EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La part d'utilisation des transports publics croît dans les habitudes de déplacement des Français. Le Commissariat général au développement durable, en 2019, dans son dernier rapport, nous a appris que la France est passée pour ce qui concerne le transport collectif de 152,4 à 200 milliards de voyageurs-kilomètres entre 2001 et 2016. Cette progression souligne l'importance des transports collectifs dans la vie quotidienne de nombreux Français.

La substitution du transport collectif au transport individuel est une réponse essentielle aux enjeux environnementaux. En ce domaine, la France a encore beaucoup de progrès à faire puisque, dans un jugement du 24 octobre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé que la France a dépassé depuis 2010 « de manière systématique et persistante » le seuil limite de dioxyde d'azote, un gaz issu notamment des moteurs diesel. Ce jugement pourrait conduire, dans un deuxième temps, à d'éventuelles sanctions si la France ne fait rien pour remédier à cette situation.

Le développement du transport collectif est une solution pour pallier ces mauvais résultats, il doit être encouragé et il doit être accéléré. Il le sera d'autant plus que les transports publics apparaîtront fiables et assurant en toutes circonstances le transport des passagers.

La nécessaire continuité des services publics de transport

La fiabilité du transport public, sa continuité, est une condition de son développement, mais c'est aussi une exigence pour les Français qui l'utilisent de plus en plus et qui en font parfois leur seul moyen de transport. On comprend dès lors l'exaspération de nos compatriotes qui se tournent vers des transports publics qui, régulièrement, les prennent en otage. On ne peut pas à la fois promouvoir les vertus du transport public et ne pas lui imposer des obligations de régularité de service. Le respect de la continuité du service public de transport est une des conditions de sa croissance rapide.

Le droit de grève n'est pas le droit de bloquer le pays. Or, dans les faits, l'importance, désormais, du transport public dans les déplacements quotidiens des Français conduit à la paralysie.

C'est pour éviter cette paralysie qu'est proposée la création d'un service minimum de transport garanti applicable aux transports publics ferroviaire, aérien et maritime. Le futur service garanti contribuera à assurer la liberté d'aller et venir, la liberté d'accès aux services publics, la liberté du travail et la liberté du commerce et de l'industrie.

C'est un rééquilibrage des droits qu'il est proposé de mettre en oeuvre. Le principe de continuité des services publics a une valeur constitutionnelle et sa déclinaison aux transports publics s'accommode mal aujourd'hui d'une rupture en cas de grève.

Le dialogue préalable de la loi du 21 août 2007

La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs a constitué un progrès, mais n'a pas atteint l'objectif d'assurer, en toutes circonstances, la continuité du service public.

Cette loi prévoit des règles pour favoriser le dialogue social et permettre une meilleure organisation des services de transports publics en cas de grève. Elle instaure l'obligation pour les salariés d'indiquer 48 heures à l'avance qu'ils ont l'intention de faire grève. La mise en oeuvre d'un service minimum aux heures de pointe est laissée aux accords entre syndicats et autorités organisatrices.

Cette première étape de négociation est indispensable. Elle doit demeurer. En revanche, lorsqu'elle s'avère inopérante, un dispositif complémentaire doit permettre d'assurer la continuité du service public de transport. Tel est l'objet de la présente proposition de loi qui s'attache à rendre obligatoire le fonctionnement partiel des transports publics les jours de grève.

Un service minimum garanti

Le dispositif proposé pose le principe de l'ouverture aux usagers, les jours ouvrés, en cas de grève, d'un tiers des transports publics quotidiens prioritairement concentrés sur les heures de pointe qui correspondent à deux heures le matin et le soir.

Il est prévu que ce dispositif puisse être abaissé ou augmenté par l'organe délibérant ou l'autorité organisatrice de transport afin d'adapter le service à la situation locale et à l'exigence constitutionnelle « des besoins essentiels du pays ».

Pour assurer la continuité du service public, la possibilité est donnée aux entreprises de transport de requérir des agents grévistes, le nombre des agents réquisitionnés ne devant pas excéder les besoins qui permettent d'assurer le service minimum garanti.

Si l'entreprise n'assume pas ses obligations de continuité de service public, elle pourra être condamnée à payer une amende administrative.

Des démarches simplifiées

La proposition de loi prévoit également, afin d'éviter que les voyageurs dont le voyage est annulé ne soient pénalisés financièrement, de simplifier leurs démarches. L'absence de remboursement et la nécessité pour le voyageur lésé de faire une démarche apparaissant comme injustement contraignante, l'avoir serait interdit au profit d'un remboursement. Ce dernier serait automatique lorsque le paiement est électronique.

