EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Dans le prolongement des déplacements qu'il a effectués dans plusieurs régions italiennes afin de mieux appréhender les réalités territoriales de ce pays dans leur dimension institutionnelle, économique et sociale 1 ( * ) , au cours des dernières années, le groupe interparlementaire France-Italie s'est rendu, en avril 2009, en Campanie.
Afin de s'informer sur les projets nationaux de réforme concernant les collectivités locales, les membres de la délégation sénatoriale ont souhaité également rencontrer leurs homologues au Sénat à Rome. Les entretiens ont également porté sur l'un des sujets majeurs des relations bilatérales : la coopération dans le domaine de l'énergie.
La délégation sénatoriale souhaite exprimer sa gratitude à M. Jean-Marc de la Sablière, Ambassadeur de France à Rome, ainsi qu'à M. François Cousin, Consul général de France à Naples : leur concours a été essentiel au parfait déroulement de cette mission.
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PREMIÈRE PARTIE - LA RÉGION CAMPANIE À L'HEURE DE LA CRISE
I. LE CADRE GÉNÉRAL DE L'ORGANISATION TERRITORIALE EN ITALIE
L'Italie compte trois niveaux de structures locales : 20 régions, 103 provinces et 8.104 communes .
- Les régions sont qualifiées par la Constitution de « pouvoirs autonomes ». Elles disposent d'une compétence législative exclusive dans certains domaines et, par ailleurs, de compétences partagées avec l'Etat. Cinq d'entre elles bénéficient d'un « statut spécial », qui leur garantit une plus large autonomie : le Val d'Aoste, le Frioul-Vénétie Julienne, le Trentin-Haut Adige, la Sicile, la Sardaigne.
- Les provinces et les communes sont qualifiées de « pouvoirs locaux ». Elles disposent du pouvoir réglementaire dans le cadre de compétences transférées ou déléguées par l'Etat ou les régions.
A. UNE DÉCENTRALISATION TARDIVE
Le particularisme des régions est l'un des éléments qui frappent le plus l'observateur de l'Italie contemporaine.
Néanmoins, alors même que la Constitution de 1947 a défini très clairement le « système des autonomies locales » comme un élément essentiel des institutions italiennes, la mise en oeuvre réelle du principe de décentralisation est restée, jusqu'à une période récente, en retrait des objectifs affichés, à l'exception du traitement réservé aux régions à statut spécial.
En effet, les autorités centrales ont manifesté des réticences à tirer toutes les conséquences des opportunités offertes par la Constitution en matière de décentralisation : à peine né, le pouvoir des collectivités locales, et notamment des régions, était déjà très encadré, et ce n'est que tardivement, que Rome a consenti, dans un processus encore inachevé, à entrer dans une véritable logique décentralisatrice.
Un transfert de compétences qui s'accélère avec la réforme de la Constitution de 2001
La réforme du Titre V de la Constitution du 23 janvier 2001 a marqué, sur plusieurs points, le point d'orgue du mouvement fédéraliste italien entamé dans les années 1990 :
- l'introduction du principe de subsidiarité ;
- l'organisation de larges transferts de compétences de l'Etat central aux régions . Dorénavant, les régions obtiennent une compétence législative pleine dans toutes les matières qui ne sont pas exclusivement réservées à l'Etat et principalement en matière d' industrie , d' énergie , de protection civile et d' enseignement secondaire .
- la reconnaissance aux régions du droit d'intervenir dans le processus législatif de l'Union européenne quand les textes communautaires concernent des domaines qui sont de la compétence des régions.
- la création dans chaque région d'un « Conseil des autonomies locales », organe consultatif chargé de coordonner les actions des communes et des provinces.
- l'introduction officielle du bilinguisme dans le Trentin-haut Adige et le Val d'Aoste.
