B. UNE EXÉCUTION INÉGALE DE LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION POUR LA JUSTICE

Le présent projet de budget pour 2005 finance la troisième tranche de la mise en oeuvre de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, ce qui permet d'établir, à mi-parcours de l'échéance, un premier bilan d'étape.

1. Une exécution inégale de la programmation prévue en termes de créations d'emplois

La justice doit disposer de moyens à la hauteur de l'importance des missions qui lui sont assignées. Avec 1.070 créations nettes d'emplois, soit plus d'un tiers des créations d'emplois totalisées pour tout le budget de l'Etat, le ministère de la justice enregistre la plus forte augmentation des effectifs 3 ( * ) (+ 1,5 %) de tous les ministères devant ceux de l'enseignement supérieur (+ 0,76 %) et de l'intérieur (+ 0,42 %) et alors même que de nombreux ministères connaissent une réduction de leurs effectifs 4 ( * ) .

Toutefois, toutes les directions du ministère ne bénéficient pas à parts égales de cette évolution favorable, la priorité étant accordée, cette année encore, à l'administration pénitentiaire et à l'administration centrale, rendant ainsi plus difficile l'ajustement pour les services judiciaires et les juridictions administratives.

Comme le montre le tableau ci-après, les taux de réalisation des créations d'emplois sont contrastés selon les agrégats.

EXÉCUTION DU PROGRAMME QUINQUENNAL

 

Loi de finances 2003

Loi de finances 2004

Projet de loi de finances 2005

Créations d'emplois budgétisées

Créations d'emplois prévues par la programmation

Ministère de la justice
Taux de réalisation

2.024
20 %

2.197
22 %

1.084
11 %

5.305
53 %

10.100

Services judiciaires
Taux de réalisation
- Magistrats
Taux de réalisation
- Fonctionnaires
Taux de réalisation

700
16 %
180
19 %
520
15 %

709
16 %
150
16 %
559
16 %

355
8 %
100
10 %
255
7 %

1.764
40 %
430
45 %
1.334
38 %

4.450

950

3.500

Juridictions administratives
Taux de réalisation

100

21 %

97

20,5 %

46

9,5 %

243

51 %

480

Administration générale
Taux de réalisation

40

22 %

46

25 %

43

24 %

129

72  %

180

Source : ministère de la justice

a) Un rythme de créations d'emplois dans les juridictions judiciaires très inférieur aux objectifs assignés par la programmation quinquennale

Le Gouvernement dispose d'une marge de manoeuvre pour la mise en oeuvre de la programmation quinquennale , laquelle peut ne pas être linéaire. Néanmoins, le taux de réalisation des créations d'emplois cumulées sur les trois premiers exercices budgétaires - 40 % - soulève des interrogations quant à sa capacité à tenir ses engagements. En effet, le rythme des créations de postes pour 2005 dans les services judiciaires est inférieur de moitié à celui des années précédentes , ce qui paraît insuffisant pour concrétiser les objectifs annoncés dans la LOPJ.

Le projet de budget pour 2005 prévoit la création de 100 postes de magistrats et 255 de fonctionnaires (355 au total). Ces mesures représentent une dépense nouvelle de près de 13 millions d'euros . L'année prochaine, les effectifs budgétaires des 1.157 juridictions de métropole et d'outre-mer devraient donc s'élever à 7.526 magistrats et 21.674 fonctionnaires des greffes et contractuels.

Le retard constaté pour les services judiciaires appelle des commentaires différents pour les magistrats et les fonctionnaires des greffes.

? Les recrutements de magistrats

Les concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature devraient demeurer la principale voie d'accès aux fonctions de magistrats. Le nombre de postes offerts pour 2005 s'établit à 250. Le recrutement latéral par intégration directe et les concours exceptionnels devraient permettre de sélectionner entre 20 % et 30 % des futures recrues.

