AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Texte protéiforme, aussi touffu qu'ambitieux, le projet de loi pour une République numérique, déposé le 9 décembre 2015 sur le bureau de l'Assemblée nationale après avoir fait l'objet d'une consultation publique en ligne inédite, a été adopté par cette dernière le 6 janvier dernier.
Transmis au Sénat, il a été renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et de l'administration générale. Toutefois, le chapitre II du titre I er étant consacré à l'économie du savoir, votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a été saisie au fond par délégation de la commission des lois sur ces articles 1 ( * ) , à l'exception de l'article 18, qui porte sur la procédure d'accès à certaines données publiques à des fins statistiques ou de recherche par l'intermédiaire du numéro d'inscription au répertoire national (NIR).
Par ailleurs, elle s'est saisie pour avis des articles 7 portant rationalisation du régime de réutilisation des informations publiques, 9 bis , qui prévoit la publication par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, dans un format ouvert et aisément réutilisable, du relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les programmes radiodiffusés et télévisés, 18 précité, 19 bis sur la défense de la libre réutilisation d'une oeuvre entrée dans le domaine public et 21 A relatif à la récupération par les élèves de leurs données scolaires sous format numérique .
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Soucieuse de sensibiliser les utilisateurs sur les risques associés à l'usage des outils numériques, l'Assemblée nationale a adopté deux dispositions visant l'une à encourager l'égalité entre les femmes et les hommes dans les métiers du numérique et à lutter contre les cyberviolences (article 17 A) et l'autre à promouvoir le bon usage des outils numériques (article 18 quater ). Tout en soutenant les objectifs poursuivis par ces articles, votre commission a proposé à la commission des lois, saisie au fond du projet de loi, de les supprimer dans la mesure où elles ne relèvent pas du domaine législatif. La même analyse l'a conduit à proposer la suppression des articles 19 bis et 21 A.
Les autres dispositions, sur lesquelles elle a mené plus d'une vingtaine d'auditions, posent la délicate question du juste équilibre qu'il convient de maintenir entre le respect de la propriété intellectuelle et le développement de la recherche publique, dans un contexte où le numérique modifie les pratiques en profondeur. Cet équilibre, compromis malaisé entre les intérêts des parties, ne fut pas évident à établir, pour que la liberté des uns n'entraîne pas de trop lourds désavantages pour les autres.
L'article 17, au coeur du chapitre II du titre I er , traite de l' open access des publications scientifiques. La production des connaissances scientifiques est un phénomène complexe, qui s'appuie sur les résultats des recherches antérieures et aboutit à de nouveaux résultats qui seront analysés attentivement par la communauté scientifique (pour vérifier notamment la reproductibilité de l'expérience ou du processus faisant l'objet de la publication) avant d'être intégrés au corpus scientifique et pouvoir être réutilisés par d'autres chercheurs.
Les pratiques scientifiques nécessitent donc d'intenses échanges au sein des communautés de chercheurs et un accès aux publications.
À cet égard, l'invention d'Internet et le développement de réseaux sociaux scientifiques ont eu un impact considérable sur la science en permettant à la fois une diffusion très rapide des connaissances dans tous les pays et des recherches bibliographiques faciles avec un accès instantané aux articles d'un chercheur ou d'un sujet donné.
Cette évolution a fait naître techniquement la possibilité d'un accès gratuit de toute la communauté scientifique à l'ensemble des publications.
Pourtant, le développement rapide du nombre de revues créées et d'articles publiés chaque année s'accompagne paradoxalement d'un accès plus limité des chercheurs aux publications et par un renchérissement global des dépenses d'acquisition.
Deux facteurs sont en cause :
- l'augmentation spectaculaire des coûts des abonnements par quelques éditeurs ;
- la cession des droits d'auteur du chercheur au profit de l'éditeur, de plus en plus perçue comme une véritable confiscation dans la mesure où non seulement celle-ci est réalisée le plus généralement à titre exclusif et gracieux, mais en outre le chercheur auteur de l'article ainsi que les chercheurs en charge de la vérification et de sa validation ne sont pas rémunérés dans la grande majorité des cas.
