Proposition de résolution sur le texte européen E-1902 modifiant les procédures d'autorisation de mise sur le marché pour les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire.
N°
202
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mars 2003
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du Règlement sur le texte E-1902 modifiant les procédures d'autorisation de mise sur le marché pour les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire ,
par M.
Gilbert CHABROUX,
Sénateur,
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales
sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission
spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)
(1) Cette délégation est composée de :
M. Hubert
Haenel,
président
; M. Denis Badré, Mme Danielle
Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean
François-Poncet, Lucien Lanier,
vice-présidents
; M.
Hubert Durand-Chastel,
secrétaire
; MM. Bernard Angels,
Robert Badinter, Jacques Bellanger, Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin,
Gérard César, Gilbert Chabroux, Robert Del Picchia, Mme Michelle
Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Émin, Pierre Fauchon,
André Ferrand, Philippe François, Bernard Frimat, Yann Gaillard,
Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de Montesquiou, Joseph
Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul
Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.
Union européenne .
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Commission européenne a présenté, en novembre 2001, une
vaste réforme de la réglementation en vigueur en matière
de médicaments. Législation communautaire ancienne, la
réglementation de l'autorisation de mise sur le marché des
médicaments concerne à la fois les médicaments à
usage humain et ceux à usage vétérinaire et a
été largement réformée en 1993 avec la
création de l'Agence européenne pour l'évaluation des
médicaments et la mise en place de nouvelles procédures.
Pour être commercialisé, tout médicament fabriqué
industriellement doit faire l'objet d'une autorisation de mise sur le
marché délivrée par les autorités
compétentes européenne ou nationale que sont l'Agence
européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) ou,
pour la France, l'Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (AFSSAPS). Les laboratoires pharmaceutiques
déposent auprès de ces autorités un dossier qui est
évalué selon un rapport
« bénéfice / risque »
et des
critères de qualité, de sécurité et
d'efficacité.
Il existe deux types de procédures de demandes d'autorisation de mise
sur le marché : les procédures communautaires et la
procédure nationale. Cette dernière est de moins en moins
utilisée puisqu'elle ne s'applique plus qu'aux demandes de mise sur le
marché limitées au territoire national.
Les
procédures communautaires
sont en revanche utilisées
lorsque le médicament est destiné à plusieurs États
membres. Selon le principe de libre circulation des marchandises, une
première directive a été adoptée sur ce sujet en
1965 puis modifiée à plusieurs reprises. Depuis le
1
er
janvier 1995, un nouveau système, prévu par
le règlement n° 2309/93, a établi deux
procédures distinctes.
La
procédure centralisée
est obligatoire pour les produits
issus des biotechnologies et optionnelle pour les nouvelles substances actives
et les médicaments de haute technologie. L'agence européenne
fournit une évaluation scientifique et la Commission accorde une
autorisation, valable pour tous les pays membres de l'Union.
La
procédure de reconnaissance mutuelle
de l'autorisation
nationale concerne les autres médicaments et les dossiers pour lesquels
les industriels choisissent de ne pas suivre la procédure
centralisée. L'autorité compétente d'un État membre
réalise alors l'évaluation scientifique ; les autres
États membres doivent reconnaître l'évaluation de cet
État de référence, sauf à invoquer un risque pour
la santé publique. En cas de conflit persistant, une procédure
d'arbitrage par l'agence européenne est prévue.
La Commission a publié, en 2001, un rapport sur l'expérience
acquise dans l'application de ces procédures et a décidé
d'en proposer une réforme qui prend la forme d'une proposition de
règlement et de deux propositions de directive. Ces textes sont
relativement techniques mais contiennent des enjeux importants pour les
industries pharmaceutiques et pour la santé publique. Ils sont
particulièrement obscurs et complexes et constituent à cet
égard un contre-exemple de la volonté, affirmée depuis
longtemps par les institutions européennes, d'améliorer la
qualité de la législation.
L'ensemble de cette réforme a été examiné par le
Parlement européen en séance plénière le 23 octobre
2002 dans le cadre de la première lecture de la procédure de
codécision. De très nombreux amendements ont été
adoptés. Le Conseil des ministres n'a examiné que la proposition
de règlement, qui comporte les dispositions relatives à l'agence
européenne et aux procédures d'autorisation de mise sur le
marché, mais sans aboutir pour le moment à un texte complet.
