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Table des matières
Organisation des collectivités territoriales
SÉANCE
du mercredi 18 mars 2009
81e séance de la session ordinaire 2008-2009
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Bernard Saugey.
La séance est ouverte à 14 h 35.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Motion d'ordre
M. le président. - Après consultation des groupes, et étant donné l'importance du débat qui nous occupe aujourd'hui, la Conférence des Présidents, initialement prévue ce soir à 19 heures, est reportée au 24 mars à 19 h 30.
Fin de mission
M. le président. - Par lettre en date du 17 mars 2009, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 25 mars 2009, de la mission temporaire sur le développement des parcs de loisirs confiée à M. Alain Fouché, sénateur de la Vienne, auprès de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Acte est donné de cette communication.
Organisation des collectivités territoriales
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales.
Sur la proposition de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, j'ai proposé à la Conférence des Présidents de prévoir, dans le cadre de notre semaine de contrôle, un débat sur l'avenir des structures et des compétences de nos collectivités locales.
Le Sénat, représentant constitutionnel et institutionnel des collectivités territoriales, doit tenir toute sa place dans les débats sur le devenir de la décentralisation ; c'est une attente des élus locaux, mais aussi de nos concitoyens, très attachés à la démocratie locale.
Depuis un certain temps, nous essayons de prouver le mouvement en marchant et d'innover pour rendre nos interventions plus lisibles, plus audibles et plus vivantes. Dans cet esprit, nous avons partagé notre discussion en trois séquences : la première pour permettre à la mission d'exprimer, dans le respect du pluralisme de son bureau, les orientations de son rapport d'étape, publié la semaine dernière ; la deuxième dédiée aux groupes, qui pourront ainsi réagir aux propositions de la mission temporaire et, pourquoi pas, à celles du rapport d'un certain comité ; la troisième sera une séquence de questions-cribles, plus spontanée : chaque sénateur pourra intervenir dans la limite de 2 minutes 30 et la mission ou le Gouvernement pourront répondre.
Notre démarche est expérimentale : je demande à chacun de faire preuve de souplesse. Il s'agit pour nous de contribuer à la réflexion lancée par le Président de la République sur la réforme de la gouvernance de nos collectivités territoriales.
Représentants de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. - (Applaudissements à droite et au centre) Ce débat marque un moment important pour notre maison. Je remercie le président Larcher d'avoir immédiatement réagi à la volonté du Président de la République de lancer une réforme des collectivités territoriales, en rappelant qu'il est du rôle constitutionnel, de la fonction du Sénat, de participer pleinement au débat. Le pilotage de la mission temporaire était un honneur, mais aussi un bonheur : j'ai pu mesurer combien notre maison était capable d'effectuer un travail d'intelligence, d'approfondissement, dans un respect mutuel. Nous sommes divers, nous représentons la France dans toutes ses nuances et ses différences.
Mais nous sommes tous acteurs de la vie locale et je me suis rendu compte que, au-delà de nos origines géographiques et politiques, nous avions tous la même volonté et des analyses souvent convergentes. De ce fait, nous avons été capables de vous présenter aujourd'hui des propositions votées à l'unanimité et qui nous engagent.
Après seulement cinq mois de réflexion, le travail n'est pas fini mais j'ai profondément confiance en cette maison où je siège depuis vingt ans et qui est capable, sur des textes fondateurs, de se rassembler pour écrire l'Histoire. Une assemblée comme la nôtre, où personne n'a la possibilité d'imposer sa volonté -et c'est cette écoute de l'autre qui fait sa force- peut ainsi réussir à faire de la France ce qu'elle est aujourd'hui.
La décentralisation a libéré les forces créatrices de notre pays. N'oublions jamais que les collectivités territoriales réalisent 73 % des investissements publics de notre pays tandis qu'elles n'ont que 10 % de ses dettes ! (Approbations sur les bancs socialistes) Elles sont donc appelées à participer à l'effort national de relance. Mais pour cela il faudrait avoir le courage de réformer certaines réalités dépassées, inadaptées ou inappliquées -la loi sur l'intercommunalité par exemple.
Nous n'en sommes plus à l'époque -il y a 50 ans maintenant- où le général de Gaulle demandait à Olivier Guichard de traiter le problème posé par Jean-François Gravier : dans le « désert français » il fallait créer des métropoles d'équilibre. Elles existent maintenant...
Après l'entretien passionnant que nous avons eu avec M. Balladur, il m'a confié, dans la cour du Sénat : « Maintenant, la balle est dans votre camp. Ma tâche est terminée. Vous en ferez ce que vous voudrez, ce que vous pourrez, mais vous n'avez pas le droit de ne rien faire ». (Approbations sur divers bancs)
Nous saurons écrire ici une réforme profonde, que comprendront nos concitoyens. Mais il nous faut la faire dans la clarté et dans un esprit de rassemblement. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)
M. Pierre-Yves Collombat vice-président de la mission temporaire. - Pourquoi un rapport de plus sur les collectivités locales ? Il y en a eu tant que l'exercice est devenu un genre littéraire, entre roman d'anticipation, essai de stratégie électorale et dictionnaire des idées reçues. Un dictionnaire où, à la lettre C, on pourrait lire : Collectivités locales : Augmentent la dépense publique. Voir « millefeuille ».
Millefeuille : spécialité du restaurant du Sénat. « Millefeuille territorial » : coûte cher à la France. Déplorer qu'on ignore combien, mais tonner contre.
Communes : produit de la Révolution. Suspect. Il y a trop de communes en France. Voir suppression.
Suppression : la suppression des communes est impossible en France. Évoquer le programme d'Odilon Barrot, ministre de Napoléon III : « remédier au morcellement des communes rurales ». Déplorer que l'on n'y soit toujours pas parvenu.
Compétence générale : commencer par rappeler qu'on lui doit l'essentiel des innovations des collectivités locales mais conclure en demandant sa suppression.
Conseiller général : notable conservateur, repérable à la campagne, invisible en ville. (Rires)
Conseiller régional : recalé du scrutin majoritaire. (Nouveaux rires et applaudissements) Invisible à la ville comme à la campagne.
Départements : trop nombreux mais proches des administrés.
Régions : trop petites mais éloignées des Français.
Intercommunalité : Permet des « économies d'échelle ». Rester intraitable : que l'observation n'infirme pas le principe, au contraire !
Financements : toujours croisés. Perversion dont le résultat est d'allonger inutilement les inaugurations en multipliant les discours. (Rires)
Réforme : doit être audacieuse. Marque de caractère chez un homme politique. Dire d'une réforme dont l'utilité n'est pas établie : certes, mais elle est audacieuse !
Précisément la mission sénatoriale s'est bien moquée d'être audacieuse. Elle s'est contentée d'être utile. En tout cas, elle a essayé qu'à l'issue de la réforme nos collectivités soient encore plus efficaces et encore plus démocratiques. D'où la méthode mise en oeuvre : non pas partir d'a priori, d'idées reçues, mais de la réalité, de l'expérience si diverse des élus ; non pas proposer les solutions existant en rayon mais les élaborer par la confrontation des points de vues. Exercice sportif s'il en est, tant sont diverses les situations et contradictoires les intérêts. Exercice intellectuel mais, plus fondamentalement, art politique qui, nous dit Platon, s'apparente à celui du tisserand capable de composer avec des fils différents « un tissu égal et bien tramé ». Comme le tisserand, le politique assemble « en une communauté qui repose sur la concorde et l'amitié », les tempéraments opposés composant la cité.
A l'évidence, une réforme qui ne serait pas portée par un consensus suffisamment large serait vouée à l'échec. Cela suppose d'abord de s'entendre sur la nature des maux auxquels on entend remédier. Or l'affirmation lancinante selon laquelle les collectivités locales dépenseraient trop -sous-entendu : de manière inconsidérée-, qu'une réduction drastique du nombre de communes et des échelons administratifs permettrait des économies de gestion considérables est une contre-vérité. Quand les conseilleurs sont des payeurs avec l'argent des autres, comme le président de BNP-Paribas, groupe bancaire dont la crise a révélé la qualité de l'expertise, (rires à gauche) comme l'ex-président de Dexia, sauvé de la faillite par les États belge et français, par ailleurs auteur d'un célèbre rapport sur « Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales », ou comme l'ex-président de la Berd, expert universel, on se pince pour ne pas rire.
Les collectivités locales réalisent les trois quarts des investissements publics et 10 % de l'investissement total du pays. Elles les financent d'une manière particulièrement saine puisque depuis 1982 leur endettement est demeuré quasi constant et inférieur à 10 % du PIB. Dans le même temps, la dette de l'État, qui représentait 18 % du PIB en 1982, en frisait les 70 % avant la crise. Fin 2009 le record sera pulvérisé. Durant cette période, les dépenses des collectivités locales auraient progressé annuellement, à périmètre de compétences constant, 1,4 % plus vite que celles de l'État. Là serait le scandale Mais quel scandale quand on met en regard les investissements considérables et le développement sans précédent des services collectifs durant la période ? Du début des années 1990 à l'avant-crise, la France a accusé un retard de croissance annuel moyen de 1,5 point de PIB par rapport aux États-Unis, avec les conséquences sur l'emploi que l'on sait. Sortons un moment de l'épicerie « maastrichtienne » et demandons nous : qu'en aurait-il été sans l'investissement des collectivités locales ?
Non, les petites collectivités, à commencer par les communes rurales ne nous coûtent pas cher. En 2007 les dépenses de fonctionnement par habitant des communes de plus de 100 000 habitants étaient 78 % supérieures à celles des communes de 500 à 2 000 habitants et 51 % supérieures à celles des communes de moins de 500 habitants. Avec une DGF par habitant 46 % et 37 % plus élevée que dans les communes de 500 à 2 000 et de moins de 500 habitants. A l'inverse, ce sont les petites communes qui investissent le plus. Celles de moins de 500 habitants investissent 2,5 fois plus, par habitant, que les communes de plus de 100 000 habitants, et celles de 500 à 2 000 habitants 2,2 fois plus.
En rappelant ces chiffres, je n'entends nullement comparer ce qui n'est pas comparable et je n'ignore ni que le niveau de services offerts par les grandes communes n'est pas celui des petites, ni que celles-ci ne pourraient pas investir autant sans aides extérieures, généralement des départements et parfois des régions. Ce qui prouve au moins, financements croisés ou pas, que départements et régions ne font pas leur travail aussi mal que ça.
Non, rien ne prouve que plus on est gros plus on est beau. L'intercommunalité n'est pas nécessaire parce qu'elle réduirait la dépense publique mais parce qu'elle permet de faire à plusieurs ce qu'on ne peut faire seul. Supprimer les petites communes ne supprimera pas les problèmes qu'elles gèrent au quotidien à un coût minimum. Aucun des multiples rapports que j'ai évoqués ne se risque d'ailleurs à chiffrer les économies à attendre d'une réduction du nombre de communes ou de l'aplatissement du « mille-feuille ». Ce qui n'empêche pas de causer...
La seule étude que je connaisse qui ait tenté d'évaluer l'effet des politiques de réduction du nombre des collectivités locales menées en Europe, c'est celle d'Yves Mény qui conclut : « L'expérience pour le moins mitigée des pays qui avaient entrepris des restructurations radicales, les désillusions du fameux « optimum dimensionnel » ont permis de relativiser l'absence d'évolution en France. Les vicissitudes des réformes à l'étranger ont montré qu'un concept rationnel s'avérait parfois peu fonctionnel, centralisateur et le plus souvent coûteux. »
Pour M. Mény, il n'existe pas de cadre idéal pour mettre en oeuvre les politiques locales ; les gains potentiels sont parfois annulés par l'éloignement des centres de décision. La diversité locale est une incarnation du pluralisme dans les démocraties occidentales et « l'élection de milliers de conseillers, dans des milliers de communes, est encore le moyen le plus démocratique et le moins coûteux de faire fonctionner les communautés politiques et sociales locales. » Démocratie et efficacité ne s'opposent pas mais se confortent l'une l'autre. Gardons-nous de séparer réforme de l'organisation territoriale et réforme des modes de scrutin. Les intercommunalités font l'objet d'un quasi-consensus. Nous en sommes encore éloignés s'agissant du département et de la région mais je crois possible d'y parvenir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, sur ceux du RDSE et sur certains bancs au centre et à droite)
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. - (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP) En septembre 2008, le Président de la République annonçait l'ouverture d'une grande réflexion sur l'organisation territoriale, car l'enchevêtrement de collectivités et de compétences apparaissait source de complexité et de difficultés. Depuis, la commission présidée par M. Balladur a rendu son rapport et l'ensemble des associations d'élus locaux ont également apporté leur contribution. Compte tenu du rôle que la Constitution lui confère en matière de collectivités territoriales, le Sénat a un rôle majeur à jouer dans cette réforme et je félicite le président Gérard Larcher d'avoir créé notre mission temporaire.
La réforme est rendue difficile par le nombre et la puissance des intérêts, souvent contradictoires, comme par le jeu des conservatismes. Chaque élu est naturellement attaché à son échelon de représentation. Il est temps toutefois de prendre de la hauteur et d'évaluer l'efficacité globale. Les Français attendent plus de clarté et de simplicité et moins de gaspillage ; ils sont attachés à la gestion de proximité. Les élus locaux eux-mêmes aspirent à la simplification et la réactivité. Même quand toutes les strates collaborent, réaliser un projet prend chez nous deux fois plus de temps que chez nos voisins !
Selon certains, il ne faut rien faire tant que dure la crise. Bien au contraire, car le système est à bout de souffle...
M. Dominique Braye. - Très bien.
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. - ...et la superposition de collectivités sans souci de cohérence ni de rationalité, avec des périmètres qui se chevauchent et des procédures qui s'entrelacent, voire se contredisent, est un frein, un handicap. En période économique difficile, la réactivité est vitale. Abordons cette réforme avec pragmatisme, transparence, esprit d'ouverture, volontarisme. Prétendre qu'il y aurait des arrière-pensées électorales...
M. Roland Courteau. - C'est une bonne question !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. - ...c'est intenter un faux procès (rires à gauche) car chacun sait qu'elles n'ont jamais réussi à ceux qui ont voulu réformer dans cet état d'esprit.
M. Dominique Braye. - Très juste.
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. - Plusieurs impératifs doivent être considérés. L'efficacité, d'abord : qui fait quoi ? La proximité, aussi : les collectivités locales et leurs 500 000 bénévoles sont une richesse inestimable et la suppression d'un échelon n'est pas forcément la meilleure solution. La commune est l'échelon de base de notre organisation, la collectivité locale la plus concrète. Le maire est l'élu le plus apprécié des Français. (M. Roland Povinelli applaudit) Cependant, les communes rurales ont aujourd'hui de plus en plus de difficultés à assumer leur charge.
M. Roland Courteau. - Exact.
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. - Mais les intercommunalités ont réalisé les projets structurants qu'une commune seule n'aurait pu mener. Le couple commune-communauté de communes fonctionne très bien. La réflexion doit donc se porter sur le partage des compétences et des responsabilités. Il faut maintenir à mon sens la clause de compétence générale aux communes avec possibilité de délégation au groupement. Je suis opposé à l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires et des présidents de communautés de communes (applaudissements sur plusieurs bancs à droite) et préfère un fléchage des délégués communautaires sur les listes municipales ; car il ne faudrait pas prendre le risque d'un conflit de légitimité ! (Même mouvement) II faut aussi achever la carte de l'intercommunalité avant 2014.
Le département et la région correspondent à des logiques de territoire distinctes et la suppression de l'un ou l'autre, ou la fusion, ne me semblent pas souhaitables. Mais coordonnons mieux des politiques devenues parfois concurrentes. Une plus grande intégration des assemblées départementales et régionales favoriserait l'harmonisation des politiques, la solidarité territoriale et produirait des économies sur les dépenses de fonctionnement. A cette fin, il doit être possible de faire exercer aux mêmes élus des responsabilités départementales et régionales. Les conseillers « territoriaux », selon le principe de fléchage communal évoqué plus haut, siégeraient dans une ou dans les deux assemblées. Je reste attaché au scrutin uninominal : un élu, un territoire. Du reste, si la région souffre d'un manque de reconnaissance, c'est que le scrutin de liste à la proportionnelle ne permet pas d'identifier les élus. Il politise trop les scrutins régionaux : les conseils généraux comptent des élus de grande valeur parfois non inscrits à un parti politique... Un scrutin mixte a ma préférence. En zone urbaine, la proportionnelle est envisageable car la notion de cantons n'a pas grand sens...
Mme Nathalie Goulet. - Ailleurs non plus !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. - Le véritable interlocuteur du président du conseil général est en effet le maire de la ville ou le président de l'agglomération. En zone rurale, on pourrait conserver le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. (Applaudissements sur certains bancs UMP). La spécialisation des compétences est indispensable : il faut des compétences exclusives avec possibilité de délégation sur constat de carence. Confirmons le département dans son rôle de garant des solidarités sociales et territoriales ; et la région dans sa mission de stratégie globale et de réalisation des grandes infrastructures. Allons au bout de la logique, en supprimant les services déconcentrés de l'État et en transférant les moyens correspondants aux collectivités.
Au nom de la clarté et de la rapidité de réalisation, certains veulent supprimer les financements croisés, d'autres souhaitent les limiter à deux par projet. Mais cela pénaliserait les communes rurales dont les ressources sont faibles. Les financements croisés assurent une péréquation au bénéfice des plus défavorisées.
Enfin, pour réussir cette réforme, nous devons impérativement simplifier le mille-feuille de la fiscalité locale, nous limiter à deux types de ressources fiscales par niveau de collectivité territoriale et prohiber les cumuls d'impôts sur une même assiette. Il importe aussi de maintenir un lien fiscal entre les territoires et les entreprises et de renforcer l'autonomie financière des collectivités. L'État est devenu le premier contribuable local au travers des exonérations et dégrèvements : 26 % en 2008. Cela est intenable et incohérent.
L'objectif est de mettre en place la meilleure organisation possible, sans remettre en cause l'action de l'une ou l'autre collectivité mais en s'adaptant à un monde qui évolue de plus en plus vite. Ce n'est pas uniquement l'affaire des experts et des élus.
Nous devons refuser le statu quo mais le pire serait d'aboutir à une demi-réforme sans impact ni ambition. Faisons fi des intérêts particuliers, montrons du courage et de l'audace, pour ne pas nous arc-bouter dans le conservatisme. Soyons à la hauteur des enjeux ! Sur les 20 propositions du comité pluraliste Balladur, 17 ont fait l'unanimité parmi ses membres ; il en a été de même pour 24 des 27 propositions de la mission sénatoriale. Les éléments qui nous rassemblent sont plus nombreux que ceux qui nous séparent. En cette période difficile, gardons le cap des réformes structurelles grâce auxquelles nos collectivités seront plus performantes, à moindre coût, au service des Français. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. - Comment en un temps si bref rendre compte de cinq mois d'auditions et de discussions animées ? Il y aura un autre débat en mai prochain. Et le Sénat, dans ce processus, jouera un rôle essentiel.
Je rapporterai fidèlement les positions adoptées par la mission.
Aucun des acteurs que nous avons entendus n'a instruit de réquisitoire contre les collectivités territoriales ; tous ont au contraire souligné qu'elles étaient soumises à des règles comptables strictes, qu'elles finançaient 73 % de l'investissement public civil, que leur dette ne représentait que 1 % de la dette publique. Au moment où le Gouvernement les appelle à soutenir l'économie, nous devons veiller ensemble à ne pas les déstabiliser.
Mme Gourault évoquera les communes, les intercommunalités et les pays. Nous avons pu très majoritairement nous accorder sur un grand nombre de principes essentiels, au-delà même de nos espérances initiales. Nous avons noté le fort attachement des élus à la clause générale de compétence qui a permis, selon les mots du président de l'Assemblée des départements de France (ADF), de répondre à la diversité des territoires de façon appropriée et innovante. Elle est la force d'expression des élus, garantit des marges de respiration et d'initiative et permet de répondre à des besoins nouveaux et spécifiques, on l'a vu récemment avec la téléphonie mobile, le haut débit ou les lignes à grande vitesse... souvent à la demande pressante du Gouvernement.
La mission a réaffirmé le principe de la libre administration des collectivités territoriales, de même que la liberté qui doit leur être donnée de coopérer librement entre elles et avec leurs établissements publics. L'interterritorialité doit être encouragée, elle est facteur de progrès : les territoires comme les hommes ont besoin d'échanger et de coopérer pour produire de la valeur.
La question de la fusion des collectivités territoriales ne doit pas être taboue. Tout projet de fusion doit correspondre à des territoires vécus et liés par des références historiques, sociales et économiques fortes. Des espaces ont probablement vocation à construire ensemble un projet de territoire et à terme de fusionner. Ces fusions doivent être facilitées et réalisées dans un référentiel méthodologique commun, qu'il s'agisse de communes, de départements ou de régions : des délibérations concordantes des assemblées puis une ratification par un référendum organisé par les pouvoirs publics à l'issue d'un large débat. La mission préconise la même procédure pour la modification éventuelle des limites territoriales ou le regroupement volontaire d'une région et des départements qui la composent. Les auditions ont montré que toute loi autoritaire serait vouée à l'échec, de même que toute procédure qui se rapprocherait d'une annexion de collectivités par d'autres. Il pourrait être proposé aux collectivités volontaires de travailler à rapprocher progressivement leurs politiques et leurs méthodes de travail avant d'aller plus loin.
