Intervention de M. Francis MAYER, Chef du Service des Affaires internationales du Trésor
M. Francis MAYER. - Merci beaucoup Monsieur le Président. Après toute cette litanie de titres administratifs, j'espère ne pas ennuyer l'auditoire avec trop de litanies sur le thème de l'ajustement, de la rigueur budgétaire, de programmes FMI.
On me demande de traiter du sujet « l'Afrique est-elle sur la voie d'un retour à des équilibres propices au développement ? Une perspective économique et financière ». Je vais donc être obligé de me situer dans le domaine économique et financier.
On a pu dire que les années 80 étaient celles de la décennie perdue pour l'Afrique. Je rappelle que la croissance moyenne du P.I.B. était d'environ 2 % par an, la croissance démographique étant de l'ordre de 3 %. On voit que le recul du P.I.B. par habitant a été tout au long de la décennie de l'ordre de 1 % par an, donc un recul de la richesse par habitant pour l'Afrique.
Le paradoxe est que ce résultat n'était pas dû à un quelconque désengagement des bailleurs de fonds, puisque l'aide publique au développement reçue par l'Afrique a augmenté fortement au cours des années 80. Elle représentait environ 5 % du P.I.B. des pays bénéficiaires entre 1981 et 1987 et près de 10 % entre 1988 et 1992.
L'augmentation de l'aide extérieure ne s'est donc pas accompagnée d'une accélération, mais plutôt d'un ralentissement du développement. Voilà le paradoxe. Il y a à la fois des raisons externes et des raisons internes à cette évolution adverse. Il y a eu certes des fluctuations erratiques sur les changes et les marchés des matières premières, mais il y a eu aussi mauvaise gestion économique, financière, budgétaire, par les gouvernements africains eux-mêmes.
L'Afrique francophone n'a évidemment pas échappé à cette évolution, mais ses perspectives de croissance sont aujourd'hui bien meilleures que dans les années 1980. Ceci est d'abord le résultat du retour au réalisme dans la gestion économique et financière des États, c'est aussi le fruit du bouleversement des structures économiques et d'un meilleur environnement économique mondial.
A partir de là, j'aimerais structurer mon propos en trois parties. Dans la première partie, je montrerai pourquoi les perspectives économiques sont aujourd'hui bien meilleures, encore que cette situation est contrastée. Dans une deuxième partie, je dirai quelle conclusion nous pouvons tirer de cette situation meilleure, mais néanmoins contrastée. Enfin, je vous indiquerai qu'à mon sens la restauration des équilibres économiques et financiers, pour importante qu'elle soit, ne suffit pas à assurer la croissance. Il faut aussi parvenir, dans les pays d'Afrique, à un meilleur partage entre le secteur public et l'initiative privée.
Les perspectives économiques sont aujourd'hui en nette amélioration dans une large part de l'Afrique. Les pays de la zone franc ont dans l'ensemble amorcé un retour à la croissance depuis 1994 et depuis la dévaluation du franc CFA. Je ne vais pas rappeler les deux chocs macro-économiques simultanés et très violents que les pays de la zone franc ont subi à la fin des années 80 et au début des années 90, la dégradation des termes de l'échange, la chute des prix des matières premières.
Je rappellerai la dévaluation du dollar par rapport au franc français et donc au franc CFA ; entre 1985 et 1992 le taux de change effectif réel des pays de la zone franc avait augmenté de 50 %. Les prix en monnaie locale des exportations agricoles s'étaient effondrés.
Depuis 2 ans, le paysage économique a radicalement changé. La dévaluation du franc CFA a permis aux pays de la zone franc de compenser ces deux chocs de la fin des années 80 et surtout - et c'est un hommage à rendre aux gouvernements des pays africains - grâce à la bonne maîtrise des prix et des salaires après la dévaluation, ces pays ont pu conserver l'essentiel du gain de compétitivité que la dévaluation avait apporté.
En effet un doublement des prix aurait effacé complètement l'effet bénéfique de la dévaluation en termes de compétitivité. Or la hausse des prix depuis janvier 1994, dans les pays de la zone franc, est comprise selon les pays entre 30 et 50 %.
L'environnement est redevenu favorable à la croissance. En 1992 et 1993, le P.I.B. avait baissé de 1 % et même 2 % en 1993, sans parler de la croissance démographique. On voit dans quelle impasse les pays de la zone franc notamment étaient en train de s'engager.
Cette croissance a atteint 1,5 % en 1994, ce qui était encore insuffisant pour rattraper la croissance démographique, mais l'inversion de la tendance s'était produite. En 1995, la croissance dans les pays de la zone franc sera comprise entre 4 et 5 %. En 1995, pour la première fois depuis de longues années, le revenu par habitant sera en augmentation dans les pays de la zone franc. Nous avons pu le constater et nous en féliciter lors de la dernière réunion des Ministres de la zone franc qui s'est tenue à Bamako au Mali.
