IV. LES DROITS DES PERSONNES DÉTENUES MIEUX RECONNUS
A. LA LOI PÉNITENTIAIRE : UNE MISE EN oeUVRE RÉGLEMENTAIRE DÉSORMAIS EN BONNE VOIE
La loi pénitentiaire, grâce aux initiatives conjuguées du Sénat et de l'Assemblée nationale, a permis de mieux assurer dans notre droit la pleine reconnaissance de la dignité de la personne détenue. Parmi les différentes dispositions adoptées, à ce titre, par le Parlement, il convient de citer plus particulièrement :
- l'encadrement des conditions dans lesquelles les détenus peuvent faire l'objet de fouilles ;
- le renforcement des garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires (notamment avec la présence d'une personne extérieure à l'administration pénitentiaire au sein de la commission de discipline) ;
- l'obligation pour l'administration pénitentiaire de garantir la sécurité des personnes détenues et l'institution d'un régime de responsabilité sans faute de l'Etat pour les décès en détention survenus du fait d'une agression commise par un détenu.
D'une manière générale, la loi pénitentiaire a permis de relever au niveau législatif plusieurs dispositions qui relevaient du règlement voire de la circulaire alors même qu'elles affectaient directement l'exercice des droits et libertés.
L'essentiel des dispositions relatives aux droits des détenus et aux régimes de détention a fait l'objet de deux décrets d'application (décret en Conseil d'Etat n° 2010-1634 du 23 novembre 2010 et décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010).
Si les principes de la loi pénitentiaire sont en passe de franchir l'étape de leur transcription réglementaire, leur diffusion dans les pratiques quotidiennes apparaît comme l'un des principaux enjeux de la politique pénitentiaire actuelle.
• Conditions de détention
Allant même au-delà de la loi, le décret prévoit qu'un enfant antérieurement admis à rester avec sa mère en détention (pendant une durée de 18 mois susceptible d'être prolongée 6 mois) pourra revenir séjourner avec elle pendant de courtes durées pour une période d'un an et non de 6 mois comme auparavant. Ainsi, un enfant pourra rester avec sa mère jusqu'à ses 2 ans puis séjourner avec elle par intervalle jusqu'à ses 3 ans. Comme l'observe Mme Martine Herzog-Evans 24 ( * ) , « voilà qui nous rapproche des pays les plus protecteurs des enfants ».
• Le droit disciplinaire
Le décret présente dans un nouvel ordre les infractions disciplinaires (ainsi les infractions contre les personnes détenues apparaissent comme la deuxième infraction juste après les violences exercées contre un membre du personnel pénitentiaire ou une personne en mission ou en visite dans l'établissement) et les définit de manière plus précise (le premier degré comprend 11 infractions au lieu de 9 précédemment).
La sanction disciplinaire la plus lourde, le placement en cellule disciplinaire, est assouplie à plusieurs titres : la durée se trouve limitée à 20 jours pour les infractions du premier degré de gravité (30 jours en cas de violences contre les personnes), 14 jours pour les fautes du second degré et 7 jours pour celles du troisième degré (article R. 57-7-47) ; le détenu pourra passer un appel téléphonique par période de sept jours (article R. 57-7-45).
La procédure disciplinaire présente des garanties renforcées : l'auteur du compte rendu d'incident ne peut plus siéger au sein de la commission de discipline (articles R. 57-7-13 et R. 57-7-14) ; les poursuites disciplinaires ne pourront pas être exercées plus de six mois après la découverte des faits (article R. 57-7-15) ; le délai de comparution devant la commission de discipline est porté de 3 à 24 heures facilitant une meilleure défense de la personne (la personne détenue étant par ailleurs informée non seulement des faits reprochés comme tel était le cas auparavant mais aussi de leur qualification juridique -article R. 57-7-16).
Le placement préventif en cellule, dans l'attente de la comparution devant la commission de discipline pourra se faire non seulement en cellule disciplinaire mais aussi en cellule individuelle ordinaire. La mesure est en outre strictement encadrée : elle doit être « l'unique moyen de mettre fin à l'infraction ou de préserver l'ordre interne de l'établissement » ; le délai du placement préventif commence à courir le lendemain du jour du placement en prévention et expire le deuxième jour suivant à 24 heures.
Le choix de l'assesseur extérieur à l'administration pénitentiaire fait l'objet d'une procédure d'habilitation préalable par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent (article R. 57-7-8). Les intéressés doivent être choisis parmi les personnes qui « manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires » (article R. 57-7-8). Le chef d'établissement dresse un tableau de roulement qui désigne pour une période déterminée les assesseurs extérieurs appelés à siéger (articles R. 57-7-8 et R. 57-7-12).