Lors de son audition à l'Assemblée nationale le 4 novembre dernier, le garde des sceaux a annoncé qu'il veillerait à ce que le rythme des créations d'emplois de magistrats retrouve « un équilibre satisfaisant » au cours des prochains exercices budgétaires. En outre, il a indiqué que des gains de productivité dans les juridictions pouvaient être attendus compte tenu de la montée en puissance de plusieurs réformes importantes. Il a en particulier cité :

- l'institution des juridictions de proximité 5 ( * ) ;

LE FINANCEMENT DE LA RÉFORME DE LA JUSTICE DE PROXIMITÉ

A ce jour, 172 juges de proximité ont été installés dans leurs juridictions, cet effectif devant être porté à 300 d'ici la fin de l'année. La loi du 9 septembre 2002 a prévu d'en recruter 3.300 en cinq ans, ce qui représente l'équivalent de 580 emplois temps plein.

Depuis 2002, une enveloppe est allouée chaque année pour financer la mise en place de cette réforme. Elle est répartie en :

=> crédits de vacation destinés à permettre les recrutements des juges de proximité. Leur montant s'établit à 1,5 million d'euros aux termes du projet de loi de finances pour 2005. Cette somme s'ajoute aux 2,6 millions d'euros et aux 4 millions d'euros inscrits respectivement en lois de finances initiales pour 2003 et 2004. Le montant cumulé de ces dépenses sur les trois derniers exercices budgétaires (crédits affectés au paiement des cotisations patronales compris) s'élève à 8,1 millions d'euros ;

=> crédits de fonctionnement qui s'élèvent à 950.000 euros en 2005. Cette somme complète les enveloppes de 400.000 et 700.000 euros déjà affectées respectivement en lois de finances initiales pour 2003 et 2004. Au total, ces dépenses qui visent à financer les frais de déplacement des juges, leur équipement informatique et mobilier et les besoins en locaux supplémentaires s'élèvent à 2,05 millions d'euros.

- la mise en place de pôles interrégionaux spécialisés en matière de criminalité organisée et dans le domaine économique et financier 6 ( * ) qui permettra des économies d'échelle ;

- la simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel qui ne comprend plus qu'une seule audience, et devrait ainsi engendrer un gain de temps pour les juges aux affaires familiales.

Le garde des sceaux a également annoncé devant votre commission des Lois son intention de mettre en oeuvre plusieurs pistes de réforme proposées dans le rapport de M. Jean-Claude Magendie, président du tribunal de grande instance de Paris, sur la qualité et la célérité de la justice afin de rationaliser la procédure et donc d'économiser du « temps magistrat ».

La plupart des magistrats entendus par votre rapporteur pour avis se sont déclarés satisfaits des nombreux recrutements effectués ces dernières années, reconnaissant qu'ils avaient permis une réelle mise à niveau des effectifs et, partant, une amélioration des conditions de travail dans les juridictions et une absorption des effets des réformes mises en oeuvre ces dernières années, notamment la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Toutefois, les représentants du Syndicat de la magistrature et de l'Union syndicale des magistrats ont jugé insuffisants les recrutements prévus en 2005 au regard des promesses inscrites dans la LOPJ.

Sous le bénéfice de ces observations, il paraît souhaitable que le ministère de la justice évalue au plus près les besoins sur le terrain et, si nécessaire, révise les objectifs - peut-être trop optimistes - de la LOPJ . Dans le contexte actuel de la préparation de l'entrée en vigueur de la LOLF, il est primordial de calibrer finement les créations d'emplois en fonction des nécessités du terrain.

? Les recrutements des fonctionnaires des greffes

Le projet de budget prévoit de créer des postes au bénéfice de toutes les catégories de personnel - greffiers en chef (12 postes dont 2 du premier grade et 10 du second grade),  greffiers  (90 emplois du deuxième grade), secrétaires administratifs (20 postes), adjoints administratifs (125 emplois) et contractuels en particulier les agents et les ingénieurs de catégorie exceptionnelle (8 postes).

