DEUXIÈME PARTIE : COMMENT AIDER L'AFRIQUE AUJOURD'HUI ?
M. Jean FAURE . - Monsieur le ministre, je tiens à vous accueillir au Sénat au nom du Président Monory et particulièrement au nom de mes deux collègues qui nous entourent, M. Cantegrit et M. Legendre qui ont organisé cette journée.
Ce matin nous avons entendu un certain nombre d'interventions, tant de la part de responsables de l'administration ou des finances, que des Gouverneurs de banque, et notamment de banques d'Afrique.
Je suis très heureux de vous accueillir et pour permettre à chacun d'apprécier vos propos, je vous laisse tout de suite la parole.
A - FAUT-IL RÉFORMER LA POLITIQUE DE COOPÉRATION FRANÇAISE ?
Allocution de M. Jacques GODFRAIN, ministre délégué, Chargé de la Coopération
M. Jacques GODFRAIN. - Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de pouvoir m'associer cet après-midi à ce colloque dont l'organisation et l'idée me semblent particulièrement opportunes. Les circonstances le rendent ainsi et je vois dans cette initiative un signe très encourageant de votre part à l'égard de la politique française de coopération.
Cela prouve en effet que les élus qui ont décidé d'aborder ce sujet sont préoccupés de l'évolution de ce grand continent qui est notre voisin, notre ami, et de ce qu'il risque pour l'avenir, en bien et en mal.
Vous m'avez demandé d'aborder le problème de la réforme de la coopération française. Première question : faut-il la réformer ? La réponse est oui parce que toute organisation humaine, en permanence, exige d'être améliorée et pour nous la réforme est une quête vers l'amélioration.
Mais s'il faut réformer la coopération française, il faut bien entendu réformer la coopération internationale. C'est de cette rénovation que dépendra dans l'avenir la survie de la politique de coopération.
La situation internationale du développement, celle des pays africains particulièrement, peut être examinée sous deux angles, de façon optimiste et de façon pessimiste, et beaucoup aujourd'hui reconnaissent que le développement, loin d'être une cause perdue, est au contraire un facteur d'optimisme pour le début du 21ème siècle.
En effet, au cours des 30 dernières années, beaucoup de pays en développement ont connu des progrès importants. Quelques chiffres sont irréfutables : les trois-quarts de la croissance mondiale cette année et la moitié de la croissance du commerce international seront le fait de pays en développement.
Si la majorité des réussites sont localisées dans la partie asiatique du monde, les pays africains devraient connaître cette année, pour la première fois depuis longtemps, une croissance économique supérieure à leur croissance démographique. La zone franc joue indiscutablement un rôle essentiel dans cette perspective. La croissance en 1995 y est sensible. Les paramètres fondamentaux -et cela a été rappelé il y a quelques jours à Washington à la réunion du FMI consacré au développement - montraient que l'on est dans des fourchettes tout à fait intéressantes et positives.
Si la dévaluation du franc CFA a causé un certain nombre d'inconvénients sur lesquels nous pouvons revenir, elle est aujourd'hui un succès reconnu en ce qui concerne ces paramètres fondamentaux. Même si nous sommes conscients des limites de son effet, même si nous savons qu'il y a des zones d'ombre sur cette dévaluation, qu'il y a des secteurs fragiles sur lesquels nous nous engageons à rester très vigilants, indiscutablement les résultats auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui sont positifs.
Face à l'ampleur des handicaps de départ, à la contrainte de croissance démographique encore mal maîtrisée, des progrès majeurs ont été accomplis, à la fois sur le plan des infrastructures et des politiques sociales. Ces pays en développement ont fait des progrès remarquables dans la mise en oeuvre de ces politiques, avec des contraintes indiscutables que nous connaissons et sur lesquelles la France joue ce rôle de médiateur, qu'elle est à même de jouer compte tenu de son expérience entre les organisations de Bretton Woods et ces pays africains.
Beaucoup des programmes définis à la suite de longues négociations avec ces pays, parfois en nous y incluant, sont des succès techniques. La libéralisation des économies, la réduction des déficits budgétaires, la mise en oeuvre de politiques sectorielles rigoureuses, la réforme des systèmes et des circuits financiers, la mise en oeuvre de politiques sociales réalistes et performantes, tout cela désormais est bien admis. La majorité des États africains ont mis en oeuvre de tels préceptes.
Or c'est à ce moment même, dans l'année 1995, lorsque l'on discute dans le monde des budgets des pays développés pour l'année 1996, que nous rencontrons parfois une restriction sur l'appui au développement dans certains pays industriels.
En effet, pour la 3ème année consécutive, l'aide au développement est en train de baisser. C'est surtout - ne nous le cachons pas - du côté des États-Unis qu'un défaut se manifeste, et ce pour des raisons intérieures.
Partout, on entend s'exprimer des doutes sur l'efficacité, sur le bien fondé de l'aide au développement, et ces doutes créent un arrière-plan intellectuel qui pousse aux coupes budgétaires drastiques. Les budgets des APD, dans un contexte généralisé de réduction de déficit budgétaire, se voient fortement entamés.
Nous étions il y a peu de temps à Washington et nous avons rencontré les responsables américains, à la fois de l'administration d'État et du Congrès. Il est vrai que de grandes inquiétudes planent actuellement sur l'U.S. AID puisque l'on nous a parlé de réduction de l'ordre de 20 à 40 % avec entre autres, et c'est un affichage négatif, des fermetures d'Ambassades.
Ce n'est donc pas à un ajustement technique que nous risquons d'assister, mais à la remise en cause totale d'une politique internationale dont je crois pourtant que la poursuite est particulièrement nécessaire aujourd'hui.
Les besoins de financement des pays africains demeurent très élevés. La dette extérieure, et parfois la dette intérieure, en sont des raisons importantes. Les besoins d'investissements publics dans de grandes infrastructures, dans la santé, dans l'éducation, restent incontournables. Il faut les prendre en compte complètement et ne pas chercher à faire des économies sur leur compte.
La Communauté internationale devrait réfléchir profondément à ce problème, au moment où nos partenaires du Sud renoncent aux errements étatistes ou marxistes qu'elle a souvent largement financés au travers de l'aide internationale, voire par des crédits privés garantis, au moment où ces partenaires consentent à des ajustements d'une rigueur considérable et très difficile à faire accepter. Nous-mêmes, pays industriels, serions-nous capables d'appliquer ces rigueurs de l'ajustement ? Sans doute que non.
