III. LE SECTEUR ÉLECTRIQUE
A. LA FILIÈRE NUCLÉAIRE
L'envolée des prix du pétrole et de ceux du gaz ont montré, s'il en était besoin, la nécessité de poursuivre dans la voie du nucléaire afin de rendre plus sûrs les approvisionnements de la France. Une telle poursuite passe, au demeurant par une politique volontariste qui conjugue la nécessité de produire de l'énergie à un prix raisonnable, au besoin de protéger les populations et l'environnement grâce à une gestion active de l'aval du cycle nucléaire.
1. La production d'électricité et l'activité d'EDF
a) Une production en légère hausse
La puissance installée du parc électronucléaire est de 62.950 MWe. Elle se répartit entre les réacteurs REP 900 (30.770 MWe), REP 1.300 (26.370 MWe) et N4 (5.810 MWe).
La production d'électricité d'origine nucléaire s'établit à 375 TWh en 1999, en hausse de 2 % par rapport à 1998, année où elle avait baissé de 2 %.
Le taux de disponibilité des tranches REP 900 et REP 1.300 MWe a légèrement diminué, passant de 81,1 % en 1998 à 79,3 % en 1999, du fait de plusieurs opérations de prévention et de maintenance. Le maintien d'un taux de disponibilité élevé est le gage d'une bonne utilisation -et donc d'une rentabilité satisfaisante- des installations nucléaires.
b) Les résultats d'EDF
Le chiffre d'affaires d'EDF atteint 185,3 milliards de francs en 1999 contre 185 milliards de francs en 1998. Ce résultat, légèrement inférieur à celui obtenu en 1997 (186,5 milliards) est du à l'effet contrasté de la croissance modérée des ventes (+ 1,6 %) et de la perte de recettes résultant de la baisse de tarif de 2 % en moyenne opérée en mai 1999, conformément aux dispositions du contrat d'entreprise.
Le montant des capitaux propres s'établit à près de 90 milliards de francs en 1999, tandis que les investissements sont de 27,5 milliards de francs dont 15 milliards pour le transport et la distribution de courant.
Le résultat brut comptable s'élève à 4,551 milliards de francs en 1999, contre 2,087 milliards en 1998, tandis que le désendettement atteint 11,8 milliards de francs en 1999. La dette d'EDF est ainsi passée de 125,9 milliards de francs en 1997 à 110,4 milliards de francs en 1999.
2. La gestion du cycle nucléaire
a) La sécurité des installations
Les incidents observés en 1999
La France a utilisé pour le première fois en 1999, l'échelle INES ( International Nuclear Event Scale ), conçue par l'OCDE et l'AIEA. Cette échelle, qui compte sept degrés, mesure la gravité des événements ayants traits à l'industrie nucléaire.
En 1999, 618 événements significatifs ont été relevés en France dont seulement trois ont été classés au niveau 2 . Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, ces trois incidents se sont déroulés dans les conditions suivantes :
" Le 11 mars 1999, sur le site du Tricastin , un agent EDF a reçu une dose de radioactivité de 340 millisieverts en intervenant sans autorisation dans une zone dite " rouge ", zone dont l'accès est strictement réglementé. En raison du dépassement de la limite réglementaire d'exposition aux rayonnements ionisants fixée à 50 millisieverts par an et prochainement ramenée à 20 millisieverts par an, l'Autorité de sûreté nucléaire a classé au niveau 2 de l'échelle INES cet incident de radioprotection. De plus, un procès-verbal a été dressé par l'inspecteur du travail pour infraction aux dispositions du code de travail sur la radioprotection.
Le 22 novembre 1999, un incident affectant les groupes électrogènes diesel de secours des réacteurs nucléaires d'EDF d'une puissance de 1.300 mégawatts a été reclassé au niveau 2 de l'échelle INES, en raison de son caractère générique. Les défaillances constatées étaient dues à la rupture d'une goupille d'une vanne du circuit de refroidissement du groupe électrogène entraînant le blocage de cette vanne et l'interruption du refroidissement du moteur diesel.