L'aménagement de l'exercice du droit de grève : une jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel

Le service garanti ne remet pas en cause le droit de grève ; il propose d'aménager son exercice à l'instar de ce que prévoit la loi pour d'autres services publics comme les hôpitaux ou la télévision publique. Il s'inscrit dans une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel.

Aux termes du septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Cette réglementation générale du droit de grève n'a jamais été adoptée. Ont seulement été adoptées des lois particulières, réglementant ou interdisant ce droit pour certaines catégories professionnelles.

Le Conseil constitutionnel admet que la loi peut aller « jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service [public] dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ».

Il a en outre posé de manière générale que le législateur peut apporter des « limites » au droit de grève. La formulation de principe en la matière est issue de la décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 et a été reprise sans modification depuis lors :

« Considérant qu'aux termes du septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : "Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent" ; qu'en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu'il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; que, notamment en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle. »

C'est dans ce cadre constitutionnel qu'est prévu le dispositif de la présente proposition de loi.

Le futur service garanti a naturellement vocation à s'appliquer aux services qui sont déjà soumis aux dispositions du code des transports relatives à la continuité du service en cas de perturbation prévisible de trafic, à savoir les services publics de transport terrestre régulier de personnes, à vocation non touristique, hors transport fluvial. C'est pourquoi le dispositif de la proposition de loi s'inscrit dans la division du code des transports prévue à cet effet.

L'exigence constitutionnelle de la continuité des services publics ne s'arrête cependant pas aux limites de la France métropolitaine continentale. L'effectivité du droit au transport doit bénéficier à tous les citoyens, quel que soit le territoire sur lequel ils se trouvent. C'est pourquoi l' article 1 er prévoit l'application du service garanti aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises, ce qui recouvre non seulement les îles métropolitaines, mais aussi d'outre-mer dans la mesure où le code des transports y est applicable. Pour éviter des difficultés d'interprétation, il est précisé que, s'agissant de la Corse, la collectivité territoriale doit être regardée comme l'autorité organisatrice de transports pour les délibérations que la déclinaison du service garanti au niveau local peut nécessiter. Ce champ d'application est complété par des dispositions propres au transport aérien ( article 3 , notamment).

L' article 2 procède, pour des questions de lisibilité du code des transports, à un simple déplacement des dispositions précisant ce qu'il convient d'entendre par « perturbation prévisible du trafic ».

Les articles 3 et 4, complémentaires, instaurent un service garanti afin que les besoins essentiels de la population soient assurés en cas de grève dans les transports publics réguliers de personnes.

La définition de ces besoins essentiels repose sur un socle posé par le législateur que les autorités organisatrices de transport adapteront, en tant que de besoin, en fonction des circonstances locales.

Le socle, objet de l' article 3 , pose le principe de l'ouverture aux usagers, en cas de grève un jour ouvré, d'un tiers des liaisons ouvertes en service normal. Afin d'optimiser les trajets ainsi rendus disponibles, il est prévu qu'ils seront prioritairement consacrés aux périodes de pointe, dans la limite, bien sûr, du nombre de voyages assurés au cours de ces périodes en service normal. Il est cependant prévu que l'organe délibérant de l'autorité organisatrice de transport puisse abaisser cette limite dans la mesure où il n'en résulterait pas une atteinte aux besoins essentiels de la population ni un risque pour la sécurité des voyageurs.

Ce socle pourra, et même devra, être adapté aux circonstances locales par les autorités organisatrices, bien entendu sous le contrôle du juge administratif, afin de faire en sorte qu'il ne soit ni excessif ni insuffisant au regard des besoins essentiels de la population. Pour ce faire, l' article 4 se greffe sur le dispositif actuel en vertu duquel les autorités organisatrices sont appelées à identifier des dessertes prioritaires en cas de perturbation prévisible du trafic :

- d'une part, il leur appartiendra, le cas échéant, d'identifier les liaisons ou parties de liaison dont l'interruption ne porterait pas atteinte aux besoins essentiels de la population (et pour lesquelles le service garanti n'aurait donc pas lieu d'être) ;

- d'autre part, les autorités organisatrices pourront, et même devront, apporter des compléments au minimum de principe prévu par la loi dans la mesure, et seulement dans la mesure, où ce minimum se révélerait insuffisant pour répondre aux besoins essentiels de la population. Ces compléments pourront notamment porter sur des dessertes à assurer selon une certaine fréquence en dehors des heures de pointe ou, pour les heures de pointe, consister à prévoir (sur certaines lignes, voire parties de ligne) des fréquences plus fortes que celles qui résulteraient du socle prévu par la loi.