A ce moment là, ne serait-il pas paradoxal de refuser notre concours ? Nous acceptons l'idée que les transferts puissent être négatifs, que nous les forcions à nous rembourser désormais davantage que nous leur apportons de moyens supplémentaires et nous sommes indifférents à consolider notre soutien pour des politiques bien formulées, qui seraient à même d'assurer leur redressement ou leur promotion.
Imaginons que l'Afrique subisse un échec à l'ajustement structurel, qu'il y ait une mise en cause, pour des raisons d'asphyxie financière, du redressement économique qui est en train de s'opérer sur le continent africain.
Quelles conséquences cela aurait-il ? Le refus de notre soutien ne manquerait pas de démobiliser les gouvernements méritants.
Les populations, voyant leurs sacrifices mal récompensés, risqueraient alors de se tourner vers des solutions extrémistes, et on les connaît, elles sont parfois politiques, parfois religieuses et on imagine les conséquences. Dans les pays du Sahel, mais déjà au-delà, le fondamentalisme progresse. L'échec de l'école, la privatisation des soins, le chômage, l'exode rural vers les villes non productives, tout ceci constitue un terreau de frustration qui provoque violence et hostilité à certaines valeurs. C'est là que l'on rencontre les candidats à l'immigration vers nos propres banlieues.
L'Afrique en effet est notre voisine. Nous ne pouvons la regarder avec les mêmes yeux que le continent américain ou que certaines îles européennes. Nos risques et nos enjeux ne sont pas les mêmes.
En revanche, le succès économique de ce continent, que nous connaissons et que nous aimons, où nos positions sont fortes, est un atout majeur pour notre économie et nos entreprises.
C'est bien parce qu'il est conscient de toutes ces données que le Président de la République française, Jacques Chirac, a pris l'engagement, avec la détermination que vous connaissez, dans la défense du 8ème FED que nous allons prochainement signer, qu'il a pris la défense de cette aide mondiale pour les pays en développement lors du sommet du G7 de Halifax. Il a proposé à nos partenaires du G7, au début de l'été - et ceux-ci l'ont finalement accepté, non sans mal - que l'aide au développement soit un des thèmes majeurs de la prochaine réunion des pays du G7 lors de la réunion de Lyon l'année prochaine.
Nous espérons que d'ici là nous aurons pu convaincre, vous et nous, nos partenaires du G7, que ceux-ci auront compris que cette politique centrale est une politique d'équilibre du monde, sans laquelle aucun des grands problèmes aujourd'hui posés, notamment celui des migrations, de la population, de l'environnement, de la sécurité, ne sera pas résolu.
Mais il ne suffit pas de plaider simplement pour la reprise de l'aide. Il faut qu'elle soit bien conçue, bien gérée, de manière à ce qu'elle soit convaincante. Il faut bien reconnaître que l'évolution de l'aide, de son montant et surtout de ses résultats au cours des dernières années, a pu à bon droit susciter des doutes, parfois des interrogations.
C'est sur ceci que finalement ses adversaires, soucieux d'économie budgétaire facile, ou de justification de politique isolationniste, se fondent pour la dénoncer. Il faut reconnaître qu'il y a des problèmes. Je vous en livre quatre.
D'abord, les structures de cette aide internationale sont devenues pléthoriques. Le nombre d'organisations impliquées dans sa gestion, comme dans sa conception, est devenu excessif et c'est le fruit de la sédimentation des années. A toute idée nouvelle, à toute mode, doit correspondre une nouvelle organisation. C'est vrai du niveau national comme du niveau international. C'est pourquoi, dans ce qui est devenu un maquis difficilement compréhensible, il faut resserrer les structures, en réduire le nombre, et ainsi obtenir une plus grande clarté, une plus grande lisibilité.
C'est particulièrement vrai du système des Nations-Unies qui devrait subir une réorganisation profonde.
Deuxième point : les conditions d'élaboration des politiques de développement sont devenues confuses. Il en découle de nombreuses contradictions opérationnelles. Malgré l'émergence d'enceintes internationales de coordination, celles-ci demeurent un problème que la réduction du nombre des intervenants ne résoudra pas totalement.
Les organisations multilatérales agissent trop en ordre dispersé. La cohérence ne règne pas à l'intérieur de la sphère des Nations-Unies et entre celles-ci et les organisations de Bretton Woods.
Il manque par ailleurs un système régional d'organisation, de concertation, voire de programmation. La prospective sur l'Afrique de l'Ouest en fournit un bon exemple. Enfin au niveau mondial, la multiplication des grandes conférences internationales, dont le coût est d'ailleurs prohibitif, mérite sinon un coup d'arrêt, tout au moins une période de digestion.
En revanche, les différentes enceintes de ce dialogue mondial - je pense ici aux Nations-Unies comme aux organisations de Bretton Woods -méritent une réforme en profondeur pour les rendre véritablement opérationnelles.
Troisième point : les procédures de travail sur le terrain sont parfois regrettables. Nos amis africains, parfois débordés, passent leur temps à recevoir des missions hâtives d'experts de passage qui ne concertent jamais leurs missions avec personne. Des mécanismes largement formels font semblant d'établir des politiques communes, arrachées à des gouvernements africains parfois récalcitrants sous peine de suspension mortelle de décaissement, et ce en dehors de tout regard de la société civile, qui prend sa revanche en vivant sa vie ailleurs.
Dans certains cas, des sortes de Yalta contemporains s'organisent, des bailleurs se divisant le territoire pour conduire, parfois, des politiques inverses. Dans tous les cas les autorités nationales sont en bonne partie dépossédées de la conception, et souvent même de la perception de ce qui se passe chez eux.
Cette vision peut paraître un peu caricaturale, un peu forcée, et j'ose espérer que notre propre coopération échappe à ce descriptif. Mais il arrive parfois que cette description, un peu forcée je le reconnais, approche la réalité.
Cette situation n'est pas tolérable. La clé d'une amélioration durable sur le terrain réside en la recherche d'une triple solution. Je citerai succinctement les principaux chantiers.
D'abord simplifier l'allocation et la gestion de l'aide, qu'elle soit accordée sous forme d'un concours financier ou sous forme de projet de développement. La meilleure solution consiste sans doute à ce que les bailleurs acceptent de financer conjointement les budgets publics pour que les gouvernements mènent la politique globale nécessaire. Donc moins de contradictions entre les bailleurs de fonds et les politiques gouvernementales.
Chaque bailleur cofinançant cette politique devrait alors renoncer à la multiplicité de ses projets propres. Une des conséquences du bon aboutissement de ces travaux devrait être une baisse importante de l'assistance technique internationale, dont le coût de fonctionnement pèse lourdement dans l'aide au développement, et qui apparaît étroitement liée à la multiplication des projets.