- l'élargissement du principe d'autonomie financière des collectivités locales aux provinces et communes. Cependant, le transfert des compétences aux régions, provinces et communes représente pour ces collectivités une charge accrue alors même que, d'une part les transferts de l'Etat sont réduits et d'autre part que les ressources locales sont incertaines et inégales selon les régions. La réforme soulève d'autres difficultés. Le « pacte de stabilité interne », instrument de contrôle des finances locales destiné à réduire le poids de l'endettement local, manque d'efficacité. En outre, les régions ont parfois manifesté l'intention de soulever devant le juge constitutionnel l'incompatibilité entre la fixation par l'Etat d'un taux maximal de dépenses et le principe d'autonomie financière, posé par l'article 119 de la Constitution.
Enfin, la réforme instaure la fin des contrôles a priori et a posteriori :
- sur les lois régionales qui sont désormais immédiatement exécutoires avec leur promulgation par le Président de Junte.
- sur les actes administratifs des régions par l'Etat et des collectivités locales par les régions.
Une tentative, en 2005, de réviser la Constitution dans un sens fédéral
En novembre 2005, le Sénat a approuvé, en toute dernière lecture, la révision de la Constitution dans un sens fédéral. Cependant, cette réforme a été rejetée par un referendum de juin 2006.
La réforme prévoyait un renforcement des transferts de compétences aux régions. La « dévolution », qui devait s'appliquer dès l'entrée en vigueur de la réforme, autorisait de nouveaux transferts dans trois domaines où les régions auraient eu un pouvoir législatif exclusif : assistance et organisation sanitaire ; éducation, contrôle de la police administrative régionale et locale. Dans un mouvement inverse, le texte transférait à l'Etat certaines matières concurrentes dans les secteurs de l'énergie, de la protection de la santé et des grands réseaux de transports. La révision prévoyait également l'institution d'une clause de sauvegarde (si le gouvernement estimait qu'une loi régionale pouvait porter atteinte à ''l'intérêt national'', il mettrait en demeure la région de les annuler) et de ''suprématie'' (l'Etat se substituerait aux régions en cas de manquement à une norme communautaire, un traité international ou en cas de péril pour l'intégrité ou la sécurité du territoire).
La loi sur le fédéralisme fiscal définitivement approuvée par le Parlement italien le 29 avril 2009
Un projet de loi sur le fédéralisme avait été approuvé le vendredi 4 octobre 2008 en Conseil des Ministres, après avoir reçu l'aval des communes, des provinces et des régions.
Il confirme l'objectif de garantir l'autonomie de recettes et de dépenses des collectivités locales dans une logique de responsabilisation, de transparence et de solidarité et repose sur trois piliers:
- les « dépenses standard » : jusqu'alors les sommes allouées par l'Etat aux entités locales étaient calculées sur la base des dépenses des collectivités locales de l'année précédente. Il s'agit de la « dépense historique ». La réforme prévoit de remplacer ce système par de nouveaux paramètres de « dépenses standard » des prestations (santé, éducation), tenant compte des coûts nécessaires pour faire face aux dépenses et des caractéristiques de la population du territoire (nombre de personnes âgées).
- les régions joueront à l'avenir un rôle central : elles disposeront d'impôts propres, d'impôts additionnels aux impôts nationaux et de la coparticipation (reversement à leur profit d'une partie des impôts nationaux perçus sur leur territoire) pour financer trois missions fondamentales : l'éducation, l'assistance et la santé. Une seule région semble pouvoir financer lesdites missions grâce à ces seules sources de financement : la Lombardie. Un fonds de péréquation sera crée pour compléter le financement dans les autres régions a statut ordinaire. Les régions à statut spécial et les provinces autonomes de Trente et Bolzano participeront à cette péréquation verticale gérée par l'Etat dans une logique de fédéralisme solidaire.
- Des « villes métropolitaines » pourront se substituer dans certaines zones -dont Milan et Turin- aux institutions existantes sur le territoire concerné et bénéficieront d'entrées fiscales propres.
La loi ne mentionne pas la suppression de l'IRAP, impôt régional très contesté par le patronat en ce qu'il taxe même les entreprises déficitaires. L'IRAP deviendra peut-être néanmoins un véritable impôt régional avant d'être progressivement remplacé par une série de taxes gérées par les régions et les communes. Ce sont les décrets législatifs d'application qui définiront exactement les recettes propres des différentes collectivités locales.
