L'année Victor Hugo au Sénat
Palais du Luxembourg, 15 et 16 novembre 2002
L'ANNIVERSAIRE 26 février 1802 ce siècle avait deux ans... 26 février 2002 - LE BUREAU DU SÉNAT À JERSEY et GUERNESEY
Composition de la délégation :
M. Christian Poncelet (RPR - Vosges), président du Sénat
Vice-présidents :
M. Jean-Claude Gaudin (RI - Bouches-du-Rhône) M. Serge Vinçon (RPR - Cher) M. Adrien Gouteyron (RPR - Haute-Loire) M. Guy Fischer (CRC - Rhône)
Secrétaires :
Mme Annick Bocandé (UC - Seine-Maritime) M. Jean-Claude Carie (RI - Haute-Savoie) M. Bernard Joly (RDSE - Haute-Saône) Mme Nelly Olin (RPR - Val-d'Oise) Mme Gisèle Printz (Soc - Moselle) M. Philippe Richert (UC - Bas-Rhin)
Représentants des groupes politiques :
M. Henri de Raincourt (Yonne), président du groupe des Républicains et
Indépendants
M. Jacques Pelletier (Aisne), président du groupe du Rassemblement démocratique
et social européen
M. Pierre Fauchon (Loir-et-Cher), représentant le groupe de l'Union centriste
M. Robert del Picchia (Français établis hors de France), représentant le groupe du
Rassemblement pour la République
M. Philippe Adnot (Aube), délégué de la Réunion administrative des sénateurs ne
figurant sur la liste d'aucun groupe
Ainsi que :
M. Bertrand Poirot-Delpech, membre de l'Académie française, président du comité
national pour le bicentenaire de Victor Hugo
Mme Sandrine Mazetier, adjoint au maire de Paris, chargée du patrimoine
Mme Josseline de Clausade, directrice des affaires culturelles à la Ville de Paris
M. Gérard Pouchain, agrégé de l'université, spécialiste de Victor Hugo
VISITE À JERSEY
J
ersey constitua la première étape du déplacement de la délégation du Sénat car Victor Hugo, exilé au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1851, y résida du 5 août 1852 au 31 octobre 1855. C'est là qu'il écrivit « Les Châtiments » et les « Contemplations ».
Départ du Bourget
Arrivée à Jersey à 9h45 (heure locale), la délégation est accueillie à l'aéroport par M. Robin Pallot, Consul honoraire de France, M. John Rothwell, Président du Comité pour le bicentenaire, ainsi que par le Lieutenant-colonel Charles Woodrow, OBC, Mc, QGM, ADC auprès de son Excellence M. le Lieutenant Gouverneur.
Installation à bord des deux appareils « Beechcraft King Air » de 19 places chacun.
Accueil solennel à la chambre des États :
La délégation est ensuite conduite à la Chambre des États, où elle est accueillie par le Bailiff et Son Excellence le Lieutenant Gouverneur. M le Bailiff prononce alors un discours de bienvenue, auquel M. le Président Poncelet répond.
Accueil par Sir Philip Bailhache, Bailiff de Jersey et
réception aux États
10 h 20 :
Le Bailiff et Son Excellence le Lieutenant Gouverneur retournent siéger dans la Chambre des États. La délégation est conduite dans les tribunes de l'Assemblée qui lui sont réservées.
Salut en séance de la délégation par le Bailiff.
Allocution de M. Christian Poncelet,
Président du Sénat,
En réponse à l'accueil de Monsieur le Bailiff de Jersey
Monsieur le Lieutenant Gouverneur,
Monsieur le Bailiff,
Permettez-moi de vous dire tout d'abord le plaisir que j'éprouve à me trouver dans cette île qui s'est honorée en accueillant Victor Hugo. Le poète d'ailleurs, même si ses convictions ont pu l'amener à enfreindre les règles de l'hospitalité, n'a jamais oublié cet accueil : « Qui a vu l'archipel normand, l'aime » nous dit-il ; « qui l'a habité, l'estime ».
Le message de Jersey, pour Victor Hugo, c'est bien sûr tout d'abord celui du déchirement de l'exil. C'est aussi l'histoire d'une reconnaissance et d'une affirmation de soi qui ont servi d'écrin aux Contemplations.