Les deux Ministres présents, c'est-à-dire M. Arthuis le Ministre des Finances, et M. Godfrain le Ministre de la Coopération, ont pu constater des effets tout à fait positifs, par exemple une réelle prospérité dans les zones rurales au Mali, des investissements dans le monde agricole, un bonheur retrouvé dans les zones rurales et même, semble-t-il, d'après ce que nous ont dit les dirigeants maliens, un retour au pays de paysans qui étaient venus s'entasser dans la périphérie des villes. Ils sont donc revenus à la campagne parce qu'il est de nouveau devenu rentable de cultiver et de vendre le produit des cultures vivrières.
Ce tournant de 1994 s'est accompagné d'une énorme mobilisation des institutions financières internationales. La zone franc a bénéficié de 10 milliards de francs français d'aide du Fonds et de la Banque, sans parler de l'aide française et des annulations de dettes qui ont été consenties pour accompagner ces mesures courageuses.
Le fait est que cette situation, favorable globalement, est néanmoins contrastée. Dans l'ensemble, l'Afrique occidentale s'en tire pour l'instant mieux que l'Afrique centrale où l'assainissement économique et budgétaire et les réformes de structures ont été engagés plus tardivement.
Je vais surtout parler de la zone franc, mais d'autres pays francophones d'Afrique ont renoué avec un environnement économique favorable : la Guinée, la Mauritanie, pays très pauvres. Quand on descend plus vers le sud du continent, il est évident qu'il y a deux grands pays qui connaissent toujours des difficultés très graves. C'est le cas du Zaïre et de Madagascar. Nous espérons tous que des politiques appropriées, c'est-à-dire rigoureuses sur le plan économique et budgétaire puisqu'elles conditionnent tout le reste, y compris la réduction de la pauvreté, seront mises en place de manière à ce que ces pays puissent pleinement réintégrer la communauté financière internationale et bénéficier des aides que ces pays pourront mériter.
Pour terminer ce tour d'horizon, il y a aussi dans les pays francophones d'Afrique des modèles de réussite. L'Ile Maurice a une croissance annuelle supérieure à 6 % depuis de longues années. Ce pays est aujourd'hui quasiment sorti du sous-développement. C'est un exemple de grande réussite.
Deuxième point de mon propos : quelles conclusions faut-il tirer de ce constat ? La stabilisation du cadre économique et financier est la première condition du développement. Une étude récente sur la situation économique de l'Afrique Subsaharienne entre 1986 et 1993 montre que sur toute cette période, les pays dont les déséquilibres financiers et budgétaires sont restés limités sont aussi ceux qui ont connu la croissance la plus élevée et la réduction de la pauvreté la plus significative.
Il nous semble, et l'expérience le confirme, que seul un État maître de ses coûts et de ses dépenses est à même de s'engager résolument dans la voie de la réduction de la pauvreté, d'y consentir les moyens, de faire les arbitrages budgétaires nécessaires, et également - et ce n'est pas négligeable quand on sait l'importance que représente l'aide extérieure pour le développement de l'Afrique -d'inspirer confiance aux donateurs internationaux, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux.
Où en sont les États d'Afrique francophone dans la gestion de leurs finances publiques ? Il y aurait beaucoup de choses à dire. Je voudrais insister sur un point particulier : dans les pays de la zone franc, la part des recettes fiscales dans le P.I.B. n'est que d'environ 10 à 15 %. C'est beaucoup trop faible au regard des standards internationaux et même des standards de l'ensemble des pays en développement, compte tenu des besoins de ces pays.
C'est la raison pour laquelle les programmes d'ajustement et de croissance en cours dans ces pays tendent vers une augmentation du niveau des recettes fiscales et douanières, puisque la moyenne pour les pays en développement est d'environ 20 % du P.I.B.
Certains pays, y compris parmi les pays francophones et ceux de la zone franc, sont en passe d'atteindre l'autonomie budgétaire. Ainsi le Mali, pays pauvre, qui a peu de ressources, qui est constamment menacé par la désertification, a réaffirmé une nouvelle fois, devant les deux Ministres français, qu'il cesserait bientôt, au 1er janvier 1997, de solliciter toute aide budgétaire de la France.
D'autres pays, moins pauvres que le Mali, n'en sont pas encore là. Cela me paraît un objectif souhaitable pour que toute l'aide extérieure puisse être consacrée au financement du vrai développement et de la vraie réduction de la pauvreté.
En conclusion, il nous semble - et l'expérience paraît l'enseigner - qu'assainissement financier, croissance économique et réduction de la pauvreté vont de pair.
Quelques mots sur les composantes du développement : la restauration des équilibres financiers et budgétaires, pour importante qu'elle soit, ne suffit pas à assurer le développement. Il faut également tendre à un meilleur partage entre le secteur public et l'initiative privée. Je n'insisterai pas longuement. Vous savez tous que les pays d'Afrique francophones, notamment, sont traditionnellement, pour la plupart, des économies administrées, et que Fonction publique et secteurs publics y sont largement hypertrophiés, le terme n'est pas trop fort.