1. L'Agence européenne pour l'évaluation des
médicaments
Le règlement 2309/93 a créé une Agence européenne
pour l'évaluation des médicaments qui est chargée de
coordonner les ressources scientifiques existantes mises à sa
disposition par les autorités compétentes des États
membres en vue de l'évaluation et de la surveillance des
médicaments. Le directeur exécutif de l'agence est nommé
par le Conseil d'administration, sur proposition de la Commission
européenne, pour une période de cinq ans renouvelable. Le Conseil
d'administration se compose de deux représentants de chaque État
membre, de deux représentants de la Commission et de deux
représentants désignés par le Parlement européen.
La France y est représentée par le directeur
général de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé pour les médicaments à
usage humain et par celui de l'agence française de
sécurité sanitaire des aliments pour les médicaments
à usage vétérinaire. Les travaux de l'agence
européenne s'appuient sur les travaux des agences nationales ;
l'instruction des dossiers est d'ailleurs confiée à tour de
rôle à un État rapporteur. L'agence européenne
fonctionne donc plus comme un coordinateur que comme une véritable
source d'expertise.
Dans sa proposition, la Commission européenne souhaite renforcer le
rôle de l'agence en lui confiant des tâches supplémentaires
allant au-delà de l'évaluation des médicaments. Afin de
stimuler la recherche pharmaceutique en Europe, elle serait chargée de
nouer de véritables partenariats avec les industriels, en leur
fournissant par exemple des conseils scientifiques lors des phases de recherche
et développement, c'est-à-dire en amont de la procédure
d'autorisation de mise sur le marché.
Cet ensemble de mesures va dans le bon sens, mais doit s'accompagner d'une
vigilance sur la composition du Conseil d'administration et sur un
régime linguistique assurant la pluralité des langues
utilisées par l'agence.
a) La composition du Conseil d'administration
Dans son projet d'origine, la Commission préconisait, en raison de la
perspective de l'élargissement, de modifier la composition du Conseil
d'administration
« pour tenir compte de la structure
proposée par elle lors de la création des dernières
agences ou autorités en matière de produits alimentaires,
sécurité maritime et sécurité
aérienne »
. Elle proposait ainsi la composition
suivante : quatre représentants nommés par le Conseil,
quatre nommés par la Commission, quatre nommés par le Parlement
européen et quatre représentants des patients et de l'industrie
désignés par elle.
Or, la cohérence voulue par la Commission ne se justifie guère
puisque, en ce domaine, ses propositions n'ont pas été suivies
par le Conseil. Ainsi, le Conseil d'administration de l'Agence
européenne de sécurité des aliments est composé
d'un représentant de la Commission et de quatorze autres membres
désignés par le Conseil des ministres en consultation avec le
Parlement européen à partir d'une liste établie par la
Commission, qui comprend un nombre de candidats considérablement plus
élevé que le nombre de membres à nommer. Le Conseil
d'administration de l'Agence européenne de sécurité
maritime est, quant à lui, composé d'un représentant de
chaque État membre et de quatre représentants de la Commission,
ainsi que de quatre représentants des secteurs professionnels les plus
concernés, nommés par la Commission et ne disposant pas du droit
de vote.
En effet, si la cohérence entre les différentes agences peut
sembler satisfaisante intellectuellement, en pratique, les missions qui leur
sont confiées ne sont pas du même ordre. Ainsi, l'agence
européenne du médicament a un rôle exécutif et non
seulement consultatif, et il peut sembler important de conserver une
représentation par État membre afin de créer un lien avec
les politiques nationales de santé publique.
Le Parlement européen a voté le 23 octobre 2002 en faveur du
modèle de l'Agence européenne de sécurité des
aliments : le Conseil d'administration se composerait d'un
représentant de la Commission et de quinze autres membres
désignés par le Conseil des ministres en consultation avec le
Parlement européen à partir d'une liste établie par la
Commission, comprenant un nombre de candidats considérablement plus
élevé que le nombre de membres à nommer. La Commission
européenne s'est ralliée à cette position.
Le Conseil des ministres a travaillé de son côté sur ce
sujet et un accord y a été trouvé sur une composition plus
proche de celle de l'Agence européenne de sécurité
maritime, à savoir un représentant par État membre, quatre
de la Commission et quatre des secteurs professionnels nommés par la
Commission mais ne disposant pas du droit de vote.