Cette augmentation des effectifs laisse présager une légère diminution du ratio fonctionnaires des greffes par magistrat, stable depuis 2001 (2,6).

L'Union syndicale autonome justice (USAJ), la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération française du travail (CFDT) entendus par votre rapporteur pour avis ont regretté l'important décalage entre l'annonce des créations d'emplois et l'arrivée effective des renforts dans les juridictions, tout en reconnaissant qu'il existait des délais incompressibles pour l'organisation des concours de recrutement et la formation.

En effet, 337 emplois de greffiers et 63 emplois d'adjoints administratifs ont été inscrits en loi de finances initiale pour 2003 et seulement 81 emplois de greffiers inscrits en loi de finances pour 2004 ont été localisés en 2004. Sur les postes créés en loi de finances pour 2004, 252 greffiers et la totalité des emplois de secrétaires administratifs restent à localiser.

Le taux d'exécution de la LOPJ , prévu pour 2005, particulièrement faible (7 %) , a suscité de vives inquiétudes de la part de ces mêmes syndicats, qui ont néanmoins salué l'effort substantiel consenti ces deux dernières années en faveur d'un renforcement des moyens humains.

Ils se sont tout d'abord demandé si la fongibilité asymétrique des crédits 7 ( * ) - qui permettra au directeur de programme des services judiciaires, à savoir le directeur des services judiciaires, d'arbitrer entre les dépenses consacrées aux rémunérations des personnels et celles affectées au fonctionnement ou à l'investissement - ne risquait pas de conduire à une remise en cause des créations d'emplois programmées par le Gouvernement.

Ils ont également jugé le retard pris dans le rythme des créations d'emplois très préoccupant compte tenu de l'impact des réformes nouvelles qui induisent une charge de travail supplémentaire. Ils ont expliqué que la montée en puissance des recrutements de juges de proximité allait inévitablement mobiliser davantage les greffes désormais communs aux juridictions de proximité et aux tribunaux d'instance, lesquels devront prendre en charge davantage d'audiences et assister un plus grand nombre de magistrats.

De même, un surcroît de travail est à attendre de la procédure de rétablissement personnel introduite par la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine qui génère un important transfert de dossiers de surendettement vers les juridictions judiciaires. Au cours de son audition devant votre commission le 30 novembre dernier, le garde des sceaux a d'ailleurs confirmé qu'une augmentation de 20 % des contentieux portés devant les juridictions d'instance lui était imputable. L'USAJ a évalué à 200 le nombre de postes de greffiers supplémentaires qu'il aurait été nécessaire de créer pour compenser les effets de cette réforme.

Les moyens humains doivent être en adéquation avec les besoins et évoluer si des sujétions nouvelles apparaissent . A cet égard, il est souhaitable que le ministère de la justice publie systématiquement une étude d'impact en annexe de tout projet de loi susceptible d'affecter le fonctionnement des juridictions.

Interrogé par votre rapporteur pour avis au cours de son audition devant votre commission sur la situation des personnels des greffes, le garde des sceaux a assuré qu'un rattrapage serait effectué au cours des prochains exercices budgétaires pour tenir les engagements pris, à condition de disposer de marges de manoeuvre suffisantes.

Il est toutefois à craindre que les réformes nouvelles absorbent le surcroît de moyens octroyés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

b) Un rythme de créations d'emplois dans les juridictions administratives en forte baisse par rapport aux exercices budgétaires précédents

Le projet de budget pour 2005 prévoit la création de 46 emplois dans les juridictions administratives répartis en  2 emplois au Conseil d'Etat (ingénieur de haut niveau, attaché d'administration centrale) et 44 emplois pour les juridictions administratives dont 21 de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et 23 d'agents des greffes (secrétaire administratif, adjoint administratif et attaché de préfecture). Le coût de cette dépense s'élève à 2,2 millions d'euros. Le taux d'exécution prévu en 2005 - 9,5 %  - contraste fortement avec les taux observés les années précédentes d'environ 20 %.

