NOTE DE SYNTHESE
Au cours
de la seconde moitié du 20ème siècle, tous les pays
européens ont progressivement étendu à la
quasi-totalité des citoyens la couverture des risques sociaux.
Celle-ci s'effectue de façon variable selon les pays.
Traditionnellement, on distingue en effet :
- d'une part, les systèmes d'inspiration bismarckienne, où
prévaut le principe d'assurance liée au travail ;
- d'autre part, les systèmes d'inspiration beveridgienne, où la
protection généralisée est fondée sur la
solidarité, indépendamment de toute activité
professionnelle.
Depuis une vingtaine d'années, tous les pays européens,
confrontés notamment à la très forte croissance des
dépenses de santé, de chômage et de retraite, ont
cherché à freiner les dépenses sociales.
Ce faisant, tous ont diminué les prestations, et certains sont
allés jusqu'à remettre en cause certains des principes sur
lesquels leur système avait été fondé. Ainsi, le
Royaume-Uni a introduit des éléments de
" marché " à l'intérieur de son service public
de santé.
Dans ces conditions, on peut se demander dans quelle mesure l'architecture et
le fonctionnement des différents systèmes de protection sociale
demeurent conformes aux principes fondateurs qui les ont inspirés.
L'analyse des caractéristiques essentielles des systèmes de
protection sociale de cinq pays européens (
Allemagne, Danemark,
Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni
) montre que si leur mode de financement et
leur organisation demeurent très influencés par les principes
dont ils sont issus, il n'en va pas de même pour les
prestations.
I - LES CINQ SYSTEMES ETUDIES PEUVENT ETRE SITUES PAR RAPPORT AUX DEUX CONCEPTIONS TRADITIONNELLES DE LA PROTECTION SOCIALE.
1) La conception bismarckienne : les assurances sociales
Les
assurances sociales sont nées en Allemagne à la fin du
19ème siècle, à l'époque du Chancelier Bismarck. Sa
politique, guidée par un double souci de lutte contre les syndicats et
contre la montée du parti socialiste, s'est traduite par la dissolution
de ces organisations. En contrepartie, l'Etat a pris la responsabilité
d'institutionnaliser la protection sociale, dispensée auparavant par de
nombreuses " caisses de secours ". Les assurances sociales
obligatoires sont apparues dans ce pays à partir de 1883.
L'assurance est nettement distinguée de l'assistance sociale : la
protection sociale est en effet accordée en contrepartie d'une
activité professionnelle.
Quatre principes fondamentaux définissent le système bismarckien :
- une protection exclusivement fondée sur le
travail
et, de ce
fait, limitée à ceux qui ont su s'ouvrir des droits à
protection par leur travail ;
- une protection obligatoire pour
les seuls salariés dont le salaire
est inférieur à un certain montant
, donc pour ceux qui ne
peuvent recourir à la prévoyance individuelle ;
- une protection fondée sur la technique de l'
assurance
, qui
instaure une
proportionnalité
des cotisations par rapport aux
salaires, et une proportionnalité des prestations aux cotisations ;
- une
protection gérée par les employeurs et les
salariés
eux-mêmes.
Dans tous les pays qui ont adopté le modèle bismarckien, la
protection s'est peu à peu généralisée par
l'extension à des catégories de population initialement non
protégées (employés, étudiants, travailleurs
indépendants...) et à des " risques " non pris en
compte à l'origine.
2) La conception beveridgienne : la sécurité sociale
Le
Royaume-Uni constitue le berceau du second modèle, dont les principes
furent énoncés en 1942 par Lord Beveridge. Critiquant alors le
régime britannique d'assurance maladie obligatoire et le
considérant comme "
trop limité avec le système du
plafond
d'affiliation, trop complexe avec
la multitude des
caisses et mal coordonné
", Lord Beveridge propose une
réforme fondée sur la socialisation des coûts à
l'échelle nationale.
Les principes suivants définissent le système beveridgien :
- l'
universalité
de la protection sociale par la couverture de
toute la population
et de
tous les risques sociaux
;
- l'
uniformité des prestations en espèces
, fondées
plus sur les
besoins
que sur les revenus ;
- le
financement par l'impôt
;
- l'
unicité
, avec la gestion étatique de l'ensemble de la
protection sociale.
3) Le classement des cinq systèmes de protection sociale analysés
Les cinq
systèmes étudiés présentent une combinaison
variable des caractéristiques de chacun des deux modèles.
On peut encore aujourd'hui schématiquement opposer les systèmes
allemand et britannique de protection sociale, héritiers directs des
assurances sociales bismarckiennes et de la sécurité sociale
beveridgienne.
Le Danemark, après avoir adhéré au modèle allemand,
a évolué vers le modèle britannique. L'Espagne et les
Pays-Bas occupent, pour des raisons différentes, des positions
intermédiaires. En Espagne, le système d'assurances sociales, mis
en place entre 1900 et 1958, a été remplacé par un
système national de santé publique complété par un
régime général d'assurances sociales. Par ailleurs,
plusieurs régimes professionnels, gérés par les
mêmes organismes que le régime général, subsistent.
