III. SISMICITÉ HISTORIQUE
On disposait, avant le séisme de Gorkha, d'un certain nombre de connaissances sur le cycle sismique et les forts séismes au Népal, notamment par les observations lors du séisme de magnitude 8,2-8,4 qui a dévasté l'Est du Népal en 1934. Bien décrit par M. Brahma Sumsher Rana, un général népalais qui en a documenté les dévastations avec des équipes de terrain, dans l'Est du Népal et la vallée de Katmandou, ce séisme a également été l'un des premiers séismes instrumentaux himalayens de l'Histoire. Si le tout premier d'entre eux est celui de 1897, dans le district de Shillong, suivi de celui de 1905, les instruments sismologiques étaient plus nombreux et plus modernes en 1934 et l'épicentre instrumental du choc principal ainsi que celui de certaines répliques ont pu être localisés (l'étoile rouge au Sud de l'Everest sur la Fig. 3 matérialise l'épicentre du choc principal) et confrontés à sa zone macrosismique mésosismale, ou région de dévastation ( Fig. 4 ).
Fig. 3. Localisation des séismes historiques en Himalaya. Le segment « a-a ' correspond au trait de coupe de la fig. 2.
Fig. 4. Epicentre (étoile rouge) et zone mésosismale du séisme de 1934, les cercles colorés correspondent aux sites où les effets du séisme ont été consignés. Le trait gras rouge au front de la topographie matérialise la trace de surface de segments de faille active le long desquels des escarpements sismiques peu érodés ont été retrouvés. Le rectangle noir encadrant le segment le plus occidental localise l'emprise de la fig. 5.
Des séismes antérieurs, tels que celui de 1866 ou encore de 1833 (bien décrit par le chirurgien britannique J. Campbell, en poste au Népal), sont mentionnés dans des documents historiques. La chronique Gopala Raj Vamshavali en rapporte de beaucoup plus anciens, tels que le très fort séisme de 1344, qui provoqua la mort du roi Hari Malla ; celui de 1255, lors duquel le roi Abhaya Malla et un tiers des habitants de la vallée de Katmandou périrent ; ou encore celui de 1223.
Ces informations, sur lesquelles l'historien et sanskritiste Mahes Raj Pant a travaillé, nous sont précieuses pour essayer de connaître la position des forts séismes sur la faille et leur temps de retour, mais les témoignages, surtout les plus anciens, parce qu'ils sont ponctuels, ne permettent généralement pas d'associer un séisme à un segment de faille donné. Aussi, la nécessité d'investir en paléosismologie s'est fait sentir. Un travail collaboratif dans ce domaine a donc été entrepris entre le CEA/DASE, l' Earth Observatory de Singapour, l'Institut de Physique du Globe de Paris et le Département des Mines et de Géologie du Népal.
Une étude paléosismologique nous a permis de remonter dans l'histoire des très forts séismes qui propagent le glissement profond du MHT jusqu'en surface, sur une période de 5000 ans, dans l'Est du Népal. Nous avons fait des levés de terrain le long de la faille la plus frontale, sur la trace de dévastation du séisme de 1934. Cette faille est composée de plusieurs petits segments de faille relativement complexes. Dans cette région, plusieurs générations de terrasses alluviales dans les deux compartiments de la faille permettent de documenter l'histoire de la rivière, le transport de sédiments, leur incision, puis l'abandon de ses terrasses alluviales pendant des épisodes climatiques mais aussi tectoniques et sismiques. Il s'y trouve aussi des reliques d'escarpement sismiques bien préservées laissant supposer qu'il s'agit d'une rupture de surface relativement récente.
Fig. 5. Levés de terrains le long de la faille
la plus frontale (Main Frontal Thrust) dans la trace de la région la
plus dévastée en 1934. Cette faille est composée de
plusieurs segments de faille active en échelon,
représentés en rouge (e.g. les chevauchements de Bardibas et
Patu).
Fig. 6. Plusieurs générations de
terrasses alluviales abandonnées, le long de la rivière Sir, dans
les deux compartiments de la faille. Des reliques d'escarpements sismiques bien
préservés sont présentes au pied de la topographie, au
droit des flèches blanches
.
Une tranchée a été taillée le long d'un escarpement sismique de 30 mètres incisé par une rivière (fig. 7). L'escarpement est affecté par plusieurs grandes failles : l'une qui arrive à mi-pente, l'autre, au front, qui met en contact anormal des roches Siwalik, des grès qui ont plusieurs millions d'années, sur des sédiments de rivière très récents (fig. 8).
Fig. 7. Escarpement
sismique de 30 m incisé par la rivière Sir. Une des
tranchées paléosismiques excavée en 2008 à des fins
d'étude de la rupture sismique est visible à droite de la
rivière. Cette tranchée faisait 43 m de long et 5 mètres
de profondeur
Fig. 8. L'escarpement
sismique est affecté par plusieurs failles qui se branchent en
profondeur sur la faille principale
Sur la faille médiane de l'escarpement, on voit ces roches Siwalik qui chevauchent d'autres roches Siwalik, mais aussi des sédiments récents, des graviers de rivière qui ont pu être datés, qui sont perchés tout en haut de la faille, coincés dessous. A l'avant du système, des roches anciennes chevauchent des niveaux de galets, de graviers et de sable de la rivière, et les rebroussent même, permettant de caractériser le glissement sur la faille la plus frontale.
Fig. 9. Sir Khola, front de l'escarpement. Levé de la partie la plus frontale le long de la rivière. Un très jeune charbon de bois pré-date le dernier événement sur la faille (Unité U3f dans le compartiment chevauché), un résultat corroboré par les âges obtenus dans le compartiment chevauchant (U3) dans des sédiments déposés par la rivière et abandonnés lors du soulèvement de ce compartiment.
Le levé de la partie la plus frontale a permis de prélever des charbons de bois détritiques qui ont rendu possible la datation du dépôt des couches de sédiments coincées sous la faille et permis de démontrer que cette faille était responsable du fort séisme de 1934.
Fig. 10. Sir Khola. Mur
Ouest de la tranchée paléosismique présente sur la figure
7.
Cette étude a été complétée par des études géophysiques sur de l'imagerie de surface pour avoir accès à la géométrie de la faille en profondeur et traduire en glissement les soulèvements apparents documentés dans le compartiment chevauchant de la faille. Cela a permis de déterminer le glissement qui a eu lieu lors du séisme de 1934, qui était de 8 à 12 mètres au niveau de ce site. Ces études ont demandé cinq années d'investissement et de nombreux autres séismes, sur lesquels nous avons moins d'informations sur les segments de faille à la rupture potentielle, devraient être ainsi documentés.
Nous avons démontré, dans la trace du séisme de 1934, que cet épisode avait été précédé d'un autre séisme, en 1255, qui avait rompu la même faille quelque 700 ans auparavant.