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N° 105
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 novembre 2010 |
PROPOSITION DE LOI
relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française ,
PRÉSENTÉE
Par M. Richard TUHEIAVA, Mme Leila AÏCHI et les membres du groupe socialiste (1) , apparentés (2) et rattachés (3) ,
Sénateurs
(Envoyée à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Bernard Angels, Alain Anziani, David Assouline, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Jean Besson, Mme Maryvonne Blondin, M. Yannick Bodin, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Yannick Botrel, Didier Boulaud, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Chastan, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Daudigny, Yves Dauge, Marc Daunis, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, M. Claude Domeizel, Mme Josette Durrieu, MM. Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Samia Ghali, MM. Serge Godard, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Claude Haut, Edmond Hervé, Mmes Odette Herviaux, Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Claude Jeannerot, Ronan Kerdraon, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Mme Françoise Laurent-Perrigot, M. Jacky Le Menn, Mmes Claudine Lepage, Raymonde Le Texier, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Roger Madec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-Marc Pastor, François Patriat, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, Paul Raoult, François Rebsamen, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Roland Ries, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, André Vantomme et Richard Yung. (2) Apparentés : MM. Jean-Etienne Antoinette, Jacques Berthou, Jacques Gillot, Mme Virginie Klès, MM. Serge Larcher, Claude Lise, Georges Patient et Richard Tuheiava. |
(3) Rattachés administrativement : Mmes Marie-Christine Blandin, Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean Desessard, Jacques Muller et Mme Dominique Voynet.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Délibération n° 64-27 de la Commission permanente de l'Assemblée Territoriale de Polynésie française a autorisé le 6 février 1964 la cession des atolls de Moruroa et de Fangataufa. Son Article 1 er dispose que
« Sont cédés gratuitement, en toute propriété par le territoire à l'État, pour les besoins du centre d'expérimentation du Pacifique, les atolls domaniaux de Mururoa et de Fangataufa situés dans l'archipel des Tuamotu. (...) » .
Ces deux atolls ont été classés par la suite dans le domaine public de l'État et affectés au Ministère des Armées par arrêté n° 1878/DOM du 4 août 1964, arrêté qui leur confère la qualité de terrain militaire. La protection juridique des sites d'essais a été renforcée par des arrêtés R.F. du 1 er août 1980 portant classement « de zones protégées de défense nationale ».
Un décret du 15 mai 1981 a ensuite attribué aux deux atolls le statut d'« Installation Nucléaire Intéressant la Défense » (INID). C'est le régime juridique actuel des atolls de Moruroa et Fangataufa.
Les dispositions de l'article 188 de la loi organique de 2004 portant statut de la Polynésie française énoncent à propos des deux atolls que
« une loi organique fixera la date d'entrée en vigueur des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 47, à l'exception de la zone économique exclusive, en ce qui concerne les lagons et atolls de Mururoa et Fangataufa. ».
Cette disposition ne s'oppose donc pas au déclassement du domaine public terrestre de Moruroa et Fangataufa par une loi ordinaire, car son objet est relatif au domaine public maritime stricto sensu (eaux intérieures, mer territoriale, zone contiguë).
La présente proposition de loi a pour objet de répondre aux préoccupations des populations des archipels de la collectivité d'outre mer de Polynésie française au regard des conséquences environnementales des essais nucléaires réalisés sur les sites du Centre d'Expérimentation du Pacifique (C.E.P.) des atolls de Moruroa de Fangataufa à partir du 2 juillet 1966, date du premier tir à Moruroa, jusqu'à ce jour.
Cette proposition de loi a aussi pour objet d'appliquer en second lieu la clause spéciale incluse dans la délibération n° 64-27 du 6 février 1964 énonçant que dans la situation « de cessation des activités du centre d'expérimentation du Pacifique, les atolls de Mururoa et de Fangataufa feront d'office retour gratuit au domaine du territoire ».
Plus de quinze années se sont écoulées depuis l'arrêt définitif des essais nucléaires français en Polynésie française. La question de leur rétrocession au domaine public de la Polynésie française est donc légitime.
Il est essentiel pour parvenir à ces deux objectifs de s'assurer d'une part, qu'aucune activité de recherche à des fins militaires ne puisse être exercée sur les deux atolls de manière illimitée, condition sine qua non d'une rétrocession réussie.
Il convient en effet d'éliminer, par l'instauration d'une interdiction absolue punie par la loi, tout risque de prélèvements de résidus ou déchets d'expérimentations nucléaires par toute puissance étrangère ou tout organisme scientifique, même non-gouvernemental, dépourvu(e) d'habilitation conjointe de la part de l'État et de la Polynésie française.
D'autre part, il est crucial de contenir et de maîtriser les risques environnementaux persistant sur les deux atolls par l'application du principe de précaution prévue par la Charte de l'environnement.
