DEUXIÈME PARTIE - LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE ITALIENNE ET LES RELATIONS FRANCO-ITALIENNES DANS CE DOMAINE
En complément de l'analyse particulière d'une région, le groupe d'amitié a souhaité s'intéresser à un aspect des relations bilatérales en retenant, cette année, le thème de la coopération franco-italienne dans le domaine de l'énergie. La délégation sénatoriale s'est entretenue de ces questions avec l'ambassadeur de France et ses collaborateurs ainsi qu'avec les membres de la commission des affaires économiques du Sénat.
I. LES GRANDES ORIENTATIONS EN MATIÈRE ÉNERGÉTIQUE DE L'ITALIE.
Extrêmement dépendante des apports étrangers en matière d'énergie (les importations satisfont près de 85 % de la demande intérieure nette), l'Italie est exposée aux risques liés à la sécurité des approvisionnements.
L'énergie constitue ainsi un secteur économique très sensible en Italie. La politique énergétique poursuit deux objectifs : d'une part, le développement des sources d'approvisionnement et, d'autre part, l'amélioration de la compétitivité d'un système énergétique aujourd'hui fragile et cher (énergie en moyenne 30 à 40 % plus coûteuse que dans le reste de l'UE). Depuis l'ouverture du marché électrique, la production a augmenté progressivement mais n'est pas suffisante pour couvrir les besoins italiens. L'Italie semble ainsi se préparer à un retour au nucléaire, abandonné en 1987 suite à un référendum national, et développe en parallèle une politique énergétique axée sur l'accroissement des capacités d'importation et de transport, le renforcement de la libéralisation du secteur, le soutien des grandes entreprises italiennes à l'étranger.
La sécurité des approvisionnements, au coeur de la diplomatie énergétique italienne.
A la suite des difficultés rencontrées lors de la crise russo-ukrainienne de l'hiver 2005-2006, l'Italie a favorisé une politique bilatérale avec ses principaux fournisseurs : la Russie et l'Algérie. L'accord signé en novembre 2006 à Moscou entre Eni et Gazprom assure les approvisionnements en gaz de la péninsule jusqu'en 2035 2 ( * ) , en contrepartie d'un accès direct de Gazprom au marché italien 3 ( * ) . De même, l'Italie s'est alliée avec l'Algérie grâce à un partenariat avec la société algérienne Sonatrach, et un accord intergouvernemental pour la réalisation du gazoduc Galsi entre les côtes algériennes, sardes et toscanes qui devrait voir le jour en 2012.
Dans ce contexte, l'Italie a annoncé sa volonté de devenir un hub gazier pour l'Europe. Aujourd'hui, le pays semble s'être orienté vers de vastes projets d'augmentation des capacités de transport - gazoducs et terminaux GNL - et de stockage de gaz.
Ainsi, face à la crise gazière de début 2009, non seulement l'Italie a été moins touchée que d'autres pays européens mais elle a aussi joué, au travers d'Eni, un rôle déterminant au plan diplomatique dans la résolution de cette crise.
Parallèlement à ces négociations bilatérales, l'Italie soutient le principe d'une politique européenne commune sur l'énergie .
L'Italie promeut également davantage de dialogue entre les pays producteurs et consommateurs au sein du G8 Energie, qu'elle préside en 2009, ayant prévu d'élargir la participation à ce forum à 23 pays au total (dont 6 africains).
L'Italie se donne 5 ans pour revenir au nucléaire en s'appuyant sur la technologie de troisième génération.
L'Italie, qui a abandonné le nucléaire en 1987 par referendum après la catastrophe de Tchernobyl, ambitionne d'y revenir dans des délais rapides et dans le respect des normes internationales, en passant par un projet de loi fixant les conditions de son retour (délégations au gouvernement sur les critères de choix des sites et les mesures de compensations aux populations locales, constitution de l'Agence de Sûreté Nucléaire, réorganisation des agences publiques en charge du secteur).
L'Italie envisage d'atteindre 25 % de production d'électricité d'origine nucléaire à l'horizon 2030 en s'appuyant sur la technologie de 3 ème génération. Cet objectif politique est soutenu sans surprise par les milieux industriels, en tête desquels la Confindustria, principale confédération patronale du pays, mais aussi des deux premiers électriciens de la péninsule, ENEL et Edison.