Il faudra néanmoins attendre plusieurs années et l'intervention de nombreux décrets-lois avant que la réforme ne soit totalement opérationnelle et qu'elle permette d'économiser entre 14 et 16 milliards d'euros par an, comme l'a annoncé le Ministre de la simplification, M. Roberto Calderoli.
B. L'ÉLECTION DES EXÉCUTIFS LOCAUX AU SUFFRAGE UNIVERSEL
Les collectivités locales italiennes, communes, provinces et régions ont, contrairement aux collectivités françaises, des organes de gouvernement marqués par une dyarchie nette entre pouvoirs exécutif et législatif :
Il Consiglio |
La Giunta |
Le « Consiglio » est proche de nos Conseils communaux, départementaux ou régionaux. Il est élu pour 5 ans . Il fait office d'assemblée délibérante de la collectivité et exerce le pouvoir législatif. Le Conseil est composé d'un nombre de conseillers (`'consiglieri'') élus fixé en fonction de l'importance démographique de la collectivité. Le Conseil désigne en son sein un Président . |
La `' Giunta '', ou comité est une structure restreinte autour de Maire ou le Président élu de la province ou de la Région. Il exerce le pouvoir exécutif conjointement au Maire ou au Président élu de la collectivité. Il a autorité sur toutes les matières non réservées au Conseil. Il est composé d'assesseurs (`'assessori'') qui peuvent être choisis y compris en dehors du Conseil. Leur nombre ne peut excéder un tiers des membres du Conseil. Le comité est présidé par le Maire ou le Président élu de la province ou de la Région. |
En Italie, le renouvellement des exécutifs locaux s'effectue dans le cadre des élections dites administratives (« elezioni amministrative »). Le président de la région de la Campanie a relevé, lors de l'entretien qu'il a accordé à la délégation sénatoriale, que l'élection directe au suffrage universel des exécutifs locaux avait sans doute constitué l'une des réformes institutionnelles les plus importantes des dernières années.
- Les régions : l'article 121 de la Constitution italienne prévoit l'institution dans chaque région à statut ordinaire de trois organes : le Conseil régional (consiglio regionale) élu pour 5 ans et dirigé par une « junte », l'exécutif (giunta regionale) et son Président, entouré lui-même d'assesseurs ( 6 à 12). Le Conseil régional est élu pour 4 ans dans les régions à statut spécial. Les membres du Conseil sont élus pour 80 % au suffrage universel direct et pour 20 % sur la liste du Président.
- Les provinces : il s'agit de l'échelon équivalent au département français. Les organes de gouvernement de la province sont le Conseil provincial (consiglio provinciale) qui détient le pouvoir législatif, le Comité provincial (la « Giunta ») qui exerce le pouvoir exécutif avec le Président de la Province.
Le Président de la Province est élu pour 5 ans simultanément à l'élection du Conseil provincial au suffrage universel et direct. La circonscription pour l'élection du Président de la province coïncide avec le territoire de la province. L'élection du Président de la Province et des conseillers provinciaux s'opère sur la base de collèges uninominaux et à la règle proportionnelle mais avec une prime de majorité.
- Les communes : elles se composent d'un Conseil communal « giunta » et d'un Maire. Le Conseil peut priver le Maire de sa confiance. Il procède alors à un vote, à la majorité de ses membres et par appel nominal : il s'agit de la « mozione di sfiducia ».
La loi n° 81 de 1993 a étendu le système majoritaire aux communes de moins de 15.000 habitants et a introduit l'élection directe du Maire dans les communes de plus de 15.000 habitants.
La délégation du groupe d'amitié a également évoqué avec M. Carlo Vizini, Président de la commission des affaires constitutionnelles du Sénat, et plusieurs des membres de cette commission, les réflexions en cours sur la réforme du Parlement italien.