Ce point devrait faire l'objet
in fine
d'une conciliation entre le
Parlement européen et le Conseil, mais autant la proposition initiale de
la Commission semblait peu adaptée aux domaines d'action de l'agence
européenne du médicament, autant les deux propositions actuelles
peuvent être satisfaisantes. La Commission avait d'ailleurs
envisagé ce besoin de représentation des États puisque son
texte prévoit la création d'un Conseil consultatif placé
auprès du directeur exécutif et composé de l'ensemble des
autorités ou agences nationales compétentes en matière de
médicaments humains et vétérinaires.
b) Le régime linguistique
L'agence est basée à Londres et la langue anglaise est
prédominante : son site internet est uniquement en anglais,
même si certains documents de base sont disponibles en plusieurs langues.
Le directeur général de l'AFSSAPS s'exprime en français
lors des réunions du Conseil d'administration, mais seuls les comptes
rendus des réunions du Conseil d'administration sont traduits.
Or, si les industries pharmaceutiques sont naturellement amenées
à utiliser couramment l'anglais, les petites et moyennes entreprises et
les particuliers, dont les patients ou les médecins, doivent pouvoir
disposer d'informations complètes et pertinentes dans leur langue. Le
gouvernement français pourrait, dans ce cadre, promouvoir l'introduction
d'un article relatif au régime linguistique dans le règlement
instituant l'agence européenne.
Le règlement n° 1406/2002 instituant une Agence
européenne pour la sécurité maritime pourrait servir de
modèle puisque son article 9 prévoit que
« les dispositions prévues par le règlement
n° 1 du 15 avril 1958 portant fixation du régime linguistique
de la Communauté économique européenne s'appliquent en ce
qui concerne l'agence »
. Ce règlement n° 1
prévoit que
« les langues officielles et les langues de
travail des institutions de l'Union sont l'allemand, l'anglais, le danois,
l'espagnol, le finnois, le français, le grec, l'italien, le
néerlandais, le portugais et le suédois »
.
2. Le renforcement de la procédure centralisée
La proposition de la Commission prévoit que la procédure
centralisée d'autorisation de mise sur le marché reste
obligatoire pour les médicaments issus de procédés
biotechnologiques, notamment ceux faisant appel aux technologies de l'ADN
recombinant. La principale modification vise à rendre également
obligatoire cette procédure centralisée pour toutes les nouvelles
substances actives apparaissant sur le marché communautaire. La
procédure centralisée serait optionnelle pour les autres
médicaments qui représentent une innovation thérapeutique.
Parallèlement, il est prévu de donner aux États membres la
possibilité d'autoriser au niveau national les génériques
de médicaments autorisés par la Communauté sous condition
de maintenir l'harmonisation acquise au niveau communautaire.
Le directeur général de l'AFSSAPS a largement minimisé la
portée de cette mesure. Pour lui, il s'agit plus d'une clarification que
d'une modification, car, pour ces nouvelles molécules, les industriels
choisissent déjà largement la procédure centralisée
afin de les commercialiser directement sur le marché européen. De
plus, ces molécules sont les moins bien connues et il peut donc sembler
préférable de les expertiser au niveau communautaire.
Aucune majorité ne s'est dégagée au Conseil des ministres
sur l'extension de la procédure centralisée, mais de nombreux
États membres souhaitent que cette extension ne concerne pas les
médicaments vétérinaires dont les caractéristiques
se rapprochent des médicaments orphelins, avec une
régionalisation importante des marchés. Les associations de
patients sont plutôt favorables à la réforme
proposée.
3. La pharmacovigilance
La réforme engagée par la Commission européenne se fonde
sur deux objectifs principaux et indissociables : le fonctionnement du
marché unique dans le domaine pharmaceutique et le maintien d'un haut
niveau de protection de la santé publique. La Commission souhaite ainsi
accroître la rapidité et l'efficacité des prises de
décision, et raccourcir les délais de certaines
procédures ; elle propose en particulier de supprimer le
renouvellement quinquennal des autorisations de mise sur le marché,
actuellement obligatoire.