Je vois enfin dans cette piste la seule vraie possibilité de réhabiliter la responsabilité de nos interlocuteurs africains dans l'élaboration de leur propre politique, pour en faire de véritables partenaires.
Il faut également réviser de manière approfondie les procédures de décaissement et de gestion des projets. Trop souvent entièrement maniés par des bailleurs eux-mêmes, pour des raisons louables et sérieuses de sécurité des fonds, les projets deviennent alors rapidement des îlots administratifs occidentaux. Il faut renforcer la capacité administrative de nos partenaires, recourir davantage à des opérateurs locaux, solliciter davantage les ressources humaines africaines qui atteignent aujourd'hui une qualité humaine que je me plais à reconnaître.
Il faut simplifier les procédures de gestion et de décaissement, rechercher des économies d'échelle au niveau de l'ensemble de la communauté internationale. Il faut enfin penser à un financement sinon centralisé, du moins concerté et coordonné de la société civile sur le terrain.
Celle-ci est en effet devenue une exigence incontournable et unanimement reconnue. L'action locale vers les régions, les pays au sens rural du terme, les villes, doit prendre une dimension nouvelle. La croissance des populations, l'émergence des difficultés majeures sur le foncier, liées à la densification, la libéralisation politique et les difficultés de fonctionnement des administrations centrales commandent cette transformation de nos pratiques.
Mais la multiplication actuelle des interventions, qui vont dans ce sens, conduit dans certains pays à de nouveaux désordres : une inefficacité croissante et une iniquité certaine, sans compter de possibles détournements.
Résoudre ce problème suppose que des concertations solides s'organisent sur le plan national, entre aide internationale et entre ces dernières et les États, comme avec tous les partenaires de terrain.
Ces conditions paraissent rarement réunies pour l'instant sur le terrain et les méfiances demeurent encore vives. Elles restent cependant indispensables pour que la coopération en faveur des initiatives locales de la coopération décentralisée des ONG conserve toute sa crédibilité.
Quatrième point : il faut évaluer davantage et de manière transparente la coopération. Au sein de mon ministère, nous avons fait d'importants efforts dans ce sens. Mais globalement l'aide internationale est perçue par les opinions publiques et même par les gouvernements comme une série de financements aux résultats incertains et dont les conséquences bénéfiques ne sont pas perçues. Il s'agit en fait d'une politique mondiale qui doit être évaluée à ce même niveau ou à celui des grands enjeux sectoriels, ou encore à l'échelle d'un pays bénéficiaire tout entier.
Il me semble que dans ce domaine, le comité de développement de l'OCDE pourrait faire beaucoup. Il faut évaluer systématiquement nos politiques et nos opérations et communiquer les résultats de ces travaux indépendants pour nous améliorer, certes en tirant le fruit de ces analyses, mais aussi pour montrer que beaucoup d'opérations fonctionnent bien. C'est une des leçons que nous tirons du programme d'évaluation de mon propre ministère, qui est réalisé avec des experts indépendants, et qui est de nature à rassurer beaucoup de sceptiques.
Telles sont les thèses que j'ai défendues devant les Nations-Unies, à l'OCDE, aux Institutions de Bretton Woods. La réforme du système de l'aide me paraît en effet être la clé de la reprise de la croissance.
J'ai même fait des suggestions au sein de l'Union européenne. On y débat actuellement de la complémentarité, de la cohérence, de la coordination des politiques d'aide au développement des États membres de la CEE, ce qui est le cadre et le moment approprié pour faire progresser les préoccupations que je viens d'évoquer.
J'ai développé enfin également ces propositions pour le Chef de l'État, en vue du prochain sommet du G7 de Lyon. Elles tendent toutes à gérer notre aide au développement avec des politiques plus pertinentes et plus économiques en frais de fonctionnement et de structures.
Si le système français de coopération peut se targuer d'indéniables réussites, et d'une considération internationale dont s'est fait l'écho le dernier rapport de l'OCDE à son sujet, il n'échappe pas cependant lui non plus à certaines constatations négatives, à certaines critiques que je viens de formuler.
La qualité des hommes, leur expérience sont indiscutables, mais il est lui aussi trop complexe, trop onéreux en fonctionnement, et il est susceptible de réorientation qualitative. Pour relégitimer l'aide au développement en France également, il faut faire la preuve qu'il sait se réformer et répondre aux légitimes attentes d'efficacité de nos partenaires et de nos contribuables.
Le premier ministre m'a chargé, avec le ministère des Affaires étrangères et en liaison avec le ministère de l'Économie de lui proposer une réorganisation qui aille dans ce sens et qui permette une meilleure approche, une meilleure compréhension du système de la coopération. Ces propositions lui seront prochainement soumises et vous comprendrez que je réserve la primeur de mes propres conclusions à Monsieur le Premier ministre.
Mais je n'alimenterai pas les rumeurs sur le sujet. Avec mes collaborateurs nous travaillons sérieusement à un dialogue interministériel, le plus étendu possible à toutes les parties prenantes du débat. Le Premier ministre français tranchera entre les points de vue différents qui peuvent s'exprimer au fur et à mesure que les travaux avancent, ce qui est tout à fait naturel.
Je souhaiterais pour ma part vous exposer le sens général de mes propres réflexions. Le raisonnement et le diagnostic général sur les problèmes d'organisation que nous rencontrons me paraît clair et accepté à l'unanimité. Mais les solutions sont difficiles à définir et surtout elle sont difficiles à mettre en oeuvre. Elles impliquent des réaménagements de compétence au sein d'administrations, toutes d'excellentes qualités, mais qui ont sans doute le tort de considérer que réaménager les compétences consiste à les remettre en cause. Et puis la mobilité, l'adaptation, les transferts, sont des thèmes que le secteur public maîtrise sans doute moins bien que le secteur privé, dont je m'honore de sortir personnellement.
C'est pourquoi il faut une très forte volonté politique pour aboutir. Celle-ci existe dans tout le gouvernement. C'est d'abord le fait de rétablir une cohérence politique à propos de l'aide et la coopération. Il faut que l'aide et le développement, en France comme vis-à-vis de l'étranger, aient un seul visage, une seule voix, que la coopération française soit une et qu'elle s'exprime clairement.
Nous ne pouvons pas nous permettre de nous exprimer sur ce sujet à la fois sur différents registres et par différentes voix.
