Bicamérisme et représentation des régions et des collectivités locales : le rôle des secondes chambres en Europe
Palais du Luxembourg, 21 février 2008
M. Hubert HAENEL (France), Président de la Délégation pour l'Union européenne au Sénat
Je souhaite remercier toutes les personnes présentes, tous les intervenants, mais aussi les organisateurs de cette manifestation, le Président du Sénat, le Président du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe et le Président de la Commission de Venise. Je remercie également le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'avoir bien voulu associer l'assemblée qu'il préside à la préparation de ce colloque, ainsi que le secrétaire général du Sénat et ses homologues. Je voudrais également saluer la participation du Président du Comité des Régions.
Je ne peux citer tous les intervenants, mais je tiens à remercier tout particulièrement mes collègues du Sénat, Mme Michèle ANDRÉ, Vice-Présidente du Sénat, dont l'engagement européen est à souligner, M. Patrice GÉLARD qui a travaillé dans le cadre de la Commission de Venise sur le rôle des secondes chambres en Europe, ainsi qu'avec notre collègue M. Jean-Claude PEYRONNET dans le cadre de la Commission des lois sur le bicamérisme en Europe. Je souhaiterais enfin remercier le Président de la commission des Lois, M. Jean-Jacques HYEST, d'avoir magistralement présidé la dernière partie de ce colloque.
Les enseignements d'un colloque aussi dense seraient naturellement très nombreux. Je n'essayerai pas d'en faire un inventaire, qui pourra être réalisé dans de meilleures conditions lors de la publication des actes. Je voudrais plutôt mettre l'accent sur quelques perspectives.
Les secondes chambres ne se ressemblent pas, comme nous avons pu l'observer tout au long de cette journée. Elles ont toutes, pourtant, la même raison d'être, celle consistant à assurer le maintien d'une démocratie équilibrée, réfléchie et respectueuse de la diversité. Ainsi, le Sénat français assure une représentation de la diversité nationale et locale, mais aussi une représentation des Français établis hors de France, qui sont près de deux millions.
C'est pourquoi le bicamérisme, s'il est toujours utile, devient nécessaire pour les pays présentant une certaine taille ou un certain degré de diversité. En effet, lorsqu'un pays compte plusieurs dizaines de millions d'habitants, le pouvoir central s'éloigne inévitablement des citoyens en même temps qu'il se renforce. Ainsi, une chambre exerçant un pouvoir modérateur devient indispensable. Il en est de même lorsqu'un pays atteint un certain degré de diversité culturelle et linguistique, même lorsque sa population est moins importante. Pour éviter que telle ou telle composante ne soit marginalisée, pour assurer l'équilibre entre les droits de la majorité et ceux de chaque composante, le bicamérisme s'impose.
L'aspiration à avoir une démocratie équilibrée n'est pas en déclin, loin de là. L'Europe est revenue des grandes utopies meurtrières, des religions politiques qui ont ensanglanté le siècle précédent. Elle a appris la fragilité de sa propre civilisation, et la nécessité de modérer et de limiter tout pouvoir. L'idéal d'une démocratie équilibrée est de plus en plus partagé. Parallèlement, l'affirmation des pouvoirs locaux et la reconnaissance de la diversité constituent des tendances lourdes. La centralisation parfois démesurée qu'avaient suscitée les guerres ou les tensions internes en Europe cède le pas à un mouvement contraire. La décentralisation répond à l'attente des citoyens d'une démocratie plus vivante, d'un pouvoir plus proche et plus contrôlable. La logique de ce mouvement est une plus grande affirmation de la diversité, une diversité qui aspire à être reconnue et garantie. Ainsi, les fondements du bicamérisme que sont les aspirations à une démocratie équilibrée et au respect de la diversité sont plus vivants que jamais, et c'est pourquoi le bicamérisme représente une idée d'avenir.