Ainsi, le niveau de service garanti qui résulterait de la présente proposition de loi correspondrait à l'équation suivante : service minimal garanti = socle prévu par la loi + adaptations jugées nécessaires par les autorités locales pour répondre strictement aux besoins essentiels de la population.

En cas de grève, il appartiendrait à l'entreprise de transport (ou à l'autorité organisatrice si elle exécute elle-même le service) d'assurer le service garanti ainsi défini. Pour ce faire, l' article 3 prévoit qu'elle pourrait, dès lors que le nombre d'agents non grévistes ne suffirait pas, requérir des agents grévistes dans la mesure du strict nécessaire pour assurer les besoins essentiels de la population. Ce faisant, serait garanti le niveau de service le plus élevé possible compte tenu des marges de manoeuvre ouvertes par le Conseil constitutionnel en matière de réquisition de grévistes. Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, selon une jurisprudence bien établie, celui-ci permet en effet au législateur d'aller « jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service [public] dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays » (décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 ; jurisprudence réitérée dans les décisions n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 et n° 87-230 DC du 28 juillet 1987) 1 ( * ) . Le tout récent rappel de cette jurisprudence par le Conseil constitutionnel dans son commentaire de la décision sur la loi de transformation de la fonction publique (n° 2019-790 DC du 1 er août 2019) souligne qu'elle demeure plus que jamais d'actualité.

Ainsi autorisée à réquisitionner des agents au cas où le nombre de non-grévistes ne serait pas suffisant, l'entreprise de transports disposera des moyens juridiques pour assurer le service garanti. En conséquence, le fait d'avoir manqué à cette obligation devrait pouvoir appeler à une sanction que l' article 4 propose de prévoir sous la forme d'une amende administrative à prononcer par l'autorité administrative. Le plafond de cette amende, dont le montant effectif devra être fixé par l'autorité organisatrice en fonction des circonstances de l'espèce, sera proportionnel au nombre de dessertes non assurées par l'entreprise.

Par essence, le service garanti n'a vocation à s'appliquer qu'en cas d'échec des négociations que les employeurs et les organisations syndicales doivent tenir en vertu des dispositions du code du travail applicables en cas de préavis de grève dans les services publics (article L. 2512-2). C'est pourquoi l' article 5 impose à l'entreprise de transport d'informer l'autorité organisatrice de l'évolution des négociations et, s'il apparaît que la grève s'annonce inévitable, de lui indiquer au moins vingt-quatre heures avant le terme du préavis les mesures qu'elle envisage de prendre pour se conformer à ses obligations au titre du service garanti ainsi que les éventuelles difficultés qu'elle risque de rencontrer. L'information ainsi dispensée pourra notamment être un élément d'appréciation des circonstances pour fixer le montant de l'amende administrative qui pourrait être prononcée par l'autorité organisatrice au cas où l'entreprise aurait manqué à son obligation de service garanti.

L' article 6 vise à améliorer les droits des usagers en cas d'annulation d'un voyage. Ainsi, en principe, serait interdit le remboursement d'un titre non utilisé sous la forme d'un avoir ou d'un échange ; en cas de réservation payée par voie dématérialisée, l'usager serait automatiquement remboursé sur son compte bancaire dans les sept jours. Une exception est cependant admise, au nom du pragmatisme, pour l'échange d'un billet aller annulé puisque, s'il conserve son retour, l'usager aura nécessairement besoin d'un billet aller.

L' article 7 prévoit la consultation des comités de suivi de dessertes sur les mesures envisagées par les autorités organisatrices de transport ferroviaire dans le cadre du service garanti.

Enfin, l' article 8 instaure un service minimal garanti applicable aux services de transport aérien public à l'intérieur du territoire français. Il reprend dans une large mesure le dispositif prévu pour les autres modes en tenant compte des spécificités de l'aérien (absence d'autorité organisatrice désignée, caractère souvent inapproprié du concept de période de pointe, caractère non systématique d'une convention de service public...). L'une des spécificités tient au nombre important d'acteurs à mobiliser puisque, outre l'entreprise de transport elle-même, sont concernés les contrôleurs aériens, les bagagistes, les personnels de sécurité, etc. Elle rend d'autant plus nécessaire l'information par l'entreprise de transport des représentants de l'État sur l'évolution des négociations durant le préavis, ceux-ci pouvant alors eux-mêmes répercuter auprès des autres acteurs les éléments qui pourraient leur être utiles pour se préparer au service garanti dans les meilleures conditions.


* 1 Pour le Conseil constitutionnel, « dans le cadre des services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ; que ces limitations peuvent aller jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page