Les Pays-Bas ont, parallèlement aux dispositions propres aux
salariés, développé des prestations de base
accordées à toute la population conformément aux principes
beveridgiens de généralité et d'uniformité, mais
financées par des contributions proportionnelles aux revenus.
II - LES PRINCIPES FONDATEURS CONTINUENT D'INFLUENCER LE MODE DE FINANCEMENT ET L'ORGANISATION BIEN PLUS QUE LES PRESTATIONS.
1) Le mode de financement
Dans
tous les pays influencés par la tradition anglaise, le financement reste
largement fiscalisé tandis que, dans les autres, il est surtout
assuré par des cotisations sociales.
a) Le financement par l'impôt au Danemark et au Royaume-Uni
Au
Danemark
, le financement du système national de protection
sociale est assuré à plus de 90 % par les impôts, nationaux
et locaux. Seules l'assurance chômage, facultative, et la couverture des
accidents du travail, à la charge des seuls employeurs, restent en marge
du système national de protection sociale et sont financées par
des cotisations sociales.
Cependant, une cotisation sociale obligatoire pour tous les travailleurs,
salariés ou non, a été introduite en janvier 1994.
Contrairement aux cotisations des assurances accidents du travail et
chômage, cette nouvelle cotisation alimente le budget
général de l'Etat pour couvrir certaines de ses dépenses
sociales. Il s'agit donc plus d'un impôt assis sur les revenus du travail
et affecté que d'une cotisation sociale comme l'entendent les pays de
tradition bismarckienne.
De même, au
Royaume-Uni
, le service national de santé et
les allocations familiales sont financés par l'impôt. En revanche,
l'assurance nationale, qui verse les prestations contributives en
espèces, est financée par des cotisations dont le taux varie
selon la nature et le niveau des revenus. Ces cotisations alimentent un fonds
particulier.
b) Le financement par les cotisations sociales en Allemagne, aux Pays-Bas et
en Espagne
Dans ces trois pays, le financement de la protection sociale est
essentiellement assuré par des cotisations.
Il en va ainsi en particulier en
Allemagne et aux Pays-Bas où,
à l'exception des prestations familiales financées sur le budget
de l'Etat, toutes les autres
prestations sont
financées
par des cotisations sociales
. Ces dernières sont partagées
entre les employeurs et les salariés. Aux Pays-Bas, pour les assurances
sociales des salariés, les modalités du partage varient selon le
risque tandis que, pour celles qui couvrent toute la population, les
cotisations sont dues uniquement par les assurés, salariés ou
non, sans participation de l'employeur.
En Espagne, les cotisations représentent
70 % des
ressources
de la protection
sociale
. Dans l'ensemble, les
cotisations patronales sont cinq fois plus importantes que les cotisations
salariales.
2) Les organes de gestion
Les
différences de financement trouvent leur traduction dans le mode
d'organisation : au financement par l'impôt correspond en
général une organisation étatique, tandis que le
financement par cotisations sociales suppose plutôt la participation des
partenaires sociaux.
Ainsi, l'Allemagne est restée fidèle à la tradition
bismarckienne : toutes les assurances sociales sont gérées par
des organismes de droit public où les salariés et les employeurs
sont représentés à égalité. De même,
aux Pays-Bas, les assurances sociales des salariés sont
gérées paritairement par des représentants des
salariés et des employeurs ; les assurances nationales sont
gérées par un organisme composé à
égalité de représentants des organisations patronales et
syndicales et de membres désignés par le ministère des
affaires sociales.
En Espagne, en revanche, financement par cotisations sociales ne signifie pas
participation des assurés à la gestion. En effet, l'Etat joue un
aussi grand rôle qu'au Royaume-Uni et au Danemark. Cependant, dans ce
dernier pays, la gestion du système national de protection sociale est
confiée aux collectivités locales.
3) La tendance à l'unification des prestations
Dans les
cinq pays étudiés, les citoyens bénéficient de
prestations en cas de vieillesse, de maladie, de maternité,
d'invalidité et de chômage, ainsi que pour la prise en charge des
enfants. Ils peuvent également disposer de soins de santé
gratuits ou largement subventionnés.
Quelle que soit l'inspiration initiale des systèmes de protection
sociale, dans l'ensemble la structure des prestations se révèle
comparable d'un pays à l'autre.
En effet, les systèmes d'assurance sociales ont créé des
prestations en espèces non contributives destinées aux personnes
qui ne sont pas assurées, ainsi qu'à celles à qui les
assurances offrent une couverture insuffisante.
Inversement, les pays influencés par la tradition anglaise ont
institué des prestations proportionnelles aux revenus. Cependant, comme
le niveau des prestations y est souvent considéré comme
correspondant à un plancher, des assurances complémentaires
privées se sont développées.
Il demeure cependant au moins une différence entre les deux
modèles : dans les pays où prévaut le principe de
l'assurance, les non-salariés ne peuvent bénéficier
d'aucune prestation en espèces destinée à compenser une
perte de revenus (indemnités journalières de maladie, allocations
de chômage...), ce qui n'est pas le cas au Danemark ou au Royaume-Uni.