Dans la nuit du 27 au 28 décembre 1999, en raison de conditions de vent et de marée exceptionnelles, les sous-sols de certains bâtiments des réacteurs 1 et 2 de la centrale du Blayais en Gironde ont été inondés. Cette entrée d'eau a endommagé partiellement des pompes et circuits importants de ces mêmes réacteurs et affecté le niveau de sûreté des installations. Compte tenu de l'indisponibilité d'équipements importants, l'Autorité de sûreté a classé cet incident au niveau 2 de l'échelle INES. "
Les observations de l'Autorité de sûreté nucléaire
Dans son rapport 1999, l'Autorité de Sûreté nucléaire considère que pour sa part que :
" certaines actions de remise en conformité ou de mise en place de modifications nécessaires à la sûreté des installations restent encore trop peu réactives et mettent parfois en évidence un manque d'anticipation de la part d'EDF. Ainsi, par exemple, des fuites ont pu être constatées en 1999 sur des piquages de tuyauterie sur un réacteur de Dampierre, alors qu'il avait été décidé dès 1996 de supprimer ces piquages reconnus inutiles ; certaines interventions sur les circuits de refroidissement à l'arrêt (circuit RRA), rendues nécessaires par les investigations menées à la suite de l'incident de Civaux en mai 1998, n'ont pas pu être menées dans des conditions satisfaisantes, un an et demi plus tard, en raison d'un manque de capacité industrielle des prestataires, lui-même provoqué par une insuffisante anticipation de la part d'EDF. Enfin, l'incident du Blayais survenu dans la nuit du 27 au 28 décembre a montré que des améliorations reconnues comme nécessaires en matière de prévention des inondations n'avaient pas été réalisées avec une célérité en rapport avec leur importance.
Par ailleurs, l'exploitation au quotidien des centrales nucléaires continue parfois à pâtir d'un certain manque de rigueur. Ainsi par exemple, en 1999, sur deux réacteurs différents, un dispositif de chauffage du circuit primaire a été maintenu en service par erreur pendant plusieurs heures ; sur un réacteur, il a été oublié, comme en 1998 sur un autre réacteur, de connecter des grappes de commande qui contrôlent la réactivité dans le coeur du réacteur ; enfin, le nombre d'incidents provenant d'une erreur dans l'ouverture ou la fermeture d'une vanne reste trop élevé. Aucun de ces incidents, classés au plus au niveau 1 de l'échelle INES, n'a eu de conséquence importante sur la sûreté, mais l'Autorité de sûreté considère que ces exemples de manque de rigueur dans l'exploitation sont significatifs et ont notamment pour cause des défauts d'organisation, des partages de responsabilité peu clairs et un manque de contrôle.
Enfin, en matière de radioprotection, l'incident, classé au niveau 2 de l'échelle INES, d'irradiation d'un agent de la centrale du Tricastin a rappelé une fois de plus la nécessité d'une évolution profonde de l'organisation et des pratiques dans ce domaine qui a été longtemps négligé. "
L'Autorité de sûreté nucléaire observe cependant que :
" Sur tous ces sujets d'organisation, EDF a engagé, sous l'impulsion du plus haut niveau de l'entreprise, des démarches visant à améliorer en profondeur le fonctionnement, voire la culture même de l'entreprise, dans le but de corriger les dysfonctionnements décrits ci-dessus.
L'Autorité de sûreté considère que le diagnostic porté par l'entreprise sur elle-même rejoint sa propre analyse et que les orientations affichées doivent conduire à une amélioration de la sûreté. "
Votre Commission des Affaires économiques considère que le renforcement de la sécurité des installations nucléaires, la transparence de leur fonctionnement et la promptitude dans la correction d'éventuels dysfonctionnements sont les seuls garants de la crédibilité du secteur nucléaire vis à vis de l'opinion publique.
L'avenir de l'Institut de Protection et de sûreté nucléaire
Le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) recevra, en 2001, une subvention civile globale de l'Etat (au titre des ministères de la Recherche et de l'Industrie) de 6,052 milliards de francs, dont 5,302 milliards au titre IV (+ 3,9 %) et 750 milliards de francs au titre VI.
Cette subvention ne comprend pas les crédits destinés à l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, qui sera transformé en un établissement public distinct et du CEA en 2001, et qui sont d'ores et déjà inscrits au titre du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement.
Votre Commission des Affaires économiques s'interroge sur cette réforme et souhaiterait connaître la liste des ministères qui assureront la tutelle de l'IPSN dans le futur, de même que celle de la Direction des installations et de la sûreté nucléaires. Elle souhaite connaître les raisons pour lesquelles le Gouvernement, qui avait annoncé un grand débat sur la transparence dans le nucléaire, a opéré cette réforme avant que celui-ci n'ait eu lieu.
b) Le retraitement des déchets
L'usine de La Hague, dont l'investissement total est évalué à 90 milliards de francs, est conçue pour retraiter le combustible nucléaire en séparant le plutonium et l'uranium et en vitrifiant les autres déchets. Sa capacité est de 1.600 tonnes. Elle est utilisée pour moitié au retraitement de combustibles étrangers qui représentent un chiffre d'affaires de 7 milliards de francs par an.
Les déchets venus d'Allemagne représentent environ 20 % de l'activité de l'usine de La Hague. Or, comme on le sait, l'accord sur l'abandon du nucléaire outre-Rhin prévoit qu'après le 1 er juillet 2005, l'élimination des déchets radioactifs issus des centrales se fera exclusivement par stockage définitif direct, le transport de déchets n'étant plus autorisé. A compter de 2005, le traitement des combustibles allemands diminuera donc dans le total de l'activité de La Hague.
