Les Parlements dans la société de l'information
Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999
AVANT-PROPOS DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT
Internet, vecteur de rapprochement entre l'institution et le citoyen.
L'exemple du Sénat français.
Internet représente aujourd'hui un enjeu éminemment politique. Il suffit de prendre en compte les mouvements d'opinion lancés sur le réseau des réseaux, en France ou à l'étranger, pour mesurer combien cet outil est devenu un moyen d'action puissant.
Pour le Sénat, loin de chercher à contourner l'institution parlementaire et à instituer une quelconque démocratie directe, les nouvelles technologies peuvent, grâce à leur intégration dans le processus parlementaire, grâce au dialogue et à la transparence qu'elles engendrent, rapprocher le citoyen de l'institution.
Le site Internet du Sénat permet d'ores et déjà une meilleure connaissance du travail parlementaire, et l'association du citoyen, dans une certaine mesure, à la procédure d'examen des textes de loi.
1. Une meilleure connaissance du travail parlementaire grâce à Internet
Le site Internet du Sénat français constitue un des lieux privilégiés pour prendre connaissance du travail parlementaire. Environ 46.000 pages html sont en ligne, ce qui fait de http : // www.senat.fr le seul lieu à mettre autant de documentation et d'information sur le Sénat français à la disposition de tous. Cette meilleure connaissance du travail parlementaire permet la mise en oeuvre, à une échelle nouvelle, de trois principes fondamentaux de nos démocraties : le principe de publicité des débats, le principe de transparence et le principe selon lequel l'élu rend compte à ses électeurs.
L'appréhension du travail parlementaire par le citoyen exige toutefois un préalable : que celui-ci connaisse le rôle du Sénat, sa place dans les institutions et son fonctionnement.
a) Un préalable : la mise en ligne d'une rubrique d'instruction civique
Le droit constitutionnel et le droit parlementaire sont des matières parfois techniques qui exigent une certaine "formation", la mise en oeuvre d'une instruction civique. Il n'est pas rare par exemple d'entendre dans les médias des confusions entre loi votée et loi promulguée ou entre projet et proposition de loi.
Le Sénat participe ainsi à l'instruction civique de chacun. Il diffuse, tout d'abord, un certain nombre de documents actualisés : textes constitutionnels, législatifs ou réglementaires de référence, documents de vulgarisation et éléments bibliographiques. Les textes constitutionnels, législatifs ou réglementaires, qu'ils traitent de la représentation des collectivités territoriales par le Sénat, de son mode d'élection ou du déroulement des séances publiques, sont en ligne. Ces textes jouent un rôle décisif car ils permettent au citoyen, sans filtre aucun, sans le prisme des médias, d'avoir accès à la seule information qui soit, en dernier ressort, légitime sur le rôle et l'organisation du Sénat : la règle de droit.
Il diffuse ensuite, en parallèle, pour susciter un lien plus "chaleureux" avec l'institution, une visite et une histoire "multimédia" du Sénat. À travers une présentation du Palais du Luxembourg à travers les âges, par le biais de sons, d'image et de vidéo, c'est un nouveau lien qui s'instaure avec le citoyen.
Enfin, parce que l'instruction civique doit commencer dès le plus jeune âge, le Sénat a créé « Sénat Junior », le premier site d'instruction civique francophone, destiné aux 8-12 ans qui rencontre un important succès dans les écoles et collèges.
b) Publicité des travaux parlementaires
Le principe de publicité des travaux des Assemblées est un principe fondamental de nos démocraties. Il apparaît en France avec la République et il est clairement exprimé dès la première Constitution française. La Constitution du 3 septembre 1791 pose déjà dans son article premier, titre III, chapitre III, section II que : "Les délibérations du Corps législatif seront publiques, et les procès-verbaux de ses séances seront imprimés." La Constitution actuelle, celle du 4 octobre 1958, mentionne de même dans son article 33 : "Les séances des deux assemblées sont publiques. Le compte rendu intégral des débats est publié au Journal officiel."
Cette publicité des débats est assurée historiquement par deux moyens : l'ouverture au public des séances des assemblées et la publication d'un compte rendu. La diffusion de ce compte rendu a été améliorée grâce à la création de la direction des Journaux Officiels en 1880. La portée de ces deux moyens est pourtant limitée. D'une part, l'ouverture de la séance au public est aujourd'hui symbolique. Les travées réservées au public comptent 200 places et la volonté de préserver le bon ordre et la sérénité des débats conduits à limiter la présence du peuple dans l'hémicycle. D'autre part, si le principe d'un compte rendu des séances n'est pas en cause, sa diffusion par le biais du réseau des Journaux Officiels est relativement limitée.