La situation complexe des compétences a fait l'objet de critiques souvent exagérées. La mission a travaillé à améliorer la lisibilité de l'action à chacun des niveaux. Nous avons défini le rôle fondamental de ceux-ci : le lien social et les services de proximité pour la commune et l'intercommunalité ; les solidarités sociales et territoriales pour le département ; la stratégie et la préparation de l'avenir pour la région, soit la formation des hommes, la compétitivité des territoires, la recherche ou les aides aux entreprises. Les rôles étant clarifiés, il importe d'adapter les compétences de chacun ; ce travail trouvera son aboutissement dans le rapport définitif.
Pour donner des chances de réussir à ce petit remembrement, nous avons retenu quelques principes généraux. Il convient d'abord de renforcer les compétences de chaque niveau de collectivités et, parallèlement, de faciliter la délégation de compétences -ce qui ne veut pas dire le transfert. En cas de défaut d'intervention d'une collectivité dans un des domaines de sa compétence, nous avons souhaité ouvrir la possibilité pour une autre d'intervenir dans le sens de l'intérêt général sur la base d'un constat de carence. La mission a ensuite plaidé pour la reconnaissance effective d'un « chef de filat » pour les compétences partagées avec, en cas de financements croisés, un dossier unique d'instruction déposé dans un guichet unique. Le service instructeur devient alors garant de la conformité et de la qualité du projet finalement soutenu.
Le corollaire de la mise en oeuvre de ces principes, c'est la suppression des interventions des services déconcentrés de l'État dans les domaines transférés, ce qui doit se traduire par le transfert de leurs personnels aux collectivités territoriales ; par le transfert aux régions et aux départements, dans leurs domaines de compétence respectifs, des subventions attribuées par l'État aux communes et intercommunalités ; par le transfert aux régions de la responsabilité de répartir les fonds européens. Il n'y aurait plus ainsi aucun doublon, ni entre les collectivités, ni avec l'État. La mission appelle aussi à l'amplification de l'expérimentation et à sa reconnaissance comme outil privilégié de préparation de l'avenir ; quelques régions volontaires pourraient par exemple expérimenter rapidement la compétence emploi. Seraient ainsi réunies les conditions d'un transfert de parties du pouvoir réglementaire aux départements et aux régions, et l'avènement de la République décentralisée chère à M. Raffarin. La révision générale des politiques publiques, qui n'a pas ou très peu pris en compte le fait territorial, trouverait là davantage de lisibilité et de légitimité.
La mission a entendu notre collègue M. Lise sur le thème spécifique des collectivités territoriales d'outre-mer, qui a souligné combien « l'enchevêtrement des compétences et la multiplicité des centres de décision, sur des territoires somme toute restreints, étaient préjudiciables à la lisibilité de l'action publique et à la bonne gestion des finances locales. » La mission a conclu qu'il importe de progresser rapidement vers la création d'une collectivité unique dans chaque département et région d'outre-mer, là où le périmètre de l'un se confond avec celui de l'autre.
En ce qui concerne le Grand Paris, la mission affinera sa position dans les prochaines semaines ; elle considère que le débat est essentiel si l'on veut que la « ville-monde » relève les défis spécifiques qui seront les siens demain. Elle auditionnera bientôt les principaux acteurs du territoire et tracera des pistes susceptibles d'être empruntées par le plus grand nombre.
La mission appelle d'autre part à une refondation des relations financières entre l'État et les territoires, le premier ne pouvant continuer à intervenir brutalement et sans préavis dans les bases fiscales ou les ressources des seconds. Toute décision doit être subordonnée à une concertation préalable et faire l'objet de véritables négociations. La mission s'est accordée sur l'attribution de deux types de ressources fiscales par niveau de collectivités, sur la limitation des cumuls d'impôts sur une même assiette et le maintien impératif d'un impôt lié à l'activité économique pour préserver les relations entre des entreprises et des territoires dont les destins sont liés. Le rapport final détaillera ses propositions.
La mission s'est enfin saisie du mode d'élection des conseillers généraux. Elle s'est accordée sur leur élection la même année pour une durée de six ans, répondant ainsi à une demande unanime de l'ADF. Cette solution donnerait plus de force aux assemblées départementales.
La mission ne s'est en revanche pas mise d'accord à ce jour sur le mode de scrutin et n'a pas arbitré entre le scrutin uninominal actuel, garant d'une grande proximité entre les élus et les citoyens...
M. René-Pierre Signé. - Et les territoires !
M. Yves Krattinger, rapporteur. - ...un scrutin de liste départementale à la proportionnelle avec prime majoritaire, (on se récrie vivement à droite) comme dans les régions...
M. François Patriat. - Excellent !
M. Yves Krattinger, rapporteur. - ...garantissant une majorité de gestion et l'identification du président ; un scrutin mixte -proportionnel dans les agglomérations et uninominal dans le reste du territoire- (mouvements divers de droite et de gauche) dont la constitutionnalité n'est pas assurée ; et l'élection de conseillers territoriaux qui, pour certains d'entre eux siégeraient simultanément à la région et au département... (Exclamations sur divers bancs)
M. Jacques Blanc. - Pourquoi pas tous ?
M. Yves Krattinger, rapporteur. - ...avec un fort risque de mise sous tutelle du département par la région...
M. François Patriat. - Ou l'inverse !
M. Yves Krattinger, rapporteur. - ...ce qui pourrait aussi ne pas être conforme à la Constitution. Comme je l'ai dit, la mission n'a pas encore arbitré ; la sagesse qui a jusque-là présidé à nos travaux doit continuer à la guider.
En conclusion provisoire, je me réjouis du chemin déjà parcouru et des 27 propositions déjà retenues, la plupart à l'unanimité.
Nous sommes peut-être allés au-delà des espérances.
En temps que co-rapporteur, je continuerai à travailler dans le même état d'esprit. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. - La décentralisation est une réforme majeure de ces 30 dernières années.
M. René-Pierre Signé. - Grâce à la gauche !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - Répondant aux attentes des citoyens, elle a encouragé l'esprit de responsabilité des gestionnaires locaux, à qui de nouvelles compétences ont été confiées. Grâce au dévouement exceptionnel des 500 000 élus, souvent bénévoles dans les zones rurales, la démocratie locale a donné aux territoires la place essentielle qui leur revient dans l'action publique.
Les critiques parfois formulées envers l'action publique locale ne doivent pas dissimuler ses incontestables succès. Justement, les réussites imposent de résister à la facilité pour améliorer encore l'organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales. Simultanément, il est indispensable que l'État tire toutes les conséquences de la décentralisation et qu'il adapte ses services déconcentrés. C'est la condition d'un nouveau climat de confiance, conditionnant la réussite de cette réforme.
A la décentralisation s'est ajouté l'essor de l'intercommunalité, accéléré par la loi Chevènement de 1999. En dix ans, les communes se sont approprié cet outil souple, fondé sur leur engagement volontaire.
Les difficultés croissantes des relations financières entre l'État et les collectivités ont toutefois conduit la totalité des associations d'élus locaux à réclamer une réforme. Il n'est donc pas étonnant que le Président de la République ait engagé ce chantier, avec le comité présidé par M. Balladur.
Notre mission a été créée dans ce contexte par M. Gérard Larcher, Président du Sénat. En effet, notre assemblée sera la première à examiner ce projet de loi. Elle s'est emparée de cette question avec sa légitimité constitutionnelle de représentant des collectivités locales et sa connaissance experte des territoires. Le rôle majeur du Sénat nous invite à l'innovation, voire à l'audace. Il ne s'agit pas de tout bouleverser -car ce serait l'assurance de ne rien changer en définitive- mais l'immobilisme provoquerait la déception des élus. C'est avec beaucoup d'intérêt et de plaisir que j'ai travaillé avec mes collègues et que je rapporte nos travaux conjointement avec M. Krattinger.
Je présenterai les préconisations de la mission pour le couple de la proximité par excellence, formé par les communes et les intercommunalités.
A l'unanimité, les membres de la mission considèrent la commune comme le socle de l'organisation locale. Collectivité territoriale de plein exercice, elle doit nécessairement détenir la clause générale de compétences. Nous connaissons tous l'attachement fondamental de nos concitoyens pour leur commune, dont les élus savent écouter et prendre en compte les besoins. En parallèle, nous prenons acte de la formidable réussite du couple formé par la commune et l'intercommunalité.
Une idée nouvelle est apparue dans la structuration de territoire : la reconnaissance du fait métropolitain. Pour la mission, cette nouveauté concerne les cinq grandes conurbations millionnaires, dont les compétences devraient être renforcées, en provenance des communes, des départements et des régions. Nous avons constaté à Lyon que certains souhaitent un statut propre pour la métropole. Le débat se poursuivra sur ce sujet.
Pour tirer pleinement parti des potentialités de l'intercommunalité, il faut rationaliser la carte intercommunale et renforcer les structures.
La première priorité est d'achever la carte de l'intercommunalité avant fin 2011. Selon la mission, des incitations financières négatives pourraient suffire. L'objectif ne devrait pas être hors de portée, sachant que seules 2 522 communes ne participaient à aucune intercommunalité le 1er janvier 2009, alors que 528 ont rejoint l'an dernier une structure intercommunale.
M. Dominique Braye. - Il est grand temps de finir !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - La deuxième priorité concerne la rationalisation des périmètres, sans critère de population ni de taille, mais en fonction des bassins de vie, en éliminant les intercommunalités de défense ou d'opposition. La fusion des communautés doit être encouragée avec des outils souples. L'urgence de cette rationalisation est particulièrement manifeste avec le rôle que le Grenelle II assigne aux communautés en matière d'urbanisme.
M. Dominique Braye. - Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - Les commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) pourraient contribuer à déterminer le périmètre pertinent d'intercommunalité, à condition que leur composition les rende plus représentatives.
Dans le même souci de simplification, il faudrait encourager la fusion volontaire de communes, notamment des plus petites, naturellement sur la base d'un référendum proposé par une majorité qualifiée des membres des conseils municipaux concernés.
On pourrait aussi étoffer les compétences obligatoires des intercommunalités, en particulier les communauté de communes dont certaines sont des coquilles vides.
M. Gérard Longuet. - Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - Il convient également d'améliorer la gouvernance des intercommunalités, en commençant par conforter la légitimité démocratique des conseillers communautaires grâce au fléchage des candidats aux élections municipales. Les scrutins de liste devraient donc être étendus aux communes de plus de 500 habitants, l'obligation de candidature étant généralisée pour les élections municipales.
Logiquement, le nombre de syndicats intercommunaux devrait diminuer. Les représentants de l'État y procéderaient avant la fin 2012, sur avis conforme de la CDCI, après une large concertation départementale.
M. Dominique Braye. - Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - De même, la suppression des dispositions législatives réglementant l'existence des pays devrait faire disparaître ceux qui n'ont pas d'utilité réelle...
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - ...tout en maintenant les autres, conformément au voeu formulé par M. Edmond Hervé.
J'en viens aux finances locales. M. Krattinger ayant dit l'essentiel, je me bornerai à un point : maintenir un impôt lié à l'activité économique est indispensable pour préserver les relations entre les territoires et les entreprises. Ce sujet concerne au premier chef les intercommunalités à taxe professionnelle unique.
Naturellement, nos travaux se poursuivront. A l'exception du statut de métropole, les questions en suspens concernent les relations entre départements et régions.
En écoutant les deux présidents des conseils généraux de l'Alsace, j'ai été impressionnée par l'avance que les hommes de terrain peuvent avoir parfois sur les textes.
Mme Nathalie Goulet. - Parfois...
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - On entend dire ici et là que ce n'est pas le moment de réformer les collectivités territoriales...
M. Dominique Braye. - Ce n'est jamais le moment de faire quoi que ce soit !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - ...comme si la crise économique avait créé d'autres urgences. Mais on demande simultanément aux collectivités locales de participer au plan de relance. Et le Président de la République annonce sans concertation que la taxe professionnelle disparaîtra.
M. Gérard Longuet. - C'était dans son programme.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - On ne peut poser de cloisons entre la vie de la Nation et celle des collectivités, car chacune d'entre elles est une parcelle de la République et participe à son fonctionnement. Sans se passionner pour la technicité des débats, nos concitoyens en perçoivent les enjeux. Nous ne devons pas les décevoir ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Dominique Braye. - Très bien !
Orateurs des groupes
M. Michel Mercier. - Ce n'est pas en quelques minutes que l'on peut faire le point sur la question de la décentralisation, et les éléments de réflexion que je vous présenterai seront nécessairement partiels et partiaux.
Depuis les lois de décentralisation de 1982, suivies de l'inscription dans notre Constitution en 2003 de la mention selon laquelle la France est une République décentralisée, beaucoup a été fait. Sans la décentralisation, nombre de politiques publiques n'auraient pas rencontré le même succès. Je pense au développement des TER, à la rénovation des lycées, à la politique sociale devenue plus adaptée aux besoins de nos concitoyens : sans les transferts de compétence, le RSA ne pourrait pas voir le jour en juillet.
Tout va-t-il donc pour le mieux ? Ou est-il nécessaire de réformer la décentralisation ? Il n'y a pas grand-chose à ajouter aux transferts de compétence qui ont été opérés jusqu'ici. Le problème est institutionnel : faut-il revoir l'organisation territoriale de la France en communes, départements et régions ? Faut-il tout changer pour ne rien changer, selon l'heureuse expression de Mme Gourault qui se souvenait de sa jeunesse et du Guépard ? Ou faut-il réformer nos collectivités pour les rendre plus efficaces et plus démocratiques ?
Je crois pour ma part que nous avons besoin d'une réforme profonde et qui tienne compte des faits. A défaut, il vaut mieux ne rien faire. Il ne sert à rien de donner un coup de ripolin supplémentaire ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Dominique Braye et Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Michel Mercier. - Il convient tout d'abord d'affirmer hautement qu'il n'est pas nécessaire que les mêmes institutions existent dans toute la France, car nos territoires sont divers. (Marques d'approbation sur divers bancs) La République n'a rien à craindre de la décentralisation, et elle sera fidèle à elle-même si elle tient compte des réalités locales.
Cela paraîtra peut-être un peu bizarre, mais moi qui suis président d'un conseil général qui, je crois, fait bien son travail, je suis favorable à la création de cinq ou six grandes métropoles, pour une raison bien simple : elles existent déjà dans les faits ! (Protestations à gauche)
M. René-Pierre Signé. - Et ailleurs ?
M. Michel Mercier. - Eh bien ailleurs nous ferons autre chose ! D'ailleurs pour vous rien ne changera : vous monterez comme d'habitude au château et vous regarderez en bas ! Si vous ne voulez rien faire, ne faites rien, mais laissez aller de l'avant ceux qui le souhaitent !
M. Dominique Braye. - Vous ne nous en empêcherez pas !
M. Michel Mercier. - Je vous le dis d'emblée : vous ne parviendrez pas à me faire taire ni à me déstabiliser. (Marques de soutien au centre et à droite ; protestations à gauche) Entre nous, l'affaire est réglée. (Sourires)
Le législateur doit prendre ses responsabilités et permettre aux agglomérations de plus d'un million d'habitants, qui ont des missions dans les domaines de la recherche, de l'enseignement supérieur, de la culture et de l'économie, de fonctionner correctement. Sinon nous verrons toujours s'opposer Paris et le reste de la France ! Les grandes métropoles de notre pays, loin de rester isolées, peuvent créer de la richesse autour d'elles. Mais elles ont besoin de structures institutionnelles efficaces et démocratiques.
Les communes resteront des personnes morales de droit public mais elles n'auront plus toutes les compétences qu'elles avaient jusqu'ici. Je suis également favorable, et je le dis clairement, au transfert vers les métropoles des compétences des départements. (Marques d'approbation au centre et à droite ; protestations à gauche)
M. Dominique Braye. - Au transfert, et non à la délégation ! (M. Roland du Luart approuve)
M. Roland Povinelli. - Pourtant ce sont les conseillers généraux qui vont sur le terrain et non les conseillers régionaux !
M. Dominique Braye. - Vous parlez à un président de conseil général !
M. le président. - Vous pourrez vous exprimer tout à l'heure, monsieur Povinelli. Veuillez poursuivre, monsieur Mercier.
M. Michel Mercier. - Je souhaite également que le législateur mette à la disposition des communes, des départements et des régions une boîte à outils dans laquelle ils pourront puiser librement pour se regrouper ou s'associer sur la base du volontariat. Ce n'est qu'après trois ou cinq ans que le législateur prendrait acte de leurs choix et les graverait dans le marbre de la loi. Je sais que je suis assez isolé à ce sujet... (plusieurs sénateurs le contestent au centre et à droite) mais cela ne m'empêche pas de dire mon opinion.
Le rapprochement des départements et des régions soulève certains problèmes. Il n'existe pas actuellement de couple département-région, alors qu'il existe un couple commune-département. C'est parce qu'il y a des communes qu'il y a des départements : ceux-ci jouent un rôle de péréquation entre les 36 000 communes de France. Si demain certaines compétences des départements sont transférées aux communes -pourquoi en effet ne pas leur transférer des compétences d'extrême proximité, comme celles relatives à la petite enfance ?- celles-ci doivent avoir les moyens d'assumer leurs nouvelles missions, au besoin en se regroupant.
Ce débat mérite d'être mené. C'est une grande réforme qui nous attend, et nous ne devons pas en avoir peur. Il ne faut pas vouloir tout changer en un jour, mais nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réforme institutionnelle qui rende la décentralisation à la fois plus démocratique et plus efficace. (Vifs applaudissements au centre et sur de nombreux bancs à droite)
M. Jean-François Voguet. - Chacun sait bien que les orientations définies par le Président de la République ont pour objectif masqué de déstabiliser les collectivités locales, de réduire leur nombre et leur influence afin de permettre au pouvoir central de les remettre sous sa coupe. Ces milliers de contre-pouvoirs lui sont d'autant plus insupportables qu'ils s'appuient sur un fort capital de sympathie de la part de nos concitoyens, grâce aux politiques publiques locales qui apportent des solutions concrètes aux problèmes qu'ils rencontrent dans leur vie quotidienne et à la proximité qui leur permet d'influer sur les choix.
Les collectivités locales sont ainsi devenues des poches de résistance à la politique libérale de régression sociale. Aujourd'hui le Président de la République et le Gouvernement veulent imposer aux collectivités une RGPP à leur mesure et réduire durablement les politiques et les services publics locaux. Pour justifier cette reprise en main, le Président de la République se livre à une critique immodérée et sans fondement de la gestion des collectivités locales et de leurs relations : comme dit le proverbe, qui veut noyer son chien l'accuse de la rage... A l'en croire, rien ne marche et tout coûte très cher. C'est faux ! En blâmant le prétendu mille-feuille administratif, les financements croisés, l'illisibilité des choix et des responsabilités, on sert la remise en cause globale de l'organisation territoriale et démocratique de notre République.
Ces critiques s'accompagnent du couplet selon lequel tout irait mieux dans les autres pays d'Europe, qui ne seraient pas grevés par une administration locale aussi pléthorique. En ce domaine comme en d'autres, la mise en concurrence et le nivellement par le bas sont en Europe l'objectif central de la majorité.
Les nombreuses communes que compte notre pays sont selon nous une richesse : des centaines de milliers de citoyens élus se consacrent ainsi bénévolement au vivre-ensemble, à la défense de l'intérêt général et à la mise en oeuvre de politiques publiques nécessaires, au plus près des besoins. Il est temps qu'ils soient dotés d'un statut qui reconnaisse leur mission et leur permette de l'exercer. Nos régions ne sont ni plus pauvres, ni plus petites que la moyenne européenne et le nombre de nos départements est faible au regard des structures intermédiaires de nombreux pays. En réduisant le nombre des collectivités nous les agrandirons mais, devenues plus difficiles à gérer, seront-elles mieux armées pour répondre aux besoins de la population ? La démocratie locale en sortira-t-elle renforcée ? Permettez-nous d'en douter. Nous contestons d'ailleurs la mise en concurrence des territoires en France et en Europe. Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir au développement de coopérations, de politiques et de services publics communs ?
Les premières recommandations de notre mission répondent à la même logique que celles du comité Balladur, et nous le regrettons. Avant d'envisager une réforme il aurait été plus utile et plus sage de dresser un état des lieux partagé sur la situation réelle de nos collectivités.
Nous souhaitons que la commission poursuive ses travaux en ce sens. A la lumière des conclusions du cabinet Ernst et Young, nous demandons un état des lieux des compétences des collectivités et de leurs relations financières avec l'État, afin de réorienter les modalités de fonctionnement et les financements. Seule une telle approche permettra de dégager les voies d'une réforme. Nul n'est partisan du statu quo mais il faut ouvrir une phase de consolidation de la décentralisation dans un environnement clarifié et sécurisé.
Le maintien de trois niveaux de collectivités dans toute la France, y compris en région parisienne, constitue un préalable. Sur le Grand Paris, nous souhaitons qu'on se démarque totalement du rapport Balladur comme des projets de M. Christian Blanc : que la commission se mette plutôt à l'écoute de la volonté majoritaire des élus réunis au sein de Paris métropole.
