LES ASPECTS POLITIQUES ET FINANCIERS DE LA DÉCENTRALISATION
Compte rendu de la conférence-débat
de
l'Observatoire de la Décentralisation
avec les Membres de son Comité d'Experts,
ouverte à l'ensemble des Sénateurs
Jeudi 1 er février 2007
Palais du Luxembourg
Paris
INTRODUCTION
L'Observatoire sénatorial de la Décentralisation a organisé, le 1 er février 2007, une conférence-débat avec son comité d'experts, qui a donné lieu à un fructueux échange de vues, ouvert à tous les sénateurs, sur les aspects politiques et financiers de la Décentralisation .
La première table ronde, qui a vu intervenir les sénateurs Jean Arthuis, Rémy Pointereau, Jacqueline Gourault, Adrien Gouteyron, François Fortassin, Charles Josselin et Michel Mercier, s'est notamment appuyée sur une analyse faite par M. Dominique Reynié, professeur des universités à Sciences Po, des résultats d'une enquête conduite par l'Institut TNS-SOFRES sur la perception de la Décentralisation par les élus locaux. S'agissant de la mise en oeuvre de la Décentralisation, le sondage fait apparaître qu'une majorité d'élus exprime une déception par rapport aux fortes attentes en matière de Décentralisation, d'autonomie et de gouvernance locales.
Au cours de la deuxième table ronde, ouverte par l'exposé du sénateur Yves Fréville, membre du comité d'experts de l'Observatoire, s'est engagé un second débat auquel ont participé les sénateurs Henri de Raincourt et Alain Vasselle mais aussi de nombreux experts 1 ( * ) sur l'avenir de notre système de finances locales, qui est apparu « réformable », malgré son ancienneté.
Cette conférence-débat, première du genre dans l'histoire encore très récente de l'Observatoire sénatorial de la Décentralisation, fut un vrai succès. Elle a constitué une étape importante dans le processus qui nous a conduit à publier le 21 février notre rapport d'étape « Être élu local : adapter notre gouvernance locale au défi de la Décentralisation » et nous invite aujourd'hui à approfondir notre réflexion dans la perspective de propositions qui devraient être formulées à la rentrée.
Jean PUECH
ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. JEAN PUECH : « L'ÉLU LOCAL AUJOURD'HUI »
Sénateur de l'Aveyron
Président de l'Observatoire de la Décentralisation
La République française est constitutionnellement décentralisée. La majorité des élus apprécie le processus régulé par les Actes I et II de la Décentralisation. Elle s'impose dans plusieurs domaines majeurs de l'action publique, comme j'ai pu moi-même le constater dans mon rôle de Président de Conseil Général. En effet, la Décentralisation nous a permis d'optimiser l'action dans le domaine social, la gestion des voiries, la gestion des établissements scolaires ou encore la formation professionnelle. Bien que les avancées dans le domaine des expérimentations restent, pour le moment, imparfaites, différentes étapes marquent la volonté des élus locaux et nationaux de poursuivre ce projet.
Il y a quinze jours, un hebdomadaire économique consacrait un grand dossier à la Décentralisation. Ce dossier s'intitulait « Chef d'oeuvre en péril ». Cette étude souligne l'existence d'un malaise, d'une déception, voire d'un ressentiment, face à un processus de Décentralisation plus lent que ce que les élus départementaux et régionaux ne l'espéraient.
Sous Pierre Mauroy, les débats sur les collectivités avaient réaffirmé l'existence hiérarchiquement organisée des communes, des départements et des régions. Aujourd'hui, le trop grand nombre de collectivités suscite une fois encore des débats. Les conseillers gouvernementaux, qui tentent d'imaginer de nouveaux schémas d'organisation telle que la substitution des intercommunalités aux départements, rendent l'action publique floue. Il conviendrait donc de redéfinir les termes du dialogue afin de pouvoir enfin avancer sur des bases solides.
Dans cette optique, nous avions par exemple adhéré à la démarche de la Charte Européenne des Collectivités dans les années 80. Vingt ans, et la pression de questions écrites au gouvernement, ont été nécessaires pour ratifier ce traité. Il définit l'existence des collectivités locales comme principe fondamental de tout régime démocratique. Ces principes démocratiques donnent au citoyen le droit de participer à la gestion des affaires publiques. Le niveau local, autonome et responsable de ses actions, paraît le plus propice à l'exercice de ce droit. Or l'esprit de la Décentralisation n'est actuellement ni accepté ni respecté.
Afin d'y remédier, le Sénat et l'Observatoire de la Décentralisation ont lancé une consultation confiée à l'Institut SOFRES. Dans l'analyse des premiers résultats proposée par le Professeur Dominique Reynié transparaît une très forte adhésion à la démarche de Décentralisation, malgré de nombreuses réserves formulées au sujet de la mise en oeuvre.
I. TABLE RONDE N° 1 : LES ASPECTS POLITIQUES DE LA DÉCENTRALISATION
A. EXPOSÉ DE M. DOMINIQUE REYNIÉ
Professeur des universités en Sciences Politiques à Sciences Po
Directeur de l'Observatoire interrégional du politique, Expert
Du 4 au 24 janvier 2007, la SOFRES a interrogé 453 maires, 41 présidents de Conseils Généraux et 11 présidents des Conseils Régionaux. Cette enquête témoigne en premier lieu de la force d'approbation de la Décentralisation. Les élus locaux en approuvent tant les principes que les mécanismes et les politiques publiques qui en découlent. Seule une minorité de 5 % rejette de façon relativement virulente le processus de la Décentralisation. Le principe fondamental de proximité, appelé aussi principe d'efficacité, est globalement approuvé. Le transfert au département des Transports Express Régionaux, le schéma gérontologique, le droit à l'expérimentation, le principe d'autonomie financière des collectivités locales, le droit de pétition, le référendum local décisionnel reflètent la sensibilité décentralisatrice plébiscitée par nos élus. En revanche, une incertitude apparaît concernant le transfert des personnels, TOS ou PTE, la gestion des politiques locales ou des infrastructures routières.
