NOTE DE SYNTHÈSE
En
France,
la loi 82-261 du 21 juillet 1982
relative à
l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de
sûreté de l'Etat et modifiant les codes de procédure
pénale et de justice militaire
a supprimé, en temps de paix,
les tribunaux permanents des forces armées ainsi que le Haut tribunal
permanent des forces armées
. En revanche, elle a maintenu, pour le
temps de guerre, des juridictions militaires.
Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, les infractions au code de
justice militaire ainsi que les crimes et délits de droit commun commis
par les militaires dans l'exécution du service ne relèvent donc
plus de la compétence des juridictions militaires, mais de celles des
juridictions de droit commun.
Dans le ressort de chaque cour d'appel, il existe un tribunal de grande
instance et une cour d'appel spécialisés.
Le tribunal de
grande instance est chargé de l'instruction de toutes les affaires et du
jugement des délits, tandis que la cour d'assises juge les crimes.
L'accusation est assurée par le procureur de la République
territorialement compétent, l'instruction se déroule selon les
règles du code de procédure pénale et des magistrats
civils sont affectés au tribunal de grande instance. Quant à la
cour d'assises, elle est composée d'un président et de
six assesseurs, mais elle ne comporte pas de jurés.
Dans notre pays, les juridictions militaires ne se réunissent plus
qu'exceptionnellement en temps de paix : lorsque des armées
stationnent ou opèrent hors du territoire de la République et, le
cas échéant, lorsque l'état de siège ou
l'état d'urgence a été déclaré. En revanche,
en temps de guerre, il est établi des tribunaux territoriaux des forces
armées et un Haut tribunal des forces armées.
L'examen de l'organisation des juridictions militaires de cinq pays voisins,
l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suisse montre le large
éventail des relations que la justice militaire peut entretenir avec la
justice civile.
Plus précisément,
- l'Allemagne a, comme la France, supprimé la justice militaire en
temps de paix ;
- à l'opposé, la Suisse dispose d'une justice militaire
totalement indépendante de la justice pénale ordinaire, mais qui
fonctionne selon les mêmes principes ;
- les justices militaires anglaise, espagnole et italienne sont plus ou moins
intégrées à la justice pénale ordinaire, mais sans
fonctionner nécessairement comme cette dernière.
1) L'Allemagne a supprimé les juridictions militaires en temps de
paix
En Allemagne,
les auteurs d'infractions pénales militaires sont
jugés, en temps de paix, par les juridictions pénales de droit
commun.
En revanche,
la Loi fondamentale prévoit l'institution de tribunaux
pénaux militaires en temps de guerre.
Elle précise que les
juges qui y siègent doivent "
satisfaire aux conditions requises
pour l'exercice des fonctions de
juge
" et que la Cour
fédérale de justice, c'est-à-dire l'équivalent de
notre Cour de cassation, fait fonction de cour militaire suprême.
2) La Suisse dispose d'une justice militaire totalement indépendante
de la justice pénale ordinaire, mais qui fonctionne selon les
mêmes principes
a) La justice militaire suisse est uniquement composée de
militaires
L'armée suisse est presque exclusivement composée
d'appelés, qui effectuent leur service militaire en plusieurs
périodes jusqu'à l'âge de cinquante-deux ou de
quarante-deux ans, selon qu'ils sont officiers ou non.
La justice
militaire est rendue par des militaires, pendant la durée
d'accomplissement de leurs périodes.
Les fonctions considérées comme spécialisées
,
c'est-à-dire celles de président de tribunal, procureur, juge
d'instruction et greffier,
sont confiées à des militaires
qui, après avoir acquis une certaine expérience de
l'armée dans des unités opérationnelles,
justifient de
leur compétence juridique
. Si leur demande d'incorporation dans la
justice militaire, qui constitue l'une des formations de l'armée suisse,
est agréée, ils y accomplissent le reste de leurs
périodes.
En revanche,
les juges des tribunaux militaires sont choisis parmi les
officiers et les sous-officiers des unités opérationnelles.
L'ensemble du système est administré par " l'auditeur en
chef ", qui est placé sous l'autorité du ministère de
la Défense.
b) La justice militaire suisse fonctionne selon les mêmes principes
que la justice pénale ordinaire
Si les juridictions militaires sont des juridictions spéciales, la loi
de procédure pénale pose, dès l'article premier, le
principe de l'indépendance de la justice militaire.
Les juridictions militaires sont permanentes. Comme les juridictions
ordinaires, elles se subdivisent en juridictions du premier degré, qui
jugent tous les accusés indépendamment de leur grade,
juridictions d'appel et juridiction de cassation.
En outre, l'instruction est assurée par un magistrat instructeur
militaire, que la loi de procédure pénale militaire
protège de toute immixtion de la part des supérieurs de
l'inculpé. Devant tous les tribunaux, les fonctions de procureur sont
assurées par un auditeur, c'est-à-dire par un officier qui a
été incorporé à la justice militaire.
