II. LES GRANDS PORTS MARITIMES : UNE RÉFORME À PARACHEVER
La loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a eu pour objectif premier la compétitivité des ports autonomes métropolitains (Bordeaux, Dunkerque, Le Havre, La Rochelle, Rouen, Nantes-Saint Nazaire et Marseille), qu'elle a transformés en grands ports maritimes (GPM) en leur donnant une nouvelle gouvernance, davantage en prise avec les réalités économiques.
Cependant, comme l'a montré en 2011 le rapport du groupe de travail sénatorial sur la réforme portuaire 3 ( * ) , l'application de cette loi nécessaire ne suffira pas à enrayer le déclin de nos ports, qui continuent à perdre du terrain dans la compétition européenne.
Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis estime urgent de parachever la réforme entreprise en 2008, en rattachant les GPM à une structure de type syndicat mixte dont les acteurs seraient les collectivités territoriales et organismes économiques locaux, à l'exemple de ce qui se fait chez nos voisins où les ports sont les plus dynamiques.
A. LE CARACTÈRE INACHEVÉ DE LA RÉFORME PORTUAIRE FREINE L'ÉLAN IMPULSÉ EN 2008
Les sept ports autonomes transformés en grands ports maritimes représentent 80 % du tonnage total des ports français et, parmi eux, Le Havre et Marseille - dans une moindre mesure Dunkerque - étaient en mesure de s'inscrire parmi les « hubs » des grandes routes maritimes mondiales.
Pour renforcer leur compétitivité, la réforme de 2008 a pris deux décisions courageuses :
- Elle a d'abord unifié le commandement de la manutention : depuis 1992, les dockers étaient devenus en majorité des salariés des entreprises de manutention, mais les portiqueurs et les grutiers étaient restés salariés des établissements publics portuaires, de même que les équipements (grues et portiques) restaient la propriété de ces établissements publics. Pour ce faire, la loi de 2008 a imposé la vente des outillages à des entreprises privées, opérateurs de terminaux, ainsi que le transfert des agents de conduite et de maintenance.
- La loi a également modernisé la gouvernance des ports, en créant un directoire, un conseil de surveillance et un conseil de développement et en prévoyant l'élaboration d'un projet stratégique pour chacun des sept grands ports maritimes.
L'application de la loi a été rapide sur le plan administratif, mais relativement lente sur le plan social puisqu'il a fallu attendre l'été 2011, conformément au délai légal, pour parvenir à la signature d'une convention collective unifiée.
Le Gouvernement a pris rapidement les décrets d'application pour modifier la gouvernance des ports, lesquels ont élaboré leur projet stratégique. La vente des outillages a été également diligente, mais dans des conditions qui sont loin d'avoir été optimales pour les ports. Les difficultés se sont concentrées sur le transfert des personnels. Les négociations sociales ont été d'autant plus tendues que la réforme des retraites s'y est intercalée et que les partenaires sociaux ont douté de la capacité financière de l'État à participer au dispositif. Finalement, la nouvelle convention collective unifiée, contenant deux dispositifs de cessation anticipée d'activité pour cause de pénibilité, et les accords locaux de détachement ont été signés le 11 avril 2011 ; enfin, les transferts des personnels ont été effectifs au 11 juin 2011, conformément au délai légal.
Quatre ans après la réforme, le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas produit tous ses effets et qu'elle n'a pas suffisamment donné à nos grands ports les moyens de leurs ambitions.
De fait, la situation de nos ports confirme leur perte de vitesse dans la compétition européenne. Le port de Marseille/Fos, premier port de France et de Méditerranée, n'occupe plus que le cinquième rang en Europe, essentiellement grâce au trafic d'hydrocarbure, véritable manne pour le port phocéen. Il peine à traiter un million de conteneurs par an, ce qui le relègue à la 13 ème place en Europe. Quant au port du Havre, premier port français pour les conteneurs, il n'arrive qu'en 8 ème position européenne sur ce segment, loin derrière ses concurrents du Nord de l'Europe, comme Anvers et Hambourg qui traitent 3 à 4 fois plus de conteneurs que le port normand. Le tonnage total du port de Rotterdam, champion européen, représente presque le double de l'ensemble des grands ports français réunis. Et l'attractivité du port d'Anvers a fait de lui, aux yeux de nombreux acteurs économiques, le « premier port français » pour le nombre de conteneurs à destination de l'Hexagone...