La Décentralisation a une visée pragmatique : elle exige plus d'efficacité dans la gestion publique. Mais elle a également une visée politique, car elle favorise la compréhension et le contrôle par les citoyens de l'action politique locale. L'enquête montre effectivement que les élus estiment que la Décentralisation rapproche la population de ses représentants. Toutefois, une proportion non négligeable reste dubitative sur ce point.
Concernant les instruments et politiques mis en oeuvre, une majorité des élus considère que la Décentralisation permet de mieux connaître l'activité politique locale. La possibilité de transformer les attentes des citoyens en décisions publique ne semble pas avoir convaincu tous les individus interrogés.
L'enquête souligne l'optimisme des élus dans la possibilité d'amélioration des grandes politiques locales par l'application de l'Acte II. Deux questions principales étaient posées :
• Les dispositions de l'Acte II étaient-elles de nature à favoriser le développement des politiques publiques locales ?
• Les résultats correspondent-ils à ce que vous attendiez ?
En répondant positivement à la première question, les élus ont reconnu la qualité des textes, bien que les niveaux d'approbation varient en fonction des considérations sur la politique des personnes âgées, l'aménagement du territoire, l'aide sociale, la politique environnementale, la formation professionnelle, la politique d'urbanisme et la gestion des équipements sociaux. En revanche, les réponses majoritairement à négatives à la seconde question reflètent les difficultés que les élus rencontrent dans la mise en oeuvre des mécanismes de la Décentralisation.
Une différence existe entre certaines lois concernant la Décentralisation. Les Français comprennent mieux certaines lois que d'autres. Trois textes législatifs ont fait l'objet d'une compréhension particulièrement bonne : la loi sur le handicap, la loi sur l'eau et la loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain (SRU), toutes les trois ayant suscité de nombreux débats et commentaires dans la presse. Il ne s'agit pas de connaissances techniques, mais nos concitoyens connaissent l'existence de ces lois, ce qui constitue déjà un exploit.
Lorsque les dispositifs de lois sont plus politiques, dans les cas où le texte légifère de façon plus technique sur la démocratie de proximité, la responsabilité locale ou l'Acte II en général, les citoyens comprennent moins bien. Par conséquent, nos élus peinent davantage dans l'élaboration d'une stratégie d'approche des électeurs. La multiplication des textes supervisant la mise en oeuvre ne fait qu'« enfumer » le débat public et compliquer la perception par nos concitoyens. Ainsi, parce que les Français connaissent les lois sur le handicap, sur l'eau, ou la loi SRU, les élus considèrent que ces lois sont bonnes bien que leur mise en application semble très difficile. D'une manière générale, l'Acte II engendre les mêmes difficultés.
En résumé, un tableau comparatif de l'appréciation d'un texte législatif décentralisateur dans son principe par les élus et de l'évaluation des difficultés de mise en oeuvre illustrerait un schéma binaire conjuguant l'approbation du changement et l'expression d'une difficulté importante à le mettre en oeuvre. L'écart le plus important chez nos élus a trait aux questions financières. Les représentants des communes, départements et régions se déclarent très favorables à la révolution historique qu'incarne l'autonomie financière. Néanmoins, ils ressentent un réel malaise dans ce domaine. L'enquête souligne leur quasi-unanimité sur le problème financier.
Tout d'abord, la problématique des compensations suscite un débat permanent et provoque un ralentissement dans la mise en oeuvre de la Décentralisation. Dans une certaine mesure, l'histoire joue contre les élus : les charges progressent de façon dynamique sans être compensées. Ensuite, le débat sur la taxe professionnelle effraie les élus. L'autonomie financière et les ressources propres sont des avancées très positives, contraintes cependant par l'obligation d'équilibrer des comptes. Les élus vivent cette situation comme un noeud qui devient très difficile à desserrer et pèse beaucoup sur la perception qu'ils ont de la difficulté de leurs charges. Ainsi, 90 % des élus estiment que l'avenir des finances locales est sombre. Le clivage politique à ce sujet n'existe pas. De la même façon, 43 % sont très inquiets par la mise en oeuvre de la Décentralisation. Par conséquent, les élus ne demandent pas - sinon marginalement - de poursuite de la Décentralisation. Avant de poursuivre le processus, il est urgent de faire une pause et de sauver les avancées déjà opérées. La pause demandée par la majorité des élus n'est pas conservatrice mais salvatrice.
Enfin, les élus ressentent un profond malaise à propos de leur statut. L'échantillon regroupait 453 maires, souvent représentants de petites communes, en raison de l'organisation territoriale française. Les élus ne se plaignent pas mais, à juste titre, ils font valoir leur difficulté à remplir leur tâche dans toute sa dimension, incluant leur statut, leur protection sociale ou le niveau des indemnités. Le problème n'est plus aujourd'hui d'améliorer leur statut mais d'en empêcher la dégradation. L'Acte II a un fort impact sur une charge devenue croissante, et leur donne davantage de responsabilités mais aussi de préoccupations. L'appel au secours des maires révélé par l'enquête, est à prendre très au sérieux sous peine d'assister à une dégradation dynamique non seulement des finances mais surtout de leur statut considéré de façon global. Ce problème ne relève pas de la question classique du statut de l'élu, mais d'une nouvelle dynamique déclenchée par la Décentralisation.