Si, aujourd'hui, Jersey n'a peut-être pas ses « airs de Sicile et ce beau ciel pur » que Victor Hugo décrivait, on devine qu'elle peut être ce « bouquet trempé par l'océan qui a le parfum de la rose et l'amertume de la vague ».
Terre d'histoire d'où l'on aperçoit la France.
Terre métisse si je puis dire, entre deux pays dont les contacts renforcent l'estime. Vous êtes à la fois un coin de France, si je puis me permettre, et un coin de Grande-Bretagne. Vous unissez ainsi des vertus complémentaires de deux pays qui furent les plus grands du monde et qui ont encore un rôle à jouer à cette échelle à condition de le jouer ensemble au sein de l'Europe.
C'est avec plaisir aussi que je rencontre des collègues parlementaires que je tiens à saluer et à remercier du fond du coeur de la manière digne et chaleureuse avec laquelle ils nous accueillent.
Je sais que le 26 février n'est pas seulement pour vous le jour anniversaire de la naissance de Victor Hugo. C'est une date historique, mais à un autre titre, puisque vous débattez aujourd'hui d'une réforme du statut constitutionnel de votre île.
Comme vous le savez, le Sénat de la République française est particulièrement proche des territoires qu'il représente et attentif à leur diversité. Il s'est aussi beaucoup ouvert sur le monde et il m'arrive très souvent d'accueillir des délégations et de les saluer en séance publique. C'est donc un plaisir rare mais que nous savons apprécier, que vous nous réservez en nous accueillant en votre Parlement.
Il ne m'a pas échappé non plus que les membres des États comptent parmi eux des sénateurs. C'eût été dommage que nos deux institutions ne se rencontrent pas. C'est donc très directement et sans réserve que je vous dis aujourd'hui « chers collègues », et que je m'incline en la personne de Monsieur le Lieutenant Gouverneur, devant votre Majesté la Reine.
Pour nous Français, votre souveraine demeure celle qui sut accompagner, après la guerre héroïque de son peuple et de sa famille, l'adaptation de l'Angleterre à une nouvelle période de son histoire. Cet empire, sur lequel le soleil ne se couchait jamais, a laissé place aujourd'hui à une mosaïque qui perpétue les meilleures traditions démocratiques. C'est une situation que nous comprenons puisque nous l'avons vécue nous aussi.
Les hasards de l'histoire font que nous sommes aujourd'hui les uns et les autres confrontés à un autre défi : celui de maintenir notre identité. Je sais que, pour votre part, vous y êtes très attachés non seulement en tant que sujets de sa très gracieuse Majesté mais en tant que Jersiais. Représentants de la diversité territoriale française, influencés par Victor Hugo qui qualifia vos îles de « Républiques », les membres du Sénat de la République française peuvent comprendre mieux que quiconque votre attachement à votre petite mais singulière patrie.
Permettez-moi déformer le voeu que Français et Anglais défendent ensemble cette identité si nécessaire à travers l'Europe dont la construction s'accélère, conformément aux voeux et à la vision de Victor Hugo. Vive Jersey, vive l'Angleterre et vive l'amitié franco-britannique !
Visite au Rocher et au cimetière des proscrits
10 h 30. Media
La délégation reprend le car pour se rendre jusqu'au Dicq où se trouve le Rocher des Proscrits, lieu de promenade près de Saint Hélier très fréquenté par les exilés, où Victor Hugo s'est fait photographier par ses fils, seul face à la mer.
La délégation reprend la route pour se rendre au cimetière de Zion qui a accueilli de nombreux exilés, français mais aussi polonais, italiens, hongrois, qui avaient trouvé refuge à Jersey après le reflux des mouvements révolutionnaires de 1848. Le guide, M. Pouchain, évoque l'histoire de Louise Julien de Paris, décédée en 1853, exilée pour avoir chanté une chanson de Victor Hugo à une terrasse du café de Paris, à l'époque de Napoléon III.
· 11 h 30
Départ vers Guemesey
Top-level French delegation visit
Island to pay tribute to Victor Hugo
By Jane Delmer
FRANCE'S third most important man arrived in Jersey this morning with 20 French Senators to pay tribute to Victor Hugo on the bicentenary of the great author's birth.