Parallèlement, il semble cependant nécessaire d'améliorer
l'efficacité globale du système de pharmacovigilance et de
surveillance du marché. La Commission propose d'augmenter la
fréquence des rapports périodiques actualisés relatifs
à la sécurité des produits, d'élargir les
critères de notification d'effets indésirables, de
généraliser l'utilisation d'une banque de données relative
aux données collectées.
Dans ce cadre, le renouvellement quinquennal de l'autorisation peut devenir
superflu, d'autant plus qu'il n'est souvent considéré
actuellement que comme une simple formalité administrative. Un consensus
entre la Commission, le Parlement et le Conseil semble avoir été
trouvé pour conserver uniquement le premier renouvellement quinquennal,
l'autorisation devenant alors valable sans limitation de durée.
Cette solution n'est cependant pleinement satisfaisante que si la
réforme permet une
réelle amélioration des
mécanismes de pharmacovigilance
, tant du point de vue quantitatif
que qualitatif.
La suppression du renouvellement quinquennal pose indirectement la question de
l'indépendance financière de l'agence. Les recettes de l'agence
se composent à la fois de la contribution de la Communauté et des
redevances versées par les entreprises pour l'obtention et la
maintenance des autorisations communautaires de mise sur le marché et
pour les autres services fournis par l'agence : en 2001, les redevances se
sont ainsi élevées à 46 millions d'euros, soit
69 % des recettes de l'agence contre moins de 27 % pour la
contribution du budget communautaire. Cette question n'est pas abordée
dans la proposition de réforme de la Commission, alors qu'il pourrait
sembler souhaitable que l'organisme chargé de l'administration et du
contrôle des médicaments soit financièrement
indépendant des firmes pharmaceutiques.
4. La publicité sur les médicaments
Dans une partie consacrée à l'information des patients, la
Commission européenne propose
« d'ouvrir une
possibilité d'information auprès du public pour les classes de
médicaments autorisés et prescrits dans le cadre des affections
suivantes : SIDA, asthme et affections broncho-pulmonaires chroniques,
diabète ».
L'article L 5122-6 du code de la
santé publique prévoit en France que, pour les médicaments
soumis à prescription médicale, la publicité auprès
du public n'est pas autorisée.
Cette proposition de la Commission a été vivement rejetée
par le Parlement européen lors de la première lecture des textes
en séance plénière le 23 octobre 2002. Le Conseil n'a
pas encore examiné ce point, mais la France est opposée à
la publicité grand public pour les médicaments de prescription.
Pourtant, si ce type de publicité ne semble pas être
adapté, la demande d'information du public et des professionnels de
santé est croissante ; la multiplication des sites internet
« médicaux » pose à cet égard la
question de la fiabilité des informations et de leur présentation
non certifiée par une autorité compétente. Il semble donc
nécessaire de réfléchir, au-delà du problème
de la publicité, aux dispositions à prendre pour
développer des supports d'information indépendants, transparents
et fiables.
* *
*
En conclusion, le principe d'une réforme de la réglementation européenne relative au médicament a été accepté par l'ensemble des acteurs du secteur afin de tenir compte de l'expérience acquise depuis 1993. De nombreux aspects vont dans le bon sens et les discussions entre la Commission, le Parlement et le Conseil vont se poursuivre. Cependant, il semble important que le Sénat prenne position sur certains sujets.
*
La délégation a alors conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution ;
Vu le texte E 1902 comprenant :
- une proposition de règlement du Parlement européen et du
Conseil établissant des procédures communautaires pour
l'autorisation, la surveillance et la pharmacovigilance en ce qui concerne les
médicaments à usage humain et à usage
vétérinaire et instituant une Agence européenne pour
l'évaluation des médicaments ;
- une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux
médicaments à usage humain ;
- une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
modifiant la directive 2001/82/CE instituant un code communautaire relatif aux
médicaments vétérinaires.
Demande au Gouvernement :
- de veiller à ce que l'allègement des procédures de
renouvellement soit compensé par un renforcement substantiel des
mécanismes de pharmacovigilance ;
- de veiller à ce que l'information du public pour certains
médicaments soumis à prescription médicale soit neutre et
objective et n'ouvre pas la voie à l'autorisation de la publicité
par les fabricants ou les distributeurs ;
- d'obtenir l'introduction d'un article relatif au régime
linguistique dans le règlement instituant l'Agence européenne
pour l'évaluation des médicaments, sur le modèle de
l'Agence européenne pour la sécurité maritime.