Les structures intercommunales suscitent elles aussi de nouvelles interrogations. Les élus locaux, et notamment les élus municipaux, se montrent inquiets quant à l'avenir de leur collectivité. Selon eux, les départements ont été les principaux destinataires des transferts de compétences organisés par l'Acte II. Près de la moitié des élus craignent un effet de tutelle par la région. En résumé, les maires ont le sentiment d'être écrasés sous le poids d'une communauté plus grande et plus populaire. Ainsi, s'ils approuvent dans la majorité les intercommunalités parce qu'ils savent que les projets importants nécessitent des fonds que seule la coopération et la solidarité de communes voisines peuvent fournir, ils appréhendent des montages complexes requérant de leur part un travail supplémentaire, la crainte de l'erreur et celle de disparaître dans la structure s'ils ne font pas partie des pilotes. Il n'y a en effet pas autant de pilotes que de communes associées. Les élus craignent que le maire président de la structure intercommunale n'avantage sa propre commune. Par conséquent, les Français et leurs représentants locaux refusent presque unanimement l'élection au suffrage universel direct du représentant de la structure intercommunale.
En conclusion, le principe de la Décentralisation est plébiscité, les mécanismes en sont approuvés, les politiques publiques contenues potentiellement dans l'Acte II sont légitimées, mais la mise en oeuvre pose problème pour des raisons principalement liées à la question du financement, de l'évolution et du statut de l'élu. Les moyens financiers, mais aussi humains, juridiques et politiques doivent d'abord être rassemblés avant de poursuivre une tâche que tous les élus approuvent.
B. ÉCHANGE DE VUES SUR LES ASPECTS POLITIQUES DE LA DÉCENTRALISATION
Jean ARTHUIS, sénateur de la Mayenne
François FORTASSIN, sénateur des Hautes-Pyrénées
Jacqueline GOURAULT, sénatrice, expert désigné par l'AMF, première vice-présidente
Adrien GOUTEYRON, sénateur de Haute-Loire
Alain GUENGANT, professeur à l'Université de Rennes I, directeur de recherche au CNRS, CREM (Centre de Recherche et Economie et en Management), expert
Dominique HOORENS, expert désigné par Dexia, directeur des études
Charles JOSSELIN, sénateur des Côtes-d'Armor
François LANGLOIS, expert désigné par l'ARF, délégué général
Marie-Christine LEPETIT, expert désigné par la Direction Générale des Impôts (directrice adjointe à la DGI, directrice de la législation fiscale)
Michel MERCIER, sénateur du Rhône, vice-président de l'Observatoire de la Décentralisation
Rémy POINTEREAU, sénateur du Cher
Jean PUECH, président de l'Observatoire de la Décentralisation
Henri de RAINCOURT, sénateur de l'Yonne
Renaud ROUSSELLE, expert désigné par la Direction Générale de la comptabilité publique, sous-directeur du service public local
Michel ROUZEAU, expert désigné par l'ADF, délégué général
Alain VASSELLE, sénateur de l'Oise
Luc-Alain VERVISCH, administrateur de l'association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE-CT), expert
Paul de VIGUERIE, membre du Conseil Economique et Social
Jean ARTHUIS
Quelle était la proportion de maires et d'élus municipaux dans la population sondée ? Les personnes interrogées demandent une pause dans la Décentralisation et manifestent de la satisfaction ou de l'inquiétude au niveau financier. Or il n'y a pas eu de Décentralisation et de transferts de compétences à l'échelon municipal. Par conséquent, leur inquiétude et la demande de pause me laissent perplexe.
Dominique REYNIÉ
Outre les maires, nous avons interrogé des conseillers régionaux et des conseillers départementaux. Toutefois, pour que l'échantillon soit représentatif des élus locaux de France, nous avons interrogé une majorité de maires. Nos élus, y compris les maires, ont le sentiment que l'Acte II n'est pas un moment législatif qui établit des règles définitivement, mais un moment où l'on ouvre un mécanisme de transferts qui doit se poursuivre. L'inquiétude des maires vient du fait que leur niveau de compétence et leur échelon de gestion sont affectés par les transferts, les compensations insuffisantes et les montées dynamiques de charges.
Jean PUECH
Précisons que 505 élus ont été consultés : 453 maires, 41 présidents de Conseils Généraux et 11 présidents de Conseils Régionaux.
Jean ARTHUIS
Les maires sont peut-être sensibles aux inquiétudes qu'expriment les Conseils Généraux avec lesquels ils sont en partenariat. Ils entendent depuis quelques mois, du fait de cette grande proximité, les élus départementaux exprimer leur inquiétude face à cette nouvelle dynamique de dépenses qui asphyxient leurs budgets et créent des difficultés financières. La dotation des municipalités dépend en petite partie des versements du Conseil Général, ce qui expliquerait la sensibilité et la solidarité des élus municipaux à l'égard des départements.
Dominique REYNIÉ
La population des élus est une population spécifique. Le monde politique local est un monde où tous travaillent ensemble, et dont la structure est complexe : plusieurs personnes détiennent parfois plusieurs fonctions, certaines personnes ont eu une fonction dans le passé ou souhaiteraient obtenir une fonction supplémentaire. Nos élus ont souvent eu plusieurs mandats. Par ces cumuls passés, présents, espérés ou par le jeu des financements croisés ou des projets collectifs associant plusieurs collectivités locales, les maires ont acquis une véritable culture de la Décentralisation, qu'ils connaissent comme de vrais spécialistes.