Internet, média à la fois léger et de diffusion internationale, devient ainsi un support privilégié pour assurer la publicité des travaux du Sénat. Il permet de trouver rassemblés en un seul lieu, public et gratuit, l'ensemble des documents ayant trait à l'activité Sénatoriale. Les internautes français, sans compter ceux de l'étranger, peuvent dès lors consulter les comptes rendus de la séance publique, les travaux de commission, les textes en cours d'examen, les différents rapports. Internet constitue une source unique de documentation et d'information sur le travail du Sénat avec l'équivalent de 160.000 pages A4 en ligne. Le renforcement, par ce biais, du principe de publicité, aboutit à un constat majeur chez le citoyen : le Sénat travaille. Et beaucoup...
Un rapport du Sénat est aujourd'hui généralement tiré à 2.500 exemplaires. Parmi ces exemplaires, en général 1500 sont à usage externe. Les ventes constatées par l'Espace librairie du Sénat restent nécessairement limitées. Mais le nombre de lecteurs d'un rapport parlementaire sur Internet tend aujourd'hui à devenir plus important. C'est ainsi que le rapport le plus consulté en 1999, celui du Sénateur René Trégouët intitulé "Des pyramides du pouvoir aux réseaux de savoirs" l'a été par 8.370 lecteurs internautes.
L'impact des rapports du Sénat se trouve ainsi renforcé aujourd'hui par le site Internet.
c) Transparence de l'action Sénatoriale
La vertu des nouvelles technologies est de donner au principe de publicité un sens renouvelé qui conduit à l'exigence de transparence.
La transparence se manifeste sur le site Internet du Sénat français par une double ligne éditoriale :
- tous les documents du Sénat, dans leur exhaustivité et dans leur diversité, sont diffusés sur le site Internet du Sénat. Le Sénat considère que tous les documents produits relèvent de l'information publique et ont vocation à être portés, de manière égale, à la connaissance du citoyen internaute. Les efforts réalisés en matière de transparence vont aujourd'hui très loin puisque le citoyen peut prendre ainsi connaissance, de manière détaillée et parmi d'autres informations statutaires, des éléments de rémunération des parlementaires qui le représentent.
- Internet permet d'aller au-delà de la publication du compte rendu des travaux parlementaires : il permet de suivre directement, et en direct, tous les travaux. Le site Internet du Sénat français est ainsi actualisé, de manière décentralisée, par tous les services, plusieurs fois par jour.
Il devient ainsi fréquent, aujourd'hui, que la version électronique d'un rapport parlementaire soit en ligne avant la parution de la version papier. L'internaute suit sur Internet la "loi en train de se faire", à travers les différents rapports sur le texte, les textes votés en navette jusqu'au texte définitif, au texte promulgué, le cas échéant après décision du Conseil Constitutionnel. Toutes les étapes d'élaboration d'un texte de loi sont ainsi présentées au public, au fur et à mesure des votes des représentants de la Nation.
Les débats en séance se déroulent aujourd'hui de manière complètement transparente. Avant même le lancement de la chaîne parlementaire, le Sénat a décidé de retransmettre tous ses débats en direct et en vidéo sur Internet. Pour les personnes qui se trouvent dans des régions difficiles d'accès, où la télévision est mal reçue, pour les citoyens français qui résident à l'étranger, la vidéo sur Internet constitue un progrès important.
d) Rendre compte, au citoyen
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 a, en France, rappelons-le, valeur constitutionnelle. Son article 15 est formulé de la manière suivante : "la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". L'article 27 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise de son côté que "tout mandat impératif est nul". La possibilité de rendre compte de son mandat est ainsi surtout ouverte à l'élu au moment où il se présente de nouveau au suffrage.
Rien ne l'empêche, cependant, de rendre compte de son mandat à d'autres moments, par le biais de supports de communication variés.
Internet constitue aujourd'hui un de ces supports de communication. Le Sénat français offre à tous les Sénateurs la possibilité de disposer de "pages personnelles" hébergées sur son site Internet, avec pour seule restriction la nécessité d'aborder uniquement des thèmes liés à l'exercice du mandat parlementaire. 95 Sénateurs ont déjà saisi cette possibilité et actualisent leurs pages fréquemment. Si l'on ajoute à cette possibilité la possession, pour plus des deux tiers des Sénateurs, d'une adresse électronique publique, ce sont des relations plus étroites, tout au long du mandat, qui peuvent s'instaurer entre représentants et représentés.