Si tel est bien le cas, il est naturel de se demander comment elle doit se traduire dans la construction européenne, où se joue, au moins, pour partie, l'avenir de notre continent. Cela me conduit à évoquer, brièvement, mes souvenirs de membre de la convention sur l'avenir de l'Europe. Lorsque la décision de lancer la Convention a été prise, nous avons voulu, au Sénat, préparer notre contribution à ses travaux. Comme l'un des thèmes que devait traiter la Convention portait sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne, nous nous étions de suite intéressés à ce sujet qui nous préoccupait directement. Cette réflexion avait été confiée à M. Daniel HOEFFEL, lequel avait suggéré la création d'une seconde chambre européenne ou d'un Sénat européen, qui aurait représenté les Parlements nationaux auprès de l'Union européenne. Ses compétences auraient été de deux sortes : d'une part, contribuer au respect du principe de subsidiarité et, d'autre part, participer au contrôle des politiques européennes de nature intergouvernementale, principalement les affaires étrangères et la défense.
Cette proposition fut très mal accueillie au sein de la convention où on nous répétait inlassablement qu'il ne fallait pas de nouvelle institution. « No new body » constituait un véritable slogan. Le même argument était employé contre la proposition du Président GISCARD D'ESTAING de créer un Congrès qui aurait réuni périodiquement parlementaires européens et parlementaires nationaux.
L'autre argument qu'on nous opposait était que l'Union européenne dispose déjà d'un système bicaméral, avec le Parlement européen et le Conseil. Il ne fallait donc pas ajouter une troisième chambre. A cela, nous pouvions répondre : « Certes, l'Union européenne a déjà un système bicaméral, mais remplit-il vraiment toutes les fonctions du bicamérisme ? » Le Conseil fonctionne ainsi : les négociations sont menées au sein de groupes de travail, composés de fonctionnaires ; puis, les questions non résolues remontent vers les représentants permanents. Ceux-ci règlent alors eux-mêmes une partie des questions attenantes. De fait, les ministres abordent seulement ce qui reste de ce processus de décantation. Les vies démocratiques nationales demeurent dans un arrière-plan plutôt lointain. Elles n'ont pas beaucoup plus d'écho au Parlement européen, dont le fonctionnement est organisé, de manière légitime, sur des bases transnationales. Ainsi, le fonctionnement de l'Union européenne n'est pas suffisamment relié aux vies politiques nationales et s'éloigne des citoyens.
Mais ce débat a été rapidement transformé avec l'irruption d'un autre protagoniste. En effet, les régions, surtout les régions dotées d'un pouvoir législatif, disposaient, au sein de la Convention, d'un certain nombre de relais, lesquels ont fait valoir l'idée qu'une meilleure association des démocraties régionales et localesétait également nécessaire, notamment pour bien veiller au respect de la subsidiarité. L'entrée des régions, d'une certaine manière, nous aidait dans notre travail, car elle procédait d'une même préoccupation, celle d'enrichir et de compléter la vie démocratique de l'Union européenne, et de rapprocher autant que possible la décision du citoyen. Mais nous ne disposons pas d'un schéma susceptible de convenir à tout le monde. Du coup, il a fallu trouver des compromis, après des débats pas toujours faciles.
Les Parlements nationaux ont reçu la responsabilité de veiller au respect de la subsidiarité au travers d'instruments permettant, d'une part, d'alerter, de façon précoce, les institutions européennes et, d'autre part, de saisir la Cour de justice de Luxembourg. Ces instruments ont d'ailleurs été encore renforcés par le Traité de Lisbonne. De plus, symboliquement, le rôle des Parlements nationaux est désormais mentionné dans le corps même des traités, et non plus dans des protocoles annexés. Après un long débat, les Parlements régionaux n'ont pas obtenu, pour leur part, le droit de participer directement à l'alerte précoce et de saisir la Cour de justice. L'argument décisif, à cet égard - et ce n'est pas sans intérêt pour nos travaux d'aujourd'hui - a été que la vocation des régions est de participer à ce mécanisme par l'intermédiaire des secondes chambres.
C'est pourquoi le nouveau dispositif indique expressément que, dès lors qu'un Parlement est bicaméral, chacune des chambres, à niveau égal, contribue au contrôle de subsidiarité. Ainsi, la prise en compte du fait régional a conduit à garantir les droits des secondes chambres dans un traité, ce qui était pour le moins audacieux. Je me souviens des doutes qu'inspirait cette formule à Robert BADINTER, l'autre représentant du Sénat au sein de la convention. Il jugeait que nous étions loin de l'orthodoxie juridique !