Rémy POINTEREAU
Je fais partie des élus pour lesquels la Décentralisation doit être vécue comme une chance, non comme un handicap. Il y a quelque temps, il était question de la suppression des départements. Le transfert de compétences supplémentaires a, au contraire, permis de rétablir une meilleure gestion des opérations de proximité. Aujourd'hui, il est nécessaire d'être transparent sur les effets non compensés de la Décentralisation, précisément concernant la fiscalité. Beaucoup d'erreurs sont commises à ce sujet. Les Conseils Généraux parlent de compensations non conformes à celles annoncées par la DGSR et par l'Etat. Par exemple, au niveau départemental, une compensation de 85 % avait été annoncée pour le RMI, et elle n'est plus que de 77 % en 2007. Il est nécessaire de dire la vérité sur ce qu'a coûté en fiscalité la non-compensation des transferts. En comparaison avec la Décentralisation de 1982, tout le monde semble approuver la dynamique dans certains domaines, tel que celui de la gestion collèges. Les départements ont hérité de structures scolaires délabrées, et ont dépensé des sommes extrêmement importantes sans compensation de l'Etat afin de les restaurer. Tout le monde s'en réjouit. Les chiffres devraient être transparents afin que nous puissions régler certains problèmes. Contrairement à l'opposition, nous exigeons de savoir la réalité des choses.
Jacqueline GOURAULT
La Décentralisation affecte d'abord essentiellement les départements parce que ceux-ci ont accepté ou se sont battus pour le transfert d'un certain nombre de pouvoirs. Jean Arthuis avait raison lorsqu'il expliquait que la Décentralisation ne touchait pas directement les communes, mais seulement indirectement. Actuellement, a lieu un recentrage des missions des départements sur leurs obligations. Par conséquent, la majorité de ces collectivités locales réduit les aides aux communes. Nécessairement, ces dernières le ressentent comme un effet de la Décentralisation.
Je souhaiterais aborder deux points qui n'ont pas été discutés pour le moment : en premier lieu, le malaise des élus se traduit, en particulier dans les petites communes, par une solitude due au manque d'entourage administratif. En effet, dans les petites communes, personne n'aide plus les maires dans la gestion administrative de leur charge. Les instituteurs ne jouent plus le rôle de secrétaire de mairie. Le couple indissociable du maître d'école et du maire rural n'existe plus tout simplement parce qu'il n'y a plus d'école. La pénurie de personnes compétentes pour assister les maires dans ces communes se fait véritablement ressentir. L'intercommunalité doit en cela apporter beaucoup à la gestion des communes rurales. Ceux qui résistent à ce qui est parfois appelé de façon peu claire la mutualisation doivent comprendre que les moyens administratifs fournis par l'intercommunalité sont très importants.
En second lieu, la peur d'une domination par la région sur les autres collectivités pose le problème de la compétence générale et de l'attribution des rôles. Cette impression de tutelle peut nuire au travail des élus qui se sentent dominés.
Adrien GOUTEYRON
Les maires, constatant que les départements ont désormais des charges considérables, ressentent en effet, par une sorte d'effet optique, une forte domination. Ils expriment de façon récurrente la crainte de ne plus bénéficier du soutien nécessaire du département qu'ils ont eu jusqu'à présent. Il s'agit moins d'une réalité que d'un constat. Il est évident de mettre l'accent sur l'inquiétude majeure s'agissant de la progression des charges. La compensation calculée selon la loi fait l'objet de peu de contestation. En revanche, le problème vient du fait que les charges progressent beaucoup plus vite que les recettes et les effets de la compensation.
L'analyse de la problématique du ressenti d'une tutelle par la région m'a beaucoup étonné dans cette enquête. Cette crainte n'existe pas chez les élus de base, les maires, dans mon département. Les élus des départements ressentent cette crainte à juste titre, mais les maires le ressentent sans doute moins. Le sondage propose-t-il des éléments qui permettent d'affiner cette analyse et de montrer qui ressent exactement cette tutelle de la région ?
Dominique REYNIÉ
Ce résultat m'a, à moi, également paru surprenant, mais il doit être significatif dans la mesure où le clivage est très fort et que beaucoup de maires nous ont fait part de cette angoisse. Nous disposons des éléments nécessaires pour approfondir et détailler ces résultats, mais vous ne pourrez en prendre connaissance qu'à une date ultérieure. La prise en compte de la ventilation permettra à terme d'affiner notre étude. La date de clôture de l'enquête devait être aussi proche que possible de cette réunion pour pouvoir opérer l'analyse en fonction de la conjoncture appropriée. Nous n'avons donc pas eu le temps, matériellement, de détailler précisément nos résultats.
Par hypothèse, l'inquiétude des maires de passer sous la tutelle d'un autre élu local peut être associée à la préoccupation générale des maires dominés par différents problèmes tels que ceux de l'intercommunalité, l'absence de soutien du département et la domination par la région bien qu'elle ne soit pas une collectivité locale agressive. Les départements ont davantage bénéficié de la Décentralisation parce qu'ils se sont préoccupés de leur sort. L'inertie des régions m'a, au contraire, surpris. Lors des débats des assises sur la Décentralisation pour lesquels j'étais membre du comité de pilotage, elles ont refusé tout transfert de personnel parce qu'elles craignaient de devenir des administrations de gestion. A travers ce retrait, ces structures ne se montraient en rien inquiétantes. En réalité, l'inquiétude des maires ne constitue que le symptôme d'un malaise qui s'exprime partout où il le peut. Il est certain que la Décentralisation s'accompagne d'un retrait de l'Etat jacobin. Les maires souhaitent ce processus malgré l'isolement et les structures incertaines qui l'entourent. Il est conscient de ces éléments lorsqu'il débute son mandat. Néanmoins, les maires peuvent avoir le sentiment de perdre le contrôle et de passer de facto sous une tutelle.
