N° 137
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 décembre 2001 |
PROJET DE LOI
relatif au régime d'autorisation des opérations d'intermédiation et d' achat pour revendre et modifiant le décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre , armes et munitions ,
PRÉSENTÉ
au nom de M. LIONEL JOSPIN,
Premier ministre,
par M. ALAIN RICHARD,
Ministre de la défense.
( Renvoyé à la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Traités et conventions. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi vise à donner aux autorités françaises le moyen d'interdire des opérations d'intermédiation ou d'achat pour revendre, dans le domaine des matériels de guerre et de matériels assimilés, réalisées par des personnes établies en France, qui seraient illicites au regard du droit international ou inopportunes au regard de la politique générale de la France en matière de commerce d'armement.
En l'état actuel du droit, de telles opérations, particulièrement préjudiciables à la réputation de notre pays, ne peuvent faire l'objet d'aucun contrôle préventif. Le présent projet vise à les soumettre à un régime d'autorisation préalable, assorti de sanctions pénales.
En outre, le régime administratif et pénal des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés est modifié, en précisant explicitement les conditions permettant de suspendre ou d'abroger les autorisations déjà données, afin d'harmoniser ce régime avec celui mis en place pour les opérations d'intermédiation et d'achat pour revendre.
*
* *
Le titre Ier est relatif au régime d'autorisation des opérations d'intermédiation et d'achat pour revendre.
L'article 1 er insère, après l'article 23 du décret-loi du 18 avril 1939, sept articles ( articles 23-1 à 23-7) relatifs aux opérations d'intermédiation et d'achat pour revendre et à leur contrôle.
L'article 23-1 du décret-loi définit le champ des opérations d'intermédiation couvertes par le projet de loi et explicite les différentes formes juridiques (courtage, mandat particulier ou contrat de commission) que peuvent prendre ces opérations.
L'article 23-2 du décret-loi pose le principe de l'autorisation préalable des opérations d'intermédiation et d'achat pour revendre pour les matériels de guerre et matériels assimilés visés par les dispositions de l'article 13 du décret-loi ; ce régime s'applique aux personnes résidentes ou établies en France pour les opérations réalisées en France ou à l'étranger. Seule la fourniture de matériel à l'étranger est visée.
Cet article précise en outre le champ d'application du régime d'autorisation en excluant les opérations d'intermédiation réalisées au profit de personnes établies en France pour faciliter l'exportation depuis la France des matériels concernés. L'exportation étant soumise au contrôle déjà prévu par le décret-loi, c'est en effet à ce titre que ces opérations seront contrôlées. De même, les opérations d'achat pour revendre qui se traduiront par une exportation hors de France de matériels de guerre, soumise à ce contrôle des exportations déjà existant, sont exclues du nouveau régime.
L'article 23-3 du décret-loi établit la distinction entre les deux formes que peut prendre l'autorisation, soit individuelle pour une ou plusieurs opérations identifiées, soit globale pour un ensemble de matériels, de provenances et de destinations. La licence globale donne une liberté d'action au bénéficiaire dans le champ couvert par la licence, sans qu'il soit nécessaire de revenir vers l'administration avant chaque opération ; elle permettra notamment aux sociétés mères ayant des filiales étrangères d'agir comme intermédiaire au profit de celles-ci dans le cadre de leurs relations habituelles. En revanche le régime d'autorisation individuelle pourra être maintenu pour certaines destinations ou certains types de matériels de guerre.
L'article 23-4 du décret-loi prévoit les conditions qui peuvent conduire à l'abrogation ou à la suspension d'une autorisation. L'autorisation peut être suspendue ou abrogée soit pour mettre en oeuvre des mesures prises en application d'un accord international ou dans le cadre de l'Union européenne ou du Conseil de sécurité des Nations unies, soit lorsque l'opération peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
L'article 23-5 du décret-loi prévoit la possibilité pour le Gouvernement de communiquer à des Gouvernements étrangers les informations relatives aux intermédiaires et aux négociants de façon à permettre des poursuites pénales ou à assurer un meilleur contrôle de ces activités au niveau international.
L'article 23-6 du décret-loi instaure un contrôle des activités d'intermédiation et d'achat pour revendre selon les principes définis par les articles 4 et 6 du décret-loi.
L'article 23-7 du décret-loi renvoie à un décret en Conseil d'État pour les mesures d'application de la loi.
L'article 2 insère, après l'article 26 du décret-loi, un article 26-1 qui définit le régime pénal applicable en cas de réalisation, sans l'autorisation prévue à l'article 23-2 ou en méconnaissance des dispositions de l'article 23-4, d'une opération d'intermédiation ou d'achat pour revendre. Cette infraction est punie d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 750 000 € d'amende.