Mais une deuxième voie, elle aussi indirecte, a été également ouverte à l'attention des régions. Le Comité des Régions a reçu, lui aussi, la possibilité de saisir la Cour de justice sur le terrain de la subsidiarité. Certes, cette faculté ne peut jouer que pour les textes sur lesquels le Comité est obligatoirement consulté. Mais il s'agit bien d'une deuxième voie, complémentaire de la première, qui est ainsi ouverte pour impliquer les pouvoirs locaux dans le contrôle de la subsidiarité.
La Convention n'a pas retenu le principe d'une seconde Chambre européenne ou d'un Sénat européen. Mais il reste des traces de cette proposition dans le protocole sur les Parlements nationaux, et plus particulièrement, dans son titre consacré à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires européennes (COSAC). Comment est défini le rôle de la COSAC, structure prévue par les traités pour associer les Parlements nationaux ?
Le Traité de Lisbonne stipule que la COSAC peut, tout d'abord, adresser des contributions aux institutions de l'Union. Elle doit également assurer un échange d'informations et de bonnes pratiques entre les Parlements nationaux. Dans les faits, c'est le thème de la subsidiarité qui sera au centre des échanges. Il en est d'ailleurs déjà ainsi : désormais, chaque réunion de la COSAC traite de la subsidiarité. C'était par exemple le cas lundi dernier à Ljubljana où je me trouvais avec mes homologues.
Enfin, le dernier rôle attribué à la COSAC est de débattre de thèmes particuliers, notamment « des questions de politique étrangère et de sécurité commune, y compris la politique de sécurité et de défense commune ». Ce rôle, pour l'instant, ne peut relever du Parlement européen. Par conséquent, il n'existe pas suffisamment de contrôle démocratique collectif sur les opérations extérieures.
Ainsi centrée sur la subsidiarité et les politiques intergouvernementales, la COSAC n'est pas si éloignée - même si elle demeure une instance modeste - de la structure nouvelle appelée par M. Daniel HOEFFEL, du moins dans son inspiration générale. Mais je reconnais qu'il faudra une grande détermination pour utiliser toutes les potentialités du nouveau traité en termes de contrôle démocratique, notamment concernant les questions de défense et du contrôle d'Europol.
Alors, quelles sont maintenant les perspectives ?
De l'avis général, si le Traité de Lisbonne réussit à passer l'épreuve du processus de ratification, il ne sera pas révisé de sitôt. L'aspiration à une pause dans le débat institutionnel est générale.
Toutefois, les votes négatifs, par référendum, des deux pays fondateurs sur la Constitution européenne ont montré la nécessité de renforcer sans cesse le lien entre les citoyens et l'Europe en construction. Le Traité de Lisbonne offrira des outils pour cela. Ils devront être utilisés par les Parlements nationaux et particulièrement par les secondes chambres en veillant tout particulièrement à prendre en compte les préoccupations des pouvoirs locaux. Il faudra travailler en commun. Dès lors que le Comité des Régions sera amené, lui aussi, à donner à la subsidiarité une place importante dans ses travaux, naîtra nécessairement une certaine convergence des préoccupations avec le contrôle qu'exerceront les Parlements nationaux.
A sa modeste échelle, la Délégation pour l'Union européenne que je préside a déjà engagé le mouvement. Sur l'initiative de notre collègue M. Jacques BLANC, nous avons décidé de participer au réseau de monitoring de subsidiarité créé par le Comité des Régions. Le contrôle de subsidiarité incitera également à un rapprochement entre les Parlements nationaux et le Parlement européen. En effet, avec les nouvelles dispositions introduites par le Traité de Lisbonne, une majorité des Parlements nationaux, soutenue par une majorité simple au Parlement européen, pourra provoquer le retrait d'un texte.
Le respect de la subsidiarité constitue un enjeu essentiel pour la construction européenne, car il est la clef d'une réconciliation entre la construction européenne et les citoyens, lesquels jugent que l'Europe est trop active dans certains domaines, mais pas assez dans d'autres. Travailler de concert à concrétiser cette exigence finira par mieux faire comprendre l'intérêt de l'Europe qui est celui d'associer toutes les légitimités.
Les citoyens de l'Union européenne ne sont pas des êtres abstraits, désincarnés, de simples sujets de droit. Ils sont enracinés dans des vies locales et nationales. Ainsi, la construction européenne ne doit pas ignorer cette dimension. Pour se consolider, elle doit conjuguer toutes les légitimités. Avec le nouveau traité, elle a déjà commencé à le faire. La priorité, aujourd'hui, doit être de travailler en commun pour faire vivre le Traité de Lisbonne.
