne l'éventuelle élection indirecte des sénateurs par des représentations régionales. Ce sujet restera sur la table aussi longtemps que les sénateurs considèreront le mandat direct comme leur principal attribut. De plus, une réforme semblable devrait prendre en compte l'asymétrie considérable existant entre les régions : la région la plus dense est quatre fois plus peuplée que la région la moins dense. En tout état de cause, la discussion sur le sujet est loin d'être close.
M. Jean-Jacques HYEST
Merci Monsieur le Sénateur de nous avoir fait part de ces problématiques assez différentes de celles évoquées jusqu'ici. Il a été très enrichissant d'entendre les expériences menées dans un certain nombre de pays. Mes collègues de la Commission des lois du Sénat auront sans doute envie de retourner en République tchèque et en Autriche !
Je passe la parole à M. Hubert HAENEL, Président de la Délégation pour l'Union européenne au Sénat, pour la conclusion de cette journée.
* 18 La nation s'est traditionnellement reconnue dans une assemblée -- nationale, par définition --. Cette assemblée était composée « à son image et à sa ressemblance », pour utiliser une formule biblique. La Nation n'est peut-être pas si homogène qu'on le dit. Elle peut évoluer, elle peut s'adapter, elle peut se modaliser. Elle peut même se démultiplier. A l'avenir, la Nation pourrait se trouver représentée dans quatre assemblées distinctes -- deux dans l'ordre interne, deux dans l'ordre européen --. Ces assemblées s'efforceraient de rendre compte des complexités de l'identité nationale au début du XXI e siècle.
* 19 Dans l'Etat fédéral, en particulier, il y a lieu de conjuguer les règles d'égalité et de participation (« La complexité fédérale », in Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2003, pp. 117-127).