Alain VASSELLE
Je me reconnais bien dans les propos tenus par mes collègues, notamment dans ceux de Madame Jacqueline Gourault. J'ai participé hier à une réunion de mon association départementale de maires. Ils m'expliquaient leur mal de vivre et leurs préoccupations quant à leur avenir au regard de l'évolution de leurs recettes fiscales. Indirectement, les effets Acte II de la Décentralisation se manifestent dans les communes à travers le concours financier qu'apportent le département et la région. Ainsi, la région Picardie a annoncé explicitement la révision de sa politique d'aides aux collectivités locales en raison de leurs nouvelles charges. Le président de gauche du Conseil Général dénonce également quotidiennement les transferts et les charges supplémentaires que supportent les départements, à travers le RMI par exemple. Par conséquent, les délais d'attentes des communes pour le concours financier des Conseils Généraux augmentent. Les communes, notamment les communes rurales, dépendent presque exclusivement de leurs partenaires financiers. Plus de 600 communes sur 700 dans mon département comptent moins de 2 000 habitants et aucune ne peut investir et acquérir des équipements si elle ne bénéficie pas du concours de ses partenaires que sont la région mais surtout le Conseil Général.
Les communes bénéficiaient autrefois des services de l'Etat. Or progressivement, ces services de l'Etat disparaissent. J'ai alerté plusieurs fois l'Association des Maires de France à ce sujet, mais je n'ai jamais obtenu de véritables réactions en faveur de l'inversion du processus. La réduction des effectifs de fonctionnaires touche d'abord les Services de l'Etat au niveau local avant d'affecter les services ministériels. Aujourd'hui, pour bénéficier des services de la Direction Départementale de l'Equipement (DDE), les maires doivent payer. Autrefois, ces services se rémunéraient sur les travaux réalisés. La Direction Départementale de l'Agriculture connaît la même évolution. Nous sommes contraints de payer conformément aux normes. Le transfert de dépenses et de charges a entraîné la perte de tous les services dont bénéficiait gratuitement une commune.
Les grands programmes structurants dans l'intercommunalité entraînent en réalité de la fiscalité supplémentaire. Les Conseils Généraux doivent donc maîtriser leur fiscalité afin qu'elle ne devienne pas trop importante. Ils sont contraints de revoir à la baisse leurs programmes de dépenses pour pouvoir compenser les dépenses supplémentaires provoquées par l'intercommunalité. Elles sont peut-être justifiées mais elles deviennent très pesantes dans les secteurs ruraux. Les communautés d'agglomérations qui bénéficient de l'apport d'une grande ville ne connaissent pas de problèmes parce que la ville possède des ressources. En revanche, si la communauté d'agglomération ne réunit que des communes rurales, le fait de s'associer nécessite, pour faire face à des dépenses nouvelles, de percevoir de nouveaux moyens.
Il existe un réel problème s'agissant du statut des maires. Deux maires, qui concilient leur métier avec leur rôle de responsable de commune, m'ont hier interpellé. L'un est fonctionnaire à La Poste, l'autre travaille dans un établissement bancaire. Ils se plaignaient à juste titre que le Conseil Général fixe une date de réunion en journée sous prétexte que les fonctionnaires travaillant au niveau départemental acceptent de moins en moins de participer aux réunions le soir. Ces élus salariés ne peuvent pas participer à ces réunions diurnes, parce que leurs supérieurs refusent qu'ils s'absentent de leur travail. Si toutefois ils participent à la réunion, ils ne sont pas rémunérés pendant ce temps-là et sont contraints de rattraper leur temps de travail. Je comprends cela. Je suggère que, suivant le modèle de ce qui existe pour les sapeurs pompiers volontaires, l'entreprise soit indemnisée pour le temps consacré par l'élu local à l'exercice de sa fonction. Il y aurait un fort intérêt, dans le cadre des enquêtes, à pousser plus loin les investigations et à s'intéresser davantage au statut de l'élu qui devient un véritable problème pour un certain nombre d'entre eux.
François FORTASSIN
Élu président du Conseil Général des Hautes-Pyrénées en 1979, j'ai été spectateur de l'ensemble du processus de la Décentralisation. J'ai en outre exercé la fonction de Conseiller Régional pendant dix-neuf ans et je suis désormais sénateur. Il est difficile de comparer la situation précédant la Décentralisation avec celle d'après la Décentralisation. Les élus de la majorité estiment que la situation leur convient si les compensations ne sont pas totalement oubliées. En revanche, les élus de l'opposition considèrent que les dédommagements sont insuffisants.
Au cours de ces quinze dernières années, ma structure est passée de 500 à 1 400 personnes. Malgré la « mode » actuelle, il serait malvenu de les abriter dans des tentes devant le parvis du Conseil Général. A ces problèmes de locaux et d'équipements s'ajoutent des problèmes d'assurance souvent oubliés, l'Etat étant son propre assureur. Nous devons gérer seuls ces problèmes d'assurance, dont le Glissement Vieillissement-Technicité (GVT) constitue un bon exemple.
La contradiction entre la Décentralisation choisie et la Décentralisation subie pose problème ; dès l'instant où les TOS, auxquels je ne suis a priori pas hostile, sont sous la responsabilité du chef d'établissement et du Président du Conseil Général, divers troubles apparaissent. Ainsi, considérant qu'il s'agissait de personnel départemental, je leur attribuais 1 600 heures de travail par an. J'ai signé un protocole avec chaque chef d'établissement afin que les employés travaillent pendant les périodes de vacances. Toutefois, si le chef d'établissement, sur lequel je n'ai strictement aucun pouvoir, ne fait pas appliquer cela, personne ne peut résoudre la situation. Les TOS expliqueront alors qu'ils n'ont pas pu venir travailler en raison de la fermeture de l'établissement. Il ne semble pas y avoir de solution à de tels problèmes.