Mais demain, du fait même de ce travail en commun, les conceptions évolueront. Il sera de mieux en mieux admis que, pour favoriser les progrès de la construction européenne, il est nécessaire de consolider et d'élargir sa base. C'est pourquoi il me semble qu'à terme, l'idée d'une seconde chambre européenne pourra être reprise sous un autre angle. Faudra-t-il, comme l'a proposé M. GISCARD D'ESTAING, mettre en place un Congrès des peuples, associant parlementaires européens et parlementaires nationaux ? Faudra-t-il plutôt envisager un Sénat européen permettant de relier l'Union européenne aux vies politiques nationales et régionales ?
Bien des formules sont envisageables. Mais je crois que cette problématique doit rester dans les têtes pour le jour où le débat institutionnel reprendra. Je pense que tôt ou tard, il existera une institution s'apparentant à une seconde chambre européenne.
M. Jean-Claude Van CAUWENBERGHE, Président du groupe de travail ad hoc « Régions à pouvoirs législatifs » du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, Député au Parlement wallon
Monsieur le Président, chers collègues parlementaires,
Je résisterai, en tant que dernier intervenant à deux tentations : celle consistant à répondre aux orateurs précédents et celle consistant à synthétiser leurs propos.
En tant que régionaliste, j'aurais beaucoup à dire sur le Comité des Régions et son contrôle de subsidiarité limité. Je pourrais également parler de la COSAC. Cette dernière ne rassemble que des représentants de Parlements nationaux. Elle fait fi de tous nos pays fédéraux, dans lesquels des compétences propres sont données aux régions. Enfin, j'aurais pu évoquer la question de l'avenir d'un Sénat européen qui s'appuierait davantage sur les collectivités régionales.
Notre journée bien remplie nous a permis de mieux appréhender et comprendre les expériences diverses et variées des secondes chambres dans nos pays européens.
Mon propos visera davantage à exprimer devant vous ce que pense à ce sujet le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe.
Puis-je rappeler, en effet, que de ce véritable parlement du monde local et régional des 47 pays du Conseil de l'Europe (qui n'est pas encore la seconde chambre du Conseil de l'Europe comme l'évoquait le Président de la Chambre des Régions, Yavuz Mildon), s'est mobilisé, depuis sa création, en faveur de la promotion de l'autonomie locale et régionale, des processus de décentralisation, de subsidiarité en un mot des politiques de proximité.
La philosophie de base de l'action du Congrès est que la démocratie n'est effective et réellement vécue dans un Etat que dans la mesure où le socle local jouit d'une véritable autonomie et qu'entre le niveau local et le niveau national existe un niveau intermédiaire, qui irrigue et enrichit le processus démocratique. Ce niveau intermédiaire vise tout ce qui se situe en dessous du niveau central. Il constitue pour nous un élément structurant de toute démocratie participative et de proximité. C'est pour cette raison que nous avons initié cette rencontre, que le Sénat français a permis de concrétiser avec succès et ce, en collaboration avec la Commission de Venise et l'Assemblée parlementaire.
Mes chers collègues, s'il existe un avenir pour le bicamérisme, il passe, dans notre esprit, par l'affirmation plus prononcée du principe de participation. Le bicamérisme est ainsi le gage d'amélioration de la production législative ou comme disent certains auteurs « le frein aux impétuosités politiques des premières chambres ». Cependant, pour reprendre la formule du doyen VEDEL, nous pouvons défendre l'idée que le bicamérisme est « l'indice de principe de séparation des pouvoirs ».
Comme cela a été souligné ce matin, la représentation sociale d'une classe déterminée, qui était autrefois la caractéristique fondamentale de la composition du Sénat, voit sa légitimité contestée, concurrencée, voire supplantée par un autre type de représentation de base territoriale. Si le premier de ces modèles s'érode pour des raisons évidentes, le second, en revanche, se substitue à lui, se développe et amplifie sa raison d'être, précise M. Patrice GÉLARD dans l'un de ses écrits, qui font autorité en la matière. Le principe de représentation territoriale vient finalement, avec le temps, dans de nombreux pays, occuper la place vacante laissée par la disparition d'un bicamérisme aristocratique.