La clause de compétence générale doit être maintenue pour toutes les collectivités car elle est le moteur du suffrage universel et permet l'expression de la souveraineté sur les projets présentés aux élections locales. La supprimer transformerait les élus locaux en managers de décisions définies ailleurs. La libre administration de toutes les collectivités territoriales doit donc être sauvegardée dans le respect de l'égalité entre citoyens sur tout le territoire. Favorables à des coopérations librement consenties au sein de structures au fonctionnement démocratisé, nous considérons qu'un regroupement n'est possible que si la souveraineté populaire s'est exprimée en ce sens. Enfin, l'État central doit garantir le respect des principes d'unité de la République et d'égalité entre citoyens. Nous attendons en conséquence qu'il cesse son retrait et qu'il revienne aux responsabilités en laissant les collectivités s'administrer librement dans l'intérêt des territoires et de la population. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Patrick Courtois. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Le groupe UMP aborde ce débat dans un esprit de pragmatisme, d'ouverture et de grande conviction. Nous avons tous dénoncé l'enchevêtrement des prérogatives des acteurs publics, la confusion qu'il entraîne, les pertes de temps, l'incompréhension des citoyens, le désenchantement des élus...
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. - Nous avons tous salué la décision du Président de la République d'ouvrir ce grand chantier. Les responsables des groupes parlementaires de la majorité ont décidé, le 15 octobre, de mener une large réflexion commune et j'ai eu l'honneur avec M. Perben, député du Rhône, d'animer le groupe de travail auquel ont participé 200 parlementaires. Notre rapport de synthèse a été remis le 22 janvier pour contribuer à la réflexion du comité Balladur comme de la mission temporaire souhaitée par le président du Sénat. Nous notons avec satisfaction de nombreux points de convergence, en particulier sur les intercommunalités. Nous pensons néanmoins que la recherche du consensus ne doit pas nous faire perdre l'objectif de vue.
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. - Rien ne serait pire que de se contenter d'un toilettage qui provoquerait de nouvelles déceptions parmi ceux qui, confrontés à des difficultés concrètes, attendent des réponses concrètes.
Notre groupe de travail s'est efforcé de répondre à trois questions : comment faire mieux de manière moins coûteuse, comment sortir du jardin à la française pour prendre en compte la diversité territoriale, comment améliorer la gouvernance des collectivités ? Les orientations claires qui se sont dégagées reposent sur les convictions fortes que nous partageons. Nous souhaitons d'abord privilégier deux couples de collectivités pour simplifier leur gouvernance et clarifier leurs compétences : la commune et l'intercommunalité, le département et la région. Nous proposons également la création d'une nouvelle catégorie d'élus, les conseillers territoriaux, siégeant à la fois au niveau départemental et régional. Notre groupe de travail n'a pas tranché sur le mode de scrutin, mais nous sommes tous attachés au lien politique, surtout en milieu rural. Il faut poursuivre la réflexion sur ce point.
M. Jean-Claude Carle. - Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. - Comment y voir un piège politique ? 2014, c'est deux ans après 2012 ! Il faut des élus communs pour supprimer une concurrence entre deux échelons et diminuer les coûts en améliorant les services rendus aux usagers. On peut en effet clarifier, simplifier sans supprimer complètement un échelon : seul le « pays » pourrait disparaître, car il n'a pas fait la preuve de sa pertinence.
Les communes et les intercommunalités forment le principal échelon...
M. René-Pierre Signé. - Et les départements ?
M. Jean-Patrick Courtois. - S'il faut les renforcer et les réformer, nous sommes aussi favorables au principe d'une subdélégation exclusive d'une compétence ainsi qu'à la limitation des financements croisés et à une modernisation de la fiscalité locale. (« Très bien ! » à droite)
L'objectif de simplification et de création doit s'imposer à tous les échelons, Nous sommes favorables à la création d'un nombre restreint de grandes métropoles regroupant des compétences communales, départementales et régionales. Malgré les interrogations, nous devons avoir le courage d'opérer des choix clairs afin de doter la France de grandes métropoles capables de mener des politiques dynamiques comme c'est le cas dans les autres pays européens.
Nous prônons aussi un fléchage des délégations communautaires à l'échelon intercommunal ainsi que l'achèvement de la carte communautaire, lequel doit être réalisé en étant vigilant aux conséquences financières. Sachons saisir l'occasion de simplifier les structures et de mettre fin aux anomalies en tenant compte de la démographie : sans instituer un droit de veto, il convient d'y remédier d'ici 2014.
Nous devons faire en sorte que l'intercommunalité prenne intégralement en charge les compétences déléguées. Que deviennent alors les syndicats de communes ? Le pragmatisme commande de reconnaître la fonction des syndicats des eaux ou d'assainissement.
Beaucoup de questions restent en suspens et le groupe de travail poursuivra sa réflexion sur les conseillers territoriaux et leur élection, sur les intercommunalités ainsi que sur les grandes métropoles. Nous contribuerons ainsi aux travaux de mission temporaire du Sénat, dont nous saluons la qualité et l'équilibre. Car nous voulons que cette réforme majeure soit à la hauteur des attentes des élus et des citoyens. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Chevènement. - (On applaudit sur les bancs du RDSE) Je m'exprimerai, dans la mesure du possible, au nom de Jean-Michel Baylet autant que pour moi-même.
Affirmant clairement sa préférence pour une bipolarisation des institutions locales au profit de la région et de l'intercommunalité, le rapport au Président de la République marque une rupture avec le modèle républicain fondé sur le département et la commune. Il correspond sans doute au projet d'une Europe des régions, inspirée du modèle des Länder.
Sur la forme, la compétence générale des 36 500 communes est préservée mais elle ne pourra pas toujours s'exprimer, les départements et les régions, cantonnés dans des compétences spécialités pouvant plus difficilement les aider.
Le système des financements croisés a été désigné par le Président de la République et par le comité Balladur comme le pelé, le galeux d'où vient tout le mal. C'est une idée reçue. Tout d'abord, à travers les contrats de plan, les financements croisés ont été voulus par l'État, qui continue à solliciter les collectivités pour les nouvelles lignes de TGV. (Approbations sur divers bancs) Sans financements croisés, il n'y aurait pas eu de plan Universités 2000, et de nombreux gymnases et salles polyvalentes leur doivent leur existence. (M. Jean-Pierre Caffet le confirme)
M. Dominique Braye. - D'accord, mais cela ne justifie pas tout.
M. Jean-Pierre Chevènement. - L'abolition de la compétence générale des régions et des départements bridera l'élan de la décentralisation. Le Président de la République a déclaré, le 5 mars dernier, vouloir « faire des économies sur les dépenses ». Mais est-il bien raisonnable, à l'heure de la relance, de casser l'investissement des collectivités locales, qui représente les trois quarts de l'investissement public ? Cette réforme est inopportune en temps de crise, d'autant que le Président de la République prétend par ailleurs favoriser l'investissement local grâce à des avances des remboursements de TVA.
La suppression de la taxe professionnelle est un mauvais coup supplémentaire porté à l'intercommunalité et au développement local. Le Président de la République a promis une compensation intégrale, au risque de figer la situation alors que la taxe professionnelle est un impôt très dynamique. Les compensations annoncées ne sont pas à la hauteur des besoins : les intercommunalités seront pénalisées dans la lutte contre la ségrégation urbaine, l'aide au développement économique local et le développement de la solidarité intercommunale.
L'intercommunalité est un outil majeur de la décentralisation. Nombre de critiques qui lui sont faites ne sont pas pertinentes, comme l'a relevé Jacqueline Gourault. (M. Dominique Braye approuve) J'ai beaucoup de considération pour le travail qu'elle a accompli sur ce sujet.
Les périmètres seraient arbitraires ? On peut les modifier selon les règles de la majorité qualifiée, qui donnent un pouvoir certain au préfet. Les mutualisations de services seraient peu développées, comme l'a constaté la Cour des comptes en 2005 ? Ce retard a été largement rattrapé. Quant au coût pour les finances publiques, il est resté modeste et les dépassements ont été moins importants que prévu. Il y a désormais quatre fois plus de communautés d'agglomérations qu'envisagé en 1999 et plus de 90 % du territoire et de la population sont concernés par les EPCI à fiscalité propre. Enfin, les recrutements supplémentaires correspondent à l'exercice de compétences souvent délaissées par les communes.
L'intercommunalité ne doit pas faire disparaître les communes...
M. René-Pierre Signé. - Surtout pas !
M. Jean-Pierre Chevènement. - ...qui sont l'échelon de base, l'école élémentaire, en quelque sorte, de notre démocratie. Les EPCI ne sont pas un quatrième niveau de collectivités. Il n'y a d'ailleurs pas plus de niveaux de collectivités en France qu'en Allemagne ou en Italie.
M. René-Pierre Signé. - Tout à fait juste !
M. Jean-Pierre Caffet. - C'est dans le rapport.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Effectivement.
Si je partage la plupart des préconisations faites pour l'achèvement et la rationalisation de la carte de l'intercommunalité, je suis plutôt réticent quant à l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI. L'élection directe du président délégitimerait les maires.
M. Dominique Braye. - Absolument.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Personne ne la propose ici, mais j'ai entendu cette suggestion ailleurs.
Je vous demande de réfléchir à l'élection des conseillers communautaires par fléchage...
M. René-Pierre Signé. - Les maires ne sont pas fléchés !
M. Jean-Pierre Chevènement. - ...en même temps que celle des conseillers municipaux, proposée par notre mission. Je rappelle à Mme Gourault et à certains de nos collègues que ce système ne sera pas applicable aux communes de moins de 3 500 habitants qui pratiquent le panachage, considéré comme un progrès de la démocratie.
M. Dominique Braye. - Le panachage, c'est du tir aux pigeons !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le tir aux pigeons et la démocratie ont certainement quelque chose en commun... (Sourires) La suppression de cette pratique par l'application de la proportionnelle des listes insufflera aux conseils communautaires un esprit plus partisan là où l'entente se fait actuellement de maire à maire.
Le Président de la République considère d'ailleurs que l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre pose beaucoup de questions. Je souhaite pour ma part que les intercommunalités restent des coopératives de communes et pas des communes nouvelles, comme cela est prévu par l'article 11 du projet de loi annexé au rapport Balladur, dès lors qu'une majorité des deux tiers des conseils municipaux représentant la moitié de la population le demanderait. Ce projet traduit une méconnaissance de l'esprit de l'intercommunalité et un retour à l'esprit de la loi Marcellin de 1971. Il ne faut pas remplacer nos 36 600 communes par 2 500 communes nouvelles. Cela ne correspondrait pas à l'esprit français. Monsieur Courtois, les jardins à la française ont du bon, d'autant que nos communes ressemblent plutôt à un jardin à l'anglaise ! (Sourires) L'intercommunalité est un moyen de revaloriser les communes, pas de les dévaloriser.
Les départements sont, eux aussi, les victimes désignées de la réforme. Le démantèlement partiel des départements au profit des métropoles créera des départements croupions réduits à leurs zones rurales.
M. René-Pierre Signé. - Dites-le à Michel Mercier !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Les compétences des départements sont des compétences de proximité et il n'y a rien à gagner à vouloir tout chambouler. Un tel projet révèle la volonté réelle qui sous-tend la réforme : à défaut de pouvoir le casser, il faut réduire le département. Certes, actuellement les conseillers régionaux apparaissent quelque peu « hors sol ». Mais si l'on veut absolument élire ensemble les conseillers régionaux et les conseillers départementaux, pourquoi le faire dans le cadre de circonscriptions particulières découpées au sein de chaque département, et pas dans celui du département ? Ne souhaite-t-on pas ainsi diviser pour mieux régner ? En procédant à cette élection dans le cadre du département, on éviterait le charcutage électoral et on privilégierait le consensus.
La région ne peut tout faire, et notamment pas répondre à la demande de développement endogène des entreprises. Ainsi, pour la création de zones d'activités, la compétence économique doit être partagée entre tous les niveaux de collectivités, dont les départements. La région ne peut disposer seule des fonds européens, comme le propose la mission Belot. Il faut que l'État, garant de l'intérêt général, conserve un droit de regard sur cette affectation. (Approbations sur divers bancs)
M. Jean-Pierre Fourcade. - Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Défendons aussi l'État, la collectivité nationale...
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. - L'Alsace en fait partie ?
M. Jean-Pierre Chevènement. - Quant aux regroupements de régions ou de départements, c'est une boîte de Pandore propice à toutes les dérives plus ou moins ethnicistes que vous pourriez, monsieur le ministre, regretter d'avoir ouverte. Nos concitoyens corses l'avaient bien compris en 2003 en refusant la fusion des deux départements de l'île. Cet exemple pourrait s'appliquer à maintes autres situations.
M. le président. - Il vous reste peu de temps.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Toutes propositions du comité Balladur ne sont pas à rejeter. L'achèvement de la carte de l'intercommunalité, la fin des pays, la rationalisation des syndicats de communes sont des propositions de bon sens, comme le plafonnement des effectifs des exécutifs locaux et le projet d'un Grand Paris. (M. Philippe Dallier applaudit) Mais la réforme gagnerait à s'insérer dans le modèle républicain français, sans vouloir lui en substituer un autre. Elle ouvrirait ainsi la voie à un consensus qui est la condition même de son succès. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite, au centre et sur la plupart des bancs socialistes)
M. Jean Boyer. - Je remercie Hervé Maurey et Philippe Adnot, qui ont tenu compte du fait qu'il faut cinq heures pour aller de Paris en Haute-Loire...
Cette réforme républicaine, empreinte, à l'image du président du comité, de classe et de sagesse, sera, si elle reste en l'état, respectueuse de l'existant. Mais elle regarde aussi l'avenir avec sagesse et objectivité car, comme disait François Mitterrand, « Il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l'avenir ».
La priorité est d'éviter la dilution des compétences dévolues à chaque collectivité. La région et la commune semblent confortées, les pays épinglés, les départements, intouchables. La France compte 36 700 communes pour une moyenne européenne de 5 400. Elles sont l'incontournable structure de proximité voulue par les Français. Le maire ne doit pas devenir un officier d'état civil, un président d'association ou un policier : il est l'incarnation du lien social de proximité. Il doit rassembler par sa compétence, sa tolérance, son écoute, être non seulement bâtisseur mais élu social, répondre aux aspirations d'aujourd'hui. Un maire connaît les moindres recoins de sa commune, et a une vraie vision d'ensemble. Voulons-nous fonctionnariser plus encore la relation entre les collectivités et les citoyens ? Même les plus petites communes ont des kilomètres de voies communales, de chemins ruraux ou de lieux de vie à équiper : elles sont et doivent rester un service public dont on ne peut se passer. Dans ma petite commune de la France profonde, le maire est le dernier bastion au service des concitoyens. Oui, comprenons la France d'en bas ! Elle est nécessaire à la France tout court.
Les départements doivent conserver les compétences qui leur ont été confiées, avec des moyens adaptés, sans être victimes des décisions d'en haut. Le mot d'ordre doit être « simplification », car le mille-feuille administratif impose un véritable parcours du combattant pour réaliser le moindre projet. Pour une décentralisation cohérente et efficace, les représentants de l'État doivent pouvoir adapter les réformes aux réalités locales. Il faut un projet rassembleur, car les majorités changent mais la France demeure ! En 1961, le plus glorieux des Français a dit : « Il ne faut jamais regarder l'avenir avec les yeux du passé ». Regardons ensemble la France de demain. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Claude Peyronnet. - Faut-il réformer l'organisation territoriale de la France ? Oui, dans une certaine mesure. Y a-t-il urgence à le faire ? Sûrement pas. La seule priorité du moment doit être de lutter contre la crise économique et sociale : c'est d'abord dans ce domaine que les Français attendent innovation, dynamisme et inventivité.
En outre, le système mis en place par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre a fait la preuve de son efficacité, face à une France menacée d'apoplexie par l'hypertrophie parisienne. Qui dirait que ce ne fut pas une réussite ? Chaque fois que l'État a confié une mission aux collectivités, celles-ci l'ont exercée bien mieux et à coût bien moindre, n'en déplaise aux pourfendeurs d'une prétendue gabegie ! Efficacité, tel était l'objectif, et lisibilité si possible, mais ce qu'attendent nos concitoyens, c'est avant tout un service bien fait. Si leurs ordures sont ramassées et à un coût raisonnable, ils ne cherchent pas à savoir qui finance quoi !
M. Dominique Braye. - Absolument.
M. Jean-Claude Peyronnet. - L'important est que ça marche. Le citoyen peut toujours demander des comptes, mais la majorité des Français sont fort satisfaits du service rendu. Nous ne sommes pas à Naples ! Quant aux compétences transférées, qui peut prétendre que l'État ferait mieux ? De grâce, ne cassons pas un tel outil !
La réforme ne s'explique que par les arrière-pensées politiques qui y président : le Chef de l'état souhaitait modifier le système avant 2011 pour en tirer un bénéfice électoral. (M. Dominique Braye s'exclame) Sagement, le comité Balladur a renvoyé l'essentiel à 2014, laissant le temps de la réflexion. Notre mission a décidé de donner du temps au temps, d'examiner sereinement, après de très larges auditions, les conditions d'une éventuelle adaptation de notre organisation territoriale, en recherchant autant que possible le consensus.
Reste un point de divergence majeur : l'absorption-fusion des départements et des régions par un système électoral confus, inadapté et dangereux, qui supprime le scrutin uninominal pour les conseils généraux, pourtant consubstantiel à leur mission de proximité, et cantonalise le scrutin régional, alors que la région doit au contraire s'éloigner des contingences triviales pour définir les grandes orientations de long terme.
M. Jean-Jacques Hyest. - Très bien.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Le seul élu au scrutin uninominal direct serait le député, qui se trouverait en compétition de coupage de ruban et de repas du troisième âge avec une dizaine de conseillers territoriaux... Si c'est tout ce qu'on a trouvé pour lutter contre l'absentéisme à l'Assemblée, c'est raté !
En fait, malgré la qualité de son président, le rapport Balladur est entaché d'un vague parisianisme, avatar d'une pensée toute faite et d'un manque d'expérience de terrain qui l'éloigne des réalités. Et les réalités, c'est le poids de l'histoire et de la géographie.
On connaît le processus historique qui a conduit à l'État centralisé, des Capétiens à Napoléon, de l'instituteur prêchant l'unité guerrière au massacre de 1914 qui parachève un nationalisme apparemment uniforme. Des nuances demeurent, mais les différences culturelles interrégionales sont loin de celles qui opposent les Catalans aux Sévillans, les Lombards aux Calabrais, les Bavarois aux Prussiens, ou les Anglais aux Écossais ! Nos régions sont pour la plupart artificielles. Celles de nos voisins, anciennes principautés, républiques ou monarchies, ont une identité profonde. Leurs grandes villes ont un passé de capitale, centre administratif et politique pendant des siècles, centre économique régional, centre de rayonnement intellectuel international.
Négliger ces réalités aboutit à de petits crimes contre l'histoire qui conduisent à colporter des idées fausses.
Première idée fausse : celle que la taille fait la puissance. On décompte les Lombards et on regroupe les régions pour atteindre une prétendue taille critique. Mais ce regroupement ne change rien à l'espace à gérer, à l'absence de réseau urbain, à l'éclatement de la vie économique et surtout au poids de la capitale, accentué par le TGV !
Deuxième idée fausse : celle des vertus du statut, qui suffirait à doter les métropoles de puissance et rayonnement. Mais la puissance, c'est d'abord l'économie, l'attractivité liée à la puissance financière et au nombre de sièges sociaux ! Nous avons cinq ou six grandes métropoles en France. En quoi la compétence d'action sociale et de sécurité civile va-t-elle les renforcer dans la compétition européenne ? Il leur faut une réelle marge de manoeuvre, des moyens économiques, par contrat volontaire ou convention avec le département ou la région. Plutôt que d'imposer, M. Balladur, lorsqu'il a déposé devant nous, a paru s'orienter désormais vers la solution du contrat négocié.
Troisième idée fausse : la suppression d'un niveau comme gage d'efficacité et d'économie. Outre qu'il ne faut pas jouer avec le sentiment anti-élu, la suppression de 2 000 édiles territoriaux permettrait une économie de 30 millions, soit 0,03 % des 91 milliards de dépenses des départements et régions !
Quant au prétendu mille-feuille, il se retrouve partout en Europe, et le comité Balladur ajoute une feuille avec les métropoles qui exerceraient toutes les compétences des conseils généraux. Belle simplification !
Au demeurant, je prétends que cette construction aboutirait à une France paralysée et à une pagaille généralisée. De quoi s'agit-il ? Le comité Balladur a bien identifié le réel problème, celui du nombre très élevé de communes. Après l'hommage rituel aux vertus des élus locaux et au lieu de chercher à faire de cette situation une chance, nos grands sages s'orientent vers une suppression de l'échelon communal.
M. Dominique Braye. - Mais non !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Il s'agit bien de cela avec les « métropoles », puis les agglomérations, puis toutes les communautés regroupées qui deviendraient des « communes nouvelles » élues selon le système PLM, dirigées par un super-conseil communautaire, lui-même présidé par un super-maire et ne gardant guère comme compétence que l'état civil et la police -missions régaliennes- et la délivrance des permis de construire, sur la base d'un règlement d'urbanisme défini par la « commune nouvelle ».
Et pour faire bonne mesure, après l'hommage au travail des départements, le comité les supprime à petit feu en transférant toutes leurs compétences aux métropoles, puis aux agglomérations qui voudraient avoir le même statut particulier et pourquoi pas ensuite à toutes les communautés. Le système qui ferait du département une simple division administrative de la région dont il serait l'exécutant et qui ne garantirait aucune cohérence dans un espace vaste mêlant urbain et rural, qui s'établirait forcément sur la compétition généralisée, qui supprimerait de fait la péréquation et l'équilibre des territoires que les départements sont les seuls à assurer tant bien que mal, serait une régression. Qui ne voit d'ailleurs qu'il serait à peu près inapplicable car étalé sur dix ou vingt ans, ce qui en attendant la mort des départements rendrait la vie administrative de nos concitoyens tellement éclatée qu'elle serait impossible. Beaucoup plus sagement, notre mission préconise une reconnaissance du fait métropolitain, en le limitant en nombre et en attribuant des compétences négociées par voie contractuelle.
