EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis la promulgation de la loi du 12 mai 2010 ouvrant les jeux d'argent et de hasard en ligne à la concurrence, les sites internet de paris sportifs et les publicités relatives à ces derniers se sont multipliés et avec eux, la proportion du nombre de joueurs en ligne, passés de 800 000 en 2010 à plus de 4 millions en 2020. Parmi ces derniers, un million présente un risque modéré d'addiction ; 370 000 sont sujets à un problème de jeu excessif.
Les comportements addictifs représentent en moyenne 40% du chiffre d'affaires des opérateurs de jeux en ligne. Il apparaît sans équivoque que ce problème de santé public, qui suscite endettement, isolement, et pathologies liées à l'addiction est au fondement des rouages d'un marché lucratif en constante dynamisation.
L'augmentation des investissements publicitaires par les opérateurs de jeux en ligne - + 26% en 2021 par rapport à 2019, +7% en 2022 par rapport à 2021 - pose à cet égard un problème de santé publique et appelle au renforcement de la protection des consommateurs face à un phénomène qui cible de plus en plus les publics jeunes, voire mineurs.
Bien que l'article D320-9 du Code de la sécurité intérieure interdise strictement tout ciblage publicitaire de ces derniers, les opérateurs de jeux d'argent et de hasard ne cessent de réadapter leur stratégie pour échapper aux limites définies par la loi.
Alors qu'il est interdit de suggérer que les jeux d'argent et de hasard peuvent contribuer à la réussite financière ou sociale 1 ( * ) , certains opérateurs ont pourtant pu fonder leurs campagnes commerciales sur la base de slogans 2 ( * ) nourrissant l'espoir pour les joueurs d'offrir stabilité et prospérité financière à leur famille. Dans un autre registre, également réfléchi pour contourner les interdictions visées par la loi, le recours à des imaginaires visuels ou sonores particulièrement attractifs pour la jeunesse est un rouage connu des stratégies commerciales des opérateurs de jeux d'argent et de hasard.
Par extension, ces pratiques conduisent à questionner la multiplication de contrats de sponsoring avec des figures (voire idoles) de la jeunesse, à l'instar des joueurs de football. La mise en scène de personnalités ou de personnages appartenant à l'univers des mineurs étant interdite par l'article D320-10 de l'article du Code de Sécurité intérieure, la popularité de ces effigies auprès de publics mineurs pointe une certaine contradiction entre cette interdiction fixée par la loi et la légalité de ces contrats de sponsoring. À cet égard, le Royaume-Uni, constatant que les joueurs de football « reflètent ou sont associés à la culture jeune » 3 ( * ) a récemment interdit toute apparition de ces derniers dans des publicités pour les jeux d'argent et les paris sportifs.
Au regard de ces constats, la régulation des contenus publicitaires est une question éminemment centrale, qui ne peut se dispenser d'une réflexion sur les limites de la législation actuelle. En l'état, le droit en vigueur énumère un ensemble d'interdictions explicites auxquelles les opérateurs de jeux d'argent et de hasard sont tenus de se conformer.
Or, l'essentiel de leur communication publicitaire agit sur les joueurs de façon implicite, par l'utilisation de références cinématographiques, vidéoludiques, ou encore par des stimulations psychosensorielles (mise en scène de moments de compétition intense, ou de moments de convivialité et de joie partagés autour du jeu). Cette écriture de la loi n'empêche donc pas réellement les opérateurs de jeux d'argent et de hasard de cibler les jeunes joueurs. De plus, dans le cas où l'Autorité Nationale des Jeux identifie un risque de non-respect de la loi, l'enquête intervient de fait après la diffusion de la campagne publicitaire ; dans ce laps de temps, les opérateurs de paris sportifs ont déjà pu toucher leur public cible et attirer des joueurs vulnérables.
En conscience de cela, cette proposition de loi entend établir une régulation plus restrictive des contenus publicitaires de paris sportifs. Celles-ci seraient ainsi limitées aux indications écrites du ou des sports concernés par la publicité, au nom et à l'adresse de l'opérateur, et à l'indication des modalités d'inscription à la plateforme ou à l'application de l'opérateur de jeu (article 1 er ). L'utilisation d'imaginaires visuels, sonores et autres procédés attractifs pour la jeunesse serait ainsi interdite d'office, plutôt que soumise à une enquête ex post. Quant à l'utilisation de l'image de personnalités populaires chez les jeunes joueurs, au coeur de nombreux contrats de sponsoring, celle-ci serait de fait proscrite par cette rédaction.
De façon complémentaire, la présente proposition de loi entend définir avec clarté les supports publicitaires autorisés pour les paris sportifs. Alors que le marketing d'influence sur les réseaux sociaux (« les influenceurs » 4 ( * ) et « tipsters » 5 ( * ) ) contracte de plus en plus de partenariats rémunérés avec les opérateurs de paris sportifs, la législation actuelle ne remet aucunement en cause cette possibilité. La jeunesse qui caractérise leur audience et les nombreux écarts recensés 6 ( * ) conduisent les auteurs de cette proposition de loi à souhaiter exclure tout professionnel du marketing d'influence des supports publicitaires autorisés en matière de jeux d'argent.
Plutôt que d'énumérer les supports interdits, comme le fait actuellement l'article 320-12 du Code de la Sécurité intérieure , l'article 1 er de cette proposition de loi entend établir la liste des supports publicitaires exclusivement autorisés en matière de paris sportifs. Cette rédaction prend le parti d'affirmer que la promotion de paris sportifs par des personnalités populaires auprès de la jeunesse n'est pas compatible avec l'objectif de protéger les jeunes joueurs, et les exclut ainsi de la liste des supports publicitaires autorisés. Ce faisant, elle entend dépasser les difficultés auxquelles se heurte actuellement le législateur en matière de régulation des contenus en ligne sur les réseaux sociaux et, en particulier, des activités du marketing d'influence.