Les projets de réforme portant sur le fonctionnement du Parlement Le projet de loi de réforme constitutionnelle adopté par la commission des affaires constitutionnelles (présidée alors par Luciano Violante) de la chambre des députés sous la législature précédente prévoit dans ses lignes principales : - la réforme du système bicaméral, - la réduction du nombre des députés : de 630 à 500, - l'abaissement de l'âge minimum requis pour être élu : de 25 à 28 ans. Le projet prévoit de transformer le Sénat afin qu'il devienne l'institution emblématique du fédéralisme : - changement de nom (Sénat fédéral de la République) - changement des modalités d'élections : fin du suffrage universel direct remplacé par des élections par les assemblées régionales et par les conseils des autonomies locales. Le nombre des sénateurs élus varierait selon la taille de la région (5 sénateurs pour les régions de 1 million d'habitants, 7 sénateurs pour les régions dont la population est comprise entre 1 et 5 millions d'habitants, 10 sénateurs pour les régions dont la population est comprise entre 5 et7 millions d'habitants, 12 sénateurs pour les régions de plus de 7 millions d'habitants). Le système demeurerait un système bicaméral (les deux institutions exercant collectivement la fonction législative), mais avec une priorité pour la chambre des députés. 2. Les rapports entre le Parlement et le gouvernement La question de confiance ne pourrait plus être posée au Sénat mais seulement devant la chambre des députés. Elle devrait être votée à la majorité absolue. |
II. NAPLES ET LA CAMPANIE
A. DES DISPARITÉS PERSISTANTES ENTRE LE NORD ET LE SUD ENCORE AGGRAVÉES PAR LA CRISE
Divisée en cinq provinces (Avellino, Benevento, Caserta, Napoli, Salerno), la Campanie couvre 13.600 Km2 (4,5 % de la superficie du pays) et compte près de 6 millions d'habitants (10 % de la population nationale), soit la seconde région italienne la plus peuplée derrière la Lombardie.
Cette population est extrêmement concentrée dans l'agglomération napolitaine (3 millions d'habitants, dont 1 million pour la seule ville de Naples, où les densités peuvent atteindre dans certains quartiers de 10 à 13.000 hab/km2) et plus largement dans la conurbation que forme Naples avec Caserte au nord et Salerne au sud et qui regroupe au total 70 à 75 % de la population.
Bien que le solde démographique naturel reste positif, contrairement aux régions du Nord, la population de la Campanie tend à diminuer du fait de la persistance d'une importante émigration , qui touche aujourd'hui en particulier les jeunes diplômés, découragés par les médiocres perspectives d'emploi et des conditions de vie difficiles. Selon les statistiques officielles, ce mouvement ne serait pas compensé par l'apport de l'immigration mais cette donnée sous-estime l'importance de l'immigration irrégulière, principalement d'origine est-européenne (Ukraine, Roumanie, Pologne) asiatique (Chine, Pakistan, Sri-Lanka) et africaine.
La population a depuis longtemps appris à composer avec les risques naturels auxquels Naples et la Campanie sont exposées. L'activité volcanique est à l'heure actuelle de faible intensité : le Vésuve, sur les pentes duquel vivent de 600 à 800 000 personnes, est en sommeil depuis sa dernière éruption en 1944. Il en est de même de la Solfatara, à l'ouest de la ville, dans la zone des Champs Phlégréens, affectée par ailleurs par le bradysisme (mouvements alternés d'affaissement et de rehaussement du niveau du sol). L'activité sismique est quant à elle permanente mais souvent imperceptible. Le dernier tremblement de terre violent date de 1980, il avait frappé davantage les régions de l'intérieur (Avellino) que la frange côtière.
Avec un PIB de l'ordre de 90 milliards d'euros, qui la place au premier rang des régions méridionales, la Campanie ne représente que 6 % du PIB national. Les services y contribuent à hauteur de 78 % (dont 29 % pour les administrations et services publics), loin devant le secteur industriel (12 %). Le tissu économique est constitué pour l'essentiel par de très nombreuses PME, dont seule une petite minorité, même lorsqu'elles sont regroupées au sein de « districts industriels » au dynamisme d'ailleurs inégal, participe aux activités d'exportation, ce qui représente un frein au développement.