President of the French Senate, Christian Poncelet, and his high-powered delegation were met at the Airport by French honorary consul, Robin Pallot, Bicentenary Committee president, John Rothwell and Lieut-Col Charles Woudrow, ADC to the Lieut-Governor. The party were then taken to a reception at the States Chamber attended by the Lieut-Governor, Air Chief Marshal Sir John Cheshire. Afterwards they took seats in the Gallery for an official welcome from the Bailiff, Sir Philip Bailhache, at the opening of today's sitting. Ten minutes later the delegation were taken by bus to the Rock of the Banished near Victor Hugo's home at Le Dicq a favourite place of contemplation of the author.
The party were due to depart for Guernsey this afternoon before returning to Paris at 5 pm.
« Jersey Evening Post » 26/02/2002
VISITE À GUERNESEY
L
a seconde étape du déplacement amène la délégation sur l'île de Guernesey où Victor Hugo trouva refuge du 31 octobre 1855 au 15 août 1870. C'est là qu'il écrivit notamment « La légendes des siècles », « les travailleurs de la mer » et acheva son oeuvre majeure : « Les Misérables ».
Accueil
· 12 h l5
Arrivée à Guernesey.
Le Président du Sénat, Monsieur Christian Poncelet, et sa délégation sont accueillis par son Excellence le Lieutenant Gouverneur et Commandant en Chef sir John Foley, par le Bailiff de Guernesey, sir de Vic Carey, Mme Véronique Bascoul, administrateur-régisseur de Hauteville House et Consul honoraire de France.
Sont également présents le Colonel R.H. Graham, Secrétaire de son Excellence le Lieutenant Gouverneur et Commandant en Chef et Monsieur A.E. Richings, Secrétaire du Bailiff de Guernesey.
· 12 h 30
Le Président et sa délégation, le Bailiff, le Consul honoraire de France et le Secrétaire du Bailiff prennent place dans le car, qui est escorté par le véhicule conduisant le Lieutenant Gouverneur jusqu'au parc de l'hôtel.
Déjeuner au restaurant Victor Hugo
à l'hôtel Saint-Pierre Park
A la fin du déjeuner Monsieur le Président du Sénat porte un toast à la Reine (cf. annexe I) et son Excellence le Lieutenant Gouverneur porte un toast au Président de la République française. Monsieur le Bailiff prononce ensuite quelques mots de bienvenue auxquels Monsieur le Président du Sénat répond (cf. annexe II).
Remise par M. Poncelet d'un cadeau au Lieutenant-Gouverneur, Sr John Foley
Discours de Sir de Vic Carey, Baillif de Guernesey
Allocution de M. Christian Poncelet, Président du Sénat,
« TOAST » en l'honneur de Sa Majesté la Reine d'Angleterre
Monsieur le Lieutenant Gouverneur,
Le Sénat de la République française est un de ces lieux et l'une de ces institutions dont l'ambition est de concilier la tradition et la modernité. C'est sans doute pour cela que mes collègues et moi-même nous nous sommes sentis tout de suite à l'aise en ces lieux.
Au moment où nous foulons pour la première fois la terre de Guernesey, je voudrais rendre un hommage solennel, respectueux, admiratif et amical à votre souveraine, à ce duc de Normandie à qui vos ancêtres ont choisi de rester fidèles et qui fait qu'aujourd'hui, vous possédez une situation singulière.
Nous qui avons connu les mêmes épreuves ne pouvons, en cette année jubilaire, oublier ce sourire et cette ténacité mêlés qui accompagnèrent la résistance du peuple anglais.
Nous qui représentons la diversité des territoires français, nous pouvons comprendre aussi le souci de votre souveraine d'accompagner chacun de ses territoires vers une plus grande autonomie dans le respect de la « richesse commune ».
Nous souhaitons longue vie à votre souveraine et formons des voeux pour que le Royaume-Uni, Guernesey et la France restent côte à côte au service de la liberté et du progrès du monde.
Allocution de M. Christian Poncelet,
Président du Sénat,
À l'issue du déjeuner offert par le Bailiff de Guernesey
Monsieur le Bailiff, Monsieur les Élus, Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Si je ne craignais de vous blesser, je serais tenté de dire a l'issue de ce déjeuner, tout à la fois plantureux, délicieux et sympathique, que mes collègues et moi-même avons eu l'impression de nous sentir en France.