Ce retour au nucléaire suppose, en revanche, un important travail auprès de l'opinion publique, ainsi que la reconstitution des compétences techniques.
Le retour de l'Italie au nucléaire passera par ENEL (qui soutient la technologie française EPR) et par l'équipementier nucléaire Finmeccanica. Mais d'autres opérateurs italiens (notamment Edison, contrôlé à 50 % par EDF) se déclarent également prêts à y jouer un rôle.
Au cours des échanges avec leurs homologues de la commission des affaires économiques du Sénat, les membres de la délégation du groupe d'amitié ont pu noter que les positions à l'égard du retour au nucléaire transcendaient les clivages politiques. Les représentants du parti démocrate (opposition) ont insisté sur l'impératif de sécurité et la nécessité pour l'Italie de se doter de compétences techniques autonomes.
M. Cesare Cursi, président de la commission des affaires économiques, a estimé que la priorité donnée au développement de réacteurs de quatrième génération souhaité par certains de ses collègues de l'opposition renverrait la solution des problèmes énergétiques de l'Italie à une échéance excessivement lointaine. Il a relevé en outre que l'absence de centrales en Italie ne prémunissait absolument pas le pays contre le risque nucléaire et que les questions de sécurité devaient être traitées dans un cadre européen.
II. UNE COOPÉRATION FRANCO-ITALIENNE TRÈS DYNAMIQUE
Un accord de partenariat global et « sans limites » dans le nucléaire a été signé entre nos deux pays lors du sommet bilatéral de Rome le 24 février dernier .
Sur le plan bilatéral, l'accord de coopération nucléaire signé à Rome entre les chefs d'Etat des deux pays marque une étape « historique ». Le partenariat proposé par la France à l'Italie est global et « sans limites », comme l'a souligné le Président de la République : coopération entre électriciens et industriels, entre autorités de sûreté et entre organismes de recherche, couvrant toute la filière nucléaire, de la construction et exploitation des réacteurs, du cycle du combustible, de la gestion des déchets, jusqu'au démantèlement des centrales et la recherche sur le nucléaire de 4 ème génération.
Au plan industriel, dans la suite des accords conclus à Nice en novembre 2007, ENEL et EDF s'engagent à étudier la faisabilité du développement conjoint d'au moins quatre réacteurs de troisième génération EPR en Italie, en prévoyant également d'étendre la participation d'Enel à la construction du 2 ème EPR français à Penly.
Sur la base des accords industriels de 2007, Enel possède en fait déjà une participation industrielle à hauteur de 12,5 % dans le projet EPR de Flamanville, disposant également d'une option pour prendre part (toujours à hauteur de 12,5 %) aux cinq éventuels projets EPR qu'EDF réalisera en France d'ici 2023. De plus, Enel pourra bénéficier de la possibilité de détacher des ingénieurs auprès des équipes d'EDF sur le site de Flamanville (environ 100 ingénieurs d'Enel sont déjà sur place), pour retrouver ainsi des compétences dans le domaine du nucléaire.
Au-delà du nucléaire, les accords de 2007 ont prévu la possiblité pour Enel d'investir dans la construction de « centrales à cycle combiné gaz » (CCCG) pour le compte d'EDF ; l'offre d'Enel pour une participation de 40 % dans deux projets (Blénot et Martigues) est en cours d'analyse. En échange, EDF pourra accéder à des projets d'ENEL en centrales CCCG en Europe, notamment en Belgique, et des projets nucléaires en Slovaquie.
Une coopération industrielle bilatérale couvrant l'ensemble des domaines énergétiques (pétrole, gaz, électricité, nucléaire)
Total a investi plus de 1.300 millions d'euros dans le projet d'exploration-production pétrolière Tempa Rossa en Basilicate. La production devrait démarrer en 2012 (production visée de 50.000 barils/j et 350.000 m3/j de gaz), les premiers travaux ont démarré en juin 2008.