Comme dans tout le Mezzogiorno, les investissements du secteur public et les fonds européens (près de 11 milliards d'euros pour 2000-2006, 14,5 milliards d'euros pour 2007-2013) jouent un rôle important dans l'activité économique. Sous l'impulsion de son Président, M. Antonio Bassolino, ancien Maire de Naples, la Région s'est efforcé de soutenir le développement de secteurs traditionnels (agro-alimentaire, chimie, construction automobile et ferroviaire, construction navale de plaisance, « industries du luxe »), de secteurs de pointe (aéronautique et électronique) et du tourisme. Elle a également mis en place des instruments pour stimuler la recherche et l'innovation ainsi que la création d'entreprises.
Comme l'ont indiqué les responsables de la Chambre de commerce et d'industrie de Naples lors d'un échange avec la délégation sénatoriale, la Région a surtout beaucoup misé sur le secteur transports-logistique , avec l'objectif de faire de la Campanie un carrefour d'échanges en profitant de sa position géographique au centre de la Méditerranée et a réalisé des investissements considérables pour le développement des infrastructures (réseau routier et ferroviaire, installations portuaires et aéroportuaires) et la construction d'une très importante plate-forme dédiée au transport intermodal. Elle promeut dans ce domaine deux autres grands projets, la construction d'une liaison ferroviaire à grande capacité entre Naples et Bari et l'aménagement d' un second aéroport pour le trafic intercontinental.
Après trois années de stagnation, la Campanie avait retrouvé en 2006-2007 une croissance positive, essentiellement grâce à la reprise du secteur industriel, elle-même tirée par une augmentation significative des exportations. Cette croissance qui avait eu un impact mesuré sur l'emploi était cependant restée inférieure à la moyenne nationale, ce qui ne permettait pas de rattraper le retard par rapport aux régions du centre-nord.
Les écarts restent à cet égard très importants : le taux de chômage (autour de 12 % mais qui atteindrait jusqu'à 40 ou 45 % dans les quartiers défavorisés de Naples, notamment parmi les jeunes) est deux fois plus élevé que la moyenne nationale, trois à quatre fois supérieur à celui des régions du nord. Le niveau de revenu ne dépasse pas 65 % de la moyenne nationale, une famille campanienne sur trois vit à la limite ou au dessous du seuil de pauvreté.
Même si ces données doivent être tempérées en prenant en compte l'importance de l'économie souterraine et des activités illégales (certaines sources évaluent le nombre des travailleurs au noir à quelque 20 % de la main d'oeuvre régulière et le chiffre d'affaires de la criminalité organisée à 30 % du PIB régional), la situation n'en demeure pas moins difficile, comme dans tout le Mezzogiorno et s'est encore aggravée avec la crise survenue en 2008.
Plusieurs études tendent à montrer que celle-ci frappe d'ores et déjà les régions méridionales plus durement que les autres et touche aussi bien les petites que les grandes entreprises et à peu près tous les secteurs. Le tourisme, déjà éprouvé par la crise des ordures, a enregistré en 2008 des pertes allant de 20 à 30 % selon les zones ou les catégories. La récession y est plus forte, le chômage serait remonté à près de 14 % en Campanie où plus de 45.000 emplois ont été perdus en quelques mois, obligeant les autorités régionales à intervenir pour compléter les programmes adoptés par le Gouvernement au plan national, afin d'amortir les conséquences économiques et sociales de la crise.
B. LE RÔLE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS
- Le rôle de l'Etat
Lors de ses échanges avec le préfet de Naples, M. Alessandro Pansa, la délégation sénatoriale a pu évoquer le rôle joué par l'Etat face à la crise des déchets et la criminalité organisée.