Qui est le plus réformateur ? Celui qui préconise un bouleversement cataclysmique ou celui qui, partant des réalités profondes, s'accommode des contraintes et propose des retouches ? Nous en sommes au rapport d'étape. Autrement dit, à notre rythme, la réflexion se poursuit entre nous, entre les composantes politiques de notre assemblée, mais aussi sûrement à l'intérieur même de ces composantes. A gauche, au parti socialiste en tout cas, nous avons sûrement à approfondir nos positions sur le mode d'élection départemental, comme sur le rôle des métropoles. Et nous avons tous à clarifier nos idées sur ce qui est sans doute l'essentiel, à savoir la réforme fiscale. A droite, vous avez à gérer le mode d'élection fusionné des conseillers territoriaux et ses conséquences. J'ai cru comprendre que cela faisait débat chez vous puisque c'est un élément du processus de disparition du département. Sachez en tout cas que son adoption constituerait pour nous un point de rupture.
Notre mission a fait un bon travail. Elle réaffirme les principes de libre administration des collectivités territoriales et, par voie de conséquence, l'interdiction d'une tutelle de l'une sur l'autre. Elle a défini de façon claire les missions des départements et des régions. Elle sauvegarde les communes tout en favorisant l'intercommunalité. Elle rejette le principe de l'impôt unique dédié à une collectivité. Elle conserve un impôt ménage rénové et un impôt lié à l'activité économique sur des entreprises bien implantées dans les territoires. Elle préserve la clause générale de compétence, qui est le fondement même de leur liberté, aux différents niveaux de collectivités.
J'ai bien conscience que, par delà les grands principes qui peuvent être consensuels, le travail sera plus ardu lorsque nous entrerons dans le détail. Mais jusque là notre mission a fait un travail réaliste, apte à améliorer le fonctionnement de la France décentralisée.
Certes, quelques points mériteraient d'être amendés. Ainsi, l'idée de compétence exclusive qui débouche sur la tutelle serait-elle avantageusement remplacée par celle de compétence obligatoire. Malgré tout le groupe socialiste se retrouve de façon largement majoritaire dans l'essentiel de ces propositions.
Je terminerai en citant un orateur que j'aime beaucoup, François Mitterrand. A Montpellier en juin 1985, il parlait de ses anciennes fonctions à l'assemblée départementale : « Je suis resté, je vous l'ai dit, très attaché à ces fonctions. Ma carrière de président du conseil général a été brisée en 1981, d'une certaine façon... Je ne veux pas faire de coquetterie, mais vraiment j'ai ressenti comme une sorte de manque. Maintenant quand je vais dans mon département j'y suis invité et j'y vais souvent, ça m'est quelquefois pénible car ces fonctions de président du conseil général sont celles qu'il m'a été le plus pénible de quitter : c'était 250 000 habitants et ces 250 000 personnes, on peut dire que je les connaissais, je savais comment elles étaient, je savais comment étaient leurs parents, je savais comment réagissaient leurs enfants. On avait un compagnonnage de vie » (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Adnot. - Excusez-moi d'être lapidaire mais j'irai à l'essentiel car l'heure est grave. Les réformes envisagées ne le sont pas toujours pour de bonnes raisons. Elles le sont par dogmatisme, les choix étant annoncés avant l'analyse. On nous annonce que seules l'intercommunalité et la région auraient un avenir et que les couples étaient formés. Pour moi l'intercommunalité est le prolongement de la commune. Je pense que le réel acteur de solidarité avec la commune, c'est le département et qu'il faut un couple commune-département comme il faut un couple région-État, ce qu'illustrent les contrats de plan existants.
On dénonce bien facilement les coûts, la complexité, les financements croisés. C'est là le fruit d'une véritable défiance à l'égard des élus et des collectivités locales ! L'application des propositions du comité Balladur augmenterait les dépenses publiques. Cela coûtera cher de remplacer le bénévolat des conseillers municipaux des petites communes ! Cela coûtera cher de doubler les structures puisqu'il faudra conserver une structure pour le social dans les métropoles et une autre structure dans les autres communes. L'éloignement des centres de décision, avec la recentralisation dans les départements sièges de région, nuira à l'efficacité. L'initiative sera sclérosée par le manque d'identification aux territoires et par la perte de la clause de compétence générale des départements et des régions.
Je m'opposerai donc, et nous serons nombreux à le faire, à la relégation des communes au rang de personnalités morales. Je m'opposerai à la perte de la compétence générale pour les départements et les communes, parce que c'est un facteur d'initiative, de solidarité et d'optimisation. Qui, sans cette compétence, aurait construit notre centre sportif départemental, notre université et notre technopole ? C'est un outil de solidarité car toutes les intercommunalités n'ont pas la même richesse. Qui réaliserait notre zone d'activités départementale ?
Je m'opposerai à la proportionnelle mixant conseil général et conseil régional et faisant des conseillers généraux des élus de seconde zone. Je m'opposerai à l'étouffement programmé des communes et des départements.
Mais je ne suis pas du tout opposé à certaines bonnes réformes. Le rapport Balladur, curieusement, au lieu de partir d'objectifs, part de la fiscalité ! La bonne méthode consiste à partir d'objectifs partagés. Je suis pour le meilleur rapport qualité/prix dans la proximité. Je suis pour la pratique de la subsidiarité. Je suis pour le droit à l'initiative et à la libre administration.
A partir de ces principes, l'intercommunalité peut être bonne si elle est de projets et si elle n'a pas de sur-financement de DGF, que je propose de remplacer par des dotations d'équipements structurants porteurs d'économies futures. Je suis pour une intercommunalité qui prolongerait la commune - et non l'inverse.
Il est possible de réformer l'élection des conseillers généraux en redessinant les cantons dans le respect d'un équilibre hommes/territoires. Nous pouvons conserver le système uninominal en milieu rural et permettre une élection proportionnelle en agglomération. Et qu'on ne nous dise pas que c'est inconstitutionnel alors qu'on nous propose, pour les intercommunalités, des désignations à la proportionnelle jusqu'à 3 500 habitants et le scrutin uninominal en dessous de ce seuil.
Il est possible de supprimer les financements croisés s'ils sont obligatoires tout en maintenant ceux qui sont volontaires : à notre projet d'université ont contribué l'État, la région, l'agglomération, les fonds européens et même le conseil régional d'Ile-de-France. Ceux qui pensent que c'est compliqué ignorent l'existence des nouvelles technologies, lesquelles permettent de mettre rapidement toutes les données à disposition des communes. Nul besoin d'un texte de loi pour faire des choses intelligentes !
Il est possible de mettre en place une fiscalité locale intéressante, encadrée par un plancher et un plafond. En effet, l'autonomie est indispensable, mais ceux qui ont voulu trop taxer l'habitation ou trop taxer les professionnels ont nui au système. Il n'y a pas lieu selon moi de spécialiser l'impôt à outrance, et que l'on ne prétende pas que l'avis d'imposition est complexe, car y figurent la liste des collectivités et l'évolution des taux. En revanche, comment s'y retrouver, lorsque l'on veut comprendre la hausse de la TIPP ou connaître la part de taxe sur les contrats d'assurances (TSCA) qui va à telle collectivité ? La vignette était un bon impôt local, car il correspondait à un seul usage.
Ne nous divisons pas sur l'accessoire, rassemblons-nous sur l'essentiel, afin de progresser. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs UMP)
Mme Marie-France Beaufils. - Les collectivités territoriales répondent à de multiples besoins ; en cette période de crise, elles jouent plus encore un rôle d'amortisseur, pour une population durement touchée. Pourtant, leurs capacités d'intervention diminuent au fil des années, les compétences transférées n'étant pas complètement compensées. L'autonomie financière inscrite dans la Constitution est mise à mal. Pour remplir leurs missions, les collectivités ont besoin de ressources pérennes. C'était la base du contrat de croissance et de solidarité. Mais la loi de finances pour 2009 y a mis fin. Le remboursement de la TVA a été inclus dans l'enveloppe normée ; la taxe professionnelle a été bloquée à 3,5 % de la valeur ajoutée, supprimée sur les nouveaux investissements ; et sa disparition totale est à présent programmée par le Président de la République. L'asphyxie des finances locales est inacceptable.
Le Président de la République lui-même reconnaît la portée des interventions des collectivités, si l'on en juge par le plan de relance... Et 73 % des investissements publics, 46 milliards d'euros, cela n'est pas négligeable. Une réforme doit être fondée sur des principes clairs, selon le rôle que l'on attribue aux collectivités. A nos yeux, leur action doit contribuer à la réduction des inégalités, entre les populations, entre les territoires. Vous nous parlez de gaspillage, de dépenses inutiles, de manque de transparence. Tout cela pour préparer les esprits à des changements... Mais s'agissant des financements croisés, si pour réaliser un équipement un maire ou un président d'EPCI fait appel au conseil général ou régional, c'est par manque de ressources. La collectivité sollicitée fait ensuite ses choix. C'est du reste l'État qui est à la source de nombreux financements croisés, je songe aux universités, pour lesquelles il s'est tourné vers les conseils généraux et régionaux, ou, tout récemment, à la ligne de TGV Aquitaine.
Redéfinir les compétences et les ressources associées, bien sûr, mais pas en imposant, comme le suggère le comité Balladur, un objectif national d'évolution de la dépense locale. Les collectivités deviendraient alors des prestataires chargées d'appliquer les politiques décidées par le Gouvernement.
Nous ne sommes pas d'accord pour réduire à n'importe quel prix les dépenses publiques et transférer les services publics au privé, limitant le nombre des usagers à ceux qui peuvent payer. Vous culpabilisez les collectivités au nom des critères de Maastricht alors qu'elles gèrent leur budget dans un parfait équilibre ; vous les accusez d'aggraver le déficit public alors que les milliards accordés aux banques, les allégements fiscaux sur les plus hauts revenus et les réductions des charges sociales mettent à mal le budget de l'État. Ces choix sont catastrophiques pour l'avenir.
Nous ne disons pas que tout doit rester en l'état. Nous avons déposé une proposition de loi pour moderniser, et non supprimer, la taxe professionnelle. Nous voulons maintenir le lien direct entre l'entreprise et son lieu d'implantation. Les infrastructures, les dépenses d'éducation, sociales ou culturelles déterminent la qualité de vie des salariés. La participation financière des entreprises au sein de la collectivité doit être maintenue. Nous voulons pour notre part rendre la taxe plus équitable. M. Jean-Paul Delevoye lui-même affirmait il y a quelques années : « L'économie est devenue principalement aujourd'hui une économie de services et d'activité financière. Or, cette sphère est notoirement sous-fiscalisée ». En 2004, la taxe professionnelle pesait 1,7 % de la valeur ajoutée des activités financières, contre 5,6 % pour le secteur énergie. Les actifs financiers des grandes entreprises représentaient, en 2006, vingt fois les budgets des collectivités locales, deux fois le PIB. Les entreprises du CAC 40 ont dégagé 75 milliards d'euros de bénéfices en 2008. Une taxe de 0,5 % ne les ruinerait pas, elle permettrait de faire contribuer davantage les entreprises les plus riches plutôt que les PME et les artisans. Cette nouvelle ressource alimenterait un fonds de péréquation national. Elle serait le moteur d'une péréquation régénérée. La pression fiscale sur les ménages serait allégée. L'impôt est un outil de justice et de solidarité. Si l'on doit réformer, c'est pour mieux répondre aux besoins de la population. Heureusement nous avons encore un peu de temps pour travailler sur ces questions au sein de la mission. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)
M. Gérard Longuet. - C'est un bonheur de pouvoir remercier M. Belot pour le travail qu'il a animé. Après 30 longues années de mandat local, ce fut aussi une vraie chance que de participer aux réflexions du comité Balladur. La compréhension des collectivités que manifeste M. Belot, comme la stratégie de réforme qu'il privilégie, sont prometteuses. Les collectivités sont responsables d'une dépense publique importante : 11 % du PIB ; mais elles produisent aussi de l'offre territoriale, sans laquelle il n'y aurait ni logements, ni activité commerciale ou industrielle, de la fluidité territoriale et de la cohésion sociale.
Je me réjouis de la convergence de vues entre la mission du Sénat et le comité Balladur et de la recherche de consensus qui a prévalu. En effet, sans consensus, nous ne pourrions toucher à quoi que ce soit concernant les collectivités territoriales. A M. Adnot, je veux aussi préciser que la compréhension réciproque et la recherche de consensus ne signifient pas robinet d'eau tiède !
Nous avons un devoir de réforme. Il serait facile de ne rien faire. Mais ce serait trahir les communes qui apportent tant au pays par leur mobilisation. On peut être Girondin et estimer que la République est un projet collectif, mais rien n'est possible sans mobilisation des élus. Dans une société où les égoïsmes l'emportent, les collectivités reconstruisent au prix de gros efforts, le tissu social de la solidarité. Elles sont disponibles et faciles d'accès, comme ne le sont plus nos administrations d'État.
Quelques mots pour comparer les travaux de la mission et ceux du comité Balladur. Il y a des points sur lesquels l'accord est total. L'intercommunalité : le comité en demande la généralisation, la mission veut en faire un impératif.
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - Il faudra aussi traiter le problème de la consolidation des délégations, et ne déconsolider que dans des cas exceptionnels. Sur les métropoles, malgré le respect que j'ai pour le comité et l'affection que je porte à M. Balladur, je trouve la solution de la mission meilleure ; ses métropoles sont moins nombreuses, plus importantes et ses propositions plus prudentes parce que moins contraignantes. En réalité, il faudra l'être... Les préconisations 8 et 9 devront mieux préciser les délégations qui fonderont la métropole, car il est des responsabilités qu'il faut prendre pour que l'ensemble réussisse et tienne son rang. Il est plus réaliste de commencer avec moins de candidats et de renoncer à affronter directement la réalité communale.
Sur les fusions, je partage le sentiment de la mission : dès lors qu'on n'impose rien, tout est possible.
M. Roland du Luart. - C'est vrai !
M. Gérard Longuet. - Les collectivités seront plus allantes si on leur donne la liberté de faire plutôt que l'obligation de subir. Tout cela se construit, non pas seulement en fonction de considérations financières -le développement de l'intercommunalité a coûté fort cher- mais aussi autour de projets communs et d'ambitions communes. L'excellence de la formation professionnelle peut être un de ces projets susceptibles de mobiliser nos compatriotes. Je laisserai Mme Michaux-Chevry parler de l'outre-mer pour en venir au Grand Paris. Et je dis à mes collègues socialistes : soyez à la hauteur de vos grands prédécesseurs ! Le hasard veut que je porte le nom de Jean Longuet, qui a fait que la SFIO, au Congrès de Tours, reste dans la famille socialiste ; maire de Chatenay-Malabry, il a créé les cités-jardins et lancé l'idée du Grand Paris. Mes chers collègues, vous gérez de nombreux départements et la ville de Paris, soyez courageux, ne vous contentez pas d'un syndicat d'études ! S'il n'est jamais inutile de réfléchir, il y a un moment où il faut décider. La région parisienne perd du terrain, que ceux qui sont en responsabilité se montrent à la hauteur de leurs grands anciens.
Certains sujets méritent en revanche d'être approfondis, autour desquels la mission a tourné sans choisir ni trancher. La clause de compétence générale est symbolique, certes, trop symbolique. Le suffrage universel ne confère pas obligatoirement la compétence générale à la collectivité qui en bénéficie. Acceptons donc avec courage cette idée simple : la compétence générale à la commune, c'est le noyau de base, et la spécialisation aux autres, ce qui évitera surenchères et compétitions sources de gaspillages.
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - Nous avons voté dans l'enthousiasme l'autonomie financière des collectivités territoriales, dont le contenu -des impôts dont le taux et l'assiette sont déterminés par elles- mérite cependant d'être réexaminé. A l'heure où on vit dans une commune, où on travaille dans une seconde et dépense dans une troisième, quel sens a cette conception de l'autonomie ? (MM. Charles Revet et Dominique Braye approuvent) Il faut mutualiser, comme le font les Allemands, non pour les copier mais pour tenir compte de la réalité : nos compatriotes nous imposent des dépenses incompatibles avec cette segmentation.
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - Le cas de la taxe professionnelle est à cet égard éclairant...
Dernier point. J'ai été longtemps conseiller général et conseiller régional ; l'idée du conseiller territorial mérite d'être approfondie. On voit des patrons qui ont fait leurs preuves à la tête d'une entreprise mettre leurs talents au service de la holding... Le conseiller général est un gestionnaire au quotidien ; pourquoi cependant le priver d'une réflexion de plus grande profondeur au sein du conseil régional ? La mission a encore trois mois pour se faire une religion, mais qu'elle songe à ceci : un seul élu pour la proximité, commune et intercommunalité ; un seul élu pour le territoire, département et région. La République serait plus simple et plus mobilisatrice au service de la réussite collective. (Vifs applaudissements à droite)
M. Bruno Retailleau. - Je ne traiterai faute de temps que de la clause de compétence générale, sujet tout à fait essentiel. Il est vrai que nous sommes les héritiers d'une tradition, que la France est un État unitaire, que l'obsession de l'unité a été partagée par les Capétiens, l'Empire et la République. Mais c'est dans cet État très centralisé, très jacobin, qu'a été inventée cette réponse à la diversité des territoires qu'est la clause de compétence générale, en 1871 pour les départements et en 1884 pour les communes. Peut-on gérer la Vendée comme la Haute-Savoie ou les Hauts-de-Seine ? A situations diverses, réponses diverses. Si M. Mauroy avait, en 1982, prévu une liste limitative de compétences pour les départements, comment aurait-on pu faire face au désenclavement numérique ? Le numérique alors n'existait pas...
Contrairement à ce que certains imaginent, remettre en cause la clause de compétence générale pour les départements et les régions, c'est remettre en question la décentralisation. Il y a certes la décentralisation administrative : on dresse une liste de compétences, l'État transfère et les collectivités territoriales exécutent les compétences transférées. Et puis il y a une décentralisation plus aboutie, plus politique aussi, qui donne davantage de liberté aux collectivités ; sans cette liberté, l'intérêt départemental et l'intérêt régional ne peuvent être pris en compte tandis que la commune se charge de l'intérêt local et l'État de l'intérêt national. Nier la clause de compétence générale, c'est nier l'existence d'un intérêt territorial intermédiaire. Ce qui différencie les EPCI des collectivités territoriales, c'est le principe de spécialité pour les premiers et la clause de compétence générale pour les secondes ; on lit d'ailleurs page 131 du rapport de la mission que transposer cette clause aux premiers serait les élever au rang des secondes.
Nous avons voté en 2003 une loi constitutionnelle ; désormais, la République est décentralisée et cette mention est faite à l'article premier de la Constitution, ce qui n'est pas rien, c'est du lourd comme on dit. Dans les débats comme dans l'exposé des motifs, le lecteur est convié à se reporter à l'article 72, où il est question de la libre administration et du principe de subsidiarité. Il n'existe pas de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet, mais une du Conseil d'État que j'invite mes collègues à consulter. Mais pour moi, le débat n'est pas juridique mais politique. Faire disparaître la clause de compétence générale, c'est faire reculer la décentralisation : comment interdire à une assemblée d'élus au suffrage universel de tenter de régler un problème lorsqu'il se pose ? J'ai vécu la catastrophe de l'Erika, une énorme marée noire, un vrai drame pour les amoureux du littoral ; heureusement qu'il y avait la clause de compétence générale ! En cas de problème, que veulent les citoyens, sinon qu'on apporte des solutions ?
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. Bruno Retailleau. - Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Longuet, rien ne se fera sans consensus. Les trois grands inspirateurs de la décentralisation MM. Mauroy, Chevènement et Raffarin l'ont dit tous trois lors de leur audition : la clause de compétence générale est constitutive des collectivités territoriales.
Je ne nie pas qu'il y ait des enjeux économiques et qu'il faille clarifier les choses. Mais une réforme n'est pas seulement un exercice de géométrie, il y faut du sentiment.
Nous avons tous commencés notre vie d'élus dans des communes. Même le mot « civisme » vient de la cité !
Cette réforme doit bien sûr traiter les périmètres et les outils de gestion, mais la démocratie locale s'apprend dans la commune, véritable creuset du vivre ensemble ! Ne négligeons pas cet espace d'attachement, parfois viscéral. Nous devons prendre en compte cette réalité, car le pouvoir vivre ensemble s'apprend dans les petites collectivités locales, pour s'épanouir dans la communauté nationale et au-delà.
La clause générale de compétences est indispensable à nos collectivités territoriales et à la décentralisation ! (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)
M. Pierre Mauroy. - Notre discussion prouve que le débat démocratique est bien vivant, puisque pas moins de trois missions et comités se réunissent depuis des mois pour envisager l'avenir des collectivités territoriales : la mission créée par le président du Sénat, la mission d'information créée par la commission des lois de l'Assemblée nationale et présidée par M. Warsmann et enfin le comité Balladur, auquel j'ai participé et qui vient de remettre son rapport au Président de la République. S'ajoutent les travaux des partis politiques.