C'est donc renforcer la coordination des décisions qui importe. Il s'agit de 50 milliards de francs de concours, dont près des deux tiers sont gérés par le ministère de l'Économie et qui échappent très largement à la volonté et au contrôle du Parlement, voire même à l'inscription en loi de finances initiale. Il s'agit là d'une exigence de base.
C'est aussi la volonté de mieux aider nos partenaires francophones. Ceux-ci ne pourront pas réussir sans reconnaître la globalité des problèmes du continent et l'importance particulière du lien européen. C'est le sens de l'élargissement du champ de mon ministère à l'ensemble des pays ACP.
Il ne s'agit pas du tout de diluer l'aide française au sein de 70 pays, mais peut-être d'être en mesure en France de parler de façon cohérente à l'échelle du continent, de nouer ici ou là des partenariats nécessaires à la gestion des problèmes globaux, de travailler efficacement à l'intégration régionale, d'être efficaces et présents sur des enjeux fondamentaux.
Je suis certain pour ma part que cet élargissement sera bénéfique pour nos partenaires africains francophones et qu'ils y verront des avantages directs. Je puis en tout état de cause m'engager et vous assurer qu'ils ne pâtiront pas de cet élargissement sur le plan financier.
C'est aussi la volonté de mieux associer la représentation nationale. Je souhaite à cet égard présenter une loi d'orientation à l'approbation du Parlement.
Mais ces orientations organisationnelles et de principe ne doivent pas faire oublier que le principal est dans la qualité de la politique d'aide elle-même. A mes yeux, elle doit reposer, s'agissant de notre action africaine, sur une triple dimension que je souhaite évoquer brièvement. L'Afrique a besoin de rigueur économique et de compétitivité renouvelée. Nous devons l'aider en ce sens. C'est le rôle des politiques sectorielles, qu'il s'agisse des politiques sociales ou économiques, et j'ai demandé à mes services de faire converger leurs efforts sur cette exigence. Il faut que nous maintenions le cap de la rigueur dans les procédures et les politiques. C'est pourquoi la doctrine d'Abidjan demeure essentielle.
Parallèlement, il faut que nous jouions un rôle encore plus actif d'interface, de médiateurs avec les institutions de Bretton Woods pour faire comprendre aux uns les nécessités de procédure et politiques dont elles sont porteuses, et aux autres les spécificités, les contraintes et les enjeux dont nous sommes, nous Français, parfois plus familiers.
Je n'ignore pas également que cette compétitivité nouvelle passe par une promotion vigoureuse du secteur privé. J'aurai l'occasion le 30 octobre prochain, à l'occasion d'un colloque que nous organisons, d'exposer complètement la politique que je compte mener dans ce domaine et à laquelle j'attache une importance particulière.
L'Afrique a besoin d'une société civile plus ouverte, plus performante économiquement et plus saine. C'est tout le sens de la coopération institutionnelle. C'est tout particulièrement le sens du combat que nous menons dans le domaine de la lutte contre la corruption, les grands trafics, et en particulier celui de la drogue. Nos intérêts et ceux des pays africains sont liés en ce domaine comme en beaucoup d'autres.
Mais c'est aussi le sens des initiatives que nous prenons pour promouvoir une politique de coopération de proximité, ouverte à des acteurs non étatiques - ONG ou collectivités locales - et j'en ai déjà évoqué par ailleurs la nécessité stratégique.
Dans quelques jours, le Congrès national des Maires à Paris va s'ouvrir les 14, 15 et 16 novembre et pour la première fois dans l'histoire de ce Congrès qui est très ancien il y aura un stand du ministère de la Coopération, de manière à ce que tous ceux qui en France - et ils foisonnent - souhaitent pratiquer la coopération dite décentralisée, même modestement, puissent trouver auprès de nous l'aide et l'assistance pour mieux l'organiser et mieux la coordonner.
Je viens en particulier de décider de poursuivre la mise en oeuvre du Fonds Spécial de Développement dont vous savez qu'il avait été créé pour accompagner la dévaluation du franc CFA. Les résultats de ce fonds, dont nous avons achevé l'évaluation, sont remarquables. Ils dépassent de loin le simple amortissement de l'impact financier ou social de ce choc monétaire. En changeant le nom légèrement pour signifier qu'il s'agit désormais d'accompagnement durable d'actions d'initiatives locales, et en l'appelant donc Fonds Structurel de Développement, je souhaite donner un accent majeur en 1996 à la promotion de nouvelles formes de coopération, proches du terrain, efficaces, concrètes, ouvertes à tout acteur engagé dans le développement.
Enfin, le développement doit être durable. Il doit s'inscrire dans un espace maîtrisé, économiquement et écologiquement. L'aménagement de l'espace doit donc devenir une préoccupation majeure et permettre de traiter les problèmes issus de la croissance démographique, de l'urbanisation et des migrations, dont vous avez pu voir à travers la présentation qui vous a été faite ce matin par mon Directeur de développement sur l'étude prospective de l'Afrique de l'Ouest combien il s'agit de points déterminants.
Il m'arrive de dire que nous sommes là, nous pays industrialisés, pour faire gagner du temps à ceux qui ne le sont pas encore. Nous venons de vivre, depuis 40 ou 50 ans, sous les conseils des experts de l'époque qui nous ont expliqué que les économies d'échelle que l'économie industrielle allait exiger supposaient que les hommes vivent encore plus près les uns des autres, sans penser qu'elles susciteraient des surcoûts inattendus.
Quarante ans plus tard, nous sommes dans cette époque où les surcoûts proviennent de la désertification rurale et de l'hyper concentration humaine dans les banlieues, l'actualité et la presse tous les jours nous le rappelle. Ces insuffisances des expertises de ces grands économistes il y a 40 ans, doivent aujourd'hui nous faire réfléchir au fait suivant : la politique de développement, de coopération avec les pays africains doit prendre en compte un nouvel aspect, celui de l'aménagement du territoire.
La reconquête de certains pays, car l'Afrique est un grand continent vide en populations, le maintien des populations là où elles sont, doivent montrer que le niveau de vie n'est qu'un des éléments du bien vivre. Et c'est parce que le bien vivre sera la règle en Afrique qu'elle sera le grand continent du 21ème siècle.
(Applaudissements).
M. Jean FAURE. - Je connais, Monsieur le ministre, vos obligations et je sais que vous devez aller aux questions d'actualité du Gouvernement à l'Assemblée nationale. Cependant, je pense qu'un certain nombre d'amis ici présents seraient frustrés s'ils ne pouvaient pas vous poser les questions qui leur brûlent les lèvres.