Une peine complémentaire d'interdiction d'exercice, soit à titre définitif, soit pour une durée de cinq ans ou plus, de l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise est prévue.
Des peines applicables aux personnes morales déclarées responsables pénalement de l'infraction sont également prévues. Le taux de l'amende encourue, conformément aux dispositions de l'article 131-38 du code pénal, peut être égal au quintuple de celui applicable aux personnes physiques.
L'article 3 modifie l'article 36 du décret-loi relatif à la constatation des infractions en prévoyant que ses dispositions ne sont pas applicables aux infractions établies par le présent projet de loi.
L'article 4 insère, après l'article 36 du décret-loi, un article 36-1 qui donne compétence, pour constater les infractions prévues, aux agents du ministère de la défense habilités dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État et aux agents des douanes selon un dispositif similaire à celui qui a été institué pour la constatation des infractions à la loi n° 98-467 du 17 juin 1998 relative à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
*
* *
Le titre II précise certains aspects des régimes d'importation et d'exportation des matériels de guerre et des matériels assimilés.
Les articles 5, 6, 7 du projet de loi ont pour objet d'introduire, respectivement aux articles 11, 12 et 13 du décret-loi du 18 avril 1939, des dispositions formalisant explicitement la possibilité pour l'administration de procéder à la suspension ou à l'abrogation des autorisations d'importation ou d'exportation de matériels de guerre et des agréments préalables à l'exportation dans les mêmes conditions que celles prévues, concernant les opérations d'intermédiation et d'achat pour revendre, à l'article 4 du projet de loi.
L'article 8 complète le régime pénal, défini à l'article 24 du décret-loi, applicable aux personnes physiques qui ont méconnu les dispositions de ce décret notamment en exerçant, sans y être régulièrement autorisées, l'activité de fabrication ou de commerce des matériels de guerre. Il ajoute un nouvel alinéa au I de l'article 24 du décret-loi afin d'y introduire des dispositions relatives à la peine complémentaire, applicable aux personnes physiques, d'interdiction d'exercer la profession dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.
PROJET DE LOI
Le Premier ministre,
Sur le rapport du ministre des affaires étrangères,
Vu l'article 39 de la Constitution,
Décrète
Le présent projet de loi relatif au régime d'autorisation des opérations d'intermédiation et d'achat pour revendre et modifiant le décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, sera présenté au Sénat par le ministre de la défense, qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.
TITRE Ier
CONTRÔLE PRÉVENTIF DES OPÉRATIONS
D'INTERMÉDIATION ET D'ACHAT POUR REVENDRE PORTANT SUR DES
MATÉRIELS DE GUERRE
ET MATÉRIELS ASSIMILÉS
Article 1 er
Il est inséré, après l'article 23 du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, les articles suivants :
« Art. 23-1. - Constitue une activité d'intermédiation, lorsqu'elle est menée au profit de toute personne, quel que soit le lieu de son établissement, sous la forme d'opérations de courtage ou bien celle d'opérations faisant l'objet d'un mandat particulier ou d'un contrat de commission, toute activité à caractère commercial ou à but lucratif dont l'objet est, soit de rapprocher des personnes souhaitant conclure un contrat d'achat ou de vente de matériels de guerre ou de matériels assimilés, soit de conclure un tel contrat pour le compte d'une des parties.
« Art. 23-2. - Sont soumises à autorisation préalable les opérations d'intermédiation et les opérations d'achat pour revendre, réalisées en France ou à l'étranger, par toute personne résidant ou établie en France, lorsque ces opérations ont pour objet de permettre la fourniture, en territoire étranger, de matériels de guerre ou de matériels assimilés visés par les dispositions de l'article 13.
« Ne sont toutefois pas soumises à l'autorisation prévue à l'alinéa précédent :
« 1° Les opérations d'intermédiation réalisées en vue d'opérations d'exportation de matériels soumises au régime d'autorisation prévu par les articles 12 et 13 au profit de donneurs d'ordres, de mandants ou de commettants établis en France ;
« 2° Les opérations d'achat pour revendre lorsque les marchandises sont soumises aux dispositions des articles 12 et 13.
« Art. 23-3. - L'autorisation prévue à l'article 23-2 revêt une forme individuelle, lorsqu'elle est accordée pour une ou plusieurs opérations identifiées. Elle peut également prendre la forme d'une licence globale. La licence globale a pour objet d'autoriser un ensemble d'opérations concernant notamment les types de matériels et les pays d'origine et de destination souhaités par le demandeur.