Le RMI-RMA ressemble sur le plan intellectuel à une escroquerie. Nos travailleurs sociaux sont relativement bien formés et compétents en matière de prestations sociales. Passer un partenariat avec une entreprise nécessite l'invention d'un métier nouveau. Nos salariés n'ont pour ce métier ni compétence ni souvent disposition d'esprit. Il est souvent conseillé aux élus d'encourager les individus au chômage depuis peu de temps à s'inscrire à l'ANPE qui gérera leur démarche. En revanche, la gestion des chômeurs de longue durée nous revient. L'ANPE est bien plus compétente pour gérer une telle situation. Les résultats d'entrée sur le marché du travail en témoignent. Je soutiens donc qu'un réel problème se développe.
L'Etat devrait être fort et les Conseillers Généraux devraient peser dans les décisions. Les préfets ont un rôle très important à jouer. En revanche, les jugements de valeur qu'ils portent sur la politique sont inacceptables. Les Conseils Généraux, par exemple, paient la majorité de la gestion des pompiers. Pourtant, le préfet continue de clamer à plusieurs publics qu'il organise le système. De tels comportements sont malsains, et ne pourront perdurer. La réduction complète des services de l'Etat en direction des communes me semble catastrophique. La DDA ne s'occupe que de la sauvegarde des écrevisses à pattes blanches et délaisse la culture du maïs. On ne voit plus la DDA et la DDE dans nos cantons. Ces problèmes surpassent les problèmes de compensations financières qui paraissent contestables.
Charles JOSSELIN
J'ai été longtemps Président d'un Conseil Général. En 1997, j'ai dû renoncer à ce mandat après que Lionel Jospin a exigé de ses ministres qu'ils respectent la règle du non-cumul des mandats qu'il avait instituée. J'exerce toujours la fonction de vice-président du Conseil Général. J'aurais souhaité interroger le professeur Reynié, non sur les aspects directement financiers du dossier, mais davantage sur la relation institutionnelle entre les différents niveaux de collectivité et de territoire. Un élu interrogé sur deux craindrait la tutelle de la région. Ce jugement est-il connoté politiquement ou non ? La réponse de l'élu dépend-elle de sa situation dans l'opposition ou dans la majorité ? Cette crainte à l'égard de la région vaut-elle pour tous les départements et quelle que soit la sensibilité politique du département ?
Les procédures que les régions mettent en oeuvre pour essayer de consolider leurs relations communes par le biais des contrats avec les communautés de communes ou les syndicats de pays, contournent parfois le département. Cette pratique que nous voyons en Bretagne se développe-t-elle dans d'autres départements ?
Pour sortir de la trappe financière dans laquelle les élus se sentent enlisés émerge une question du recentrage des compétences. Elle n'a encore que peu d'impact dans la réalité, mais appartient aux points à analyser. Les élus préfèrent souvent se contenter de faire ce que la loi les oblige à faire, et laissent l'autre collectivité locale, la région, en l'occurrence, s'occuper du champ économique pour lequel le département n'a pas de compétence. Avez-vous ressenti ces prémisses de recentrage, non rémunéré, sur ces blocs de compétences, chez les élus que vous avez interrogés ?
Dominique REYNIÉ
Malheureusement, l'enquête que nous avons menée ne permet pas l'analyse de l'évaluation de la poussée éventuelle de combinaisons entre collectivités locales et de structures telles que les pays. Le détail des ventilations ne nous renseignerait vraisemblablement pas davantage à ce sujet.
En revanche, sous réserve de cette analyse des ventilations, il ne semble pas y avoir de connotation politique dans l'expression de ces craintes. 90 % des élus interrogés se déclarent très inquiets au sujet de l'avenir de leurs capacités financières. Ce chiffre révèle une quasi-unanimité. Cette crainte de la tutelle de facto par les régions exprime une inquiétude généralisée, et qui n'est ni adossée ni déterminée par une doctrine ou une idéologie.
Charles JOSSELIN
Vous évoquez ici les élus des départements. Les élus des grandes villes ont-ils cette même crainte ?
Dominique REYNIÉ
Sous réserve d'une analyse plus précise effectuée après la ventilation des résultats, les élus des grandes villes ne semblent pas craindre une telle tutelle. Deux variables justifient ce point : la commune se sent moins forte que le département et que la région, relativement à sa taille. Dans le cas le plus typique des petites communes, l'élu se sent opprimé par des problèmes de financements et des structures dominantes. Ce sentiment n'est pas idéologiquement clivé et ne concerne pas les maires des grandes villes et de la plupart des villes moyennes.
Le recentrage sur des blocs de compétences représente une réelle difficulté pour les élus. Les dynamiques ayant des externalités négatives comme le vieillissement démographique se multiplient. Cette augmentation a un effet de proximité : le concitoyen exerce une pression plus efficace, plus forte, sur les élus. Le niveau de compétence se rapproche de la population. Par conséquent, celle-ci en a une vision plus claire, sans être capable de distinguer les rôles attribués à chacun - et il n'est pas possible de le lui demander. Les explications sont toujours complexes. Les lecteurs ne parviennent pas à faire les distinctions. La pression est constante. Les Français se montrent très favorables à la Décentralisation. Des enquêtes ont souligné à certaines périodes l'émergence d'une forme de scepticisme. Toutefois, cet état d'esprit dépendait non seulement de la conjoncture mais aussi beaucoup de la question posée. De manière fondamentale et dans une vision de longue durée, l'opinion française se prétend très favorable à la Décentralisation, notamment parce qu'elle a le sentiment que cette nouvelle organisation lui permettra de vérifier davantage les actions de leurs élus et de s'adresser plus directement à ses représentants. Une nouvelle pression grandit, caractérisée non par la dynamique démographique mais la dynamique démocratique. Le nouvel élu qui annonce à ses citoyens qu'il se recentre sur un bloc de compétences spécifiques pourra intellectuellement mais non politiquement l'assumer.