M. Richard ANDRIAMANJATO , Président de l'Assemblée nationale de Madagascar . - Monsieur le Président, Monsieur le ministre, Messieurs les Présidents, chers amis, c'est un véritable événement que nous vivons actuellement à travers ces assemblées, tant à l'Assemblée nationale qu'ici au Sénat.
Il s'agit de voir comment l'Afrique va devoir, non seulement partir, mais réussir à partir. Les relations de l'Afrique s'étaient définies à travers ce que nous avions fait dans le cadre de l'Europe ACP, mais plus particulièrement les relations avec la France exigent que, dans le contexte actuel de changement entre l'Est et l'Ouest qui a disparu, on organise la coopération, de telle sorte qu'elle soit perçue véritablement comme l'expression d'une nouvelle solidarité. Lorsque je parle de solidarité, je pense aux formes de partenariat.
L'économie mondiale exige une transition, en passant de certaines formes d'économies qui étaient beaucoup plus entre les mains des États, pour aller vers le secteur privé.
Mais a-t-on suffisamment réfléchi à une période de transition qui ferait justement passer de cette vision de la coopération, parfois très étatique, pour déboucher sur une vision de la coopération qui serait beaucoup plus dans le secteur privé ? Comment l'État donnerait-il une certaine garantie à tout ce que l'on voudrait réaliser dans ce domaine pour que le partenariat que l'on voudrait vivre ne soit pas simplement une juxtaposition de positions entre des États, mais passe véritablement par le canal des entrepreneurs, de ceux qui font l'économie, qui construisent le pays, mais qui, inévitablement, ont besoin d'une certaine garantie, d'une certaine stabilité ?
Je ne parle pas des questions de flottement. Mes amis du CFA se plaignent du passage de 50 F à 100 F en ce qui concerne le prix du franc français. Mais pour notre part, nous sommes passés de 300 F à 1000 F le prix du franc français à Madagascar.
Maintenant, nous essayons de faire marche arrière et de ramener à des proportions plus correctes au point de vue économique. Mais il y avait toute une spéculation que nous étions incapables de juguler. Deux banques disposaient des devises du pays, à un point tel que la Banque centrale était obligée d'acheter des devises au prix fort sur le marché interbancaire parce qu'il n'y avait aucune garantie.
Le partenariat que nous souhaitons devrait se traduire par une certaine forme de garantie qui puisse aider à un véritable développement. C'est dans ce sens que je disais qu'il faudrait une petite commission mixte qui étudierait plus en profondeur les mécanismes d'un véritable partenariat dans le nouveau contexte qui est le nôtre.
M. Mohamed Saïd Abdalah MCHANGAMA , Président de l'Assemblée nationale des Comores. - Je suis un peu resté sur ma faim ce matin. Pour moi, une des questions importantes est celle de la formation en Afrique, aussi bien celle des élites que de la main d'oeuvre.
Or Monsieur le Gouverneur ce matin parlait de cette génération des hommes de 50 ans- je dirais celle des 45 ans à laquelle j'appartiens- qui visiblement a été formée à la fin des années 70. Je considère que le lien de cet espoir que nous voyons tous, de ces mouvements à la fois d'urbanisation, d'occupation de l'espace, c'est la matière grise, c'est l'homme.
Or partout où je passe en Afrique, et j'ai eu l'occasion de le dire à tous vos prédécesseurs, cette crise de formation pose problème. En tant que militant convaincu de la francophonie et agitateur dans nos assemblées, que ce soit au niveau de l'UIP ou de l'AIPLF, je me demande si une réunion de ce type pourra avoir lieu dans 20 ans.
Les réalités économiques font que nous avons du mal à envoyer nos enfants en France et la France n'a pas les moyens, comme c'était le cas à notre époque de recevoir les jeunes bacheliers. Il y a une crise des universités en Afrique. De plus en plus, les jeunes vont dans des pays comme l'Amérique. Mais au-delà il y a la formation des hommes, c'est-à-dire que les universités, les centres d'apprentissage sont fermés en Europe.
Je n'ai pas vu de statistiques pour voir si ces impressions sont réelles ou non, mais c'est un problème qui à mon avis mérite d'être traité en tant que tel.
Son excellence M. Rhafic JANHANGEER , Ambassadeur de l'Ile Maurice . - Monsieur le ministre, vous n'êtes pas sans savoir que certains pays africains ont réussi leur décollage économique et se portent assez bien, du moins pour le moment, parmi lesquels figure évidemment l'Ile Maurice.
Or nous aimerions connaître la stratégie de la coopération vis-à-vis de ces pays qui ont connu un certain succès. Est-ce que la France va les pénaliser en raison de leur succès économique, en disant qu'ils ne sont plus qualifiés ?
M. Moumouni YACOUBA , député du Niger . - Je voudrais dans un premier temps remercier Monsieur le ministre de la Coopération pour sa brillante intervention, ainsi que les orateurs que nous avons écoutés ce matin.
Nous sommes tous d'accord sur un constat : l'Afrique est effectivement en crise économique et financière. Mais souvent il peut se trouver des divergences pour bien identifier les causes profondes de la crise. J'ai été très conforté ce matin dans certains exposés d'entendre mentionner un certain nombre de causes telles que les termes de l'échange, cause qui me paraît fondamentale.
Je dois souligner ici que mon pays, le Niger, est producteur d'uranium. Nous avons vu, depuis 25 ans que nous exploitons l'uranium, comment se sont littéralement détériorés les termes de l'échange, alors que les matières premières qui rentrent dans la production d'uranium augmentent régulièrement chaque année, et que le prix de vente de l'uranium baisse régulièrement.
Nous estimons que les termes de l'échange constituent une cause fondamentale de la crise actuelle. Je ne sais pas ce qu'en pense Monsieur le ministre de la Coopération ni ce qu'en pensent les autres orateurs.
Une autre cause fondamentale est la dette. L'endettement de l'Afrique, aussi paradoxal que cela puisse paraître, a contribué effectivement à appauvrir l'Afrique compte tenu des conditions dans lesquelles il a été contracté, des conditions financières, des taux d'intérêts très élevés, et de plus compte tenu de la parité, de la dévaluation du dollar dans les années 80. Nous sommes convaincus que la dette est un facteur d'appauvrissement et un obstacle au développement du continent.
Il ne faut pas non plus oublier les facteurs climatiques dans le cas de certains pays, comme le Niger, le Mali, le Burkina Faso, etc...
Il y a également les modes de production mis en oeuvre dans nos pays - mode de production agricoles, pastoraux - qui sont extensifs et qui par conséquent provoquent la dégradation de l'environnement.
Enfin, il faut compter la démographie et bien sûr la mauvaise gestion.
