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N° 234
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 décembre 2012 |
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
tendant à renforcer les incompatibilités professionnelles des parlementaires,
PRÉSENTÉE
Par MM. Jacques MÉZARD, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Jean-Claude REQUIER, Robert TROPEANO et Raymond VALL,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les parlementaires exercent la souveraineté nationale au nom du peuple, comme l'expose l'article 3 de la Constitution. À ce titre, leur premier devoir est celui de l'exemplarité, qui ne peut laisser planer le doute sur leur probité. Représentants de la Nation tout entière, ils doivent agir pour l'intérêt général, et non défendre tel ou tel intérêt particulier. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'article 5 du Règlement du Sénat et l'article 23 du Règlement de l'Assemblée nationale prohibent la constitution de groupes parlementaires tendant à défendre des intérêts particuliers, locaux ou professionnels.
L'indépendance vis-à-vis de toute forme de pression extérieure regarde d'abord la conscience de chaque parlementaire. Mais celle-ci ne pouvant constituer une garantie définitive, la prévention des conflits d'intérêts a depuis longtemps été prise en compte par le législateur pour fixer un régime d'incompatibilités. Comme l'expliquait déjà Eugène Pierre, aux débuts de la III e République, dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire : « L'incompatibilité s'appuie sur le principe de la séparation des pouvoirs ; elle a pour but de garantir à l'électeur l'indépendance de l'élu ».
C'est dans cette logique que la loi organique n° 72-64 du 24 janvier 1972 modifiant la législation relative aux incompatibilités parlementaires, à la suite du scandale dit de la garantie foncière, a institué l'obligation pour tout parlementaire de déclarer au Bureau de l'assemblée à laquelle il appartient toute activité professionnelle antérieure à son mandat qu'il envisage de conserver. Tout parlementaire doit également déclarer toute activité professionnelle nouvelle qu'il envisage d'exercer au cours de son mandat, afin que le bureau puisse apprécier la compatibilité de ces activités avec le mandat parlementaire, le Conseil constitutionnel devant être saisi en cas de doute.
Malgré les garde-fous institués par le code électoral, la suspicion du conflit d'intérêts peut subsister, heureusement de façon marginale. Mais elle alimente un sentiment diffus d'antiparlementarisme qui entache l'ensemble de la représentation nationale, ce qui n'est évidemment pas acceptable.
Le code électoral fixe aujourd'hui un régime d'incompatibilités professionnelles dont l'objet est effectivement de prévenir tout conflit d'intérêts. Sont ainsi concernées les fonctions de direction ou de conseil dans les entreprises nationales et établissements publics nationaux, dans des entreprises ou sociétés qui ont un lien de dépendance financière avec l'État ou une personne publique , font appel public à l'épargne ou exercent une activité de promotion immobilière, ainsi que dans les sociétés dont plus de la moitié du capital est constituée par des participations des sociétés ou entreprises précédentes. Les activités d'avocat et de conseil sont également visées afin d'éviter tout conflit d'intérêts entre l'intérêt général et les intérêts des clients de ces activités.
Dans son principe, l'indemnité que perçoit un parlementaire est conçue à la fois pour le mettre hors de portée de toute pression extérieure et pour garantir que toute personne, quel que soit son milieu d'origine, puisse accéder à cette fonction élective et accomplir son mandat sans exercer une activité professionnelle. Cet élément est indissociable de la démocratie, sauf à ne permettre dans les faits qu'aux rentiers d'être élus. La démocratie athénienne l'avait bien compris lorsqu'elle avait institué, dans la même logique, la misthophorie.
À l'heure où nos concitoyens exigent de façon légitime indépendance, exemplarité et probité de leurs représentants, il est temps d'aller plus loin en renforçant le régime des incompatibilités professionnelles.
L'article 1 er prévoit que les parlementaires chargés par le Gouvernement d'une mission temporaire ne peuvent toucher d'indemnités autres que celles liées aux frais de déplacement. Il prévoit également que les nominations dans des organismes extraparlementaires ne peuvent pas donner lieu à rémunération. Dans le même registre, l'article 3 renforce les mêmes interdictions s'agissant des fonctions de membre de conseil d'administration d'entreprise nationale ou d'établissement public national exercées au titre du mandat parlementaire ou d'un mandat local. L'article 5 renforce lui aussi les incompatibilités en termes de rémunérations en interdisant aux parlementaires membres, en tant qu'élus locaux, d'un organisme d'intérêt local, du conseil d'administration d'une société d'économie mixte locale ou d'une société à objet exclusivement social, de percevoir d'autres indemnités que celles liées aux frais de déplacement.
L'article 2 interdit l'exercice de toute activité professionnelle durant le mandat parlementaire. Afin de ne pas créer de rupture d'égalité entre les parlementaires issus de la fonction publique et les autres parlementaires, il prévoit que les parlementaires qui seraient au chômage à l'issue de leur mandat peuvent prétendre à une allocation d'aide au retour à l'emploi. Dans les faits, cette allocation existe déjà dans les deux assemblées. Cette disposition ne fait donc que codifier une pratique existante.
L'article 4 prolonge le principe posé à l'article 2 en prohibant l'exercice de toute activité de conseil en cours de mandat.
Enfin, l'article 6 vise à mettre fin à une confusion des genres particulièrement dommageable. Il vise à interdire à tout parlementaire de devenir avocat durant son mandat, au nom de la séparation des pouvoirs.
L'ensemble de ces dispositions, insérées dans le code électoral au chapitre dédié aux incompatibilités des députés, s'applique mécaniquement aux sénateurs par le renvoi opéré par l'article L.O. 296 du même code.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Article 1 er
L'article L.O. 144 du code électoral est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'exercice de cette mission ne peut donner lieu au versement d'indemnités complémentaires supérieures au montant des frais de déplacement occasionnés par l'exercice de la mission.
« Un parlementaire désigné par son assemblée au sein d'un organisme extraparlementaire ne peut recevoir d'indemnité ou de rémunération à ce titre. »
Article 2
Avant l'article L.O. 145 du même code, il est inséré un article L.O. 145 A ainsi rédigé :
« Art. L.O. 145 A - Le mandat de député est incompatible avec l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée, sous réserve des dispositions de l'article L.O. 142.
« À l'issue de leur mandat, les députés n'exerçant pas d'emploi peuvent prétendre à une allocation d'aide au retour à l'emploi. Cette allocation peut être versée pendant six semestres, jusqu'à l'âge légal d'ouverture du droit à la retraite, aux députés dont le revenu brut mensuel, y compris les indemnités rattachées à l'exercice d'un mandat électoral, est inférieur au montant de l'indemnité parlementaire de base. Cette allocation constitue un revenu au sens de l'article 79 du code général des impôts et de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale. »
Article 3
Le second alinéa de l'article L.O. 145 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils ne peuvent toutefois percevoir d'indemnité ou de rémunération à ce titre. »
Article 4
L'article L.O. 146-1 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 146-1 - Le mandat de député est incompatible avec l'exercice d'une activité de conseil. »
Article 5
À l'article L.O. 148 du même code, après le mot : « rémunérées » sont insérés les mots : « ou indemnisées à un autre titre que les frais de déplacement occasionnés par l'exercice de la fonction ».
Article 6
Avant l'alinéa unique de l'article L.O. 149 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il est interdit à tout député de s'inscrire au barreau durant son mandat. »
Article 7
Les conséquences financières résultant pour l'État de l'application de la présente loi organique sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visé aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.