L'intérêt porté à notre organisation administrative territoriale atteste la nécessité d'approfondir la décentralisation, une trentaine d'années après les lois de 1982 et 1983, qui avaient bénéficié d'une large approbation, mais qui avaient également suscité de fortes oppositions. C'est pourquoi André Vallini et moi-même avons accepté de participer au comité Balladur.
Les rapports disponibles montrent que des sensibilités diverses existent, bien qu'un consensus se soit dégagé pour certains sujets, comme l'élection des conseils communautaires au suffrage universel direct, l'achèvement de l'intercommunalité, l'éventuelle regroupement volontaire de départements et de régions, enfin l'émergence de grandes métropoles.
Mon intervention portera sur les travaux du comité présidé par M. Balladur, sans que j'aie l'intention de me livrer à l'analyse comparée des positions.
Les débats ont été marqués par une volonté de consensus qui me plaît beaucoup, car cet état d'esprit m'a inspiré pour diriger Lille pendant une trentaine d'années, et pour animer la communauté urbaine pendant vingt ans. Certains, qui n'étaient pas totalement d'accord au départ ont pu se retrouver en chemin sur certains points, alors que leurs points de vue s'opposaient farouchement sur d'autres sujets.
Avec André Vallini, j'ai approuvé seize des vingt suggestions du comité. J'étais d'accord avec M. Balladur pour exclure tout vote global, qui n'aurait guère eu de signification au sein d'un comité de personnalités nommées par le Président de la République.
J'ai approuvé ce qui prolongeait l'action conduite depuis 30 ans. A contrario, nous avons refusé ce qui s'en éloignait, comme la proposition n°3 du comité Balladur, proposant d'élire les conseillers régionaux et départementaux sur une liste unique, au scrutin proportionnel, avec des circonscriptions infra départementales. Les cantons actuels auraient donc cédé la place à des circonscriptions plus grandes pour l'élection de « conseillers territoriaux ». D'où vient cette idée ? Jamais des élus locaux n'ont suggéré pareille bizarrerie, qui n'est d'ailleurs pas apparue lors des premiers mois de travaux. En fait, cette idée singulière vient de l'Assemblée nationale.
Ce système hybride n'est envisagé dans aucun rapport. Il ne figure pas dans le rapport d'étape de la mission sénatoriale, qui souhaite seulement à juste titre l'élection simultanée de tous les conseillers généraux pour six ans. Le rapport Warsmann est muet sur cette question.
Je m'oppose totalement à ce big-bang, pour reprendre l'expression utilisée par une délégation de députés UMP !
Nous avons tous entendu à de nombreuses reprises des paroles très aimables sur les élus locaux, ces 500 000 poilus qui défendent la République, parfois bénévolement malgré l'amélioration de leur statut. Et voilà que cette idée bizarre organise le mélange des genres, sans aucun avantage ni pour les régions, ni pour les départements. Le découpage électoral contrarierait l'émergence de grandes régions capables d'exister à l'échelle européenne.
Ces deux assemblées locales ont des histoires, des coutumes et des façons de travailler totalement différente. Leurs compétences sont distinctes. Leurs élections doivent l'être également ! Cette distinction est un fondement de la République. Depuis sa création par la révolution française, le département a bien évolué. Le conseil général travaille aujourd'hui de façon pragmatique au bien-être de la population. Institutions récentes, les régions ont fait preuve d'un grand dynamisme pour prendre en charge l'avenir. A cette fin, elles sont devenues des interlocuteurs privilégiés pour l'État, voire pour l'Europe. Ces collectivités sont différentes et complémentaires.
Or, une campagne de dénigrement conduite dans la presse accable les élus locaux, accusés de tous les maux. Certes, il y a des réformes à faire, mais comment peut-on prétendre que les élus se gênent mutuellement et dépensent trop ?
Si l'on veut un big-bang, je comprends que l'on orchestre une campagne, mais celle-ci n'est pas à la hauteur des combats exemplaires menés par 500 000 élus que la République devrait honorer ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs de la commission. M. Jacques Blanc applaudit également) Le «mille-feuille» ? L'expérience prouve que départements et régions trouvent des accommodements. Pour mener une telle campagne, il faut avoir des intentions autres que celle de mélanger gentiment l'élection des conseillers généraux et des conseillers régionaux. Je n'ose imaginer ce que l'on a en tête, mais nous le saurons par la suite. Certains, j'ignore qui,...
M. Jean-Marc Todeschini. - Mais non !
M. Pierre Mauroy. - ...ont des intentions cachées. Nous savons au moins que l'idée provient du groupe majoritaire à l'Assemblée nationale.
Pour l'élection des conseillers généraux et régionaux, je propose avec André Vallini d'utiliser la loi sur les élections municipales, qui sert déjà pour les élections régionales. Tout le monde a accepté un dispositif qui a prouvé ses qualités.
Pourquoi ne pas l'appliquer au niveau du département ? (Mme Dominique Voynet applaudit) Ce système a le mérite de combiner les avantages des modes de scrutin proportionnel et uninominal. Il prévoit une prime majoritaire, permet au parti arrivé en tête de nouer des alliances et garantit le respect de la parité, malaisé dans le mode de scrutin uninominal. Afin que les conseillers généraux restent proches de leurs électeurs, une loi électorale -non politicienne- délimitera un certain nombre de circonscriptions dans les départements les plus importants -nous l'avons déjà fait lorsque la proportionnelle fut instituée au niveau national- ou dans les situations particulières, par exemple en montagne.
A cela le comité a préféré un « big-bang » qui suscite des réticences jusque dans les rangs de la majorité. Nul n'avait jamais parlé d'une telle réforme. Pourquoi cette idée vient-elle seulement d'apparaître ? Poser la question, c'est peut-être déjà y répondre...
M. Vallini et moi-même avons également désapprouvé les conclusions du comité sur les finances locales, parce que cette question n'avait pas été abordée dans sa globalité. Nous nous sommes montrés favorables à l'idée de réviser les bases foncières des impôts directs tous les six ans : deux gouvernements y ont échoué après y avoir consacré beaucoup de temps et d'argent, mais il n'y a pas d'égalité ou de peréquation possibles sans cela.
Quant à la taxe professionnelle, nous avons appris sa disparition de la bouche du Président de la République le 1er janvier dernier : drôle de cadeau de nouvelle année... Mais il n'a pas dit par quoi il entendait la remplacer. Deux comités ont été chargés de réfléchir à cette question, sans résultats. Pourtant la taxe professionnelle est l'impôt qui a permis aux communautés urbaines de se développer depuis vingt ans ! C'est un impôt progressif, économiquement efficace et qui a rendu de très grands services. Les entreprises se réjouissent de sa suppression, mais elles auront bien plus de mal alors à s'implanter dans les régions et les départements, car on a assisté à une formidable coopération entre elles et les collectivités à ce sujet.
La suppression de la taxe professionnelle n'est envisageable que si trois conditions sont réunies : le montant des ressources des collectivités doit être garanti par une autre recette fiscale dynamique ; le lien fiscal entre les entreprises et le territoire où elles sont implantées doit être maintenu ; la réforme de la fiscalité doit être globale. Mettons-nous au travail plutôt que d'annoncer de but en blanc des réformes hasardeuses !
Nous n'avons pas approuvé non plus -d'accord en cela avec la mission sénatoriale- la proposition 11 du rapport Balladur qui retire aux départements et aux régions la clause de compétence générale afin de limiter les financements croisés. Comme l'a dit mon prédécesseur à cette tribune, la clause de compétence générale est conforme à l'esprit même de la décentralisation ! Celle-ci consiste à considérer que les collectivités ne sont pas seulement chargées d'appliquer des lois et des règlements, mais qu'elles ont la liberté de rêver et d'inventer en fonction des particularités de chacune.
M. le président. - Ayant la charge d'assurer la péréquation du temps de parole, je vous prie de conclure, monsieur le Premier ministre.
M. Pierre Mauroy. - J'en termine. Les collectivités doivent pouvoir répondre à tous les niveaux aux mutations économiques et sociales et aux besoins des populations. L'État, qui est leur censeur, devrait lui-même se corriger et cesser de leur imposer sans arrêt de nouvelles missions pour faire réussir ses projets !
Nous reconnaissons toutefois qu'il faut limiter les financements croisés, et nous avons formulé certaines propositions en ce sens dans notre rapport annexe.
Je réclame depuis des années la création de grandes métropoles faisant suite aux communautés urbaines. Je regrette seulement que la commission Balladur ne soit pas allée assez loin : elle a proposé la création de 11 métropoles quand il en faudrait 20 ou 25 pour prendre en compte l'urbanisation de notre pays au cours des 40 dernières années et engager enfin la « métropolisation » de la France. Celle-ci est absolument nécessaire pour permettre le regroupement de nos 36 000 communes, car c'est là que se situe l'anomalie ! Monsieur Chevènement, l'intercommunalité fut un immense succès. On pourrait d'ailleurs envisager de regrouper des villages et de petites villes autour de « métropoles », si j'ose m'exprimer ainsi : j'ai grandi près de Cateau-Cambrésis, une petite ville qui est la véritable métropole d'un secteur qui s'étend à plus de vingt kilomètres à la ronde ! Profitons du très beau réseau de communes dont nous disposons. Le regroupement prendra peut-être des années, mais il faut s'y atteler dès maintenant.
En revanche, je suis formellement opposé à ce que les communes membres des métropoles deviennent de simples personnes morales, comme le propose le rapport Balladur. Certaines d'entre elles sont de grandes villes, chargées d'histoire : il serait dégradant pour elles de ne plus être considérées comme des collectivités de plein exercice. La « métropolisation » ne doit pas humilier les communes mais les promouvoir !
J'en viens au cas de Paris. (Marques d'impatience à droite) Ni les élus parisiens, ni M. Blanc n'ont pour l'instant formulé de propositions claires. Ils devraient le faire bientôt : il sera temps alors de revenir sur cette question. Mais nous en tenir au statu quo serait tourner le dos à l'avenir.
M. Vallini et moi-même avons donc approuvé seize propositions du comité et en avons rejeté quatre, dont deux nous paraissaient particulièrement inopportunes. Nous avons refusé un vote global et la rédaction d'une proposition de loi : il appartiendra au Parlement d'y travailler.
J'apporterai tout mon concours à cette réforme, car l'approfondissement de la décentralisation et de la régionalisation est fondamentale à mes yeux et constitue un véritable défi à relever pour bâtir la France du XXIe siècle. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Hervé Maurey. - Je tiens tout d'abord à féliciter le président, les vice-présidents et les rapporteurs de notre mission qui nous ont permis de mener un travail approfondi dans un esprit de respect mutuel. Je regrette seulement que le Sénat n'ait pas élaboré son propre projet avant la commission Balladur : cela aurait été conforme à sa vocation, souvent réaffirmée par M. le président du Sénat. Je suis sûr que les prochaines semaines nous permettront de nous rattraper.
Plusieurs propositions très intéressantes figurent d'ailleurs dans le rapport d'étape, touchant à des sujets qui n'ont guère été abordés par la commission Balladur.
Il s'agit du périmètre des intercommunalités et de leurs compétences. J'étais vendredi dans un canton partagé entre deux intercommunalités, dont l'une a la compétence voirie mais pas celle de l'enfance, et l'autre la compétence enfance mais pas la voirie, cette dernière étant assurée par quatre syndicats de voirie... qui ne regroupent pas toutes les communes de l'intercommunalité. On le voit bien, « il est temps de décider », pour reprendre le titre du rapport Balladur, et de le faire avec détermination, audace et courage.
L'enchevêtrement des compétences est nuisible à l'efficacité, à la lisibilité des politiques publiques et à la maîtrise des dépenses publiques. Les compétences doivent être clarifiées. Chaque collectivité s'occupant de tout, on ne s'y retrouve pas. Une clarification est indispensable : dans cet esprit, je suis favorable à la suppression très conversée de la clause de compétence générale des départements et des régions. (M. Daniel Dubois applaudit) Il est également nécessaire de réduire le mille-feuille administratif. On nous dit que tous les pays ont trois niveaux d'intervention, mais nous en avons cinq, sans compter les multiples syndicats. En 1970, la France ne connaissait que les communes et les départements, et elle ne s'en portait pas plus mal. Tout le monde en convient... à condition de conserver l'assemblée dans laquelle il siège et je crains qu'on n'avance guère et que « touche pas à mon poste » soit plus fort que le raisonnement. (Applaudissements centre) L'élection de conseillers territoriaux marquerait un progrès si l'on ne renonce pas au scrutin uninominal car un scrutin de liste bloquée impliquerait une politisation.
Quel devenir pour les communes ? Tout le monde s'y dit attaché mais beaucoup d'élus sont inquiets car subrepticement, clandestinement, on réduit le rôle des communes, des conseils régionaux ou généraux n'aidant plus que les projets portés par une intercommunalité : n'est-ce pas la qualité des projets qui importe ? Il faut se prononcer clairement. Lorsqu'il a reçu notre groupe, le Président de la République a dit qu'elles formaient « un maillage civique, social et citoyen ». J'ai coutume de les présenter comme l'échelon de proximité, de la démocratie, du lien social et de la bonne gestion. Nos 36 000 communes constituent-elles une richesse ou une faiblesse, et veut-on comme M. Marcellin, il y a 40 ans, passer à 10 000, comme semble le souhaiter M. Balladur ? Voulons-nous que les intercommunalités deviennent les véritables lieux de décision et les communes de simples mairies d'arrondissement, comme dans le XVe ? (Sourires) Si c'est le cas, il faudra le dire clairement. Si nous souhaitons au contraire conforter leur rôle, ce que je souhaite, il faut non seulement le dire, mais faire en sorte que cela soit possible, car les petites communes, qui sont l'immense majorité, ont de plus en plus de mal à faire face à l'alourdissement de leurs tâches, à la raréfaction des financements et au désengagement de l'État. Il faut répondre à ces questions fondamentales : elles sont au coeur de la réforme que nous appelons de nos voeux. J'espère que nous aurons le courage d'aller jusqu'au bout et que la recherche du consensus ne conduira pas la montagne à accoucher d'une souris. Comme l'a dit le président Mercier, l'heure n'est certainement pas au ripolinage. Je remercie enfin le président de sa mansuétude ! (Applaudissements au centre)
M. le président. - Si nous voulons éviter de souper (sourires), j'invite tous les orateurs à respecter leur temps de parole.
M. Bruno Sido. - Le débat a mobilisé l'attention de l'Assemblée pluraliste des départements de France et particulièrement celle du groupe d'opposition que j'ai l'honneur et le plaisir d'animer depuis quelques mois.
Paysage administratif comparable à un jardin à la française, enchevêtrement des compétences, finances désuètes, insuffisante prise en compte du fait urbain : les problèmes sont bien identifiés. Personne ne souhaite le statu quo mais nous différons sur les solutions. Faut-il abandonner la réforme faute de compromis ou la reporter sine die ? J'espère que le Gouvernement aura le courage d'aller jusqu'au bout, avec l'appui du Parlement.
Je remercie tous ceux qui ont permis de faire avancer le débat, du président Édouard Balladur, qui a réalisé un remarquable travail prospectif, au président Claude Belot, aux rapporteurs et à tous les membres de la mission temporaire. Président de conseil général depuis dix ans, j'anime le groupe des 44 présidents de droite, du centre et des indépendants en qualité de secrétaire général au sein de l'Assemblée des départements de France. Loin de prôner l'immobilisme, nous avons décidé de participer activement au débat avec quatre idées-forces : le statu quo financier n'est plus tenable -pas de réforme sans garantie financière ; la clarification des compétences est une nécessité absolue et il n'y aura pas d'économies sans un partage clair des rôles ; la suppression de la clause de compétence générale pose problème -ce serait un retour à notre cher passé jacobin ; en revanche, le rapport Belot apporte une idée intéressante, celle de carence ; enfin, le mode d'élection doit s'adapter aux territoires ; le maintien du scrutin majoritaire est indispensable, mais peut s'accompagner d'un autre scrutin en milieu urbain.
Face aux inquiétudes, la définition de la réforme devrait rassurer : c'est un changement profond apporté dans la forme d'une institution afin d'obtenir de meilleurs résultats. Nous avons attendu trop longtemps et les relations entre l'État et les collectivités se sont dégradées alors même que chacun avait le sentiment de consentir un effort. Il faut maintenant moderniser nos collectivités et l'État en garantissant un service de qualité et en évitant la fracture sociale et territoriale.
Les actes I et II de la décentralisation ont été de grandes réussites. Je rends hommage à la vision prospective de Pierre Mauroy, ici présent, et de Jean-Pierre Raffarin, qui n'est pas là aujourd'hui. Cependant, les circonstances ont changé et nous ne sommes plus en 2004, ni en 1982 ou en 1789. Prenons soin de ne pas casser ce qui marche bien, améliorons la démocratie par la décentralisation. Mais quelles modifications la Constitution permet-elle ? Il faut connaître la marge de manoeuvre du Parlement car il ne sert à rien de discuter de dispositifs qu'interdit la loi fondamentale. L'avenir est à l'audace, non au passé ; pour le reste, faisons preuve d'imagination, de liberté et d'ambition pour notre pays, nos départements, nos communes et nos régions, sans oublier les intercommunalités ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. Jean-Pierre Caffet. - Région capitale, l'Ile-de-France occupe une place spécifique dans le débat ; elle mérite une analyse objective de son rôle comme de ses moyens de fonctionnement ; elle exige une attention particulière aux attentes et aux besoins des franciliens en matière d'emploi, de logement, de transports, sans oublier les inégalités territoriales, hélas flagrantes. Quelle serait l'organisation optimale et avec quelles coopérations pour satisfaire ces besoins et maîtriser les inégalités qui déchirent la région ? Cette question n'a pas de réponse immédiate et le rapporteur de la mission temporaire a raison de vouloir poursuivre la réflexion ; j'ai d'ailleurs cru comprendre que tel était aussi le souhait du Président de la République.
Cependant, nous ne partons pas de rien. La commission Balladur n'a pas déchainé l'enthousiasme parce que ses travaux souffrent de deux erreurs initiales : avoir traité de la gouvernance sans s'interroger sur les besoins de la région et des Franciliens ; avoir plaqué un schéma préalablement défini sur un périmètre prédéterminé, en contradiction totale avec le constat juste du rapport Balladur d'un besoin criant de coordination entre les collectivités d'Ile-de-France.
Comment se dénoue ce besoin de coordination selon le comité Balladur ? Par la suppression de collectivités locales et la création d'un département unique qui entraînerait la dissolution des intercommunalités existantes. Puisque nous ne sommes pas suffisamment coordonnés, nous devrions disparaître !
Le plus grave, c'est de penser que l'avenir de la région capitale peut se concevoir à l'échelle de la petite couronne alors qu'il faut y intégrer des sites aussi décisifs que Saclay, les villes nouvelles, les zones aéroportuaires et les quartiers en difficulté. Le plus grave, c'est que cette proposition entérinerait une région à deux vitesses : un hyper centre doté de pouvoirs comparables à ceux d'une communauté urbaine et une région qui ne trouverait son ancrage que grâce à un nouveau mode de scrutin. Selon le rapport Balladur, « le fait que certains des conseillers régionaux siègeraient également au conseil du Grand Paris garantit contre le risque d'un éclatement de la région en deux entités ». Nous n'y croyons pas : la vie économique, les politiques publiques, l'aménagement d'un territoire aussi stratégique ne sont pas solubles dans un mode de scrutin.
L'autre projet, c'est celui de Paris Métropole, porté par de nombreux élus de droite comme de gauche qui veulent disposer d'un instrument fédérateur pour l'Ile-de-France. On pourrait lui reprocher de n'être qu'un simple syndicat d'études incapable de répondre aux défis posés par le développement de la région capitale. Pour tenir compte de cette objection, Paris Métropole doit devenir une structure opérationnelle. Et puisque la commission Balladur nous invite à mieux nous coordonner, faisons-le, mais sur un périmètre qui n'exclut pas un Francilien sur deux.
Paris Métropole englobe les secteurs de développement indispensables à l'Ile-de-France ainsi que la plupart de ses quartiers en difficulté. Elle pourra concentrer son action sur ce qui est mal ou pas géré afin de supprimer les carences existantes. Elle devra être dotée de compétences ou de missions reconnues dans les domaines qui nécessitent plus de coordination.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Pierre Caffet. - La solidarité financière d'abord. Le fonds de solidarité de la région Ile-de-France a atteint ses limites, alors que cette question est essentielle pour l'avenir régional. La commission Balladur n'en parle pas : plus qu'une lacune, c'est une faute. Ensuite, la politique du logement, compétence de tous, n'est plus la compétence de personne.
M. le président. - Il vous faut absolument conclure.
M. Jean-Pierre Caffet. - Enfin, l'organisation physique du territoire francilien, son dynamisme économique comme la localisation des grands équipements publics pourraient être pris en charge par Paris Métropole.
Cette perspective s'oppose à l'immobilisme, au statu quo, au retour aux schémas des années 1950. Elle mérite mieux que le mépris affiché par les tenants de la recentralisation, au risque d'une région coupée en deux et impuissante. Le débat est loin d'être terminé. Puissent la sagesse des élus l'emporter : l'avenir de la région capitale en dépend. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Dallier. - Je ne surprendrai personne en vous parlant du Grand Paris et en tentant de vous convaincre que le statu quo n'est pas tenable.
Le comité Balladur a retenu les grandes lignes d'un rapport sénatorial publié il y a un an au nom de l'Observatoire de la décentralisation. A nouveau, les oppositions se sont manifestées avec une véhémence qui ne s'explique que par la peur de cette idée d'une métropole, outil de gouvernance politique. Ainsi, le Grand Paris serait « un mastodonte impuissant », selon Bertrand Delanoë, ou « une immense régression démocratique qui nous ramènerait au département de la Seine », pour Jean-Paul Huchon.