Michel MERCIER
Ces choses sont vécues de facto , et expliquent partiellement le malaise des maires. Théoriquement, les lois sur la Décentralisation ou qui vont dans le sens de la Décentralisation, comme les lois instaurant des pauses dans la Décentralisation, font de façon récurrente l'objet de multiples discours. Aucune session parlementaire ne se déroule sans que nous votions un texte d'attribution de nouvelles compétences à une collectivité locale. Au cours des quinze prochains jours, nous en produirons une douzaine, parmi lesquelles une grande loi sur le transfert de la tutelle. La majorité de droite aura enfin financé un projet aussi bien que celui de l'Aide Personnalisée à l'Autonomie. Les Conseils Généraux recevront de nouvelles compétences sans toucher aucun moyen financier. Cela leur coûtera très cher bien qu'ils ne paient pas la première année. L'Assemblée des Départements de France a estimé, en considérant l'avenir, que des transferts effectués en 2009 coûteraient moins chers qu'en 2007. Dès lors que la loi ne s'appliquait qu'en 2009 elle devenait acceptable.
La Décentralisation se définit donc effectivement comme la spécialisation des collectivités et la fin de la clause de compétences générales. En effet, les compétences nouvelles qui nous sont transférées pèsent lourdement sur nous, le département est contraint de gérer tous les aspects sociaux, tandis que les régions, qui pouvaient se féliciter de leur statut il y a encore deux ou trois ans, feront bientôt face aux coûts surélevés pratiqués dans le domaine du ferroviaire qui leur est transféré. Le prix des rails dépasse celui des routes, parce que c'est la SNCF qui s'occupe de la conception des trains. Aidés par Réseau Ferré de France, nous sommes assurés d'avoir les meilleurs prix possibles. Ce « meilleur prix » est en fait l'un des plus chers du monde, et les collectivités risquent de peiner à assumer ces nouvelles évolutions prévues par les textes. Le maire qui recevait de nombreuses aides à la fois de la région et du département, dans le cadre des clauses de compétences générales établies par la loi du 10 août 1971, bénéficiait d'une sorte d'assurance. Le poids de l'opinion sera salvateur pour les maires. L'opinion publique a envie de quelque chose et en fera la demande. Les financements croisés seront rétablis très fortement localement.
Ainsi, mon département, petit territorialement mais fort démographiquement, a besoin de l'organisation d'un vaste réseau de transports, incluant le ferroviaire. La région approuve le projet et accepterait de le faire si elle possédait suffisamment d'argent. La région n'ayant pas ces moyens financiers, le département la remplacera sur ce projet. Les maires bénéficieront aussi d'une aide. La tentation du repli sur soi et la pression pour continuer à répondre globalement aux requêtes des concitoyens coexistent. Afin de parvenir à atteindre tous ces objectifs, il devient urgent d'aménager dans le système un certain nombre de marges de manoeuvre en particulier pour les départements. Le pire pour ces collectivités territoriales ne vient pas des compétences qui leur sont transférées. C'est en effet au citoyen de juger de la capacité ou de l'incapacité du département à gérer ces compétences.
Le problème vient du fait que nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Quelqu'un nous dicte à chaque instant ce que nous devons faire et la façon dont il faut le faire. C'est insupportable, comme l'illustre cet exemple très trivial : depuis décembre 2006, le Conseil Général attend que la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie de Monsieur Piveteau et la Direction Générale de l'Action Sociale parviennent à un accord de tarif horaire pour la rémunération des aides à domicile. Des milliards de francs sont en jeu pour l'APA et la prestation de compensation du handicap. Un décret a fixé le tarif de 14,33 euros pour le handicap. De son côté, malgré un important déficit, la caisse vieillesse publie deux fois par an un communiqué stipulant que la rémunération par heure de l'aide ménagère serait de 16,75 euros. Les dirigeants agissent comme si un déficit supplémentaire ne se verrait pas et comme si, à terme, quelqu'un paierait de toute façon pour compenser les pertes. Les départements sont enserrés entre ces deux exigences : le décret, la caisse vieillesse, les associations qui reconnaissent leurs difficultés et les entreprises privées labellisées par Monsieur Borloo qui se vantent de leur succès. Nous ne disposons d'aucune marge de manoeuvre. Nous ne pouvons pas fixer nos propres tarifs qui diffèreraient vraisemblablement de l'un et de l'autre mais nous permettraient de nous consacrer à d'autres compétences. La Décentralisation, par exemple, aboutit d'abord à un transfert de personnel.
Lorsque j'ai été élu au Conseil Général il y a plus de trente ans, moins de 1 000 agents travaillaient dans mon département. Ils sont actuellement plus de 5 000, et pèsent un poids différent dans le budget et les décisions. Nous ne savons jamais le salaire que nous paierons à nos agents si nous ne lisons pas le journal le 31 décembre. Ainsi, nous ignorons combien nous allons payer nos 1 380 pompiers professionnels. Lorsque nous observons les deux ou trois décrets promulgués ces deux derniers mois, nous pouvons constater qu'en fonction du vainqueur, les impôts augmenteront de 1,5 à 2 points. Nous ne l'apprenons toujours qu'au dernier moment. Une marge de manoeuvre, les capacités de retrouver une certaine liberté sont les seuls éléments qui permettront de répondre aux angoisses des maires, et à travers eux, à nos citoyens. Le vrai problème de la Décentralisation vient de la définition de la liberté de gestion : les législateurs nous avaient proposé de définir le statut des TOS dans un chapitre particulier de la fonction territoriale. Pour dépasser tout problème, j'ai choisi la solution la plus simple en supprimant les TOS. Chacun peut choisir la solution qu'il estime la meilleure, mais cette solution permet de bénéficier d'une plus grande liberté de manoeuvre. Ainsi, les TOS travaillant dans quatre-vingt collèges de mon département ont été replacés. Nous laissons les plus âgés partir à la retraite, les cuisiniers ont été replacés dans des entreprises privées qui en sont très satisfaites. Nous avons trouvé un accord avec le Président de la Région, qui souhaitait augmenter son nombre de TOS. Bien que nous n'ayons pas les mêmes affinités politiques, les liens créés par nos études supérieures communes ont fait que nous sommes tombés d'accord rapidement. Je lui ai donné tous mes TOS et tout le monde se sentait gagnant. Cette solution est la seule que nous ayons trouvée pour pouvoir enfin retrouver notre efficacité.