Il importe aujourd'hui que l'administration pénitentiaire puisse disposer d'un vivier suffisant d'assesseurs extérieurs. Plusieurs actions de communication ont été mises en oeuvre en ce sens. Une affiche informant les citoyens de la possibilité de siéger au sein des commissions de discipline ainsi qu'un dépliant présentant le rôle et le fonctionnement de l'instance disciplinaire, la mission des assesseurs extérieurs, les conditions requises et la procédure d'habilitation ont ainsi été réalisés. Ces outils de communication, accessibles et téléchargeables sur le site Internet du ministère de la justice, ont vocation à être installés dans les lieux accessibles au public. En outre, des démarches de communication ont été engagées localement tant par les chefs d'établissement que par les présidents de tribunaux de grande instance. Des contacts ont été pris auprès des préfectures et des municipalités, d'universités et d'associations. Les chiffres recueillis auprès de 177 établissements font état, au 31 août 2011, de 454 assesseurs habilités et 145 candidatures en cours d'examen. Les opérations de recrutement se poursuivent actuellement. Selon les informations communiquées à votre rapporteur, certains ressorts sont toutefois encore dépourvus d'assesseurs extérieurs.
• Les fouilles
L'encadrement des fouilles est, parmi les différentes mesures en faveur des personnes détenues, celle qui soulève chez les personnels de surveillance les réserves les plus vives au regard des exigences de sécurité.
L'article 57 de la loi pénitentiaire est inspiré de la jurisprudence du Conseil d'Etat 25 ( * ) selon laquelle les fouilles doivent, pour être conformes à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, réunir les conditions de nécessité, d'adaptation au motif poursuivi et de proportionnalité.
Ainsi les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement.
D'autre part, leur nature et leur fréquence doivent être strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues.
Enfin, au regard du principe de proportionnalité, la loi précise que les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. En outre, les investigations corporelles internes sont proscrites, « sauf impératif spécialement motivé » -elles ne peuvent être alors réalisées que par un médecin exerçant en dehors de l'établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l'autorité judiciaire.
Les articles R. 57-7-79 à R. 57-7-82 du code de procédure pénale issus du décret du 23 décembre 2010, paraissent interpréter a minima les prescriptions de la loi pénitentiaire. Ils énoncent la nécessité d'adapter la nature de la fouille et sa fréquence aux circonstances de la vie en détention, au profil de la personne détenue en termes de sécurité et d'ordre. Les mesures doivent être décidées par le chef d'établissement et fondées sur un impératif de sécurité des personnes ou de bon ordre de l'établissement ou de prévention des infractions pénales.
Les fouilles demeurent très fréquentes -comme l'a indiqué le directeur de l'administration pénitentiaire à votre rapporteur-, voire systématiques après les parloirs dans un grand nombre d'établissements.
Votre rapporteur regrette que le projet de budget pour 2012 ne prévoit pas de financement pour permettre l'expérimentation de matériels de détection électronique qui éviterait le recours à des pratiques ressenties comme humiliantes pour les personnes détenues.
Deux décrets importants restent attendus :
- celui relatif aux règlements intérieurs types qui devra notamment préciser la nature des régimes différenciés de détention. En effet, aux termes de l'article 728 du code de procédure pénale, des « règlements intérieurs-types, prévus par décret en Conseil d'Etat, déterminent les dispositions prises pour le fonctionnement de chacune des catégories d'établissements pénitentiaires ». Ces dispositions sont particulièrement importantes pour supprimer les disparités entre régimes de détention trop souvent observées d'un établissement à l'autre pour des personnes détenues présentant pourtant un profil comparable;
- celui concernant l'évaluation du taux de récidive par établissement pour peines par un observatoire indépendant . L'objectif visé par l'article 7 de la loi pénitentiaire n'était pas d'instituer un nouvel organisme mais de confier les missions de collecte, d'analyse et d'évaluation à l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, rattaché à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice créé par le décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009. Ce texte doit faire l'objet des modifications nécessaires.
L'application des principes posés par la loi pénitentiaire pourra s'appuyer en particulier sur l'action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
* 24 Martine Herzog-Evans « Contre plongée rapide sur les décrets d'application de la partie pénitentiaire de la loi du même nom » en AJ Pénal, avril 2011.
* 25 Conseil d'Etat, 14 novembre 2008, El Shennawy.