II. UN ENCOMBREMENT CHRONIQUE PERSISTANT DE L'ENSEMBLE DES JURIDICTIONS
Le
renforcement substantiel des moyens affectés aux juridictions depuis
1998 n'a pas permis de remédier à l'encombrement chronique qui
altère le fonctionnement au quotidien de la justice.
Le constat d'une
justice « asphyxiée, débordée et
paralysée » dressé par la mission d'information de
votre commission des Lois chargée d'évaluer les moyens de la
justice
30(
*
)
, demeure largement
d'actualité cinq années plus tard
.
Votre commission des Lois demeure préoccupée par la difficile
régulation des flux contentieux qui ressort des dernières
statistiques. En effet, l'objectif de traiter les affaires dans des
« délais raisonnables », au sens qu'en donne la cour
européenne des droits de l'homme est encore loin d'être atteint.
A. EN MATIÈRE CIVILE : DES DÉLAIS EXCESSIFS
En dépit d'une diminution du flux d'affaires nouvelles, principalement imputable à l'amélioration de la situation économique, devant toutes les catégories de juridictions, à l'exception des tribunaux d'instance, la durée moyenne de traitement des affaires n'a fait l'objet d'aucune amélioration significative en 2000 ; comme le montre le graphique ci-dessous.
Source : Commission des Lois du Sénat
Seuls les tribunaux de grande instance affichent
une légère
diminution
de cette durée par rapport à 1999 avec 8,9 mois
(contre 9,3 mois), ce qui, au demeurant, reste encore éloigné de
l'objectif de six mois fixé par la loi de programme de 1995.
En revanche, toutes les autres catégories de juridictions n'enregistrent
au mieux qu'une
stabilisation
de la durée moyenne de traitement
des affaires, avec 20,2 mois pour la Cour de cassation, 10,2 mois pour les
conseils de prud'hommes (contre 10,3 mois en 1999), 5,1 mois (contre 5,2 mois
en 1999) pour les tribunaux d'instance, 5 mois pour les juridictions
commerciales
31(
*
)
, voire une
dégradation
de celle-ci avec 18,4 mois (contre 18,1 mois en 2000
et 17,4 mois en 1998) pour les cours d'appel.
Toutefois, cette situation, loin d'être homogène, n'apparaît
pas comme une fatalité, 11 cours d'appel ayant réussi à
réduire leur délai moyen de traitement. On peut à cet
égard relever les
progrès enregistrés
par les cours
d'appel de Douai et d'Orléans, marquant respectivement une
amélioration de leurs délais moyens de traitement.
Ces résultats encourageants
s'expliquent par la mise en oeuvre de
projets de résorption des stocks
ayant conduit à une
modification de l'organisation et des méthodes de travail au sein de ces
deux cours d'appel, à la mise en place d'une spécialisation
accrue des contentieux par matière et à un renforcement de la
concertation entre les différentes professions (magistrats,
fonctionnaires, avocats, avoués).
Par ailleurs,
le volume des stocks d'affaires en cours
accumulés
constitue un baromètre pertinent de la capacité de la justice
à maîtriser ses flux de contentieux en temps réel.
Evaluée à partir du nombre d'affaires terminées dans
l'année, la capacité de traitement des juridictions
exprimée en nombre de mois illustre les difficultés actuelles de
l'institution judiciaire.
Pour l'année 2000, l'évolution des stocks exprimés en
nombre de mois fait apparaître
une situation contrastée,
ainsi que le montre le graphique ci-dessous. On assiste ainsi à une
amélioration significative de la situation des cours d'appel, qui
passent de 17,73 mois en 1999 à 15,8 mois, mais à
une quasi
stagnation
de celle des tribunaux d'instance, avec
9,51
mois contre
9,69 mois en 1999, et de celle des tribunaux de grande instance, dont les
délais de traitement nécessaires à la résorption
des stocks passent de
11,6
mois en 1999 à
11,8
mois en 2000.
Source : Commission des Lois du
Sénat
La trop lente diminution des stocks se révèle
particulièrement préoccupante et
pèse sur la
productivité des magistrats
. En effet, les nombreuses
créations d'emploi intervenues ces dernières années
semblent n'avoir produit que des effets très limités sur la
capacité de chaque magistrat à traiter les stocks existants,
comme le montre la diminution du nombre d'affaires civiles terminées par
magistrat du siège devant les cours d'appel, comme devant les tribunaux
de grande instance ou d'instance (voir tableau ci-dessous).