Bien qu'excessives, ces critiques ont le mérite d'avoir été formulées et sont préférables aux non-dits. Notre collègue Pierre Mauroy, membre du comité Balladur, a dit ce qu'il fallait penser des élus qui ne veulent rien laisser de leur pouvoir au profit d'une structure plus puissante. Élu de Seine-Saint-Denis, je dis à mes collègues de la majorité qu'il n'est pas possible de différer une réforme qui permettra de recoudre socialement ce territoire par le partage des recettes fiscales.
Malgré ces critiques, chacun s'accorde à reconnaître l'existence de la métropole parisienne, de même qu'il y a en France des métropoles régionales, et partout ailleurs des villes-monde qui concurrenceront bientôt Paris, Londres, New-York et Tokyo. Malheureusement, le consensus s'arrête là. Pour les opposants au Grand Paris, l'émiettement du pouvoir, la ségrégation territoriale, le financement des politiques de la ville n'appelleraient pas des réponses métropolitaines. Il ne serait donc pas pertinent de chercher le périmètre approprié à une plus grande efficacité de la dépense publique pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. Ainsi, la métropole parisienne existe, mais nous allons exonérer Paris et ses alentours de l'ardente obligation de se réformer, contrairement aux autres métropoles françaises et aux collectivités locales ? (M. Dominique Braye approuve)
Selon certains, il suffirait de se parler pour que tout aille mieux. La conférence métropolitaine initiée par Bertrand Delanoë serait intéressante si elle avait annoncé une assemblée constituante du Grand Paris. Hélas, elle a fini en syndicat mixte d'études, refuge de tous les opposants au Grand Paris. Pour nos rapporteurs, en l'absence de compétences et de ressources, cette structure apparaît dépourvue de capacité d'agir : un mastodonte impuissant, pour paraphraser le maire de Paris... Il manque à la métropole parisienne une incarnation politique élue sur un programme.
On pourrait refuser d'évoluer si le modèle de gouvernance issu de la réorganisation de 1964 et des lois de décentralisation était parfait... Nous ne pouvons reporter aux calendes grecques la création d'un Grand Paris. Après le discours du Président de la République lors de la remise du rapport du comité Balladur, certains ont poussé des soupirs de soulagement en considérant le calendrier proposé comme un enterrement de première classe. Or nous disposons maintenant des travaux des dix équipes d'architectes-urbanistes et Christian Blanc présentera fin avril ses projets de pôles de développement économique et d'infrastructures de transport.
M. Jean-Pierre Caffet. - Exact.
M. Philippe Dallier. - Ensuite, le Grand Paris ne pourra se résumer à un catalogue de projets d'infrastructures. Sans réforme de la gouvernance, chacun tirera à hue et à dia, puis l'État imposera ses vues. Est-ce vraiment ce que veulent les élus locaux ? Est-ce l'aboutissement de 30 ans de décentralisation en Ile-de-France ? Dans ce cas de figure, nous n'aurons pas avancé dans le partage de la richesse fiscale, vers la cohésion sociale, pour l'unité de ce territoire, nous n'aurons pas créé un sentiment d'appartenance positif à un espace riche, mais qui concentre des zones de pauvreté devenues des bombes à retardement.
Mon Grand Paris, c'est un projet pour la cohésion urbaine et sociale auquel les grands projets d'infrastructure contribueront en renforçant la compétitivité de la métropole. J'ai beaucoup travaillé à la solution que j'ai proposée : c'est la seule applicable sans tout remettre en cause, y compris les départements de la grande couronne et la région. Le comité Balladur est arrivé aux mêmes conclusions. Cette solution s'appuie sur les frontières actuelles de la petite couronne et fait tomber les frontières internes. Elle s'appuie sur les communes et porte au bon niveau les politiques qui doivent l'être. Elle permet le partage de la richesse fiscale pour financer les politiques sociales. Personne ne propose un modèle de gouvernance plus pertinent.
Paris ne peut rester à l'écart du mouvement de construction politique des métropoles. La création du Grand Paris est une question d'intérêt général et national. Seul le chef de l'État peut initier ce mouvement. L'avenir du Grand Paris concerne tous les parlementaires. Il y a urgence à agir, sinon nous manquerons une occasion historique en fuyant nos responsabilités. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Claude Bérit-Débat. - L'intercommunalité est une vraie réussite : 93 % des communes sont concernées, regroupant 87 % de la population. Il n'y a plus Paris et le désert français, comme jadis, mais la France intercommunale et le désert de Paris.
Toutefois des améliorations doivent être apportées. Il faut d'abord achever la carte de l'intercommunalité en 2011 en contraignant les communes récalcitrantes. A cet effet, les pistes proposées dans le rapport me semblent aller dans le bon sens. Il faut surtout la rationaliser et doter les territoires d'EPCI d'un territoire pertinent. Cela suppose aussi de mettre fin aux intercommunalités défensives et aux intercommunalités d'aubaine.
S'il faut renforcer les compétences obligatoires des intercommunalités, cela me semble surtout vrai pour les communautés de communes. Mais il faut aussi et surtout laisser les élus définir librement l'intérêt communautaire
M. Dominique Braye. - Absolument.
M. Claude Bérit-Débat. - L'intercommunalité doit être une intercommunalité de projet, les communes doivent se regrouper en fonction des besoins qu'elles identifient elles-mêmes. Sans la clause générale de compétence, elles ne seraient plus maîtresses de leur action. Il faut élargir plus particulièrement les compétences des communautés de communes.
L'esprit de la décentralisation, c'est la possibilité donnée aux acteurs locaux de gouverner leurs territoires en fonction de leur propre vision politique. Le renforcement de l'intercommunalité ne peut se faire au détriment des communes. Je suis opposé à la création de communes nouvelles sur le périmètre des intercommunalités, ce qui condamnerait le maire à inaugurer les chrysanthèmes.
La représentativité démocratique des EPCI doit être repensée en conséquence : ils ont des budgets trop importants pour ne pas rendre des comptes aux citoyens. Le fléchage sur le modèle PLM, préconisé par l'Assemblée des communautés de France, paraît être la solution la plus logique pour ce nouveau mode de scrutin, même si j'aurais personnellement souhaité que l'on aille plus loin en ne fixant aucun seuil.
M. le président. - Concluez.
M. Claude Bérit-Débat. - On annonce la suppression de la taxe professionnelle, seule ressource fiscale des communautés d'agglomérations et des communautés de communes qui ont choisi la TPU. Se contenter de la remplacer par une dotation nous mettrait sous la tutelle de l'État. Il faut remplacer la taxe professionnelle par un impôt en lien avec l'activité économique : une taxe sur les valeurs locatives foncières et sur la valeur ajoutée des entreprises serait adaptée. Il faut également veiller à une véritable péréquation verticale et horizontale. Les communautés d'agglomérations et les communautés de communes jouent un rôle pérequateur indispensable, mais le meilleur ne peut venir que de l'État.
Grâce à une intercommunalité bien conduite et bien comprise, la France pourra mobiliser toutes ses forces. (Applaudissements à gauche)
Mme Lucette Michaux-Chevry. - La crise qui a sévi outre-mer a mobilisé toute la presse, mais le rapport qui nous est soumis ne lui consacre qu'une demi-page, et un mot : assemblée unique.
Cela fait bientôt dix ans que j'ai proposé, avec mes collègues de Guyane et de Martinique, le protocole de Basse-Terre. Depuis la Constitution du général de Gaulle, nous n'avons cessé d'apporter des adaptations dans les DOM, sans une politique véritablement pensée. L'outre-mer, c'est une autre France, dans un environnement totalement différent.
La France n'est pas présente dans les instances décisionnelles de la Caraïbe, Caricom ou Cariforum, et se contente de donner mandat à l'Union européenne. Il est aberrant que le siège caribéen de l'Europe se trouve à La Barbade plutôt qu'en territoire français ! Ces erreurs révoltent la population. Principal bailleur de fonds dans la coopération avec les Caraïbes, la France complète le Feder et le FED, versé aux États de la Caraïbe, mais n'en a pas profité pour régler le problème de l'hospitalisation des étrangers sur son territoire... Comment parler d'intégration dans la zone quand nos procédures administratives sont d'une telle complexité ? Prenons l'exemple de Saint-Martin : en zone hollandaise, il faut un an pour construire un aéroport ; chez nous, il en faut trois ou quatre !
Cette vision jacobine a fait capoter notre projet. Ce que nous avions demandé à l'époque, M. Domota l'obtient aujourd'hui dans la révolte et le désordre. Cela me choque. Nous avions voulu utiliser le droit, entendre tout le monde, produire un document important.
Avec la coexistence des deux assemblées sur un petit territoire, nous avons tous les échelons imaginables, sans aucune lisibilité. Le projet Balladur prône une assemblée unique, sans plus d'explication, au risque de donner tout pouvoir à un exécutif autoritaire. Le statut Canaries-Açores-Madère est préférable : avec un conseil exécutif, le pouvoir du président est encadré.
Dans une commune, il y a des routes nationales, régionales, départementales, communales. Chacun se renvoie la balle. Ma petite ville de Basse-Terre est traversée par trois routes : Mme le ministre connaît bien le problème !
Des délais seraient accordés aux entreprises pour l'octroi de mer, a dit le ministre du budget. Attention ! L'octroi de mer, qui date du XVIIe siècle, est une taxe perçue par les communes sur toutes les marchandises qui pénètrent chez nous. Or la France se laisse avoir par le concept européen qui veut transformer l'octroi de mer, aujourd'hui modulable, en TVA régionale, fixe. Résultat, La Dominique pourrait taxer à 100 % une bouteille d'eau produite chez moi, mais nous ne pourrions pas taxer une bouteille produite en Dominique à plus de 20 % ! Comment parler de concurrence ?
Nous en avons un peu assez de l'omniprésence de l'État. Je dis ce que je pense. Trop de fonctionnaires, véritables chasseurs de primes, viennent chez nous pour les indemnités, et ne s'intègrent pas comme autrefois dans le tissu familial et économique des Antilles : depuis leur bureau, ils prennent des décisions en inadéquation avec la réalité.
La question des cinquante pas du roi n'est toujours pas réglée ! Le lit des rivières est de la compétence de l'État, les berges, de la compétence des communes ! Les états généraux devront être l'occasion de mettre les dossiers sur la table, d'apporter des réponses claires et précises. Le problème de l'outre-mer, ce n'est pas l'indépendance. Je sais que certains sont tentés de dire : s'ils veulent l'indépendance, il n'y a qu'à leur donner ! Sur ce point, nous avons été prudents en 2003, en prévoyant qu'on ne pourra nous imposer l'indépendance car nous savons combien de métropolitains méconnaissent nos problèmes ! (Sourires sur les bancs de la commission et du Gouvernement)
Cette crise sera l'occasion de crever l'abcès. La question n'est pas uniquement administrative ou financière. Comment intégrer le domien sur son territoire, en lui donnant un pouvoir décisionnel ? La France a réussi à créer une élite outre-mer : qu'elle lui fasse confiance, car l'outre-mer est l'une des plus belles vitrines de la France. (Applaudissements à droite, au centre, et sur quelques bancs à gauche)
Mme Josette Durrieu. - L'organisation territoriale est complexe, mais elle est démocratique et décentralisée. La décentralisation est inscrite dans la Constitution. L'état des lieux est sévère : les résultats sont meilleurs que le jugement porté. Les collectivités territoriales réalisent 73 % des investissements publics, avec un endettement inférieur à 10 % !
J'ai l'expérience d'un département rural. L'espace rural, ce sont les communes de moins de 2 000 habitants.
Ces agglomérations, c'est 70 % du territoire, 14,5 millions de personnes, 51 % des communes françaises, 60 % de l'activité industrielle, deux tiers des emplois industriels ! Ce n'est pas rien !
Dans mes Hautes-Pyrénées, j'ai mesuré la pertinence de l'espace départemental. Alors que la casse industrielle -GIAT, Péchiney- lui a fait perdre 10 000 emplois en dix ans, il a résisté et recréé, par développement endogène, 10 000 autres emplois. Le département a joué son rôle et c'est pourquoi je ne comprendrais pas qu'on lui retire la clause de compétence générale. Ne gâchons pas ce dynamisme, comme l'a souligné M. Retailleau ! Si le département est l'échelon de la solidarité sociale et territoriale, pour la région, j'ai beaucoup plus d'ambition : c'est l'échelon des missions stratégiques. Ne perdons pas ce facteur de cohérence. Pour les scrutins, en zone rurale, il faut garder le lien le plus étroit possible entre l'élu, les citoyens, les territoires.
La réforme ? Oui, pour clarifier les périmètres, les compétences, les moyens. Le principe de libre administration n'a de sens que si les collectivités locales ont les moyens suffisants. Chaque niveau de collectivité doit disposer d'un « panier » d'impôts correspondant à ses compétences. Le financement des départements repose essentiellement sur la CSG mais il faut y ajouter une péréquation verticale et... horizontale pour alimenter un fonds national.
L'État doit cesser d'étrangler les collectivités, de leur faire financer des politiques décidées par lui -je pense au RSA- et de les faire participer à des dépenses relevant de ses compétences -les lignes à grande vitesse par exemple. Il faut redéfinir ses missions régaliennes et demeurer vigilants car, avec la fiscalité locale, il dispose d'une mécanique qui lui permet de réduire la capacité d'autonomie des collectivités.
La décentralisation a libéré beaucoup d'énergies, elle a placé l'élu au plus près des citoyens. La dynamique est engagée, elle emporte l'adhésion. Au moment d'engager cette réforme, faisons attention ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jacques Blanc. - Il nous faut la vraie réforme, fondamentale, à laquelle invitent le Président de la République et les auteurs des différents rapports. Et, pour cela, il faut sortir du modèle unique d'organisation de notre République. Car la diversité est grande entre le Grand Paris, l'outre-mer, les zones rurales et les autres. Le représentant du groupe Montagne que je suis ne peut pas ne pas rappeler les exigences de l'aménagement du territoire.
Le mérite du rapport Balladur, avec sa proposition de conseillers territoriaux, est de sortir d'un faux débat entre département et région. Notre organisation doit coller aux nouvelles réalités de l'intercommunalité. On devra par exemple penser à renforcer les actions entre communautés de communes, pour le transport d'électricité notamment.
Des conseillers territoriaux ? Oui, mais à condition qu'ils ne soient pas élus à la proportionnelle -au moins en zone rurale. On peut aussi revoir les cantons en fonction des intercommunalités et de façon que tous les conseillers territoriaux soient membres du conseil régional ou du conseil général. Si l'on veut que la région soit moteur d'aménagement du territoire, et que le département soit moteur d'aménagement rural, il faut dire oui à des territoires refondus.
En zone rurale, le scrutin doit être uninominal. En zone urbaine, on peut en discuter. Et s'il faut respecter le nombre d'habitants, on ne doit pas imposer l'égalité de population ! Il faut en finir avec cette exigence de proportionnalité, qui interdit tout aménagement du territoire ! Comme entre les communautés de communes, il faut encourager les actions entre régions, dans les comités de massif par exemple.
Nous voulons donc une vraie réforme, des territoires qui ne soient pas fondés sur le nombre de leurs habitants et des départements et régions composés d'élus territoriaux tous égaux. (Applaudissements sur certains bancs à droite)
M. François Patriat. - Madame la ministre, lors de la première séance de questions orales, en octobre dernier, je vous demandai si ce débat serait réel ou si le scénario était écrit d'avance. J'ai le sentiment qu'il est déjà écrit...
Ce rendez-vous avec la réforme des collectivités locales préfigure-t-il la préparation de l'acte III de la décentralisation ou sera-t-il un nouveau rendez-vous manqué ? Préfigure-t-il la nécessaire mue territoriale dont la France a besoin ou un simple toilettage de notre spécificité française ? Serons-nous de véritables décentralisateurs ?
La décentralisation est un acte d'efficacité et de responsabilité. Nous lui sommes d'autant plus attachés que nous observons deux tendances inquiétantes. La première, c'est la tentation récurrente de décentraliser certaines compétences. La seconde, c'est l'asphyxie financière dans laquelle l'État installe les collectivités.
Ce débat ne doit pas être une remise en cause des collectivités locales, de leur rôle et de leur efficacité. L'important n'est pas ce qui est bon pour les élus mais ce qui est bien pour les Français. J'adhère aux propositions de nos rapporteurs mais je voudrais aller au-delà sur des points essentiels.
Quant à celles du comité Balladur, elles reposent sur un faux axiome et une fausse analyse. D'abord, nous devrions nous inspirer de la PLM. Or malgré la clause de compétence générale, les départements et les régions mettent essentiellement en oeuvre des politiques qui relèvent de compétences attribuées par les lois de décentralisation. On ne peut donc comparer la répartition des compétences entre les départements et les régions et celles qui prévalent entre les maires et les maires d'arrondissement. Les mandats électifs correspondent à deux missions radicalement distinctes dans le cadre des régions et des départements.
Ensuite, et sur ce point je m'écarte de Jacques Blanc, on devrait partir de deux couples : communes-intercommunalités et État-régions.
Le couple État-région existe à travers les contrats de plan, les fonds européens régionaux, la délégation aux régions... Quant au couple département-communes, il se caractérise par la proximité et la complémentarité. On aurait pu concevoir que les conseils régionaux et généraux soient fusionnés et deviennent une seule collectivité. Mais le rapport Balladur recommande de conforter les deux catégories et de clarifier davantage les compétences. La fusion des listes électorales priverait l'une des collectivités d'un vrai débat démocratique. Si les présidents des départements s'entendent, ils peuvent imposer leur point de vue à l'assemblée régionale. Il y aurait domination d'une collectivité sur une autre et elle pénaliserait les politiques régionales, les arbitrages profiteraient aux projets d'impact immédiat, la salle des fêtes plutôt que l'innovation.
J'en viens au mode de scrutin : la loi de 1833 a découpé les cantons. Je ne suis pas favorable à un mode de scrutin différencié, proportionnel en ville, majoritaire en milieu rural, on voit d'ailleurs bien les arrière-pensées politiques qui vous inspirent... (Protestations à droite)
M. le président. - Concluez !
M. François Patriat. - La région qui a vingt ans a déjà changé trois fois de mode de scrutin. Elle a aujourd'hui surtout besoin de stabilité car elle a atteint un équilibre et prouvé son efficacité. Elle a besoin de compétences claires et de moyens. Elle a besoin d'être consolidée et non fragilisée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Dominique Braye. - Je félicite la mission sénatoriale, son président, ses vice-présidents et ses rapporteurs. J'ai eu grand plaisir à participer à leurs travaux. Merci aussi à Mme Gourault pour ses propos sur l'intercommunalité : l'AMF et l'ADCF (Assemblée des communautés de France) ont une grande convergence de vues ! Une très grande majorité des élus et de l'opinion publique est maintenant convaincue de l'impérieuse nécessité de simplifier et rationaliser l'organisation de nos collectivités territoriales. Le débat national est donc bienvenu, surtout au moment où nous sommes tous contraints de maîtriser la dépense publique. Certains points d'accord semblent d'ores et déjà se dégager : refus de la suppression autoritaire d'un échelon territorial, spécialisation des compétences de certains échelons et meilleure synergie entre les différents échelons s'ils sont maintenus. L'idée de couples est excellente ; et en tant que responsable national de l'ADCF je tiens à souligner notre parfait accord avec toutes les associations nationales d'élus mais aussi avec les principales formations politiques, pour que soit reconnu à l'occasion de la réforme le rôle essentiel de l'intercommunalité : elle a fait la preuve de son efficacité et ne constitue nullement une menace pour l'avenir des communes. Tous les gouvernements ont tenté de regrouper les communes au sein de périmètres correspondant à des bassins de vie. Ces « regroupements pertinents » prennent en charge des domaines aussi essentiels que les transports, le logement, l'environnement. De nombreuses dispositions législatives et réglementaires, de l'ordonnance du 5 juin 1959 à la loi Chevènement de 1999, ont participé à l'émergence du fait intercommunal. Le bilan est positif quantitativement -93 % des communes appartiennent à un groupement- mais plus nuancé du point de vue qualitatif, car tous les périmètres d'intercommunalité ne conduisent pas à une optimisation de la gestion.
Peut-on accepter que 7 % des communes françaises, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'intérêt général, empêchent toute gestion efficace de notre territoire national ? Achevons la carte de l'intercommunalité ! Le Sénat, grand conseil des communes de France, doit peser de tout son poids en faveur de cette nécessaire évolution. Cette réforme est tant attendue par nos concitoyens... Nous devons montrer à la France qui souffre...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce n'est pas exactement ce qu'elle attend !
M. Dominique Braye. - ...que ses intérêts passent avant tout.
La démarche doit être appliquée à l'ensemble du pays, avec une exception, Paris et les trois départements de la première couronne. Madame la ministre, à quelle date sera achevée la carte intercommunale ? Le rapport Balladur prévoit le 1er janvier 2014, or cette date semble beaucoup trop proche des renouvellements municipaux de mars 2014. La mission sénatoriale et les associations d'élus préfèrent 2011.
Quelles dispositions entendez-vous prendre pour empêcher tout nouveau regroupement « contre nature » et pour remédier à ceux qui, aujourd'hui, bloquent la bonne gestion des territoires ? Si vous répondez précisément à ces questions, l'organisation et la gestion de nos territoires auront fait aujourd'hui un immense pas en avant.