De nous sentir en France mais aussi d'être très proches de vous, car nous sommes, nous les sénateurs, comme vous, des représentants du terrain et, en tant que tels, très insérés dans la vie locale.
Des manifestations comme celle d'aujourd'hui, évoquent pour nous ces réunions de travail qui se concluent toujours par un déjeuner. La convivialité est, en effet, pour nous, comme pour vous je crois, une dimension essentielle de la politique.
Si Guernesey est proche de la France, sachez que le Sénat est, de son côté, un peu anglais...
Aux grandes proclamations, nous préférons la réalité, le pragmatisme et le travail.
Notre Assemblée elle-même, beaucoup plus que l'Assemblée Nationale, fait une large place, à côté de son règlement, à la coutume et aux usages. C'est un lieu où les hommes et les femmes se respectent et où la tolérance, « ce commencement de fraternité », selon Victor Hugo, est notre première valeur commune.
Notre délégation, qui représente tous les groupes politiques, en est le témoignage.
Notre Assemblée est aussi parfois, il faut le dire, dans cette atmosphère prestigieuse mais feutrée du Palais du Luxembourg, un lieu de non-dit. Les sénateurs pratiquent ainsi «I'understatement »...
Je voudrais surtout, Monsieur le Bailiff, vous dire combien nous avons été séduits par votre île.
Nous qui sommes attachés à l'agriculture, nous sentons la richesse de cette terre « si hospitalière aux fleurs » et nous imaginons volontiers la profusion de sa nature au printemps.
Victor Hugo a chanté Guernesey, il lui a dit sa reconnaissance ; c 'est en elle qu' 'il a puisé la force et l'inspiration pour écrire ou achever ses oeuvres les plus marquantes. Comme il le disait « les vers sortent en quelque sorte d'eux-mêmes de cette splendide nature ».
C'est dans cet écrin que la légende du siècle a forgé sa philosophie politique et sociale.
Plus tôt qu'un autre, Victor Hugo a fait que français et anglais, ces deux peuples qui ont fait l'histoire, se connaissent mieux. C'est grâce à lui que nous sommes ici et que nous avons eu l'honneur et l'immense plaisir défaire votre connaissance.
Ne serait-ce que pour cette raison, Victor Hugo mérite d'être remercié. Mais c'est vous, vous qui avez su l'accueillir, qui méritez ces remerciements. Vous avez montré une fois de plus la générosité des habitants des îles. « Tous les archipels sont des pays libres.
Mystérieux travail de la mer et du vent ». Merci d'avoir atténué l'exil de Victor Hugo, de lui avoir offert un cadre propice à l'expression de son génie littéraire et à la conception de sa philosophie politique.
Je n'oublie pas non plus qu'il a planté sur votre île, le 14 juillet 1870, le chêne des États-Unis d'Europe, image de l'avenir et, j'en suis sûr, de notre destin commun.
C'est donc au nom de cette patrie commune, l'Europe, que je lève à nouveau mon verre et souhaite à Guernesey de trouver dans le cadre des institutions britanniques et européennes la place qui concilie son désir du développement et le respect de son identité et de son originalité.
Visite à Candie Gardens
Arrivée à Candie Gardens et accueil de la délégation par le Député, Madame C.H. Le Pelley. Cette dernière s'avance jusqu'au pied de l'impressionnante statue de Victor Hugo. Il s'agit d'un don de la France, réalisé en 1914 par Jean Boucher.
Dépôt de gerbe par le Bailiff, le Président du Sénat, Mme Sandrine Mazetier, Adjoint au Maire de Paris, Mme Véronique Bascoul, administrateur-régisseur de Hauteville House et Consul honoraire de France, ainsi que par le Consul honoraire de France et Monsieur M.E.W. Burdbridge, Député, Président du Comité Victor Hugo.
Visite de la maison Victor Hugo
· 15 h 30 :
Arrivée à Hauteville House où Victor Hugo a résidé de 1856 à 1870 dans un cadre enchanteur. Sa terrasse surplombe la mer.