Les cultures d'exportation qui sont si importantes pour l'équilibre extérieur de ces pays sont traditionnellement gérées de manière sans doute beaucoup trop centralisée, par des entreprises en situation de monopole, sur toutes les activités de la filière.
Comment s'étonner dès lors que l'initiative privée n'ait pas toute la place qui doit lui revenir dans l'économie de ces pays ? Ce ne sont pas seulement les insuffisances de la gestion publique que j'ai relevées tout à l'heure qui sont responsables de cette situation de fait. Il est clair que les États africains, jusqu'à une période récente, n'ont pas, à quelques exceptions près, laissé à l'initiative et au secteur privé toute la place qui doit être la sienne.
Il faut donc trouver un meilleur équilibre entre les deux secteurs, ce qui ne veut pas dire du tout disparition du rôle de l'État. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais il nous semble qu'un État recentré sur ses missions essentielles, et en premier lieu sur ses missions régaliennes (la justice, les grandes infrastructures) et qui ne s'occupe pas de gérer dans le détail l'économie d'un pays, est à la fois plus fort et plus efficace et dispose des moyens pour s'attaquer au vrai problème, à savoir le développement économique et la réduction de la pauvreté.
Certes la croissance n'est pas la seule composante du développement, mais elle en est la première condition. De nombreuses études pertinentes sur le développement et la réduction de la pauvreté, dans les pays en développement en général, et particulièrement pour l'Afrique, ont fait apparaître qu'il y avait trois conditions essentielles pour le développement et la réduction de la pauvreté.
La première condition est la croissance économique, non seulement dans l'absolu mais par tête, ce qui implique également la maîtrise de la croissance démographique.
La deuxième est la nécessité d'un engagement réel et quantifiable des gouvernements en faveur de la réduction de la pauvreté. Un des indicateurs est le budget. Quelle est la part dans un budget des dépenses improductives, par exemple des dépenses militaires excessives, des budgets entièrement absorbés par les salaires des fonctionnaires ? D'un autre côté quelles sont les dépenses consacrées à la santé et à l'éducation ? Un Vice-Président de la Banque mondiale, qui avait un peu d'expérience, me disait que la dépense budgétaire la plus importante pour lui était celle consacrée à la scolarisation réussie des jeunes filles de l'éducation primaire. On voit très bien tout ce qu'il y a de fructueux dans cette remarque.
Enfin, la troisième condition identifiée à plusieurs reprises, ce sont les financements extérieurs appropriés. Le représentant de la Banque mondiale en a parlé. Tous nos interlocuteurs ici présents savent que la France ne ménage pas ses efforts pour que l'Afrique dispose des financements extérieurs nécessaires à son développement. Le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre des Finances, l'ont rappelé avec force à plusieurs reprises.
C'est la France qui a poussé sans arrêt et qui a veillé à ce que l'Afrique subsaharienne soit placée au coeur des préoccupations de la communauté financière internationale. L'Afrique subsaharienne est devenue la priorité de l'aide au développement et ceci n'était pas évident du tout. En valeur absolue, il y a beaucoup plus de pauvres, de gens qui vivent en-dessous du seuil de la pauvreté, en Asie, en Inde, en Chine. Cette place de l'Afrique au coeur des préoccupations du développement doit être maintenue, mais il faut qu'elle continue de se mériter.
Un exemple : l'A.I.D. qui est la source concessionnelle la plus importante du financement du développement est consacrée à peu près à moitié à l'Afrique subsaharienne et au quart aux pays de la zone franc.
Enfin, il faut que les gouvernements africains nous aident à plaider la cause de leur développement auprès des institutions internationales et des bailleurs bilatéraux en continuant de s'engager résolument dans des politiques économiques et financières rigoureuses, et dans des politiques réelles de réduction de la pauvreté et de développement de leur pays.
(Applaudissements)
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Je pense que comme moi vous aurez apprécié les propos de Francis Mayer. Sa rigueur, sa présentation étaient nécessaires dans l'exposé et dans l'ensemble des débats de ce matin.
La parole est maintenant à M. Mamalepot, Gouverneur de la Banque des pays de l'Afrique Centrale. M. Mamalepot a 53 ans, il est né au Gabon, il est diplômé de l'Ecole supérieure des Sciences commerciales appliquées de Paris, promotion de 1968. Il est Inspecteur général des finances.
M. Mamalepot a exercé de hautes fonctions dans les domaines bancaires, monétaires et financiers puisqu'il a été successivement Directeur adjoint de la Banque centrale au Gabon, Directeur général de la Banque gabonaise de développement et Conseiller spécial du Président Bongo de la République gabonaise pour les questions financières.
Pendant tout ce temps, il a siégé en qualité d'administrateur au Conseil d'Administration de la Banque des États de l'Afrique centrale d'une part et de la Banque de développement des États de l'Afrique centrale d'autre part.
M. Mamalepot est Gouverneur de la Banque des États de l'Afrique centrale depuis août 1990. A ce titre, il exerce également les fonctions de Président de la commission bancaire de l'Afrique centrale. Il entame un second mandat à la tête de ces institutions depuis le 1er août de cette année.