Nos grands ports maritimes (GPM) reculent par rapport à leurs concurrents européens, comme l'atteste la comparaison par façades maritimes 4 ( * ) entre 2010 et 2011. En Manche et Mer du Nord, l'ensemble formé de Dunkerque, du Havre et de Rouen affiche un trafic global en hausse de 0,6 % contre 3,2 % pour onze ports étrangers. Sur la façade Atlantique, toujours entre 2010 et 2011, le trafic des ports français recule de 1,6 % alors que celui des sept ports étrangers gagne 4,5 %. Enfin, en Méditerranée, le trafic de fret du port de Marseille progresse de 2,4 %, en-deçà de la hausse de 5 % affichée par neuf autres ports méditerranéens.
Les raisons du déclin identifiées en 2008 demeurent d'actualité :
- la faiblesse de l'État stratège : l'État n'a pas suffisamment investi dans les ports ; il se désengage financièrement de son obligation d'entretenir les accès maritimes des ports ; il n'a pas allégé sa tutelle malgré la nouvelle gouvernance ; il n'a toujours pas défini sa politique de dividendes et surtout, il a failli dans l'organisation des dessertes des ports pour irriguer efficacement leur hinterland ;
- un manque d'ancrage sur les territoires : les grands ports maritimes, malgré la nouvelle gouvernance, manquent d'autonomie décisionnaire ; leur statut a changé mais leur dépendance à l'État reste sensiblement la même. En témoigne la prudence affichée par les projets stratégiques, qui contraste avec le volontarisme des ports étrangers du Nord et du Sud de l'Europe dans leurs investissements programmés ou déjà engagés :
- la concurrence est faussée sur les places portuaires. Cette situation est méconnue, mais l'Autorité de la concurrence a récemment condamné des entreprises de manutention portuaire et des autorités portuaires pour entorse à la libre concurrence.
B. LA POURSUITE DE LA RÉFORME EST INDISPENSABLE POUR DONNER À NOS GRANDS PORTS LES MOYENS DE LEUR STRATÉGIE DE RECONQUÊTE
La comparaison avec les ports étrangers qui réussissent, démontre que nous avons encore bien du chemin à parcourir pour donner à nos grands ports maritimes toutes les cartes en main :
- Dans les ports qui ont « décollé », les autorités portuaires ont adopté une gouvernance entrepreneuriale, placée sous le contrôle des pouvoirs locaux plutôt que nationaux - même lorsque, comme en Espagne, l'État est propriétaire des ports. En 2004, la ville de Rotterdam, qui gérait le port en régie, a créé une société de droit privé à laquelle elle a confié la gestion du port. A Hambourg, l'établissement portuaire est public et il est rattaché à la ville-État de Hambourg, sans que le Gouvernement fédéral ait son mot à dire.
- Chez nos concurrents, l'heure est aux investissements à grande échelle et à l'aménagement du territoire au service d'une économie maritime forte. Les plus grands ports européens sont aussi ceux qui investissent le plus : Rotterdam mobilise trois milliards d'euros pour le projet Maasvlakte 2, Hambourg un milliard d'euros d'ici 2016. Dans la compétition pour devenir les « hubs » des plus grandes compagnies d'armateurs, les grands ports concurrents sont aidés par des politiques publiques volontaristes au service d'une économie maritime puissante. Ils investissent bien au-delà de leur circonscription portuaire, en particulier dans la logistique. Au Nord comme au Sud, les ports sont considérés comme des pivots du développement économique, pourvoyeurs d'emplois, mais également comme les outils principaux d'un développement économique désormais plus respectueux de l'environnement.
- Enfin, les ports concurrents offrent des services complets et intégrés, du transbordement à la desserte rapide vers l'arrière-pays, avec des équipes commerciales particulièrement importantes . Qu'ils aient laissé la main à des entreprises privées - comme Rotterdam, avec European Containers Terminals - ou qu'ils aient investi eux-mêmes - comme la ville-État d'Hambourg à travers la société de manutention privée à capitaux publics HHLA - les ports concurrents proposent du transbordement massifié, de puissantes plateformes logistiques et multimodales et des liens « en profondeur » avec les transporteurs vers l'hinterland. Et ils mènent des stratégies commerciales conquérantes avec des services commerciaux sans commune mesure avec ceux dont disposent nos grands ports maritimes.
