EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Avec la loi n°2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le gouvernement Valls a imposé une fusion autoritaire des anciennes régions. Créant des entités régionales démesurément étendues, cette fusion a été réalisée au mépris de la règle selon laquelle « Les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés » (article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales).

En fait, l'augmentation de la taille des régions repose sur une erreur fondamentale qui consiste à croire que plus on fait grand, plus il y a d'économies d'échelle. En effet, une taille optimale correspond à chaque type d'organisation territoriale. Au-delà de cet optimum, les pesanteurs administratives et le manque de proximité de la gestion entraînent des surcoûts et des dysfonctionnements.

Compte tenu des frais de déplacement et de l'éloignement des centres de décision, certaines régions fusionnées n'ont donc permis aucune économie réelle de gestion. C'est ce que confirme le rapport de 2017 de la Cour des comptes. Le Républicain Lorrain du 12 octobre 2017 indique ainsi que selon ce rapport « la fusion des régions a généré des surcoûts. C'est poliment dit : la création de grandes régions "n'a pas remédié à la complexité du paysage institutionnel local." En clair, une réforme pour rien et qui pourrait coûter cher ».

Les rapports suivants, notamment celui de 2019, confirmèrent ce constat ; le Grand Est pulvérisait tous les records avec 28,3 % d'augmentation des frais salariaux (Dernières nouvelles d'Alsace, 25 septembre 2019). De son côté, le journal l'Opinion du 25 septembre 2019 en concluait que la réforme « décidée sur un coin de table » n'a pas permis les économies annoncées. Sous le titre « Fusion des régions : les 10 milliards d'euros d'économies promis ont fait pschitt », le journal stigmatisait tout particulièrement la dérive des frais de fonctionnement dans le Grand Est.

I) La région Grand Est : une aberration administrative

Le cas de la région Grand Est est le plus emblématique. En effet, la problématique d'une étendue territoriale démesurée s'y cumule avec celle de la disparition d'une ancienne région, l'Alsace, dont l'identité très forte est progressivement étouffée.

• La région Grand Est est deux fois plus grande que toute la Belgique (pourtant divisée en trois : Flandre, Wallonie, Bruxelles). Pour aller de Troyes au chef-lieu Strasbourg, il faut 3h34 en voiture et près de 4h00 en train alors que, de Troyes à Paris, ces trajets sont respectivement de 1h58 et 1h23. Il n'est donc pas étonnant que le quotidien L'Alsace du 18 juillet 2018 ait révélé une augmentation de 51 % des frais de déplacement et de mission de la région Grand Est, par rapport au total des trois anciennes régions.

• Tout comme en Corse, la population alsacienne est très attachée à son territoire et à son identité. C'est le fruit de la géographie, de l'histoire et de spécificités aussi bien linguistiques que religieuses. Ainsi, un sondage réalisé par l'IFOP a constaté que 83 % des Alsaciens souhaitent le rétablissement d'une région Alsace de plein exercice (Dernières Nouvelles d'Alsace, 21 février 2018). Un second sondage réalisé peu après par BVA a confirmé ce résultat.

II) Le contexte politique

Les sondages effectués périodiquement en Alsace par des instituts sérieux (IFOP, BVA...) montrent tous que plus des trois quarts des Alsaciens qui s'expriment, souhaitent que leur région sorte du Grand Est. André Reichardt (LR), le dernier président de la région Alsace, s'est toujours fermement prononcé pour le rétablissement de la région Alsace. Quant au dernier président de la région Lorraine, Jean-Pierre Masseret (PS), après avoir soutenu la création du Grand Est, il a ensuite pris position en sens contraire au motif que l'étendue démesurée de la nouvelle région ne permettait pas de faire émerger de véritables solidarités territoriales.