Les rigidités de gestion imposées par les textes sont contraires à l'esprit de la Décentralisation. Si des pauses ralentissaient le processus pour l'approfondir, il faudrait donner de vraies responsabilités aux élus locaux. Aujourd'hui, un élu départemental contraint de dédier plus de 80 % du budget de fonctionnement au social, ne dispose d'aucune marge de manoeuvre. Il ne me semble pas nécessaire de payer une aide ménagère au même tarif horaire à Paris et à Mende sous prétexte que toutes deux sont des villes. Il n'est pas nécessaire de donner le même taux de RMI et d'APA à Paris et à Mende alors que toutes deux sont des villes. Tout le monde n'a pas besoin de percevoir la même chose. La Décentralisation se caractérise en effet avant tout par l'adaptation aux nécessités de terrain.
Henri de RAINCOURT
Le sondage révèle peut-être une prise de conscience qui commence à se généraliser. Notre gouvernance publique est gérée de telle sorte qu'elle a conduit à un taux d'endettement et de déficits publics très importants. Les élus ont pris conscience de la nécessité de rétablir l'équilibre et l'ordre dans les finances. Pour des raisons politiques, les élus témoignent de leur désir d'être de bons gestionnaires en manifestant leur volonté de réduire les déficits tout en restant généreux socialement. Il ne faut pas hésiter à agréer une convention collective des travailleurs familiaux, il ne faut pas hésiter à ne pas remettre en cause la durée du temps de travail. Les effectifs ont augmenté effectivement en raison des transferts de compétences suscités par la Décentralisation mais aussi en raison du passage des 39 heures de travail hebdomadaire à 35 heures. 400 000 ou 500 000 emplois ont dû être créés en quelques années dans la fonction publique territoriale. Les maires reçoivent dans leur commune une demande de service public et ils s'efforcent d'y répondre. Cependant, les maires veulent être bons gestionnaires. Or il est rare que maire et conseillers municipaux augmentent les taux des impôts municipaux. Afin de tenir compte des requêtes de la population, ils sont par conséquent contraints de s'adresser au Conseiller Régional et au Conseiller Général, voire à l'Etat et à l'Europe, pour réunir les fonds nécessaires. Les échelons intermédiaires entre l'Etat et les municipalités se trouvent alors dans des positions qui deviennent extrêmement difficiles à gérer. Il arrive un moment où, si l'impôt n'est pas augmenté, le système risque d'imploser. En outre, le surplus de l'impôt ne représente qu'une fraction des recettes.
Cette position de plus en plus inconfortable donne conscience aux maires que des changements vont venir bouleverser le système. Nous avons tous pris conscience de l'ampleur de la dette publique. Dans quelques jours, le gouvernement nous détaillera le problème lors d'une conférence des finances publiques semblable à une concertation à Bercy. Quelles qu'en soient les conclusions, nous savons tous que des réformes sont nécessaires pour maîtriser et structurer la dépense publique, et probablement gérer autrement les collectivités.
Nous ne sommes en réalité que des sous-traitants. Le gouvernement se vante des mesures en faveur des droits des handicapés et du droit au logement opposable. Il pourrait multiplier les bonnes nouvelles et les promesses, mais il est incapable de les tenir, et le système risque d'imploser. Une réflexion collective sur la gouvernance publique et sur les transferts de vraies responsabilités permettrait d'améliorer la situation des finances publiques. De même, le Parlement devrait renoncer à cette volonté d'apparaître toujours généreux en proposant de l'argent qu'il n'a pas.
Jean PUECH
Les résultats de cette enquête, qui nécessitent encore beaucoup de travail d'analyse, apparaîtront dans les différentes nouvelles missions de l'élu qui feront l'objet du rapport que je présenterai dans quelque temps. Néanmoins, le consensus semble clair entre nous tous.
* 1 Ont participé à la conférence-débat :
- M. Yves FREVILLE, Sénateur, Professeur de finances publiques à l'Université Rennes I
- Mme Jacqueline GOURAULT, Sénatrice, expert désigné par l'AMF, première vice-présidente
- M. Alain GUENGANT, professeur à l'Université de Rennes I, directeur de recherche au CNRS, CREM (Centre de Recherche et Economie et en Management), expert
- M. Dominique HOORENS, expert désigné par Dexia, directeur des études
- M. François LANGLOIS, expert désigné par l'ARF, délégué général
- Mme Marie-Christine LEPETIT, expert désigné par la Direction Générale des Impôts (directrice adjointe à la DGI, directrice de la législation fiscale)
- M. Dominique REYNIE, Professeur des universités en sciences politiques à Sciences Po, Directeur de l'Observatoire - interrégional du politique
- M. Renaud ROUSSELLE, expert désigné par la Direction Générale de la comptabilité publique, sous-directeur du service public local
- M. Michel ROUZEAU, expert désigné par l'ADF, délégué général
- M. Luc-Alain VERVISCH, administrateur de l'association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE-CT), expert
- M. Paul de VIGUERIE, membre du Conseil Économique et Social