N° 58

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 octobre 2007

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur le projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux ,

Par M. Dominique BRAYE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine, président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Herisson, vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Jean Pépin, Bruno Sido, Daniel Soulage, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Raymond Couderc, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Jean Desessard, Mme Evelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Charles Josselin, Mme Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Elisabeth Lamure, MM. Gérard Larcher, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jacques Muller, Mme Jacqueline Panis, MM. Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Yannick Texier.

Voir les numéros :

Sénat : 29 et 50 (2007-2008)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les accidents graves, et pour certains mortels, causés par des chiens, qui se sont succédé ces derniers mois, ont mis à nouveau en évidence le fait que le dispositif relatif aux chiens dangereux mis en place par la loi du 6 janvier 1999 1 ( * ) , déjà modifié à deux reprises à la suite de drames semblables, demeure inadapté à la prévention des agressions canines qui créent une profonde inquiétude parmi nos concitoyens.

S'il a été d'une efficacité certaine pour juguler le problème d'ordre public que constituait, dans les années 1990, l'utilisation délinquante de chiens volontairement rendus agressifs, ce dispositif n'a en effet pas eu de prise sur la multiplication des accidents par morsure canine survenant dans la sphère privée et le plus souvent dans le milieu familial.

C'était, hélas, prévisible, car, comme l'avait souligné, en tant que rapporteur de la loi de 1999, votre rapporteur pour avis, ce dispositif, élaboré contre les avis de tous les spécialistes de la question, « prenait le problème par le mauvais bout de la laisse » en négligeant le fait que c'est toujours le mauvais maître, qu'il soit délinquant, agressif, irresponsable, ou simplement incompétent, qui fait le mauvais chien, et non l'inverse.

Le Sénat avait partagé ce jugement, mais l'Assemblée nationale avait malheureusement été d'un autre avis.

Nous aurons ainsi perdu près de 10 ans pour aborder enfin ce problème comme il convient, en mettant l'accent sur la prévention, fondée, d'une part, sur l'appréciation de la dangerosité potentielle de chaque chien et de la compétence de celui qui en a la charge et, d'autre part, sur l'information du public.

C'est d'autant plus regrettable que, comme l'a souligné un récent rapport de l'Académie vétérinaire de France 2 ( * ) sur la prévention des accidents par morsures canines, cette prévention nécessite un travail de longue haleine et qui doit s'inscrire dans la durée.

En proposant de définir les instruments qui seront indispensables pour mener à bien ce travail, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis va très certainement dans le bon sens, et c'est avec le souci d'en soutenir les orientations et d'en renforcer l'efficacité que votre commission des Affaires économiques a souhaité s'en saisir pour avis.

I. L'EFFICACITÉ LIMITÉE DE LA LOI DE 1999

Comme l'avait prévu son article 11, le Parlement aurait dû être saisi, dans les deux ans qui ont suivi la promulgation de la loi n° 99-5 du 6 janvier 1999, d'un rapport dressant le bilan des dispositions de cette loi concernant les chiens dangereux.

Ce rapport, maintes fois réclamé par votre rapporteur pour avis, n'a été établi qu'en décembre 2006, pour être transmis au Parlement au début de 2007.

Ce retard est regrettable. Il l'est plus encore lorsque l'on sait que les ministères de l'intérieur et de l'agriculture disposaient, depuis février 2001, du très remarquable rapport d'une mission d'enquête, réalisée par des membres de l'Inspection générale de l'administration, de l'Inspection générale de la police nationale, de l'Inspection générale de l'agriculture et du Conseil général vétérinaire, sur l'application des dispositions de la loi de 1999 relatives aux chiens dangereux 3 ( * ) .

Un an après l'entrée en vigueur complète de ses dispositions, ce rapport s'interrogeait sur la réalisation des objectifs ambitieux assignés à la loi et dressait un bilan mitigé de son application, soulignant ses effets positifs sur le « phénomène pit-bull » et sur l'insécurité qu'il avait créée, mais relevant les imperfections du dispositif et les difficultés de son application.