C'est vrai, nous avons eu à vivre sous la direction d'États autocratiques qui ont eu à gérer nos économies de manière patrimoniale.
Il me semble que pour trouver des solutions il faut partir de ces causes. Je poserai une question à Monsieur le ministre de la Coopération : quelle solution pour les termes de l'échange ? Cela fait 20 ans que nous en parlons, mais nous constatons que les termes de l'échange ne font que se dégrader. Or nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'une cause fondamentale de l'appauvrissement de l'Afrique.
Quelle solution pour la dette ? Là aussi il s'agit d'un problème fondamental. Aujourd'hui, certains États africains sont incapables de supporter le poids de leur dette. Y a-t-il des solutions autres que celles jusqu'ici mises en oeuvre de refinancement des dettes, d'annulation des dettes, quand il s'agit des dettes publiques ? Beaucoup de pays Africains ont des dettes de nature multilatérale. Malheureusement, jusqu'ici, on n'a pas trouvé de mécanisme qui puisse permettre d'annuler ou d'alléger les dettes multilatérales. Or il s'agit là d'un aspect extrêmement important qui bloque aujourd'hui le développement économique de l'Afrique.
Il suffit donc de comprendre toutes les causes que j'ai indiquées pour automatiquement en déduire des solutions : améliorer les termes de l'échange, alléger la dette. Il ne reste que les facteurs climatiques sur lesquels nous ne pouvons avoir de prise à court terme.
Enfin, ce matin, au cours de certains exposés, j'ai cru entendre, à propos de la gestion de la dévaluation, qu'il y a eu des bons et des mauvais élèves. Nous pensons que cette approche n'est pas bonne. Il n'y a pas de bons et de mauvais élèves. Quand cette décision de dévaluation a été prise, au mois de janvier 1994, le Niger s'y est opposé parce que toutes les analyses montraient qu'elle serait négative. L'endettement du Niger étant essentiellement libellé en devises, ipso facto la dévaluation doublait l'encours de la dette.
Nous savions également que la dévaluation n'aurait aucune incidence positive sur le commerce extérieur du Niger, sur les exportations, compte tenu de leurs structures, exportations dominées par l'uranium à 70 %.
Mais par contre, nous savions que pour d'autres pays la dévaluation allait être positive. Par solidarité, nous avions accepté une dévaluation avec un taux de 50 %, largement supérieur à celui qu'il aurait fallu pour le cas de pays comme le Niger, comme le Mali, comme le Burkina Faso.
Par solidarité, nous avons accepté un tel taux de 50 %, tout en sachant en fin de compte que nous ne tirerions pas grand profit de la dévaluation.
Au bout du compte, du fait des gestions de ces différents pays, aujourd'hui on traite de mauvais élèves ceux pour lesquels on savait d'avance que la dévaluation serait mauvaise, et on appelle bon élèves ceux pour lesquels on savait d'avance que la dévaluation allait être bénéfique. Ce sont ces derniers que l'on soutient, que l'on noie de moyens financiers, alors que les autres pays, qui ont fourni des sacrifices extrêmement importants par solidarité avec les autres pays de la zone franc, sont considérés comme de mauvais élèves qu'il faut punir.
M. Gilbert BLEU LAINÉ , Vice-Président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire . - Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier d'avoir dit à cet instant que vous reconduisez le FSD, que vous appelez maintenant Fonds structurel de développement.
Ma question a trait au système de coopération décentralisée. Je voudrais savoir si dans les actions que vous envisagez au sein de votre ministère, il est prévu quelque chose pour intensifier cette forme de coopération qui à notre avis apporte beaucoup au développement. Nous sommes en train de vivre cette expérience dans une région de Côte d'Ivoire avec la Franche-Comté et nous aimerions entendre ici votre point de vue à ce sujet.
M. Marcel Eloi CHAMBRIER RAHANDI, Président de l'Assemblée du Gabon . - Je voudrais d'abord remercier toutes les personnalités qui ont bien voulu organiser ces journées, ces conférences auxquelles nous participons depuis hier et avant-hier, d'abord conférences politiques et puis aujourd'hui un débat réellement économique, plus proche des réalités quotidiennes que nous vivons. Je remercie également ceux des experts qui sont encore dans cette salle, qui ont conduit leur démarche intellectuelle avec beaucoup de savoir.
Mais je dérogerais à mes convictions, à mes obligations aussi, si je ne devais pas contribuer, car quelles que soient les notes d'espoir, il peut y avoir aussi quelques nuances, des informations qui viennent conforter l'espoir.
Je n'ai pas été mandaté par mes collègues d'Afrique centrale, mais je pense qu'ils seront d'accord avec moi. Ce matin, nous avons beaucoup entendu parler d'économies qui intéressent la zone sahélienne, qui s'étend du Cap-Vert jusqu'au Cameroun. Bien sûr on peut toujours généraliser, assimiler, mais mon propos est de vouloir faire quelques différences.
Je suis bien aise pour en parler, car non seulement je suis médecin et j'ai commencé ma vie par le tertiaire, mais lorsque la crise est arrivée en 1986, je me suis vu obligé de diversifier mes activités en me lançant dans le primaire, c'est-à-dire dans la forêt, et dans le secondaire c'est-à-dire dans la transformation du bois. Acceptez que je puisse apporter la contribution d'un homme de terrain.
L'Afrique centrale constitue un même pays qui va des sables du Tchad jusque dans les forêts du Congo et du Gabon, et même de l'Angola et de la cuvette du Congo, c'est-à-dire le Zaïre, etc...
Ce sont les mêmes peuples, mais il faut prendre en compte des différences de relief. Il y a le Sahel, mais nous avons surtout le massif forestier qui va du Gabon jusqu'au Congo, que l'on ne connaît pas suffisamment et qui constitue un obstacle à la pénétration de l'homme et au développement.
J'illustrerai ma pensée par deux exemples. On peut partir sans grand risque de mourir du Nigeria jusqu'au Sénégal. Mais en partant du Gabon jusqu'au Tchad, on a dix fois plus de risque de mourir en chemin. De même, une marchandise produite dans les confins du Tchad ou de Centre Afrique ne pourra jamais atteindre nos côtes avant longtemps, c'est-à-dire peut-être 2 mois, 3 mois, voire 6 pour le coton par exemple. Même si les prix internationaux sont affichés, nous avons déjà épuisé en attendant 6 mois les bénéfices du produit.