Accueil par Mme Sandrine Mazetier, adjoint au maire de Paris, chargée du patrimoine, puis visite de la maison-musée.
Monsieur le Président Christian Poncelet devant le port de Guernesey,
depuis Hauteville House, maison de Victor Hugo.
A droite, le « Lock-out » où il aimait venir pour écrire.
· 16 h 30 :
Accueil et cérémonie de la remise de la plaque commémorative représentant l'hémicycle du Sénat et rappelant l'appartenance de Victor Hugo à la Chambre des pairs et au Sénat de la III e République.
«la République gouvernée par une assemblée unique, c'est-à-dire l'océan gouverné par l'ouragan ».
M. Christian Poncelet et Mme Sandrine Mazetier,
adjoint au maire de Paris
Allocution de M. Christian Poncelet, Président du Sénat,
Lors de la remise de la plaque commémorative
du sénateur Victor Hugo
(Hauteville House)
Monsieur le Lieutenant Gouverneur,
Monsieur le Bailiff,
Madame la Représentante de Monsieur le Maire de Paris,
Mes chers collègues, chers amis,
C'est avec une émotion toute particulière que je me trouve aujourd'hui à la tête d'une délégation du Bureau du Sénat, composée de représentants de tous les groupes politiques, dans cette maison de Hauteville House qui fait désormais partie de la littérature française mais aussi de notre histoire et de notre patrimoine.
Victor Hugo l'a habitée quatorze ans. Il ne l'a pas construite mais il l'a façonnée, transformée, imprégnée au point que son fils Charles pouvait écrire qu'elle était en soi un « autographe ».
Elle est d'ailleurs, avec ses extravagances et ses fulgurances, à l'image du génie de Victor Hugo, dont elle a provoqué des manifestations inattendues. Écrivain, certes, et sous toutes les formes possibles : théâtre, poésie, roman, lettres. Dessinateur, dont l'oeuvre immense reste encore à découvrir. Penseur, philosophe et visionnaire, c'est une dimension supplémentaire que peu d'écrivains ont eu à ce point. Homme politique et parlementaire qui a su traduire concrètement son engagement, fort bien.
Nous le découvrons ici, grâce à vous mesdames, architecte, décorateur, menuisier... attentif au moindre détail. Cela montre s'il était besoin l'universalité de son génie : il n 'y avait pas pour lui de grandes choses et des petites.
Une chose est grande dès lors qu'elle est portée par une âme. Cette âme peut être trouvée dans toutes les circonstances de la vie, tous les métiers, tous les âges. Tel est le message politique fondamental de Victor Hugo, ce pourquoi il a opté très vite et définitivement pour la République en 1848. C'est l'illustration concrète de la fraternité, le mot qui s'accorde le mieux avec l'auteur des Misérables. C'est pour « faire comprendre l'égalité et la fraternité » qu'il donna ainsi à dîner ici même tous les mardis à « quinze petits enfants pauvres choisis parmi les plus indigents de l'île ».
Cette maison aussi a construit Victor Hugo. Elle a servi de cadre à la rédaction de nombre de ses plus belles oeuvres et des plus marquantes, : La légende des siècles, Les Misérables, L'homme qui rit, William Shakespeare, Les chansons des rues et des bois...Il a mis aussi dans celles-ci, et souvent, des témoignages et des images de son séjour à Guernesey au point de consacrer un roman entier les « Travailleurs de la mer » à cette île « d'hospitalité et de liberté », à ses hommes et à ses femmes.
Ses femmes... Déjà accompagné de sa femme et de sa maîtresse fidèle, il a trouvé ici des servantes et des compagnes qui ajoutent à sa légende de démesure et de vitalité, confirmant ainsi peut-être une réputation que tous les Français ne méritent sans doute pas... « Je resterai jusqu' 'à la mort », écrivait Victor Hugo le 23 décembre 1860 à Guernesey, « le protestant de la liberté d'aimer. La liberté est le même droit que la liberté de penser, l'une répond au coeur, l'autre à l'esprit ; ce sont les deux faces de la liberté de conscience ; elles sont au plus profond sanctuaire de l'âme humaine. »
Je crois surtout que cette île à travers ses paysages, a accentué chez Victor Hugo le sens de la grandeur et de l'infini : « J'aime les petits pays entourés de grands spectacles » disait-il... « Il y a ici tant de mer et tant de ciel que c'est à peine si l'on a besoin d'un peu de terre ». C'est ce ciel et cette mer qui lui tinrent lieu de vrais compagnons tout au long de ces journées passées dans son belvédère « cette serre sur le toit » où il aimait écrire debout, face à la mer.