PRODUCTIVITÉ DES MAGISTRATS - ÉVOLUTION DE LA CHARGE DE TRAVAIL
Nombre
d'affaires civiles terminées par magistrat
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Evolution 1999/1996 |
Cours d'appel |
230 |
229 |
217 |
210 |
- 8,7% |
Tribunaux de grande instance |
419 |
408 |
385 |
335 |
- 20,05% |
Tribunaux d'instance |
536 |
528 |
531 |
528 |
- 1,49% |
Source : Chancellerie
Ces difficultés révèlent que l'augmentation des effectifs
budgétaires destinée au renforcement des juridictions s'est
avérée
insuffisante
. Si en 1998, la quasi-totalité
des créations d'emplois a été dévolue à cet
objectif
33(
*
)
, depuis lors cet
effort s'est ralenti. En 1999, 94 créations d'emplois ont
été destinées au renforcement des juridictions (soit
61 % du total des créations d'emplois), contre 67 en 2000 (soit 32
% du total), et seulement 5 emplois en 2001 (soit 0,02 % du total).
D'autres priorités comme l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin
2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence ont
absorbé les nouveaux effectifs budgétaires. Le projet de loi de
finances pour 2002
34(
*
)
marque
à cet égard une évolution favorable, en affichant à
nouveau comme priorité le renforcement des juridictions.
Il est également permis d'espérer une amélioration de la
situation actuelle des juridictions qui se caractérise par des
délais excessifs. L'institution d'un
mécanisme de filtrage des
pourvois en cassation
manifestement non fondés
35(
*
)
est susceptible d'avoir des effets
très positifs sur la résorption des stocks à la cour de
cassation (37. 000 affaires civiles en stock en 2000).
Le développement des modes de résolution amiable des conflits
(transaction, conciliation, médiation civile), favorisé par la
loi n° 98-1163 relative à l'accès au droit
36(
*
)
, dont les principales dispositions
sont désormais entrées en vigueur, constitue également un
facteur d'amélioration de la situation des juridictions, l'accès
au droit n'étant plus nécessairement synonyme d'accès
à une juridiction. La réforme du divorce actuellement en cours
permettra de développer la médiation familiale
37(
*
)
, et devrait permettre un
allègement de la charge des juridictions grâce à la
simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel, s'il
devait être prononcé au terme d'une seule audience.
B. EN MATIÈRE PÉNALE : UNE RÉGULATION ASSURÉE PAR DES CLASSEMENTS SANS SUITE TROP NOMBREUX
Le
nombre d'affaires transmises au parquet
en 2000 (5.039.643) marque
une progression de 2,2 %
par rapport à l'année
précédente. Il est regrettable que les classements sans suite
très nombreux constituent le mode de régulation de ce flux
contentieux.
Les affaires non élucidées
constituent la majeure partie
des saisines des parquets : 62,3 % en 2000 (en hausse de 2,3 %
par rapport à 1999). Les principales motivations de l'absence de
poursuites sont : l'absence d'identification de l'auteur de l'infraction
(dans 65,1 % des affaires traitées); l'insuffisance des charges,
ou l'existence de motifs juridiques faisant obstacle à la poursuite
(dans 7 % des affaires traitées).
Le volume d'affaires susceptibles d'être traitées n'a donc
représenté que 28 % de l'ensemble des affaires
traitées par le parquet au cours de l'année.
Toutefois, les
efforts statistiques accomplis par le ministère de la justice permettent
désormais d'exploiter un nouvel indice concernant les affaires dites
poursuivables
38(
*
)
.
Parmi les 1.289.087 affaires dites poursuivables,
les poursuites
judiciaires
accusent
une baisse
de 1,6 % par rapport à
1999 et représentent 48,7 % tandis que
les procédures
alternatives réussies
(247.481) connaissent une progression
rapide
39(
*
)
,
représentant 19 % de ces affaires (contre 16,9 % en
1999)
40(
*
)
. Ces
procédures se décomposent en quatre catégories : le
rappel à la loi (46,8 % des mesures alternatives) ; des
mesures concourant à la réparation du dommage ou à
l'indemnisation de la victime (14,6 %) ; l'injonction
thérapeutique ou l'orientation vers une structure sanitaire et sociale
(15,3 %), et enfin la substitution d'une sanction administrative ou
disciplinaire déjà prononcée à la sanction
pénale (dans 20 % des cas).