« Art. 23-4. - Les autorisations délivrées en application des articles 23-2 et 23-3 peuvent être suspendues ou abrogées, soit pour la mise en oeuvre des mesures prises en application d'un accord international ratifié ou approuvé ou dans le cadre de l'Union européenne ou du Conseil de sécurité des Nations unies, soit lorsque l'opération ou l'ensemble d'opérations peuvent porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
« Art. 23-5. - Les informations relatives aux personnes autorisées à exercer une activité de commerce ou d'intermédiation en application des dispositions de l'article 2 et celles qui sont obtenues en application des articles 23-2 à 23-4 peuvent être communiquées à des gouvernements étrangers si le Gouvernement français l'estime nécessaire.
« Art. 23-6. - Les titulaires de l'autorisation délivrée en application des dispositions des articles 23-2 et 23-3 sont soumis, pour le contrôle de leurs activités, aux dispositions des articles 4 et 6.
« Art. 23-7. - Les conditions d'application des articles 23-2 à 23-5 sont fixées par décret en Conseil d'État. »
Article 2
Il est inséré après l'article 26 du même décret, l'article suivant :
« Art. 26-1. - I. - Le fait de réaliser une opération d'intermédiation ou d'achat pour revendre, sans l'autorisation exigée par l'article 23-2, en méconnaissance des prescriptions de l'autorisation ou d'une décision de suspension ou d'abrogation intervenue sur le fondement de l'article 23-4 est puni d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 750 000 € d'amende.
« Les personnes physiques coupables de l'infraction prévue à l'alinéa précédent encourent également l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.
« II. - Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal, de l'infraction prévue au I.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, selon les modalités prévues par l'article 131-38 du code pénal ;
« 2° Les peines mentionnées à l'article 131-39 du code pénal.
« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. »
Article 3
Il est ajouté au début de l'article 36 du même décret les mots suivants : « Sous réserve des dispositions de l'article 36-1, ».
Article 4
Il est inséré après l'article 36 du même décret l'article suivant :
« Art. 36-1. - Peuvent constater les infractions aux dispositions des articles 23-2 à 23-4 ainsi qu'aux dispositions réglementaires prises pour leur application, les agents du ministère de la défense habilités dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État ainsi que les agents des douanes à l'occasion des contrôles effectués en application du code des douanes. Ils adressent sans délai au procureur de la République le procès-verbal de leurs constatations. »
Titre II
DISPOSITIONS RELATIVES AU CONTRÔLE
DES
EXPORTATIONS ET DES IMPORTATIONS DE
MATÉRIELS DE GUERRE ET DE
MATÉRIELS ASSIMILÉS
Article 5
L'article 11 du décret du 18 avril 1939 susmentionné est modifié ainsi qu'il suit :
I. - Les mots : « délivrée dans des conditions définies par arrêté interministériel » sont supprimés.
II. - Il est ajouté deux alinéas ainsi rédigés :
« Cette autorisation peut être suspendue ou abrogée, soit pour la mise en oeuvre des mesures prises en application d'un accord international ratifié ou approuvé ou dans le cadre de l'Union européenne ou du Conseil de sécurité des Nations unies, soit lorsque l'opération peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
« Les modalités de délivrance, de suspension ou d'abrogation de l'autorisation d'importation sont définies par arrêté interministériel. »
Article 6
L'article 12 du même décret est modifié ainsi qu'il suit :
I. - Dans la première phrase les mots : « donné dans des conditions fixées par arrêté interministériel » sont supprimés.
II. - Dans la deuxième phrase les mots : « ledit arrêté » sont remplacés par les mots : « arrêté interministériel ».
III. - Il est ajouté les mots suivants : « L'agrément prévu au présent article peut être suspendu ou abrogé dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 11. Les modalités de délivrance, de suspension et d'abrogation de cet agrément sont définies par arrêté interministériel ».
Article 7
L'article 13 du même décret est modifié ainsi qu'il suit :
I. - A la suite du premier alinéa, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L'autorisation prévue au présent article peut être suspendue ou abrogée dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 11 ».
II. - Au 3°, après le mot : « délivrance », sont insérés les mots : « de suspension et d'abrogation ».
Article 8
Il est ajouté au I de l'article 24 un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes physiques coupables de l'infraction prévue au premier alinéa encourent également l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. »
Fait à Paris, le 12 décembre 2001
Signé : LIONEL JOSPIN
Par le Premier ministre :
Le ministre de la défense,
Signé : ALAIN RICHARD