M. Alessandro Pansa a d'abord indiqué que la crise des déchets remontait au début des années 90 et trouvait son origine dans l'insuffisance des structures de traitement dont la construction avait rencontré l'opposition de la population locale. Les raisons de cette opposition sont doubles. D'une part, le territoire de Campanie, et en particulier la province de Naples, est utilisé par les organisations criminelles comme lieu de dépôt des déchets toxiques et dangereux venant notamment du nord de l'Italie -dès lors, les populations, conscientes de cet état de fait, refusent l'installation de telles structures sur leur territoire. D'autre part, les organisations criminelles elles-mêmes, qui craignent la concurrence d'une gestion légale et légitime des ordures, instrumentalisent cette hostilité.
Selon le préfet de Naples, il fallait reconnaître que la question des déchets avait été traitée de manière dilatoire par l'Etat. En effet, en période électorale notamment, les considérations de politique locale contredisent les orientations de la politique nationale. Ce jeu de rôle a entraîné un réel immobilisme. D'après M. Alessandro Pansa, ce n'est que lorsque le président du Conseil est venu ici presque toutes les semaines que le processus a été relancé. Les solutions avancées n'étaient pas à proprement parler nouvelles mais elles pouvaient enfin se concrétiser.
M. Alessandro Pansa a souligné que le principal obstacle à la gestion des déchets, le poids de la criminalité, pouvait être surmonté. Il a rappelé l'importance d'instaurer un dialogue avec les communes, jusqu'alors difficile. Une partie des installations nécessaires est désormais construite. Elle reste néanmoins insuffisante. L'état d'urgence devrait être prochainement levé et les collectivités locales devront assurer la relève de l'Etat afin d'assurer la mise en oeuvre du programme envisagé.
Abordant la question de la sécurité , M. Alessandro Pansa a relevé que le système criminel de la « camorra » était constitué de groupes dotés habituellement mais pas nécessairement d'une base familiale qui opérait dans toute la région mais surtout dans les zones de Naples et de Caserte. Ces groupes s'allient mais s'opposent aussi parce qu'ils ne sont pas insérés dans une structure verticale -contrairement à la mafia- mais se trouvent sur un pied d'égalité. La fragmentation de cette organisation sur le territoire est aussi un moyen de se protéger des interventions de la police et de la justice.
Le préfet a souligné que la prévention de la criminalité s'articulait autour de quelques axes forts. En premier lieu, le préfet de la province dispose d'un pouvoir de contrôle sur les collectivités locales à travers l'intervention de commissions chargées de vérifier si les conseils de ces collectivités font l'objet d'une infiltration. Une action de prévention avancée permet, sans procéder à des mises en cause personnelles, de vérifier la capacité de fonctionnement des instances locales. Sur la base des informations réunies par les commissions, le préfet, s'il juge qu'il existe des risques d'infiltration, saisit le ministre de l'intérieur et, sur décision du chef de l'Etat, a pouvoir de dissoudre les organes concernés. Il a précisé que le Président de la République n'avait pas de compétence liée en la matière et que son rôle d'arbitre lui permettait de prendre une décision qui ne pouvait donner prise au soupçon de favoriser un parti au détriment d'un autre. En cas de dissolution, une administration étatique se met en place.
M. Alessandro Pansa a relevé qu'une douzaine de communes était actuellement dissoute et qu'une trentaine se trouvait sous observation.
En second lieu, le préfet a rappelé l'activité de certification , sous la responsabilité de la préfecture, de toutes les entreprises appelées à entrer en relation avec le service public. Cette certification prend la forme d'un document assez simple destinée à vérifier si l'entreprise présente un précédent en matière de criminalité organisée. Lorsque des montants plus importants sont en jeu, il appartient à la préfecture de certifier que l'entreprise ne présente pas de « risque criminel». Le préfet a souligné que ce dispositif -qui constituait une forme de pronostic- fonctionnait bien tout en soulignant la responsabilité qui incombait à la préfecture au regard des conséquences pour l'entreprise d'un éventuel refus de certification.
Une autre priorité réside dans la lutte contre l'usure et l'extorsion de fonds . A cet effet, un fonds pour les victimes du crime organisé a été mis en place afin de leur permettre de renouer des relations confiantes avec les banques. En effet, l'extorsion à conduit ces sociétés à biaiser la présentation de leur compte. Le fonds leur permet de fournir des garanties aux banques afin de favoriser leur réinsertion dans le circuit économique légal.
