EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La précarité gagne du terrain dans notre pays. En 2022, la France a franchi le seuil des 10 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui correspond à 1 100 euros nets par mois. 14,8% de la population se trouve dans cette situation.

La succession de crises de grande ampleur (pandémie de COVID-19, agression de l'Ukraine par la Russie) a précipité cette progression de la précarité, qui se traduit à plusieurs niveaux. En novembre 2022, l'inflation alimentaire a atteint 12,2%, une progression inédite en l'espace d'un an.

Conjugué à la libéralisation du secteur de l'énergie qui a dérégulé le marché et accentué la hausse des prix de pour les usagers et les usagères, ce contexte de crises a propulsé l'inflation énergétique. En effet, les prix de l'énergie ont bondi de 19,2% par rapport à l'automne précédent et ce, malgré les 110 milliards d'euros déployés par l'État pour les contenir sur l'année 2022.

S'agissant plus spécifiquement du gaz, le gel des tarifs réglementés de vente dès le 1 er octobre 2021 a permis d'éviter une augmentation des prix de l'ordre de 122,1% par rapport à leur niveau actuel.

Les conséquences d'une telle augmentation auraient été dramatiques sur le pays. Le marché du gaz français concerne 11,4 millions de sites et représente une consommation annuelle d'environ 460 térawattheures ; 42% des consommations de chauffage, et jusqu'à 50% des besoins d'énergie en pointe.

Au total, le gaz représente 16% de notre mix énergétique, ce qui expose fortement notre pays aux variations des prix sur les marchés européens et mondiaux. Outre une augmentation du prix du gaz de 67% depuis 2008, cette tendance s'est accélérée à partir de 2020.

Entre décembre 2020 et décembre 2021, le prix du gaz sur le marché à terme TTF, référence européenne pour le marché de gros, a été multiplié par sept pour atteindre 108 euros/MWh ; soit très loin des 20 à 30 euros/MWh habituellement en vigueur.

La guerre en Ukraine a quant à elle justifié des prix records, avec un pic de 342,8 euros le MWh enregistré le 26 août 2022. Si les prix de gros ont baissé, ils restent quatre fois plus élevés qu'avant la crise.

Les tarifs réglementés de vente de gaz ont permis aux pouvoirs publics de maîtriser les prix du gaz malgré cette période de forte déstabilisation des marchés.

Sans cet instrument de régulation, le bouclier tarifaire n'aurait pas pu s'appliquer de façon immédiate et systématique pour les particuliers, et des milliers de Françaises et Français supplémentaires auraient basculé dans la précarité énergétique.

Pourtant, au 30 juin 2023, 2,6 millions de ménages seront contraints de renoncer aux tarifs réglementés du gaz et de souscrire à une offre de marché. Cette échéance, fixée par la loi dite Énergie Climat votée en 2019, s'inscrit en contradiction totale avec les besoins actuels des usagers et usagères.

Elle est issue d'un contexte antérieur à la crise actuelle, dans lequel rien ne préfigurait les déstabilisations que nous connaissons aujourd'hui sur le marché de gros - et encore moins l'agression de l'Ukraine par la Russie et les difficultés d'approvisionnement qui résultent des sanctions légitimes prononcées à l'encontre de cette dernière.

Surtout, cette extinction programmée des tarifs réglementés de vente du gaz repose sur une décision du Conseil d'État, en date du 19 juillet 2017, dont les motifs sont aujourd'hui contredits en fait, et discutables en droit.

En fait, d'abord : en considérant que les tarifs réglementés de vente du gaz sont contraires au droit européen, le Conseil d'État s'inscrit dans la logique de ce dernier, selon lequel la concurrence entre les fournisseurs de gaz doit être défendue sans que l'un d'eux ne bénéficie d'un avantage historique. Toujours dans cette perspective, cette concurrence devait permettre de multiplier les offres attractives pour les usagers et usagères.

Les faits prouvent pourtant l'inverse. Les tarifs réglementés de vente du gaz sont précisément ce qui conduit les fournisseurs alternatifs à tirer leurs prix à la baisse pour tenter d'être plus compétitifs, y compris en dehors d'un contexte de crise.

En effet, ces fournisseurs alternatifs ont toujours proposé des offres commerciales indexées sur les tarifs réglementés de vente, considérablement plus attractives que leurs offres de marché.

Ces derniers sont donc bien plus qu'un outil régulateur en temps de crise ; ils sont le gage d'un prix qui reste, en toutes circonstances, connecté aux réalités matérielles du gaz.

Sa méthode de calcul en témoigne ; il agrège ensemble les coûts d'approvisionnement, de transport, de stockage et de distribution, le coût de gestion de la clientèle, auxquels s'ajoutent les différentes taxes facturées aux usagers et usagères par les fournisseurs (Taxe Intérieure de consommation sur le gaz naturel, Contribution tarifaire d'acheminement et la Taxe sur la valeur ajoutée).

