B. MAIS LA RIPOSTE GRADUÉE NE SUFFIRA PAS À RÉSOUDRE LES DIFFICULTÉS DE LA FILIÈRE CULTURELLE
Mettant de côté différents questionnements que la révolution numérique ne peut manquer de soulever, ce projet de loi ne pourra évidemment pas résoudre toutes les difficultés de la filière culturelle.
De toute façon, par nature, une loi risque toujours d'être décalée par rapport aux évolutions. D'ailleurs, ce texte destiné à réprimer le piratage intervient alors que les chiffres récents attestent d'une décrûe du téléchargement illégal ces derniers mois en France, sans doute du fait de la maturité croissante de l'offre légale 5 ( * ) : ainsi, le chiffre d'affaires du téléchargement légal progresse de 70 % au premier semestre 2008 6 ( * ) .
Surtout, le projet de loi présente des limites intrinsèques , puisqu'il se repose sur la collecte d'adresses IP sur les réseaux P2P comme source unique de relevé d'infractions. Selon le Conseil général des technologies de l'information (CGTI), près de deux tiers des téléchargements utilisent les logiciels de P2P et sont clairement ciblés par le présent texte. De facto , échappent donc au relevé le « streaming » , technique qui permet la lecture d'un flux audio ou vidéo continu, à mesure qu'il est diffusé, les « newsgroups », qui sont des groupes de discussion informels entre personnes connectées, sous la forme de contributions personnelles (pouvant prendre la forme de fichiers) accessibles en lecture par tous, ainsi que les échanges par courriels et par messageries instantanées 7 ( * ) .
Mais c'est également en raison des développements technologiques susceptibles de permettre de contourner le système que l'efficacité du projet de loi rencontre des limites. Comme le souligne le CGTI, organe gouvernemental d'expertise consulté par le Ministre chargé de la culture, la généralisation rapide, chez les internautes, d'un recours à l'anonymisation des échanges et au cryptage des contenus rendrait inopérante l'observation externe des réseaux P2P pour le repérage des flux illicites et des adresses IP d'où ils émanent ou qui en sont les destinataires 8 ( * ) . De même, pour échapper aux sanctions, il est possible d'utiliser le téléchargement P2P via des adresses situées hors de France . Le projet de loi ne sanctionnera donc que le P2P non crypté et domicilé en France.
Enfin, le projet de loi ne prend pas en compte l'évolution des modes de connexion à internet, qu'il s'agisse du nomadisme ou de la mobilité (internet mobile via carte 3G, équipements Wi-Fi des PC ou des consoles mobiles...). Le CGTI estime ainsi à 16 millions le nombre d'accès internet ne relevant pas d'un raccordement fixe à domicile. D'ici trois à cinq ans, la multiplication des « hotspots » -points d'accès à internet sans fil- gratuits offrira aux utilisateurs (20 millions selon les estimations du CGTI) l'opportunité de télécharger facilement sans être identifiables. De même, les utilisateurs pourraient avoir de plus en plus recours à la capture des flux de « streaming » , permettant ainsi de patrimonialiser les contenus, à l'instar du téléchargement.
Il apparaît donc que le champ du piratage déborde celui ciblé par le présent texte .
* 5 Selon le baromètre annuel sur les nouvelles technologies BVA- The Phone House- BFM- La Tribune, cité dans Libération du 2 octobre 2008, 18 % des internautes français piratent les oeuvres protégées, soit 5 points de moins qu'il y a un an.
* 6 Selon l'Observatoire de la musique, le chiffre d'affaires du téléchargement légal atteint 30,2 millions d'euros mi-2008, à rapporter néanmoins au chiffre d'affaires global de l'industrie du disque : 484,8 millions d'euros.
* 7 Ou par d'autres moyens, notamment permis par des protocoles exotiques.
* 8 Comme a pu le constater votre rapporteur pour avis, il est à la portée de tout internaute de procéder à la dissimulation d'adresses ou de contenus. D'ailleurs, les versions les plus récentes de logiciels P2P offrent de telles possibilités, par une simple case à cocher.