« Si on considère que la Nation se compose, d'une part, d'un peuple et, d'autre part, d'un territoire », écrit M. Michel ROCARD, « il faut que l'un et l'autre soient représentés dans le Parlement ». « Dans ce contexte démocratique, le principe de territorialité apparaît comme le seul fondement viable, susceptible d'asseoir l'identité d'une chambre haute », ajoute le constitutionaliste M. Jean-Pierre DUPRAT.
D'un point de vue politique, a été évoquée la thèse selon laquelle le fondement philosophique du bicamérisme résiderait dans la nécessité de représenter l'homme dans sa totalité, c'est-à-dire, l' homo civicus , titulaire des droits des citoyens, mais aussi l'homme socialisé par les collectivités auxquelles il appartient ou, plus exactement, les collectivités qu'il constitue.
« A quoi peut donc bien servir une seconde chambre en démocratie ? » titrait, dans une de ses études, le sénateur M. Patrice GÉLARD. Pour nous, la deuxième chambre doit représenter le lieu de participation des collectivités constitutives d'un Etat, qu'il soit fédéral ou non. Il s'agit du point essentiel d'un système bicaméral. Une seconde chambre doit permettre la représentation politique des collectivités territoriales et leur intervention dans le processus décisionnel.
Dans le nouveau projet en cours de discussion de la Charte européenne de la démocratie régionale, qui doit être le pendant de la charte de la démocratie locale, plusieurs articles traduisent la volonté des pouvoirs régionaux d'être associés et d'être entendus, ou mieux encore, d'être des co-décideurs. Ainsi, l'article 19 de cette nouvelle charte exige que « les collectivités régionales soient associées à toute prise de décision affectant leurs compétences et leurs intérêts essentiels », tandis que les articles 42 et 43 en explicitent le principe.
Où cette sensibilité politique peut-elle mieux s'exprimer que dans une seconde chambre ? En ce sens, celle-ci ne doit pas représenter une « simple chambre de refroidissement » comme certains auteurs la qualifient. Elle doit être « réchauffée » par la chaleur de la démocratie de proximité.
A l'instar de M. Van den BRANDE, je pense que les secondes chambres doivent consolider et approfondir le processus démocratique des Etats. Elles ne doivent pas être « les Cendrillons de la vie politique ». Bien au contraire, elles doivent être, avec la première chambre, des lieux de contre-pouvoir, de complémentarité et d'exercice des responsabilités politiques dans un Etat.
Le représentant de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Miljenko DORIÆ, a insisté sur la nécessité d'enrichir les coopérations verticales, car lorsqu'il n'existe pas de seconde chambre, est recherché un lieu alternatif, où peuvent exprimer les différentes sensibilités.
Les Etats fédéraux appellent naturellement à l'existence d'une seconde chambre. Selon la littérature relative au fédéralisme, pour qu'un système bicaméral puisse répondre aux critères de participation, les entités fédérées doivent être représentées dans l'une des deux chambres fédérales.
Dans son étude sur la quête identitaire de la seconde chambre, Mme Séverine NICOT affirme que la diversité est consubstantielle au bicamérisme. Aussi, nous pouvons arguer que le bicamérisme est consubstantiel au fédéralisme. Dans les pays fédéraux achevés, la seconde chambre constitue le lieu de la démocratie fédérale, la première chambre représentant le lieu de la démocratie populaire. Si la seconde chambre est indissociable du fédéralisme, elle ne l'est pas moins finalement des Etats décentralisés.
Ce matin, le sénateur M. Patrice GÉLARD a expliqué que nous sommes passés des Etats fédéraux, qui ont nécessairement une seconde chambre, à des Etats décentralisés qui aspirent à en avoir une.
M. le Président du Sénat, Christian PONCELET a écrit : « La plupart des Etats sont aujourd'hui engagés dans des processus de décentralisation, qui légitiment une représentation spécifique au niveau national. Seul le bicamérisme permet cette adaptation nécessaire aux réalités du monde moderne. La représentation des composantes de la société nationale se résume donc le plus souvent à celle des structures territoriales, c'est-à-dire à des collectivités plus ou moins décentralisées. Par rapport à l'Assemblée nationale qui représente le peuple dans sa composante démographique, le Sénat représente le peuple dans sa dimension spatiale et le territoire en tant que souveraineté. Dans le mouvement actuel de globalisation et de mondialisation, ce respect de la diversité est en soi une richesse particulière. »
Le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe accueille avec beaucoup de considération cette thèse. En effet, la régionalisation va constituer de plus en plus un contrepoids à la mondialisation. Il serait intéressant, ainsi, d'avoir une chambre haute servant de relais à ce contrepoids.