C'est sans doute cette paix du silence et de la solitude qui l'ont aussi transformé. Lui qui sut rompre radicalement et tenir, seul, face à ce qu'il considérait comme un déni de justice politique et à une imposture a construit en fait dans l'exil et dans cette maison sa capacité de rassemblement ultérieur. C'est ici qu'il a constaté en lui-même « ce magnifique mélange de l'indignation qui s'accroît et de l'apaisement qui augmente ».
« Combattre avec l'espoir de pouvoir pardonner, c'est là le grand effort et le grand rêve de l'exil ».
Le Palais du Luxembourg qui abrite le Sénat à Paris a eu l'avantage d'accueillir Victor Hugo dans son hémicycle par deux fois, avant et après l'exil : entre 1845 et 1848, comme Pair de France nommé par la Monarchie de Juillet ; de 1876 à sa mort en 1885 comme sénateur de la République élu de la Seine. Il siégeait à droite avant 1848 dans une assemblée qui n'était pas particulièrement progressiste. C'est à l'extrême gauche qu'est fixée la plaque qui commémore sa présence aujourd'hui. Ce déplacement dans l'espace de l'hémicycle résume son parcours politique.
Beaucoup ont vu dans cette évolution un revirement coupable. Je crois qu'ils méconnaissent les motivations de l'homme.
Certes Victor Hugo a changé au cours de sa carrière. Jeune bourgeois chanceux, c'est en écrivain talentueux qu'il entre à l'Académie française puis à la chambre des Pairs pour suivre Chateaubriand, son modèle. « Être Chateaubriand ou rien ».
La révolution de 1848 sert pour lui de révélateur et le projette dans une toute autre « carrière ».
Il trouve dans la République sociale de la deuxième République la chance qu'il attendait de réaliser l'unité sociale de la France.
Le coup d'État de Napoléon l'amène ensuite à choisir la voie la plus difficile pour défendre la liberté. Projeté « hors de toutes les séries » comme le sera plus tard un autre grand Français qui choisit l'exil en Angleterre, il acquiert une valeur de référence pour les républicains. Il mûrit par ses interventions une doctrine politique et sociale bâtie sur l'engagement personnel contre l'injustice et qui n'a pas besoin de partis.
Il reste ainsi un intellectuel, au meilleur sens du terme, mais qui ne sera prisonnier d'aucune chapelle ni d'aucune mode.
Aucun domaine d'action humaine ne lui est étranger : abolition de la peine de mort, réforme sociale, éducation pour tous laïque et obligatoire, droit des enfants, égalité des sexes, indépendance des peuples, États-Unis d'Europe... Ce qui le caractérise, autant que la diversité de ses combats, c'est son opiniâtreté à les mener. Dès lors qu'il se saisit d'une cause, plus de limites, plus de frontières. Il combat la peine de mort en France mais aussi aux États-Unis, et ici même, au risque de choquer ses bienfaiteurs. Le Sénat est le théâtre de ses combats pour l'amnistie des Communards. Trois fois il dépose une proposition de loi en ce sens jusqu' 'à la loi du 11 Juillet 1880, aboutissement de ses efforts, dix ans après les événements.
Cette ténacité, cette continuité, cette liberté ce sont celles dont s'inspire le Sénat. Sa stabilité, son mode d'élection, la durée de son mandat lui donnent le recul et la liberté de jugement indispensables au combat politique.
C'est ce qui fait le caractère indispensable de la seconde Chambre dans une République démocratique, sa vertu d'équilibre, de contrepoids et de tempérance.