Elles permettent de développer des réponses pénales
rapides, diversifiées et adaptées aux actes de délinquance
élucidés, et de réduire significativement les classements
de pure opportunité. Elles présentent en outre
l'intérêt de pouvoir être exécutées non
seulement par le procureur de la République, mais également par
un délégué du procureur (670 délégués
détiennent une habilitation actuellement), dont le statut a
récemment été renforcé par un décret du 29
janvier 2001
41(
*
)
.
Toutefois, le taux de classement « sec » pour
inopportunité des poursuites (32,1 % du total des affaires
poursuivables) se caractérise par
une stabilisation
et
paraît
encore trop élevé
, un tiers de ces affaires
restant privé de toute réponse pénale.
Il ressort de l'analyse des motifs de classement que dans 42,5 % des cas,
l'absence de poursuites se justifie par la faible gravité de
l'infraction. Mais comme l'a reconnu la Chancellerie, «
il n'est
pas impossible que ce motif de classement ait été invoqué
lorsque l'engorgement des tribunaux correctionnels conduisait à des
délais de comparution excessifs
. »
Notons que pour la première fois, la Chancellerie a pu communiquer un
taux de classement sans suite pour les seules procédures mettant en
cause des mineurs, qui s'établit à 22,5 % en 2000, soit un
niveau inférieur à celui dégagé pour l'ensemble des
procédures.
En 1999, la durée moyenne de traitement des affaires pénales
(10,9 mois), mesurée uniquement pour les procédures ayant
atteint le stade d'un jugement portant condamnation enregistre
une
progression moyenne de 0,3 mois
par rapport à 1998.
Le délai moyen de traitement des cours d'assises, en forte hausse par
rapport à l'année précédente, s'élève
à 56,5 mois en 1999 (contre 51 mois en 1998). Il s'établit
à 11,2 mois pour le traitement des délits (contre 10,8 mois), et
à 8,6 mois s'agissant des contraventions de cinquième classe.
C. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES : UN ENCOMBREMENT PERSISTANT
Le
transfert de compétences aux cours administratives d'appel a permis au
Conseil d'Etat
de réduire progressivement ses stocks d'affaires
en instance
42(
*
)
, dont le
délai théorique d'élimination s'est stabilisé
à
11 mois en données nettes
. En 2000, 90 % des
affaires sont enregistrées depuis moins de deux ans, marquant un
rajeunissement des stocks. Toutefois, on observe une légère
augmentation des affaires en stock depuis deux ans (8.479 affaires en stock en
1998, contre 10.159 en 2000).
La situation des
cours d'appel
paraît en revanche
préoccupante.
En 2000, le stock global des affaires en cours
(37.723) est en hausse de 3 % et a été multiplié par
cinq entre 1992 et 1999.
Il représente le triple de leur
capacité de jugement annuelle
, empêchant toute
amélioration significative du délai théorique
d'élimination des stocks, qui s'élève à
2 ans et
11 mois
.
Cependant, la création des cours administratives d'appel de
Marseille
43(
*
)
en septembre
1997 et de Douai en septembre 1999 a permis une progression du volume des
affaires traitées, qui se situe à 13.000 en 2000
(+ 13,3 %).
Le rapport des affaires traitées sur les affaires enregistrées
reste encore
insuffisant
, avec 78 % en 2000, ne permettant pas
d'envisager un ralentissement notable de la hausse des stocks. L'effort de
productivité consenti par les magistrats des cours administratives
d'appel doit toutefois être souligné. Le nombre d'affaires
réglées par magistrat s'est accru (88,16 affaires
réglées par magistrat en 1999, contre 93,84 en 2000).
La diminution du nombre d'affaires enregistrées devant
les tribunaux
administratifs
observée depuis 1998
44(
*
)
, ne se confirme pas pour 2001, qui
semble marquer une reprise de
l'augmentation des contentieux
.