Tout ceci pour vouloir sensibiliser les autorités politiques décideurs qui sont dans cette salle, les autorités parlementaires qui influent sur les votes de budget, sur le fait que nous avons en Afrique Centrale un problème de routes, un problème de voies de communication. Si toute l'aide, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, devait d'abord se prononcer en faveur du désenclavement de cette sous-région, tous les autres discours seraient vains.
Voilà uniquement ma contribution et j'ose espérer que tout le monde partage mon point de vue.
M. Jacques GODFRAIN. - Pour répondre au premier intervenant, il est vrai que l'aide publique est insuffisante en quantité ; elle le sera toujours et il faut la prendre comme telle. J'ajoute même qu'elle est insuffisante en qualité, parce que l'économie n'est surtout pas que publique. C'est pourquoi l'investissement privé doit être, aux côtés de l'aide publique, un moyen puissant de développement.
J'illustre mon propos par le fait que pour moi le ministère de la Coopération n'est pas simplement un lieu où l'on discute d'une ligne budgétaire une fois par an, ni un lieu dans lequel nous discutons entre nous de la façon dont nous allons la dépenser. Si ce n'était que cela, je souhaiterais le premier la fusion avec le ministère des Affaires Etrangères.
Mais ce n'est pas que cela et c'est la raison pour laquelle la fusion est impossible. Le ministère de la Coopération est aussi un carnet d'adresses, un endroit où l'on réfléchit à de nouvelles formes de coopération, où l'on essaie de mettre en phase ceux du secteur privé qui veulent investir et qui cherchent des politiques d'accompagnement, où le privé et le public coordonnent leurs efforts, chacun avec leur méthode, leur manière, leur finalité, leur philosophie parfois.
C'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire. Les événements nous y contraignent. Quand on passe d'un champ tel que celui que nous connaissions et sur lequel nous resterons très fidèles évidemment, à celui des 70 pays ACP, on se doit de faire un effort d'imagination, de création, d'inventivité. Vous imaginez bien aisément que les 50 pays supplémentaires qui nous arrivent ne seront pas traités comme ceux avec lesquels nous sommes depuis des décennies en relation. Cela nous oblige à une réflexion sur nous-mêmes.
Je n'ai pas dit que nous allons trouver la solution immédiatement, mais nous sommes en train de le faire. Si à Abidjan il y a quelques semaines, à la demande d'investisseurs et des autorités de Côte d'Ivoire, j'ai pu assister de façon très constructive et positive à un colloque mondial d'investisseurs, c'est précisément dans le cadre de cette réflexion. Le ministre de la Coopération sert aussi à amener au grand public des investisseurs.
Je pars dans quelques heures en Angola, avec le message des pouvoirs publics français, mais aussi avec une quarantaine d'investisseurs français. Ce pays souhaitait avoir des rapports extra-étatiques. Cela a été parfaitement dit dans votre exposé dont je vous remercie.
Si le 30 octobre à Paris, à l'égide du ministère de la coopération nous organisons un colloque sur la coopération et le développement à base d'investissements privés, ce n'est pas non plus le fruit du hasard. L'expérience qu'a la Caisse Française du Développement, qui est un parfait outil de coopération, de qualité remarquable, avec un Directeur qui est une chance à la fois pour l'Afrique et pour les finances françaises, permet cette coopération moderne, actualisée, qui essaie de marier la tradition étatique et l'arrivée d'intérêts privés.
Bien évidemment les pouvoirs publics doivent fixer le cadre de tout cela. Un des points essentiels est celui des garanties juridiques. L'expérience historique, séculaire, que nous avons en Europe, prouve que les grandes cités marchandes qui ont percé dans l'économie médiévale ou du 16ème siècle, que ce soit sur les bords du Rhin ou que ce soit en Italie, montre que c'est parce qu'elles garantissaient une sécurité juridique aux investisseurs que ces derniers pouvaient apporter leur argent et investir dans un certain domaine.
Quant à l'effort de formation - et cela rejoint une autre question sur la formation des hommes - nous n'en ferons jamais assez pour que les États de droit ne soient pas simplement considérés comme des États où l'on vote une fois toutes les X années, mais également comme des États de droit au quotidien, notamment dans le droit commercial et financier.
De la même manière, la garantie monétaire fait partie de ces garanties, tout comme l'aide régionale qui est essentielle. Nous ne pouvons plus aujourd'hui saupoudrer dans un État et dans un autre, parfois contradictoirement parce que ces États - et je pense particulièrement à l'Afrique de l'Ouest dans ce domaine - ont contracté entre eux des règles commerciales, douanières, qui font que ce que l'on fait chez l'un a des répercussions chez l'autre. Je souhaite que cette réflexion soit menée dans d'autres régions d'Afrique.
S'agissant de la formation, je vais vous livrer mon observation très récente. Récemment la zone franc s'est réunie à Bamako. Après ces deux jours, Jean Arthuis et moi-même nous avons confronté nos impressions. Notre première réflexion a été la suivante : quelle qualité d'hommes, quelle chance l'Afrique a-t-elle aujourd'hui d'avoir ses responsables financiers d'un niveau exceptionnel. Tout cela est le fruit de réflexions, de formations auxquelles nous avons participé à parité avec vous.
La matière grise est le plus beau capital dont un peuple peut disposer. Avant les mines, l'agriculture, les industries, la qualité des hommes est essentielle. Il est certain que cette formation a souvent eu lieu en Europe et en particulier en France, mais les moyens dont nous disposons sont limités.
Aujourd'hui, nous pouvons penser que la génération des 25 ans, parce que c'est un peu la mode, parce que dans le monde - et je suis peut être sévère - les donneurs de leçons sont ceux qui ferment le plus leurs porte-monnaie et font croire que leurs formations universitaires sont les meilleures. Or la morale qui découle de cette formation universitaire consiste à arriver au fait que nous avons des élus qui, dans le plus grand pays industrialisé du monde aujourd'hui, veulent réduire de 40 % l'aide, veulent fermer leur ambassade en Guinée équatoriale et aux Seychelles. Si ce sont ces universitaires là qui forment de tels hommes politiques, je dis aux Africains : attention, vous allez aller vers des universités qui sont en train de former des hommes qui sont contre l'aide au développement.
Peut-être y a-t-il d'autres formes d'aide publique à l'enseignement et à la formation. Il fait partie de mes intentions de susciter, parce que c'est aussi leur intérêt une grande fondation privée. Pour des investisseurs aujourd'hui, investir dans l'intelligence n'est jamais perdu. Alors l'État fera, mais le privé aussi fera, je le souhaite. C'est à la fois l'intérêt de l'Afrique et c'est aussi l'intérêt du secteur privé.