Victor Hugo l'avait bien perçu, avant même de devenir sénateur : c'est dès 1848 qu'il s'élève contre le principe de la chambre unique adoptée par l'assemblée Constituante : « la France gouvernée par une assemblée unique, c 'est à dire l'océan gouverné par l'ouragan ». Nous avons pensé que cette citation, métaphore maritime prémonitoire de l'homme océan, serait à sa place dans cette maison marine. C'est la raison pour laquelle elle est inscrite sur cette plaque symbolique que je vous remets madame, vous qui représentez la Ville de Paris légataire ici de Victor Hugo, sénateur de la Seine.
Vous y retrouverez l'hémicycle, dans lequel siégeait il y a peu notre collègue Bertrand Delanoë, le maire de Paris dont nous avons conservé un souvenir fidèle et avec qui je demeure en contact amical.
Il était normal que le Sénat de la République française que Victor Hugo a illustré et dans lequel il est présent - un salon porte son nom - vienne ici rappeler, en ce jour anniversaire, la dimension politique et parlementaire de son action.
« On voit à l'horizon la France comme un nuage et l'avenir comme un rêve » écrivait Victor Hugo pour qui la vie était un exil.
Nous voulons aujourd'hui rappeler par ce geste le lien entre ce lieu et la France.
Au moment où, en France comme au Royaume-Uni, l'action politique n'est plus aussi considérée qu'au temps de Victor Hugo, nous voulons surtout, sénatrices et sénateurs de la République, collègues parlementaires de Victor Hugo, dire solennellement que nous n'imaginons toujours pas un monde où « l'action ne serait pas la soeur du rêve ».
EUROPE 1 JOURNAL Le 26/02/2002 à 18 H 52 - EXTRAIT
GUILLAUME DURAND
Figurez-vous qu'une délégation de sénateurs était cet après-midi à Guernesey dans la maison de Victor Hugo, la célèbre maison de l'exil du grand écrivain dont on fêtait hier le bicentenaire, mais entre Les Misérables et choses vues, entre la haine de Napoléon 3 et les amours avec Juliette DROUELLE (ph), on avait un petit peu oublié que Victor fut un sénateur de notre auguste république, du coup les vénérables actuels ont rendu hommage à leur illustre prédécesseur. Au téléphone avec nous, Jean-Claude GAUDIN, sénateur maire de Marseille, monsieur GAUDIN méridional est de bonne humeur, il adore « toto » le romancier, l'homme politique, l'exilé, quand la Cannebière rend hommage à Guernesey, ça donne ça.
JEAN-CLAUDE GAUDIN
Ma foi les grands romans qui nous ont tous impressionné et que l'on a vu sous la forme et que l'on a vu sous la forme de films même ce qui rend encore plus vivant et puis le personnage politique, ce personnage politique qui a quand même un peu varié parce qu'il a quand même adopté plusieurs attitudes au Sénat de la République, il y a la Place de Victor Hugo d'abord dans l'hémicycle, et puis ensuite il y a cette influence de Victor Hugo que nous ressentons tous et ça a été l'occasion d'une superbe séance publique la semaine dernière et là je suis à « Hauteville House », c'est-à-dire à la maison d'exil de Victor Hugo de 1856 à 1870 à Guernesey et nous sommes en train avec le président PONCELET, avec le bureau du Sénat, de visiter cette maison en étant impressionnés par l'influence que Victor Hugo a donnée à Jersey, à Guernesey.
GUILLAUME DURAND
Alors Jean-Claude GAUDIN, vous avez une grande expérience politique, Victor Hugo a commencé comme un fringant jeune monarchiste et puis il est devenu un républicain résistant, impitoyable... Presque quinze ans sur cette île, vous rencontrez en votre terre politique des gens de cette trempe ? Ça n'existe plus des gens qui sont prêts à mettre leur vie entre parenthèses, pendant quinze.
JEAN-CLAUDE GAUDIN
Bien entendu c'est une autre époque mais je vous rappellerais ce qu'on disait de quelques hommes politiques comme Edgar FAURE qui lui aussi avait su à un moment donné évoluer. Non ce que je retiendrais c'est pas tant l'oeuvre politique de Victor Hugo, mais c'est plutôt cette oeuvre qui nous enchante et qui marque la littérature française et la littérature internationale et aujourd'hui le Sénat se déplaçant, vient rendre hommage à Victor Hugo parce que bien entendu, eh bien c'est à la fois et un homme politique et un littéraire extraordinaire, vous entendez il y a des camions qui passent sur le parvis de la maison de Victor Hugo où je m'entretiens avec vous à l'instant même et c'est surtout son oeuvre littéraire et puis ses années d'exil. Vous savez, les gens croient toujours que la politique c'est facile, mais quand un homme a défendu avec les convictions qui ont été les siennes, qui souhaitait cette abolition de la peine de mort, qui a lutté contre toutes les injustices, allez, c'est quand même quelque chose de remarquable pour notre histoire politique française mais aussi pour la France tout court.