Le Syndicat des magistrats administratifs (SJA) et l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) ont regretté que cette augmentation des effectifs soit très inférieure au taux moyen de réalisation des créations d'emplois programmées par la LOPJ. Ils ont jugé ce ralentissement particulièrement préoccupant dans le contexte actuel, caractérisé par une forte augmentation des contentieux portés devant les juridictions administratives 8 ( * ) .

c) Une couverture de la programmation des créations d'emplois pour l'administration centrale conforme aux engagements de la LOPJ

L'administration centrale fait figure d'exception , le rythme des créations d'emplois - supérieur au cinquième des créations programmées - étant conforme aux objectifs de la LOPJ.

Le projet de budget pour 2005 prévoit la création de 43 emplois répartis en postes de secrétaire général (1), magistrat inspecteur adjoint des services judiciaires (1), magistrat inspecteur des services judiciaires (1), directeur de projet (2), directeur-adjoint (1), administrateur civil (2), substitut (5), ingénieur des ponts et chaussées (1), ingénieur des travaux publics (3), attaché d'administration centrale (10), secrétaire administratif (2), conducteur automobile (1) et agent contractuel (13). Cette mesure nouvelle représente un coût de 2,5 millions d'euros. Cette année, le ministère de la justice a souhaité mettre l'accent sur les fonctions d'expertise technique, de pilotage et de gestion.

L'administration générale affiche un taux global prévisionnel d'exécution de la programmation très satisfaisant qui plafonne à près de 72 %, soit un taux largement supérieur au taux théorique qui devrait être atteint à l'issue de trois exercices budgétaires (60 %).

En marge de la stricte exécution de la LOPJ, un effort de transparence dans la gestion des ressources humaines de l'administration centrale mérite d'être relevé.

Afin de faire face à ses missions et compte tenu de ses effectifs réduits, l'administration centrale a longtemps « prélevé » des agents des services déconcentrés - services judiciaires, administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse - pour étoffer ses effectifs. Dans le souci d'une gestion plus transparente et rationnelle, le ministère de la justice a souhaité mettre progressivement un terme à cette pratique dénoncée en 2001 par la Cour des comptes 9 ( * ) . Un plan de régularisation engagé par la loi de finances initiale pour 2002 a concerné 157 agents affectés dans les services déconcentrés mis à disposition de l'administration centrale.

A ce jour, on dénombre encore 492 agents des services déconcentrés exerçant en administration centrale bien que rattachés « pour ordre » à une juridiction 10 ( * ) , ce qui porte les effectifs réels de cette direction à 2.592 agents au lieu de 2.100. Poursuivant ce mouvement de clarification de la répartition des moyens humains au sein du ministère de la justice, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit le transfert de 84 emplois des services déconcentrés vers l'administration centrale . Cette opération concerne toutes les catégories de personnels : magistrats, greffiers en chef, agents des services de la protection judiciaire de la jeunesse et des services sociaux de l'administration pénitentiaire.

Cette initiative paraît opportune dans le contexte actuel de la préparation de la mise en oeuvre de la LOLF.

* 3 Ainsi portés à 72.460.

* 4 Au total, 7.188 emplois (nets) sont supprimés par le projet de budget pour 2005.

* 5 Pour plus de précisions sur les compétences et le statut des juges de proximité, voir rapport n° 66 (Sénat, 2004-2005) de M. Pierre Fauchon au nom de la commission des Lois.

* 6 Voir infra II - A.

* 7 Au sein d'un programme, les dépenses de personnel pourront être utilisées pour financer des dépenses de fonctionnement et d'investissement, mais en aucun cas les charges de personnel ne pourront être aggravées (Voir infra - III - A).

* 8 Voir II - B.

* 9 Rapport sur la fonction publique, publié en avril 2001 - p. 346 et suivantes.

* 10 Dont 255 proviennent de l'administration pénitentiaire, 140 de la direction des services judiciaires et 97 de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

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