M. Alain Vasselle. - Je veux me pencher sur la manière dont a été conduite la réflexion ; et la manière dont elle a été relayée dans les médias. Je suis élu de la région picarde et je vous avoue que je n'ai pas très bien vécu cet épisode. Déficit de communication sans doute, importance indue donnée à des propos « collatéraux », qui ne reflétaient pas fidèlement les positions du comité Balladur, tout cela a pollué le débat.
La subsidiarité, telle qu'appliquée en Europe et un peu dans l'intercommunalité, doit être un fil conducteur de la réforme. Trois couples émergent, communes-groupements intercommunaux, départements-régions, État-Europe.
Pourquoi ne pas envisager la nouvelle cartographie des régions à partir des départements, en s'appuyant sur les bassins de vie ? C'est bien la méthode qu'on a suivie pour les intercommunalités, qui sont rationnelles à quelques exceptions près. On bâtirait ainsi des régions sur lesquelles l'État pourrait s'appuyer dans ses relations avec l'Europe.
Deuxième sujet, les finances et les compétences. La question fondamentale est celle-ci : quelle collectivité pour exercer les compétences que la loi définit ? Dès lors qu'il y a un lien entre la compétence et la collectivité la mieux à même de l'exercer, le reste en découle. La clause de compétence générale n'a de sens que si des ressources permettent de l'appliquer. Le problème est donc bien celui des ressources, et donc de la réforme de la fiscalité locale qui doit accompagner celle des structures ; sans elle, nous ne réussirons pas.
Dernier point : la réforme n'aboutira que si elle est mise en oeuvre le plus rapidement possible ; la reporter à 2014, c'est l'affaiblir. C'est affaire de volonté politique. (Applaudissements à droite)
Débat interactif
Mme Catherine Troendle. - Certaines communes et intercommunalités envisagent de créer des zones d'activité ; leur objectif premier est l'emploi, mais elles sont légitimement soucieuses de leurs ressources. Le Gouvernement s'est engagé à compenser le manque à gagner de taxe professionnelle qu'entraînera sa réforme; mais pour ces communes et EPCI il ne peut y avoir compensation puisque la taxe n'existe pas encore. Si l'incertitude demeure, elles pourraient être amenées à renoncer à leurs projets.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. - L'engagement a été pris par le Président de la République, le Premier ministre et moi-même : la compensation sera intégrale. Le sujet que vous évoquez sera abordé le 25 mars. Les décisions trouveront leur traduction en loi de finances.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - Les élus ne veulent pas de compensation, ils veulent un impôt local lié à l'entreprise et à l'économie. (Applaudissements sur divers bancs à droite comme à gauche) Les compensations, nous en avons déjà beaucoup, nous savons ce qu'elles sont... Disant cela, madame la ministre, vous ne nous rassurez pas. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - J'ai répondu « montant », non « support ». Nous verrons dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale quels impôts faire correspondre à quelles compétences et à quelles collectivités territoriales. C'est à ce moment que le produit global de la taxe professionnelle sera considéré.
M. Gérard Collomb. - Deux minutes, c'est peu pour construire une métropole de 2 millions d'habitants... La réalité bouge : je suis de ceux qui pensent que nous devons bouger. L'agglomération lyonnaise, non au sens institutionnel mais à celui du quotidien de ceux qui l'habitent, s'étend sur quatre départements et notre aéroport sur trois. Nous ne pouvons laisser les choses en l'état. Je souhaite cependant que vous nous rassuriez. N'y a-t-il pas tout simplement, derrière la grande réforme qui vient, la volonté de changer les modes de scrutin ? Le mode actuel du scrutin régional permet l'élaboration de projets véritablement stratégiques, loin de ce que serait un saupoudrage au niveau de supercantons.
D'autre part, comme le rapport de la mission l'a justement relevé, la diversité des territoires appelle une diversité de solutions. J'ai aimé que M. Chevènement rappelle le beau mot de Braudel : la France s'appelle diversité.
M. le président. - Veuillez conclure !
M. Gérard Collomb. - On ne peut traiter un département rural comme un département urbain, M. Mercier l'a bien dit.
Enfin, vos métropoles ont 400 000 habitants ; la communauté urbaine de Lyon en compte 1,3 million. Comment construire une supermétropole qui comprenne -tous les partenaires en sont d'accord- la Courly, Saint-Etienne métropole et la communauté d'agglomération du pays isérois ? Alors seulement nous serons compétitifs avec Turin, Milan, Manchester, avec les grandes métropoles européennes. L'enjeu qui n'est pas que national mais européen, est fondamental pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - L'objectif de la réforme, c'est de permettre à notre démocratie républicaine d'être plus vivante et mieux ancrée dans le XXIe siècle, de renforcer le poids et le rôle des collectivités territoriales dans la vie économique et sociale, alors que la concurrence est européenne et mondiale. Vous avez en quelque sorte évoqué des arrière-pensées ; dois-je rappeler que le comité Balladur était pluraliste ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mais non !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Peut-être avez-vous vous-même des arrière-pensées... Le sujet mérite mieux. Nous débattrons des modes de scrutin le moment venu, étant entendu qu'il faut commencer, c'est l'évidence, par la redéfinition des compétences.
La diversité des territoires appelle du pragmatisme. Les mêmes solutions ne peuvent valoir pour Lyon et pour une commune de quelques centaines d'habitants. L'idée maîtresse de la réforme, c'est la souplesse, mais en respectant l'égalité républicaine -sinon le Conseil constitutionnel censurerait. Nous devrons trouver des ajustements pour tenir compte des réalités. C'est tout l'intérêt de la concertation qui se déroulera d'ici l'été, puis des débats que nous aurons sur le fondement des propositions que je vous aurai faites.
Les métropoles : on ne peut les multiplier si on veut construire des ensembles qui pèsent.
Quelle doit être leur définition ? C'est un sujet sur lequel nous travaillerons. Ériger en entité une métropole couvrant quatre départements supposerait bien sûr de régler les relations entre la métropole et les communes situées sur son territoire, mais aussi les rapports avec les départements, voire avec les régions ! Ces points ne sont pas précisés dans le rapport Balladur, mais le législateur doit jouer un rôle et celui du Sénat sera essentiel. (M. Dominique Braye applaudit)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Le Sénat réfléchit à la réforme des collectivités territoriales, mais, avec MM. Caffet et Dallier, je m'interroge sur le Grand Paris. L'enjeu est de taille ! Si j'en crois M. Christian Blanc, le « mille-feuille administratif parisien » coûterait un à deux points de croissance à la région capitale, alors que l'Ile-de-France représente 30 % du PIB national et 40 % des brevets déposés chaque année. La zone de Saclay est le troisième pôle mondial de recherche, soit bien plus que la Silicon Valley.
L'OCDE a identifié quatre « villes-monde » : Paris, New-York, Tokyo et Londres. Notre capitale devrait tirer la croissance de la région, ce quelle ne fait pas, faute de stratégie, mais aussi à cause de la complexité administrative. Ainsi, la chambre de commerce et d'industrie de Paris a identifié 80 structures chargées de combattre le chômage dans les départements du Grand Paris. De même, Paris produit sa propre eau, indépendamment de la région alors que le Syndicat des eaux d'Ile-de-France pourrait doubler sa production ! Des constats semblables peuvent être faits en matière de logement.
Et les Franciliens payaient. Le budget de Paris, qui avoisine 7 milliards d'euros, augmentera de 24 % l'an prochain. A Boulogne-Billancourt, la hausse devrait se situer entre 10 % et 12 %.
Que compte faire la mission ? Quelles sont les intentions du Gouvernement ?
M. Claude Belot, président de la mission. - A l'évidence, nous ne pourrons pas laisser longtemps à l'écart une réflexion sur Paris. Le Président de la République veut lancer une réflexion spécifique sur ce sujet, mais les membres de la mission provenant du Grand Paris n'ont pas pu nous éclairer, (cette observation amuse M. Jean Desessard) les affrontements constatés n'ayant pas toujours grand-chose à voir avec l'intérêt général.
Nous auditionnerons bientôt M. Huchon, ainsi que M. Delanoë. M. le ministre Blanc n'a pas souhaité intervenir avant d'avoir déposé ses conclusions. Nous devrions l'entendre vers la fin avril.
L'Ile-de-France est la région où l'intercommunalité fonctionne le plus mal. Il faudra que cela change !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Le Grand Paris sera-t-il réalisé ? Oui. Quand sera-t-il annoncé par le Président de la République ? D'ici quelques semaines. Quelle forme prendra-t-il ? Des projets seront lancés rapidement, puis les structures qui en auront la charge.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La mission sénatoriale était pluraliste, mais pas le comité Balladur, puisqu'il ne comportait aucun élu de notre sensibilité.
Je poserai deux questions.
La révision constitutionnelle et la loi organique imposant l'évaluation de toute loi, quels travaux ont été -ou seront- conduits pour montrer que les nouvelles structures coûteront moins cher à nos concitoyens ? Mais vous cherchez peut-être simplement à réduire les services rendus à la population...
Où est la souplesse, alors que l'ensemble sera rigidifié par la logique des blocs de compétences, inscrite dans la réforme Balladur ?
M. Yves Krattinger, rapporteur. - La première question est essentielle.
L'Assemblée des départements de France a interrogé un cabinet spécialisé pour évaluer la fusion des départements et des régions. Il apparaît qu'elle coûterait cher au début, sans rapporter grand-chose par la suite.
Je suis un farouche partisan de l'évaluation.
M. Roland du Luart. - Il faudrait la généraliser.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Le comité Balladur a auditionné des élus de toutes les sensibilités politiques.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Être auditionné n'est pas la même chose que siéger.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Lorsqu'on évite les doubles emplois et les redondances de structures intervenant sur un même projet, quand on évite le maintien par l'État de structures déconcentrées dans des domaines de compétence exclusivement locale, on doit a priori obtenir des économies.
M. Pierre-Yves Collombat. - Et a posteriori ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - L'évaluation est là pour ça !
M. Pierre-Yves Collombat. - Il n'y en a pas !
M. Dominique Braye. - Les conservateurs refusent tout changement.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Comment voulez-vous évaluer ce qui n'existe pas ? Il faut un minimum de logique !
Quand des évaluations sont demandées, elles sont faites !
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce n'est pas vrai !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Je me suis rendue suffisamment de fois devant la commission des finances pour le savoir !
Le comité Balladur rigidifierait les choses ? Ce jugement n'a aucun fondement ! En revanche, je retiens l'idée d'assouplir les règles selon les collectivités. Si l'on veut respecter la réalité, il faut lire les textes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous l'avons fait !
M. François Fortassin. - Le controversé rapport Balladur comporte d'excellentes choses, mais aussi des zones d'ombre.
Le scrutin uninominal est-il utile ? La tâche la plus noble de tout élu est-elle d'assurer un développement harmonieux du territoire ? La solidarité territoriale est-elle aussi importante que la solidarité sociale ? Si l'on répond « oui » à ces trois questions, il faut en déduire des propositions cohérentes, ce que le comité Balladur n'a pas faites.
Il peut être séduisant de regrouper certains cantons, mais cela signifie qu'à terme les petits départements comptant moins de 300 000 habitants devront disparaître...
Les métropoles ne risquent-elles pas de devenir des pompes aspirantes ? Que restera-t-il pour les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence face aux métropoles de Marseille et de Nice, voire de Toulon puisqu'on la classe ainsi ? Les habitants se plaignent déjà d'être ravitaillés par les corbeaux. Ce sera pire !
L'existence de 36 000 communes est une spécificité française. Elles sont bien entretenues, largement grâce à un bénévolat en matière de travaux, qu'il ne faut pas casser. Ne transformons pas le maire en chef de village !
Je ne suis pas hostile à une réforme, mais le rapport Balladur semble inspiré par le principe : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » On a tenté de m'éblouir, je ne suis pas pour autant éclairé ! (Rires)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Le comité Balladur, qui n'avait pas pour objet de réfléchir aux modes de scrutin, a formulé des propositions, il n'a pas élaboré une réforme. Plusieurs lois seront nécessaires à cette fin ; nous les discuterons ici.
Pour le reste, vous vous êtes complètement trompé : le rapport Balladur n'a pas proposé de regrouper autoritairement des collectivités, et il n'est nullement dans mes intentions de le faire ! Quand on veut contraindre les collectivités à se regrouper, cela ne marche jamais.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Tout rapprochement doit être basé sur le volontariat.
M. Claude Belot, président de la mission. - Évitons toute ambiguïté.
Le débat sur la fusion autoritaire des communes a eu lieu ici en 1971, lorsque nous avons examiné la loi Marcellin, qui tendait à supprimer nombre de communes, parce que la nomenklatura parisienne estimait qu'il y avait en France 25 000 communes en trop. Il n'en est plus question, puisque l'intercommunalité -souvent mise en place dans l'allégresse et avec beaucoup de foi- concilie les avantages de la commune avec une plus grande capacité d'action.
Sur ce point la position de la mission est sans ambiguïté : les communes sont le fruit de l'histoire et elles fonctionnent plutôt bien.
Lors de mon entretien avec M. Balladur, juste avant de me quitter, il m'a dit que sa mission était accomplie et qu'il nous revenait désormais, à nous parlementaires, de décider de ce qui est bon pour la France. Il a ajouté : « Vous n'avez pas le droit de ne rien faire. Voilà la seule chose que je tiens à vous dire. »
Il n'est donc pas question de toucher aux communes mais d'améliorer le fonctionnement des intercommunalités. Nous avons l'ardente obligation d'élaborer la réforme la plus utile et la plus ambitieuse possible.
M. Bruno Retailleau. - Je souhaite seulement demander à Mme la ministre un éclairage sur un sujet qui ne fait pas consensus au sein de la mission. Il s'agit de deux problèmes siamois : celui de la fusion des conseillers généraux et régionaux en un corps unique de conseillers territoriaux et celui du mode de scrutin. Le comité Balladur, non sans arguments, considère qu'il n'est pas possible de créer des conseillers territoriaux sans adopter le mode de scrutin proportionnel. Mais je suis très attaché au mode de scrutin uninominal, surtout dans les campagnes, car c'est le gage de la responsabilité et de l'enracinement des élus. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'avenir du mode de scrutin sénatorial au cas où cette réforme serait adoptée : une partie des sénateurs pourrait-ils continuer d'être élus au scrutin uninominal par un collège entièrement composé de personnes élues à la proportionnelle ?
Voici donc ma question : pensez-vous qu'il est possible d'instituer des conseillers territoriaux sans adopter le mode de scrutin proportionnel ?
M. le président. - Il me semble que la mission ne s'est pas encore penchée sur ce problème. Quel est l'avis de Mme la ministre ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Ce sujet fera l'objet de débats approfondis tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Les régions et les départements ont des missions complémentaires : les premières ont pour vocation de contribuer à l'aménagement du territoire et de préparer l'avenir, mais faut-il pour autant prendre en considération les territoires qui constituent la région, c'est-à-dire les départements ? Je suis bien plus réticente même si je vois l'intérêt des conseillers territoriaux.
Le comité Balladur préconise le passage au mode de scrutin proportionnel dans les départements. Dans le département dont je suis l'élue, je constate que les conseillers généraux sont rarement connus dans les grandes villes mais qu'ils jouent un rôle essentiel dans les campagnes. Je suis très réticente à l'idée de supprimer les cantons.
Une solution équilibrée pourrait être de maintenir le mode de scrutin uninominal dans les zones rurales, à l'échelle de cantons redécoupés, et d'instaurer un mode de scrutin proportionnel dans les villes. Mais serait-ce constitutionnel ? Il faut approfondir la question. (M. Jean-Jacques Hyest applaudit)
M. Jacques Gautier. - Je voudrais revenir sur le Grand Paris. Le Président de la République a dit qu'il fallait définir des projets et des objectifs avant de se préoccuper de la gouvernance, et je remercie Mme la ministre de l'avoir rappelé.
Pourquoi faire renaître de ses cendres l'ancien département centralisé de la Seine, alors qu'il existe aujourd'hui des coopérations intercommunales efficaces ? Pas moins de 60 % des communes des Hauts-de-Seine sont associées. Il faut réfléchir à l'adaptation de l'intercommunalité à la région capitale, car Paris n'est pas une agglomération comme les autres : l'État, la région et les départements doivent ici être associés.
Cette solution présenterait divers avantages : les communes délégueraient certaines de leurs compétences à l'intercommunalité, leurs élus y seraient représentés, et elles continueraient à faire valoir leur connaissance du terrain et des hommes.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Nous l'avons dit : la mission n'est pas à l'heure actuelle en mesure de formuler des recommandations sur le Grand Paris. Aucun accord ne s'est dégagé à ce sujet et nous sommes restés neutres.
Le débat va se poursuivre. Nous avons déjà auditionné les principaux responsables locaux et nous devons encore rencontrer un grand nombre d'élus. J'appelle ceux qui le souhaitent à nous faire part de leurs propositions, éventuellement par écrit car si nous voulons aboutir à des conclusions pertinentes et consensuelles, il faut que chacun verse sa contribution au débat.
M. Jean-Pierre Fourcade. - L'excellent rapport de la mission temporaire et les propositions du comité Balladur ont mis en évidence le caractère obsolète de la fiscalité locale, encore aggravé par la suppression annoncée de la taxe professionnelle. Le problème qui se pose à tous les gouvernements depuis vingt ans est celui de l'actualisation des valeurs locatives. Madame la ministre, êtes-vous décidée à engager cette réforme, ou permettrez-vous que des intercommunalités volontaires s'en chargent elles-mêmes avec l'aide des services fiscaux, comme M. Mauroy l'a proposé il y a quelques années ? Cela inciterait à achever l'intercommunalité sur tout le territoire, et cela permettrait de définir des bases modernes et actualisées pour les impôts pesant sur les ménages et les entreprises, y compris ce qui restera de la taxe professionnelle rebaptisée « impôt sur les patrimoines industriels et commerciaux ».
M. le président. - Voilà une question bien intéressante...
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - En effet. La réforme de la fiscalité locale est rendue nécessaire tant par la redéfinition des compétences des collectivités que par la décision du Président de la République de faire en sorte que la France ne soit plus le seul pays d'Europe à faire peser sur les entreprises un impôt frappant l'investissement. Mme Lagarde et moi-même réfléchissons à une ressource de substitution.
Les bases foncières n'ont pas été réactualisées depuis 32 ans, me semble-t-il. Plusieurs propositions ont été faites : les bases pourraient être actualisées au fur et à mesure de la cession des biens, mais ce serait très long, ou bien plus rapidement, mais cela risque de soumettre certains contribuables à un « choc fiscal » -si je puis m'exprimer ainsi- à moins que l'on abaisse les taux.
Vous suggérez de permettre aux communes ou aux intercommunalités qui le souhaitent d'actualiser elles-mêmes leurs bases : certaines d'entre elles l'ont déjà fait à leur demande.
La réforme est en marche. La fiscalité locale sera adaptée, dans le souci de garantir l'autonomie des collectivités alors que l'État est aujourd'hui, et de loin, le premier contribuable des collectivités. (Applaudissements au centre et à droite)
M. François Marc. - Je remercie la mission de son excellent travail, mais je souhaite obtenir des éclaircissements au sujet des ressources financières des collectivités locales. Les élus que nous sommes savent qu'une réforme n'a de sens que si l'on donne aux collectivités les moyens d'accomplir leurs missions.
Je souhaite vous faire part de deux sujets d'inquiétude. Je ne partage pas du tout l'avis de M. Longuet, qui déclarait tout à l'heure que la décision d'accorder aux collectivités locales l'autonomie financière était une erreur historique. Alors que celles-ci doivent assumer des compétences de plus en plus étendues, leurs ressources sont de plus en plus précaires et les dotations de l'État ont été gelées. Cela pose le problème de la péréquation : si la République délègue certaines tâches aux collectivités, par exemple la gestion des écoles, elle doit s'assurer que toutes ont les mêmes moyens de les accomplir. Or il existe aujourd'hui de fortes inégalités de richesse entre les collectivités et la péréquation est très insuffisante, comme l'a montré le rapport Gilbert-Guengant.
Comment le Gouvernement entend-il améliorer la péréquation ? Quelles évolutions fiscales envisage-t-il pour remédier à la précarisation croissante des ressources des collectivités ?
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Trop de dotation tue l'autonomie et pas d'autonomie tue la responsabilité en transformant la collectivité en service déconcentré. L'État est le premier contributeur, dit la ministre, mais il est volontaire : c'est lui, tous gouvernements confondus, qui supprime des ressources, qu'il compense ensuite sans bien les réévaluer.
La péréquation peut d'abord être horizontale, au sein d'une intercommunalité, dans un département ou une région. Elle est aussi verticale, et là, c'est à l'État de corriger les inégalités entre communautés, entre départements ou régions mais il n'assure que 40 à 45 % de la compensation.
La base de la fiscalité locale est aujourd'hui à reprendre. Des réflexions ont été engagées et les lignes ont bougé quand les trois associations de collectivités ont demandé un rapport au Conseil économique et social. Reste le besoin d'un outil de péréquation car à l'heure actuelle, la dotation de base est plus péréquatrice que les dotations ad hoc.