Soucieuse de favoriser une diffusion étendue des résultats de la recherche publique, tout en veillant à ne pas mettre le modèle économique des éditeurs en péril, votre commission soutient le dispositif proposé par l'article 17 qui prévoit l'instauration d'un droit secondaire d'exploitation par l'auteur de la publication à l'issue d'une période d'embargo. En revanche, elle s'oppose à la possibilité, pour le ministre chargé de la recherche, d'imposer un délai d'embargo inférieur à ceux fixés par la loi pour certaines disciplines.
Par ailleurs, afin d'encourager le développement des formations en ligne ouvertes à tous, l'Assemblée nationale a adopté l'article 17 bis qui autorise désormais, dans des conditions fixées par décret, les enseignements réalisés sous forme numérique à se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants. Votre commission se félicite de cette disposition qu'elle souhaite modifier à la marge pour lui donner un caractère plus général.
Compte tenu des inquiétudes des éditeurs sur les conséquences de la possibilité donnée aux chercheurs de mettre en libre accès leurs publications à l'issue d'un embargo de six à douze mois et des insuffisances de l'étude d'impact présentée par le Gouvernement à ce sujet, votre commission soutient également - et exceptionnellement - la demande exprimée à l'article 17 ter d'un rapport au Parlement sur l'impact de l'introduction d'un droit secondaire d'exploitation sur le marché de l'édition scientifique.
Elle se félicite, en outre, de l'assouplissement de la procédure d'accès à certaines données publiques à des fins de recherche par l'intermédiaire du numéro d'inscription au répertoire (NIR) instaurée par l'article 18.
Au-delà des bouleversements introduits par l'article 17 en matière d' open access des publications scientifiques, le droit de la propriété intellectuelle enregistre deux nouveaux reculs avec l'introduction, par l'Assemblée nationale des articles 18 bis relatif à la fouille de corpus scientifiques, dit text and data mining (TDM), et 18 ter ouvrant droit à la liberté de panorama. Votre commission, soucieuse de la préservation du droit d'auteur, a néanmoins jugé que les deux nouvelles exceptions ainsi créées étaient justifiées.
Le TDM constitue en effet une technique de recherche numérique dont la France, soumise à la concurrence internationale de pays où il est autorisé, ne peut raisonnablement se priver. Toutefois, la forme choisie par l'Assemblée nationale d'une exception au droit d'auteur, que la directive européenne du 22 mai 2001 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information n'autorise aujourd'hui pas, n'a pas semblé des plus efficientes à votre commission, qui lui a préféré la voie contractuelle entre éditeurs, organismes de recherche et bibliothèques.
Votre commission n'a souhaité apporter, en revanche, que des modifications bénignes à l'article 18 ter , notamment en ouvrant son champ aux associations dites « loi 1901 ».
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Le projet de loi pour une République numérique ainsi modifié, pour les articles ressortant de la compétence de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, représente un nouvel élan pour la recherche française, dans le respect du droit des éditeurs et des auteurs . C'est dans cet objectif, et avec le souci permanent de trouver les équilibres les plus justes sans que les dispositifs proposés ne perdent en efficacité , que votre commission a mené ses travaux.
* 1 Il s'agit des articles 17 A sur la formation aux outils et ressources numériques, 17 sur l'accès aux recherches financées par des fonds publics, 17 bis sur l'assouplissement des conditions d'enseignement à distance, 17 ter sur le rapport au Parlement sur l'impact de l'introduction d'un droit secondaire d'exploitation sur le marché de l'édition scientifique, 18 bis sur la fouille de textes et de données, 18 ter sur la liberté de panorama et 18 quater sur la promotion du bon usage des outils numériques.