Quant à l'accusé, il peut être assisté par un avocat
du barreau à tous les stades de la procédure. Lors des
débats, l'assistance d'un avocat est même obligatoire.
3) Les justices militaires anglaise, espagnole et italienne sont plus ou
moins intégrées à la justice ordinaire, mais ne
fonctionnent pas nécessairement selon les mêmes principes que
cette dernière
a) L'intégration des justices militaires anglaise, espagnole et
italienne à la justice ordinaire
Dans les trois pays,
la juridiction suprême ordinaire constitue le
tribunal militaire de cassation
: au Royaume-Uni, c'est la Chambre des
lords ; en Italie, depuis 1981, les recours en cassation ne sont plus
attribués au Tribunal suprême militaire, mais à la Cour de
cassation ; en Espagne, la loi organique de 1987 qui a
réorganisé la justice militaire a créé, au sein du
Tribunal suprême, une cinquième chambre, la chambre militaire.
Au Royaume-Uni, la justice militaire est, à partir du deuxième
degré, rendue par des magistrats professionnels issus des juridictions
ordinaires
. Par ailleurs, les juridictions militaires anglaises du premier
degré comportent un magistrat professionnel, qui ne participe pas aux
délibérations sur la culpabilité de l'accusé, mais
qui éclaire les militaires membres du tribunal sur la procédure.
En revanche,
en Espagne et en Italie, les juridictions militaires ne
comportent pas de magistrats professionnels issus des juridictions ordinaires,
car elles ont,
à l'image des cours d'assises,
une composition
mixte
. Elles se composent en effet à la fois de magistrats
militaires, c'est-à-dire de juristes spécialement recrutés
pour assurer la justice militaire, et de militaires tirés au sort, tels
les jurés de cour d'assises.
En Espagne, le parquet militaire fait partie du parquet
général
, et le procureur général près la
chambre militaire du Tribunal suprême ne peut être nommé
sans que le procureur général du royaume soit avisé. De
même,
en Espagne, le Conseil supérieur de la magistrature
,
bien qu'il ne joue aucun rôle dans la nomination des magistrats
militaires,
dispose d'un pouvoir général d'inspection des
juridictions militaires.
En Italie, il n'existe pas de code de procédure pénale
militaire
, c'est le code de procédure pénale qui s'applique.
En particulier, toutes les procédures simplifiées de la
procédure pénale ordinaire s'appliquent devant les juridictions
militaires.
b) Si l'organisation et le fonctionnement des justices militaires italienne
et anglaise sont plus ou moins calqués sur ceux de la justice
pénale ordinaire, il n'en va pas de même en Espagne
L'organisation et le fonctionnement des justices militaires italienne et
anglaises sont plus ou moins calqués sur ceux de la justice
pénale ordinaire
En Italie, la justice militaire est organisée par un décret royal
de 1941, qui a été profondément modifié par une loi
de 1981. Or, cette dernière précise que
le statut juridique
des magistrats militaires est régi par les dispositions en vigueur pour
les magistrats militaires
. De plus, une loi de 1988 a créé le
Conseil de la magistrature militaire
, sur le modèle du Conseil
supérieur de la magistrature. Disposant à l'égard des
magistrats militaires des mêmes attributions que le Conseil
supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats
ordinaires, le Conseil de la magistrature militaire est présidé
par le premier président de la Cour de cassation.
Par ailleurs, tout comme les juridictions pénales ordinaires, les
juridictions militaires italiennes se subdivisent en juridictions du premier
degré, juridictions d'appel et juridiction de cassation. Le personnel de
ces juridictions est organisé de la même façon que celui
des juridictions pénales ordinaires.
Au Royaume-Uni, on observe également de grandes similitudes entre la
procédure pénale militaire et la procédure pénale
ordinaire : la gravité de l'infraction détermine la
juridiction compétente (sauf pour les officiers), l'instauration d'un
parquet est récente, l'appel et la cassation sont soumis à
l'autorisation de la juridiction d'appel...
A l'opposé, la justice militaire espagnole n'est pas
organisée comme la justice pénale ordinaire
Ainsi,
en première instance, le grade de l'accusé
détermine la juridiction compétente
. En effet, toutes les
juridictions militaires espagnoles peuvent être amenées à
trancher en première instance, y compris la chambre militaire du
Tribunal suprême, qui est la juridiction de cassation : les
tribunaux militaires territoriaux jugent les infractions militaires commises
par les hommes de troupe, les sous-officiers et les officiers subalternes, le
Tribunal militaire central celles commises par les officiers supérieurs,
et la chambre militaire du Tribunal suprême celles commises par les
officiers généraux. De plus,
il n'existe pas de juridiction
militaire d'appel
.
Par ailleurs, les magistrats militaires espagnols sont nommés par le
ministre de la Défense.
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Malgré leur diversité, les différents systèmes étudiés se caractérisent à la fois par leur intégration croissante à la justice pénale ordinaire et par leur fonctionnement de plus en plus proche de celui de la justice pénale ordinaire, ainsi que par la professionnalisation de leurs acteurs.