2. Internet, facteur d'un lien renforcé avec les citoyens
La conviction du Sénat vis-à-vis des nouvelles technologies est que la connaissance accrue d'une institution plus transparente ne peut, en retour, que conforter sa légitimité.
a) Internet : un service rendu au citoyen
La légitimité d'une institution comme le Sénat français est, d'abord, d'ordre politique et constitutionnel. Internet est susceptible de jouer un rôle important sur un autre plan : celui du dialogue entre le citoyen et l'élu. À ce titre, sa contribution est importante pour deux raisons :
- Internet est la vitrine du travail du Sénat. Le caractère foisonnant du site du Sénat français a un effet positif : montrer que l'institution travaille.
- Le site Internet du Sénat offre au citoyen un service juridique de qualité. Le Sénat joue ainsi un rôle de service public important : permettre à chacun, étudiant, juriste ou simple citoyen, de prendre connaissance de la loi et, surtout, des nouvelles lois afin que chacun puisse mesurer les effets que la modification de la règle de droit aura sur sa vie quotidienne. Il convient, de plus, de préciser que le site Internet du Sénat est utilisé aujourd'hui par les étudiants et les documentalistes français comme un important centre de documentation en ligne.
Le service rendu au citoyen par le Sénat sur Internet raffermit dès lors sa légitimité. Elle dote l'idée de représentation d'une nouvelle dimension. Ceci est tellement vrai que, lorsque j'ai souhaité donner véritablement corps à l'article 24 de la Constitution selon lequel « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et ai proposé de donner un nouvel élan à la relation entre les élus locaux et les Sénateurs, le Sénat a créé un nouveau site Internet. Ce site Internet est destiné à l'ensemble des acteurs locaux et chargé de leur permettre d'accéder aux services que peuvent leur offrir aujourd'hui les nouvelles technologies.
« Carrefour des collectivités locales » est non seulement un point d'actualité à destination des élus locaux, mais aussi le plus grand site d'information et de documentation juridique à destination des acteurs locaux. Il joue le rôle de « portail » à travers le référencement de tous les sites locaux et des sites intéressant les collectivités locales. Les élus se voient offrir la possibilité de poser leurs questions d'ordre pratique, juridique ou technique au Sénat qui leur garantit une réponse dans les meilleurs délais.
b) Internet : un outil de dialogue
À l'occasion de la fête de l'Internet 2000, le Sénat a ainsi lancé les premiers « cyberdébats de la République » durant lesquels une vingtaine de Sénateurs de tous horizons politiques, connectés des différents points du territoire, se sont relayés pour dialoguer en direct avec les internautes.
Ces débats ont connu un réel succès et le Sénat français va, à l'avenir, privilégier ce mode de discussion interactif pour renforcer le lien entre élus et citoyens.
c) Internet : un outil de consultation
Le Sénat français a organisé, depuis février 1996, huit consultations sur des sujets variés.
Il a franchi, à l'automne 1999, une nouvelle étape en organisant des forums électroniques qui permettent aux Sénateurs de débattre sur la durée avec les internautes autour de sujets précis.
Ces débats, mis en ligne par un modérateur, permettent d'associer le citoyen à la phase de consultation comme une personnalité qualifiée et de mieux mettre en valeur le travail des commissions parlementaires.
Cette démarche, loin d'abolir les principes de la démocratie représentative, s'ajoute, sans se substituer, à la procédure normale d'examen de projets ou de propositions de loi en commission.
Trois forums ont d'ores et déjà eu lieu :
- le forum des Sénateurs Pierre Laffitte, René Tregouët et Guy Cabanel, sur la proposition de loi tendant à généraliser dans l'administration l'usage d'Internet et des logiciels libres, ouvert le 11 octobre 1999, a recueilli 1404 contributions,
- le forum du Sénateur Serge Lepeltier, sur le programme national de lutte contre l'effet de serre, ouvert le 17 janvier 2000, a recueilli 161 messages,
- le forum ouvert le 12 mai 2000 sur les emplois jeunes, organisé par le Sénateur Alain Gournac et le groupe de travail emploi-jeunes de la commission des Affaires sociales, est déjà une réussite avec plus de 600 témoignages de jeunes internautes en quelques semaines.
Associer le citoyen, savoir le consulter comme une personne qualifiée, lui permettre de suivre, en toute transparence l'examen des textes législatifs, organiser un dialogue avec l'élu en amont de la décision publique, tous ces apports potentiels des nouvelles technologies semblent de nature à revivifier le modèle d'une démocratie représentative qui, malgré les critiques, n'a jamais été dépassé. L'institution parlementaire porte la responsabilité des décisions prises au nom des citoyens ; les citoyens, eux, grâce aux nouvelles technologies, peuvent trouver un nouveau rapport de confiance avec leurs élus.