Hors période de gel, la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE) publie chaque mois les barèmes applicables pour les tarifs réglementés de vente, dont elle révise les prix en tenant compte de l'évolution de ces différents coûts.

Ces éléments factuels démontrent que les tarifs réglementés de vente sont loin de se résumer à un avantage concurrentiel qui favoriserait le fournisseur historique.

Ils sont au contraire ce qui encourage l'ensemble des opérateurs présents sur le marché à proposer des offres commerciales qui permettent aux usagers et usagères de payer un prix du gaz en prise avec la réalité.

L'un des fondements sur lequel reposait la décision du Conseil d'État du 19 juillet 2017 se trouve ainsi contredit par les faits ; sans les tarifs réglementés de vente, les « offres attractives » ne se multiplieraient pas. Elles n'auraient, au contraire, aucune raison d'être proposées par les fournisseurs alternatifs.

La perspective de leur extinction pose dès lors plusieurs questions essentielles. De quelles alternatives disposeront les pouvoirs publics pour réguler les prix pratiqués sur le marché ?

Comme développé précédemment, les barèmes appliqués par la CRE ont toujours permis de faire correspondre les prix du gaz avec les conditions réelles d'approvisionnement et les besoins du réseau.

Ce faisant, ils ont poussé l'ensemble des opérateurs du marché à s'aligner sur ces mêmes barèmes, en proposant au moins une offre commerciale indexée sur ces derniers.

Or, les opérateurs alternatifs se fournissent essentiellement sur le marché de gros. Les contrats souscrits aux tarifs réglementés de vente, ou indexés sur ces derniers, ne leur sont pas profitables lorsque les cours du marché augmentent, puisque le principe de prix fixe ne leur permet pas de répercuter leurs coûts d'achat sur ces contrats.

Les tarifs réglementés de vente sont donc une aubaine pour les usagers et usagères, qui peuvent bénéficier d'offres commerciales à des tarifs attractifs ; mais pour les fournisseurs alternatifs, ils sont plutôt synonymes de manques à gagner.

En outre, il est difficile de saisir ce qui pourrait motiver ces derniers à maintenir ce type d'offres si les tarifs réglementés de vente disparaissent. Il serait plutôt bénéfique pour eux de les retirer de leurs offres commerciales, pour ne laisser que celles dont les prix fluctuent au gré des cours du marché.

Cela serait plus compatible avec leur modèle économique, et plus en phase avec leurs coûts d'achat. Pour les usagers et usagères en revanche, les factures seraient bien plus volatiles, et beaucoup moins étanches aux conjonctures défavorables comme celles que nous connaissons aujourd'hui.

Il s'agit pourtant d'une perspective certaine dès le 30 juin 2023, si cette échéance est maintenue. En plus des effets à long terme de cette extinction sur la structure du marché, les usagers et usagères devront affronter les effets de la conjoncture sur leurs factures, puisque sans tarifs réglementés de vente, l'efficacité du bouclier tarifaire se trouverait immédiatement compromise.

Le cas des copropriétés le démontre avec clarté ; ces dernières ne sont plus éligibles aux tarifs réglementés de vente de gaz depuis 31 décembre 2014 pour une puissance supérieure à 200 000 kWh, et depuis le 31 décembre 2015 pour celles comprises entre 150 et 200 000 kWh.

Le bouclier tarifaire, pour s'appliquer, a donc dû prendre la forme d'une procédure longue et complexe, aux nombreux aléas. En effet, il appartient au fournisseur de gaz de demander une compensation à l'État pour limiter la hausse des prix à +15% en 2023 par rapport à 2022.

Pour les copropriétaires, ce mécanisme revient à avancer des dépenses de chauffage, sans visibilité exacte sur la somme qu'ils pourront récupérer.

En plus de ces difficultés pratiques, le cas des copropriétés démontre qu'en l'absence de tarifs réglementés de vente du gaz, il n'existe aucun levier de régulation des tarifs proposés par les fournisseurs alternatifs. En effet, ces derniers ayant cherché à réduire au maximum leur clientèle gaz sur l'année 2022, les copropriétés n'ont reçu que très peu d'offres, pour la plupart à des tarifs exorbitants.

Dans un système sans tarifs réglementés de vente, il faudrait que l'État dépense des milliards d'euros publics supplémentaires pour parvenir au même résultat - sans réellement l'atteindre. Ce second scénario, s'il parvenait à stabiliser les prix, ne saurait pas reproduire les qualités pratiques et opérationnelle du premier ; à savoir une application immédiate, et automatique pour tous les particuliers.