Gaz de France et Suez sont présents depuis plusieurs années en Italie dans différents domaines d'activités (énergie, environnement, services énergétiques aux entreprises) :
- le groupe Suez, grâce à la joint-venture stratégique entreprise en 2002 avec la régie municipale de Rome est devenu le deuxième acteur sur le marché régulé et le sixième sur le marché libre de la vente d'électricité (1,5 M de clients) et se situe au cinquième rang des producteurs électriques 4 ( * ) (3.535 MW). Suez est également le premier gestionnaire étranger dans le domaine de l'eau en Italie. Dans le cadre de la récente cession à Eni de l'opérateur belge Distrigaz, Suez a repris le réseau de distribution de gaz d'Eni pour la ville de Rome.
- Gaz de France, allié depuis 2006 avec Camfin (filiale de la branche énergie du groupe Pirelli), a pris en septembre 2007 le contrôle de la holding Energie Investimenti Spa. A la suite de la récente décision de Camfin d'excercer son option de vente de sa participation à Gdf-Suez, le groupe deviendra d'ici le mois de juin propriétaire de la totalité du capital d'Energie Investimenti.
Gdf-Suez vient de renforcer sa présence en réorganisant ses activités de distribution et de vente de gaz autour d'Italcogim Energie, qui regroupe ainsi aujourd'hui les huit sociétés de vente de gaz naturel de Gaz de France en Italie. Sa filiale Cofathec Servizi a signé un accord avec Edison Spa pour l'acquisition de sept centrales de cogénération. Le groupe français s'implique également dans le secteur du stockage et de la regazéification.
A la suite à la fusion des deux groupes le 22 juillet dernier, la réorganisation des activités italiennes de Suez et de Gaz de France (environ une trentaine de sociétés) se poursuit : elle donnera lieu à terme à la constitution d'un groupe intégré d'électricité et de gaz, couvrant la totalité de la filière énergétique italienne (approvisionnement de gaz, production d'électricité, distribution et vente de gaz et d'électricité, services énergétiques), avec l'ambition de devenir le quatrième opérateur énergétique du pays derrière Eni, Enel et Edison.
Le groupe EDF est actionnaire de référence d'Edison, qu'il contrôle avec une participation de 47 %, ce qui correspond à un investissement de plus de 7 milliards d'euros. Edison est le deuxième acteur du marché italien de l'électricité (17 % de part de marché) et le troisième acteur sur le marché du gaz (16 % de part de marché) loin derrière les opérateurs historiques nationaux Enel et Eni. Le groupe Edison est ainsi un acteur industriel important pour la diversification et la sécurité des approvisionnements italiens. Dans le secteur de l'électricité Edison se donne comme objectif d'atteindre 20 % de part du marché italien d'ici 2011. Dans le secteur du gaz, le groupe Edison participe à plusieurs projets d'infrastructures, comme le terminal méthanier de Rovigo qui sera opérationnel d'ici l'été, et aux projets de réalisation de deux nouveaux gazoducs, l'un situé à l'Est (entre Turquie, Grèce et Italie), et l'autre au Sud, le projet Galsi entre l'Algérie la Sardaigne et la Toscane avec une dérivation, actuellement à l'étude, vers la Corse.
Le groupe Areva exécute aujourd'hui un contrat de transport et retraitement des 235 tonnes de combustibles usés issus des trois centrales nucléaires italiennes, et a pour sa part finalisé avec Sogin, non sans quelques difficultés préalables, le contrat de gestion du plutonium italien de Superphénix (171 millions d'euros). Areva envisage actuellement de développer des contrats de taille plus petite (environ 100 millions d'euros) avec son partenaire italien.
* 2 Grâce à l'allongement de la durée des contrats d'importation au long terme qui arrivaient à échéance en 2017, 2021 et 2022 (soit 26 milliards de m3 de gaz par an).
* 3 Distribution directe d'un volume de 2 milliards de m3 de gaz dès 2007 qui sera porté à 3 milliards de m3 d'ici 2010.
* 4 En 2002, Electrabel et Acea en association avec Energia Italiana ont acquis Interpower (ensuite rebaptisé TirrenoPower), l'une des sociétés de production d'électricité cédées par Enel dans le cadre de la libéralisation du marché.