Mme Dominique Voynet. - Lionel Jospin l'avait demandé à Pierre Mauroy, François Fillon l'a demandé à Édouard Balladur : les anciens Premiers ministres sont les mieux à mêmes de mener ce genre de travail, les difficultés commençant quand le papier se heurte aux habitudes. « Ambition et réalisme », a dit M. Balladur. Chacun en jugera à l'issue des débats... Il est illusoire d'imaginer qu'une réforme ambitieuse fasse l'économie de débats vifs et de résistances. Certains maires préfèrent rester le seul coq sur son tas de fumier, d'autres ne souhaitent rien partager. Il faudra des incitations fortes, des échéances.
Nous voulons des régions plus fortes mais nous connaissons l'attachement passionnel du Sénat aux départements. Plutôt que d'inventer un échelon artificiel, nous devrions réfléchir à la collaboration entre régions et intercommunalités.
Mme Michaux-Chevry l'a bien dit tout à l'heure, on s'offusque qu'il y ait deux départements et une région en Corse, mais on refuse une collectivité unique en Martinique, à la Guadeloupe ou à la Réunion. C'est se moquer...
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Dominique Voynet. - On a défendu la clause de compétence générale et les financements croisés, mais mieux vaudrait des financements pérennes, stables et péréqués. Comment l'État entend-il les garantir et s'imposer à lui-même ce qu'il impose aux autres ? Enfin, pour le Grand Paris, ce sont les projets qui nous intéressent.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Le Gouvernement considère que le moment est venu d'engager la réforme. Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de terminer la carte de l'intercommunalité, mais il faut le faire par la conviction ; 2011, c'est un peu court, 2014 un peu tard. Il n'y a pas partout collaboration entre les régions et les intercommunalités. Nos concitoyens sont attachés à leurs communes, à leurs départements, ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas clarifier les compétences. Quant à l'outre-mer, le Président de la République a fait de la gouvernance l'un des sujets qui y seront débattus, dans les états généraux. L'autonomie financière, enfin, tel est bien le but de la réforme de la fiscalité locale, une autonomie et la nécessaire péréquation.
Mme Nathalie Goulet. - Dans ce débat passionnant, je n'ai entendu parler ni de cumul des mandats, ni de la présidence des intercommunalités.
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. - On n'a pas encore abordé ce sujet difficile, mais qu'on puisse présider une intercommunalité de 1,5 million d'habitants mais non être maire d'une commune de 200 habitants, est une anomalie qu'il faudra avoir le courage de corriger.
M. le président. - Un sujet pour mai ?
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. - Tout à fait...
M. Philippe Richert. - On peut très bien ne rien faire, comme le souhaitent beaucoup de gens. On peut en effet toujours dire : « Regardez, ça fonctionne ! », mais, dans la concurrence internationale et mondiale, ne pas savoir s'adapter serait une grave erreur. Je considère qu'il ne faut pas se contenter de modifications mineures et qu'on ferait fausse route en se bornant à clarifier les compétences. Il faut aller beaucoup plus loin. Je m'y essaie pour le regroupement de la région Alsace et de ses deux départements. Ce n'est pas facile, mais nous y parviendrons si nous prenons le temps de le faire avec la bonne attitude. Encore faut-il donner toutes ses chances à ce projet au lieu de compliquer les choses. Or le mode actuel de scrutin est plus simple. Je suis partisan de conserver le système d'élection au conseil général et celui du conseil régional qui permet de représenter les minorités et d'assurer la parité. Comment peut-on faciliter les choses au lieu de les rendre plus difficiles ?
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - J'entends bien et j'apprécie cette démarche mais il faut réfléchir au nombre d'élus.
M. Philippe Richert. - Je l'ai fait : l'on aurait au final moins de conseillers qu'il n'y en a déjà dans certaines régions où l'on en compte jusqu'à 200. Il faudrait en revanche homogénéiser les cantons : dans le Bas-Rhin, certains ont 50 000 habitants et d'autres 4 000. On saura le faire avec le temps, dans la transparence et avec le soutien de la mission sénatoriale. Nous sommes prêts à opérer le regroupement que Mme Voynet appelait de ses voeux. Il faut nous y aider parce que la France ne peut pas ne pas évoluer.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Oui, il est nécessaire d'avancer car les Français, les élus ne savent pas bien qui fait quoi : combien d'élus me demandent-ils où déposer une demande de subvention. Il est important que les choses se fassent sur la base du volontariat. Ce n'est pas à l'État de dire à deux départements et à une région de se regrouper, ou à plusieurs régions de s'associer. La réforme que nous voulons, nous la ferons avec tous.
Mme Anne-Marie Escoffier. - L'État et les collectivités locales doivent trouver de nouveaux équilibres. Tout d'abord, il faut harmoniser l'organisation et le comportement de chacun. Ainsi, la RGPP renforce le niveau régional et donne aux départements des missions de conseil, d'expertise et d'arbitrage. Il faut faire de même pour les communes. Ensuite, il faut réguler les relations des collectivités locales entre elles, tout en respectant la liberté de chacune. Enfin, il faut répondre aux attentes de proximité, d'efficacité et de solidarité de la société vis-à-vis des élus. Dans quelles conditions l'État, auquel je voue la plus grande passion, peut-il garantir le respect de ces exigences d'harmonisation, de régulation et de solidarité, notamment par la fiscalité et les dotations financières ?
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Nous estimons que le département a vocation à exister et à créer des agences de services en matière juridique, administrative et technique, à destination des communes et des intercommunalités, l'État n'assurant plus directement ce rôle.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Les fonctions passées d'Anne-Marie Escoffier lui ont donné une bonne connaissance du fonctionnement de l'État et des attentes de nos concitoyens. La solidarité est garantie par la péréquation, au sein de la DGF. La DSU et la DSR augmentent cette année de 6 %. Je souhaite que la fiscalité locale en prenne en charge une plus grande part, mais la péréquation est indispensable. En tant que ministre des collectivités locales, je veillerai à ce que celle-ci soit poursuivie car elle correspond à un réel besoin.
M. Yves Daudigny. - Les conseillers généraux seraient-ils devenus les ringards de la République ? Notre future organisation territoriale reposera-t-elle sur la région et l'intercommunalité, les niveaux communaux et départementaux s'effaçant de l'action publique ? Ce sont là des visions réductrices. L'action départementale répond pourtant aux attentes quotidiennes des citoyens et des usagers. Efficace, réactive, innovante, elle est résolument tournée vers l'avenir.
L'échelon départemental est doublement moderne. Il l'est d'abord par la qualité de ses politiques de solidarité humaine et territoriale, et de péréquation entre l'urbain et le rural. Il aménage, développe, soutient les investissements locaux. La rigueur de sa gestion n'est jamais contestée. Il est moderne aussi par son mode d'élection. Le scrutin uninominal instaure un lien direct entre les citoyens et les conseillers généraux, garantissant ainsi une action publique à dimension humaine. Le canton, circonscription électorale, n'est pas un niveau d'organisation territoriale.
La création de conseillers territoriaux détruirait cette architecture, sans lui donner plus d'efficacité ou réduire le coût des actions menées. Elle mènerait à la relégation du département au rang d'acteur secondaire de la vie publique, sous tutelle de la région. Le développement de nos villes et de nos communes, le lien social dans nos territoires ne gagneront rien à la liquidation de l'action publique départementale, la démocratie non plus.
Le rapport d'étape de la mission temporaire du Sénat, s'il préconise fort justement l'élection de tous les conseillers généraux en même temps pour une durée de six ans, ne nous éclaire pas sur ce sujet. Quelle est la position de la mission sur la proposition de remplacement des conseillers généraux et régionaux par des conseillers territoriaux élus au scrutin proportionnel ?
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Ayons une vision plus positive de l'avenir des départements : les trois niveaux de collectivités sont inscrits dans la Constitution. Au soir de la dernière réforme constitutionnelle qui concernait les collectivités territoriales, celle portée par Jean-Pierre Raffarin, Le Monde avait même titré : « Victoire surprise des départements » ! Ces derniers ne sont pas encore morts...
Au sein de la mission, j'ai voulu que le choix des modes de scrutin ne soit pas l'unique thème de nos débats. Il nous faut encore trouver un consensus sur d'autres questions. Ainsi, s'agissant de la métropole lyonnaise et du transfert des compétences départementales à la grande agglomération, imaginez la complexité du scrutin aux élections régionales ! Nous avons encore besoin de temps pour nous prononcer en toute connaissance de cause et vous pourrez, monsieur Daudigny, éclairer nos débats.
M. Daniel Dubois. - Nous souhaitons tous décider d'une réforme efficace, qui apporte davantage de lisibilité et de solidarité. Nous allons réduire le nombre de collectivités, mais il nous faut encore travailler pour gagner en lisibilité et clarifier la répartition des compétences. Je ne suis pas sûr que nous y parviendrons en laissant la clause de compétence générale aux régions et aux départements.
M. Dominique Braye. - Tout à fait !
M. Daniel Dubois. - Quant à la solidarité, nous avons évoqué l'émergence de grandes métropoles. Mais que fait-on du « reste » ? Quel argent lui restera-t-il ? La péréquation n'existe pas réellement aujourd'hui, madame la ministre, et les territoires ruraux font comme ils peuvent avec leur peu de moyens pour aider les personnes âgées et les handicapés. Comme Yves Daudigny, j'estime que le département demeure l'espace de solidarité territoriale et sociale.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. - Nous faisons toujours référence au cadre constitutionnel actuel et aux trois niveaux de collectivités. La question de la répartition des compétences sera traitée dans le deuxième rapport, pour lequel nous sommes assistés par un cabinet d'audit. Toutes les contributions sont les bienvenues.
Il me semble qu'il ne faut pas s'arc-bouter sur l'idée de compétence générale. Si nous définissons des blocs de compétences bien délimités, nous laisserons, pour le « reste », leur liberté aux collectivités locales pour innover et répondre aux besoins, dans le respect mutuel. La question devrait donc se régler d'elle-même si nous évitons les querelles idéologiques.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Il faut commencer par définir ces blocs de compétences. Il n'est pas facile de se projeter dans l'avenir, et nous ne pouvons imaginer que pour quinze à vingt ans. Les compétences qui « restent » correspondent aux besoins quotidiens de nos concitoyens. Selon moi, elles doivent relever du domaine des communes.
Quant à la péréquation, nous la définirons ensemble. Le système est aujourd'hui très compliqué.
Nous avons de la péréquation pour tout : les communes rurales, les communes de montagne, les communes pauvres... Du coup, il n'y a plus de péréquation !
M. Adrien Gouteyron. - Il me plaît qu'à la fin de ce débat passionnant nous évoquions le sort des communes. La réalité communale est la plus forte, car c'est la réalité de la vie. Quelle vision le Gouvernement et la mission temporaire ont-ils de l'avenir de nos communes ?
Les propositions restent dans le cadre constitutionnel, nous dit-on. Il n'est dont pas question, en théorie, de toucher aux communes. Mais la proposition n°9 du comité Balladur vise à « permettre aux intercommunalités de se transformer en communes nouvelles en redéployant, en leur faveur, les aides à l'intégration des communes », et la proposition n°10 de la mission temporaire incite à la fusion volontaire... Ces incitations ne seraient-elles pas un moyen de forcer la main des élus municipaux ? Ces derniers sont pourtant irremplaçables, par le soin vigilant et méticuleux qu'ils prennent de leur territoire. Qu'attend-on des communes ?
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission. - Je ne parlerai pas du rapport Balladur, mais de la façon dont nous avons abordé ce sujet. Il n'est pas question de mettre en cause le rôle fondamental des communes. Au contraire, nous voulons qu'elles déploient leurs potentialités en développant l'intercommunalité, et en renforçant le partenariat avec le département. Nous ne faisons que faciliter la vie aux communes qui ont envie de fusionner, et se heurtent à la complexité du système actuel. Il n'est pas question d'inciter sournoisement à la suppression des communes. Comptez sur notre vigilance !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Je ne connais pas de maire qui imagine la suppression de sa commune ! La commune, c'est la proximité de la République, le lieu de socialisation, la première réponse aux besoins de la vie quotidienne. Ce rapport particulier donne une responsabilité à l'élu municipal, qui apporte une réponse avant tout concrète aux problèmes des habitants.
Il y a certaines prestations qu'une commune ne peut offrir seule : c'est la base de l'intercommunalité. Cela peut impliquer d'aller plus loin, jusqu'à la fusion. Je suis étonnée, admirative, de voir que des centaines de communes fusionnent dans certaines régions. Si telle est la volonté de la population, il faut faciliter cette évolution. Dans ma région, où chaque commune a son équipe de rugby, on incite plutôt à l'intercommunalité ! Je ne conduirai jamais une réforme qui conduise à fusionner des communes contre leur volonté.
M. Adrien Gouteyron. - Merci.
M. Claude Jeannerot. - Mes préoccupations ont été abordées par d'autres intervenants, et les réponses ont calmé mes inquiétudes.
M. Jean-François Voguet. - On ne peut parler de réforme des collectivités territoriales sans évoquer le rôle de l'État, garant de l'égalité républicaine. Le désengagement croissant de l'État entraîne un accroissement des inégalités dans de nombreux domaines, à commencer par l'école : si l'éducation nationale rémunère les enseignants du primaire, les moyens de la pédagogie sont à la charge des communes, or les disparités vont de un à dix ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat renchérit) La réponse n'est pas la péréquation, mais un réengagement de l'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - On peut aborder tous les problèmes de la société par le prisme des collectivités territoriales -éducation, mais aussi santé ou transport... Ce soir, notre débat porte sur l'organisation des collectivités territoriales et l'articulation entre collectivités. Ne noyons pas le sujet. Je parlerai volontiers de la question importante qui vous préoccupe à un autre moment.
M. Dominique Braye. - Je n'avais pas saisi l'originalité de ce débat, qui fait que ceux qui posent une question à la tribune ne peuvent obtenir de réponse qu'en reprenant la parole !
La réalité quotidienne, ce n'est pas la commune. Dans 32 000 des 36 000 communes, il n'y pas moyen de faire ses courses, pas d'école ou de lycée ! Ne vous méprenez pas : je suis profondément attaché à la commune, mais la réalité quotidienne, c'est le bassin de vie, qu'il s'agisse de transport, d'environnement, etc. Selon un sondage, 89 % des Français considèrent que l'intercommunalité est une excellente chose pour leur commune. La Haute assemblée, le Gouvernement ne peuvent être en retrait par rapport à cette demande des Français !
Vendredi dernier, à Rambouillet, le Président de la République a affirmé que les Français étaient bien plus prêts au changement et aux réformes que leurs élus. Je suis d'accord, et, comme Mme Voynet, je suis persuadé que les élus sont un frein aux évolutions souhaitables.
Madame le ministre, comment envisagez-vous d'achever la carte de l'intercommunalité ? On manie la carotte depuis longtemps, mais 7 % des communes restent rétives. Comment rationaliser le périmètre de l'intercommunalité ? Chez moi, un bus traverse une commune sous le nez des habitants, qui doivent en attendre un autre, aux trois quarts vide, car leur commune n'appartient pas à l'intercommunalité ! Dans certaines rues, la collecte se fait d'un côté mais pas de l'autre ! Quand mettra-t-on fin à ces originalités qui nous coûtent très cher ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Je ne doute pas que 89 % des Français soient favorables à l'intercommunalité quand leur commune n'a pas les moyens de construire seule une piscine, une médiathèque ou une salle de spectacle. Je ne doute pas qu'il soit gênant que la carte ne soit pas achevée, mais ce n'est pas une raison pour dire que la commune ne sert à rien !
L'intercommunalité est un progrès ; je l'ai d'ailleurs mise en place chez moi. Mais quelqu'un qui n'est pas rentré volontairement essaiera de faire éclater le système !
Donc il faut convaincre. La majorité des élus sont raisonnables mais il existe quelques antagonismes de personnes. C'est pourquoi j'ai demandé aux préfets de tenter de convaincre en fixant une date limite. Nous aurons peut-être à fixer cette date dans la loi. J'estime qu'un délai de dix-huit mois serait trop court. Vous estimez que cinq ans, c'est trop long. Nous trouverons une date butoir adéquate afin de rationaliser tout cela.
M. Krattinger, rapporteur - Cent pour cent des sénateurs de la mission sont partisans d'achever l'intercommunalité et nous y parviendrons d'autant mieux qu'elle ne fait même plus débat sur le terrain.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Les régions sont mal armées pour le développement économique endogène. On pourrait supprimer les financements croisés dans l'hypothèse où les collectivités crouleraient sous la richesse... La compétence générale des départements est menacée. Madame la ministre, pouvez-vous nous garantir que leur compétence économique sera maintenue ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Les blocs de compétence sont la clé de la clarification. Nous devons faire ce travail mais en considérant ce qu'il en sera dans dix ans et non uniquement ce qu'il en est aujourd'hui. D'ici l'été, nous allons déterminer ce qui revient à chacun.
M. le président. - Je vous remercie tous d'avoir respecté vos temps de parole pendant ce nouvel exercice. Je remercie madame la ministre de s'y être prêtée de bonne grâce.
M. Claude Belot, président de la mission. - Nous débattons depuis six heures et vingt minutes et... nous n'avons pas vu le temps passer. Je retrouve bien là l'esprit du Sénat : nous discutons tranquillement, tous porteurs d'une expérience de longue durée des collectivités locales et nous voulons tous la réussite de nos territoires.
La mission a franchi une première étape. Madame la ministre, l'État devra maintenant préciser lui aussi sa doctrine quant à ses relations avec les collectivités locales. Nous sommes désormais à un moment de l'Histoire où nos collectivités sont matures et prêtes à se réformer. Il faut maintenant leur fixer la règle du jeu. Nous parviendrons, j'en suis certain, à écrire un texte qui instaurera une vraie réforme et qui rencontrera un large soutien dans cette maison. (Applaudissements)
Prochaine séance, jeudi 19 mars 2009 à 9 h 30.
La séance est levée à 20 h 55.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du jeudi 19 mars 2009
A 9 HEURES 30
1. Question orale avec débat n° 26 de M. David Assouline à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur l'application de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
Le 12 mars 2009 - M. David Assouline demande à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de lui indiquer l'état d'application de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités dont le dispositif encadre l'ensemble des réformes actuellement contestées par tous les acteurs de l'enseignement supérieur.
Depuis plusieurs semaines, l'inquiétude de toute la communauté universitaire, des enseignants-chercheurs aux étudiants, en passant par de nombreux présidents d'établissements, s'exprime dans la rue et dans les médias. Leurs protestations s'amplifiant ont donné lieu à de nombreuses manifestations, partout en France où, tous unis, ils s'élèvent contre les réformes gouvernementales modifiant le statut des enseignants-chercheurs, instaurant la nouvelle organisation des instituts universitaires de technologie (IUT), réformant la formation des enseignants et dénoncent, de façon générale, les conditions de travail et d'études à l'université et la réalité des moyens financiers annoncés par le Gouvernement.
A 15 HEURES
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel, en application de la loi n° 2000-23 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration.
4. Question orale avec débat n° 24 de Mme Michèle André à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
Le 5 février 2009 - Mme Michèle André demande à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville de lui préciser les grandes orientations retenues par le Gouvernement dans la conduite de sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes, déclarée grande cause nationale pour 2009. Elle lui demande également dans quel délai le Gouvernement transmettra au Parlement, comme le lui en fait l'obligation l'article 13 de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, le rapport portant sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple.
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DÉPÔTS
La Présidence a reçu :
- de M. le Premier ministre un projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2008-1301 du 11 décembre 2008 relative aux brevets d'invention et aux marques ;
- de M. le Premier ministre un projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté ;
- de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises ;
- de MM. Jean-Luc Mélenchon et François Autain une proposition de loi visant à instaurer un bouclier social face à la crise et portant diverses mesures économiques et sociales d'urgence ;
- de M. Jean-Pierre Vial un rapport supplémentaire fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi relatif au transfert aux départements des parcs de l'équipement et à l'évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers (urgence déclarée) (n° 14, 2008-2009) ;
- de M. Philippe Richert un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de MM. Yvon Collin, Michel Charasse, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Nicolas Alfonsi, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Chevènement, François Fortassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Daniel Marsin, Jacques Mézard, Jean Milhau, Aymeri de Montesquiou, Jean-Pierre Plancade, Robert Tropeano et Raymond Vall visant à exclure les communes de moins de 2 000 habitants du dispositif de service d'accueil des élèves d'écoles maternelles et élémentaires (n° 219, 2008-2009) ;
- le texte de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi relatif au transfert aux départements des parcs de l'équipement et à l'évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers (urgence déclarée) (n° 14, 2008-2009) ;
- transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
- de Mmes Éliane Assassi, Nicole Borvo Cohen-Seat, Josiane Mathon-Poinat, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Jean-Claude Danglot, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Évelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade, MM. Bernard Vera et M. Jean-François Voguet une proposition de loi tendant à exclure les bénévoles et les associations du champ d'application du délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers des étrangers en France ;
- de Mmes Annie David, Éliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, M. Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, MM. Thierry Foucaud, Guy Fischer, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade, MM. Bernard Vera et Jean-François Voguet une proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers ;
- de Mmes Josiane Mathon-Poinat, Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi, M. François Autain, Mmes Annie David, Gélita Hoarau, M. Guy Fischer, Mmes Isabelle Pasquet, Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Jean-Luc Mélenchon, Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade, MM. Bernard Vera et M. Jean-François Voguet une proposition de loi visant à supprimer le refus de paiement des prestations familiales pour des enfants étrangers entrés en France hors de la procédure de regroupement familial ;
- de M. Philippe Marini un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la crise économique et financière au Japon et ses conséquences.