DÉBAT AVEC LA SALLE
M. Philippe de SUREMAIN , ancien Ambassadeur de France en Ukraine - Je vous remercie pour cette rencontre qui était extrêmement intéressante. J'ai été à deux reprises à Tchernobyl, mais je n'avais pas perçu toute l'étendue du problème. J'avais été frappé par plusieurs remarques des ingénieurs français sur la très forte présence d'éléments irradiés non identifiés du fait même de l'explosion, ce qui compliquait leur tâche. L'évacuation de ces éléments est un problème extrêmement complexe. Dégager ce qui se trouvera sous l'arche d'isolement est une autre entreprise.
Je voulais livrer une petite anecdote pour montrer l'irresponsabilité du système soviétique : lorsque je me suis retrouvé en Lituanie quelques temps après l'accident, un ingénieur supposé assurer la sécurité de la centrale d'Ignalina m'a dit que si un incident se produisait, les autorités lituaniennes ne sauraient pas quoi faire car tous les experts se trouvaient à Moscou alors que les contacts avec la Russie étaient rompus. La centrale a finalement été fermée, mais cela montre que même après l'effondrement de l'Union soviétique, les secrets demeuraient bien gardés.
Mme Inesa PAVLIUCHENKO-NOEL , Présidente de l'association « Interlingua » de Rochechouart, Directrice du Centre francophone « Alliance » de Tcherkassy - J'ai deux questions à poser à M. Oleksandr Dombrovskyi. Le Parlement ukrainien aurait récemment voté le retour de l'aide financière aux liquidateurs de Tchernobyl. Est-ce que cette loi a vraiment été adoptée, et quel serait le montant touché par les liquidateurs ?
M. Oleksandr DOMBROVSKYI - Si je ne me trompe pas, la loi a été votée il y a quelques jours. Je ne connais pas le montant de l'aide, mais la position générale est que nous devons réaffirmer le principe de justice sociale au sujet de la catastrophe, et pas seulement en Ukraine. Le problème de l'aide sociale aux autres personnes qui ont souffert de Tchernobyl se pose également.
Mme PAVLIUCHENKO-NOEL - Vous espérez pouvoir trouver une issue positive à cette situation ?
M. Oleksandr DOMBROVSKYI - Oui, je l'espère. Mais quand nous parlons de Tchernobyl, nous parlons en général de la politique énergétique. Hier, en commission, nous avons eu des discussions très intéressantes sur les subventions énergétiques à la population. Pour les ressources énergétiques comme le gaz, l'électricité et le charbon, les subventions étaient de plus de 250 milliards de grivnas en 2014. Ce montant provient du budget de l'État et est versé à certaines catégories de la population. Ce sont des ressources colossales qui sont réparties selon des critères objectifs. Aujourd'hui, la France est un pays en pointe en matière d'économies d'énergie et de développement d'énergies alternatives alors que l'Ukraine est en retard. Je pense qu'il serait judicieux d'utiliser d'orienter les subventions davantage en faveur de la modernisation du modèle énergétique du pays.
Mme Inesa PAVLIUCHENKO-NOEL - Ma deuxième question est la suivante. Je représente l'association « Interlingua ». Notre petite association a pour objectif la diffusion de la langue et de la culture françaises en Ukraine. Elle vise à établir des échanges entre les jeunes français et ukrainiens. Cependant le Gouvernement français a interdit les déplacements scolaires en Ukraine. Pouvons-nous espérer transmettre par votre intermédiaire une lettre au Parlement russe pour arrêter la guerre à l'Est de l'Ukraine ? Peut-être celui pourra-t-il influencer le Président russe ?
M. Oleksandr DOMBROVSKYI - Je vais essayer de répondre. Je soutiens le développement des relations entre la France et l'Ukraine. En ce qui concerne la transmission d'une lettre au Parlement russe, je pense qu'il est préférable de la transmettre à l'Ambassade de Russie à Paris. Nos contacts avec la Russie ont été rompus. Nous sommes en guerre et la Russie est un réel agresseur. En ce qui concerne le ministère de l'Éducation nationale français, je trouve que c'est une décision injuste. À l'exception de deux régions à l'Est, l'Ukraine est un pays sûr.
De la salle - J'ai une question pour M. Jacques Repussard. Il ressort deux projets, celui de Mme Galia Ackerman pour un mémorial virtuel, et le vôtre pour développer le tourisme dans la zone. Avez-vous réfléchi à différentes initiatives qui pourraient être prises par les autorités ukrainiennes ?
M. Jacques REPUSSARD - La réponse est non. Il n'appartient pas à l'Institut français de définir les politiques ukrainiennes. L'Institut pourrait aider à définir les conditions dans lesquelles l'initiative ne présenterait pas de risque. L'IRSN, avec d'autres autorités en Norvège, en Biélorussie et au Japon, a créé un réseau de lycées qui mettent en place des échanges de lycéens, et notamment des élèves français vont en stage à Fukushima. Les parents de ces élèves acceptent car il y a un travail de connaissance sur les vrais dangers de la radioactivité. L'approche par les autorités est difficile. Après Fukushima, le Gouvernement japonais a décidé d'interdire aux scientifiques qui s'occupaient du suivi des victimes des deux bombes atomiques de s'occuper de la radioactivité à Fukushima. Les autorités japonaises craignaient que la population imagine qu'il y ait un lien entre la radioactivité d'Hiroshima et celle de Fukushima. Ce sont ces comportements des autorités publiques que l'on peut craindre. Notre institut est prêt à aider toute initiative, mais cette initiative doit provenir de l'Ukraine.
Mme Galia ACKERMAN - Personnellement, je ne suis pas favorable au tourisme nucléaire. La ville la plus intéressante est une ville contaminée au plutonium. C'est un tourisme très limité. Dans la zone, on voit des forêts qui sont les mêmes qu'ailleurs. Je trouve qu'il s'agit d'un tourisme morbide. Par rapport au sort tragique de cette région, c'est quelque chose qui me semble mal placé. En revanche, il faut peut-être favoriser les échanges entre les personnes des zones contaminées et les Européens. Les gens qui vivent dans les zones contaminées vivent souvent dans la misère. Ils se sentent abandonnés. Les soutenir moralement, en étant en contact avec eux, c'est quelque chose d'excellent et d'indispensable.
M. Borys GUDZIAK , Évêque de l'Éparchie Saint Volodymyr le Grand - J'ai le souvenir que l'estimation de la radiation de Tchernobyl était minimisée par l'Agence internationale de l'énergie atomique.
M. Jacques REPUSSARD - Il y a des débats autour des conséquences, mais pas sur les quantités. Les quantités de radioactivité dans un réacteur en marche sont connues, or on considère que toute la radioactivité volatile de Tchernobyl a été rejetée. Peut-être y a-t-il des discussions sur la cinétique de l'événement.
De la salle - Vous avez évoqué le problème de la gestion des catastrophes par les régimes totalitaires. Comment les autorités de sûreté à vocation internationale s'occupent-elles de ce problème ?
M. Jacques REPUSSARD - Les gouvernements autoritaires ont appris de Tchernobyl qu'une catastrophe nucléaire était dangereuse pour eux aussi. Ils font donc des efforts pour limiter les risques. En revanche, si un accident arrivait en Chine par exemple, il existerait toujours un problème de relations avec la société civile. La Chine a construit des réacteurs nucléaires sur le bord de mer, loin des populations. L'industrie nucléaire chinoise souhaitait construire des centrales en bord de fleuves, mais le projet a été abandonné car les zones concernées étaient très peuplées, et les autorités craignaient un accident.