Votre Commission des Affaires économiques se déclare particulièrement préoccupée par les déclarations de la ministre de l'Environnement selon laquelle il y aurait urgence à changer de stratégie en matière de retraitement des déchets nucléaires 8 ( * ) et souhaiterait connaître les intentions du Gouvernement en la matière.
c) Le sort des déchets ultimes
(1) Le transport des déchets
Comme le relève l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans son dernier rapport, alors que 1998 avait été marquée par la contamination des convois de combustibles irradiés, EDF a mis en oeuvre des mesures propres à garantir " des conditions normales d'exercice de cette activité . "
Cependant l'ASN se déclare soucieuse de renforcer son contrôle sur les incidents de manutention, de colis contenant des matières nucléaires, notamment après que sont survenues, en 1999 plusieurs incidents dans des aéroports et sur la route.
(2) La gestion des déchets radioactifs
Dans son Rapport 1999, l'Autorité de sûreté nucléaire constate que :
" Le public attend des exploitants une gestion sûre, claire et rigoureuse des déchets issus des installations nucléaires, permettant d'assurer la protection des personnes, de préserver l'environnement et de limiter les contraintes induites sur les générations futures " avant d'estimer qu'il est " nécessaire de poursuivre résolument les recherches de solutions définitives de gestion pour ces déchets actuellement sans exutoire. Il s'agit là d'un impératif dans la mesure où les installations d'entreposage, dont certaines commencent à devenir anciennes, ont pour vocation de n'accueillir que transitoirement les déchets.
Votre Commission des Affaires économiques souscrit à ces observations et rappelle que la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1999 a ouvert un délai de quinze ans au terme duquel le législateur sera appelé à statuer sur l'éventuelle diversification des modes de traitement des déchets, susceptibles de consister en :
- une séparation et une transmutation des éléments à haute activité à vie longue ;
- des stockages réversibles ou irréversibles en couches géologiques profondes ;
- le conditionnement et l'entreposage de longue durée des déchets.
Séparation et transmutation
Afin de réduire la nocivité des déchets issus du fonctionnement des centrales nucléaires, le Commissariat à l'énergie atomique mène des recherches sur la séparation des éléments et la transformation des éléments les plus toxiques en réduisant leur durée de vie. En 1999, des études ont notamment été réalisées afin de tester la séparation des actimides Américium et Curium dans l'installation ATALANTE.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis ; le redémarrage du réacteur PHÉNIX, qui permettra de procéder à diverses simulations, ne serait pas envisagé avant le début de 2001. En outre : " les travaux d'inspection de la centrale lors de son arrêt décennal, se sont avérés plus longs à mener qu'initialement prévu. Ils ont en particulier nécessité la mise au point de méthodes et d'outillages particuliers. La fin de ces travaux, qui devaient initialement durer 14 mois, est aujourd'hui envisagée fin 2000 -début 2001. "
Stockage en couches géologiques
Le Gouvernement ayant autorisé, au début 1999, la création d'un laboratoire souterrain en zone argileuse à Bures, dans la Meuse, les travaux de construction ont commencé en 2000 et se poursuivront jusqu'en 2003.
Le second laboratoire souterrain, supposé être installé dans une zone granitique, n'a quant à lui toujours pas vu le jour. En 2000, une concertation pilotée par une mission composée de hauts fonctionnaires a été menée avec difficulté puisque, si l'on en croît les informations transmises à votre rapporteur pour avis : " l'opposition suscitée par le projet a rendu difficile pour la Mission l'exercice d'information et le recueil des questions, avis et opinions. "
Bien que la mission précitée ait remis son rapport en juillet dernier, le Gouvernement -qui a déclaré son attachement à la poursuite de toutes les voies de recherche- n'a pas pris de décision.
Votre Commission des Affaires économiques se déclare préoccupée par les délais pris pour déterminer l'emplacement du laboratoire situé en zone granitique.
Conditionnement et entreposage de longue durée
Outre un programme sur l'entreposage de très longue durée, les recherches menées par le CEA s'intéressent à " la faisabilité scientifique et technique de modes de conditionnement spécifiques des radionucléides à vie longue, la performance des modes de conditionnement actuels, la caractérisation des colis existant ou à venir et le comportement à long terme des colis de déchets en support commun à l'étude de l'entreposage de longue durée et du stockage . "
Un rapport d'étape sur l'entreposage de longue durée sera remis au Gouvernement à la fin de l'année 2000.
* 8 Cf .Les Echos, mardi 31 octobre 2000 P.14.