Cette rédaction intègre également une interdiction de toute communication interstitielle 7 ( * ) en matière de paris sportifs et rapproche, ce faisant, la législation sur les paris sportifs de celle en vigueur pour la promotion de boissons alcoolisées.
Cette rédaction entend également résoudre la problématique posée par les médias audiovisuels à la demande. Alors que les compétitions sportives sont de plus en plus regardées sur internet, les plateformes qui les diffusent ou rediffusent en ligne sont devenues de véritables terrains de matraquage publicitaire.
Il est difficile de limiter le visionnage de ces publicités par les nombreux mineurs qui fréquentent ces plateformes, notamment en raison du « pré-roll ». Cette technique commerciale consiste à enclencher une vidéo publicitaire avant le lancement d'une vidéo qu'un internaute souhaite visionner. Celui-ci ne peut pas l'ignorer ; il lui faut visionner tout ou partie de cette annonce publicitaire pour accéder au contenu qu'il souhaite regarder. Le déclenchement de cette publicité peut également intervenir pendant le visionnage de la vidéo, ou à la fin de celle-ci.
En conséquence de cela, et afin de préserver le jeune public qui les fréquente, les auteurs de cette proposition de loi estiment que ces plateformes de contenus audiovisuels à la demande ne doivent pas être autorisées à diffuser des publicités relatives aux jeux d'argent et de hasard.
Toujours dans la perspective de réduire l'exposition du public jeune à ces publicités, cette proposition de loi entend également restreindre les heures de diffusion de publicité pour les paris sportifs et jeux d'argent à la télévision. Sur le modèle de la législation en vigueur en Espagne, cet article premier entend limiter cette diffusion aux horaires de nuit, allant de 00h à 6h00 du matin.
En plus de la régulation des contenus publicitaires, la présente proposition de loi entend mettre fin à deux pratiques dangereuses en matière de jeux d'argent et de hasard : l'offre promotionnelle et la gratification financières. Ces deux mécanismes constituent de toute évidence un moyen, pour les opérateurs, d'inciter les joueurs à remiser de l'argent ; dans un circuit de l'addiction fondé sur l'appât du gain, de telles pratiques et incitations doivent impérativement être proscrites, pour des raisons de santé publique évidentes. Il s'agit de l'objet de l'article 2.
Les auteurs de cette loi souhaitent enfin consacrer la possibilité, pour les associations de lutte contre les addictions, de s'assurer du respect de ces dispositions et d'exercer un rôle de veille actif sur les pratiques des opérateurs de jeux, particulièrement en ligne. Comme la loi les y autorise en matière de non-respect de l'article L-3323-4 du Code de la Santé publique (sur l'alcool), l'article 3 de cette proposition de loi a pour but de leur permettre d'entreprendre des actions en justice contre les entreprises qui, par leur publicité, ne respectent pas les dispositions précitées en matière de paris sportifs.
Bien que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) déploie des contrôles sur les sites internet de jeux en ligne en lien avec l'Autorité Nationale des Jeux (ANJ), il est difficile de réguler l'intégralité des sites internet et des nouvelles modalités de communication introduites par les réseaux sociaux 8 ( * ) . Ce constat renforce la nécessité d'une approche partenariale avec les associations de lutte contre les addictions, pour mieux repérer et sanctionner les pratiques abusives ou dangereuses.
L'article 4 renforce les sanctions applicables en cas de non-respect de ces dispositions ; en l'état, le non-respect de la loi en matière de communications commerciales relatives aux jeux d'argent est puni d'une amende de 100 000 euros. Au regard des profits colossaux réalisés par les opérateurs de jeux d'argent et de paris sportifs, et considérant l'ampleur du problème de santé publique généré par l'addiction aux jeux, il est proposé d'offrir au juge la possibilité de porter cette sanction à 2% du chiffre d'affaires de l'opérateur sanctionné afin que celle-ci devienne réellement dissuasive.
* 1 L'article D. 320-9, 2° du Code de la Sécurité intérieure établit que « toute communication commerciale en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard est interdite lorsqu'elle suggère que jouer contribue à la réussite sociale ».
* 2 À titre d'exemple, l'opérateur Winamax a pu diffuser sa campagne commerciale « Tout pour la daronne » plusieurs mois durant, avant que l'Autorité Nationale des Jeux n'en décide le retrait le 17 mars 2022.
* 3 Communiqué du Comité des Pratiques Publicitaires du Royaume-Uni, en date du 5 avril 2022.
* 4 Un influenceur est une personne qui influence l'opinion ou la consommation par son audience sur les réseaux sociaux
* 5 Un tipster est une personne ou un organisme qui établit des pronostics, à titre public ou privé, gratuit ou onéreux
* 6 De nombreux « influenceurs » et « tipsters », rémunérés par des opérateurs de paris sportifs, mettent en scène produits et voitures de luxe dans leurs contenus (photos, vidéos, « stories ») en les associant à des gains prétendument issus de paris sportifs. Ces pratiques se multiplient en particulier sur les plateformes Twitch, TikTok, et Snapchat, particulièrement fréquentées par les jeunes usagers et les mineurs ; elles sont pourtant interdites par l'article D320-9, 5° du Code la Sécurité intérieure.
* 7 Une publicité interstitielle est « une annonce publicitaire qui s'affiche en plein écran et qui vient recouvrir la page visitée, dès la page d'accueil ou comme transition entre deux pages . »
* 8 Les publications éphémères (« les stories ») et les diffusions en direct (les « live »), privilégiées par les influenceurs et tipsters pour la promotion des paris sportifs et jeux d'argent, rendent difficile les contrôles et la régulation ex post .