GUILLAUME DURAND
Dites-moi Jean-Claude GAUDIN, si Victor Hugo était parmi nous, il voterait pour qui aux présidentielles ?
JEAN-CLAUDE GAUDIN
Oh, écoutez je ne sais pas, je ne sais pas mais je vous citerai simplement pour garder l'humour méditerranéen que Victor Hugo disait «... demain sur nos tombeaux, les blés seront plus beaux... » . Allez ceux qui sont ici avec le bureau du Sénat n'ont pas envie de mourir. Ni électoralement, ni tout court.
GUILLAUME DURAND
En direct avec nous, merci Jean-Claude GAUDIN.FIN"
Sénat-Hugo PREV
Le Sénat sur les traces de Victor Hugo en exil par Claude Lévy
SAINT-PIERRE-PORT (Guernesey), 26 fév. (AFP) - Une délégation du Sénat avec à sa tête son président Christian Poncelet, s'est rendu mardi, jour anniversaire de la naissance de Victor Hugo sur les traces de l'écrivain en exil à Jersey et à Guernesey où il séjourna de 1855 à 1870.
Première étape : Jersey où Victor Hugo, exilé au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1852, habita pendant trois ans. C'est là qu'il se livra à des expériences de spiritisme et écrivit notamment "Les Châtiments" et "Les Contemplations".
Il séjourna à son arrivée à l'Hôtel de la Pomme d'Or, au toit vert, en face du port de Saint-Hélier avant de venir à l'Hôtel "Marine Terrace" - aujourd'hui disparu.
Au rocher des Proscrits, où les proscrits français, italiens ou polonais se retrouvaient face à la mer, à trente kilomètres de la côte française, une simple plaque rappelle le passage de Victor Hugo.
A quelques kilomètres de Saint-Hélier dans la campagne, un petit cimetière regroupe les proscrits décédés à l'époque de Victor Hugo. Une tombe collective surmontée d'une colonne en grès avec des plaques comportant les noms d'une dizaine de Français est située au milieu du cimetière sobre et sans fleur, émouvant.
Le guide évoque notamment l'histoire de Louise Julien, de Paris, décédée en 1853, exilée pour avoir chanté une chanson de Victor Hugo à une terrasse de café à Paris, à l'époque de Napoléon III.
Victor Hugo dira sur sa tombe : "Une femme de nos jours, digne de devenir une citoyenne".
Au Parlement, reçu par le Bailli et le Lieutenant-gouverneur, M. Poncelet a déclaré que Victor Hugo "n'a jamais oublié l'accueil de Jersey et que ce 26 février est une journée historique, non seulement du fait de la naissance de Victor Hugo mais également du débat entamé à Jersey autour de la réforme du statut constitutionnel de l'île".
Deuxième étape : Guernesey (1855-1870). Dépôt de gerbes sous la pluie et dans le vent à Saint-Pierre Port, devant la statue de Victor Hugo, qui avance résolument vers la mer, cheveux au vent, s'appuyant sur un bâton et tenant son chapeau à la main. Il s'agit d'un don de la France, réalisé en 1914 par Jean Boucher.
"Hauteville House" où Victor Hugo a habité de 1856 à 1870 est impressionnant. Sa terrasse domine la mer. C'est là qu'il a écrit "Les Misérables" et "La Légende des siècles".
La villa transformée en musée est aujourd'hui propriété de la Ville de Paris à la suite d'un don de Jeanne Hugo et des enfants de Georges Hugo.
"Nous voulons rendre hommage à son engagement politique, à sa passion pour la défense du peuple", a déclaré en accueillant les visiteurs, Mme Sandrine Mazotier, adjointe au Maire de Paris.
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FP 261759 FEV 02
AFP 261759 FEV 02