Peut-être aurait-il été possible, si le Parlement avait été saisi dès 2001 de ce rapport et de ces observations, largement confirmées par des analyses ultérieures, de redresser plus tôt le cap, de prendre la mesure des limites du dispositif de 1999, d'envisager autrement la problématique des accidents canins -et surtout d'éviter quelques drames.

A. LA CONCEPTION ET LE FONCTIONNEMENT DU DISPOSITIF ISSU DE LA LOI DU 6 JANVIER 1999

Le dispositif mis en place en 1999 pour le contrôle des chiens dangereux faisait intervenir une gamme de mesures en elles-mêmes excellentes, tels le renforcement des moyens d'intervention de l'autorité de police administrative, le souci de contrôler la détention de certains animaux par certaines personnes, la volonté d'imposer l'identification des animaux, la vaccination, l'assurance, ou le respect de règles de bon sens relatives aux modalités de garde et de contrôle des animaux dans les espaces publics.

Si elles avaient été conçues pour s'appliquer de manière plus générale, sans doute ces mesures auraient-elles pu permettre de régler une partie des problèmes liés à l'intégration des animaux de compagnie dans une société de plus en plus urbanisée.

Le contexte de l'époque a conduit cependant à opérer un choix différent et le bilan mitigé que l'on peut dresser aujourd'hui de ce dispositif est largement à mettre au passif de l'erreur de conception originelle qui a conduit à le cibler sur certains types ou races de chiens présumés dangereux, au surplus répartis en deux catégories définies de manière fort peu scientifique.

Au-delà des effets pervers de cette « catégorisation », les imperfections techniques du dispositif et ses difficultés d'application ont également nui à son efficacité.

Au total, le dispositif « chiens dangereux » mis en place en 1999 s'est donc affirmé comme une efficace loi de police, mais comme un piètre instrument de prévention qui n'apporte pas aujourd'hui de réponse aux nouvelles interrogations de nos concitoyens.

1. La conception du dispositif

Elle est tout entière contenue dans le libellé de l'article L. 211-12 du code rural, qui prévoit la définition de « types de chiens susceptibles d'être dangereux » et « faisant l'objet de mesures spécifiques », ces types de chiens étant répartis en deux catégories respectivement définies, sans le moindre fondement scientifique, comme celle des « chiens d'attaque » et celle des « chiens de garde et de défense ».

Les mesures spécifiques prévues avaient pour objet d'assurer l'extinction progressive de la première catégorie et de contrôler étroitement la détention des animaux appartenant à la deuxième.

a) La « catégorisation »

Elle a été concrétisée par l'arrêté du 27 avril 1999 « établissant la liste des types de chiens susceptibles d'être dangereux ».

- Sans surprise, la première catégorie recouvrait en premier lieu deux types de chiens pouvant « être communément appelés pit-bulls », « assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Staffordshire terrier et American Staffordshire terrier », mais elle comprenait également les chiens « assimilables par leurs caractéristiques morphologiques » aux chiens des races Mastiff (les « boer-bulls ») et Tosa.

Cette première catégorie ne comprend donc que des chiens caractérisés par leur type morphologique mais n'appartenant pas à des races fixées, ce qui dès la publication de l'arrêté pouvait déjà laisser présager l'impossibilité de les « éradiquer ».

- La deuxième catégorie comprend en revanche des chiens de race (Staffordshire terrier, American Staffordshire terrier, Rottweiler, Tosa) mais également les chiens « assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Rottweiler ».

Figuraient en annexe à l'arrêté « les éléments de reconnaissance » des chiens des deux catégories, dont il était précisé qu'ils étaient tous « des molosses de type dogue », annexe dont la lecture suffit à faire comprendre les difficultés qu'ont pu rencontrer les personnels chargés de contrôler sur le terrain l'application des dispositions concernant les « chiens dangereux ».

b) Les mesures spécifiques

* Les mesures spécifiques proprement dites sont celles encadrant la détention et la circulation des chiens appartenant aux deux catégories, ainsi que celles censées organiser l'extinction progressive des chiens de première catégorie.