Dès lors, plusieurs pistes apparaissent indispensables au développement réel de l'activité dans nos ports :
- La première des priorités devrait être de décentraliser la gouvernance des grands ports maritimes, en la confiant aux collectivités du « bassin » portuaire. La loi du 13 août 2004 a décentralisé les ports d'intérêt national, il faut étendre le mouvement aux sept grands ports maritimes. La nouvelle autorité portuaire pourrait être un établissement portuaire local ou un syndicat mixte , au choix des collectivités territoriales. Cette autorité aurait pleine compétence sur la stratégie de développement, la maîtrise d'ouvrage et le financement. Elle serait constituée d'un conseil de surveillance dont les membres représenteraient l'ensemble des collectivités territoriales et les acteurs économiques du bassin pertinent du port : région, département, structures intercommunales et autres collectivités intéressées. Les directeurs des ports seraient nommés par le conseil de surveillance pour réaliser le plan stratégique et seraient responsables devant lui. Comme pour les ports d'intérêt national, le transfert serait compensé financièrement par l'État. Des conseils de coordination interportuaires seraient constitués, entre grands ports d'un même ensemble géographique et associant les ports secondaires, avec une fonction stratégique et coordonnatrice.
- Deuxième priorité, complémentaire, positionner l'État en coordonnateur et facilitateur. Dès lors que le développement portuaire est une priorité nationale, inscrite dans un schéma tel que le SNIT ou ce qui en fera office, il faut « prioriser » l'ensemble des opérations y afférant, qu'il s'agisse de la mobilisation de moyens financiers - en encourageant par exemple des sociétés de développement local -, de compétences d'aménagement - les ports doivent pouvoir maîtriser le foncier - ou qu'il s'agisse encore de modifier certaines règlementations des affaires maritimes qui, à l'évidence, constituent un obstacle à l'articulation entre le maritime et le fluvial. Ces actions visant les ports devraient, bien entendu, s'inscrire dans une politique plus large d'aménagement du territoire, de la mobilisation de l'hinterland à la mise en place de sillons prioritaires pour acheminer le fret débarqué dans nos ports.
LE GROUPEMENT D'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE (GIE) HAROPA - PORTS DE PARIS SEINE NORMANDIE , AMORCE D'UNE NOUVELLE PHASE D'AUTONOMIE PORTUAIRE ? Le 19 janvier 2012, les grands ports maritimes du Havre et de Rouen ainsi que le port autonome de Paris ont créé le groupement d'intérêt économique (GIE) HAROPA - Ports de Paris Seine Normandie, intégrant la chaîne logistique sur l'axe de la Seine en tirant parti des nouveaux outils mis en place par la réforme portuaire. Le nouveau GIE est constitué autour de cinq pôles : un pôle stratégie pour débattre d'actions complémentaires, voire d'une stratégie intégrée ; un pôle réseaux pour assurer les connexions de l'axe Seine avec le reste du pays et de l'Europe ; un pôle commercial pour démarcher les clients ; un pôle communication et relations institutionnelles pour faire connaître les activités et les enjeux du regroupement ; enfin un secrétariat général chargé de la gestion du GIE et des échanges de bonnes pratiques entre les ports. Ces trois ports de l'axe Seine étaient déjà partie commune d'un Conseil de coordination interportuaire, il s'agit d'aller plus loin en intégrant au mieux le développement de l'activité portuaire et celui des territoires dans leur ensemble. Les ports doivent assurer une desserte massifiée, mais celle-ci est indissociable de la desserte du reste du territoire, dont les leviers échappent évidemment aux autorités portuaires. Cependant, les autorités portuaires sont les mieux placées pour impulser des initiatives, se positionner en coordonnateurs voire en architectes de chaînes logistiques performantes parce que complémentaires. Paradoxalement, notre retard en matière d'intégration portuaire est à l'origine d'un atout important de notre territoire : notre réseau n'est pas saturé, mais encore largement à développer, avec de grandes qualités de navigabilité et des capacités d'accueil. C'est dans cette perspective que ce rapprochement exemplaire des trois ports de l'axe Seine est très encourageant, à condition que les investissements suivent. |
* 3 Rapport d'information n° 728 (2010-2011) « Les ports français : de la réforme à la relance ».
* 4 Façade Manche et mer du Nord : Amsterdam, Anvers, Brake, Brême Bremerhaven, Gand, Göteborg, Hambourg, Londres, Oslo, Rotterdam, Zeebruges. Façade Atlantique : Bilbao, Huelva, La Corogne, Las Palmas, Leixões, Lisbonne, Santa Cruz de Ténériffe. Façade méditerranéenne : Algésiras, Barcelone, Carthagène, Gênes, La Spezia, Ravenne, Savona Vado, Tarragone, Valence.