La charge de la nécessaire surveillance radiologique et géo-mécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa étant déjà assurée par l'État, il convient de prévoir la poursuite d'un tel dispositif - en coopération avec le gouvernement de la Polynésie française et les communes adjacentes - sans qu'un tel dispositif ne soit susceptible de créer une charge supplémentaire pour le budget de la collectivité territoriale autonome de la Polynésie française qui en a déjà subi les sujétions anormales et irréversibles.
Les deux objectifs de cette proposition de loi se basent sur un ensemble d'éléments qu'il est nécessaire de présenter :
Il convient de rappeler, en premier lieu, que l'implantation du C.E.P. en Polynésie française n'a initialement fait l'objet, d'une part, d'aucune consultation publique et préalable des populations locales sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, et d'autre part, d'aucune information scientifique en faveur des élus polynésiens de l'époque pour garantir une décision éclairée quant à l'installation d'un tel Centre.
La loi du 5 janvier 2010 dite « loi MORIN » sur la reconnaissance des victimes des essais nucléaires français en Polynésie française et au Sahara algérien est une reconnaissance historique et officielle des dommages sanitaires ayant pu être causés par ces expérimentations nucléaires.
Dès lors, à l'égard des populations locales de Polynésie française et de leurs élus, plus de quarante ans après, un discours officiel tenant à la « faiblesse » et la « maîtrise » des conséquences environnementales des essais nucléaires sur les sites de Moruroa et Fangataufa n'est plus crédible.
Malgré le fait que la plupart des propositions de loi ayant précédé le projet de loi MORIN avaient envisagé d'intégrer toutes les conséquences des essais nucléaires sur le plan de leur suivi, cette loi n'a finalement pas porté sur le volet environnemental des expérimentations en Polynésie française et dans le Sahara algérien.
Les problématiques environnementales inhérentes aux expérimentations nucléaires sur Moruroa et Fangataufa sont pourtant nombreuses. Le relâchement dans l'environnement de nucléides radioactifs dangereux produits par les explosions nucléaires, en milieu atmosphérique ou souterrain, ainsi que les dommages infligés à l'hydrologie des atolls et à leur stabilité géo-mécanique étaient et demeurent jusqu'à l'heure actuelle, des sujets d'inquiétude très importants tant au plan local qu'international. À ces problématiques se sont ajoutées les questions de :
• la propriété que continue d'exercer le ministère de la Défense sur les deux atolls de Moruroa et Fangataufa -au regard des stipulations des actes de location puis de cession successifs de 1964- et celle d'une rétrocession attendue de ces deux enclaves nationales au sein du territoire de la Polynésie française, collectivité locale dotée d'un statut d'autonomie renforcée au sein de la République et de compétences statutaires sur le plan environnemental et culturel ;
• l'opacité du dispositif de surveillance radiologique et géo-mécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa ainsi que de leurs résultats, et l'absence de coopération avec les autorités de la Polynésie française et des communes adjacentes ;
• la nécessité d'un dispositif efficace et durable d'alerte et de prévention des populations locales des atolls avoisinants (Tureia, Mangareva, Hao ...), en cas d'incidents ;
• la transparence relative du dispositif de réhabilitation de l'atoll de Hao, qui servait de base avancée aux expérimentations nucléaires réalisées sur Moruroa et Fangataufa, en particulier sur le plan du dépistage radiologique des zones techniques susceptibles de contamination.
Les différents rapports officiels établis par le Commissariat à l'Énergie Atomique (C.E.A.) et le ministère de la Défense, dans leur rédaction la plus récemment disponible de 2008, font état de conclusions rassurantes au plan radiologique et géologique sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa. Or, des spécialistes indépendants, composant la Délégation polynésienne au Suivi des Essais Nucléaires, ont présenté des rapports documentés établissant que les contrôles officiels ne pouvaient être que défaillants et incomplets, donc insusceptibles d'emporter la conviction des élus locaux et des populations. Par exemple, les prélèvements officiels in situ réalisés par le C.E.A. et le ministère de la Défense sur les deux atolls de Moruroa et Fangataufa portent sur des emplacements à très faibles risques radiologiques, voire inexistants.
Le contenu du rapport intitulé « Problèmes de stabilité et d'hydrologie liés aux essais nucléaires souterrains en Polynésie française » de la Commission Géo-mécanique Internationale présidée par le Professeur Charles FAIRHURST, préparé dans le cadre d'un contrat avec l'Université du Minnesota aux États-Unis d'Amérique, commandité par le ministère de la Défense français en 1999 et publié à la Documentation française, a même fait état d'éléments très alarmants en ce qui concerne la stabilité géo-mécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa, ainsi que sur l'altération de la couche naturelle d'imperméabilité desdits atolls par rapport à l'Océan. Pour des raisons ignorées, l'ensemble du contenu alarmant du rapport précité n'est absolument pas repris dans les rapports officiels du C.E.A. et du ministère de la Défense transmis aux autorités polynésiennes.
