EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La révolution numérique entamée avec le développement d'internet et des technologies de l'information et de la communication ne cesse de s'accélérer, gagnant l'un après l'autre tous les pans de l'activité humaine.
Les implications de cette expansion du monde numérique, sa convergence avec les biotechnologies et les nanotechnologies, sont vertigineuses et ouvrent des perspectives de progrès considérables dans un nombre toujours croissant de domaines. Cependant, elles constituent dans le même temps un défi colossal à l'exercice de notre souveraineté.
L'État voit en effet se bouleverser les conditions dans lesquelles il exerce sur son territoire ses fonctions régaliennes. Le développement exponentiel du cyberespace fait ainsi peser des menaces d'un genre nouveau sur la sécurité des citoyens, des entreprises ou des infrastructures stratégiques, mais aussi sur l'intégrité démocratique des processus électoraux. La capacité à mener une cyberguerre est aujourd'hui devenue une composante incontournable de toute doctrine de défense crédible. La numérisation de l'économie a par ailleurs permis l'émergence de modèles d'affaires qui concentrent et transfèrent ailleurs la valeur créée, tout en échappant largement aux cadres fiscaux conçus pour une économie physique et territorialisée. Même la création monétaire est aujourd'hui concernée avec le développement des crypto-monnaies.
Plus largement, c'est notre capacité à établir des règles consenties collectivement dans le cadre de processus démocratiques qui est aujourd'hui mise à l'épreuve par un écosystème numérique, contrôlé et façonné par une poignée d'acteurs, toujours plus puissants, qui écrasent les marchés et nous placent en situation de dépendance technologique, édictent leurs propres normes, poursuivent leurs propres objectifs et servent leurs propres intérêts, parfois éloignés des nôtres.
Les paradigmes qui fondent l'organisation économique et sociale de notre société sont ainsi battus en brèche dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse par exemple du droit du travail, du droit de la propriété intellectuelle ou encore du droit des contrats.
Les droits, mais aussi l'autonomie, voire le libre-arbitre des individus, qu'ils soient consommateurs ou citoyens, sont également affectés par le fonctionnement du système économique organisé autour de la collecte et de l'exploitation des données, par les programmes de surveillance du réseau ou encore par l'essor de l'intelligence artificielle, dont les algorithmes orientent autant qu'ils les prédisent les choix et décisions personnels. Ils pourraient même à terme être amenés à les remplacer, par exemple dans le cas des transports autonomes.
Dans ce foisonnement d'innovations technologiques, individus comme États cherchent légitimement à exercer sur les transformations qui les impactent une maîtrise et un pouvoir de décision qui leur échappent encore trop largement. Le législateur peine toutefois à s'adapter à la nouvelle situation et sa principale difficulté consiste à déterminer ce qu'il faut réglementer, s'il est nécessaire de le faire, à quel moment et comment.
Il apparaît donc essentiel de mener une réflexion approfondie pour identifier, d'une part, les champs fondamentaux de notre souveraineté numérique, qu'elle soit individuelle ou collective, et pour esquisser, d'autre part, les moyens de la reconquérir, qu'ils relèvent de la règlementation ou de la mise en oeuvre de politiques publiques.