Elles recouvrent :

- la déclaration obligatoire en mairie des chiens de première et deuxième catégories (article L. 211-14 du code rural) : instrument de recensement -qui s'est révélé peu efficace- de ces animaux, la déclaration permet en outre d'exiger la production par le déclarant de justificatifs de l'identification du chien, de sa vaccination antirabique, de la souscription d'une assurance et, pour les animaux de première catégorie, de la stérilisation du chien.

La loi relative à la prévention de la délinquance 4 ( * ) s'est efforcée de rendre plus effective l'obligation de déclaration en prévoyant une procédure de mise en demeure des personnes qui n'y auraient pas satisfait, dont le non-respect est sanctionné pénalement et permet à l'autorité administrative de faire procéder à l'euthanasie de l'animal ;

- l'interdiction faite à certaines personnes , notamment les mineurs ou les personnes ayant subi certaines condamnations, de détenir un chien de première ou deuxième catégorie (article L. 211-13 du code rural) ;

- les règles relatives à la circulation et à l'accès aux lieux publics ou à certains lieux privés de ces chiens, règles qui ont été définies de façon particulièrement restrictive pour les chiens de première catégorie (article L. 211-16 du code rural) ;

- les règles interdisant l'acquisition, la cession, l'importation et l'introduction sur le territoire des chiens de première catégorie et imposant leur stérilisation (article L. 211-15 du code rural).

* Ces mesures spécifiques sont assorties d'un dispositif répressif : depuis la loi de 1999, le défaut de déclaration d'un chien, les manquements aux règles régissant les conditions de sa présence ou de sa garde dans les lieux publics ou ouverts au public, le défaut d'assurance ou de vaccination constituent des contraventions, tandis que la détention illégale d'un chien de première ou deuxième catégorie et la violation des dispositions destinées à assurer l'extinction progressive des chiens de première catégorie, constituent des délits.

La loi relative à la prévention de la délinquance a ajouté à ce dispositif de nouvelles incriminations et sensiblement durci les sanctions applicables.

* Outre les mesures spécifiques, les chiens de première et deuxième catégories sont également soumis aux dispositions de l'article L. 211-11 relatives aux pouvoirs des autorités de police administrative à l'égard des animaux dangereux, qui ont été renforcées par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et, tout récemment, par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Cette dernière a au demeurant introduit dans ce dispositif de droit commun de nouvelles mesures spécifiques aux chiens de première et deuxième catégories, qui peuvent désormais être réputés représenter « un danger grave et immédiat » dès lors que les conditions de leur garde ou de leur présence et de leur circulation dans les lieux publics ne répondraient pas aux mesures édictées par la loi, ce qui permet de leur appliquer la procédure d'urgence prévue par la loi du 15 novembre 2001 et d'ordonner leur placement immédiat et leur euthanasie sans délai.

* 1 Loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux errants et dangereux et à la protection des animaux.

* 2 Académie vétérinaire de France, « Prévention des accidents par morsures canines », rapport de la Commission Bientraitance et bien-être animal (janvier 2007).

* 3 « Mission d'enquête sur l'application des dispositions de la loi du 6 janvier 1999 relatives aux chiens dangereux », par M. Pierre Sébastiani, préfet, chargé de mission auprès du chef de l'Inspection générale de l'administration, Mme Agnès Fontana, inspectrice adjointe de l'administration, M. Alain Cochet, commissaire divisionnaire à l'Inspection générale de la police nationale, MM. Pierre Raccurt, inspecteur général de l'agriculture, et Georges Cances, contrôleur général des services vétérinaires (février 2001).

* 4 Loi n° 2000-297 du 2 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

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