B. LA RECENTRALISATION DES COMPÉTENCES ET DES MOYENS À TOUS LES NIVEAUX
M. Róbert Kovács, directeur général du Local and Regional Monitoring Institute , a présenté à la délégation son analyse de la forte centralisation opérée au niveau législatif et constitutionnel en Hongrie, avec la mise sous contrôle des finances locales, les transferts de personnels au profit de l'État central et la nouvelle organisation territoriale qui fait une large part aux offices du gouvernement.
Ce phénomène de transfert de compétences de la base au sommet touche aussi bien les communes que les 19 départements et les 23 villes à statut départemental. Les échelons intermédiaires n'ont plus qu'un faible pouvoir politique, étant dessaisis de la gestion des hôpitaux, des écoles, des lycées, des archives publiques, des centres d'accueil et parfois même des bibliothèques.
Seule une nouvelle compétence a été confiée au niveau départemental, à savoir la planification du développement et de l'aménagement du territoire dans le cadre d'un schéma de développement territorial.
Les projets de réforme qui n'ont pas encore été menés à bien tendent à la création d'entités départementales plus vastes (est évoqué notamment le passage de 19 à 11 départements), dont le nombre serait plus en cohérence avec la taille et la démographie de la Hongrie, d'autant que la trame départementale est toujours celle héritée du découpage du Traité de Trianon de 1920. M. Róbert Kovács a ainsi estimé que le réseau d'offices de gouvernement dépossède les départements de leurs missions historiques, les décisions importantes étant désormais prises à Budapest.
Ce mouvement est à mettre en regard avec le grand vent de liberté qui a soufflé au début des années 1990, quand beaucoup de pouvoirs et une grande latitude ont été accordés aux collectivités territoriales ; les années 2010 ne seraient ainsi que le retour de balancier consécutif à certaines dérives locales : gestion calamiteuse des finances publiques (avec emprunts faits en devise étrangère), dépenses somptuaires, déresponsabilisation des décideurs locaux, etc...
Le litige concernant les chèques restaurants illustre bien ce phénomène de recentralisation et de préférence nationale . Le 1 er janvier 2012 est entrée en vigueur une loi créant un monopole public d'émission des titres de repas froids en magasin, la société publique hongroise NUSZ (fondation Erzsébet), s'ajoutant à la création en avril 2011 d'un nouveau système de distribution des titres de repas chauds (carte SZEP), attribué réglementairement aux banques émettrices de cartes, dont la banque hongroise OTP a été la principale bénéficiaire. Ces nouvelles dispositions ont privé ipso facto les entreprises françaises Sodexho, Chèque déjeuner et Edenred, présentes en Hongrie et représentant plus de 90 % du marché, des moyens d'exercer leur activité. Le Gouvernement a rejeté les critiques de la Commission européenne, arguant du caractère social de la réforme engagée.
Le 28 juin 2013, la Commission européenne a assigné la Hongrie devant la Cour européenne de Justice pour non-respect de la liberté d'établissement et de libre prestation de services. La Commission ne remettait pas en cause le système des titres sociaux ainsi émis en faveur des plus démunis, pas plus qu'elle ne contestait la faculté pour la Hongrie de définir des modes de financement en vue de la conduite d'une politique sociale. Elle soutenait, en revanche, que l'affectation des revenus de ce nouveau monopole public à des dépenses sociales ne pouvait être un motif valable de justification des restrictions mises en place, car elles auraient pu être atteintes par des règles moins contraignantes. En novembre 2013, ce contentieux n'a toujours pas été arbitré par les instances judiciaires de l'Union européenne.