Toutefois, malgré le nombre encore élevé des stocks
d'affaires en cours (201.534), le nombre d'affaires traitées (118.991)
marque une progression de 6 % en 2000, un tiers des juridictions ayant
amélioré de plus de 10 % le nombre de dossiers
traités par rapport à 1999. Ces résultats sont le fruit
d'un effort de productivité
accompli au sein de ces juridictions,
qui a permis une stabilisation du stock de dossiers qui diminue de 4 %,
inversant ainsi la tendance observée depuis dix ans
45(
*
)
.
Ce fléchissement
trouve également sa traduction dans l'amélioration du
délai théorique d'élimination des stocks, qui
s'élève à
1 an et 8 mois
.
Dans un tel contexte, on ne peut qu'accueillir favorablement les
40 créations de postes de magistrats des tribunaux et des cours
d'appel
administratives prévues par le projet de loi de finances
pour 2002, auxquelles s'ajoutent
46 créations d'emplois de
fonctionnaires
46(
*
)
.
Ces recrutements s'inscrivent dans le prolongement d'un mouvement amorcé
depuis 1998, 163 postes de magistrats et 185 emplois d'agents de greffe ayant
été créés depuis cette date, ce qui a permis une
progression de plus de 34 % des effectifs totaux entre 1991 et 2002.
Les représentants des organisations syndicales ont jugé ces
créations d'emplois insuffisantes compte tenu de
l'insuffisante
anticipation des départs à la retraite
, appelés
à connaître une accélération à partir de 2005
jusqu'en 2015.
Cet effort est en outre tempéré par la suppression des
crédits correspondant à 11 magistrats recrutés à
titre temporaire institués par la loi n° 95-125 du 8
février 1995 relative à l'organisation des juridictions et
à la procédure civile, pénale et administrative.
De plus, en dépit de ces efforts, le sous-dimensionnement des effectifs
des cours administratives d'appel par rapport aux besoins demeure. En effet,
les organisations syndicales entendues par votre rapporteur
47(
*
)
ont fait part de leur
crainte
d'une absorption des moyens nouveaux du fait de la mise en oeuvre des
réformes nouvelles
. Même si l'impact de la loi
n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au
référé devant les juridictions administratives
n'a
pu être encore évalué, sa mise en place est susceptible
à moyen terme
d'alourdir la charge de travail
actuelle de
l'ensemble des magistrats administratifs et d'allonger le délai de
traitement des affaires au fond. Une montée en puissance du volume des
référés pourrait rendre
insuffisants les nouveaux
moyens dégagés
.
Les organisations syndicales se sont particulièrement
inquiété des conséquences du projet de loi relatif aux
droits des malades et à la qualité du système de
santé adopté par l'Assemblée nationale en octobre
2001
48(
*
)
, et plus
particulièrement des dispositions relatives à la
présidence par un magistrat administratif des chambres disciplinaires de
première instance et des ordres professionnels, ainsi que celles
relatives aux commissions régionales d'indemnisation et de conciliation,
pour lesquelles aucun emploi supplémentaire n'a été
envisagé
49(
*
)
.
En parallèle, il convient toutefois de noter l'effort prévu par
le projet de loi de finances pour 2002 en faveur de
l'amélioration
de la situation matérielle des personnels des juridictions
administratives
qui se traduit par :
- des relèvements indemnitaires
concernant les membres et
agents du
Conseil d'Etat
50(
*
)
, les membres des tribunaux
administratifs et des cours d'appel afin de rapprocher le pourcentage moyen de
leurs primes de celui des autres corps issus de l'Ecole nationale
d'administration (762.245 euros)
51(
*
)
et les agents de greffe (253.248
euros) ;
- une indemnisation des astreintes et des permanences
des agents de
greffe des tribunaux administratifs, des cours d'appel et des agents du Conseil
d'Etat pour le traitement du contentieux soumis au juge des
référés (195.598 euros) ;
-
une revalorisation des indemnités
susceptibles d'être
allouées aux personnels prêtant leur concours à la
commission pour la transparence financière de la vie politique (23.002
euros) ;
- la création d'une prime spécifique
pour les
correspondants informatiques dans les juridictions administratives (68.602
euros).