- Les acteurs locaux
Les acteurs locaux ont, d'une manière générale, insisté sur la nécessité de favoriser la coopération entre collectivités . M. Antonio Valiante, vice-président de la région Campanie, a indiqué que celle-ci encourageait le développement de l'intercommunalité -il a cité ainsi le cas d'une zone de quelque 400.000 habitants actuellement organisée autour de plusieurs petites communes. Mme Rosa Russo Iervolino, maire de Naples, a rappelé que si la population napolitaine intramuros tendait à se réduire du fait d'un moindre dynamisme démographique, la zone urbaine autour de la cité comptait 3 millions d'habitants. Dans ces conditions, les problèmes de circulation en particulier devaient être traités dans le cadre de l'intercommmunalité et non à la seule échelle de la ville.
Par ailleurs, les responsables politiques ont fait part à la délégation sénatoriale des interrogations que leur inspirait la politique conduite par l'Etat central à l'égard des collectivités. Après avoir rappelé que tous les partis politiques étaient en principe favorables à l'autonomie des collectivités territoriales, Mme Rosa Russo Iervolino a observé que cette autonomie était loin de l'effectivité. Sans mettre en cause les objectifs poursuivis par la loi sur le fédéralisme fiscal, elle a craint que la mise en oeuvre des mécanismes de péréquation n'aggrave, en pratique, les inégalités. Elle a rappelé en outre la situation particulière de la région marquée par l'importance de l'économie souterraine et la part de l'évasion fiscale.
Dans le même sens, M. Antonio Valiante s'est inquiété des risques d'atteinte à la cohésion sociale dont le principe est pourtant inscrit dans la Constitution italienne.
La présence française en Campanie Au cours d'une table ronde organisée au Consulat de France avec M. François Cousin, consul général et ses collaborateurs, la délégation sénatoriale a pu évoquer les modalités de la présence française en Campanie. Le consul général a d'abord indiqué que l'essentiel des fonctions consulaires avaient été transférées au Consulat de Rome, l'établissement de Naples ne conservant que certaines missions -en particulier la protection des ressortissants ou la signature du laisser-passer pour les personnes ayant perdu leurs documents d'identité. Le consul général est également directeur de l'Institut culturel -la fusion de ces fonctions se justifiant par la dimension principalement culturelle de la présence française dans la ville de Naples et la région. Sans doute les intérêts économiques français dans la région ne sont-ils pas négligeables mais cependant sans commune mesure avec ce qu'ils représentent dans le Nord. Selon M. François Cousin, la réunion des fonctions de présence politique, d'action culturelle et de veille économique permet de conserver au sein du consulat les principaux instruments de la France dans la circonscription. La communauté française compte 3.500 ressortissants immatriculés parmi lesquels 60 % de doubles nationaux. Votre délégation a déploré la forte dégradation des moyens financiers, divisés par trois entre 2003 et 2008, en faveur de l'action culturelle. Désormais, la programmation culturelle est définie de manière centralisée à Rome puis déclinée localement (le tiers de la subvention y est consacrée). Les services culturels doivent à la fois mettre en oeuvre ces programmes tout en restant à l'écoute des demandes expresses par les acteurs culturels de la ville. Au diapason des responsables de l'Institut cultural, la délégation sénatoriale est convaincue de l'intérêt de donner une dimension méditerranéenne aux activités de cette structure -qui pourrait se manifester par exemple lorsque Marseille sera capitale européenne de la culture en 2013. La délégation a également évoqué la place particulière du Centre Jean Bérard, établissement à vocation scientifique et archéologique placé sous la double tutelle des ministères de l'éducation nationale et de la recherche. Dans l'un des hauts lieux de l'archéologie mondiale, ce centre est un pôle très actif de la coopération franco-italienne dans ce domaine. |
* 1 Sicile (2002), Sardaigne (2004), Piémont (2005), Trentin-Haut Adige (2007).