Une grande partie de nos travaux a consisté à répondre à la question de savoir comment le bicamérisme peut être ancré dans les territoires, dans le réel, dans le concret. Beaucoup d'auteurs et d'orateurs ont répondu que, pour remplir ce rôle de chambre des entités fédérées et des collectivités territoriales, il faudrait que la composition de la deuxième chambre et ses compétences lui confèrent ce que les auteurs MM. Jean MASTIAS et Jean GRANGE appellent une identité, une personnalité et une originalité .
M. le professeur Carlos CLOSA MONTERO a détaillé ce matin les quatre modèles de composition des secondes chambres dans les Etats fédéraux ou, selon sa formule, « quasi fédéraux » : élections directes, élections indirectes, élections hybrides ou élections par les organes régionaux. Il a réalisé le même exercice pour les pays non fédéraux en retenant également quatre modèles historiques : vote catégoriel, vote sectoriel, vote indirect par les collectivités territoriales ou vote au suffrage direct.
Quel que soit le modèle, nous soutenons, au Congrès, l'existence d'un lien fort entre les représentants de la seconde chambre et les entités qui génèrent leur présence dans celle-ci, qu'elles soient entités constitutives d'un Etat fédéral ou collectivités territoriales. Ce lien renvoie au débat sur le niveau de représentation dans la seconde chambre. Les auteurs ont beaucoup écrit sur le sujet. Il est ainsi proposé de représenter au Sénat, soit seulement les régions, soit les régions avec d'autres collectivités.
La question se pose de savoir avec quel équilibre est assurée cette représentation, avec un système proportionnel dans lequel les deux assemblées se trouvent sur un même pied d'égalité ou avec un système mixte mâtiné de proportionnalité. Il existe bien des façons de composer cette seconde chambre.
Pour nous, la seconde chambre doit au moins être compétente pour tout ce qui touche aux intérêts directs des collectivités et des entités, à la fois en ce qui concerne leurs conditions d'existence institutionnelle que leurs capacités d'action. Nous n'oublions pas les intérêts des collectivités locales, aujourd'hui conduites à s'occuper de ce qui touche aux affaires européennes, à la subsidiarité, à la coopération interrégionale ou transfrontalière ou encore aux problèmes de mondialisation. Nous n'oublions pas non plus que cette seconde chambre est bien souvent utile, car elle est le reflet de conflits entre minorités ou d'un pays pluriethnique.
En conclusion, le Congrès a trois souhaits :
- Nous appelons à ce que cette seconde chambre constitue un lieu de représentation des entités fédérées ou des collectivités territoriales pour permettre à ces dernières de participer au processus décisionnel.
- Cette seconde chambre doit représenter adéquatement et légitimement des collectivités, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un lien direct entre les élus de la seconde chambre et les territoires dont ils sont les représentants légitimes.
- Les compétences de cette seconde chambre doivent permettre aux collectivités régionales ou territoriales de contrôler et d'approuver les décisions les concernant.
La constitution d'un relais servant aux entités fédérées ou aux collectivités territoriales de faire part de leurs problématiques aidera les secondes chambres à renforcer leur légitimité et, pour reprendre l'expression du Président du Sénat, lue par M. DELCAMP, à « assurer leur renouveau ».
Je vous remercie chacune et chacun pour la qualité de votre participation à ces travaux, ainsi que pour votre excellente attention.
M. Jean-Jacques HYEST
Merci Monsieur le Président. Vos conclusions nous incitent à organiser un nouveau colloque. Cette journée a été très riche. Nous remercions tous les participants d'être venus. Les actes de ce colloque permettront de prolonger la réflexion sur ces sujets.
Je terminerai cette journée en reprenant les propos de M. le professeur DELPÉRÉE : « Il faut des yeux différents pour faire une meilleure législation à condition que les lunettes soient différentes ».
Mesdames et Messieurs, merci infiniment.
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Public Salle Clemenceau