EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'accord commercial bilatéral entre la Nouvelle-Zélande et l'Union européenne a été conclu le jeudi 30 juin 2022 par la Commission européenne. Si cet accord dit de « nouvelle génération » entend accroître les échanges commerciaux entre les deux partenaires de plus de 30 % de leur volume actuel, sa portée s'étend en revanche bien au-delà de cet objectif. Alors que ce texte comprend des dispositions en matière d'investissement, de règlements de différends, ou encore de droit du travail, celui-ci ne fera pas l'objet d'une ratification par les parlements nationaux des États-membres. Ainsi, et bien qu'il s'agisse de compétences partagées entre l'Union européenne et les États-membres, l'accord sera simplement soumis à l'approbation du Parlement européen, puis à une décision du Conseil européen.
Cette évolution n'est pas sans poser question au regard des précédents soulevés par les accords commerciaux de nouvelle génération conclus par l'Union européenne. Dans le cas de l'accord conclu avec Singapour en 2013, la Commission européenne considérait que les dispositions couvertes par le texte relevaient de sa compétence exclusive ; et, en conséquence, qu'elles ne nécessitaient pas d'approbation des Parlements nationaux.
La Cour de justice européenne a toutefois contredit la méthode employée en estimant, dans un avis du 16 mai 2017, que la présence de dispositions relatives aux investissements étrangers et au règlement de différends dans le texte devait donner lieu à une approbation par les parlements nationaux. C'est également au titre du respect du partage des compétences que 10 % des dispositions du CETA ne sont aujourd'hui pas entrées en vigueur, celles-ci relevant pour tout ou partie de la compétence nationale et devant donc préalablement faire l'objet d'une approbation par les Parlements nationaux.
Au regard de ce récent historique, il est difficile de saisir ce qui justifierait aujourd'hui que l'accord avec la Nouvelle Zélande soit de nature à se soustraire à l'approbation des parlements nationaux. Bien que le texte officiel ne soit pas encore paru, plusieurs éléments sont d'ores et déjà susceptibles de sortir ce texte du champ de compétence exclusive de l'Union européenne.
D'abord, s'agissant des engagements formulés par la Commission européenne. L'inclusion de règles sur les normes de travail de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), dont le périmètre exact compris dans le texte n'est pas encore connu, implique nécessairement l'aval des pouvoirs publics nationaux.
La présence de dispositions relatives aux subventions d'énergie fossiles est, elle aussi, directement liée au champ de compétence national. Enfin, le texte touche également au domaine des investissements étrangers et comprend un volet de règlement des différends qui, pour d'autres accords, ont tous deux permis à la Cour de justice européenne de fonder la nécessité d'une approbation par les Parlements nationaux.
Au-delà de ces éléments susceptibles de fonder une requalification en accord mixte, il nous semble également nécessaire de traiter démocratiquement de questions aussi essentielles que les politiques agricoles et commerciales dans lesquelles la France s'engage. Si la conclusion d'accords commerciaux et l'abaissement de barrières tarifaires relèvent indubitablement de la compétence exclusive de l'Union européenne, cela ne délégitime aucunement les craintes et incertitudes que cet accord suscite parmi les filières agricoles européennes.
Contrairement aux valeurs de réciprocité et de durabilité louées par la Commission européenne, la réalité des normes environnementales néo-zélandaises est aujourd'hui loin de correspondre à celle des éleveurs européens. Le diflubenzuron, possible cancérogène interdit dans l'Union européenne, est à ce jour monnaie courante en Nouvelle-Zélande dans les élevages ovins, bovins, et sur les prairies ; pourtant, cette substance pourrait bien s'introduire sur le marché intérieur avec l'arrivée de plusieurs milliers de tonnes de viandes ovines, bovines et produits laitiers néo-zélandais prévues par l'accord. Il en va de même pour l'atrazine, classée « produit nocif » dans l'Union européenne depuis 2003 - et toujours utilisée par les éleveurs néo-zélandais - dont l'interdiction ne conditionnera pas les importations européennes.
Enfin, et malgré un engagement revendiqué au travers de cet accord en faveur du bien-être animal, notons qu'aucune réglementation n'est actuellement en vigueur en Nouvelle-Zélande s'agissant de la durée de transport terrestre ou du transport des animaux. L'absence de telles dispositions ne conditionnera pas non plus les importations européennes depuis la Nouvelle- Zélande.
Cette asymétrie entre les normes environnementales néo-zélandaises et européennes aura pour conséquence d'exercer une pression concurrentielle sur les filières agricoles françaises et européennes qui, rappelons-le, doivent déjà faire face à une conjoncture inflationniste défavorable. Plus encore, elle pérennise un modèle agro-alimentaire fondé sur une course aux exportations dont l'urgence sociale et environnementale nous enjoint de nous extraire.
Plusieurs enjeux entourent la conclusion d'un tel accord, tant sur le fond que sur la forme. Ils exigent le respect du fonctionnement démocratique de nos institutions nationales, dont les compétences ne sont pas compressibles. Nous estimons que l'accord entre la Nouvelle- Zélande et l'Union européenne est un accord mixte et qu'il doit, en ce sens, recueillir l'approbation des Parlements nationaux.
A l'heure où des défis considérables sont à relever face à la crise, il est temps de remettre en cause une forme de mondialisation que ce traité avec la Nouvelle-Zélande symbolise.
Il est donc, au vu de cet ensemble d'arguments, proposé au Sénat d'adopter la présente proposition de résolution.