Les études ayant donné lieu au rapport officiel « FAIRHURST » remontant déjà à 1999, cette situation permet de souligner l'absolue nécessité d'organiser une étude indépendante et contradictoire plus récente sur la situation radiologique et géo-mécanique actuelle et future des atolls de Moruroa, Fangataufa ainsi que celui de Hao. Une proposition de mission d'information faite par le Sénateur TUHEIAVA en décembre 2009 au Bureau du Sénat a été écartée pour des motifs qui tenaient au fait que les conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française et au Sahara algérien devraient être envisagées dans le cadre de la « loi MORIN », ce qui ne fut pas le cas.
Par ailleurs, l'absence de certitudes sur les conséquences environnementales des expérimentations nucléaires, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement.
Par ailleurs, il y a tout lieu de penser que la question de la réhabilitation des sites d'expérimentations nucléaires à travers le monde fasse l'objet d'une attention accrue de la part de l'Organisation des Nations Unies. Ainsi le suivi des conséquences environnementales des expérimentations nucléaires réalisées dans le cadre de programmes nationaux de Défense qui ont été développées après la seconde guerre mondiale, prend une dimension de plus en plus internationale.
Enfin, si la réinstallation permanente d'une population semble improbable, la rétrocession des atolls de Moruroa et de Fangataufa est pourtant d'une importance capitale pour la population polynésienne notamment au plan de la réappropriation culturelle et traditionnelle des sites, propice à une résilience au plan social.
Le caractère « intrinsèque et sacré » du lien existant entre l'individu et son environnement naturel a été solennellement rappelé dans une Déclaration sur la dimension culturelle de l'Océan adoptée à Maupiti le 5 novembre 2009 par les participants d'un Atelier des pays du Pacifique sur le patrimoine mondial de l'UNESCO qui s'est tenu en Polynésie française. Ce document s'appuie notamment sur la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, adoptée suivant résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unies 61/295 en date du 13 septembre 2007 et ratifiée par la France.
Telles sont les raisons de la proposition de loi qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
Les atolls de Moruroa et de Fangataufa sont rétrocédés au domaine public de la Polynésie française à compter du 1 er janvier 2014.
L'État poursuit de manière pérenne la réhabilitation environnementale ainsi que la surveillance radiologique et géo-mécanique permanente des deux atolls. Un décret en Conseil d'État fixe, après avis de l'Assemblée de la Polynésie française, les modalités de cette assistance.
Article 2
Sur le territoire des atolls de Moruroa et de Fangataufa, le fait pour toute personne physique ou morale d'entreprendre des activités de recherche à des fins militaires est puni de quinze années de détention criminelle et de 300 000 euros d'amende.
Article 3
Pour assurer la radioprotection des personnes, le dispositif de surveillance radiologique et géo-mécanique des deux atolls de Mururoa et Fangataufa est assuré par l'État en coopération avec la Polynésie française et les communes de Tureia, des Gambier, de Nukutavake et de Hao, dans le respect du principe de précaution énoncé dans la Charte de l'environnement de 2004.
Article 4
Pour assurer la protection et l'évacuation des populations adjacentes, les risques environnementaux relatifs à la situation radiologique et géo-mécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa sont intégrés dans les plans de prévention des risques majeurs en Polynésie française.
Ces dispositifs préventifs sont mis en place en coopération avec la Polynésie française ainsi que les communes de Tureia, des Gambier, de Nukutavake et de Hao.
Article 5
Il est crée auprès du Premier ministre, une Commission nationale de suivi des essais nucléaires. Cette Commission est composée des ministres chargés de la défense, de la santé et de l'environnement ou de leur représentant, du Président du gouvernement de la Polynésie française ou de son représentant, du Président de l'Assemblée de la Polynésie française ou d'un représentant désigné, de deux députés de la Polynésie française, de deux sénateurs de la Polynésie française, des maires des communes de Tureia, des Gambier, de Nukutavake et de Hao, de représentants des associations représentatives des personnels civils ou militaires en Polynésie française et de représentants des associations représentatives dans le domaine de la protection de l'environnement en Polynésie française.
La répartition des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, son organisation et son fonctionnement sont précisés par décret en Conseil d'État.
Article 6
Le suivi des questions relatives à l'environnement des atolls de Moruroa et Fangataufa est attribué à la Commission nationale de suivi des essais nucléaires.
La Commission nationale de suivi des essais nucléaires assure le suivi de l'application de la présente loi. À cet effet, elle produit tous les trois ans un rapport présentant ce suivi.
La Commission nationale de suivi des essais nucléaires assure également le suivi des impacts et effets du réchauffement climatique sur la stabilité géo-mécanique et le relâchement de nucléides radioactifs dangereux provenant d'une part des couches souterraines de la couronne des deux atolls de Moruroa et Fangataufa, et d'autre part des hauts de puits rebouchés à base de déchets radioactifs en contact avec l'eau lagonaire.
Article 7
Les dépenses de l'État résultant des dispositions qui précèdent sont compensées par une majoration, à due concurrence, des droits de consommation sur les tabacs visés aux articles 575 et 575A du code général des impôts.