S'agissant de la crise de la formation à l'école, nous la connaissons beaucoup en France. Dans un pays, lorsque 70 %, parfois 80 % de l'enseignement public échappe à la population, et que d'autres formes d'école liées à un certain extrémisme prennent le relais, attention ! C'est peut-être bien plus grave que le fait d'avoir des universitaires formés outre-Atlantique. C'est plus qu'un changement de société, c'est un changement d'humanisme.
S'agissant de la réussite du décollage économique, cher Monsieur l'Ambassadeur, votre question me rappelle certaines personnes qui en France travaillent au SMIC et qui travaillent beaucoup pour obtenir un montant de rémunération égal à près du double que le RMI. On se dit pour finir qu'il vaut mieux ne pas faire trop d'effort, être les mauvais élèves, pour gagner autant que les autres. Il y a un peu de cela dans votre question...
Je me permets de récuser - et cela vaut pour vous et pour un autre orateur - le terme de mauvais élèves. D'abord je l'ai été suffisamment moi-même quand j'étais à l'école pour qu'aujourd'hui je ne l'utilise pas à l'égard de pays que j'aime.
Certains pays par nature, structurellement, étaient en difficulté et on savait - cela avait été dit très opportunément - que la dévaluation du franc CFA leur poserait plus de problèmes qu'à d'autres. C'est la raison pour laquelle des fonds d'accompagnements sont particulièrement prévus.
Ne vous sentez pas victimes d'un quelconque ostracisme parce que vous avez réussi, mais tenez compte du fait que l'aide au développement, les fonds de coopération sont des fonds d'accompagnement. C'est justement la preuve de leur réussite. Votre véritable réussite interviendra le jour où vous nous direz « nous n'avons plus besoin de vous ». Ce sera la véritable finalité de la coopération. Mais vous n'êtes pas loin de ce jour.
Sur les termes de l'échange, c'est un discours que l'on entend depuis longtemps. Je suis l'élu d'une région rurale et tout le discours que j'ai tenu moi-même à l'égard des productions agricoles était celui-là. Il y a 20 ans, avec 100 sacs de blé je pouvais me payer un tracteur, aujourd'hui je me paye une paire de sécateurs. C'est cela la dégradation des termes de l'échange.
Mais attention, il y a des gains de productivité à trouver. Sur des processus d'extraction de mine en particulier, sur des processus agricoles, il y a des gains de productivité, et c'est là où la compensation des pertes des termes de l'échange peut se trouver.
Il y a également la finalité de dépense des recettes. Vous me dites, et je vous comprends très bien, que vous recevez proportionnellement moins que ce que coûtent aujourd'hui les biens de consommation. Mais dans les recettes venues de la production primaire, n'y a-t-il pas une part à affecter initialement, tout au long de l'extraction, à l'investissement ? La question est là et c'est la raison pour laquelle je crois qu'une certaine réflexion sur la planification est encore à l'ordre du jour, malgré le libéralisme ambiant. Il y a une nécessité de savoir à quoi, au départ, on veut affecter ces recettes, sans oublier l'investissement qui permettra de mieux lutter contre la dégradation des termes de l'échange.
Sur la dette, la France - et ce n'est pas le fait de mon arrivée à ce ministère - n'a pas grand chose à se reprocher. Nous étions aux Nations-Unies l'autre jour à la CNUCED et je puis vous dire que les PMA ont vraiment exprimé ce que je n'ose pas moi-même exprimer en matière positive vis-à-vis de la façon dont nous avons traité la dette.
Il reste la dette multilatérale qui pose un vrai problème. En ce qui concerne la PRI, il y a eu un certain nombre de propositions récemment, mais vous êtes aussi compétents que moi sur ce sujet. Il s'agit de les approfondir et d'aller plus loin que la lettre d'intention qui a été expédiée à 4 pays de manière à aller plus loin et voir si, à partir de cette expérience que nous allons engager, nous pouvons nous adresser à d'autres pays.
En ce qui concerne la coopération décentralisée, c'est aussi la prise en compte de l'aménagement du territoire. On ne peut plus continuer à voir se développer une bande hypercôtière, hyperurbanisée, et voir l'intérieur de l'Afrique désertée. Il faut des projets de proximité, des projets vivriers. Cela tombe d'autant mieux d'ailleurs que les résultats de la dévaluation se font sentir dans la filière agricole. Je n'aurai pas l'extrême satisfaction que M. Wolfenson exprime chaque fois qu'il raconte cette anecdote que sans doute il a dû raconter à quelques uns d'entre vous : arrivant dans un village du Niger ou du Togo, un agriculteur le reconnaît et le remercie pour la dévaluation du franc CFA au-delà de toute expression. J'ai répondu à M. Wolfenson que je connaissais assez bien les agriculteurs et les paysans pour dire que si j'étais arrivé à sa place, le même agriculteur m'aurait dit beaucoup de mal de la dévaluation du franc CFA.
Aujourd'hui, l'occupation de l'espace est quelque chose d'essentiel. Il faut que vous évitiez tout le cortège de violence, d'inadaptation des hommes, d'utilisation des hallucinogènes dans les banlieues qui en France et dans le monde occidental industriel nous taraudent tous les jours.
Pour cela il y a cette coopération de proximité. D'abord, elle utilise des circuits simples de coopération. Cela va d'association à association, d'élu local à élu local. On se comprend, on a le même langage, on a culturellement les mêmes préoccupations.
Un exemple, loin du continent africain et proche à la fois, s'agissant des relations avec Haïti : qui pratique le mieux la coopération décentralisée si ce n'est quelques communes très en avance de la Martinique, département français d'Outre-Mer, qui sont en train de nouer des rapports avec des communes de Haïti, de manière à ce que les déplacements de populations se fassent dans un cadre humain, social. Le même exemple doit servir chez nous.
Si parfois on rencontre des cas où des communes françaises veulent mettre un franc, un département un autre franc, la région un troisième franc, le Gouvernement français étudiera avec elle la possibilité de mettre 3 francs, ce qui est peu pour chacun de ces organismes, mais au total cela fera 6 francs. C'est un simple exemple, mais allons dans cette direction et passons des contrats entre les collectivités locales et les Gouvernements.
Je ne répondrai pas à ce qu'a dit Monsieur le Président Chambrier-Rahandi parce qu'il a fait une déclaration, il n'a pas posé de question, en tout cas je l'ai pas interprété comme telle, mais votre rapport a été très positif pour l'Afrique centrale.
(Applaudissements).
M. Jean FAURE. - Merci Monsieur le ministre pour votre intervention et surtout pour les réponses que vous avez apportées.