Le sort de l'Alsace conditionne aussi celui des habitants des deux autres anciennes régions. Or là aussi un sondage réalisé en mai 2022 par l'IFOP, montre qu'une majorité se dégage en faveur d'une dissolution du Grand Est : 46 % pour, 33 % contre et 21 % sans opinion (L'Est Eclair, 27 mai 2022). Par rapport aux avis exprimés, le rapport est donc de 58% contre 42 % (respectivement 59 % contre 41 % en Champagne-Ardenne et 58 % contre 42 % en Lorraine). Si l'Alsace sortait du Grand Est, une légère majorité se dégage pour un rétablissement des deux autres anciennes régions (42 % contre 38 % et 20 % de sans opinion). Cette volonté est plus forte en Lorraine (44% pour la séparation contre 39 %) qu'en Champagne-Ardenne (38 % pour et 37 % contre).

Dans la mesure où à une écrasante majorité, les Alsaciens veulent le rétablissement de leur ancienne région, il est surprenant que le microcosme politique soit, lui, plus divisé sur le sujet. En fait, comme c'est trop souvent le cas, les calculs politiciens et surtout les intérêts personnels prennent le pas sur l'intérêt général. En effet, pour le président du Grand Est, Jean Rottner, pour ses vice-présidents et ceux qui sont élus avec eux, il s'agit d'abord de préserver leurs prébendes et les aspects matériels dont ils profitent au titre de leur fonction.

Pour preuve, face à la fusion autoritaire des régions, Jean Rottner (LR) s'était montré extrêmement virulent et avait organisé une pétition avec plus de 50 000 signatures pour réclamer le maintien de la région Alsace. Sans aucun scrupule, il a soudain changé radicalement de position lorsqu'il a été élu président du Grand Est. Pire, il a même multiplié les représailles à l'encontre des élus de son parti qui ne partagaient pas sa position. Ainsi en décembre 2018, le sénateur André Reichardt et plusieurs autres élus furent exclus du groupe LR du conseil régional, au motif qu'ils demandaient que l'Alsace sorte du Grand Est.

Entre 2017 et 2022, le président Emmanuel Macron et ses Gouvernements successifs étaient conscients de l'attachement des Alsaciens à leur région historique. Cependant, ils craignaient que le rétablissement de l'Alsace ouvre la boîte de Pandore des revendications territoriales d'autres régions. De plus, ils étaient influencés par la pensée dominante de la technocratie selon laquelle plus une région est étendue, mieux elle fonctionne. La conséquence en a été le maintien du statu quo au détriment des Alsaciens.

Afin de donner l'impression qu'il écoutait malgré tout le mécontentement local, le président Emmanuel Macron a essayé de gagner du temps en évoquant un hypothétique futur réexamen global des découpages régionaux, puis en acceptant une demi-mesure. Celle-ci a consisté à fusionner les deux départements alsaciens pour créer un grand département pompeusement appelé collectivité européenne d'Alsace (CEA). La loi n°2019-816 du 2 août 2019 qui a créé la CEA, prévoyait que l'État était censé lui transférer des compétences. Selon son bon vouloir, le Grand Est pouvait aussi lui déléguer des attributions.

À l'évidence cette collectivité européenne d'Alsace n'était qu'un leurre pour permettre au Gouvernement de gagner du temps. En effet, la CEA ne reçut de l'État que quelques miettes de compétences supplémentaires par rapport à un département de droit commun (par exemple faire figurer le logo de l'Alsace sur les plaques minéralogiques...). De plus, le président du Grand Est a fait savoir qu'il refusait de transférer quelque compétence que ce soit à la CEA.

En fait, avec la création de la CEA, l'Alsace reste inféodée au Grand Est sans pouvoir maîtriser son destin et, en plus, elle a perdu un département. Quant au territoire des deux autres anciennes régions, ils continueraient à être englués dans une région Grand Est démesurément étendue, sans aucune possibilité de gestion de proximité. D'ailleurs le Gouvernement ne le niait pas.

En effet, le samedi 23 janvier 2021 à Colmar, le Premier ministre Jean Castex a reconnu de la sorte la problématique qui résulte de la création des grandes régions : « Au-delà de l'Alsace, je voudrais vous faire une confidence personnelle : je n'ai jamais été convaincu par la création de ces immenses régions, dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité. Le désir de retrouver une Alsace reconnue, que vous avez unanimement et continument exprimé depuis 2015 ne constitue ni une lubie folklorique ni une menace à l'unité de la République comme on l'a parfois, malheureusement, entendu. C'est tout simplement une volonté légitime d'un territoire et d'une population d'être reconnue et respectée. Cela, le Président de la République l'a entendu et l'a compris dès 2017, en ouvrant la voie à une adaptation du cadre institutionnel » .