Il s'agit pourtant des besoins actuels des ménages, parmi lesquels 3 millions bénéficient de contrats souscrits aux TRVG. À ces derniers s'ajoutent les 4 millions de foyers dont les contrats sont indexés sur les TRVG. Du côté de nos TPE et ETI, la situation est tout aussi grave ; certaines d'entre elles connaissent actuellement des augmentations de l'ordre de 300%, sans que la loi ne leur permette de revenir aux TRVG.

La Commission Européenne a d'ailleurs elle-même pleinement saisi l'ampleur des besoins dans sa régulation actuelle du marché intérieur de l'énergie. Depuis octobre 2021, cette dernière autorise les États-membres à prendre des mesures exceptionnelles pour la protection des consommateurs et consommatrices.

Ainsi, des décisions nationales qui auraient été déclarées non conformes avec le droit européen en 2017 pourraient aujourd'hui être tolérées . Les auteurs de cette proposition de loi s'appuient ainsi juridiquement sur ce cadre exceptionnel pour demander le maintien des TRVG au-delà du 30 juin 2023, et leur extension à tous les particuliers et professionnels qui souhaiteraient en bénéficier.

De plus, il convient de prendre en compte les conditions fixées par le Conseil d'État dans sa décision n°370321 du 19 juillet 2017, intervenue suite à la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) du 7 septembre 2016.

En effet, dans celle-ci, le Conseil d'État admet qu'une entrave à la réalisation d'un marché concurrentiel du gaz peut être admise si elle répond à un objectif d'intérêt économique général, ou si elle garantit la cohésion territoriale ou le maintien des prix à un niveau raisonnable.

Le contexte actuel nous prouve que nous sommes précisément dans ce cas de figure, et que les tarifs réglementés de vente sont un levier indispensable pour protéger les particuliers et les professionnels d'une hausse des prix incontrôlée.

Selon les auteurs de cette proposition de loi, le projet de loi de finances pour 2023 n'apporte pas d'alternative satisfaisante aux TRVG ; pire, il introduit une disposition qui leur semble éminemment problématique.

En effet, ce dernier prévoit la possibilité pour le gouvernement de prolonger le bouclier tarifaire au-delà du 30 juin 2023 sur la base d'une référence de prix du gaz représentative des coûts d'approvisionnements des fournisseurs, qui sera fixée par la CRE. Celle-ci publiera chaque mois, sur le fondement de l'article L. 131-4 du code de l'énergie, une référence de prix moyen de fourniture de gaz naturel, et son évolution pour les consommateurs finals.

Ces nouvelles modalités sont présentées comme une alternative aux TRVG pour donner une visibilité aux consommateurs sur l'évolution du prix moyen du gaz une fois le bouclier tarifaire arrivé à terme.

Or, ce fonctionnement transforme profondément la méthode actuelle de fixation du tarif du gaz. En l'état, la CRE ne fait qu'émettre une proposition à destination des Ministres en charge de l'Économie et de l'Énergie, qui l'acceptent ou la rejettent grâce à un droit de veto.

Le projet de loi de finances pour 2023 externalise cette compétence des Ministres vers la CRE ; or, contrairement aux membres du gouvernement, une autorité administrative indépendante n'est pas responsable devant le Parlement, ce qui pose d'évidents problèmes de contrôle de l'action publique dans un contexte aussi sensible.

Ce contrôle sera d'autant plus nécessaire dans les mois à venir ; compter sur une stabilisation des prix du gaz à court ou moyen terme serait une erreur. Les marchés mondiaux de l'énergie, déjà en grande tension, connaîtront de nouveaux bouleversements dans les années à venir.

Certains d'entre eux se profilent déjà ; au second semestre 2023, la Chine, premier importateur mondial de gaz naturel liquéfié, retrouvera son niveau de croissance habituel après trois ans de ralentissement.

La reprise de l'économie chinoise promet de relancer fortement ses besoins en matières premières, ce qui se traduira par une concurrence accrue entre la Chine et l'Union Européenne sur le marché mondial du gaz.

Un nouveau pic d'inflation est donc d'ores et déjà prévisible. Toutes les prévisions conjoncturelles et économiques concordent sur l'absolue nécessité de maintenir tous les outils de protection des Françaises et Français face à l'inflation, à commencer par les tarifs réglementés du gaz.

Au regard des considérations économiques, sociales, juridiques et développées dans cet exposé des motifs, les auteurs de cette proposition de loi estiment que l'extinction des tarifs réglementés de vente du gaz prévue au 30 juin 2023 est en contradiction totale avec les besoins actuels de notre pays et en demandent l'annulation.

Ils souhaitent également que les TRVG soient étendus à tous les particuliers et professionnels qui en feraient la demande.

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