Le lundi 25 janvier suivant, Frédéric Bierry (LR), le président de la CEA s'exprima dans le même sens sur la chaîne Public Sénat : « Bien évidemment, nous appelons de notre voeu le démembrement de la région Grand Est. Si nous pouvions reconstituer l'Alsace -nous l'avons fait institutionnellement avec la collectivité européenne d'Alsace-, il suffirait de transférer toutes les compétences de la Région et on aurait une collectivité d'un nouveau genre mais qui serait beaucoup plus efficace et beaucoup plus lisible pour nos concitoyens ». Manifestement en Alsace, ce dossier fondamental divisait et divise profondément le parti LR entre les partisans de Bierry et ceux de Rottner.

En février 2022, la CEA organisa une consultation citoyenne en Alsace et comme l'indiqua la presse (DNA, 22 février 2022), le résultat fut sans ambiguïté : « Sans surprise, une écrasante majorité des participants à la consultation citoyenne organisée par la CEA souhaite voir l'Alsace redevenir une région à part entière... "Journée historique, succès populaire", quelques mots de Frédéric Bierry ont suffi pour faire jaillir les superlatifs laudateurs. A 92,4 %, les 153 844 participants dont les bulletins ont été reconnus valides ont répondu « oui » à la question posée. Oui, ils souhaitent que l'Alsace quitte le Grand Est pour redevenir une région à part entière ». En dépit de cette consultation à 92,4 % pour l'Alsace et 7,6 % contre, Rottner qualifia ce résultat de " piteux " au prétexte que la participation n'était que de l'ordre de 11 %.

Lors de la séance du conseil régional du 17 mars 2022, Rottner et ses vice-présidents persistèrent à nier l'évidence, ce qui leur fut reproché : « Le fait qu'il s'agisse d'une consultation et non d'un référendum en bonne et due forme explique le faible taux de participation.... Cependant, le oui a été massif et il faut beaucoup de mauvaise foi pour le caricaturer. Monsieur le président, vous avez qualifié ce résultat de « piteux » au prétexte que les oui ne représentent qu'un peu plus de 11 % des Alsaciens. Faut-il vous rappeler Monsieur le président, qu'au second tour des dernières élections régionales, vous n'avez vous-même été élu en Alsace qu'avec 10,6 % des inscrits ? C'est donc l'hôpital qui se moque de la charité. Un élu de bonne foi ne peut pas faire semblant d'ignorer le signal donné par cette consultation citoyenne...C'est pourquoi, je vous demande si vous auriez le courage de demander, qu'un référendum soit organisé sur la sortie de l'Alsace de la région Grand Est » (intervention de Jean-Louis Masson).

III) Un référendum pour rétablir la région Alsace

Face aux aspirations très fortes exprimées par les Alsaciens et face aux problèmes inextricables que crée l'étendue démesurée de la région Grand Est, la seule vraie solution est de rétablir une région Alsace de plein exercice. Cela permettrait à la fois aux Alsaciens de retrouver leur identité et au territoire des deux autres anciennes régions d'avoir à nouveau une gestion de proximité au plus près des réalités du terrain. L'opinion publique étant plus partagée dans ces deux anciennes régions, le statu quo de leur fusion pourrait être maintenu au moins provisoirement.

En résumé, la région Grand Est est une aberration administrative et, de son côté, la « collectivité européenne d'Alsace » n'est qu'un département de droit commun auquel le Grand Est refuse tout transfert de compétence régionale. Afin de sortir de cette impasse, il est nécessaire de permettre aux Alsaciens de trancher par le biais d'un référendum en bonne et due forme. Pour cela, la présente proposition de loi tend :

- d'une part, à organiser un référendum pour demander aux Alsaciens s'ils veulent que l'Alsace sorte du Grand Est ;

- d'autre part, et en cas de réponse positive, de remplacer le Grand Est par une région Alsace et par une région Est correspondant au territoire des anciennes régions Champagne-Ardenne et Lorraine.

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